Mungo Park, Industrie et commerce de l’Or (et du sel), 1799

 

Or

On trouve probablement en Afrique, depuis les premiers siècles du monde, ces deux précieuses marchandises qui nous restent à examiner, l’or et l’ivoire. Elles sont mises au premier rang de ses importantes productions, dans les plus anciens monuments de son histoire.

On a remarqué que l’or ne se trouvait presque jamais que dans les pays montueux et stériles. La nature, a-t-on dit, compense ainsi, par la richesse d’une de ses productions, ce qu’elle nous refuse en fertilité. Cette observation, cependant, n’est pas exacte. L’or se trouve en quantité considérable dans toutes les parties du Manding, pays qui, à la vérité, a des collines, mais qu’on ne peut pas appeler montueux, et encore moins stérile. On en trouve aussi en abondance dans le Jallonkadou, surtout aux environs de Bouri, autre pays inégal, mais nullement infertile.

Sel et Or

Il est à remarquer que dans ce dernier lieu (Bouri), qui est situé à environ quatre jours de marche au sud-ouest de Kamalia, le marché de sel est souvent fourni en même temps de sel gemme qui vient par le grand désert et de sel marin de Rio Grandé. Le prix des deux qualités, à cet éloignement du lieu où on les a prises, est à peu près le même : les Maures, qui apportent l’une du Nord, et les Nègres qui amènent l’autre du Sud, sont conduits ici par le même motif, le désir d’échanger leur sel contre de l’or.

Or en poudre

L’or du Manding ne se trouve jamais dans aucune matrice ni veine ; il est tout en petits grains, presque purs, dont la grosseur varie depuis celle d’une tête d’épingle jusqu’à celle d’un petit pois. Ils sont dispersés dans un grand volume de sable ou d’argile, les Mandingues appellent l’or, dans cet état, sanou munko (poudre d’or). Il est cependant très probable, d’après ce que j’ai entendu dire de la situation du terrain, que la plupart de ces grains ont été dans l’origine entraînés par l’action répétée des eaux qui descendent en torrents des montagnes voisines. Voici, à peu près, la manière dont on le ramasse.

Récolte

Vers le commencement de décembre, lorsque la moisson est finie et que les rivières sont fort baissées, le mansa ou chef de la ville indique un jour pour commencer le sanou kou (le lavage de l’or). Les femmes doivent se tenir prêtes pour le temps marqué. Une pelle ou bêche pour creuser le sable, deux ou trois calebasses pour le laver et quelques tuyaux de plumes pour contenir la poudre d’or sont tous les ustensiles employés à ce travail. Le matin du départ, on tue un bœuf pour le repas du premier jour, et l’on fait nombre de prières et d’opérations magiques pour s’assurer un bon succès, car on regarde comme un mauvais présage de ne pas réussir ce jour-là. Je me souviens d’avoir vu le mansa de Kamalia et quatorze des habitants si déconcertés du lavage de leur première journée que très peu eurent le courage de continuer, et ceux qui le firent n’eurent qu’un succès médiocre ; chose, à la vérité, peu surprenante, car, au lieu de fouiller une terre neuve, ils s’obstinaient à creuser et à laver dans un endroit où ils creusaient et lavaient depuis plusieurs années, et où, par conséquent, il ne pouvait rester que très peu de gros grains.

Le lavage du sable des ruisseaux est de tous les procédés le plus facile pour obtenir la poudre d’or, mais dans la plupart des endroits les sables ont été fouillés avec tant de soin qu’à moins que le ruisseau ne change de courant on n’y trouve de l’or qu’en petites quantités. Tandis que quelques personnes d’une troupe cherchent dans les sables, d’autres remontent le torrent jusqu’aux endroits où l’eau plus rapide, ayant entraîné le sable, l’argile, etc., n’a laissé que de petits cailloux. La recherche que l’on fait dans ces pierres est beaucoup plus pénible que l’autre. J’ai vu des femmes qui s’étaient usé la peau du bout des doigts à ce travail ; quelquefois aussi les ouvriers en sont dédommagés en trouvant des morceaux d’or, qu’ils appellent sanou birro (pierres d’or), qui les paient amplement de toutes leurs peines. Une femme et sa fille, habitantes de Kamalia, trouvèrent en un jour deux morceaux de ce genre, qui pesaient l’un cinq drachmes et l’autre trois. Mais la méthode la plus sûre, comme la plus avantageuse de laver, se pratique dans le fort de la saison sèche. On creuse un puits profond au pied de quelque montagne, que l’on sait d’avance contenir de l’or ; ce travail se fait avec de petites bêches ou pelles, et l’on retire la terre dans de grandes calebasses à mesure que les ouvriers bêchent. En creusant différentes couches d’argile ou de terre, on lave de chacune une ou deux calebasses par manière d’essai ; et l’on continue ainsi jusqu’à ce qu’on soit arrivé à une couche qui contienne de l’or, ou jusqu’à ce qu’on soit arrêté par des rochers, ou par des eaux. En général, lorsque les travailleurs rencontrent une couche d’un beau sable rougeâtre avec de petites taches noires, ils y trouvent plus ou moins d’or ; et ils envoient de grandes calebasses pleines de ce sable aux femmes d’en haut qui le lavent ; car, quoique le puits soit creusé par des hommes, l’or est toujours lavé par des femmes, qui dès l’enfance ont pris l’habitude d’un travail analogue en séparant les cosses du maïs de la farine.

Comme je ne suis jamais descendu dans aucun de ces puits, je ne peux dire de quelle manière ils sont travaillés sous terre. La position dans laquelle je me trouvais m’obligeait de prendre beaucoup de précautions pour ne pas réveiller les soupçons des naturels en examinant de trop près les richesses de leur pays. Mais la manière de séparer l’or d’avec le sable est très simple cette opération se fait souvent par des femmes, au milieu de la ville. Les gens qui ont été à la recherche dans les vallées rapportent ordinairement le soir, avec eux, chacun une ou deux calebasses de sable qu’ils font laver par les femmes qui sont restées à la maison. Voici comment se fait ce travail.

On met dans une grande calebasse, avec une suffisante quantité d’eau, une portion de sable ou d’argile ; car l’or se trouve quelquefois dans une argile brune. La femme chargée de ce soin secoue alors la calebasse de manière à mêler ensemble le sable et l’eau et à donner au tout un mouvement de rotation. Elle commence par remuer doucement, puis elle augmente de vitesse jusqu’à ce qu’à chaque révolution du mélange il sorte un peu de sable et d’eau par-dessus le bord de la calebasse. Le sable ainsi séparé ne contient que les parties les plus grossières, mêlées d’un peu d’eau vaseuse. Après que l’opération a duré quelque temps, on laisse le sable tomber au fond et l’on épanche l’eau ; on ôte ensuite avec la main une partie du plus gros sable, puis on remet de nouvelle eau, et l’on recommence ainsi jusqu’à ce que l’eau sorte presque pure. La femme prend ensuite une seconde calebasse et secoue doucement le sable de l’une dans l’autre, en laissant dans la première la partie qui se trouve le plus près du fond, et dans laquelle il doit probablement se trouver le plus d’or ; on met à cette petite quantité un peu d’eau, et on la remue dans la calebasse en l’examinant avec soin. Si l’on y voit quelques particules d’or, on scrute avec la même attention ce qu’on a mis dans l’autre calebasse. En général, les chercheurs sont contents si le contenu des deux calebasses peut fournir trois ou quatre grains d’or. Quelques femmes, cependant, par une longue habitude ont si bien appris à connaître la nature du sable et la manière de le laver qu’elles trouvent de l’or où d’autres n’en peuvent apercevoir une seule particule. On garde la poudre d’or dans des tuyaux de plumes que l’on bouche avec du coton. Les laveuses aiment fort à montrer un grand nombre de ces plumes dans leurs cheveux. Généralement parlant, on suppose qu’une personne, avec un soin ordinaire, dans un sol convenable, peut ramasser dans le cours d’une saison sèche autant d’or qu’il en faut pour la valeur de deux esclaves.

Tels sont les simples procédés par lesquels les Nègres du Manding se procurent de l’or. Ces détails prouvent que le pays contient une grande quantité de ce précieux métal ; car beaucoup des plus petites particules doivent nécessairement échapper à l’œil nu ; et comme en général les naturels fouillent le sable des ruisseaux à une grande distance des montagnes, très loin par conséquent des mines d’où l’or est originaire, les ouvriers sont quelquefois fort mal payés de leurs peines. Les courants ne peuvent entraîner à une grande distance que de petites portions du métal ; les plus pesantes doivent rester près du lieu d’où elles sont sorties. Si l’on suivait jusqu’à leurs sources les ruisseaux qui charrient de l’or, et si l’on examinait avec soin les montagnes d’où ils viennent, on trouverait probablement dans le sable l’or en parties beaucoup plus grosses [1] ; on pourrait même y ramasser avec avantage des petits grains par l’usage du vif-argent, et par d’autres procédés que les habitants ignorent.

Bijoux

Une partie de cet or se convertit en ornements pour les femmes ; bijoux en général plus précieux par leur poids que par leur travail, ils sont massifs et incommodes, surtout les boucles d’oreilles, si pesantes pour l’ordinaire qu’elles allongent et déchirent le bas de l’oreille. Pour éviter cet inconvénient, on les soutient par une lanière de cuir rouge qui passe par-dessus la tête et va d’une oreille à l’autre. Le collier montre plus d’invention : l’arrangement bien entendu des divers grains de rassade et des plaques d’or est regardé comme la plus grande preuve de goût et d’élégance. Lorsqu’une femme de distinction est en grande toilette, les ornements d’or qui composent sa parure peuvent valoir tous ensemble de cinquante à soixante livres sterling.

Commerce de l’Or

Il se consomme aussi une petite quantité d’or par les slatées, pour défrayer leurs voyages à la côte et leur retour, mais une beaucoup plus grande portion est enlevée annuellement par les Maures, en échange de sel et d’autres marchandises. Pendant mon séjour à Kamalia, l’or que gagnèrent les divers marchands du lieu pour le sel seul équivalait presque à 198 livres sterling ; et, comme Kamalia est une petite ville peu fréquentée par les négociants maures, cette quantité était probablement fort médiocre en comparaison de l’or recueilli à Kancaba, à Kankarée et dans quelques autres grandes villes.

Le sel, dans cette partie de l’Afrique, a une très grande valeur : une brique d’environ deux pieds et demi de long sur quatorze pouces de large et deux pouces d’épaisseur se vend quelquefois 2 livres 10 shillings. Le prix ordinaire de cette quantité est de 1 livre 15 shillings à 2 livres. Quatre de ces briques sont regardées comme formant la charge d’un âne ; il en faut six pour un bœuf. La valeur des marchandises européennes dans le Manding varie beaucoup, suivant que la côte en fournit plus ou moins, ou que l’on craint la guerre dans le pays. Mais les retours de ces articles se font ordinairement en esclaves. Le prix d’un esclave de choix, lorsque j’étais à Kamalia, était de 9 à 12 minkallis ; et les marchandises d’Europe avaient alors les valeurs suivantes:

18 pierres à fusil
48 feuilles de tabac
20 charges de poudre a tirer
un coutelas
un minkalli.

Un mousquet vaut de 3 à 4 minkallis.

Les productions du pays et les diverses denrées nécessaires à la vie échangées contre de l’or se vendent aux taux suivants :

Denrées ordinaires pour la consommation d’un jour, le poids d’un teelee-kissi (fève noire, dont six font le poids d’un minkalli) ; un poulet, 1 teelee-kissi ; 1 brebis, 3 teelee-kissis ; 1 bœuf, 1 minkalli ; un cheval de 10 à 17 minkallis.

Les Nègres pèsent l’or dans de petites balances qu’ils portent toujours sur eux. Ils ne mettent aucune différence de valeur entre la poudre d’or et l’or travaillé. Dans les échanges d’un article contre un autre, la personne qui reçoit l’or le pèse toujours avec son propre teelee-kissi. Il arrive parfois qu’on fait tremper ces fèves dans du beurre de shea pour les rendre plus pesantes ; et j’ai vu une fois un caillou qu’on avait usé de manière à lui donner exactement la forme d’une fève ; mais ces fraudes ne sont pas très communes.

 troy.