« Après l’expulsion des Francs de la Palestine, aucune nation européenne n’a conservé de droit de propriété sur les monuments publics du pays. Par une sage politique, les vainqueurs ont pu ménager les vaincus en leur laissant la possession d’usage de leurs sanctuaires. En cela, ils ont pratiqué la tolérance religieuse; et l’on peut dire qu’il n’y a pas de pays au monde où il y ait plus de liberté de conscience qu’en Orient, où se trouvent tant de religions différentes, qui ont toutes le libre exercice de leur culte.
« Il y a beaucoup de choses à Jérusalem qui fatiguent la pensée du voyageur, contre lesquelles même sa foi se heurte, s’il ne l’a pas forte ou intelligente; mais il en est une à laquelle un homme de coeur, quelque peu de religion qu’il ait, ne saurait se faire. C’est de voir, de ses propres yeux, cinq à six musulmans, accroupis sur un divan, causant, fumant leur pipe, dans l’intérieur de l’église du Saint-Sépulcre, et se hâtant d’en fermer les portes et d’en emporter la clef, du moment que l’heure qu’ils vous ont vendue pour vos prières, à prix d’argent, est écoulée. Malheureusement nous sommes les seuls à éprouver ce noble sentiment de répulsion et d’horreur. Vous ne pouvez rien dire qui fasse plus de peine aux gardiens du Saint-Sépulcre que de témoigner le froissement de votre âme sur la présence des Turcs dans l’auguste sanctuaire; on vous répond tout froidement : Nous aimons mieux les Turcs que les Grecs. Je suppose que les Grecs, à leur tour, disent aussi : Nous aimons mieux les Turcs que les Latins. Cette triste et désolante parole m’a été répétée tant de fois, pendant mon séjour à Jérusalem, que je commençais à me faire à ce spectacle de honte : Que deviendrions-nous tous sans les Turcs? me disait-on sans cesse. On ne trouve pas de réponse devant une pareille question; il n’y a qu’à courber la tête et à gémir. Il est juste de reconnaître qu’en ce moment il s’opère dans l’empire turc une révolution pacifique, mais profonde, qui ramène peu à peu aux idées pratiques d’un gouvernement sérieux et intelligent. Maintenant que les idées d’Europe commencent à s’infiltrer dans la race turque, il est évident que tout changera, et qu’on arrivera naturellement à ces grands principes qui servent de fondement à la civilisation. »
La vérité sur la question des Lieux saints, par quelqu’un qui la sait, signale la particularité suivante, que nous avons notée aussi plus haut : « L’islamisme avait, depuis la conquête de la Palestine, mis en communauté tous les sanctuaires qu’il vénère au même titre que les chrétiens, à la seule exception du Saint-Sépulcre, parce qu’il croit à l’ascension de Jésus-Christ avant sa mort. »
Tous ceux qui habitent l’Orient diront que, chaque année, à la Fête-Dieu, le vendredi saint, pour toutes les processions chrétiennes, les troupes ottomanes font la haie et présentent les armes dans les rues ou dans les cours des églises, sur le passage du saint-sacrement ou de la croix.