Cependant le mauvais succès que les armes de ce Prince [Kawadh] avaient eu sous la conduite du Mirrane, ne l’empêchaient pas de songer aux moyens de continuer la guerre.
Comme il avait l’esprit travaillé de cette inquiétude, Al-Mundhar, Roi des Sarracènes le vint trouver, et lui dit.
Seigneur, il ne se faut se fier à la fortune, ni se persuader que tous les événement de la guerre soient heureux. Ce sentiment ne ferait conforme ni à la raison, ni à la condition des choses humaines, et il serait fort préjudiciable à ceux qui en seraient prévenus ; parce qu’il n’y a point de douleur si sensible, que celle de se voir trompé dans ses espérances.
C’est pour ce sujet que les hommes ne s’abandonnent jamais entièrement aux dangers, et que dans le temps même qu’ils promettent hautement de défaire leurs ennemis par les armes ; ils emploient l’artifice et les stratagèmes pour les tromper.
Quiconque peut craindre quelqu’un, ne doit point s’assurer absolument de la victoire. Ne vous affligez donc pas si fort de la perte que le Marrane a soufferte, et ne vous exposez pas davantage aux hasards.
Jamais il n’y a eu de si bonnes fortifications, ni de si puissantes garnisons dans les villes, et dans les châteaux de la Mésopotamie, qu’il y en a maintenant, de sorte que nous ne saurions attaquer les Romains de ce coté-là sans nom jeter dans un péril tout évident.
Au contraire, il n’y a point de places fortes, ni de garnisons dans la Syrie, ni dans le pays qui est au-delà de l’Euphrate. J’ai pris un soin très particulier de m’en informer, par le moyen des Sarrasins, que j’ai souvent envoyés pour découvrir l’état des choses, qui m’ont rapporté, qu’Antioche, qui par sa grandeur, par ses richesses, emporte nombre de ses habitants, est la ville la plus considérable que les Romains possèdent dans l’Orient, est dépourvue de soldats, et que l’unique occupation des citoyens est de faire des assemblées de débauche, et de chercher les divertissements du théâtre. Si nous l’attaquons à l’improviste nous l’emporterons infailliblement, et nous serons revenus dans la Perse, avant que les ennemis qui sont dans la Mésopotamie, en aient reçu la nouvelle. N’appréhendez point la disette d’eau, ni de vivres. J’aurai soin de mener les troupes par un chemin, que je suis assuré qu’on trouvera très commode.
Kawadh n’eut point de sujet de rejeter cette proposition, ni de l’avoir pour suspecte, parce qu’Al-Mundhir qui la faisait, était homme prudent, expérimenté en ce qui regarde la guerre, affectionné aux Perses, et qui ayant été aux prises avec les Romains l’espace de 50 ans, les avait incommodés par des courses continuelles.
Il fourrageait leurs terres depuis l’extrémité de l’Égypte, jusqu’à la Mésopotamie. Il brûlait les maisons, enlevait les hommes, tuait une partie des prisonniers, et tirait rançon des autres.
Il ne rencontrait guère de troupes ennemies, parce qu’il était toujours bien informé de l’état des lieux où il allait, et qu’il exécutait ses entreprises avec une telle promptitude, qu’il était revenu chargé de butin, avant que les ennemis fussent assemblés pour lui résister, ou avant même qu’ils eussent avis de sa marche. Que s’ils le rencontraient quelquefois, il fondait sur eux, sans leur donner le loisir de se reconnaître.
Il prit un jour tous ceux qui le poursuivaient, tant les soldats, que les chefs, savoir, Démostrate frère de Rufin, et Jean fils de Lucas, qui lui payèrent rançon.
Enfin, ce fut l’ennemi le plus incommode que les Romains eussent sur les bras : ce qui procédait de ce qu’exerçant une souveraine autorité sur les Sarrasins qui demeuraient dans la Perse, il faisait irruption de tous côté dans nos terres, et de ce qu’il n’y avait personne qui pût s’y opposer, soit parmi ceux qui commandaient les Romains, et que l’on appelle Ducs, ou parmi ceux qui conduisaient les Sarracènes, et que l’on nomme Phylarques.
Justinien avait pour cette raison donné à Harêth-â b. Jabal-â, plusieurs tribus de Sarracènes à gouverner, avec la qualité et le pouvoir de Roi.
Cela n’empêchait pas néanmoins qu’Al-Mundhar ne remportât de l’avantage en toutes sortes de rencontres, soit que Harêthâ trahît les intérêts des Romains, ou qu’il eut seulement du malheur ; car on n’est pas encore éclairci de la vérité de ce fait. Ce qui est très certain, c’est Al-Mundhar vécut jusqu’à une extrême vieillesse, et qu’il ravagea fort longtemps tout l’Orient.