De cap Blanc d’Ethiopie, de l’Île d’Argin et autres adjacentes.
Nous reprîmes nos erres au partir de cette île, suivant toujours la route de l’Ethiopie devers Austre, de sorte qu’en peu de jours, nous parvînmes à cap Blanc, distant de l’ile de Canarie par l’espace de 860 milles. Et faut noter qu’au départ de ces îles pour venir vers ce cap, on vient rasant la cote d’Afrique, laquelle ainsi que l’on navigue à Austre, demeure à main gauche, combien qu’on se jette au large en perdant terre, pour ce que les îles Canaries sont bien avant en mer sur le Ponant, et l’une plus que l’autre. Ainsi l’on va naviguant loin de terre, jusques à ce que l’on ait avancé les deux tiers du chemin, qui est depuis ces îles jusques au cap Blanc. Puis, on vient se joindre du côté de la main gauche, à la cote jusques à vue de terre, pour ne devancer ce cap sans le remarquer, pour ce que, outre icelui, on ne saurait découvrir terre de longtemps, d’autant que la cote y vient faire pointe, là où se forme un golfe , que l’on nomme la Fournaise d’Argin, qui prend ce nom d’une île, laquelle est située en icelui, ainsi nommée par les habitants d’Argin ; et se jeté en terre ce golfe par l’espace de plus de cinquante milles.
Il y a outre ce, trois ilettes, auxquelles les Portugais ont imposé ces noms : l’île Blanche pour être sablonneuse, l’ile des Garzs, à cause que les Portugais qui y abordèrent premièrement, la trouvèrent tant pleine d’œufs de ces oiseaux marins, qu’ils en chargèrent deux esquifs des caravelles. La tierce ils la nommèrent l’ile des Coeurs, et sont toutes de petite étendue, sablonneuses, et inhabitées, étant toutes arides et sans eaux, fors celle d’Argin en laquelle il s’en y trouve.
Discours de l’Ethiopie et du désert qui est entre icelle et la Barbarie ; et pour quelle occasion il a retenu le nom de cap Blanc,
Au départir de la Barbarie, hors le détroit de Gibaltar, tirant à main gauche par cette cote, qui est de la Barbarie vers l’Ethiopie, on ne trouve aucune habitation des Barbares jusques au cap de Cantin ; et d’icelui (suivant cette cote à la volte du cap Blanc) les terres sablonneuses prennent leur commencement, qui est le désert, lequel confine devers Tramontane avec les montagnes qui enserrent notre Barbarie de çà de Thunes et de tous ces lieux de la cote, lequel désert est, par iceux Barbares, appelé Sarra; et du coté de Midi se termine avec les Noirs d’Ethiopie, étant de si grande étendue qu’on ne le pourrait traverser en 50 ou 60 journées de cheval, en d’aucuns endroits plus et en d’autres moins; et s’en vient faire borne à la mer Océane, sur la cote, qui est toute sablonneuse, blanche, aride, basse et toute plaine, en laquelle on ne saurait dicemer un lieu plus haut que l’autre, jusques au cap Blanc ; lequel fut ainsi appelle par les Portugais qui le découvrirent premièrement, après l’avoir vu ainsi blanchir, et être areneux, sans aucune apparence d’arbres ou d’herbe : et est de très belle assiette, à cause qu’il retient la forme d’un triangle, c’est à savoir en face ; et il fait trois pointes distantes l’une de l’autre par l’espace d’un mille.
Des poissons qui se trouvent du long de cette cote, et des bancs de sable qui sont au golfe d’Argin,
En toute cette cote se trouve grande pêcherie et incomparable de divers et bons poissons semblables aux nôtres, que nous avons à Venise et encore d’autre espèce. Il y a peu d’eau dans ce golfe, en tous endroits, auxquels se trouvent plusieurs bancs, les aucuns d’arène et les autres de pierres ; et là ont grande concurrence les eaux de la mer. Au moyen de quoi, on n’y osero3rt naviguer sinon de jour, avec la sonde en main, selon le cours des eaux ; et n’y a pas longtemps que pour ces causes deux navires s’y brisèrent. Le cap de Cantin et le cap Blanc sont situés à l’objet l’un de l’autre, du coté de Grec et Garbin.
Du lieu de Hoden (Wadan), des marchandises et coutumes d’icelui.
Derrière cap Blanc se trouve un lieu appelle Hoden (Wadan), qui est avant en terre par l’espace de 6 journées de chameau, sans être aucunement emmuraillé. Mais c’est la retraite des caravanes, là où arrivent les caravanes qui viennent de Tombut (Tinbuktu) et d’autres lieux des Noirs, lesquels se veulent transporter en nos Barbaries de par deçà. Les habitants de ce lieu ci vivent d’orge et dattes, dont ils sont fournis en grande quantité, lesquelles naissent en d’aucuns lieux, mais non pas à suffisance et usent du lait de chameau, et d’autres animaux, pour autant qu’ils n’ont point de vin. Ils nourrissent des vaches et chèvres, mais en petit nombre, pour ce que la terre est aride ; et sont leurs bœufs et vaches de petite corpulence à comparaison des nôtres.
Ceux-ci observent les préceptes de Mahommet, qui les rendent ennemis des Chrétiens; et ne demeurent jamais en un heu, mais vont errant par les déserts çà et là, se transportant aux terres des Noirs et viennent encore en notre Barbarie. Ils sont en grand nombre, nourrissant quantité de chameaux, avec lesquels ils portent argent, cuivre des Barbares et autres
choses à Tombut et aux terres des Noirs, où ils chargent de l’or et Mellegeste (Poivre de Guinée) qu’ils apportent par deçà.
Ce sont gens bruns, usant de certaines capettes blanches sur la chair avec un bord rouge aux extrémités, comme aussi s’accoutrent les femmes qui ne portent aucunes chemises. Les hommes portent en tête un linge à la moresque, allant toujours dechaux. En ces lieux sablonneux se trouve grande quantité de lions, léopards et autruches, des œufs desquelles je me suis souvent repeu pour les trouver fort bons et à mon goût.
De l’ordonnance faite par le Seigneur Infant en l’Île d’Argin sur le fait des marchandises : du fleuve de Senega et des coutumes des Azanaghes
Le Seigneur Infant a fait en cette île d’Argin une ordonnance pour dix ans, que personne ne peut entrer dans le golfe pour démener marchandise avec les Arabes, fors ceux qui ont congé durant ledit terme, lesquels font leur résidence en cette île, là où ils tiennent facteurs qui vendent et achètent d’iceux Arabes, lesquels abordent là, faisant marchandise de diverses choses, comme de draps, toiles, argent, « or Tibar », capettes, tapis et autres choses ; mais le froment sur tout y est de requête, à cause qu’ils sont toujours afamés ; et se donnent toutes ces choses en contrechange ces Noirs que les Arabes amènent de leurs terres mêmes, avec de l’or. Tellement que ce Seigneur Infant fit édifier un château en cette île pour établir cet aport à perpétuité, et pour cette raison les caravelles de Portugal font le voyage de cette île tous les ans.
Ces Arabes ont encore grand nombre de chevaux Barbes, lesquels ils exposent en vente en la terre des Noirs, là où ils les vendent aux seigneurs qui
donnent en troque des esclaves, à 15 têtes par cheval, selon qu’ils sont estimés et jugés être bons.
Ils y portent semblablement des ouvrages moresques de soie qui se font en Grenade et dans Thunes de Barbarie, avec argent et plusieurs autres choses,
pour lesquelles on leur retourne grand nombre de têtes, et quelque somme d’or, qu’on transporte en ce lieu d’Hoden, là où toutes ces choses se divisent, dont une partie va aux montagnes de Barqa, et de là arrive en Sicile, partie à Thunes et par toute la cote de Barbarie ; le reste se conduit en ce lieu d’Argin, là où il se vend aux Portugais, tellement qu’on tire de ce lieu tous les ans de 7-800 têtes pour mener en Portugal; duquel royaume les caravelles (autant que ce trafîc fût mis sus) soulaient, chacun an, aborder à ce golfe armées, tantôt 3, maintenant 4, se jetaient sur aucuns village de pêcheurs et couraient encore le plat pays . Si qu’elles enlevaient de ces Arabes tant maies que femelles qui se vendaient en Portugal, et faisaient le semblable par toute l’autre côte, qui tient à ce cap Blanc, et plus avant jusques au fleuve de Senega qui est très grand, séparant une génération nommée Azanaghes d’avec le premier royaume des Noirs.
Et sont ces Azanaghes basanés, mais tirant sur le brun ; et font leur résidence en certain lieu de cette côte, qui est par-delà le cap Blanc, errant la plupart d’entre eux par le désert qui confine avec les susnommés Arabes de Hoden.
Ceux-ci vivent semblablement de dattes, orge et lait de chameau; mais pour être plus prochains de la première terre des Noirs, ils pratiquent avec eux.
Au moyen de quoi, ils en retirent du millet et quelques autres légumages et d’iceux ils soutiennent leur vie. Car ils sont gens de petite dépense, supportant fort bien la faim, pour ce qu’avec une cuillère de bouillie de farine d’orge, ils se maintiennent le long de la journée frais ; et font cela pour le default qu’ils ont des vivres.
Les Portugais (comme nous avons dit) enlevaient de ceux-ci et les vendaient pour les meilleurs esclaves de toute la terre des Noirs. Mais depuis certain temps en ça, tout a été réduit à paix, et au trafic de marchandise ; tellement que le Seigneur Infant ne permet plus qu’on y face courses, ni aucun dommage, pour autant qu’il est toujours en cette espérance qu’avec la familière et amiable conversation des Chrétiens, ils se pourront finalement réduire à notre foi, d’autant qu’ils ne sont pas encore trop bien confirmés en la loi et doctrine Mahométane, hors de ce qu’ils en ont entendu réciter.
Et ont ces Azanaghes une étrange façon de faire, portant un linge, dont ils s’entortillent la tête, laissant pendre un bout d’icelui sur le visage, avec lequel ils se couvrent la bouche et partie du nés : disant que la bouche est une vilaine chose, par laquelle sortent continuellement ventosités, et mauvaises odeurs. Au moyen de quoi on la doit tenir cachée (comme ils disent) sans aucunement la montrer ; tellement, qu’ils viennent à la comparer à la moins honnête des parties honteuses, dont par leurs raisons, ces deux parties (pour être les plus ordes qui soient sur la personne) se doivent tenir couvertes, de sorte, qu’ils ne découvrent jamais la bouche, sinon à l’heure de manger et non autrement.
Ils n’ont aucuns seigneurs entre eux, hors ceux qui excédent les autres en richesses, qui sont les plus honorés et auxquels l’on porte plus grande obéissance qu’aux autres, pauvres gens, menteurs, larrons plus que tous les hommes et traitres de même.
Ils sont de commune stature et maigres, portant leurs cheveux crêpés, pardessus les épaules, quasi à la mode des Allemands, mais ils sont noirs, et les oignent tous les jours de pois, qui leur fait rendre une puante odeur qu’ils estiment toutefois pour une grande gentillesse.
Quelle chose ils pensaient être nos navires les ayant premièrement découvertes.
Il faut entendre que ces Azanaghes n’ont eu connaissance d’autres Chrétiens que des Portugais, lesquels maintinrent la guerre à rencontre d’iceux par l’espace de treize ou quatorze ans, pendant laquelle ils détinrent plusieurs captifs (comme j’ai auparavant rapporté) qu’ils vendirent pour esclaves.
Vous assurant que lors qu’ils découvrirent premièrement les voiles, ou navires flotter sur la mer (chose que leurs prédécesseurs ni eux n’avaient jamais vue ) ils pensaient que ce fussent grands oiseaux avec des ailes blanches qui volassent, venant de quelque étrange contrée ; puis, voyant les voiles calées, aucuns d’entre eux prenaient les vaisseaux pour quelque grand poisson les voyant de loin. Les autres voulaient affirmer que ce fussent fantômes, lesquels erraient de nuit qui leur causait une merveilleuse peur : et avaient cette opinion, pour autant que le soir, ils se trouvaient souvent assaillis en un lieu, et la nuit même étaient surpris encore à l’aube du jour cent milles plus outre, selon la côte, ou quelque fais plus en arrière, selon que l’avaient ordonné ceux qui étaient dans les caravelles et comme ils se trouvaient avoir le vent à souhait. Si que ces Azanaghes ne se pouvaient persuader, que ce fussent humaines créatures. Car, (disaient-ils), s’il était ainsi, comment pourraient-elles expédier si grand espace de chemin en une nuit, que nous ne saurions faire en trois jours ? Mais ils en parlaient comme personnes du tout ignorantes de l’art de naviguer, tellement qu’ils pensaient fermement les vaisseaux être quelques fantômes. Et de ceci m’ont assuré plusieurs Azanaghes qui étaient esclaves en Portugal et les Portugais mêmes, qui de ce temps-là, frequentaient ces mers avec caravelles. Et de là peut on conjecturer combien ils étaient nouveaux en nos faits, concevant telle opinion.
D’un lieu appelle Tegazza (Taghazza) duquel on tire grande quantité de sel : là où il se porte; par quel moyen et comment on en fait marchandise.
Au dessus de Hoden 6 journées en terre ferme, y a un lieu qui s’appelle Tegazza, qui signifie en notre langue, chariement d’or, là où se tire du sel en grande quantité, comme pierre que les Arabes et Azanaghes divisent en plusieurs parties, lesquelles ils portent à grandes caravannes à Tombut, et de là à Melli, empire des Noirs, où il n’est pas plus tôt arrivé, qu’il est enlevé en moins de huit jours, au pris de deux à 300 Mithqal la charge, et vaut le Mithqal un ducat ou environ ; puis avec leur or font retour en leurs marches.
Tout le pourpris de cet empire est fort torride et les herbages fort contraires aux animaux quadrupèdes ; tellement que de 400 de ceux qui vont avec les caravanes, les 25 n’en feront retour ; et en ce pays ne s’en y peut nourrir, car ils viennent tous à mourir.
Et encore plusieurs Arabes et Azanaghes y prennent des maladies qui les y font le plus souvent demeurer sans plus faire retour ; et sont causés ces inconvénients par l’extrême chaleur.
Ils disent qu’il y a de Tegazza à Tombut environ 40 journées de cheval et 30 de Tombut à Melli : et m’étant enquis de ceux-ci, à quoi emploient ce sel les marchands de Melli, il me fut répondu, qu’il s’en use en leurs pays quelque quantité : pour autant que la proximité qu’ils ont avec l’Equinoctial (là où continuellement la nuit égale le jour) il y a de grandes chaleurs en certain temps de l’an, au moyen de quoi le sang vient à se corrompre et putrifier, tellement qui si ce n’était ce sel, ils en prendraient la mort.
Mais ils y pourvoient par un tel remède : ils prennent une petite pièce de ce sel qu’ils détrempent avec un peu d’eau dans une écuelle de laquelle ils usent et boivent tous les jours, chose qui les contregarde et guérit. Le reste du sel ils transportent en pièces de telle forme et grandeur qu’un homme les puisse porter avec un engin et habillement sur la tête, un long voyage.
Mais premièrement, il est apporté à Melli sur des chameaux en deux grandes pièces, tirées de la mine, qui semblent propres à faire la charge des chameaux, un chacun desquels en porte deux pièces ; puis étant parvenus à Melli, ces Nègres le rompent en plusieurs parties pour le porter sur la tête, de sorte que chacune personne en peut porter une pièce, ce qu’ils font par long espace de chemin, avec un tel amas de gens à pied qu’ils ressemblent à un exercite ; et ceux qui le portent ont une fourchette en la main, la quelle ils fichent en terre, quand ils se trouvent lassés, appuyant le sel sur icelle, et en cette manière, le conduisent jusques sur une certaine eau, laquelle ils n’ont su rapporter si elle est douce ou salée, pour savoir si c’est fleuve, ou mer.
Mais je pense que ce soit un fleuve, car si c’était mer, pour être en un climat si chaud, on n’aurait que faire de porter du sel, que ces Noirs ne sauraient charroyer autrement, pour ce qu’ils n’ont chameaux ni autres animaux pour le conduire, sinon en cette manière, à cause qu’ils n’y pourraient vivre, pour l’insupportable et excessive chaleur. Je vous laisse donc à penser quelle multitude de personnes est requise à porter ce sel, et combien est grand le nombre de ceux qui en usent. Or, ainsi qu’il est arrivé sur cette eau, ils font en cette manière : tous ceux, à qui appartient le sel, si ……. marque il … ; puis, tous … … se … en arrière …, pour …user … à une autre … de Noirs, qui de se veulent laisser voir, ni parler; et viennent avec grandes barques, comme s’ils … d’eue…, puis prennent terre ; et ayant vu le sel, mettent une quantité d’or à l’encontre de chaque montagne, se retirant et laissant l’or et le sel, puis étant partis, les autres retournent prenant l’or, si la quantité est raisonnable, sinon, ils le laissent avec le sel, lequel retournant les autres Noirs de l’or, ils prennent la montagne de sel qu’ils trouvent sans or et en laissent davantage aux autres montagnes si bon leur semble, ou bien laissent le sel. Et en cette sorte troquent cette marchandise les uns avec les autres, sans se voir ni parler par une longue et ancienne coutume, laquelle combien qu’elle semble fort étrange et difficile à croire, si est ce que je vous asseure en avoir été Informé à la vérité par plusieurs marchands, tant que Arabes qu’Azanaghes, voire et de personnes qui étaient tant suffisantes, qu’on se pourrait surement reposer sur leurs paroles.
De la stature et forme d’aucuns, qui ne se veulent en sorte que ce sait, exposer en veut, et en quel lieu se transporte l’or qu’on retire d’iceux.
E m’enquetai encore des marchands susnommés comme il se pouvait faire que l’empereur de Melli, si grand et puissant seigneur (comme ils le disaient être), ne s’était mis en diligence à trouver tous les moyens pour savoir par force ou par amour, quelle manière de gens sont ceux-ci, qui ne veulent permettre qu’on les voit, ni qu’on leur parle. A quoi ils me firent reponse qu’il n’y avait pas longtemps qu’un empereur se résolut totalement de faire prendre et venir entre ses mains, quelqu’un d’iceux; et ayant pris conseil sur cette matière, et comme il y devait procéder, il fut arrêté qu’aucuns de ses gens, un jour avant que la caravane dut retourner arrière cette demie journée ci-dessus mentionnée, seraient des fosses auprès du lieu où seraient les montagnes de sel, dans lesquelles ils se tiendraient en aguet, jusques à ce que ces Noirs viendraient pour mettre l’or auprès du sel, et lors ils devaient mettre la main sur iceux pour les mener à Melli. Ce qui fut fait et bien exécuté de point à autre, non autrement qu’il avait été devisé, tellement qu’on en retint quatre, et les autres se mirent en fuite, gagnant le haut. Mais on donna liberté encore à trois de ces quatre, d’autant que l’un seulement pouvait suffire pour satisfaire au vouloir de l’empereur et pour aussi ne donner à ces Noirs si grande occasion de fâcherie. Néanmoins, on ne sut jamais tirer une seule parole de celui-ci (encore
qu’on lui usât de divers langages), ni le faire manger ; de sorte, que 4 jours passés, il fut contraint de rendre l’esprit, ce qui fait estimer aux Noirs de Melli par l’expérience que leur en donna celui-ci (ne voulant parler en sorte quelconque) qu’ils doivent être muets.
Les autres pensent qu’ayant la forme d’homme, il ne peut être qu’ils ne sachent former l’accent humain, mais que par dédain que celui-ci conçut étant irrité (pour avoir vu user d’un autre traitement envers ses compagnons, que non pas en son endroit), il ne voulut aucunement repondre à ce qu’on lui demandait, et par sa mort apporta aux Noirs de Melli une merveilleuse fâcherie, d’autant que ce qu’ils en avaient fait, n’avait peu apporter contentement, ni satisfaire à la volonté curieuse de leur seigneur, vers lequel ayant fait retour, lui racontèrent par le menu comme le tout s’était passé ; de quoi il demeura passionné au possible, et leur ayant demandé qu’elle était la stature d’iceux et corpulence, répondirent que c’étaient gens très noirs, bien formés de corps, les excédant d’une palme en hauteur ; et ont (dirent-ils) la lèvre de dessus petite, de telle proportion que sont les nôtres, mais celle de dessous, large presque d’une palme, grosse et rouge, semblant jeter par dedans comme du sang. Au moyen de quoi, par cette difformité, ils avaient les gencives découvertes et les dents, qu’ils disaient être plus grandes que les leurs, et les yeux noirs, qui leur rendaient un regard fier et dépiteux, avec ce que de leurs gencives distillaient sang, tout ainsi comme des lèvres. Et de fait, pour tel respect tous les empereurs se sont déportés de plus poursuivre telle entreprise, sans qu’ils se soient voulu enquérir plus outre, pour autant que par la prise et mort de ce Noir, les autres s’en sentirent tant offensés, que par l’espace de trois ans, ils désistèrent de plus venir enlever ce sel avec l’or à la manière accoutumée. Et croient ces Noirs de Melli, que les lèvres des autres Noirs commencèrent à se corrompre et putréfier à cause de leurs pays, qui sont si extrêmement chaleureux, et plus que ne sont ceux où habitent les autres ; de sorte qu’ayant supporté telle infirmité et mort par l’espace de trois ans, pour n’avoir autre moyen à se soigner, enfin ayans enduré jusques à l’extrémité, furent contrains de reprendre et renouveler leur ancienne coutume pour retourner quérir du sel sans lequel (comme l’on peut conjecturer par cecy), ils ne pourraient vivre longuement. Car on juge de leur mal par l’expérience qu’on eut de celui-ci : avec ce que l’Empereur n’a pas grand pansement s’ils veulent parler ou non, moyennant que le profit de l’or lui en revienne. C’est tout ce que j’ai pu entendre quant à ceci ; de quoi étant assuré par tant de personnes, je ne saurais penser qu’il ne soit ainsi, et le pouvons tout croire. Ce que de ma part je veux faire pour avoir aussi vu et su quelque chose du monde, qui ne me semble moins étrange que cette-ci.
L’or qui se porte à Melli par tel moyen est divisé en trois parties : la première se transporte avec la caravane tenant le chemin de Melli, à un lieu nommé Cochia (Gao), qui est la route qu’il faut tenir pour aller au Caire et en Syrie. La seconde et tierce partie vient avec une caravane de Melli a Tombut, où il se part ; et de là une partie est portée à Tret, d’où elle se charroie vers Thunes de Barbarie, par toute la cote de dessus, et l’autre partie va à Hoden, que nous avons ci-dessus mentionné, puis de là s’épand vers Oran et One (Hunayn) (lieux encore de la Barbarie dans le détroit de Gibraltar), Fez, Maroc, Arzile, Azafi et Messa qui sont de la Barbarie hors le détroit. Et s’enlève de ce lieu par les marchans Ita- liens, avec diverses autres marchandises qu’ils donnent en contre-change. Mais pour revenir sur mes brisées, cet or est tout le meilleur qui se puisse tirer des pays susnommés et terres des Azanaghes ou basanés. Pour ce que de celui qui se transporte à Hoden (comme nous avons dit) on en conduit sur les rivières de la mer, que l’on vend puis aux Portugais, lesquels résident journellement en l’ile d’Argin pour le trafic des marchandises en troque d’autres choses.
Quelle monnaie se dépend entre les Azanaghes, et de leur coutumes.
En ce pays des Bazanés ne se bat aucune monnaie, encore moins en savent ils user ; et ne s’en trouve en aucun des autres lieux susnommés, mais tout leur fait et trafic est à donner en contre-change chose pour autre, ou deux pour une, et par telle manière se maintiennent. Il est bien vrai, qu’en plat pays (comme il m’a été dit) ces Azanaghes, et encore les Arabes en aucuns lieux, ont coutume d’employer quelques porcelettes blanches, de celles qu’on apporte à Venise du Levant, desquelles ils donnent un certain nombre selon la valeur des choses qu’ils veulent acheter. Ils vous avisent qu’ils vendent l’or au poids du Mithqal, comme s’en est la coutume en Barbarie. Ceux qui font résidence en ce désert, ne tiennent ni foi, ni loi, et n’ont aucuns seigneurs naturels, hors ceux qui possèdent les plus grandes richesses et ont plus vu du monde, et ainsi en use on en plusieurs lieux.
Les femmes de ce pays sont bazanées, lesquelles ont coutume de porter certaines petites gonnelles qui sont apportées de la terre des Noirs, avec aucunes de ces capettes desquelles nous avons ci-dessus parlé, que l’on nomme alcheseli, sans qu’elles vêtent aucunes chemises. Et celle qui a les plus longues tétasses est estimée et tenue pour la plus parfaite et accomplie en toute beauté, tellement que pour la grande envie qui les point d’être tenues pour telles, et afin qu’elles emportent cet honneur de les avoir plus grandes et plaisantes, elles ne sont pas plutôt parvenues à 17 ou 18 ans (auquel âge l’estomac commence à poindre et se haucer) qu’elles s’étreignent d’une corde à travers le corps, qui ceint les tetons si étroitement, qu’ils s’en viennent à rompre par le milieu, tellement qu’elles les déracinent ; et pour les tirer incessamment, les font croitre et allonger si fort qu’à aucunes ils pendent et viennent battre sur le nombril, étant estimés les plus longs comme pour une chose très rare et singulière.
Ce peuple use de chevaux maures, mais il ne s’en trouve pas guère en ces parties, d’autant que le pays est stérile, au moyen de quoi on ne les y saurait maintenir ; même les habitants n’y sont de longue durée, pour les grandes chaleurs qui leur avancent leurs jours.
Les parties de ce désert sont fort chaleureuses, et d’autant plus seiches et arides qui y font manquer l’eau, dont il n’y a que bien peu. Au moyen de quoi la stérilité y est grande, et ni pleut sinon en trois mais de l’année, qui sont Août, Septembre et Octobre.
Il me souvient encore d’y avoir vu une grande quantité de sauterelles volantes, de la longueur d’un doigt, lesquelles sont de la forme de celles qu’on voit sauter parmi les prés ; vrai est, qu’elles sont plus grosses, jaunes et rouges; et se montrent, en l’air en certain temps, en si grand nombre, que par l’épaisseur d’icelui, la clarté du soleil en est obscurcie ; et se voit tout le contour, par l’espace de 10 à 12 milles, tant que la vue de l’homme se peut étendre, couvert de cette vermine autant l’air comme la terre, qui est une chose merveilleuse à regarder, tant qu’il ne demeure chose aucune, là où elles se posent, que tout ne sait détruit.
Dores et que ces peuples prennent cela pour le grand malheur qui saurait venir contre eux. Car si cela arrivait chaque année, il serait impossible de cultiver en ces pays-là, qui, par ce moyen, demeureraient inhabitables. Mais ces animaux ne s’y transportent sinon une fois en 3 ou 4 années. Et du temps que j’y passais, il y en avait une infinité sur la marine.