I. Entraîné par la défense de mon opinion, je prouverai aussi en latin qu’il faut voiler nos vierges dès qu’elles sortent de l’enfance; qu’ainsi le demande la vérité, contre laquelle rien ne peut prescrire, ni le temps ni la dignité des personnes, ni le privilège des contrées; car le plus souvent la coutume née de l’ignorance ou de la simplicité des hommes se fortifie par l’usage dans la succession des temps, et par là prévaut contre la vérité. Toutefois notre Seigneur Jésus-Christ s’est appelé lui-même la Vérité, mais non la coutume. Si le Christ a toujours été, s’il est antérieur à tout, la vérité est donc également une chose éternelle et la plus ancienne de toutes. Qu’importent ceux qui trouvent nouveau ce qui par soi-même est ancien? C’est moins la nouveauté que la vérité qui condamne les hérésies. Tout ce qui est contraire à la vérité, ce sera l’hérésie, fût-ce une coutume ancienne. Au reste, celui qui ne la connaît pas l’ignore par sa faute. Car il faut s’instruire de ce que l’on ignore, de même qu’il faut se soumettre aux vérités que l’on reconnaît.
La règle de la foi est absolument une, règle seule immuable, n’admettant aucune réforme; elle consiste à croire en un seul Dieu tout-puissant, créateur du monde; en Jésus-Christ son Fils, né de la vierge Marie, crucifié sous Ponce-Pilate, ressuscité d’entre les morts le troisième |278 jour, reçu dans les cieux, assis maintenant à la droite du Père, d’où il viendra juger les vivants et. les morts par la résurrection de la chair. Tant que cette loi de la foi demeure intacte, tout le reste, qui regarde la discipline et la conduite, admet la nouveauté par une sorte d’amendement, sous la direction de la grâce de Dieu qui opère et nous perfectionne jusqu’à la fin. Quelle apparence, après tout, que le démon travaillant sans relâche et ajoutant chaque jour à l’esprit d’iniquité, l’œuvre de Dieu s’interrompe ou cesse de nous perfectionner, surtout quand le Seigneur n’a envoyé le Paraclet qu’afin que l’homme, impuissant par sa faiblesse à tout comprendre à la fois, fût dirigé peu à peu, façonné et conduit à la perfection de la discipline par l’Esprit saint, vicaire du Seigneur! « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire; mais vous ne pouvez pas les porter à présent. Quand l’Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité; car il vous annoncera ce qu’il aura entendu. » Déjà précédemment il leur avait parlé des opérations de cet Esprit. Quel est donc le ministère du Paraclet, sinon de régler la discipline, d’interpréter les Ecritures, de réformer l’intelligence, de nous avancer de plus en plus dans la perfection? Il faut que tout ait son âge. Rien qui n’attende sa perfection du temps. Enfin l’Ecclésiaste dit: « A chaque chose son temps. » Regarde les créatures elles-mêmes! elles n’arrivent que progressivement à produire. Voici d’abord une faible graine; d’elle sort un germe; du germe un arbuste; puis les rameaux et le feuillage se fortifient; enfin l’arbre se montre dans tout son développement, ses bourgeons se gonflent; la fleur se dégage du bourgeon, et le fruit naît de la fleur. Ce fruit lui-même, à peine ébauché, et informe pendant quelque temps, croît peu à peu, s’adoucit et acquiert une saveur agréable.
De même la justice (car il n’y a qu’un Dieu pour la justice et les créatures) s’appuya d’abord dans ses premiers éléments, sur la crainte naturelle de Dieu. Ensuite elle |279 accomplit son enfance sous la loi et les prophètes; elle s’élança dans l’ardeur de la jeunesse par l’Evangile; aujourd’hui elle s’avance à la maturité par le Paraclet. C’est lui seul que nous devons reconnaître et adorer pour notre maître depuis Jésus-Christ. « Car il ne parle pas de lui-même; mais il dit ce que lui a enseigné Jésus-Christ. » Lui seul doit être notre guide, parce que seul il nous a été envoyé depuis Jésus-Christ. Ceux qui l’ont reçu préfèrent la vérité à la coutume; ceux qui l’ont écouté prophétisant jusqu’aujourd’hui, je ne dis pas seulement autrefois, voilent les vierges.
II. Mais je ne veux pas encore appuyer la vérité sur la coutume. Qu’elle reste un moment coutume, afin que j’oppose aussi la coutume à la coutume. Dans la Grèce et dans plusieurs contrées barbares qui en dépendent, plusieurs Eglises voilent leurs vierges. Et de peur qu’on n’aille s’imaginer qu’elle est particulière aux idolâtres grecs ou barbares, cette pratique s’observe même sous notre ciel. Je ne cite pour exemple que des Eglises fondées par des Apôtres ou par des hommes apostoliques, et, j’imagine, sous les yeux de quelques-uns d’entre eux. Ces Eglises ont donc aussi bien que les nouvelles l’autorité de la coutume; de plus, elles opposent les temps et les prédécesseurs, ce que ne peuvent les Eglises venues après elles. A quoi nous en tenir? quel parti embrasser? Nous ne pouvons rejeter une coutume que nous ne pouvons condamner: elle n’est pas étrangère, puisqu’elle ne vient pas d’étrangers, mais d’hommes avec lesquels nous partageons les prérogatives de la paix et le nom de frères. Entre eux et nous, même foi, même Dieu, même Christ, même espérance, mêmes sacrements du baptême. En un mot, nous sommes une même Eglise. Conséquemment tout ce qui appartient aux nôtres nous appartient.
Au reste, vous divisez le corps de l’Eglise. Ici toutefois, selon qu’il est d’usage dans toutes les institutions différentes, douteuses et incertaines, il faut examiner laquelle |280 de ces deux coutumes si opposées est plus conforme à la doctrine de Dieu. Par conséquent, il faudra se déterminer pour celle qui voile les vierges, connues de Dieu seul, puisqu’ayant à rechercher leur gloire auprès de Dieu et non des hommes, elles doivent même rougir de leurs avantages. Il est plus facile de troubler une vierge par la louange que par les reproches, parce que le front de la pécheresse, moins facile à s’émouvoir, s’est formé à l’impudence dans le péché et par le péché. Personne, en effet, n’eût approuvé la coutume qui désavoue les vierges en les faisant voir, si quelques hommes ne s’étaient rencontrés semblables à ces vierges elles-mêmes. Des yeux qui veulent voir une vierge ne diffèrent pas des yeux d’une vierge qui désire d’être vue. Ces yeux se souhaitent mutuellement: même convoitise dans l’ardeur de voir et d’être vue. Il est aussi naturel à l’homme chaste de rougir à l’aspect d’une vierge, qu’à la vierge pure de rougir à l’aspect d’un homme.
III. Nos très-saints prédécesseurs n’ont jamais voulu avoir d’égard pour les coutumes. Toutefois, jusqu’à ces derniers jours, l’une et l’autre coutume étaient permises chez nous d’une manière plus supportable. Chaque vierge avait la faculté de se voiler ou de se prostituer, comme maintenant de se marier, ce que personne ne contraint ni ne défend de faire. La vérité se contentait de traiter avec la coutume, afin de jouir secrètement d’elle-même sous ce nom de coutume, ne fût-ce qu’en partie; mais comme l’intelligence commençait à faire assez de progrès pour que, dans la liberté de ce choix, il fût aisé de reconnaître quel était le meilleur, aussitôt l’ennemi de tout bien, et encore plus de toute institution louable, fit son œuvre. Les vierges des hommes se soulèvent contre les vierges de Dieu, en s’emportant sans pudeur à une audace téméraire. Elles ne laissent pas de se croire vierges en paraissant rechercher la compagnie des hommes. Il y a mieux. Les servantes du Christ, d’autant plus libres |281 qu’elles appartiennent à lui seul, imitent leur exemple et se rendent à elles.
Nous sommes scandalisées, disent les filles mondaines, de ce que d’autres marchent voilées; et elles aiment mieux s’en scandaliser que de les imiter. Le scandale, si je ne me trompe, n’est pas l’exemple d’une bonne chose, mais d’une mauvaise qui porte au péché. Les bonnes choses ne scandalisent que les esprits pervers. S’il est vrai que la modestie, la pudeur, le mépris de la gloire, le désir de plaire à Dieu soient des choses bonnes, tous ceux qui se scandalisent d’un tel bien reconnaissent que le mal est en eux. Quoi donc? si les incontinents prétendent que la continence les scandalise, faudra-t-il supprimer la continence? Faudra-t-il supprimer le veuvage, de peur de scandaliser ceux qui se marient plusieurs fois? Pourquoi les saintes filles ne se plaindraient-elles pas plutôt que le peu de réserve de celles qui font parade de leur virginité devienne pour elles un sujet de scandale? Faudra-t-il donc qu’à cause de ces filles qui se mettent en vente, les saintes vierges soient traînées à l’église, rougissant d’avoir été vues sur le chemin, tremblant d’être découvertes, comme si on les avait appelées pour le déshonneur? Elles ne haïssent pas moins l’un que l’autre. Toute vierge qui se montre subit une sorte de prostitution. Toutefois, souffrir violence dans sa chair est quelque chose de moins, parce que la faiblesse n’a pu la repousser. Mais si c’est l’esprit lui-même qui est violé dans la vierge, par la disparition du voile, elle a appris à perdre ce qu’il protégeait. O mains sacrilèges, qui ont pu arracher un vêtement consacré au Seigneur! Qu’aurait fait de plus un persécuteur, s’il avait su que le voile est le témoignage de la vierge? Depuis que vous avez découvert la tête de cette fille, elle n’est plus vierge tout entière à ses propres yeux; elle est devenue différente d’elle-même. Lève-toi, ô vérité! lève-toi! brise les liens qui le retiennent; je ne veux plus que tu défendes aucune coutume; car déjà celle à l’ombre de laquelle tu |282 jouissais de tes droits est répudiée: fais voir que c’est toi qui voiles les vierges. Interprète toi-même tes Ecritures que la coutume ne connaît pas; car, si elle les connaissait elle n’eût jamais existé.
IV. Au reste, comme c’est une habitude de se servir des Ecritures pour argumenter contre la vérité, on ne manque pas de nous objecter aussitôt que l’Apôtre n’a nullement parlé des vierges, quand il recommande le voile, mais qu’il n’a fait mention que des femmes; que s’il avait voulu que les vierges fussent voilées, il les aurait nommées séparément après avoir nommé les femmes. Ainsi, ajoute-t-on, lorsqu’il traite du mariage, il prescrit en particulier quelle règle doivent observer les vierges. Par conséquent, elles ne sont point assujetties à la loi du voile, puisque leur nom n’est pas prononcé dans cette loi. Il y a plus; par là même qu’elles n’y sont pas nommées, il est clair que l’ordre n’est pas pour elles.
Nous pouvons retourner le même raisonnement contre les adversaires. Puisque l’Apôtre sait établir une distinction entre la vierge et la femme, c’est-à-dire celle qui n’est pas vierge, quand il est besoin de distinguer, là où il ne nomme pas la vierge, sans établir cette différence, il prouve qu’il y a communauté de règle. Au reste, il lui était facile d’établir ici encore une différence entre la vierge et la femme, de même qu’il a dit ailleurs: « La femme et la vierge sont distinctes. » Par conséquent, il a tacitement confondu celles qu’il n’a pas distinguées.
Toutefois, de ce que la femme et la vierge sont distinguées ici, cette différence ne sera point pour eux une autorité, comme le veulent quelques-uns: combien de paroles semblables ne doivent pas s’entendre ici et là dans le même sens, puisque les paroles n’ont la même valeur qu’autant que le motif est le même, pour le dire une fois en passant! Mais l’espèce dans laquelle l’Apôtre distingue la femme d’avec la vierge est bien différente de l’espèce présente. « Il y a, dit-il, de la différence entre la femme et la vierge. |283 Pourquoi? Parce que celle qui n’est pas mariée, c’est-à-dire la vierge, pour être pure de corps et d’esprit, ne s’occupe que des choses de Dieu. Au contraire, celle qui a un époux, c’est-à-dire qui n’est pas vierge, songe à plaire à son époux. » Voilà l’explication de cette différence, qui n’a point lieu dans la question dont il s’agit maintenant, dès qu’il n’est parlé ni du cœur ni des pensées de la femme et de la vierge, mais seulement de voiler la tête. Le Saint-Esprit ne voulant donc pas qu’il y eût là-dessus la plus légère différence, a compris sous le seul nom de femme la vierge elle-même: en ne la nommant pas expressément, il ne l’a pas séparée d’avec la femme, et en ne la séparant pas, il l’a jointe à celle dont il ne l’a pas séparée. Est-ce donc chose si nouvelle que de se servir du mot le plus étendu pour comprendre les espèces dans sa généralité, là où il n’est pas nécessaire de distinguer les parties du tout? La brièveté du discours est de sa nature agréable et nécessaire, de même que la prolixité est embarrassée, importune, inutile. Voilà pourquoi nous nous contentons de termes généraux qui embrassent dans leur universalité l’idée des différentes espèces. Venons donc au mot lui-même. Le mot de femme est un terme naturel et général pour tout le sexe. Il comprend la vierge, l’épouse, la veuve, et tout ce qui s’y rattache par son nom ou par son âge. Or, le genre précédant l’espèce, parce qu’il la renferme, de même que l’antécédent son conséquent, et le tout sa partie, l’espèce est énoncée dans le terme qui la contient et signifiée dans le mot qui l’embrasse. Ainsi, quand j’ai nommé le corps, je n’ai plus besoin d’énu-mérer les pieds, les mains, ni aucun membre. De même, si on parle du monde, là se trouvera le ciel et tout ce qu’il renferme, le soleil, la lune, les étoiles, les astres, la terre, la mer, et chacun des éléments. C’est tout dire que dire ce qui compose le tout: ainsi, nommer la femme, c’est donner l’idée de tout le sexe.
V. Mais puisque nos adversaires emploient ce nom de |284 femme en soutenant qu’il ne peut convenir qu’à celle qui est engagée dans le mariage, il faut que nous prouvions que la propriété de ce terme convient à tout le sexe et non à une partie du sexe, de manière que les vierges elles-mêmes y sont comprises. Lorsque cette seconde espèce de créature humaine fut faite par Dieu « pour être la compagne de l’homme, » la femme reçut dès le moment de sa naissance le nom qui la désigne, innocente encore, digne encore du paradis, vierge encore. « Elle s’appellera femme, » dit-il. Voilà donc un nom, je ne dis pas commun à la vierge, mais qui lui est propre, puisque c’est une vierge qui le reçoit à son origine. Mais quelques esprits subtils veulent que ces mots, « elle s’appellera femme, » ne s’appliquent qu’à l’avenir, comme qui dirait: « Elle sera femme quand elle aura perdu sa virginité, » parce qu’ensuite on lit: « L’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils seront deux dans une même chair. » Qu’ils nous montrent donc d’abord, pour soutenir cette interprétation, quel est le nom qu’elle a porté dans l’intervalle, s’il est vrai qu’elle n’a été nommée femme que par rapport à l’avenir. Car il ne se peut qu’elle ait manqué d’un nom qui exprimât sa qualité présente. D’ailleurs n’est-il pas étrange qu’elle ait eu un nom qui lui convînt dans l’avenir, sans en avoir un qui la caractérisât dans le présent? « Adam donna des noms à tous les êtres vivants, » il n’en désigna aucun par sa qualité future; mais, consultant ce qu’ils étaient dans le moment, il les nomma tous d’après ce que réclamait leur état actuel. Quel était donc alors le nom de la première femme? Il est certain que toutes les fois qu’elle est nommée dans l’Ecriture, elle est appelée femme avant d’être épouse, et jamais vierge, même lorsqu’elle était vierge! Ce nom est son nom unique, et il lui est donné dans un sens qui n’a rien de prophétique. L’Ecriture rapporte en effet « qu’Adam et sa femme étaient nus; » ce mot ne s’applique point à l’avenir, comme par une sorte |285 de prédiction qui transforme la femme en épouse; il indique seulement que, sans être mariée, elle était sa femme comme étant tirée de sa substance: « Ces os de mes os, dit-il, cette chair de ma chair s’appellera femme. »
De là vient que, par une inspiration secrète de la nature, la divinité de l’ame elle-même a introduit à l’insu des hommes, comme il est arrivé pour beaucoup d’autres choses, soit dans nos actions, soit dans nos paroles, ainsi, que nous le prouverons par l’Ecriture, l’usage où nous sommes de nommer du nom de femmes celles qui sont nos épouses. Toutefois ce langage est souvent impropre; car les Grecs, qui se servent plus volontiers du mot de femme pour désigner l’épouse, ne laissent pas d’avoir d’autres termes spéciaux pour l’exprimer. Mais j’aime mieux en rapporter la raison au témoignage de l’Ecriture. Ainsi, lorsque par le lien du mariage, les deux parties ne sont plus qu’une seule chair, cette chair de la chair de l’homme, cet os de ses os, s’appelle, conformément à son origine, sa femme depuis qu’elle est devenue son épouse par l’union des deux substances. Conséquemment le nom de femme est le nom que l’épouse tient de sa nature; celui d’épouse exprime une situation de la femme. Enfin une femme peut ne pas être épouse; une épouse, au contraire, ne peut pas ne pas être femme, parce qu’il est impossible qu’elle ne le soit pas.
Après avoir imposé à la nouvelle créature son nom de femme, et avoir exprimé ce qu’elle fut d’abord par l’imposition de ce nom, Adam commence à prophétiser lorsqu’il ajoute: « Pour la suivre, l’homme quittera son père et sa mère. » Le nom est aussi distinct de la prophétie que cette prophétie est distincte de la personne d’Eve, puisque ces paroles s’appliquent non pas à Eve elle-même, mais à toutes les femmes dont elle devait être un jour la mère. D’ailleurs Adam ne pouvait quitter ni père ni mère à cause d’Eve, puisqu’il n’en avait point. Ce passage tout prophétique ne regarde donc point Eve, puisqu’il ne peut s’entendre |286 d’Adam. La prédiction qu’il renferme s’adresse aux maris qui devaient quitter leurs parents à cause de leurs femmes, ce qui ne peut s’appliquer à Eve, puisque cela ne s’applique point à Adam. Si la chose est ainsi, il est évident que ce n’est point en vue de son état futur qu’elle a été appelée femme, puisque cet état futur ne la concernait pas. Joignez à cela qu’Adam lui-même exprima la raison de ce nom. En effet, après avoir dit: « Elle s’appellera femme, » il ajouta: « parce qu’elle a été formée de la substance de l’homme, » il y mieux, de l’homme encore vierge. Mais nous exposerons en son lieu ce nom d’homme.
Ainsi, que personne n’interprète ce nom dans un sens prophétique, puisqu’il dérive d’une autre signification, surtout quand il est manifeste que là où elle reçoit un nom en vertu de sa situation future, c’est au moment où elle est surnommée Eve, nom qui lui est tout personnel, parce que déjà elle avait été appelée du nom général de femme. S’il est vrai qu’Eve signifie la mère des vivants, la voilà surnommée à cause de ce qu’elle doit être, la voilà déclarée d’avance épouse et non plus vierge. Tel sera enfin le nom de la femme mariée; car après le mariage, la maternité. Il résulte encore de là que son nom de femme, elle ne l’emprunte pas à la situation future, puisqu’elle devait recevoir plus tard le nom qui convenait à sa condition.
J’ai assez répondu à cette objection.
VI. Voyons maintenant si l’Apôtre n’emploie pas ce mot dans le même sens que la Genèse, pour désigner tout le sexe en général, lorsqu’il appelle femme la vierge Marie, de même que la Genèse donne ce nom à Eve. Dans son Epître aux Galates, il dit: « Dieu a envoyé son Fils qui est né de la femme. » Il est constant que la mère de Dieu demeura vierge quoi qu’en dise Hébion. Je lis encore que « l’ange Gabriel fut envoyé à une vierge. » Mais cependant quand il la bénit, il la compte parmi les femmes et non parmi les vierges. « Vous êtes bénie entre toutes les femmes, |287 dit-il. » L’ange savait donc bien que le nom de femme convient aux vierges, aussi bien qu’aux autres.
Mais on croit avoir ingénieusement repoussé ces deux autorités en disant: Marie était fiancée; voilà pourquoi l’ange et l’Apôtre l’appellent femme; car, ajoutent-ils, une fille fiancée est en quelque sorte mariée. Toutefois, il y a une grande différence entre un à peu près et la réalité; principalement dans cette circonstance, car il se pourrait qu’en d’autres occasions ce fût la même chose. Mais ce n’est point à ce titre de fiancée que Marie fut appelée femme; quand même elle n’eût pas été épouse elle eût reçu le même nom, en sa qualité de femme, en vertu du titre qui lui appartient dès sa naissance; car il faut que l’appellation de laquelle dérive la qualité, précède toutes les autres.
Dailleurs, quant à ce qui concerne ce point, si, dans cette circonstance, par assimilation à une fiancée, Marie est appelée femme, non pas à cause de son sexe, mais parce qu’elle avait un époux, il s’ensuit que Jésus-Christ n’est point né d’une vierge, mais d’une femme mariée, et à ce titre ayant cessé d’être vierge. Que s’il est né d’une vierge qui, bien que mariée, n’en était pas moins intacte, reconnais donc qu’une vierge, même la plus pure, peut être appelée femme. Ici du moins rien de prophétique: l’Apôtre ne l’a point appelée femme, parce qu’elle devait cesser un jour d’être vierge, quand il a dit: « Né d’une femme. » Il ne pouvait, en effet, la nommer d’un nom qui désignât une condition ultérieure, c’est-à-dire qui annonçât une femme connue par un époux, puisque le Christ ne devait pas naître d’elle selon les lois ordinaires. Mais, quoique vierge, il l’appelle selon sa qualité actuelle du nom de femme, en vertu de la propriété de ce nom et conformément à la loi de sa naissance, parce que ce nom est affecté à la vierge ainsi qu’à tout le sexe.
VII. Passons maintenant aux motifs pour lesquels l’Apôtre enseigne que la femme doit être voilée. Examinons |288 s’ils conviennent aussi aux vierges, afin que si les mêmes motifs de se voiler la tête se rencontrent chez les unes et les autres, il soit indubitable que la communauté du nom s’applique également aux vierges. Si «l’homme est le chef de la femme, » il l’est aussi de la vierge, ce qu’était la femme avant son mariage, à moins que peut-être la vierge ne forme une troisième espèce à part, ayant son chef à elle. « S’il est honteux à une femme d’avoir les cheveux coupés ou rasés, » il ne l’est pas moins à une vierge. Au siècle antagoniste de Dieu, d’examiner s’il est honorable à une fille d’avoir les cheveux coupés, de même que la chose est permise au jeune homme. Puis donc qu’il ne convient pas plus à la vierge qu’à la femme d’avoir les cheveux coupés ou rasés, il lui convient également d’avoir la tête couverte. « Si la femme est la gloire de l’homme, » à combien plus forte raison la vierge qui est à elle-même sa propre gloire! « Si la femme fut formée de l’homme et pour l’homme, » cette côte d’Adam fut vierge d’abord. Si « la femme doit porter sur sa tête la marque du pouvoir que l’homme a sur elle, » jamais elle ne doit le porter avec plus de justice que quand elle est vierge, puisqu’alors elle possède ce qui en est la cause. En effet, si c’est à cause des anges, qui, comme nous le lisons, ont perdu Dieu et le ciel pour avoir convoité les femmes, qui pensera que ces mêmes anges se soient laissés séduire par des corps souillés, soupirant ainsi après les restes de la volupté humaine, au lieu de rechercher les vierges dont l’attrait sert en quelque sorte d’excuse à la passion humaine? L’Ecriture s’exprime ainsi: « Lorsque les hommes eurent commencé à se multiplier sur la terre, et qu’ils eurent engendré des filles, il arriva que les enfants de Dieu, voyant que les filles des hommes étaient belles, prirent des épouses choisies entre toutes les autres. » Ici, en effet, le mot grec signifie épouses, puisqu’il y est question de mariage. Dire les filles des hommes, c’est évidemment désigner des vierges placées encore sous la tutelle de leurs parents; car une |289 fois épouses, elles appartiennent à leurs maris. Il était aussi aisé de dire les femmes des hommes. D’ailleurs, l’Ecriture, ne nommant point ces anges du nom d’adultères, mais de maris, puisqu’ils prirent, sans être mariées, les filles des hommes, comme elle les appelle plus haut, témoigne assez par là que celles-ci, filles tout à l’heure et en ce moment épouses des anges, étaient vierges. Filles d’abord, puis mariées ensuite: je ne sache pas qu’elles aient pu être autre chose.
Il faut donc voiler une beauté si dangereuse qui a pu porter le scandale jusque dans le ciel, afin qu’en la présence de Dieu aux yeux duquel elle est coupable de la chute de ces anges, elle rougisse aussi devant les autres anges, qu’elle réprime cette liberté perfide de se montrer à découvert, et qu’elle se cache même aux regards des hommes.
Supposons même que ces anges eussent convoité des femmes déjà souillées, les vierges auraient été d’autant plus obligées de se cacher à cause des anges, que les anges auraient été plus capables de pécher à cause des vierges. Si l’Apôtre ajoute, comme une prévision de la nature, « qu’une belle chevelure est l’honneur de la femme,
parce qu’elle peut lui servir de voile, » n’est-il pas vrai que cette longue chevelure est aussi l’ornement de la vierge? que dis-je? est l’ornement particulier de la vierge, puisque c’est elle qui a l’habitude de la rassembler en pyramide, comme pour en couronner la citadelle de la tête?
VIII. C’est par des raisons opposées à celles-ci que « l’homme ne se voile point, » parce qu’il n’a pas naturellement cette grande abondance de cheveux; parce qu’il ne lui est point honteux de les avoir coupés ou rasés; parce que ce n’est point à cause de lui que les anges ont Péché; parce qu’il « est la gloire et l’image de Dieu; » parce qu’enfin « le Christ est son chef. » Ainsi quand l’Apôtre, en parlant de l’homme et de la femme, dit |290 pourquoi celle-ci doit être voilée, pourquoi celui-là ne doit pas l’être, il est aisé de voir pour quelle raison il n’a pas fait mention des vierges. Il a compris la vierge sous le nom de femme, de la même manière qu’il a compris l’adolescent sous le nom d’homme, désignant ainsi par les termes communs d’homme et de femme tout ce qui se rattachait à l’un et à l’autre sexe.
Ainsi Adam, quoique vierge encore, est appelé homme dans la Genèse. « Elle sera appelée femme, dit-il, parce qu’elle a été tirée de l’homme. » Adam est donc appelé homme avant son mariage, de même qu’Eve est appelée femme. L’Apôtre a suffisamment indiqué les divers degrés de l’un et de l’autre sexe, lorsqu’il dit avec une hrièveté si pleine et une définition si énergique: Toute femme. Que signifie toute, sinon la femme de toute espèce, de tout ordre, de toute condition, de tout rang, de tout âge, puisque le tout est la chose dans son intégrité, sans qu’il lui manque aucune de ses parties? Or la vierge l’ait partie du sexe. De même, s’agit-il de l’homme qui ne doit point se couvrir? Tout homme, dit-il encore. Voici deux noms opposés, l’homme et la femme; à chaque nom est appliqué le mot tout: deux lois opposées entre elles, l’une qui voile, l’autre qui découvre. Conséquemment, si parce qu’il est dit: « tout homme, » cela doit s’entendre de chaque homme, marié ou non; si d’autre part il résulte que le nom d’homme étant, par nature, commun à tout le sexe masculin, la loi de ne pas se couvrir est commune aussi à quiconque est vierge parmi les hommes, pourquoi n’y aurait-il pas là une présomption que la vierge est comprise également sous le nom général de femme, afin qu’elle soit comprise en vertu de ce nom dans la même loi? Car enfin, si une vierge n’est pas femme, un enfant n’est point homme. Si la vierge ne se voile point, parce qu’elle n’est pas femme, un enfant ne doit pas se découvrir, parce qu’il n’est pas homme. Il faut que la même virginité jouisse de la même exception. De même que les vierges ne sont pas |291 obligées de se voiler, de même l’enfant ne doit pas se découvrir. Pourquoi, d’une part, reconnaissons-nous que la définition de l’Apôtre est absolue par rapport à l’homme, sans demander pourquoi il n’a pas fait mention de l’enfant, et, d’autre part, refusons-nous de croire que cette définition soit aussi absolue à l’égard de la femme? « Que si quelqu’un aime à contester, pour nous, ce n’est point là notre coutume, ni celle de l’Eglise de Dieu, » dit l’Apôtre. Il prouve qu’il s’éleva quelque dispute à ce sujet, et qu’il se hâta de l’éteindre par des paroles pleines de brièveté, sans nommer la vierge, pour faire comprendre qu’il ne fallait point douter qu’elles ne dussent être voilées, mais en nommant la vierge, lorsqu’il avait dit: Toute femme. Ainsi le comprirent les Corinthiens eux-mêmes. Aujourd’hui encore ces mêmes Corinthiens voilent leurs vierges. Les disciples prouvent par leur conduite quel a été l’enseignement des Apôtres.
IX. Examinons maintenant si, de même que les arguments tirés de la nature des femmes et de la cause elle-même, conviennent aux vierges, ainsi que nous l’avons démontré, les prescriptions de la discipline ecclésiastique ne concernent pas aussi les femmes. « Il n’est permis aux
femmes, ni de parler dans l’église, » ni d’enseigner, ni de baptiser, ni d’offrir le sacrifice, ni de s’arroger aucune des fonctions qui appartiennent à l’homme, à plus forte raison celles qui appartiennent aux prêtres. Nous le demandons, y a-t-il quelqu’une de ces choses qui soient permises à une vierge? Si rien de tout cela n’est permis à la vierge; si en toutes choses elle est soumise à la même condition que la femme, toujours comptée parmi celles de son sexe quand il est nécessaire de s’humilier, par quelle raison ici ce qui est refusé à toutes les femmes lui sera-t-il accordé? Quel droit a-t-elle à une prérogative au-dessus de sa condition naturelle, s’il est vrai qu’elle soit vierge, et qu’elle ait dessein de sanctifier sa chair? Quoi donc? la dispensera-t-on du voile pour qu’elle entre dans l’Eglise, en |292 attirant sur elle tous les regards, étalant l’honneur de sa sainteté par la liberté de sa tête? On pouvait rendre à la virginité un hommage plus digne d’elle, en lui permettant de se mêler à quelqu’une des fonctions particulières aux hommes, ou d’entrer dans quelqu’une de leurs charges.
Je le sais, on a inscrit quelque part au nombre des veuves une vierge qui n’avait pas encore vingt ans. Si l’évêque lui devait quelque adoucissement, il aurait pu le faire autrement, sans violer le respect pour la discipline ecclésiastique, pour que l’on n’eût pas à remarquer dans l’Eglise le spectacle étrange, j’allais presque dire monstrueux, d’une vierge veuve, merveille d’autant plus surprenante, qu’elle n’a pas même voilé sa tête, en qualité de veuve, niant ainsi qu’elle soit l’un et l’autre, vierge en prenant place parmi les veuves, veuve en se faisant appeler vierge.
Dira-t-on que la même autorité qui lui a donné place parmi les veuves la dispense du voile? Mais cette place est réservée aux femmes qui ont plus de soixante ans, non-seulement à celles qui auraient été mariées une seule fois, mais aux mères de famille, et même à celles qui ont élevé des enfants, afin que plus familiarisées par l’expérience avec toutes les affections humaines, elles sachent mieux aider les autres de leurs conseils, et les consoler dans toutes les circonstances, ayant passé par tous les états qui peuvent mettre à l’épreuve la vertu d’une femme. Tant il est vrai qu’il n’est jamais accordé de place particulière aux vierges pour les honorer.
X. J’en dis autant de toute autre distinction. Au reste, ce serait une chose assez étrange que les femmes, soumises en toutes choses à l’homme, portassent en signe d’honneur une marque de leur virginité qui attirât sur elles les regards, l’attention et le respect de leurs frères, tandis que tant d’hommes vierges, tant d’eunuques volontaires, seraient réduits à cacher leur vertu, ne portant |293 rien qui pût les distinguer. Ne devraient-ils pas réclamer aussi quelque ornement caractéristique, tels que les plumes des Garamantes, le diadème des Barbares, la cigale des Athéniens, les tresses des Allemands, ou les stigmates des Bretons? Ou bien enfin, pour donner un démenti à l’Apôtre, ne devraient-ils pas se couvrir la tête dans l’église? Nous tenons pour certain que l’Apôtre aurait accordé aux hommes quelque chose de semblable, s’il avait donné ce privilége à des femmes, puisque, sans parler de la dignité de l’homme, il eût fallu de préférence relever chez eux l’honneur de la continence. En effet, plus leur sexe est ardent à la volupté, plus la réserve dans une passion violente est chose laborieuse, et par là même plus digne de se montrer, si loutefoîs l’ostentation peut être la récompense de la virginité. La continence n’est pas moins honorable que la virginité, soit dans le veuvage, soit dans ceux qui, par un consentement mutuel, ont renoncé aux plaisirs permis du mariage. La virginité est un don de la grâce; la continence, au contraire, un effort de la vertu. Ne point désirer un plaisir que l’on a éprouvé, c’est un grand combat, tandis qu’il est facile de ne point convoiter quand on ignore le fruit de la convoitise, puisque dans ce cas on n’a point à combattre le fruit de la convoitise. Comment donc se pourrait-il que Dieu n’eût accordé à l’homme rien de semblable pour l’honorer, soit parce qu’il est plus près de la Divinité, dont il est l’image, soit parce que la vertu lui est plus laborieuse? S’il n’a rien accordé à l’homme, à plus forte raison rien à la femme.
XI. Maintenant, achevons le sujet que nous avons ajourné précédemment pour entrer dans une question subsidiaire, afin de ne pas interrompre la liaison des idées. Quand nous avons établi que la définition de l’Apôtre était absolue, et que par « toute femme » il fallait entendre la femme, de quelqu’âge qu’elle fût, on pouvait me répondre de l’autre côté: Il faut donc voiler la vierge dès le moment de sa naissance et aussitôt qu’elle porte ce nom? Il n’en est |294 rien. Cette loi n’oblige que celle qui commence à se connaître, à entrer dans la marque distinctive de sa nature, à sortir de l’enfance, et à souffrir ce quelque chose de nouveau qui appartient à un autre âge. En effet, nos premiers pères, Adam et Eve, ont été nus tant qu’ils manquèrent de la connaissance de leur nature. Mais du moment qu’ils eurent goûté du fruit de l’arbre de la science, le premier sentiment qu’ils éprouvèrent fut celui de la honte. Aussi couvrirent-ils l’un et l’autre cette chair qu’ils avaient commencé de connaître.
Mais si c’est à cause des anges qu’il faut voiler la femme, il n’en faut pas douter, l’obligation du voile commencera pour elle le jour où elle peut exciter la convoitise des hommes, et devenir propre au mariage. Elle cesse d’être vierge aussitôt qu’elle peut ne l’être plus. Voilà pourquoi chez les Israélites il était défendu de marier une fille avant que sa maturité fût attestée par des signes naturels; jusqu’à ce témoignage, c’est un fruit sans maturité. Si donc elle demeure vierge tant qu’elle n’est pas propre au mariage, elle cesse d’être vierge aussitôt qu’elle est reconnue propre au mariage; alors, n’étant plus vierge, la loi lui est applicable comme le mariage.
Les fiancées ont l’exemple de Rébecca, qui, conduite à l’époux qu’elle ne connaissait pas plus qu’il ne la connaissait, à peine informée que c’était lui qu’elle avait aperçu de loin, n’attendit point qu’il lui serrât la main, qu’il lui donnât un baiser, qu’il lui rendît son salut, mais confessant ce qu’elle avait ressenti, c’est-à-dire qu’elle était déjà son épouse par l’esprit, déclara qu’elle n’était plus vierge en se voilant aussitôt. O femme qui entrait bien dans la discipline du Christ! Elle montre que le mariage, ainsi que la corruption, sont dans les yeux et dans le cœur.
Quelques-uns, il est vrai, voilent encore Rébecca. Quant aux autres, c’est-à-dire celles qui ne sont pas fiancées, qu’importent les délais des parents qui ajournent le |295 mariage, soit par indigence, soit pour trouver un parti convenable? Qu’importe le vœu même de continence? Rien ne peut empêcher l’âge de suivre son cours et de payer sa dette à la maturité. La nature qui est une seconde mère cachée, le temps un autre père que l’on ne connaît pas, ont marié une fille d’après les lois qui leur sont propres. Regardez donc votre prétendue vierge comme déjà mariée: son esprit l’est par l’attente, sa chair l’est par sa transformation: l’époux que vous lui destinez n’est que le second.
Voyez-la, en effet; sa voix s’est développée; ses membres ont acquis leur perfection; un vêtement de pudeur est jeté sur elle; chaque mois paie son tribut; soutenez encore qu’elle n’est pas femme celle qui éprouve tous les accidents de la femme. S’il est vrai que ce soit la consommation du mariage qui fasse la femme, qu’on ne les voile qu’après le mariage. Mais voilà qui est mieux. Chez les païens eux-mêmes on les conduit voilées à leurs époux. Si elles doivent être voilées aussitôt après qu’elles sont mariées, parce qu’elles sont mêlées à l’homme et de corps et d’esprit, par le baiser nuptial, par la main qu’elles ont donnée, en témoignage de la pudeur de l’esprit qu’elles résignaient; enfin par ce gage commun de la conscience en vertu duquel elles ont souscrit au complet abandon d’elles-mêmes; à plus forte raison devront-elles être soumises au voile par le temps sans lequel elles ne peuvent devenir épouses, et dont le cours, sans même attendre le mariage, les met hors du nombre des vierges. Les païens eux-mêmes observent le temps, afin de rendre, conformément aux lois de la nature, à chaque âge ses droits. Ils ont l’habitude d’employer aux affaires les femmes à douze ans, les hommes deux ans après, déterminant ainsi la puberté par les années et non par les fiançailles ou le mariage. Chez eux, une fille, toute vierge qu’elle est, peut avoir le nom de mère de famille, de même qu’un homme peut être père de famille sans être marié. Pour nous, nous n’observons |296 pas même ces lois de la nature, comme si le Dieu de la nature n’était pas le nôtre.
XII. A ces témoignages du corps et de l’esprit, reconnais donc pour femme, reconnais pour mariée celle qui les a éprouvés dans sa conscience et dans sa chair. Voilà les premières tablettes sur lesquelles la nature a gravé les fiançailles et les noces. Couvre à l’extérieur celle qui est cachée sous un voile à l’intérieur: couvre aussi la tête, puisque les parties inférieures ont aussi leur voile. Veux-tu connaître quelle est l’autorité de l’âge? Mets sous nos veux deux femmes, l’une violée avant la puberté, avec un habit de femme, l’autre demeurée vierge, quoique dans un âge assez avancé, avec son habit de vierge, nous aurons moins de peine à nier que la première soit femme, qu’à croire que la seconde soit vierge. Telle est la force de l’âge, que l’habit lui-même ne peut la déguiser.
Mais, autre considération. Celles qui refusent de se voiler confessent, en changeant de vêtement, qu’elles ont changé d’âge. Aussitôt qu’elles se reconnaissent pour femmes, elles sortent de la classe des vierges, en retirant de leur tête la marque de ce qu’elles étaient, elles disposent autrement leur coiffure, dans laquelle elles introduisent des cheveux étrangers qu’elles partagent sur le haut de leur tète avec une aiguille industrieuse, déclarant ainsi ouvertement qu’elles sont femmes. Déjà elles demandent conseil au miroir pour orner leur beauté; elles adoucissent leur peau par des essences; peut-être même la déguisent-elles sous un fard menteur; elles laissent flotter leur manteau; elles portent des chaussures de toute espèce; elles vont au bain avec un équipage plus nombreux. Enfin, pourquoi entrerais-je dans tons les détails? Leur extérieur lui seul prouve évidemment qu’elles sont femmes. Ce n’est que par la nudité de leur tête qu’elles veulent passer pour vierges, désavouant par cette marque unique l’état dont elles font profession partout ailleurs.
XIII. Si c’est à cause des hommes qu’elles adoptent |297 l’habillement des femmes, eh bien! qu’elles l’adoptent tout entier, de manière à ne paraître que voilées devant les païens. Il est bien juste qu’elles cachent dans l’église cette même virginité qu’elles cachent hors de l’église. Elles craignent les étrangers; qu’elles respectent leurs frères, ou bien qu’elles paraissent vierges dans les rues avec autant de hardiesse que dans nos églises. J’applaudirai à leur intrépidité, si elles se font gloire de leur virginité devant les païens. Au dedans et en dehors de nos églises, même nature; même liberté au dehors et devant le Seigneur pour la profession de la virginité. Pourquoi donc étaler dans l’église une perfection qu’elles ensevelissent ailleurs? Je leur en demande la raison. Est-ce pour plaire à leurs frères, ou pour plaire à Dieu lui – même? Si c’est pour plaire à Dieu, il est aussi capable de voir ce qui se pratique en secret, que juste pour récompenser ce qui se fait uniquement pour lui. Enfin il nous recommande « de ne pas publier au son de la trompette le bien que nous faisons devant lui, ni d’en attendre la récompense de la part des hommes. » Que s’il nous est défendu de donner un denier (1), « ou la moindre aumône sans la cacher à notre main gauche, » que de ténèbres nous devons répandre sur l’offrande que nous faisons à Dieu de notre corps et de notre esprit, puisque c’est toute notre nature elle-même que nous lui consacrons! Conséquemment, une chose qui ne peut paraître faite pour plaire à Dieu, puisqu’elle ne se fait pas comme Dieu le demande, ne peut être faite qu’en vue des hommes. Par là même elle devient illicite, comme entachée de vaine gloire; car la vaine gloire est défendue à ceux dont tout le mérite réside dans l’humilité. Si la continence est un don de Dieu, « |298 pourquoi vous en glorifier, comme si ce n’était pas un don que vous ayez reçu? Si vous ne l’avez point reçu, qu’avez-vous qui ne vous ait été donné? » La meilleure preuve que vous n’avez point reçu de Dieu la virginité, c’est que vous ne la consacrez pas tout entière à Dieu seul. Examinons par conséquent si ce qui vient de l’homme est solide et véritable.
XIV. La première fois que cette question commença de s’agiter, l’une d’entre elles, dit-on, fit cette demande: Comment donc persuaderons-nous aux autres la pratique de cette vertu? Comme si c’était le nombre qui nous rendit heureux, et non la grâce de Dieu et les mérites de chacun. Sont-ce les vierges qui honorent et recommandent l’Eglise devant Dieu? ou bien est-ce l’Eglise qui honore et recommande les vierges? Celle qui proposait cette demande avoua donc que la gloire faisait les vierges. Or, avec la gloire arrive l’inquiétude; avec l’inquiétude, la contrainte; avec la contrainte, la nécessité; avec la nécessité, la faiblesse. C’est donc à bon droit qu’évitant de se voiler la tête, pour se livrer à toutes les sollicitudes de la vaine gloire, elles sont réduites à cacher leur honte, parce que leur faiblesse a succombé. Car c’est la vanité, mais non la religion, qui leur inspire les dehors de la virginité: quelquefois même « leur ventre et leur dieu, » parce qu’elles savent que l’assemblée de nos frères soulage volontiers les vierges. Elles ne se contentent pas de faillir: elles traînent après elles une longue suite de prévarications. Car une fois exposées aux regards publics, enorgueillies de ces marques d’honneur, et comblées par leurs frères de tous les témoignages de respect et de charité, si elles viennent à faillir, elles savent bien qu’à moins de se cacher, elles vont recueillir autant de honte que tout à l’heure de respect. Si on assigne à la virginité le privilége d’avoir la tête découverte, dès qu’une vierge sera infidèle à la grâce de la virginité, elle restera sans voiler sa tête, de peur de trahir son déshonneur. Qu’arrive-t-il alors? elle se montre |299 sous un extérieur qui ne lui appartient pas, c’est-à-dire sous la marque distinctive de la virginité. Elle demeure néanmoins sous cet extérieur, qui lui est au moins étranger, de peur de faire connaître son crime en changeant de dehors. Puis, les voilà, elle et ses pareilles, qui, ne sachant que trop bien qu’elles sont souillées, osent s’approcher de Dieu la tête découverte.
Mais le Seigneur qui a dit en Dieu jaloux: « Il n’y a rien de caché qui ne se découvre à la fin, » permet que les désordres de la plupart éclatent au grand jour. Car elles ne les confesseront jamais que trahies par les vagissements de leurs enfants. Si on en reconnaît plusieurs par ces témoignages, ne peut-on pas les soupçonner de plus grands crimes encore? Je le dirai, quoique malgré moi, il est difficile qu’une fille devienne femme une fois, quand elle ne craint pas de le devenir, et que l’étant devenue, elle peut feindre la virginité jusque devant Dieu. Quels horribles attentats elle se permettra contre son sein, de peur d’être surprise dans la maternité! Dieu sait combien d’enfants seraient venus à la lumière parfaits et entiers, si leurs mères n’avaient longtemps combattu pour les étouffer. Ces sortes de vierges conçoivent facilement et accouchent sans peine, mais d’enfants semblables à leurs pères. Voilà les crimes qui naissent d’une virginité contrainte et involontaire.
Le désir lui-même de paraître est déjà une violation de la pudeur, et le soin de plaire aux hommes, conséquemment, renferme en soi quelque chose qui n’est pas d’une vierge. Que son intention soit pure, je vous l’accorde; toutefois est-il qu’en se montrant, elle court nécessairement des dangers lorsqu’elle est frappée par cette multitude de regards, lorsque tous ces doigts qui la montrent chatouillent son orgueil, lorsqu’elle excite des transports immodérés, lorsqu’elle prend feu au milieu des baisers et des embrassements répétés de ses frères. Ainsi le front s’endurcit; ainsi la pudeur s’affaiblit peu à peu; ainsi l’on |300 tombe dans la dissolution; ainsi l’on apprend à désirer de plaire autrement.
XV. Mais que dis-je? La virginité quand elle est véri table, pure, entière, ne redoute rien plus qu’elle-même. Elle ne veut pas même endurer le regard des femmes, car ses regards à elle sont bien différents. Elle a recours au voile comme à un casque, comme à un bouclier, afin qu’il l’aide à protéger son trésor contre les attaques de la tentation, contre les traits du scandale, contre les soupçons, contre les secrètes médisances, contre la jalousie, contre l’envie elle-même. Il est chez les païens une opération formidable, la fascination (2), qui tue par la louange et par la vaine gloire. Nous l’attribuons quelquefois au démon, parce que la haine du bien est son domaine; quelquefois aussi nous l’attribuons à Dieu, parce que c’est Dieu qui juge l’orgueil, « en élevant le cœur humble et en abaissant le superbe. » La vierge pure craindra donc, ne fût-ce qu’à titre de fascination, d’un côté l’ennemi, de l’autre Dieu; d’un côté la malice qui porte envie, de l’autre la lumière du juge: elle se réjouira de n’être connue que d’elle seule et de Dieu. Tant qu’elle ne sera connue que de lui, elle aura sagement fermé la porte à toutes les tentations. Qui osera, en effet, fatiguer de ses regards un visage caché, un visage insensible, un visage enfin qui, pour ainsi parler, n’a rien que de triste. Toutes les mauvaises pensées viendront se briser contre cette sainte sévérité. Enfin, c’est s’élever au-dessus de son sexe que d’être vierge en cachant sa virginité.
XVI. Ainsi notre sentiment s’appuie sur l’Ecriture, sur la nature, sur la discipline. L’Ecriture établit la loi; la nature la justifie; la discipline la commande. Contre tant |301 d’autorités, que peut la force de la coutume? ou quel est le prétexte du sentiment contraire? Ecriture, nature, discipline, tout émane du même Dieu: tout ce qui leur est opposé ne vient pas de Dieu. L’Ecriture est-elle obscure? le témoignage de la nature est manifeste: avec son témoignage, les obscurités de l’Ecriture disparaissent. Doutez-vous encore après le témoignage de la nature? La discipline montre clairement ce qu’il y a de plus agréable à Dieu. Rien qui lui soit plus cher que l’humilité; rien qui lui plaise autant que la modestie; rien qu’il haïsse plus que la vanité et le soin de plaire aux hommes. Par conséquent, que tout ce que vous trouvez établi par Dieu soit pour vous l’Ecriture, la nature et la discipline, puisqu’il vous est ordonné « d’examiner et de suivre le parti le meilleur. »
Il nous reste maintenant à nous adresser aux femmes elles-mêmes pour qu’elles reçoivent plus volontiers ces conseils. Qui que vous soyez, mère, sœur, fille, épouse, n’importe l’âge et l’état, voilez votre tête; mère, à cause de vos enfants; sœur, à cause de vos frères; fille, à cause de votre père. Point d’âge que vous ne mettiez en péril: revêtez-vous des armes de la pudeur; dressez devant vous le rempart de la modestie; environnez enfin votre personne d’une muraille qui arrête vos propres regards ainsi que les regards d’autrui. Restez fidèle à l’extérieur de la femme, pour conserver votre virginité; déguisez quelques-uns de vos trésors intérieurs, pour ne montrer la vérité qu’à Dieu seul; ou, pour mieux dire, vous ne mentez pas en passant pour épouse: vous êtes l’épouse du Christ; c’est à lui que vous avez livré votre chair; à lui que vous avez fiancé la maturité de votre âge. Marchez donc telle que le veut votre époux. C’est le Christ qui veut que les épouses et les fiancées des hommes soient voilées: exigera-t-il moins des siennes?
XVII. Mais nous vous exhortons aussi, vous qui êtes mariées, et qui avez à pratiquer une autre chasteté, ne vous affranchissez jamais de la discipline du voile, pas |302 même un seul moment. Mais surtout n’allez pas le détruire parce que vous ne pouvez le quitter, en ne vous montrant ni tout-à-fait voilées, ni tout-à-fait découvertes. Car il en est qui se lient la tête plutôt qu’elles ne la couvrent avec des mitres ou bandelettes qui leur cachent le front, il est vrai, mais qui laissent à découvert la tête proprement dite. D’autres, de peur sans doute de la trop charger, se couvrent la tête avec une coiffure légère, qui ne descend pas même jusqu’aux oreilles et ne cache que le sommet, de la tête. J’ai pitié d’elles, si elles ont l’ouïe assez dure pour ne pas entendre à travers un voile. Mais qu’elles le sachent bien: la femme tout entière n’est que tête. Les limites du voile finissent là où commence le vêtement; tout l’espace que peuvent occuper les cheveux, ils doivent le remplir et envelopper les épaules; car ce sont les épaules qui doivent être soumises; c’est à cause d’elles que « la femme porte sur sa tête la marque de sa sujétion. » Le voile est le joug des femmes.
Les femmes de l’Arabie, toutes païennes qu’elles sont, vous serviront de juges; elles qui, non contentes de se voiler la tête, se couvrent aussi le visage tout entier, de sorte que, ne laissant d’ouverture que pour un œil, elles animent mieux renoncer à la moitié de la lumière, que de prostituer leur visage tout entier. Là, une femme aime mieux voir que d’être vue. Voilà pourquoi une reine de Rome (3) les déclarait très-malheureuses, de pouvoir aimer plus qu’elles ne peuvent être aimées, quoiqu’il soit permis de dire qu’elles sont heureuses, en ce qu’elles sont exemptes d’un autre malheur plus commun, parce que les femmes d’ordinaire peuvent être aimées plus qu’elles ne sont capables d’aimer. La modestie, imposée par cette discipline païenne, est plus pure, et pour ainsi dire, plus barbare que la nôtre.
Dieu a bien voulu nous déterminer aussi par ses |303 révélations la grandeur du voile. Il arriva qu’un ange, apparaissant en songe à l’une de nos sœurs, frappait sur ses épaules, en même temps qu’il en louait la beauté: « Merveilleuses épaules, disait-il, et qui méritent bien d’être nues! Il est bon que vous soyez couverte depuis la tête jusqu’aux reins, de peur que cette nudité de vos épaules ne vous devienne funeste. Ce qui est dit à l’une s’adresse à toutes les autres. » Mais quel châtiment ne mériteront point celles qui demeurent découvertes pendant le chant des psaumes, ou bien lorsque l’on parle de Dieu? Celles qui, durant la prière, se contentent de placer sur le haut de leur tête quelque bande, quelque filet ou une simple toile, se croiront-elles véritablement voilées? Il faut que, selon elles, leur tête soit bien peu de chose. D’autres, tout en portant un voile plus étendu que ces bandes ou ces rubans, n’abusent pas moins de leur tête, semblables à cet oiseau qui, tout ailé qu’il est, semble plutôt approcher des animaux terrestres, ayant une petite tête emmanchée d’un long cou, et que du reste il porte toujours fort droite. On dit que, quand il veut se cacher, il plonge sa tête tout entière dans des broussailles, mais qu’il laisse tout le corps à découvert. Ainsi en sûreté pour sa tête, mais à découvert dans la partie de lui-même la plus remarquable, il se fait prendre tout entier. Il en sera de même de ces femmes qui couvrent moins qu’il n’est utile. Il faut donc qu’en tout temps, en tout lieu, elles se souviennent de cette loi, toujours prêtes et disposées à entendre parler de Dieu. S’il est au fond de leur cœur, on le reconnaîtra facilement à leur tête. Que la paix et la grâce de notre Seigneur Jésus soient avec ceux qui préfèrent la vérité à la coutume, et qui liront ceci avec un esprit de paix et de douceur! Quelles soient aussi avec Septimius Tertullien, auteur de cet opuscule!