Nous avons donné, dans le premier volume de cet ouvrage, en traitant des îles, une description exacte de la Sicile, des rivières et des fontaines qui l’arrosent, des fruits, des arbres, des plantes, des fourrages qu’on y trouve, et des villes les plus célèbres qu’elle renferme. Nous allons maintenant l’envisager sous un point de vue différent.
-v. 675 : ‘Abd Allah b. Qays al-Fazari fut le premier Musulman qui fit une descente en Sicile, où il fut envoyé de la province d’Afrique par Mu’awiya ibn Khudayj, sous le califat de Mu’awiya b. Abî Sufyân. Il s’empara de plusieurs villes, fit beaucoup de prisonniers et emporta un grand butin parmi lequel étaient des idoles d’or et d’argent ornées de perles. Abd Allah les porta au calife Mu’awiya qui les envoya dans l’Inde pour en tirer un plus grand prix, attendu l’aversion des Musulmans pour ces sortes d’images.
-v. 710 : Muhammad b. Abî Idris al-Ansari fit une seconde descente en Sicile, sous le califat de Yazîd b. ‘Abd al-Malik. Il en revint pareillement chargé de butin et emmenant avec lui beaucoup de prisonniers.
-v. 725 : La troisième descente se fit sous le califat de Hisham b. ‘Abd al-Malik. Bashar b. Safwan al-Kalbi la commandait ; elle eut le même succès que les précédentes.
-740 : Habib ibn Abî ‘Ubayda fit encore une descente en Sicile, l’an 122/740. Son fils, Abd al-Rahman, qui commandait la cavalerie, mit en fuite tous ceux qui se présentèrent devant lui, et s’avança jusqu’à Syracuse, qui était la capitale. Les ennemis l’ayant attaqué en cet endroit, il les battit, les poursuivit jusqu’à la porte de la ville, et la frappa si rudement de son épée que les traces du coup y restèrent. Les Chrétiens, saisis de frayeur, consentirent à lui payer une contribution. Dès qu’il l’eût reçue, il s”en alla rejoindre son père, et ils retournèrent en Afrique.
-748 :Abd al-Rahman revint en Sicile, l’an de l’hégire 130/748, et y remporta plusieurs victoires. Les gouverneurs de la province d’Afrique furent ensuite occupés à apaiser les séditions qui s’élevèrent dans leur pays, et la Sicile demeura tranquille. Pendant ce temps-là les Grecs la fortifièrent de tous côtés. Ils y bâtirent des forteresses; et il n’y eut point de montagne sur laquelle on ne construisit un château.
-816 : L’an de l’hégire 201/816, l’empereur de Constantinople donna le gouvernement de la Sicile à un patrice, surnommé Souda (Photin ?). Celui-ci ayant équipé une flotte l’envoya en Afrique, sous le commandement de Euphémius (Euphemios), un des principaux patrices, qui enleva les marchands qu’il trouva dans plusieurs parages.
-827-828 :
Quelque temps après, l’empereur de Constantinople écrivit au gouverneur de Sicile d’ôter à Euphémius son commandement, et de le punir pour certaines choses qu’il avait apprises sur son compte. Euphémius en ayant eu avis, se rendit à Syracuse, s’empara de la ville et se révolta ouvertement.
Le gouverneur marcha contre lui; on en vint aux mains : Euphémius remporta la victoire, et le gouverneur fut tué sur le champ de bataille. Après cet avantage, Euphémius se fit proclamer roi, et donna le gouvernement d’une partie de l’île à un nommé Platha, « non-arabe des Alamans », du nombre de ceux qui avaient embrassé son parti : celui-ci s’étant ensuite révolté contre lui, il se donna une bataille dans laquelle l’armée de Euphémius fut mis en fuite ; mille de ses gens périrent, et le vainqueur entra dans Syracuse. Alors Euphémius s’embarqua avec ceux qui l’accompagnaient, et se rendit en Afrique auprès de Ziadat Allah b. Ibrahim ibn al-Aghlab (817-58), pour lui demander du secours.
Ziadet ayant fait assembler les principaux de Cairouan et les Faqih, les consulta sur le projet d’envoyer une flotte en Sicile. Quelques-uns étaient d’avis de piller seulement l’île sans s’y établir.
Sahyûn b. Qadim demanda à quelle distance elle était du continent qui appartenait aux Rûms ? on lui répondit qu’on pouvait y aller et en revenir 2 ou 3 fois par jour. Il demanda ensuite à quelle distance elle était de l’Afrique ? on lui répondit que le trajet était d’1 jour et d’1 nuit. Alors, il s’écria :
« Quand je serais oiseau je n’y volerais pas. »
Tous ceux qui restaient conseillèrent de faire seulement une descente. On s’y prépara avec ardeur, et chacun en attendait le moment avec impatience. Dans le même temps, Euphémius reçut ordre du roi de se rendre au port de Susa, et d’y rester jusqu’à ce qu’on eut rassemblé des vaisseaux et des soldats. La flotte étant prête, le cadi Assad ibn Ferat en eut le commandement. Elle partit du port de Sousa, composée d’environ 100 vaisseaux sans compter ceux de Fimi, le [15 juin 827] sous le califat d’al-Mamûn, et arriva à Mazara la troisième férie. Le général fit aussitôt débarquer ses troupes qui montaient à 10 000 hommes d’infanterie et 700 chevaux.
Trois jours se passèrent pendant lesquels on ne vit paraître qu’un petit corps de Rûms, qui fut pris d’abord et relâché ensuite, parce qu’il était composé des amis de Fimi. Le cadi Assad marcha vers Taabia, pour combattre Platha, campé dans une prairie qui porte son nom (Balatha). Il rangea son armée en bataille, et mit à part Euphémius avec ses camarades dont il ne voulut pas emprunter le secours. Le combat s’étant engagé, l’armée de Platha fut mise en fuite : il perdit beaucoup de monde, et les Musulmans firent un grand butin. Après cet échec, Platha se retira dans Enna ; mais craignant de n’y être pas en sûreté, il en sortit pour se rendre en Calabre, où il fut tué. Le cadi Assad marcha de là vers une église appelée Afimia, près de la mer, donna le gouvernement de Mazara à Abou Zaki al-Kenani, et s’avança vers l’église d’al-Maslakin.
Pendant qu’il était en route, les principaux de Syracuse vinrent le trouver pour se soumettre à lui ; mais seulement dans l’intention de le tromper, car les habitants du pays se rassemblaient, pendant ce temps-là, dans la forteresse d’al-Kerat, et y faisaient entrer toutes leurs richesses ; tandis que ceux de Syracuse travaillaient à se fortifier. Fimi, voyant les choses dans cet état, commença à vouloir favoriser les infidèles, leur fit dire de se préparer à la guerre et de se défendre courageusement. Cependant le cadi Assad étant resté quelque temps où il était, s’aperçut que ceux de Syracuse l’avaient trompé pour avoir le temps de mettre leur château en état de défense, et d’y retirer toutes les richesses répandues dans les faubourgs et dans les églises. Alors il s’avança vers la ville, commença les hostilités et envoya de tous côtés des partis pour piller. Dans le même temps il lui vint des secours de l’Afrique, et de l’Espagne, et le siège fut pressé si vivement que les habitants demandèrent à se rendre. Le cadi Assad était prêt à écouter leurs propositions, mais ses troupes s’y opposèrent et voulurent continuer la guerre. Sur ces entrefaites, il tomba malade et mourut dans le mois de shaaban, l’an de l’hégire 213 [828].
Le cadi Assad al-Ferat étant mort, les Musulmans mirent à leur tête Muhammad b. Abî Al-Juwari. Les assiégés étaient tous les jours plus resserrés, quand il arriva de Constantinople une flotte et une armée considérable. Les Musulmans résolurent alors de retourner en Afrique, abandonnèrent le siège et se rembarquèrent ; mais les Rûms s’étant portés à l’entrée du grand port, les empêchèrent de sortir. Dans cette extrémité, ils mirent le feu à leurs vaisseaux, et se retirèrent accompagnés de Fimi, vers la forteresse de Mineo, dont ils se rendirent maîtres, ainsi que du château de Girgenti.
Après cela, Euphémius marcha lui-même vers Enna, dont les habitants offrirent d’abord de se soumettre et de se réunir à lui et aux Musulmans, pour secouer le joug de l’empereur. En même temps, ils demandèrent qu’on leur accordât ce jour là pour délibérer sur les conditions. Euphémius y consentit ; et le lendemain matin se présenta devant la ville avec peu de monde. Ils en sortirent comme pour se prosterner devant lui ; mais quand il fut près d’eux, ils saisirent les armes qu’ils avaient cachées auparavant, se jetèrent sur lui et le tuèrent.
-830 : Dans le même temps, le patrice Theodotos arriva de Constantinople avec une armée nombreuse, composée d’Italiens et de soldats d’autres nations. Il se rendit d’abord à Enna, et étant ensuite sorti pour combattre les Musulmans, il fut mis en fuite, perdit un grand nombre de soldats, et 90 patriciens.
Peu de temps après, Mohammed ibn al-Jouari mourut, et les Musulmans mirent à leur tête Zahar b. Bargout. Après plusieurs combats livrés aux infidèles, les Musulmans furent assiégés dans leur château, et tellement pressés que les vivres leur manquant absolument, ils furent obligés de manger leurs chevaux. Cet état dura jusqu’à l’arrivée d’Asbagh b. Wakil al-Hawari, qui était parti d’Espagne avec un grand nombre de vaisseaux, dans le dessein de faire des prises, et de Sulayman b. ‘Afia al-Tartûsi, qui avait aussi avec lui plusieurs vaisseaux. Aussitôt qu’ils parurent, les assiégés leur envoyèrent demander du secours. Ils marchèrent contre Theodotos, qui était alors devant Mineo, et l’obligèrent à se retirer dans Enna. Cet événement arriva en [août 830].
-830-835 :
Dans le même temps, on commença le siège de Palerme, qui dura jusqu’au [juillet 835], où elle fut prise par composition, sous le gouvernement de Muhammad b. al-Aghlab.[25]
-830 : plusieurs forteresses se rendirent. De ce nombre furent Gerace,Qala’at al-Ballut (Calatabellota), Ablathanû (Platanella),Qala’at Karûn (Coronia), Mirta et plusieurs autres.
Muhammad b. ‘Abd Allah ibn al-Aghlab mourut le [17 janv. 851], après avoir gouverné l’espace de 19 ans. Pendant tout ce temps là, il ne sortit point de Palerme mais il faisait marcher les troupes sous la conduite de ses généraux.
Al-‘Abbas ibn al-Fadl fut choisi par le peuple pour lui succéder, et son élection fut confirmée par le Commandeur Muhammad ibn al-Aghlab, qui régnait à Cairouan. Le nouveau gouverneur faisait quelquefois des courses lui-même, et quelquefois envoyait ses partis désoler et ruiner le pays des ennemis, qui lui abandonnaient leurs biens pour obtenir de lui la paix.
Avant la prise de Palerme, la ville de Syracuse était la capitale des Grecs ; mais depuis cet événement, ils s’étaient retirés à Enna, place très forte, et en avaient fait leur capitale.
858-9 : ,
al-‘Abbas s’étant mis à la tête des troupes, fit des courses jusqu’aux portes d’Enna et de Syracuse. En même temps, il mit en mer plusieurs vaisseaux de guerre, commandés par son frère ‘Ali. Celui-ci ayant été rencontré par un officier arabe, surnommé le Crétois, qui avait avec lui 40 vaisseaux, il y eut entre eux un grand combat, dans lequel ‘Ali remporta la victoire, et s’empara de 10 vaisseaux avec les hommes qui les montaient. Lorsqu’il fut de retour de cette expédition, al-‘Abbas envoya secrètement un corps de troupes du côté d’Enna. Ses soldats y firent un grand butin, et se saisirent d’un infidèle qu’ils lui amenèrent. Al-‘Abbas avait déjà donné ordre de le faire mourir, lorsqu’il offrit de livrer Enna, si on voulait lui laisser la vie. Al-Abbas accepta la proposition, et ayant pris avec lui 1000 chevaux et 700 fantassins, partit de nuit accompagné de l’infidèle, et s’avança à une certaine distance du mont Gadir. Là, s’étant arrêté, il envoya en avant son oncle Rabbakh, avec les plus braves de ses soldats, et se tint lui-même caché avec le reste. Rabbakh et ses gens s’étant glissés sans être aperçus jusqu’au pied de la montagne, l’infidèle leur montra l’endroit où ils devaient appliquer leurs échelles pour monter. Le jour ne paraissait pas encore, et la garnison était endormie. Arrivés près des murs, ils trouvèrent une ouverture par où l’eau entrait dans la place, et s’en servirent pour y pénétrer. Cependant, al-Abbas continuant son chemin, arriva à la porte de la ville vers la pointe du jour, le 24 janvier 859.
Toute la garnison fut passée au fil de l’épée. On trouva dans la ville des richesses immenses, aussi bien que les enfants de plusieurs patriciens et de grands seigneurs qu’on y avait retirés. Al-Abbas fit construire le même jour une mosquée, et élever une tribune sur laquelle on fit la prière la sixième férie. Il ne cessa de faire la guerre en personne aux ennemis, jusqu’à sa mort, qui arriva le 15 aout 861, après un gouvernement de 2 ans.
Les Musulmans mirent d’abord à sa place Ahmad b. Ya‘qûb, et ensuite Abd Allah b. al-Abbas. En même temps, ils écrivirent à l’émir de Cairouan, qui leur envoya Khafaja b. Sufian, l’an 248. Celui-ci continua de faire des incursions dans le pays ennemi, jusqu’à ce qu’il fût tué par un de ses soldats, nommé Khalfoun ibn Abou Ziad al-Haouazi, l’an 869. Son fils Muhammad fut choisi pour lui succéder, et confirmé par l’émir de Cairouan. Il fut tué pareillement par un de ses eunuques, le 4 de rajab, l’an 257. Muhammad b. Abou al-Hossaïn fut mis à sa place, en attendant les ordres de l’émir, qui donna le gouvernement de l’île à Rabbakh ibn Iacoub, et celui de la grande terre, à Abd Allah ibn Iacoub. Rabbakh mourut dans le mois de muharram 258, et son frère dans celui de safar de la même année. On choisit pour lui succéder Abou al-Abbas ibn Abd Allah, ibn Iacoub, qui mourut au bout d’un mois, et fut remplacé par son frère. Peu après, l’émir d’Afrique donna le gouvernement à Hossaïn ibn Rabbakh. Il le lui ôta ensuite, et en revêtit d’abord Abd Allah ibn Mohammed, ibn Ibrahim ibn al-Aglab, dans le mois de shawal 259, et ensuite Abou Malik Ahmed ibn Omar, ibn Abd Allah, ibn Ibrahim, ibn al-Aglab, connu sous le nom de Habashi, qui occupa cette place pendant 26 ans.
Abou al-Abbas ibn Ibrahim, ibn Ahmed, lui succéda en 287 [900—901] ; mais ayant été rappelé en Afrique, il eut pour successeur son père Ibrahim ibn Ahmed ibn al-Malik.
Ibrahim fit lui-même plusieurs expéditions contre les ennemis, et mourut les armes à la main. Il fut remplacé d’abord par Mohammed ibn al-Sarcousi, et ensuite l’an 290/902-3, par Ali ibn Mohammed, ibn Abou al-Faouares. Celui fut déposé par Ziadet Allah, qui mit à sa place Ahmed ibn Abou al-Hossaïn ibn Rabbakh.
Peu de temps après, les Siciliens ayant appris les conquêtes d’Abou Abd Allah al-Shii en Afrique, se révoltèrent contre Ahmed, pillèrent ses richesses, le renfermèrent en prison, et mirent à sa place Ali ibn Abou al-Faouares, le 11 de rajab 296.
En même temps, ils envoyèrent ibn Abou al-Hossaïn, vers Abou Abd Allah al-Shii, pour, lui demander la confirmation d’Ali. Abou Abd Allah, accorda ce qu’on lui demandait, et écrivit à Ali pour l’exhorter à attaquer les infidèles par terre et par mer.
Ahmed ibn Abou al-Hossaïn fut, comme on voit, le dernier des gouverneurs de la Sicile pour les Aghlabides. Parmi tous ceux dont nous avons fait mention, il n’y en a aucun qui ne se soit distingué par des expéditions contre les infidèles, et par une grande ardeur pour la guerre.
Al Mahadi ayant succédé aux Aghlabides, Ali lui demanda la permission de venir en Afrique. Al-Mahadi la lui accorda, et lorsqu’il fut arrivé, il le fit mettre en prison dans la ville de Racada.
Le gouverneur qu’il mit à sa place arriva en Sicile le 10 dhu al-hijja l’an 297 [20/08/910]. L’année suivante, une révolte éclata contre lui, on se saisit de sa personne. Voici qu’elle fut la cause de cet événement. Ses officiers exerçaient centre le peuple toutes sortes d’injustices. Un jour qu’il avait invité à dîner les principaux de la ville, l’un d’eux crut voir ses esclaves s’armer d’épées nues Aussitôt tous prennent l’alarme, ouvrent les fenêtres de la salle, et se mettent à crier: aux armes! aux armes! Le peuple accourt à leur secours, environné le palais, et met le feu aux portes. Tandis que les principaux des habitants qui étaient dans le palais se sauvaient entre les bras de la multitude, le gouverneur protestait qu’il n’avait pas eu dessein de leur faire aucun mal. Comme on ne l’écoutait pas, et qu’on l’accablait de reproches, il voulut sauter dans la maison voisine, se laissa tomber, et se cassa la jambe. Le peuple se saisit de lui, et le mit en prison. Khalil, maître d’Alcamo, prit en main le gouvernement de la ville. On écrivit en même temps à Mahadi, qui accorda le pardon de ce qui s’était passé, déposa le gouverneur, et mit à sa place Ali ibn Omar al-Balaoui, qui arriva à Palerme le 27 du mois dhou al-haja, l’an 299. C’était un vieillard doux et humain envers le peuple, mais qui ne put plaire aux Siciliens. Ahmed ibn Corhab souleva les esprits contre lui, et les engagea à se soumettre à Moctader billah, Calife Abbaside. Plusieurs y consentirent, et choisirent Ahmed pour gouverneur. Moctader envoya l’an 300/912 des ambassadeurs qui lui apportèrent les provisions de sa charge, les robes d’honneur, les étendards, le collier d’or et les bracelets ; mais le peuple s’étant révolté, écrivit à Mahadi, et les mutins, ayant à, leur tête Abou al-Gaffar, s’avancèrent vers Ahmed ibn Corhab, et lui ordonnèrent de sortir de l’île, et de se retirer où il voudrait. Il refusa de le faire et se battit contre eux ; après leur avoir résisté quelque temps, il fut tué à la fin de l’an 300/913. Son gouvernement avait duré 11 mois.
Après sa mort, Mahadi nomma pour gouverneur Moussa ibn Ahmed, et lui donna des troupes capables de résister aux Siciliens, s’ils voulaient entreprendre quelque chose contre lui. A son arrivée, il reçut les principaux de Girgenti, qu’il traita avec distinction, et leur fit des présents. Peu de temps après, s’étant saisi d’Abou al-Gaffar, il le fit charger de chaînes et conduire en prison. Son frère Ahmed se sauva à Girgenti, et fit soulever le peuple contre Moussa. Après une guerre opiniâtre, les habitants demandèrent la paix, Moussa la leur accorda, et en écrivit à Mahadi, qui, n’étant pas apparemment content de sa conduite, mit à sa place Salem ibn Assad al-Kennai, l’an 305/917-8.
928 :
L’an 316/928-9, Sareb al-Saqlabi se rendit en Afrique avec 30 vaisseaux de guerre. Salem s’étant joint à lui, ils descendirent en Calabre, où ils prirent d’assaut la ville de Tarente. Ils marchèrent ensuite vers Otrante, où ils firent beaucoup de ravage ; mais la maladie qui se mit dans l’armée, les obligea de revenir à Palerme.
Ils en sortirent peu après, et imposèrent aux habitants de la Calabre un tribut qu’ils furent obligés de payer pendant tout le règne de Mahadi.
Son fils al-Caïm, qui lui succéda, envoya une flotte ravager le pays des Francs. Iacoub ibn Ishak qui la commandait, prit la ville de Gênes, passa de là en Sardaigne, fit beaucoup de mal aux habitants, et brûla grand nombre de vaisseaux. La même année, il y eut en Sicile une inondation qui renversa plusieurs maisons.
L’an….., les habitants de Girgenti se révoltèrent contre Salem, et chassèrent son lieutenant ibn Abou Hamran. Salem envoya d’abord contre eux une armée qui fut battue ; mais les ayant ensuite attaqués lui-même, il les mit en fuite. Peu de temps après, la ville de Palerme s’étant aussi révoltée, les habitants marchèrent contre lui avec Ishak al-Bostani et Mohammed ibn Hamou. Après plusieurs combats, Salem les obligea à prendre la fuite, et les assiégea dans la ville. Al-Caïm ayant appris ces nouvelles, envoya à son secours une armée commandée par Khalil ibn Ishak. Alors les Siciliens lui écrivirent pour lui protester de leur obéissance, et lui témoigner en même temps leur mécontentement de la conduite de Salem. Al-Caïm mit à sa place Khalil ibn Ishak, qui entra dans Palerme à la fin de l’an 325/957]. Le nouveau gouverneur déposa les lieutenants de Salem, et traita fort bien le peuple, qui le récompensa par son obéissance. Au bout de quatre ans, il passa en Afrique, et eut pour successeur, an 334/945-6, Mohammed ibn al-Ashat. Celui-ci se conduisit aussi avec beaucoup de douceur, jusqu’à l’an 336/947-8, qu’il écrivit à al-Mansor pour l’informer de la peine que lui donnaient les habitants et du mauvais état des affaires. Al-Mansor mit à sa place al-Hassan ibn Ali ibn Abou al-Hossain al-Kalbi, qu’il estimait beaucoup à cause de l’attachement qu’il avait pour sa personne, et des services qu’il avait rendus à ses prédécesseurs.
Al Hassan resta en Sicile deux ans et quelques mois, et revint en Afrique sous le règne de Moez ledin Allah ibn al-Mansor, qui voulut bien, sur sa demande, accorder sa place à son fils Ahmed Abou al-Hossaïn l’an 345 [954 — 955].
Ce fut sous lui que les Musulmans se rendirent maîtres de Taormina qui était la plus forte place des Rûms. Elle fut prise le 25 décembre 962, après 7 mois et demi de siège. L’émir Ahmed envoya en Afrique les prisonniers qui étaient au nombre de 1575 ; et al-Moez ordonna que la ville fut appelée de son nom al-Moezia.
Après que les Musulmans s’y furent établis, et qu’ils l’eurent fortifié, la ville de Rometta se révolta et appela le Domesticos à son secours. Aussitôt Ahmed envoya, par l’ordre d’al-Moez, al-Hassan ibn al-Ammar, pour l’assiéger et en faire sortir tous les habitants. Ibn al Ammar arriva devant la ville la cinquième férie dernier jour du mois de rajab, l’an 352. Il dressa aussitôt ses machines et livra tous les jours des assauts. Il fit construire aussi un fort où il demeura, et ses gens, à son exemple, se bâtirent des maisons.
Le Domestec, ayant appris ces nouvelles, fit assembler les troupes et leur ordonna de se rendre en Sicile sous le commandement de Manuel. L’embarquement se fit la quatrième férie, 4 de shoual de l’an 353 : l’armée qui était très nombreuse fut neuf jours à faire le trajet. Les troupes à leur arrivée environnèrent la ville de Messine d’un fossé et élevèrent les murailles. L’émir Ahmed averti par al-Hassan se mit à la tête de ses troupes, en même temps les infidèles sortirent de Messine et marchèrent vers al-Hassan qui était à Rometta.
Ce fut dans le milieu de shoual 353 [25 octobre 964], que Manuel s’avança à la tête d’une armée composée principalement de Mages, d’Arméniens et de Russes; et plus nombreuse que toutes celles qu’on avait vues jusque-là en Sicile. Al-Hassan ibn al-Ammar ayant appris qu’il s’avançait se prépara à marcher à sa rencontre, et posta d’abord un corps de troupes dans chacun des deux défilés par lesquels on pouvait venir à lui. Manuel en ayant eu avis, détacha pareillement deux corps de troupes pour attaquer ceux d’al-Hassan, et en envoya un troisième du côté du chemin de Palerme, pour empêcher que l’ennemi ne fût secouru.
Al Hassan ayant laissé quelques troupes devant Rometta, s’avança à la tête d’une armée déterminée à vaincre ou à périr. Les ennemis partagés en huit corps eurent bientôt enveloppé les Musulmans de toutes parts. En même temps, les habitants de Rometta fondirent sur ceux qu’ils avaient en tête, et l’attaque devint générale. Après un long combat, les Musulmans décourages et désespérant de la victoire, dont les ennemis se croyaient assurés, ne cherchaient plus qu’à mourir les armes à la main, regardant la mort comme ce qu’ils pouvaient obtenir de plus heureux. Al-Hassan voyant l’action se ralentir, s’écria de toutes ses forces: Grand Dieu ! si les hommes m’abandonnent, ne m’abandonne pas ! Al-Hassan et ceux qui étaient autour de lui, fondirent en même temps sur l’ennemi, avec l’impétuosité d’un seul homme. Manuel de son côté criant de toutes ses forces, demandait aux soldats où était la bravoure qu’ils faisaient paraître devant l’empereur, où étaient les promesses qu’ils lui avaient faites de tailler en pièces cette poignée d’hommes. Le combat s’échauffe de part et d’autre, Manuel fondant sur les Musulmans, en tue un de sa main. Il reçut alors plusieurs coups de lance qui ne lui firent aucun mal, à cause de la bonté de sa cuirasse ; mais un soldat s’étant jeté sur lui, perça son cheval, lui coupa les jarrets, et le tua lui-même. Il survint ensuite un grand orage, accompagné d’éclairs et de tonnerre, l’air s’obscurcit, le secours de Dieu se manifesta en faveur des Musulmans, et les infidèles prirent la fuite. Le carnage alors augmenta. Les ennemis en déroute s’étaient portés vers un endroit qu’ils croyaient uni; ils rencontrèrent des chemins difficiles; on les poussa jusque sur le bord d’un fossé large et profond, dans lequel ils tombèrent et se tuèrent les uns les autres. Le fossé fut tellement rempli de cadavres, que la cavalerie passant par dessus en courant, tailla en pièces tout ce qui se trouva dans ces lieux d’un accès difficile et dans ces retranchements épouvantables. Le combat dura depuis le commencement du jour jusqu’après midi. On tua encore beaucoup de fuyards pendant la nuit, et il périt dans cette journée plus de dix mille hommes. Plusieurs des chefs furent faits prisonniers. Le butin fut immense, en chevaux, armes et choses précieuses. On y trouva un sabre sur lequel étaient gravés ces mots : « Ce sabre est indien, son poids est de cent soixante dix mithcal. Il fit couler bien du sang sous les ordres de l’envoyé de Dieu.» Al-Hassan ibn al-Ammar l’envoya à Moez, avec une grande quantité d’armes, de cuirasses, et deux cents prisonniers des plus distingués. Il ne se sauva qu’un petit nombre d’infidèles qui s’embarquèrent. L’émir Ahmed apprit la nouvelle de cette victoire, comme il était en marche pour joindre al-Hassan. Dans le même temps, il perdit son père Hassan ibn Ali, ibn Abou al-Hossaïn.
Le Domestec ayant appris cette défaite lorsqu’il assiégeait la ville de Mopsueste, s’en retourna aussitôt à Constantinople. Le siège de Rometta dura encore quelques mois. La famine ayant obligé mille des ennemis à sortir de la ville, al-Hassan les fit conduire à Palerme, et continua l’attaque de la place, qui se rendit peu de temps après. Il se donna encore plusieurs combats considérables, principalement celui du détroit, dans lequel il périt un si grand nombre d’infidèles, que la mer fut teinte de leur sang; enfin la paix se fit entre Moez et le Domestec, l’an 356/966-7. Moez ayant reçu ses présents, en donna avis à l’émir Ahmed, et lui ordonna en même temps de réparer les murs de la ville de Palerme, de la fortifier sans perdre de temps, et de bâtir dans les différentes parties de l’ile une ville forte, avec une mosquée et une tribune, afin d’y rassembler les habitants, et de ne pas souffrir qu’ils demeurassent dispersés dans les campagnes. L’émir Ahmed se hâta de remplir ces ordres, et envoya dans Pile des cheikhs pour veiller à ces diverses constructions.
L’an 358/968-9, al-Moez reçut des présents de l’empereur de Constantinople, et commanda qu’on détruisit les villes de Taormina et de Rometta. Ahmed chargea son frère Abou al-Cassem et son oncle Jaafar de se rendre sur les lieux pour l’exécution de cet ordre, qui fit beaucoup de peine aux Musulmans. Les deux villes furent détruites, et tout fut consumé par le feu. La même année, al-Moez ordonna à l’émir Ahmed de quitter la Sicile. Il s’embarqua donc et aborda en Afrique, suivi de trente vaisseaux, sur lesquels étaient toute sa famille, ses enfants, ses frères et toutes ses richesses. Son gouvernement avait duré seize ans ; il laissa en partant pour remplir sa place Iaïsh, affranchi de son père.
Au milieu de shaaban de l’an 359/24/06/970, l’émir Abou al-Cassem vint en Sicile en qualité de lieutenant de son frère Ahmed : celui-ci mourut la même année, et Abou al-Cassem reçut le diplôme d’al-Moez pour lui succéder. Il fit plusieurs expéditions contre les ennemis, la première répond à l’an 365/975-6. La même année, il fit rétablir la forteresse de Rometta, et en donna le commandement à un de ses esclaves. Il mourut dans sa cinquième expédition, au mois de moharam 372. L’émir Jaber ibn Abou al-Cassem lui succéda, et fut confirmé par le calife al-Aziz billah ibn al-Moez. Au bout d’un an, il fut déposé et remplacé par Jaafar ibn Mohammed ibn Hossaïn, qui vint en Sicile l’an 373/983-4. Celui-ci mourut en 375/985-6. Son frère Abd Allah ibn Mohammed lui succéda. Abd Allah mourut dans le mois de ramadhan 379, et désigna pour lui succéder son fils Abou al-Fatha Ioussef.
Ioussef ayant été confirmé par al-Aziz, gouverna l’île avec sagesse, et se distingua par son amour pour le peuple, jusqu’à ce qu’ayant été attaqué d’une hémiplégie, en 388/998-9, il perdit absolument l’usage du côté gauche, et resta fort incommodé du côté droit. Son fils Jaafar gouverna pour lui, ayant déjà le diplôme pour lui succéder. Al-Hakem lui envoya ensuite les marques d’honneur de sa place, avec l’étendard, et lui donna le surnom de Taj al-doulat, saif al-millat. L’an 405, le dernier du mois de rajab, son frère l’émir Ali ibn Abou al’fatha, voulant lui disputer l’empire, rassembla près de Palerme des Barbaresques et des esclaves qu’il avait engagés dans son parti. Jaafar marcha à sa rencontre. La bataille se donna la quatrième férie, 23 shaaban/6/02/1015. Les troupes d’Ali furent taillées en pièces. Il fut fait lui-même prisonnier, et conduit devant son frère, qui le fit mourir, et termina ainsi la guerre huit jours après s’être mis en campagne. La mort d’Ali fit beaucoup de peine à leur père Abou al-fatah. Jaafar ordonna ensuite qu’on chassât de l’ile les Barbaresques qui y étaient, et fit mourir tous les esclaves, sans en épargner un seul. Il voulut aussi que sa garde ne fût composée que de Siciliens, n’eut pas soin d’entretenir les troupes, et facilita par là le soulèvement qui se fit contre lui, pour les raisons que nous allons rapporter.
Hassan ibn Mohammed al-Bagaï, secrétaire de Jaafar, jouissait d’une très grande autorité. Cet homme, d’un caractère dur et avare, maltraitait le peuple, et commettait tous les jours des injustices. Il avait conseillé à Jaafar d’exiger des Siciliens le dixième des grains et des fruits, selon l’usage établi pour certains objets. Cela était contraire à la coutume de Sicile, où l’on payait seulement un droit pour chaque paire de bœufs, quelle que fut la récolte. Outre cela, on reprochait au gouverneur de traiter la multitude avec mépris, et les grands avec hauteur. Le peuple irrité par tant de motifs, s’assembla enfouie autour du château, en détruisit une partie, assiégea le reste avec tant d’opiniâtreté, qu’il passa sous les armes la nuit de la seconde férie, 7 de moharram 410. Le lendemain, comme ils étaient sur le point de s’en rendre maîtres, Ioussef, père de Jaafar, dont la personne imprimait le respect, se fit porter en litière au-devant des séditieux. Sa présence et ses discours arrêtèrent leur fureur. Il les flatta, promit de se conformer à leurs sentiments, écouta les plaintes qu’on lui fit sur les innovations de son fils, répondit de lui, s’engagea à le contenir, et permit de nommer un nouveau gouverneur. Le choix tomba sur son fils Ahmed al-Akhal.
Ahmed commença à gouverner la seconde férie 6 de muharram 410. Son premier soin fut de se saisir du secrétaire Hassan al-Bagaï, et de le livrer aux Siciliens, qui lui coupèrent la tête, la portèrent en triomphe, et brûlèrent son corps. Ioussef épouvanté par cette exécution, et craignant pour son fils Jaafar, s’embarqua avec lui sur un vaisseau qui faisait voile pour l’Egypte. Les richesses qu’ils emportaient avec eux se montaient à six cent soixante et dix mille pièces d’or. Malgré cela, lorsque Yûsuf mourut en Egypte, il était réduit à n’avoir qu’une seule bête de somme, lui à qui l’on comptait autrefois treize mille chevaux, outre les mulets et les autres animaux.
Al Akhal ayant pris en main le gouvernement, se conduisit avec la prudence que demandaient les circonstances, il apaisa les troubles, rétablit par tout le bon ordre, et mérita qu’al-Hakam lui donnât le surnom de Taïd al-doulat.
Ses troupes firent des courses dans le pays ennemi, portèrent partout le fer et la flamme, et forcèrent toutes les forteresses à se rendre. Souvent il marchait lui-même à leur tête, et alors il remettait son autorité entre les mains de son fils, nommé Jaafar, qui n’imitait point la justice et la bonté de son père. Cependant al-Akhal assembla un jour les Siciliens, et leur dit qu’il allait faire sortir de l’île tous les Africains qui y étaient, et qui partageaient avec eux leur pays et leurs richesses. Les Siciliens lui représentèrent que la chose était impossible, que les deux peuples étaient unis par des mariages, et tellement confondus qu’ils ne faisaient plus qu’un. Al-Akhal, piqué de ce refus, les congédia, et envoya sur le champ faire les mêmes propositions aux Africains, par rapport aux Siciliens. Les Africains les acceptèrent, et se rendirent auprès de lui. Alors al-Akhal commença à affranchir leurs biens et à lever des impositions sur ceux des Siciliens seulement. Plusieurs de ceux-ci mécontents, allèrent trouver en 427/1035-36, al-Moez ibn Badis, et lui dirent qu’ils étaient déterminés à se soumettre à lui, ou à livrer le pays entre les mains des Grecs. Al-Moez envoya en Sicile son fils Abd Allah, avec une armée composée de trois mille hommes de cavalerie et autant d’infanterie. Après plusieurs combats, al-Akhal fut assiégé dans son château de Khalisa. Réduit à cette extrémité, quelques-uns des habitants étaient d’avis de le secourir ; mais ceux qui avaient fait venir les Africains lui tranchèrent la tête, et la portèrent à Abd Allah. Bientôt après la division éclata parmi les Siciliens, et plusieurs d’entre eux se repentirent d’avoir appelé Abdallah dans leur pays. S’étant donc rassemblés, ils lui livrèrent bataille. Son armée fut mise en fuite, il perdit environ trois cents hommes, et le reste s’étant rembarqué, repassa en Afrique. Dans le même temps, al-Samsam, frère d’al-Akhal, fut élu gouverneur; mais les troubles subsistant toujours, les partis, se séparèrent et s’établirent de divers côtés. Les principaux de Palerme s’emparèrent du gouvernement et chassèrent al-Samsam. L’alcaïde Abd Allah ibn Menkout se rendit maître de Mazara, de Trapani, de Xacca, de Marsala et des environs; Enna, Girgenti, Castronuovo et le pays d’alentour tombèrent sous la puissance de l’alcaïde Ali ibn Nimat, surnommé ibn al-Jaouas. Syracuse fut soumise à ibn Thémama, qui marcha ensuite contre Catane, s’en rendit maître, et tua ibn Kelabi, qui avait épousé la sœur de l’alcaïde Ali ibn Nimat, appelée Meimouna. Cette femme étant ainsi devenue veuve, ibn Thémama la demanda à son frère, et l’obtint. Ce mariage eut, comme on va voir, les suites les plus funestes. Meimouna, qui avait beaucoup d’esprit, eut un jour une dispute avec son mari. On en vint de part et d’autre aux injures. Ibn Thémama qui était ivre, entra dans une grande colère, et ordonna qu’on lui ouvrît les veines des deux bras, et qu’on la laissât mourir dans cet état. Son fils Ibrahim en ayant été informé, accourut à son secours, et fit venir des médecins qui la rappelèrent à la vie. Le lendemain ibn Thémama fut fâché de son action, et demanda pardon à sa femme, s’excusant sur son ivresse. Celle-ci fit semblant de lui pardonner, et quelque temps après, elle lui demanda la permission d’aller voir son frère. Ibn Thémama le lui permit, et envoya avec elle toutes sortes de présents. Arrivée près de son frère, Meimouna lui raconta ce qui s’était passé, et sut si bien l’intéresser en sa faveur, qu’il jura de ne point la renvoyer à son mari. Ibn Thémama l’ayant donc redemandée, et n’ayant pu l’obtenir, assembla ses troupes qui étaient très nombreuses; car il était maître de la plus grande partie de l’île, et l’on faisait la prière en son nom dans Palerme. S’étant mis à leur tête, il s’avança vers Enna. Ibn al-Jaouas marcha à sa rencontre, le mit en fuite, et lui tua beaucoup de monde.
Ibn Thémama voyant son armée taillée en pièces, résolut d’implorer le secours des Chrétiens. Il alla donc à Balthia, dont les Francs s’étaient emparés l’an 372 [982 — 988]. Il y trouva Roger qui régnait alors, et lui promit de le rendre maître de toute l’île. Ils se mirent donc en campagne dans le mois de rajab de l’an 444, [27 novembre — 26 décembre 1052], et ne trouvant aucune résistance, ils s’emparèrent de tout ce qui se rencontra sur leur passage jusqu’à Enna, Ibn al-Jaouas en étant sorti pour les combattre, fut mis en fuite et obligé de rentrer dans sa forteresse. Les Chrétiens passèrent outre, et se rendirent maîtres de plusieurs places. Alors les personnages les plus distingués d’entre les Musulmans par leurs vertus et leur savoir, abandonnèrent le pays, et beaucoup de Siciliens s’étant, retirés auprès d’al-Moez ibn Badis, lui rendirent compte du mauvais état des affaires, et des conquêtes des Francs. Sur ces nouvelles, al-Moez ayant fait équiper une flotte considérable, l’envoya en Sicile. On était alors dans l’hiver, et comme la flotte faisait voile vers Cossyre, il s’éleva une tempête furieuse qui fit périr presque tous les vaisseaux. Ce malheur affaiblit beaucoup al-Moez, et fut cause que les Arabes remportèrent sur lui plusieurs avantages. D’un autre côté, Roger, profitant de la circonstance, poursuivit sa conquête sans trouver de résistance, pendant qu’al-Moez était occupé de la guerre qui lui était survenue. L’an 453 [1061—1062], al-Moez mourut. Son fils Tamim lui ayant succédé, envoya une flotte et une armée en Sicile, sous le commandement de ses deux fils Ayoub et Ali. Ayoub débarqua d’abord avec l’armée à Palerme, et Ali descendit à Girgenti. Ayoub y vint aussi peu après, et s’attira l’affection des habitants. Ibn al-Jaouas en conçut de la jalousie, et leur écrivit de le renvoyer. Comme ils n’en voulurent rien faire, il marchacontre eux à la tête de son armée. La bataille s’étant donnée, il fut tué d’un coup de flèche, et Ayoub ibn Tamim fut proclamé roi. Peu après ses soldats prirent querelle avec le peuple ; on en vint aux mains, et comme la division allait toujours en augmentant, Ayyûb et son frère retournèrent avec la flotte en Afrique, l’an 461/1068-69 accompagnés d’un grand nombre des principaux de l’île. Les Francs devinrent alors les maîtres de tout le pays. Il n’y eut qu’Enna et Girgenti qui tinrent contre eux. Les Musulmans qui les défendaient furent si pressés par les assiégeants qu’ils mangèrent les cadavres, jusqu’à ce qu’enfin cette nourriture leur manqua. Girgenti se rendit l’an 481/1088-89. Enna tint encore trois ans, et ne se rendit qu’en 484/1091-92. L’île fut alors habitée par les Grecs, les Francs et les Musulmans. Roger, qui en était roi, ne laissa à personne ni bain, ni boutique, ni four, ni moulin. Sa mort arriva avant 490/1096-97. Son fils Roger lui ayant succédé, ne suivit pas les coutumes des Francs ; mais imita celles des princes Musulmans.
Il établit un tribunal où les opprimés allaient porter leurs plaintes, et il leur faisait rendre justice même contre son fils. Cette conduite lui attira l’amour des Musulmans, qu’il traitait avec distinction et qu’il protégeait contre les Francs.
Ayant fait équiper une grande flotte, il se rendit maître d’abord des îles qui sont entre Mahadie et la Sicile, comme Malte, Cossyre et autres. Ensuite il porta ses armes en Afrique, et s’empara de Mahadie et de plusieurs autres villes, qui furent ensuite reprises par Abd al-Moumen ibn Aly, de la dynastie des al-Monades.
Histoire des normands de sicile
L’AN de l’hégire 511/1117 Roger, roi de Sicile, voulant secourir un nommé Rafi, qui était en guerre avec Ali ibn Yahia de la dynastie de Zîrides, mit en mer une flotte composée de 24 vaisseaux. Elle s’avança seulement jusqu’à la hauteur de Mahadie et retourna ensuite en Sicile.
L’an 529/1134-35, les Francs se rendirent maîtres de l’île de Gerbes, située près de la côte d’Afrique. Comme les habitants faisaient difficulté de se soumettre à un prince étranger, ils furent environnés par une flotte sicilienne, et attaqués en même temps par des troupes qui en tuèrent un grand nombre; les femmes et les enfants furent faits prisonniers : toutes les richesses devinrent la proie du vainqueur.
L’an 541/1146-47, Roger, roi de Sicile, ayant équipé une flotte considérable, fit assiéger la ville de Tripoli par mer et par terre. Les attaques commencèrent le 3 de muharram, et la place fut prise au bout de trois jours à cause des divisions qui y régnaient. Ceux des habitants qui échappèrent au carnage, se refugièrent chez les Arabes et les Barbaresques. Ils revinrent bientôt après, dès qu’on eut publié un édit de sûreté pour eux. Les Francs restèrent six mois dans la ville pour la fortifier; en partant ils emmenèrent des otages qu’ils renvoyèrent lorsque leur domination fut solidement établie.
L’an de l’hégire 537/1142-43, la famine commença à se faire sentir en Afrique. L’an 542/1147-48, elle fut si grande que les hommes se mangeaient les uns les autres. Un grand nombre d’habitants quittèrent le pays, et la plupart se retirèrent en Sicile. Roger, profitant de la circonstance, envoya cent cinquante vaisseaux attaquer l’île de Cossyre, qui est entre la Sicile et l’Afrique. En arrivant, ils y trouvèrent un vaisseau venant de Mahadie : ceux qui étaient dessus ayant été pris, on les conduisit devant Gergi, commandant de la flotte, qui les interrogea sur l’état de l’Afrique. Leurs réponses lui firent concevoir un dessein qu’il exécuta par ce stratagème. Il y avait sur ce vaisseau des pigeons destinés à porter des avis. Gergi obligea celui qui en avait soin d’écrire une lettre dont le contenu était que les Musulmans étaient arrivés à Cossyre, qu’ils y avaient trouvé des navires siciliens et qu’ils avaient appris d’eux que la flotte avait fait voile pour Constantinople. On lâcha aussitôt les pigeons qui portèrent cette nouvelle à Mahadie. Tandis que l’émir et le peuple s’en réjouissaient, la flotte ennemie arriva devant la ville le 2 du mois de safar de l’an 545. Le commandant envoya dire à al-Hassan que son intention était seulement de venger Mohammed ibn Rashid, qui avait été chassé de la ville de Cabès dont il était maître. Il ajoutait que Mohammed était l’ami et l’allié des Francs, qu’al-Hassan s’était engagé avec eux à le secourir, et il demandait qu’on lui donnât une armée qu’il joindrait à la sienne afin de le rétablir. Al-Hassan fit aussitôt assembler les fakihs et les principaux de la ville qui rejetèrent tous la demande de Gergi, et furent d’avis de se défendre si on les attaquait. Al-Hassan, au contraire, qui sentait qu’il n’était pas en état de résister, résolut de sortir de la ville. Il partit donc avec ce qu’il put emporter. La plupart des habitants imitèrent son exemple, et emmenèrent avec eux leurs femmes et leurs enfants. Pendant ce temps-là le vent empêchait la flotte ennemie d’aborder et favorisait la retraite des Musulmans. Les Francs s’emparèrent ainsi de la place sans éprouver de résistance. Gergi se saisit du château qui renfermait des richesses infinies. La ville fut livrée au pillage pendant deux heures; après quoi on fit publier un édit de sûreté. Ceux qui s’étaient cachés se montrèrent, et la plupart des habitants revinrent dans la ville. Le lendemain Gergi envoya des députés aux Arabes qui étaient proche, pour les engager à venir pareillement s’y établir, et leur donna des biens considérables.
Huit jours après sa conquête, Gergi envoya une partie de sa flotte à Safacas et une autre à Susa. Ali ibn al-Hassan était gouverneur de Susa. Dès qu’il eut appris ce qui était arrivé à Mahadie, il alla rejoindre son père al-Hassan. Les habitants en firent au tant ; et la place fut ainsi abandonnée aux Francs, le 12 du mois de safar. La ville de Safacas ayant reçu du secours des Arabes, résolut de se défendre. On fit une sortie sur les ennemis, qui furent mis en fuite. Ils revinrent à l’attaque, et la plupart des habitants étant sortis de la ville, ils s’en rendirent maîtres, le 13 de safar. Roger, roi de Sicile, fit publier un édit de sûreté pour tous les Africains, et promit de les bien traiter.
La domination des Francs s’étendit depuis Tripoli jusqu’auprès de Tunis, et depuis les déserts d’al-Garb jusqu’à ceux de Caïrouan.
L’an de l’hégire 548/1153-54], le roi de Sicile, ayant appris que les tribus arabes se préparaient à faire la guerre à Abd al-Moumen, de la dynastie des almohades, envoya des députés aux émirs pour les exciter encore davantage et leur offrir de sa part un secours de cinq mille cavaliers s’ils voulaient lui donner des otages pour leur sûreté. Les émirs le remercièrent en disant qu’ils ne se servaient point du secours des étrangers contre les Musulmans.
Les Francs s’étant rendus maîtres de la ville de Mahadie, l’an de l’hégire 543/1148-49, commirent toutes sortes d’indignités dans celle de Zawila, tuant, pillant, saccageant tout ce qu’ils rencontrèrent. Ceux des habitants qui échappèrent au carnage, se réfugièrent auprès d’Abd al-Moumen, qui régnait à Maroc, et lui demandèrent du secours, comme au seul prince musulman qui fut en état de leur en accorder. Abd al-Moumen promit de les venger, et commença dès-lors à faire préparer tout ce qui est nécessaire pour une armée, et à amasser des vivres. L’an 554, au mois de safar, il partit de Marrakech, à la tête d’une armée de plus de cent mille hommes, qu’il eut soin de contenir toujours dans la plus exacte discipline. Al-Hassan, qui avait été maître de Mahadie et de la province d’Afrique, se joignit à lui pendant qu’il était en chemin. Le 24 jumada II, il arriva devant la ville de Tunis, qui se rendit à lui après une courte résistance. On proposa aux Chrétiens et aux Juifs qui y étaient de se faire Musulmans, et ceux qui ne voulurent pas y consentir furent tués. Au bout de trois jours, Abd al-Moumen marcha vers Mahadie.-Sa flotte qui l’avait joint à Tunis le suivait par mer. Il arriva devant cette ville le 12 du mois de rajab, et logea son armée dans la ville de Zawila, qui n’en est éloignée que de la portée du trait. Elle avait été détruite, comme nous l’avons dit, par les Francs, et elle se trouva alors rétablie en une heure. La ville de Mahadie était bien fortifiée, et défendue par des princes et par les plus braves chevaliers. On ne pouvait l’attaquer que par un endroit, le reste étant environné par la mer. Abd al-Moumen vit bien qu’il ne pouvait pas la prendre d’assaut; c’est pourquoi ayant donné ordre à sa flotte de l’environner par mer, il fit construire un mur du côté de la terre, pour empêcher les sorties des assiégés, et résolut d’attendre tout du temps et de traîner le siège en longueur. Pendant cet intervalle, les villes de Safacas, de Tripoli, de Cafsa et plusieurs autres se soumirent à lui, et il emporta d’assaut celle de Cabès. Le lundi, 21 du mois de shaaban, il arriva de Sicile une flotte de cent cinquante vaisseaux, qui fut battue et mise en fuite par celle d’Abd al-Moumen. Alors les assiégés perdirent toute espérance d’être secourus, et les vivres leur ayant manqué, ils furent obligés de manger leurs chevaux. Enfin, le dernier du mois de dhou al-haja, dix chevaliers vinrent trouver Abd al-Moumen et lui demandèrent pour tous les Francs la liberté de sortir de la ville et de se retirer dans leur pays. Abd al-Moumen, pour toute réponse, leur offrit de se faire Musulmans. Ils le refusèrent, et firent tant par leurs instances, qu’ils obtinrent ce qu’ils désiraient. On leur fournit des vaisseaux, et ils s’embarquèrent pour la Sicile ; mais très peu y abordèrent, car on était alors dans l’hiver, et ils furent presque tous submergés. Les Francs avaient été maîtres de Mahadie pendant douze ans.