Rapport d’Ambassade de Louis de Chénier, 1787 : Tanger : histoire et commerce anglais

Tanger, dans la province du Garb, est à environ dix lieues de la rade de Tétuan, à l’embouchure occidentale du détroit. Cette place, qui a été occupée par les Romains & pr.r les Goths, fut atiSî abando.mee aux Mahométans par le Comte Julien ; les Portugais la prirent en 1471 ; elle fut donnée en 1662 á Charles deux, Roi d’Angleterre , pour la dot da la Princesse Catherine de Portugal. Les Anglois l’ont enfuite abandonnée en 1694, après en avoir détruit le mole & les fortifications. Cette Ville, presque ruinée, a encore quelques batteries, assez en ordre, en face de la baie, mais elles résisteraient difficilement à une attaque un peu obstinée. Au fonds de la baie, du côté de l’est, vis-à-vis des ruines du vieux Tanger, est l’embouchure de la rivière où l’Empereur faisait hiverner ses galiotes, mais l’ensablement de la Passe rend aujourd’hui cette rivière inutile.
La position de la baie de Tanger a été et sera toujours favorable à la piraterie des Maures, qui, dans le plus rétréci du détroit, peuvent, avec facilité surprendre les navires marchands qui ne seraient pas en état de se défendre.
La ville de Tanger n’est susceptible d’aucun commerce, n’y ayant que peu de productions dans les environs. Les Espagnols en retiraient des volailles & quelques légumes, & les Anglois en retirent aussi des rafraîchissement pour Gibraltar.
La baie de Tanger n’est pas bien sûre quand les vents soufflent dans la partie de l’ouest; ayant été comblée par les débris du mole & des fortifications, on est exposé à raguer ses cables & a être entraîné sur la plage. Le mouillage le plus sûr pour les frégates & pour les gros navires est à la pointe de l’est, d’où l’on peut mettre à la voile avec facilité, de quelque côté que les vents sortent; cette baie du reste n’est dangereuse qu’en hiver.
À l’ouest de Tanger se trouve le Cap Spartel, qu’il faut doubler pour aller à Argile, qui n’est qu’à 5 lieues de Tanger. Cette place bâtie sur l’embouchure d’une rivière, est habitée par des Maures et des Juifs qui ne font aucun commerce. Arzille fut occupée anciennement par une colonie Romaine , elle passa, de-là, sous la domination des Goths , et fut prise ensuite par les Mahométans ; Alphonse de Portugal, s’en empara en 1471, les Portugais l’ont abandonné à la fin du XVIè siècle.
[…]
L’Angleterre est la première puissance qui ait signée, avec les Empereurs de Maroc, des traités d’amitié & de commerce. Maîtresse de Tanger, que la Cour de Portugal lui céda en i66z , elle éprouva de tems en tems l’inquiétude des Maures , qu’elle dissimula, & fit même des sacrifices, pour pouvoir entretenir, avec plus de sacilité , la garnison de cette place , qui, par son éloignement, devint enfin un sardeau pour la nation. Comme l’Angleterre avoit déjà un commerce maritime assez étendu, elle fit à Muley ísmaèl, en 167Ç , des infinuations de paix, qui, par les bizarreries & les contradictions de ce Prince, n’eurent aucun succès. Elle sut cependant conclue ^our quatre ans-, en 1681 ; mais cette trêve n’arriva pas à son terme : le Prince Maure prétendit que la paix n’ayant été saite qu’avec la garnison de Tanger, elle ne s’étendoit pas sur rimmunité du pavillon Britannique. Gette distinction , particulière à un climat consacré à la mauvaise soi, fit intervenir dés explications; Muley Ismaël envoya des Ambassadeurs á Londres au commencement du siècle; cè sut un prétexte à de nouveaux présens , &- le traité de paix sirt enfin’renouvellé avec Georgepremier. Après la mort de Muley Iímaël, ce traité sut confirmé , & renouvelle, en 172,8 , par Muley Achmet Dabi, & peu de teths après par Muley Abdallah.
La navigation & le commerce immense des Anglois, étoit un motis assez intéressant pour Iefi engager à ménager leur paix avec l’Empereur de Maroc ; ils y surent encore incités par un motif politique, pour pouvoir approvisionner & rasiaî. chir plus sacilement la place de Gibraltar , qui y depuis le commencement du siècle, étoit en leur pouvoir. Sidi Mahomet, plus clairvoyant que ses prédécesseurs, a tiré tout le parti possible de cette position délicate; & la nation Angloise, fière, jalouse , & toujours prête à s’offenser, a dissimulé & dissitmúe encore toutes les inégalités que s esprit d’intérêt lui sait éprouver de la part de la Cour de Maroc.
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Ce fut à-peu-près dans çes circonstances, que ïe Parlement Anglois, dégoûté de l’enrretien de Tanger, dont l’Angleterre avoit compté de retirer bien des avantages, & qui ne fut qu’un fardeau pour elle, résolut d’abandonner cette place. Es conséquence, les Anglois, en 1684, en retirèrent la garnison & l’artillerie, & firent fauter le mole & les sortifications que Charles deux avoit fait construire. L’abandon de cette place fut nn triomphe pour Muley Ismaël, qui affecta de croire que les Anglois la lui avoient rendue par respect pour ses armes.
Ce Prince, enorgueilli de la conquête de la, Mamore & de l’abandon de Tanger, se disposa, en 1687, à saire le siège de TArrache. Après avoir sait les préparatiss nécessaires , il se présenta devant cette place l’année d’après , il fTt établir des batteries du côté du sud, & la bloqua du côté de terre. Cette Ville, après avoir réíiste pendant cinq mois, se rendit enfin en 16X9 ; il paroît que la garnison resta au pouvoir de Muley Ismaël, & quelle sut échangée à raison de dix Maures pour un Chrétien.