Philippe III de Habsburg, Edit d’Expulsion des "Nouveaux Chrétiens Morisques" de Grenade, Murcie et Andalousie, 9/12/1609

Edit d’Expulsion des Morisques de Grenade, Murcie et Andalousie, 9/12/1609

 

Le roi, parce que la raison oblige en conscience le bon et chrétien gouvernement d’expulser et chasser de tous Royaumes et Républiques les choses qui y causent scandale et portent dommage aux bons sujets, et danger à l’Etat, et surtout qui offensent Dieu notre Seigneur, et sont préjudiciables à son Service.

A cette cause, l’expérience ayant montré que la résidence des nouveaux Chrétiens les Morisques et leur demeure aux Royaumes de Grenade, Murcie et Andalousie, a causé tous ces inconvénients : parce qu’outre la façon de procéder de ceux qui s’accordèrent en le soulèvement dudit Royaume de Grenade, laquelle commença par d’atroces meurtres et tueries, de tous les Prêtres et Vieux Chrétiens qu’ils purent attraper de ceux qui vivaient parmi eux, appelant le Turc à leur secours et aide.

Et les ayant tirés dudit Royaume et permis de demeurer en nos autres Royaumes, moyennant qu’ils se repentissent de leurs fautes et vécussent fidèlement et chrétiennement, selon les préceptes et justes ordonnances qu’on leur donna.

Non seulement ils ne les ont ni respectés ni accomplis, suivant les obligations de notre sainte Foi : ainsi ont-ils toujours montré avoir pour icelle un grand mépris et n’avoir jamais craint d’offenser Dieu notre Seigneur, comme a été vu par la multitude de ceux qui ont été châtié par et punis par le Saint Office de l’Inquisition.

Outre cela, qu’ils ont commis plusieurs larcins et meurtres contre les Vieux Chrétiens. Et non contents de cela, ont voulu conspirer contre la royale Couronne et mes Royaumes, recherchant l’aide et le secours du Turc, allant et venant des personnes par eux envoyées à cet effet, et faisant le même envers d’autres Princes, desquels ils se promettaient aide & secours. Leur offrant leurs personne & moyen.

Et puis que durant tant d’années qu’ils trament ces trahisons & conspirations, aucun d’eux n’est venu à les révéler, ainsi les ont toujours couvertes, cachées & niées. C‘est un signe très évident que tous ont été de même opinion & volonté contre le service de Dieu et le mien, & contre le bien de ces Royaumes encore qu’ils aient pu imiter plusieurs Chevaliers des leurs de généreuse extraction, qui ont fait service à Dieu, & à nos Seigneurs les Rois nos prédécesseurs, & à moi, comme bons Chrétiens, & vassaux très loyaux.

Considérant donc tout ce que dit,  m’obligea donc d’y mettre ordre & remède, de se procurer la conservation & augmentation de mes Royaumes & sujets, & désirant pourvoir au tout, j’ai arrêté avec l’avis & conseil de plusieurs hommes doctes, & d’autres personnes fort Chrétiens, prudents et jaloux du service de Dieu & du mien, de chasser desdits Royaumes de Grenade, Murcie et Andalousie, et de la ville d’Hernache (encore que ce soit hors les limites desdits Royaumes) tous les Nouveaux Chrétiens Morisques qui sont en iceux, tant hommes que femmes & enfants.

Car comme quand quelque grand & détestable crime se commet en quelque Collège ou Communautéil est raisonnable que tel Collège ou Communauté soit détruit ou perdu, & que les petits pour les grands, & les uns & les autres soient punis. Et que ceux qui pervertissent la bonne & sincère vie des Republiques & de leurs Villages & Cités, soient chassés loin des autres habitants, afin que leur contagion ne se prenne & gâte les autres:

A ceste cause en vertu des présentes, j’ordonne et commande que tous les Nouveaux Chrétiens Morisques, sans en excepter aucun de ceux qui vivent & sont résidents auxdits Royaumes de Grenade, Murcie, Andalousie, & ladite ville d’Hernache, tant hommes que femmes, de quelques âges qu’ils soient, tant naturels que non naturels, qui en quelque manière ou pour quelque cause que ce soit sont venus & demeurent susdits lieux, excepté ceux qui sont esclaves, sortent dans les 30 jours premiers suivants, qui se compteront en jour de la publication des présentes, de tous ces tiens Royaumes & Seigneuries d’Espagne avec leurs enfants & filles, serviteurs & servantes, et autres leurs domestiques de leur nation, tant grands que petits et qu’ils ne soient si hardis de retourner ou demeurer en iceux, ni en aucun endroit or partie d’iceux de résidence ni de passage ni en aucune autre manière quelconque.

Et leur prohibe & défends de sortir par les Royaumes de Valence ou d’Aragon, ni d’entrer en iceux, sur peine que s’ils le font & n’accomplissent pas, de la sorte, ce que dit est ; & s’ils font trouvés en mesdits Royaumes & Seigneuries en quelque sorte & manière que ce soit passé ledit terme, ils encourront la peine de mort, et confiscation de tous leurs biens pour l’effet que j’ordonnerai y les appliquer. Lesquelles peines ils encourront pour le même fait, sans autre figure de procès, sentence, ni déclaration.

Et prohibe & commande, qu’aucune personne de tous mes Royaumes et Seigneuries, y étant & y habitant, de quelque Etat, qualité, prééminence, & condition qu’ils soient, qu’ils ne soient si hardis de recevoir, ni receler, recueillir, ni défendre publiquement, ni secrètement, homme ou femme Morisque, passé ledit terme, & ce pour toujours & à jamais, en leurs terres, maisons, ni autre lieu quelconque, sur peine de perdition de tous leurs biens, vassaux. Forteresses, & autres, & en outre de perdre toutes & chacune des grâces & bienfaits qu’ils ont de moi, applicables ma chambre & fisc.

Et encore que équitablement j’eusse pu confisquer & appliquer à mon domaine tous les biens meubles & immeubles desdits Morisques, comme biens de profiteurs, criminels de lèse-Majesté divine & humaine et toutefois usant de clémence envers eux, il me plait, que pendant & durant ledit temps de 30 jours, ils puissent disposer de leurs biens, meubles, et choses mobilières et les emporter, non en monnaie, or, argent, joyaux, ni lettres de change, mais en marchandises qui ne soient pas prohibées, achetées des naturels de ces Royaumes, & non d’autres, ou en fruits desdits Royaumes.

Et afin qu’iceux Morisques puissent durant ledit temps de 30 jours disposer d’eux, & de leurs biens,  meubles, & choses nobiliaires, & faire emploi d’iceux en marchandises et comme dit est en fruits de ladite terre, & emporter celles qu’ils achèteront excepté que pour les immeubles faut qu’ils demeurent pour mon domaine, & pour les appliquer à l’œuvre du service de Dieu, & bien public, selon que mieux me semblera être convenable.

Je déclare par ces présentes, que je les prends & reçois sous ma protection & sauvegarde Royale, & les assure eux & leurs biens, à ce que pendant ledit temps ils puissent aller & venir, & être assurés pour vendre, troquer, & aliéner tous leurs susdits biens, meubles, & choses mobilières, & employer la monnaie, or, argent, & joyaux comme dit est en marchandises non défendues & achetées des naturels de ces Royaumes, & fruits d’iceux, & emporter avec eux lesdites marchandises & fruits, librement, & à leur volonté, sans que pendant ledit temps leur soit fait ni donné aucun mal ni dommage en leurs personnes, ni biens contre Justice, sur les peines en quoi encourent ceux qui rompent la sauvegarde Royale.

Et tout de même donne permission & faculté aux susdits Morisques qu’ils puissent emporter avec eux de mesdits Royaumes & Seigneuries lesdites marchandises & fruits, tant par mer, que par terre payant les droits accoutumés avec ce que (comme dessus est dit) qu’ils ne retirent or, ni argent monnayé, ou à monnayer, ni autres choses défendues par les lois de ces miens Royaumes, en espèce, ni par change, sauf lesdites marchandises & fruits, qui ne soient choses défendues.

Toutefois leurs permets bien qu’ils puissent emporter l’argent qu’ils auront besoin pour leur passage et transport qu’ils auront à faire par terre, comme aussi pour leur embarquement par mer. Et commande à toutes les justices de cesdits miens Royaumes, & à mes Capitaines Généraux de mes galères, & armées de haut bord, qu’ils fassent garder & accomplir tout le contenu ci-dessus. Et que non seulement ils ne contreviennent pas à cela, mais encore qu’ils y donnent & apportent bonne & bref exécution, & toute faveur & aide que besoin sera, sur peine de privation de leurs Offices, & confiscation de le leurs biens.

Et commande que cette mienne commission & tout le contenu en icelle ils fassent publier publiquement ; afin qu’icelle vienne à la notice de tous, & que personne n’en puisse prétendre cause d’ignorance- Donné à Madrid le 9 Décembre 1609. Signé : Le Roi