La rareté des vivres se faisait effectivement sentir cruellement à ce pauvre peuple, ainsi que me le prouvait une circonstance que je vais rapporter. Tous les soirs, depuis mon arrivée, je voyais cinq à six femmes venir à la maison du mansa et recevoir chacune une certaine quantité de grain. Sachant combien cet article était précieux dans les conjonctures, je demandai au mansa s’il nourrissait ces femmes par pure bonté ou s’il espérait qu’elles le rembourseraient lorsque la moisson serait faite.
« Voyez cet enfant, me dit-il, en me montrant un beau petit garçon d’environ cinq ans. Sa mère me l’a vendu à la charge de la nourrir pendant quarante jours, elle et le reste de sa famille. J’en ai acheté un autre de la même manière. »
« Bon Dieu ! m’écriai-je, combien ne doit pas souffrir une mère, avant de se décider à vendre son fils ! »
Je ne pouvais éloigner de ma pensée cette triste anecdote ; et le soir, lorsque les femmes revinrent pour chercher leur pitance accoutumée, je priai l’enfant de me montrer sa mère ; ce qu’il fit. Elle était fort maigre, mais rien dans ses traits n’annonçait la barbarie ou l’insensibilité. Lorsqu’elle eut reçu son blé, elle vint parler à son fils avec autant de gaieté que s’il eût encore été chez elle.