Syriens :
2. Il semble que la dénomination de Syriens, qui ne s’étend plus aujourd’hui que de la Babylonie au golfe d’Issos, l’ait dépassé anciennement et atteint les rivages de l’Euxin. Ainsi les populations de l’une et de l’autre Cappadoce, de la Cappadoce Taurique et de la Cappadoce Pontique, sont, même de nos jours, souvent appelées les Leuco-syrii par opposition apparemment à d’autres Syriens dits Melano-syrii, qui ne peuvent être que les Syriens établis par delà le Taurus, et, quand je dis le Taurus, je donne à ce nom sa plus grande extension, je prolonge la chaîne jusqu’à l’Amanus. D’autre part, quand les historiens qui ont écrit des Antiquités de la Syrie nous disent que la puissance des Mèdes fut détruite par les Perses, comme celle des Syriens auparavant l’avait été par les Mèdes, il est évident que pour eux les seuls et vrais Syriens sont ceux qui avaient fixé le siège de leur empire dans Babylone et dans Ninive et qui eurent pour maîtres Ninus et Sémiramis.
Mésopotamiens :
21. La Mésopotamie tire son nom de sa situation même : on a pu voir en effet dans ce qui précède qu’elle s’étend entre l’Euphrate et le Tigre, le Tigre baignant son côté oriental, et l’Euphrate ses côtés occidental et méridional. Quant à son côté nord, il est formé par le Taurus, qui sépare en effet l’Arménie de la Mésopotamie. C’est au pied des montagnes que l’intervalle entre les deux fleuves est le plus grand ; or on peut considérer cet intervalle comme l’équivalent juste de la distance qu’Eratosthène compte entre Thapsaque où était anciennement le passage de l’Euphrate et l’endroit du cours du Tigre où Alexandre franchit ce fleuve, et l’évaluer de même à 2400 stades. Mais l’intervalle le plus petit, lequel n’excède guère 200 stades, se trouve à la hauteur à peu près de Séleucie et de Babylone. Le Tigre traverse le lac Thopitis dans le sens de sa largeur juste par le milieu ; puis, une fois arrivé sur l’autre rive, il se perd sous terre avec un grand bruit et en faisant beaucoup de vent, demeure ainsi caché sur un très long espace, et ne reparaît à la surface du sol qu’à une faible distance de la Gordyée. Si l’on en croit Eratosthène, son courant est si fort dans toute cette traversée du lac Thopitis, que les eaux de ce lac, très peu poissonneuses ailleurs à cause de leur nature saumâtre, deviennent sur son passage douces, vives et poissonneuses.
22. Par sa forme extrêmement allongée, forme qu’elle doit au rapprochement graduel de ses côtés oriental et occidental, la Mésopotamie ressemble en quelque sorte à un navire. Le cours de l’Euphrate dessine la plus grande partie de sa circonférence et mesure, au dire d’Eratosthène, 4800 stades depuis Thapsaque jusqu’à Babylone. Ajoutons que, depuis le Zeugma de la Commagène qui marque l’entrée de la Mésopotamie jusqu’à Thapsaque, il n’a guère moins de 2000 stades.
23. Toute la partie de la Mésopotamie qui borde les montagnes, toute la Parorée, comme on dit, est passablement fertile. Quant à la région riveraine de l’Euphrate, région comprise entre le Zeugma actuel ou Zeugma de la Commagène et l’ancien Zeugma de Thapsaque, elle est occupée par un peuple à part à qui les Macédoniens avaient donné le surnom de Mygdoniens. C’est là, au pied du mont Masius, qu’est située la ville de Nisibe, mais cette ville, appelée quelquefois aussi Antioche de Mygdonie, n’est pas la seule localité remarquable du pays, et l’on peut citer encore Tigranocerte, Carrhes, Nicéphorium, Chordiraza, et cette Sinnaca, où périt Crassus, victime du guet-apens dans lequel l’avait fait tomber Suréna, le général des Parthes.
En revanche, dans sa partie méridionale, c’est-à-dire là où elle est le plus éloignée des montagnes, la Mésopotamie n’offre plus qu’un sol aride et pauvre et n’est plus habitée que par les Arabes Scénites, population de pâtres et de brigands, toujours prêts à se déplacer quand les pâturages sont épuisés et que le butin vient à manquer. De là une situation difficile pour les populations agricoles de la Mésopotamie Parorée, exposées en même temps aux incursions des Scénites et aux menaces des Arméniens : déjà très supérieurs en force, les Arméniens occupent par rapport à elles une position dominante et ils en abusent. Ces populations ont même fini par ne plus s’appartenir, et aujourd’hui, quand elles n’obéissent pas aux Arméniens, elles obéissent aux Parthes, qui, maîtres à la fois de la Médie et de la Babylonie, se trouvent placés en quelque sorte sur leurs flancs.
27. Entre l’Euphrate et le Tigre coule un autre fleuve, connu sous le nom de Basilius ; puis, dans le canton d’Anthémusie, on rencontre encore l’Aborrhas. L’itinéraire suivi par les marchands qui de la Syrie se dirigent vers Séleucie et vers Babylone traverse tout le territoire et tout le désert des Arabes Scénites (des Maliens, pour dire comme certains auteurs aujourd’hui) : c’est à la hauteur d’Anthémusie, localité dépendant de la Mésopotamie, qu’ils passent l’Euphrate ; ils laissent derrière eux, à 4 schoenes au-dessus du fleuve, la ville de Bambycé, ville qu’on désigne aussi sous les noms d’Edesse et de Hiérapolis et dont les habitants ont un culte particulier pour Atargatis, l’une des déesses syriennes ; puis, après avoir passé le fleuve, ils coupent le désert dans la direction de la frontière babylonienne et atteignent ainsi Scenae, ville importante bâtie sur le bord d’un canal. Du passage de l’Euphrate à Scenae on compte vingt-cinq journées de marche. Dans le trajet, on rencontre des hôtelleries tenues par des chameliers et toujours bien pourvues d’eau, soit d’eau de citerne (ce qui est le cas le plus habituel), soit d’eau apportée [à dos de chameau comme les autres provisions]. Les Scénites n’inquiètent pis ces marchands, ils modèrent même en leur faveur les droits qu’ils exigent d’ordinaire. Les marchands le savent, et, plutôt que de continuer à suivre la rive ultérieure du fleuve, ils s’engagent hardiment dans le désert, en ayant soin d’avoir toujours le fleuve à leur droite et de s’en tenir à une distance moyenne de trois journées : autrement, ils auraient affaire aux chefs des tribus établies des deux côtés du fleuve, lesquelles possèdent là des terrains moins arides que le désert lui-même, mais encore assez pauvres ; et, comme ces phylarques sont tous indépendants les uns des autres, il leur faudrait payer à chacun un droit particulier et toujours fort élevé, vu qu’il serait bien difficile d’amener un si grand nombre d’intéressés, d’humeur généralement peu traitable, à fixer un tarif commun qui fût avantageux aux marchands. – Scenae est à 18 stades de Séleucie.
28. La rive ultérieure de l’Euphrate sert de limite à l’empire parthe. Sa rive citérieure, maintenant, jusqu’à la Babylonie, se trouve occupée en partie par les Romains, en partie par des phylarques, qui obéissent, les uns aux Parthes, les autres aux Romains leurs plus proches voisins. Il est à remarquer toutefois que les Scénites nomades les plus rapprochés de l’Euphrate acceptent moins facilement le joug que ceux qui s’éloignent plus du fleuve en tirant davantage du côté de l’Arabie Heureuse. Il fut un temps où les Parthes eux-mêmes avaient paru attacher quelque prix à l’amitié des Romains ; mais, quand Crassus eut commencé les hostilités, ils repoussèrent la force par la force. Il est vrai qu’on leur rendit la pareille, lorsqu’à leur tour ils voulurent prendre l’offensive et qu’ils envoyèrent Pacorus ravager l’Asie. Plus tard Antoine, pour avoir trop écouté son conseiller arménien, se vit encore trahi et vaincu en plusieurs rencontres. Mais, quand le pouvoir eut passé aux mains de Phraate, héritier du dernier roi, celui-ci s’appliqua au contraire à gagner l’amitié de César Auguste, et, non content de lui avoir renvoyé les trophées que les Parthes avaient jadis élevés avec les dépouilles des Romains, il invita à une conférence Titius, alors gouverneur de la Syrie, et remit entre ses mains comme otages ses quatre fils légitimes Séraspadanès, Rhodaspès, Phraate et Bononès, plus les femmes de deux d’entre eux et quatre enfants à eux appartenant. Il craignait les factions et les attentats qu’elles pourraient diriger contre sa personne, et, bien persuadé qu’elles ne seraient jamais les plus fortes tant qu’elles n’auraient pu lui opposer quelque prince arsacide, vu l’extrême attachement des Parthes pour le sang d’Arsace, il avait pris le parti d’éloigner ses fils, afin d’enlever aux mécontents ce vivant espoir. On peut voir encore à Rome quelques-uns des fils de Phraate menant un train royal aux dépens du trésor public. Ajoutons que les rois parthes [depuis Phraate] ont toujours continué à envoyer des ambassades à Rome et à avoir des conférences [avec les gouverneurs romains de la Syrie].
II. – La Syrie, la Phénicie et la Palestine
1. La Syrie est bornée au nord par la Cilicie et par l’Amanus : depuis la mer jusqu’au Zeugma de l’Euphrate, on ne compte pas moins de [1]400 stades, et ces 1400 stades représentent exactement la longueur dudit côté. Quant aux autres limites de la Syrie, elles sont formées, celle de l’est par le cours même de l’Euphrate et par les possessions des Arabes scénites de la rive citérieure, celle du sud par l’Arabie Heureuse et l’Egypte ; celle enfin du couchant par la mer d’Egypte et par [la mer de Syrie] jusqu’à Issus.
2. Voici maintenant comment nous divisons la Syrie à partir de la Cilicie et de l’Amanus : 1° la Commagène ; 2° la Séleucide dite de Syrie ; 3° la Coelé-Syrie ; 4° une dernière division comprenant une partie maritime qui est la Phénicie et une partie intérieure qui est la Judée. Quelques auteurs, il est vrai, n’admettent pour toute la Syrie que trois divisions : la Coelé-Syrie, la Syrie [proprement dite] et la Phénicie ; mais en même temps ces auteurs constatent la présence dans le pays de quatre nations étrangères mêlées aux populations indigènes, à savoir la nation juive, l’iduméenne, la gazaeenne et l’azotienne, lesquelles sont ou bien vouées à l’agriculture comme les Syriens et les Coelé-Syriens, ou bien occupées de commerce à la façon des Phéniciens.
3. Au surplus laissons les généralités et passons aux détails, en commençant par la Commagène. Le pays qui porte ce nom est peu étendu, mais il renferme une place d’assiette très forte, Samosate, ancienne résidence royale, devenue aujourd’hui le chef-lieu d’une province romaine. Le territoire de Samosate, très limité lui-même, est d’une rare fertilité. Le Zeugma actuel de l’Euphrate se trouve également dans la Commagène, et juste vis-à-vis est la forteresse de Séleucie, qui, bien que située en Mésopotamie, fut attribuée naguère par Pompée à la Commagène. C’est dans cette même forteresse de Séleucie que Tigrane fit mettre à mort Cléopâtre Séléné, princesse chassée récemment de la Syrie et que depuis lors il retenait en captivité.
Antioche
4. Des quatre divisions que nous énumérions tout à l’heure, la Séleucide est assurément la plus riche, la plus fertile. On l’appelle souvent aussi la tétrapole de la Syrie, et, à ne considérer que ses villes principales, elle mérite effectivement ce nom : autrement elle possède plus de quatre villes. Antioche Epidaphné, Séleucie de Piérie, Apamée et Laodicée sont les quatre plus grandes villes du pays, et telle est la concorde qui règle leurs rapports qu’on les a surnommées dès longtemps les quatre soeurs. Elles ont été fondées toutes les quatre par Séleucus Nicator, qui s’est plu à donner le nom de son père à la plus grande, son propre nom à la plus forte, à Apamée le nom de la reine Apama sa femme, à Laodicée enfin le nom de sa mère. Il était naturel que, formant déjà une tétrapole, la Séleucide fût divisée en quatre satrapies, et Posidonius nous apprend qu’elle le fut en effet, que la Coelé-Syrie de son côté en comptait tout autant, mais que [la Commagène et la Parapotamie] ne formaient qu’une seule satrapie à elles deux. Antioche, du reste, peut être considérée elle-même comme une tétrapole, car elle se compose de quatre quartiers distincts, dont chacun a sa muraille particulière, bien qu’ils soient tous enfermés dans une enceinte commune. Le premier de ces quartiers fut formé par Séleucus Nicator aux dépens d’Antigonie, ville voisine bâtie peu de temps auparavant par Antigone, fils de Philippe, et dont Séleucus transplanta tous les habitants ; devenus trop nombreux à leur tour, ceux-ci se divisèrent et formèrent un second quartier ; puis Séleucus Callinicus en fonda un troisième, et Antiochus Epiphane un quatrième.
5. D’après ce qui précède, on conçoit qu’Antioche soit devenue la métropole de toute la Syrie : les anciens rois l’avaient déjà choisie pour en faire leur lieu de résidence et il est constant que, par la force de sa position et par l’étendue de son enceinte, elle ne le cède ni à la ville de Séleucie que baigne le Tigre ni à la fameuse Alexandrie d’Egypte. Ajoutons que Nicator, outre les habitants d’Antigonie, y avait transporté les derniers descendants de Triptolème de qui nous prononcions le nom tout à l’heure, que c’est même pour cela que les Antiochéens ont élevé un hérdon à Triptolème et qu’ils célèbrent tous les ans une fête en son honneur sur le mont Casius, aux portes de Séleucie. On raconte que Triptolème, envoyé par les Argiens à la recherche d’Io dont on avait commencé à perdre la trace dans Tyr, poussa sa course jusqu’en Cilicie, que là une partie des Argiens qui l’accompagnaient se séparèrent pour fonder Tarse, que lui, avec le reste de ses compagnons, remonta alors toute la côte jusqu’à ce que, désespérant du succès de sa recherche, il s’arrêta ainsi qu’eux dans la vallée de l’Oronte et s’y établit, qu’un dernier détachement, sous la conduite de Gordys son fils, alla coloniser la Gordyée, mais que tous les autres persistèrent et firent souche dans le pays. Et ce sont leurs descendants, paraît-il, que Nicator déplaça et réunit aux habitants d’Antioche.
Daphnè (Harbiyé)
6. A 40 stades au-dessus d’Antioche est Daphné, localité peu importante comme centre de population, mais qui possède un bois sacré de très grande étendue, rempli des plus beaux arbres et sillonné d’eaux courantes, avec un asile au milieu de ce bois et un temple d’Apollon et de Diane. Les Antiochéens et leurs voisins y tiennent leurs panégyries. Le bois sacré a 80 stades de tour.
Oronte
7. Le fleuve Oronte, qui passe près de la ville, prend sa source dans la Coelé-Syrie, puis il se perd sous terre ; il reparaît plus loin, traverse alors le territoire d’Apamée, entre ensuite dans celui d’Antioche, et, après avoir baigné les murs mêmes de la ville, va se jeter dans la mer tout auprès de Séleucie. C’est à Orontès, constructeur du premier pont jeté de l’une à l’autre de ses rives, que le fleuve a dû le nouveau nom qu’il porte. Primitivement il s’appelait le Typhon, et en effet la fable place ici quelque part la scène du foudroiement de Typhon et de cette nation des Arimes, dont nous avons eu occasion de parler précédemment. Tout meurtri des coups répétés de la foudre, Typhon, le serpent Typhon, fuyait cherchant un trou dans la terre où il pût se cacher. En sillonnant le sol, les anneaux de son corps creusèrent le lit que devait remplir le fleuve ; puis, de l’endroit où il finit par disparaître, jaillit la source elle-même. De là ce premier nom de Typhon qui fut donné au fleuve. Le territoire d’Antioche est borné à l’ouest par la mer de Séleucie où vient déboucher l’Oronte. On compte 40 stades de Séleucie aux bouches du fleuve, et 120 stades de Séleucie à ‘Antioche. Pour remonter depuis la mer jusqu’à Antioche, le trajet est d’un jour. Quant à la limite orientale dudit territoire, elle est formée par le cours de l’Euphrate et par les places de Bambycé, de Bérée et d’Héraclée, qui composaient naguère un petit Etat appartenant à Denys, fils d’Héracléon. Héraclée est à 20 stades de distance du temple d’Athéné Cyrrhestide.
8. Elle précède la Cyrrhestique même, laquelle se prolonge jusqu’à l’Antiochide. Du côté du nord, c’est l’Amanus avec la Commagène qui forme la limite du territoire d’Antioche, et cette limite fort rapprochée de la ville se trouve être aussi celle de la Cyrrhestique, puisque la Cyrrhestique s’avance parallèlement à l’Antiochide dans la direction du nord. De ce côté-là précisément est la forteresse de Gindarus, qui est comme la clef de la Cyrrhestique et qui, par sa position, semble un repaire tout préparé pour le brigandage. Cette localité, ainsi que le temple qui l’avoisine et que l’on connaît sous le nom d’Héracléum, fut témoin de la mort de Pacorus, fils aîné du roi des Parthes, tué de la main de Ventidius, comme il venait d’envahir la Syrie. Pagrae qui touche à Gindarus est un lieu également très fort, mais dépendant de l’Antiochide ; il est situé juste au débouché du col de l’Amanus, qui des Pyles Amanides conduit dans la Syrie, et domine toute la plaine d’Antioche en même temps que le triple cours de l’Arceuthus, de l’Oronte et du Labotas. La même plaine renferme le fossé de Méléagre, et la rivière d’Oenoparas, qui vit se livrer sur ses bords la bataille dans laquelle Ptolémée Philométor, vainqueur d’Alexandre Bala, fut lui-même mortellement blessé. Juste au-dessus s’élève la colline de Trapezôn, qui tire son nom de sa ressemblance avec une table (trapeza), et au pied même de la colline eut lieu cette autre rencontre entre Ventidius et le général parthe Phranicatès. Dans sa partie maritime, le territoire d’Antioche comprend Séleucie, le mont Piérie qui se rattache à l’Amanus, et la ville de Rhosus située entre Issus et Séleucie. Séleucie portait anciennement le nom d’Hydatopotami. Grande et forte comme elle est, cette ville peut être regardée comme une place imprenable : aussi Pompée, après en avoir débusqué Tigrane, s’empressa-t-il de lui donner le titre de ville libre. En avançant maintenant dans la direction du midi, nous trouvons, juste au sud d’Antioche, dans l’intérieur des terres, Apamée, et, juste au sud de Séleucie, le Casius et l’Anticasius. Mais, avant d’atteindre ces deux montagnes, signalons encore, immédiatement après Séleucie, les bouches de l’Oronte et la grotte sacrée du Nymphoeum. Le mont Casius ne vient qu’après, précédant lui-même la petite ville de Posidium et celle d’Héraclée.
Laodicée
9. Laodicée à laquelle nous arrivons maintenant est une ville maritime magnifiquement bâtie, et qui à l’avantage de posséder un excellent port joint celui d’avoir un territoire d’une extrême fertilité, mais particulièrement riche en vignes, ce qui lui permet de fournir à la population d’Alexandrie la plus grande partie du vin qu’elle consomme. Signalons notamment au-dessus de la ville une montagne plantée de vignes presque jusqu’à son sommet, lequel se trouve être du reste fort éloigné des murs de Laodicée, la montagne s’élevant de ce côté graduellement et par une pente très douce, tandis qu’elle surplombe Apamée et forme au-dessus de cette ville comme une muraille à pic. Laodicée eut beaucoup à souffrir du fait de Dolabella, qui, après s’être réfugié dans ses murs, ne tarda pas à y être assiégé par Cassius, se défendit jusqu’à la mort et entraîna dans sa ruine des quartiers entiers de la ville.
Apamée :
10. Le canton d’Apamée contient une cité, qui, à en juger par les défenses naturelles qu’elle présente sur presque tous les points, paraît devoir être aussi une forteresse imprenable. Qu’on se figure en effet une colline abrupte s’élevant du milieu d’une plaine très basse, et qui, ceinte déjà de très belles et de très fortes murailles, se trouve protégée en outre et convertie en une véritable presqu’île par le cours de l’Oronte et par un immense lac dont les débordements forment des marécages et des prairies à perte de vue où paissent en foule les chevaux et les boeufs. On conçoit quelle sécurité offre une situation pareille. Mais ce n’est pas là l’unique avantage d’Apamée : cette ville, qu’on appelle quelquefois aussi Chersonesus à cause de sa configuration même, possède un territoire à la fois très étendu et très fertile, traversé par l’Oronte et où sont répandus de nombreux villages qui forment en quelque sorte sa banlieue.
Ajoutons que Séleucus Nicator et tous les rois ses successeurs l’avaient choisie pour y loger leurs cinq cents éléphants et la plus grande partie de leur armée; qu’au commencement de l’occupation macédonienne elle avait reçu le nom de Pella, parce que la plupart des vétérans s’étaient établis de préférence dans ses murs et que ce nom rap-pelait la ville natale de Philippe et d’Alexandre devenue la métropole de toute la Macédoine, et qu’enfin elle se trouvait posséder encore les bureaux de recensement de l’armée, les haras royaux, c’est-à-dire plus de 30000 juments avec 300 étalons au moins, et tout un monde de dresseurs de chevaux, de maîtres d’armes et d’instructeurs experts dans tous les exercices militaires, nourris et entretenus à grands frais. Mais rien ne prouve mieux les ressources infinies de cette ville que la fortune rapide de Tryphon dit Diodote et que la tentative hardie de cet ambitieux pour s’emparer du trône de Syrie en faisant d’elle sa place d’armes. Né dans Casiana, l’une des forteresses du territoire d’Apamée, Tryphon avait été élevé à Apamée même, sous la tutelle du roi et de ses ministres ; et, quand il leva l’étendard de la révolte, c’est d’Apamée et des villes qui l’entourent, à savoir de Larisa, de Casiana, de Mégara, d’Apollonie et d’autres localités semblables, toutes tributaires d’Apamée, qu’il tira les ressources et subsides qui lui permirent de se faire proclamer roi de toute cette partie de la Syrie et de s’y maintenir si longtemps. Cacilius Bassus, à son tour, à la tête de deux légions, entraîna Apamée dans son insurrection, et soutint dans ses murs un siège opiniâtre contre deux puissantes armées romaines, qui ne réussirent à le prendre que quand lui-même se fut livré volontairement (encore avait-il au préalable obtenu les conditions qu’il désirait). C’est qu’il avait trouvé abondamment de quoi nourrir son armée dans tout le territoire d’Apamée, et qu’il avait pu recruter aisément de nombreux auxiliaires en s’adressant aux phylarques des environs, tous maîtres d’inexpugnables positions, au phylarque de Lysias, par exemple (Lysias est ce château qui domine le lac d’Apamée), à Sampsicéram aussi et à Iamblique, son fils, chefs émisènes cantonnés dans Aréthuse, enfin à ses autres voisins, le phylarque d’Héliopolis, et le phylarque de Chalcis Ptolémée, fils de Mennmus, qui, de cette forteresse, commande tout le Massyas a et le massif montagneux de l’Iturée. Au nombre des alliés de Bassus avait figuré également Alchaedamnus, roi des Rhambaei, l’un des peuples nomades de la rive citérieure de l’Euphrate. Autrefois ami des Romains, Alchaedamnus s’était cru lésé dans ses intérêts du fait de leurs préfets; il avait alors repassé l’Euphrate pour se jeter en Mésopotamie, et c’était là que Bassus l’avait trouvé et pris à sa solde. Disons, pour finir, qu’Apamée a vu naître le stoïcien Posidonius, de tous les philosophes de notre temps assurément le plus érudit.
Parapotamie (Osrhoène)
11. Le canton d’Apamée est borné à l’est par ce vaste territoire dépendant des phylarques arabes que l’on nomme la Parapotamie, et par la Chalcidique, laquelle commence à partir du Massyas. Quant au territoire situé au sud d’Apamée, il est peuplé surtout de Scénites, dont les moeurs rappellent tout à fait celles des populations nomades de la Mésopotamie. En général, à mesure qu’elles se rapprochent de la Syrie, les populations nomades se civilisent davantage, elles ont moins l’air d’Arabes et de Scénites, et le pouvoir de leurs chefs, le pouvoir d’un Sampsicéram dans Aréthuse, d’un Gambar à Thémellas, etc., etc., prend de plus en plus le caractère d’un gouvernement régulier.
12. Tel est l’aspect de la Séleucide intérieure ; achevons maintenant de ranger la côte à partir de Laodicée. Dans le voisinage immédiat de cette ville sont les petites places de Posidium, d’Héracléum et de Gabalaa. Puis commence la Pérée aradienne avec Paltus, Balanée et le petit port de Camus, dont les Aradiens ont fait leur arsenal maritime. Viennent ensuite Enydra, Marathus, ville très ancienne, d’origine phénicienne, aujourd’hui en ruines, et dont les Aradiens se sont partagé le territoire par la voie du sort ; puis, immédiatement après Marathus, la petite localité de Simyra ; et, pour finir, Orthosie, et, à une très petite distance d’Orthosie, l’embouchure de l’Eleuthérus, fleuve que quelques auteurs considèrent comme formant la limite entre la Séleucide d’une part, et la Phénicie et la Coelé-Syrie de l’autre.
Ile d’Arwad :
13. Aradus fait face à la partie de la côte comprise entre Carnus, son arsenal, et les ruines de Marathus, côte qui se trouve bordée par une chaîne de falaises que n’interrompt aucun port. Elle occupe là, à 20 stades de la terre ferme, un rocher battu de tous côtés par la mer, et qui peut avoir 7 stades de tour. Toute la surface de ce rocher, aujourd’hui, est couverte d’habitations, et d’habitations à plusieurs étages, tant la population y a toujours été nombreuse et dense. Suivant la tradition, c’est par des exilés de Sidon qu’elle aurait été fondée. La ville tire son eau, en partie de puisards et de réservoirs destinés à recevoir l’eau de pluie, en partie des aiguades de la côte voisine. Mais en temps de guerre, on en va chercher dans le détroit même, un peu en avant de la ville, en un point où a été reconnue la présence d’une source d’eau douce abondante. A cet effet, on se sert d’un récipient ayant la forme d’une gueule de four renversée, que du haut de la barque envoyée pour faire de l’eau on descend dans la mer juste au-dessus de la source : ce récipient est en plomb ; très large d’ouverture, il va se rétrécissant toujours jusqu’au fond, lequel est percé d’un trou assez étroit. A ce fond est adapté et solidement fixé un tuyau en cuir, une outre, pour mieux dire, destinée à recevoir l’eau qui jaillit de la source et que lui transmet le récipient. La première eau recueillie ainsi n’est encore que de l’eau de mer, mais on attend que l’eau pure, l’eau potable de la source, arrive à son tour, et l’on en remplit des vases préparés à cet effet en nombre suffisant, que la barque transporte ensuite à la ville en retraversant le détroit.
14. Anciennement, et comme toutes les autres villes phéniciennes, Aradus avait ses rois particuliers ; mais plus tard l’influence étrangère (celle des Perses d’abord, celle des Macédoniens ensuite et de nos jours celle des Romains) a modifié sa constitution et lui a donné la forme que nous lui voyons actuellement. Comme tout le reste de la Phénicie, elle avait dû accepter l’amitié soi-disant, en réalité le joug des rois de Syrie, quand la discorde éclata entre les deux frères Séleucus Callinicus et Antiochus dit Hiérax. Les Aradiens se rangèrentdu côté de Callinicus et passèrent avec lui un traité, dans lequel ils stipulaient qu’ils auraient le droit d’accueillir dans leurs murs tous les Syriens fugitifs et de refuser de les livrer si eux-mêmes ne consentaient à leur extradition, s’engageant en revanche à ne pas les laisser se rembarquer ni sortir de l’île sans la permission expresse du roi. Or ils retirèrent de cette convention de très grands avantages, car les fugitifs qui vinrent leur demander asile n’étaient pas les premiers venus, c’étaient en général d’illustres personnages qui avaient pu craindre pour eux-mêmes les derniers dangers, et qui, reconnaissants de l’hospitalité qu’on leur avait accordée, considérèrent leurs hôtes comme des bienfaiteurs, des sauveurs, et cherchèrent, surtout après être rentrés dans leurs foyers, tous les moyens de s’acquitter envers eux. A partir de ce moment en effet, les Aradiens eurent toute facilité pour s’annexer une bonne partie de la côte qui leur fait face et qu’ils possèdent aujourd’hui presque en totalité, et ils virent leurs autres entreprises réussir tout aussi heureusement. Il est vrai qu’ils avaient aidé cette heureuse chance par leur prévoyance et leur zèle à développer leur marine, sans que l’exemple des Ciliciens leurs voisins et les efforts faits par eux pour organiser la piraterie eussent pu les entraîner, même un jour, à s’associer à une aussi coupable industrie.
16. C’est la chaîne du Liban qui, par son parallélisme avec l’autre chaîne appelée l’Anti-Liban, forme la Coelé-Syrie ou Syrie Creuse. Les deux chaînes commencent à une faible distance au-dessus de la mer, le Liban dans le canton de Tripolis, près de Théûprosopon précisément, et l’Anti-Liban dans le territoire même de Sidon, pour aller se relier en quelque sorte à la chaîne arabique (laquelle court au-dessus de la Damascène) et à une autre chaîne que les gens du pays appellent les monts Trachônes, mais en s’abaissant considérablement jusqu’à n’être plus qu’une double ligne de collines et de mamelons verdoyants. Entre elles deux s’étend une plaine très basse, dont la largeur mesurée dans le sens de la côte est de 200 stades, tandis que sa longueur (à prendre celle-ci depuis la mer jusque dans l’intérieur des terres) en mesure à peu près le double. Bon nombre de cours d’eau arrosent cette heu-reuse contrée et lui procurent une fertilité exceptionnelle. Le plus important de ces cours d’eau est le Jourdain. Elle possède aussi un grand lac le Gennésaritis, dans les eaux duquel croissent et le jonc aromatique et le roseau odorant, et, indépendamment de ce lac, différents marécages. Ajoutons qu’elle produit en abondance le balsamier. Un autre cours d’eau de la Coelé-Syrie, le Chrysorrhoas, se dépense, pour ainsi dire, tout en canaux d’irrigation, ayant à arroser un canton très étendu et très riche en terre végétale. Par le Lycus et le Jourdain, les marchandises (celles surtout qui viennent d’Aradus) peu-vent remonter dans l’intérieur du pays.
17. La première plaine à partir de la mer qu’on voit s’ouvrir devant soi s’appelle la plaine de Macras ou le Macropédion. C’est dans cette plaine, au dire de Posidonius, qu’on aurait vu gisant sur le sol sans mouvement et sans vie un serpent tellement long qu’il mesurait presque un plèthre et en même temps assez gros pour que deux cavaliers l’ayant entre eux ne pussent s’apercevoir. Posidonius ajoute que sa gueule énorme aurait pu engloutir un homme à cheval et que chaque écaille de sa peau était plus large qu’un bouclier.
18. A cette plaine de Macras succède le canton de Massyas, dont une partie tient déjà à la montagne et où l’on remarque, entre autres points élevés, Chalcis, véritable citadelle ou acropole du pays. C’est à Laodicée, dite Laodicée du Liban, que commence ce canton de Massyas. Toute la population de la montagne, composée d’Ituréens et d’Arabes, vit de crime et de brigandage ; celle de la plaine, au contraire, est exclusivement agricole, et, à ce titre, a grand besoin que tantôt l’un, tantôt l’autre la protège contre les violences des montagnards ses voisins. Les montagnards du Massyas ont des repaires fortifiés qui rappellent les anciennes places d’armes du Liban, soit celles de Sinnas, de Borrama, etc., qui en couronnaient les plus hautes cimes ; soit celles qui, comme Botrys et Gigartum, en défendaient les parties basses ; soit enfin les cavernes de la côte et le château fart bâti au sommet du Théûprosopon, tous repaires détruits naguère par Pompée parce qu’il en partait sans cesse de nouvelles bandes qui couraient et dévastaient le pays de Byblos et le territoire de Bérytus qui lui fait suite, ou, en d’autres termes, tout l’espace compris entre Sidon et Théûprosopon. Byblos, dont Cinyras avait fait sa résidence, est consacrée, comme on sait, à Adonis. Pompée fit trancher la tête à son tyran et la rendit ainsi à la liberté. Elle est bâtie sur une hauteur, à une faible distance de la mer.
19. Passé Byblos, on rencontre successivement l’embouchure de l’Adonis, le mont Climax et Palaebyblos ; puis, vient le fleuve Lycus, précédant la ville de Béryte, qui, détruite par Tryphon, s’est vu relever de nos jours par les soins des Romains, après qu’Agrippa y eut établi deux légions romaines. Agrippa voulut en même temps que le territoire de cette ville fût agrandi d’une bonne partie du Massyas, et il en reporta ainsi la frontière jusqu’aux sources de l’Oronte, lesquelles sont voisines à la fois du Liban, de la ville de Paradisos et de l’Aegyptiôntichos et touchent par conséquent au territoire d’Apamée. – Mais quittons le littoral.
Damas :
20. Au-dessus du Massyas, est l’Aulôn Basilikos ou Val du Roi ; puis commence la Damascène, cette contrée si justement vantée, dont le chef-lieu Damas, de très grande importance encore aujourd’hui, pouvait, à l’époque de la domination persane, passer pour la cité la plus illustre de toute cette partie de l’Asie. En arrière de Damas on voit s’élever deux chaînes de collines, dites les deux Trachônes ; puis, en se portant du côté de l’Arabie et de l’Iturée, on s’engage dans un pêle-mêle de montagnes inaccessibles, remplies d’immenses cavernes qui servent de places d’armes et de refuges aux brigands dans leurs incursions et qui menacent de toute part le territoire des Damascènes : une de ces cavernes est assez spacieuse, paraît-il, pour contenir jusqu’à 4000 hommes. Il faut dire pourtant que ce sont les caravanes venant de l’Arabie Heureuse qui ont le plus à souffrir des déprédations de ces barbares. Encore les attaques dirigées contre les caravanes deviennent-elles chaque jour plus rares, depuis que la bande de Zénodore tout entière, grâce aux sages dispositions des gouverneurs romains et à la protection permanente des légions cantonnées en Syrie, a pu être exterminée.