La forme du gouvernement, avant ce prince, n’était pas réglée par des conventions expresses, mais seulement par des usages ou coutumes.
La nation se compose de cheikhs ou émirs et du commun peuple. Les premiers sont les notables et les descendants d’anciennes familles riches, qui devaient à leur fortune un état plus relevé que celui du plus grand nombre. Les Maronites sont répandus dans les petites villes, villages, hameaux ou habitations isolées de la Montagne; chacun cultive son domaine. La nation, en général, est à son aise,
puisqu’elle ignore le luxe et que le nécessaire ne lui fait pas défaut. Elle est hospitalière, c’est-à-dire qu’un étranger est accueilli très cordialement dans toutes les maisons moyennant finance. La loi du talion existe aussi vivace chez elle que parmi tous les autres peuples de la Syrie.
Les Maronites, quoiqu’on en ait dit, sont catholiques romains; ils reconnaissent la suprématie du pape. Leur patriarche, qui est élu par les prélats et les religieux du Liban, prend le titre de patriarche d’Antioche.
Les revenus du patriarche actuel s’élèvent à près de 500,000 piastres ; Indépendamment de ce qu’il retire de ses propres domaines, il reçoit un sixième des revenus de ses 12 évêques. On ne les oblige pas à résider dans le pays dont ils sont les pasteurs titrés; il en est qui sont en même temps évêques de divers endroits. Chaque prélat perçoit une dîme sur les produits de son diocèse; en outre il a un casuel et des présents. Il n’est point de couvent maronite qui ne possède des terres; les religieux les cultivent eux-mêmes. Le clergé maronite porte un costume à peu près uniforme, seulement les religieux n’ont ni caleçon ni chemise. Un fichu noir roulé autour du bonnet en manière de turban distingue le patriarche et les évêques; le reste du clergé porte un capuchon.
Le patriarche, les évêques et les religieux suivent la loi du célibat; les simples prêtres séculiers peuvent vivre dans le mariage, mais il faut que le mariage précède le sacerdoce. Le souverain pontife tolère cette infraction aux canons de l’Église.
Les prêtres sont entourés de beaucoup de vénération. Comme la masse du peuple est profondément ignorante, on s’en tient à ce que dit le pasteur. Les Maronites sont d’un beau sang, robustes et actifs, mais malhonnêtes et avares; rarement on réussit, en les interrogeant, à découvrir la vérité.
Du reste, la dissimulation est un vice très-répandu dans toute la Syrie.
Ce n’est plus le même peuple que sous Jean Marôn, et les derniers événements ont prouvé que les Maronites ne comptent plus le courage au nombre de leurs qualités.
Leur costume montagnard se distingue du vêtement arabe ordinaire par une large casaque de couleur mélangée, à manches, et descendant jusqu’à mi-jambes. Un petit bonnet rouge, entouré d’un fichu, leur sert de coiffure.
Poujoulat :
« En vous parlant du clergé maronite, je vous disais combien il était peu avancé dans le chemin de la science; naturellement, les ténèbres de l’ignorance doivent s’étendre plus épaisses sur le reste de la population. Vous trouveriez certains cantons retirés où le manque total de connaissances prend un étrange caractère. On m’a cité des traits qui révèlent une grossièreté d’intelligence à peine croyable. Un Maronite demandait à un Français s’il y avait une lune en France. Une femme européenne était allée dans un village du Liban à la suite d’autres Européens. Quelques femmes maronites, dans un accès d’ignorante curiosité se saisirent de l’Européenne pour voir de leurs propres yeux si les femmes de nos pays et les femmes du Liban appartenaient à la même espèce. »
[…]
Il semblerait pourtant, à en croire une foule d’écrits publiés dans ces derniers temps, que l’honneur de la France demande qu’une partie de la population de l’empire ottoman soit, non-seulement abandonnée aux inspirations d’un pays étranger, mais encore qu’elle ait le droit d’être considérée absolument comme française.
Nous allons examiner ce droit, car, dans cette malheureuse question de Syrie, c’est pour tout le monde un point capital. Sur quoi se fondent ceux qui revendiquent pour les Maronites ce
droit à une protection étrangère?
Dans une récente brochure intitulée les Maronites et la France, brochure destinée à soutenir cette prétention, nous lisons ce qui suit :
Discours de M. de la Rochejacquelein au Sénat, séance du 14 mai 1861.
« Dès le XIIIè siècle, saint Louis, dans une charte adressée au prince, aux patriarches et évêques des Maronites, disait :
« Nous sommes persuadé que cette nation que nous trouvons établie sous le nom de Saint Marôn est une partie de la nation française, car son amitié pour les Français ressemble à l’amitié que les Français se portent entre eux. En conséquence, il est juste que vous et tous les Maronites jouissiez de la même protection dont les Français jouissent près de nous et que vous soyiez admis dans les emplois comme ils le sont eux-mêmes. »
[Louis XIV et Louis XV]
Rochejaquelin, 1860 :
[…] en 1795, le ministre des affaires étrangères, Lacroix, écrivait, le 15 ventôse an V, […] pour soutenir la cause des chrétiens du Liban. Ainsi, […] même sous la République, on croyait que la France avait un droit de protection direct sur les chrétiens du Levant. […]plus tard, le 4 février 1830, [à] la conférence de Londres […]le roi de France remit publiquement entre les mains du roi Othon ses droits de protection sur les populations catholiques […] qui allaient vivre sous [son] sceptre.
[…]Jamais la Porte n’a été souveraine dans le Liban ; elle n’en a été que la suzeraine. L’autonomie du Liban a toujours été reconnue[…]même […] en 1842, après la mauvaise conduite des grandes puissances envers la France. […]les droits des Syriens seront respectés, et […]en première ligne celui des Syriens du mont Liban d’être gouvernés par des chefs choisis parmi eux.
Pour l’auteur de cette brochure, cette simple lettre établit le droit en question. il oublie que les Russes peuvent l’invoquer au même litre pour les Slaves de l’empire ottoman, les Grecs pour leurs coreligionnaires, les Autrichiens pour les leurs, les Turcs pour les musulmans des Indes, d’Afrique, du Daghestan et de Crimée. Les empereurs de Russie et d’Autriche, le roi Othon, le sultan peuvent écrire la lettre de saint Louis. Est-ce qu’elle leur donnera ce prétendu droit de protection universelle? Une pareille prétention n’est soutenable ni en diplomatie, ni devant le sens commun.
Il nous faut pourtant faire observer que ce n’est pas de la protection accordée à tous les établissements religieux latins que nous parlons. La Porte a laissé à la France un droit de juridiction sur eux, semblable à celui qu’elle a accordé à l’Angleterre pour les missions protestantes ; mais est-on bien venu à conclure de là que tous ceux qui reconnaissent l’autorité suprême du pape, doivent
être soustraits à l’action directe de la Sublime Porte?
(contre la notion de suzeraineté arguée par Rochejaquelin)
Si nous consultons l’histoire, nous trouvons que depuis Amurath, la Turquie est aussi souveraine de cette partie de l’empire, que de l’Épire ou de la Macédoine. Si autrefois, la Syrie était gouvernée par un émir ou cheikh indigène, c’est qu’alors la Porte avait pour système de donner à ferme les différentes provinces à des pachas qui sous-louaient une partie de leur territoire; mais ces pachas avaient le droit de destituer les gouverneurs du Liban. L’amir Bashir n’a-t-il pas été nommé et révoqué 8 fois ? L’amir Yûsuf n’a-t-il pas dépensé des sommes énormes pour être maintenu à son poste?
-Jamais, dit-on encore, la Turquie n’entretint en Syrie une force armée régulière; mais elle n’avait d’armée régulière que dans la capitale, et chaque gouverneur était chargé de maintenir la tranquillité dans sa province, au moyen de troupes irrégulières à sa solde.
En affermant le Liban, les pasha d’Acre ou de Tripoli pouvaient-ils, devaient-ils y maintenir des troupes à leur solde, diminuant ainsi leurs revenus, pour établir des droits que personne ne songeait à leur contester?
[…]
Est-ce parce que les sympathies de quelques-uns d’entre les maronites sont pour la France, qu’ils doivent être considérés comme sujets français?
Et puis on sait comment ces sympathies s’obtiennent. La France entretient dans le Liban de nombreuses écoles de lazaristes et de jésuites.
Ceux-ci y font en sa faveur une propagande active, répétant à l’envi à qui veut les entendre que la France, de même , qu’au beau temps du roi Louis, considère les Maronites comme ses enfants, que toute sa protection leur est accordée et qu’ils y ont droit que la Turquie n’est pas leur souveraine. Ils sèment la discorde et la zizanie au milieu des populations ; ils appliquent ce principe machiavélique : « diviser pour régner, » car ils veulent être les seuls maîtres. Tactique bien digne d’une association religieuse, chassée de partout, et qui trouvant dans le Liban le refugium peccatorum, la terre promise des malfaiteurs, l’a choisi de préférence à toute autre province, non pour y répandre la foi et l’instruction, mais pour y fonder, sous un masque hypocrite, une suprématie politique qui a dû être souvent désavouée.
Aussi voit-on ces bons pères, parcourant les âpres chemins du Liban, allant par monts et par vaux, s’arrêtant dans les bourgs et les villages, pénétrant sous la tente, non pour y apporter les consolations d’en haut, mais un mot d’ordre ; excitant à la révolte, ou exhortant à une soumission momentanée ; soufflant à celui-ci ce qu’il doit dire dans telle réunion, enseignant à celui-là à parler contre ses propres convictions.
Les Maronites sont excessivement fanatiques. Nous avons vu que, sous l’émir Salem, il fallait jurer de n’accueillir, dans le Liban, ni un hérétique ni un schismatique. Ce prince fut excommunié pour
n’avoir pas tenu compte de cette prescription. Aujourd’hui, c’est absolument la même chose. Nous pourrions citer, à ce sujet, la chasse faite aux missionnaires protestants, l’excommunication lancée contre tout Maronite accordant le logement ou vendant un aliment quelconque à un hérétique.
Les chrétiens de Syrie, les Maronites surtout, sont, malgré tout ce qu’on en disait autrefois, peu aptes au combat. Les chefs leur manquent-ils ? Est-ce lâcheté naturelle ? Nous ne voulons pas lancer une pareille accusation contre tout un peuple; mais la généralité des Maronites ne jouit auprès de personne d’une brillante réputation de courage.
Volney : « Il est remarquable qu’avec un régime presque semblable, les Maronites n’aient point ces qualités » c’est-à-dire qu’ils ne soient ni hardis, ni entreprenants, ni braves comme les Druzes. […].