Les Maures véritablement dévots observent le jeûne le plus rigoureux ; ils ne font qu’un repas au milieu de la nuit, et non seulement ne prennent aucune nourriture pendant le jour, mais encore se privent de boire, et même de respirer du tabac. Comme le ramadan arrive souvent dans la saison chaude, et que le jeûne est plus pénible à cause de la soif dévorante qu’on éprouve, les moins zélés choisissent cette époque pour voyager, parce qu’alors ils sont dispensés déjeuner. Voilà pourquoi, lors du vol des bœufs, il ne s’était trouvé que quelques hommes dans le camp; tous étaient partis les jours précédens. Cette émigration ne les dispense pas pour cela du carême ; mais elle leur procure l’avantage de choisir la saison ; et c’est toujours celle du froid qu’ils préfèrent, parce qu’alors la soif est plus supportable.
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A onze heures du soir, on nous apporta du sanglé pour souper; je remarquai qu’on en avait fait plus qu’à l’ordinaire : je mangeai très peu ; la soif m’avait ôté l’appétit ; je me sentais un peu de fièvre. Toutes les femmes s’étaient proposé de jeûner; mais sur le midi, elles furent obligées de boire, et leur jeûne fut rompu.
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Outre qu’on me faisait observer le jeûne le plus rigoureux, j’avais encore à souffrir les insultes sans nombre des hassanes voyageurs, pour qui mes souffrances étaient un sujet de divertissement. S’ils me trouvaient couché expirant de soif et de besoin, ils me tiraient par mes vêtemens, me pinçaient, me tourmentaient de mille manières, pour m’obliger à répondre à leurs questions, qui toutes insultaient à ma position. Ils finissaient toujours par me demander si je voulais boire un peu d’eau de vie et manger du cochon, et enfin si je voulais subir la circoncision.
A chacune de ces questions, auxquelles je refusais de répondre, ils riaient aux éclats, et répondaient pour moi en affectant le plus ironique mépris. Les marabouts voyaient cela avec peine ; mais ils ne pouvaient me délivrer de ces importunités ; seulement, après le départ des hassanes, ils les blâmaient et les traitaient d’infidèles.
Je remarquai que les marabouts n’étaient pas aussi sévères à l’égard de leurs compatriotes qu’envers moi; je voyais souvent des jeunes gens qui mangeaient pendant le jour. Quand je demandais pourquoi ils n’étaient pas, comme les autres, soumis au jeûne, on me répondait que la veille ils n’avaient pris que peu de chose pour souper, et qu’ils n’auraient pu passer la journée sans manger. Ce prétexte leur servait toutes les fois qu’ils voulaient se dispenser de jeûner.
Pour se distraire et leur faire trouver les jours moins longs pendant le ramadan, les Maures ont un jeu qu’ils nomment sigue. Il consiste en six morceaux de bois plats et arrondis par les bouts en forme d’ovale, blancs d’un côté et noircis de l’autre. Ce jeu se joue à deux, quatre ou six personnes, mais toujours divisées en deux partis. On fait dans le sable trois rangs de trous, de vingt-quatre chacun. Les rangs des côtés sont pris par chacun des partis, qui en couvrent tous les trous d’un brin de paille, en observant toujours que les pailles de l’un et de l’autre soient de couleur différente pour les reconnaître facilement. Le rang du milieu reste libre. L’un des joueurs prend cinq des morceaux de bois dans sa main, les mêle et les laisse tomber par terre : s’il amène tous les morceaux de bois de la même couleur, ou tous moins un, c’est ce qu’on appelle faire la sigue; le coup compte un, et le joueur continue avec les six morceaux de bois, jusqu’à ce qu’il manque de faire la sigue; alors un autre prend le jeu. Chaque fois qu’un joueur fait la sigue, il met une paille dans un des trous du rang du milieu, et l’avance d’autant de places qu’il a amené de morceaux de bois de la couleur adoptée par son parti. Quand un des joueurs a atteint le dernier trou du rang du milieu, il y laisse sa paille ; et si son adversaire y arrive aussi, sa paille est rejetée, et il recommence à jouer comme la première fois. Quand on a pris tous les trous du milieu, on entre dans le rang de son adversaire, et l’on continue de se promener en prenant les pailles de toutes les places qu’on lui gagne ; et quand celui-ci a perdu toutes ses pailles, la partie est finie.
Ils ont un autre jeu qu’ils jouent plus rarement, parce qu’il occasionne plus d’exercice. Us élèvent en rang, des piles de petits os plats, et plusieurs hommes, avec chacun quatre pierres, les lancent sur les os à une grande distance; celui qui en abat le plus donne des chiquenaudes sur le nez de ses camarades. Les princes s’amusent quelquefois à ce jeu. Les enfans, moins paresseux que les hommes, et aimant à courir, ont un jeu qui les met vraiment en action : ils forment un grand cercle ; l’un d’eux se met au milieu; tous les autres le harcellent en courant autour de lui : l’un le frappe, l’autre le pousse, ou le tire par son coussabe, etc. Celui-ci cherche à attraper un des assaillans; et lorsqu’il y parvient, il lui fait prendre sa place. Ce jeu est très-bruyant, car tous poussent de grands cris en tournant et sautant autour de celui qui sert de but. Les petites filles jouent aussi à ce jeu entre elles.