Comme Genzon était déjà mort, Honoric, l’aîné des enfants survivant de Genséric, lui succéda sur le trône. Tout le temps qu’Honoric régna sur les Vandales, ils n’eurent d’autre guerre à soutenir que celle des Maures. Ces peuples étaient demeurés en repos durant la vie de Genséric, contenus par la crainte que leur inspirait sa puissance; mais à peine fut-il mort, qu’il s’éleva entre eux et les Vandales une guerre cruelle, où les deux peuples souffrirent tour à tour.
Honoric exerça des injustices et des violences horribles contre les chrétiens d’Afrique. Comme il voulait les contraindre à embrasser la secte des ariens, ceux qu’il trouvait peu disposés à lui obéir, il les faisait périr par le feu ou par d’autres supplices non moins cruels. Il fit couper la langue tout entière à plusieurs d’entre eux, qu’on a vus de notre temps à Constantinople parler très distinctement, et sans être gênés par l’absence de l’organe qu’ils avaient perdu. Il y en eut deux cependant qui perdirent la parole, pour avoir eu commerce avec des femmes débauchées.
Honoric, après huit ans de règne, mourut de maladie, au moment où les Maures du mont Aurès venaient de se détacher des Vandales et de se déclarer indépendants. (Le mont Aurès est situé, dans la Numidie, à 13 journées de Carthage, et s’étend du Nord au Sud) Depuis, les Vandales ne purent jamais les soumettre, les pentes abruptes et escarpées de ces montagnes les empêchant d’y porter la guerre.
2. Après la mort d’Honoric, Gondamond, fils de Genzon, parvint au trône des Vandales […] Il fit souvent la guerre aux Maures; plus souvent encore, il soumit les chrétiens à des supplices atroces. […] et eut pour successeur son frère Trasamond, […] Celui-ci engagea aussi les chrétiens à abjurer la religion de leurs ancêtres, non pas, comme ses prédécesseurs, par le fouet et les tortures, mais en distribuant les honneurs, des richesses, des dignités à ceux qui changeaient de religion. […] Ce fut cependant sous son règne que les Vandales éprouvèrent, en combattant les Maures, le plus rude échec qu’ils aient jamais essuyé.
3. Les Maures qui habitent aux environs de Tripoli avaient pour chef un prince très expérimenté dans la guerre et plein de sagacité, nommé Gabaon.
Ce prince, instruit d’avance de l’expédition que préparaient contre lui les Vandales, se conduisit de cette manière: Il commença par ordonner à ses sujets de s’abstenir non-seulement de toute espèce de crimes, mais de tous les aliments propres à amollir le courage, et surtout de l’usage des femmes.
Il construisit ensuite deux camps fortifiés, dans l’un desquels il se plaça avec tous les hommes ; il mit les femmes dans l’autre camp, et prononça la peine de mort contre ceux qui oseraient pénétrer dans cette enceinte.
Cela fait, il envoya des espions à Carthage, et leur commanda d’observer les profanations que les Vandales, en marchant contre lui, exerceraient dans les temples révérés des chrétiens; et quand ceux-ci auraient repris leur route, d’entrer dans ces lieux sacrés, et d’y tenir une conduite tout à fait opposée.
On prétend même qu’il dit « qui il ne connaissait point le Dieu qu’adoraient les chrétiens, mais que puisqu’il avait une puissance infinie, comme on l’assurait, il était bien juste qu’il châtiât ceux qui l’outrageaient, et qu’il protégeât ceux qui lui rendaient des honneurs. »
Quand les espions furent arrivés à Carthage, ils examinèrent à loisir les préparatifs des Vandales ; et lorsque leur armée se fut mise en marche vers Tripoli, ils la suivirent, revêtus de vêtements très simples. Dès le premier campement, les Vandales logèrent dans les églises leurs chevaux et leurs bêtes de somme, et, s’abandonnant à une licence effrénée, troublèrent les saints lieux de toute sorte d’outrages et de profanations. Ils accablaient de soufflets et de coups de bâton les prêtres qui tombaient entre leurs mains, et leur imposaient les services réservés ordinairement aux plus vils esclaves. Après le départ des Vandales, les espions de Gabaon s’acquittent exactement de ce qui leur avait été prescrit. Ils nettoyaient les églises, balayaient avec soin et transportaient au dehors le fumier et tout ce qui était de nature à profaner le lieu saint, allumaient toutes les lampes, s’inclinaient respectueusement devant les prêtres, et leur donnaient des marques de bienveillance et d’affection; enfin ils distribuaient des pièces d’argent aux pauvres qui étaient assis autour de l’église.
Ils suivirent ainsi l’armée des Vandales, expiant partout les profanations commises par ces barbares. Ceux-ci étaient arrivés assez près des Maures, lorsque les espions, les ayant devancés, allèrent rapporter à Gabaon les sacrilèges que les Vandales s’étaient permis dans les temples chrétiens, et ce qu’ils avaient fait eux-mêmes pour les réparer ; ils ajoutèrent que l’ennemi était à peu de distance. Gabaon, à cette nouvelle, se prépare au combat.
Il trace une ligne circulaire dans la plaine où il avait dessein de se retrancher. Sur cette ligne il dispose obliquement ses chameaux, et en forme une sorte de palissade vivante qui, du côté opposé à l’ennemi, était composée de douze chameaux de profondeur.
Au centre il plaça les enfants, les femmes, les vieillards, et la caisse de l’armée.
Quant aux hommes en état de combattre, il les place, couverts de leurs boucliers, sous le ventre des chameaux.
L’armée des Maures étant rangée dans cet ordre, les Vandales ne surent comment s’y prendre pour l’attaquer; car ils n’étaient accoutumés ni à combattre à pied, ni à tirer de l’arc, ni à lancer des javelots. Ils étaient tous cavaliers, et ne se servaient guère que de la lance et de l’épée. Ils ne pouvaient donc, de loin, causer aucun dommage à l’ennemi, ni faire approcher des Maures leurs chevaux, que l’aspect et l’odeur des chameaux remplissaient d’épouvante. Pendant ce temps-là les Maures, qui, à couvert sous leur rempart vivant, lançaient une grêle de traits, ajustaient à leur aise et abattaient les chevaux et les cavaliers, qui, de plus, avaient le désavantage de combattre très serrés. Les Vandales prirent la fuite, et les Maures, s’élançant hors de leur retranchement, en tuèrent un grand nombre, en firent beaucoup prisonniers, et de cette nombreuse armée il ne retourna dans leur pays qu’un fort petit nombre de soldats. C’est ainsi que les Maures défirent les Vandales sous le règne de Trasamond, qui mourut après avoir occupé le trône pendant 27 ans.