« L’an des Grecs 1202 (891), il y avait dans les environs de Kûfa, au village de Naççar, un vieillard que ses jeûnes, ses prières assidues et sa pauvreté faisaient, passer pour un saint. Plusieurs gens du peuple s’étant déclarés ses partisans, il choisit parmi eux douze sujets pour répandre sa doctrine. Mais le commandant du lieu, alarmé de ses mouvements, lit saisir le vieillard elle fit mettre en prison. Dans ce revers, son état toucha une fille, esclave du geôlier, et elle se proposa de le délivrer; il s’en présenta bientôt une occasion qu’elle ne manqua pas de saisir. Un jour que le geôlier s’était couché ivre et dormait d’un profond sommeil, elle prit tout doucement les clefs qu’il tenait sous son oreiller, et, après avoir ouvert la porte au vieillard, elle vint les mettre en place sans que son maître s’en aperçût. Le lendemain, lorsque le geôlier vint pour visiter son prisonnier, il fut d’autant plus étonné de trouver le lieu vide qu’il ne vit aucune trace de violence. Il crut alors que le vieillard avait été délivré par un ange, et il s’empressa de répandre ce bruit pour éviter la répréhension qu’il méritait.
De son côté le vieillard raconta la même chose à ses disciples, et il se livra plus que jamais à la prédication de ses idées. Il écrivit même un livre dans lequel on lit, entre autres choses : « Moi, un-tel, du village de Nassar, j’ai vu Christ, qui est la parole de Dieu, qui est Ahmed, fils de Mohamed, fils de Hamfa, de la race d’Ali, « qui est aussi Gabriel, et il m’a dit : «Tu es celui qui lit (avec intelligence); tu es l’homme qui dis vrai; tu es le chameau qui préserve les fidèles de la colère; tu es la bête de charge qui porte leur fardeau; tu es l’Esprit Saint, et Jean, fils de Zacharie. Va, et prêche aux hommes qu’ils fassent quatre génuflexions en priant, à savoir, deux avant le lever du soleil et deux avant son coucher, en tournant le visage vers Jérusalem, et qu’ils disent trois fois : Dieu tout-puissant, Dieu très-haut, Dieu très-grand; qu’ils n’observent plus que la deuxième et troisième fête; qu’ils ne jeûnent que deux jours par an; qu’ils ne se lavent point le prépuce, et qu’ils ne boivent point de bière, mais du vin, tant qu’ils voudront; enfin, qu’ils s’abstiennent de la chair des bêtes carnassières. Ce vieillard étant passé en Syrie, répandit ces opinions chez les gens de la campagne et du peuple, qui le crurent en foule, et, après quelques années, il s’évada sans qu’on sût ce qu’il devint. »