Ibn Zakrī at-Tlimsānī (tisserand de Tlimsān, devenu élève d’Aḥmad b. Zāġū, Commentateur de la ‘Aqīda d’Al-Hāğib)
Abû Muhammad ‘Abd Allah ibn Aboù Bakr Al-Asiûnî de Touàt demanda aux jurisconsultes de Tlemcen et de Fâs une consultation sur la question suivante :
« J’ai rendu, sur la demande d’Al-Fiğğīğī une Fatwâ admettant le maintien des synagogues des Juifs du Touât et des autres localités du Sahara. Mais Al-Maghîli et son fils Sidi ῾Abd Al-Ğabbār m’y contredirent d’une manière telle qu’il faillit en résulter une guerre civile. J’avais examiné les ouvrages d’Ibn ‘Arafa, d’Ibn Yûnis, d’Al-Burzulî, les seuls que j’avais à ma disposition. Je vis alors que l’on distingue selon qu’il s’agit d’une ville conquise par les Musulmans […] les biens, de nous abstenir d’apporter aucune entrave à leurs synagogues ou églises, à leurs vins, à leurs cochons, pourvu qu’ils ne les montrent pas en public. Mais s’ils montraient leur vin, nous aurions le droit de le jeter malgré eux. Sans cette condition, le Musulman qui verserait le vin d’un tributaire, serait coupable d’un acte injuste qui engage sa responsabilité. L’opinion contraire est cependant soutenue également. »
En principe, pour toutes les choses qui relèvent de leur religion, on ne doit pas mettre d’entraves aux infidèles,-du moins tant qu’ils ne s’y livrent pas en public. S’ils le font, on leur donnera des ordres en conséquence.
En tous cas, on ne peut faire cesser de sa propre autorité les choses répréhensibles qu’ils peuvent faire, qu’en suivant les mêmes règles que s’il s’agissait de Musulmans, à savoir:
1** Il faut qu’ils sachent ce qui est convenable et ce qui est répréhensible, car l’ignorant ne sait ni ordonner, ni interdire ;
2** Il faut considérer si, en voulant faire cesser ce qui est répréhensible, on ne se trouve pas amené à faire quelque chose de plus blâmable encore, comme tuer une personne pour l’empêcher de boire du vin. En ce cas, il n’est plus permis de chercher à faire cesser ce qui est illicite. Dans l’espèce présente, la démolition des synagogues peut amener une guerre civile entre Musulmans. De plus, les jurisconsultes sont unanimes à regarder comme un péché la guerre faite aux tributaires qui n’ont pas violé le pacte;
3** Il faut que celui qui désapprouve soit certain ou au moins ait de fortes raisons de croire que, en faisant cesser ce qui est répréhensible, il le supprimera complètement. Cette condition est nécessaire pour qu’il soit tenu d’agir. Quant aux deux premières, elles ont seulement pour effet de lui permettre d’agir.
Tout ce que vous avez dit, dans le libellé de la question, en fait de preuves et d’argumentation, est entièrement exact.
al-Mâwâshî
La province du Touàt et les autres Qsûr du Sahara sont des pays musulmans et il ne faut pas y tolérer le maintien des synagogues appartenant à des mécréants, bien que quelques oulémas soient partisans de l’opinion contraire. Il en serait autrement, si ces synagogues ont fait l’objet d’une stipulation expresse dans le contrat, en vertu duquel ils (les tributaires) se sont engagés à payer tribut ; en ce cas, on devra respecter le pacte. C’est la doctrine de la Mudawwana et l’opinion d’Ibn Al-Qâsim. On ne doit pas s’en écarter, vu que cette décision est évidente, claire, à moins qu’il n’appert que c’est en vertu d’une clause de leur pacte que les Juifs du Touât ont édifié ces synagogues; en ce cas on peut suivre l’opinion du mouftî (Al-*Asnûnî) qui en a admis le maintien. Quant à toutes les décisions rigoureuses préconisées par son contradicteur (Al-Maghîlî), elles ne s’appliquent qu’aux tributaires qui ont violé leur pacte.
Cette question est traitée dans la Mudawwana^ au chapitre « Du forfait et du louage ». Mâlik y dit que les tributaires ne peuvent construire des synagogues ou des églises nouvelles dans les pays d’Islam, à moins qu’ils n’en aient reçu l’autorisation. La même règle s’applique, selon Ibn AI-Qâsim, aux pays conquis par les Musulmans et ayant fait l’objet d’un lotissement entre eux, comme les villes de Postât (vieux Caire), Basra, Kûfa, Ifrlqyya et d’autres villes de la Syrie. L’auteur du Tahdhîb ne vise que le cas de construction de synagogues ou églises nouvelles ; quanta celles déjà existantes depuis longtemps, on ne doit pas entreprendre de les démolir, car les tributaires sont présumés avoir reçu l’autorisation de les élever. C’est seulement quand il est prouvé qu’ils ont agi sans droit, que la démolition devient obligatoire^ car, pour ces établissements, continuer d’exister (sans droit), c’est l’équivalent de commencer à exister. A défaut de cette preuve, on doit présumer l’absence de transgression de la part des tributaires et l’existence à leur profit d’une autorisation à cet effet. Le maintien de ces synagogues ou églises s’impose dans ce cas, c’est ainsi qu’Al-Lakhmî comprend aussi la Mudawwana, La présomption que les tributaires ont agi sans droit est invraisemblable, car ce sont des tributaires, humbles, abaissés : il est peu probable qu’ils aient agi sans droit, sans que personne ait élevé la voix contre eux.
Ibn Zakrî
Je n’ai pas répondu à votre question, par suite du grand nombre d’occupations qui m’assiègent l’esprit. J’ai reçu également la même question de la part d’Al-Maghîlî. Je n’ai pas d’autre réponse, sur la question, que celle que j’ai déjà donnée relativement à une espèce qui m’a été adressée du Mashriq (Orient), et dont voici les termes :
Un jurisconsulte demande la démolition d’une synagogue appartenant aux tributaires à Jérusalem.
J’ai répondu : « Jérusalem a été prise par les Ṣahāba sans combat; cela est admis sans conteste par tous les historiens. Or, les habitants d’un pays conquis en paix ont le droit de construire de nouveaux établissements pour le culte. Comment, alors, parler de démolir ceux déjà existants avant la conquête? »
Quant aux synagogues des pays sahariens, généralement ces pays sont la propriété des habitants, qui en ont acquis le sol par Iḥyā ou par attribution de lots (ikhlitât). Il est rare que ce soit à la suite d’une conquête pacifique ou par les armes. On ne peut donc avoir aucune raison de démolir les synagogues qui s’y trouvent, à moins de prouver que les Musulmans n’ont cédé la propriété du sol que sous condition qu’on n’y construirait pas des établissements de culte. Cette preuve est nécessaire pour empêcher les constructions nouvelles et rendre obligatoire la démolition de celles déjà existantes. Or, on n’ignore pas que cette preuve n’existe pas. Hors de ce cas, la démolition ne peut être justifiée en aucune façon, à moins que ce ne soit par oppression et injustice envers les tributaires, ou par méconnaissance du caractère légal de l’imposition de la Ğiziya et du contrat par lequel on accorde la Ḏhimma ; autant de choses qui sont parties intégrantes de la religion islamique. Par cette méconnaissance, on contredit l’unanimité absolue qui règne à cet égard, et on sait que cela constitue une impiété. Il n’y a jamais eu de dissidence, en aucun temps et en aucun pays, sur le caractère de prescription mashrū῾iyya reconnu à l’imposition de la Jjizya et à la dhimma que Ton accorde aux tributaires. Il en doit être ainsi jusqu’au jour où Jésus fils de Marie descendra du ciel sur la terre; ce jour-là, on n’accordera plus aucune ḏhimma à l’infidèle.
Ar-Rasâ’
Les tributaires ne peuvent acheter les terrains défrichés par les Musulmans, en stipulant qu’ils y construiront des établissements de culte. Il est, d’autre part, défendu aux Musulmans de leur vendre les terrains qu’ils ont défrichés ou dont ils ont pris possession, pour qu’ils les affectent à des églises ou à des synagogues.
Mais il n’y a aucun obstacle à ce que ces tributaires achètent des terrains pour y élever des maisons servant à leur habitation, car ils paient la capitation et sont placés sous la protection de l’Islam, ce qui rend illicite de leur faire du mal, d’attenter à leurs biens, à leurs animaux de boucherie ou autres.
Sauf la stipulation d’affecter ces terrains à la construction d’établissements de cultes, qui est interdite, les tributaires ont le droit de faire sur les terrains achetés par eux telles constructions que bon leur semble.
Abû-l-Barakât,
Quiconque a tant soit peu d’intelligence, — car je ne parle pas de ceux qui ont des connaissances juridiques, — en examinant les conditions où se présente la question posée ci-dessus, conditions dont chacune peut tenir lieu de tout le reste, — ne peut être partisan de la démolition des synagogues en question, ni même prononcer ce mot. Il est, en effet, plus opportun d’écarter le mal que de chercher à attirer l’avantage, surtout lorsqu’il y a des indices, des preuves qui interdisent d’entreprendre de faire cesser ce que l’on croit être un mal. 11 en est ainsi, notamment, lorsque, pour faire cesser un mal, on doit tomber dans un mal plus grand ; en ce cas, on doit s’abstenir, y eût-il accord unanime sur le caractère répréhensible de la chose. Or, quels plus grands dégâts peut-on concevoir que la démolition, qui peut déchaîner la guerre civile, celle-ci entraînant à son tour le meurtre des personnes, le pillage des biens, allumant le feu de la guerre entre les créatures d’Dieu dans tous les pays? En effet, dès que ce principe est admis et mis en vigueur, il ne cessera pas de se propager d’un pays à l’autre, vu que les méchants et les malfaiteurs se cramponnent au moindre motif qui leur permette de satisfaire leurs mauvais penchants, quand bien même ils sauraient qu’en ce faisant, ils n’obéissent ni à une injonction de faire le bien, ni à une prohibition défaire le mal, de la part de la loi. Comment justifier un pareil acte d’après les principes religieux, surtout quand on a affaire à des cœurs remplis de haine, ce que Ton voit même chez les oulémas qui s’occupent de cette question ?
Mâlik n’a-t-il pas dit qu’il ne faut pas professer des opinions contraires (à celles qui sont admises), car cela fait naître la haine et la rancune ? Et un autre Imâm a dit :
« Souvent la divergence d’opinion, au sujet d’une chose blâmable ou controversée^ fait tomber dans un péché manif este y de raccord de tous. Garder le silence sur une question, quand on sait que le bien qui peut en résulter n’équivaut pas au mal auquel elle peut donner lieu, est le meilleur parti à prendre. L’homme intelligent, qui désire ressusciter une tradition [sounna) et détruire une innovation blâmable {bid’a), doit d’abord considérer le résultat, la fin,
sans se préoccuper de ce qu’exigeraient les circonstances actuelles. En effet, beaucoup d’affaires de peu d’importance à l’origine deviennent, à la fin, d’une gravité considérable. On se repent alors et l’on s’écrie : « Plût à Dieu que je n’eusse rien fait ! »
Un des plus grands arguments en faveur des synagogues est le silence des oulémas et des hommes pieux de tous les pays à cet égard : ils les ont laissées telles qu’ils les avaient trouvées.
Être d’une opinion contraire à celle de ces hommes, c’est commettre une action répréhensible, car c’est les accuser ou de n’avoir pas fait tout leur devoir, ou d’avoir été ignorants, d’avoir donné naissance à une mauvaise innovation, d’avoir approuvé des choses illicites ou, enfin, de s’être fait graisser la patte. Trouver à redire dans la conduite des Imâms orthodoxes, c’est être soi-même un perdu, c’est, par les insinuations de Satan, s’infatuer de soi-même. Accuser les Imâms d’avoir contrevenu à la loi religieuse, c’est encourir une perte éternelle. Le silence des contemporains d’un fait constitue déjà une preuve suffisante, à plus forte raison quand il s’est écoulé des temps dont on ne saurait trouver le point de départ.
Or l’accord des docteurs sur une question en fait la loi.
C’est ainsi que laylat-al-Qadar a été fixée au 27 Ramadan, que les inscriptions sur les pierres tombales ont été autorisées, malgré des hadīṯh en sens contraire.
Bref, la solution qu’il convient d’adopter et sur laquelle on doive s’appuyer, en P espèce présente est qu’il n’est possible en aucune façon de démolir les synagogues en question, quel que soit le lieu où elles sont situées, car c’est un péché, un acte que la loi ne peut permettre. Aucun Musulman ne peut avoir, à ce sujet, un avis contraire. Entreprendre cette démolition, c’est commettre un acte de désobéissance, lors même qu’on serait sur qu’il n’en résulterait pas de plus graves dégâts, car rien ne garantit que ces dégâts ne se produiront pas dans un autre endroit. Telle est la vérité, dont on ne peut s’écarter. Aussi, celui à qui Dieu a confié l’autorité sur ses serviteurs, doit-il mettre dans l’impossibilité d’agir* celui qui désire cette démolition et l’empêcher d’arriver à son but, car le mal qui en résulterait dépasserait de beaucoup le bien que l’on en peut attendre.
Le détenteur du pouvoir est tenu de frapper sur la main de celui qui se dresse pour cela… »
Approbation par ‘Abd ar-Rahmân ibn Sa’ïd.
Al-Wansharîsî :
partisan de la démolition des synagogues du Touât, attendu que ce pays « est un pays d’Islam, fondé par les Musulmans, et qu’il ne peut y être maintenu aucune synagogue au profit des Juifs maudits, qu’Dieu les éloigne ! »
At-Tanassī
(Tanassî rapporte, ici, en extraits, les opinions de la majorité des jurisconsultes de renom, tels que Mâlik, Ibn Al-Qâsîm, Ibn Rouschd, Ibn Yûnis, Ibn \\rafa, Al-Lakhmî, etc. Naturellement, il ne cite que ce qui vient à l’appui de sa thèse.)
L’origine des principes qui régissent cette question est dans les hadiths. Anas a raconté, en effet, que le Prophète a dit:
« Démolissez les couvents et les églises ! » >Il a dit encore, d’après ‘Umar ibn Al-Khattâb : « Aucune synagogue ne peut être fondée dans L’Islâm, et on ne remettra pas à neuf celles qui seront démolies. » Mâlik rapporte que le Prophète avait fait la prédiction suivante : « Qu’il ne soit pas élevé au milieu de vous une juive ni une chrétienne », ce qui veut dire une synagogue et une église. Toutes ces prophéties seront réalisées.
De même ‘Umar ibn Al-Khattâb ordonna la destruction de toute synagogue qui ne datait pas d’avant l’Islâm.
Dans toute ville créée par les Arabes, a dit ibn *Abbâs, les étrangers ne peuvent construire d’églises, montrer en public leur vin, introduire des cochons, ni sonner des cloches.
Par villes créées par les Arabes, on entend 1″* celles qui se sont converties à l’lslâm, comme Médine, le Tâïf et le Yémen; 2® toutes celles qui n’étaient occupées par aucune population et que les Musulmans ont bâties et habitées, comme Kûfa et Basra ; toutes celles qui ont été conquises par les armes et que l’Imâm n’a pas cru devoir restituer à ses habitants. Quant aux villes conquises pacifiquement, on n’y conservera que les églises ou synagogues qui ont été mentionnées dans le traité de paix.
S’il s’agit de ville conquise par les armes, l’autorisation d’y maintenir les églises ou synagogues doit avoir été donnée au moment même où la conquête a eu lieu. Et si c’est une ville fondée par les Musulmans, cette autorisation doit être contemporaine du premier établissement des tributaires.
C’est ainsi que lorsque les chrétiens de Tunis bâtirent une église dans leur fondouq et qu’on leur dénia ce droit, ils produisirent un pacte (ancien), où il était dit qu’on ne mettrait pas d’obstacle à ce qu’ils bâtissent des établissements pour l’exercice de leur culte ^ Si l’autorisation tardive était suffisante, on n’aurait pas dénié le droit en question aux chrétiens, puisqu’ils eussent pu alors obtenir cette autorisation.
D’après le Shaikh Abû-l-Hasan Al-Maghribî, l’Imâm peut autoriser la construction d’églises ou de synagogues par les tributaires, s’il doit en résulter un avantage pour les Musulmans, par exemple, si ces tributaires sont plus experts que les Musulmans dans Tart de bâtir, de plante ou de défricher, etc.
A la question suivante : « Doit-on démolir une synagogue, dont on a démontré la construction récente ? », les membres du conseil de Cordoue ont répondu en ces termes:
« La synagogue sera démolie après interpellation finale car les lois musulmanes ne permettent pas aux tributaires juifs ou chrétiens l’édification de nouvelles synagogues ou églises dans les villes de L’Islâm, ni au milieu des Musulmans. »
’Ubaid Allah ibn Yahyâ ; — Muhammad ibn Loubâba ; — Ibn Ghâlib ; — Ibn Walîd; — Sa’d ibn Mou^âd ; — Yahyâ ibn ‘Abd Al-Azîz; — Ayyûb ibn Sulaimân ; — Sa’îd ibn Jubair.
Qâsim ibn Sa*îd Al-‘Uqbânî se montre très sévère envers les Juifs du Touât, « qui sont, dit-il, sortis des limites de l’humiliation ». Il leur prédit un grand châtiment pour le jour de la résurrection et ajoute : « Les Juifs du Touât, quand ils partent actuellement en voyage, montent à cheval, en selle de prix, revêtent de beaux costumes, se parent comme les Musulmans, en mettant des bottes, des éperons, se coiffent du turban, autant de choses qui constituent un péché odieux et une action détestable. Il convient de donner tous les ordres possibles pour faire cesser cet état de choses.
« Pour légitimer leur conduite, les Juifs prétendent qu’ils craindraient pour leurs personnes et leurs biens, s’ils laissaient apparaître (en voyage) les marques distinctives qui permettent de les reconnaître. Ce sont des menteurs, vu que nous avons été témoins de la pleine sécurité dont ils jouissent auprès des Arabes, bédouins ou citadins, à cause des profits que ces derniers espèrent retirer d’eux. Si bien que l’Arabe consentirait à périr lui et toute sa famille pour sauver le Juif qu’il accompagne. Il ne reste plus alors, que ce fait que les Juifs, voyant la liberté à eux laissée par les chefs arabes, qui ne les désapprouvent pas, se sont permis de s’habiller à la manière la plus élégante des Musulmans.
En effet, ils n’agissaient pas ainsi dans les villes, — qu’Dieu les extermine et honore Flslâm par leur humiliation et leur abaissement! Aujourd’hui ces Juifs sont encore allés plus loin dans cette voie. Puisse Dieu remettre la fracture de l’Islâm! car les cœurs des rois sont entre ses mains. »
Voici d’ailleurs une question analogue soumise au jurisconsulte Abû-l-Qâsim Al-‘Abdûsî :
« Dans un village récemment fondé par les Musulmans, les Juifs — qu’Dieu les confonde ! — ont bâti une synagogue et se sont mis à pratiquer leur culte polythéiste (širk). Il en fut ainsi jusqu’au jour où un homme de science et de religion ordonna la destruction complète de cette synagogue, ce qui fut fait. Les Juifs demandent maintenant à reconstruire leur synagogue ; mais il n’y a en leur faveur aucune stipulation, à cet égard, dans la convention relative à la dhimma et à la ğiziya. Faut-il faire droit à leur demande ?
« Les Juifs ne peuvent ni construire une nouvelle synagogue, ni réparer celles existant déjà, dans aucun pays d’Islam. Telle est la doctrine de Mâlik, rapportée par Ibn Al-Qâsim, au chapitre du forfait et du louage de la Mudawwana. S’ils le font malgré la défense à eux adressée, ce sera de leur part une violation du pacte. En conséquence, il sera permis aux Musulmans de s’emparer de leurs biens, leurs enfants et leurs femmes, de la même manière que s’il s’agissait d’ennemis en pays ennemi. »
Après avoir affirmé que les rites Malékite, Schâfi’îte, Hanbalite, Hanafite et Dhâhirite sont d’accord sur la question, Tanassî ajoute :
« Tout Musulman qui en a le pouvoir doit s’employer, dans toute la mesure de son possible, à démolir la synagogue de Tamantît. Il doit y dépenser tous les efforts qu’il peut fournir, car c’est un acte de la plus méritoire des guerres saintes. Quiconque met obstacle à cette démolition, tombe sous le coup de la réponse de l’Imâm du Maghreb, Al-‘Abdûsî, qui le déclare infidèle ou au moins pécheur (fâsiq) ce qui entraîne sur lui la malédiction d’Dieu, des anges et des hommes tous ensemble.
Les Juifs ne peuvent arguer de leur longue possession (hiyâza) car cela peut avoir, au plus, pour résultat de faire reconnaître à leur profit un droit d’usufruit sur la chose possédée. Or, ils seraient propriétaires de cet usufruit, en vertu d’une donation^ qu’ils n’auraient pas de ce chef le droit de bâtir une synagogue, par égard pour les droits de l’Islâm. Comment leur reconnaître ce droit, quand ils n’ont que la possession^ qui est moindre que la propriété évidente. D’autant plus que les textes de la doctrine sont d’accord pour dénier tout effet à la possession, quand il s’agit de choses sur lesquelles s’exerce le droit d’Dieu, comme les habous. Au contraire, d’après ces textes, ce droit est imprescriptible, même s’il est intervenu une décision judiciaire (en faveur du possesseur).
Les Juifs ne peuvent non plus tirer argument de ce que beaucoup de synagogues existent dans beaucoup de villes, car l’existence prolongée ou la fréquence de ce qui est illicite n’influent en rien sur les règles qui le gouvernent. En effet, il n’y a pas d’acte illicite plus grave que l’inobservation de la prière, qui entraîne la peine de mort. Or, en Orient comme en Occident, beaucoup de personnes n’observent pas la prière ; cela n’empêche pas] que les docteurs indiquent comme obligatoire la mise à mort du coupable. Ils ne tiennent aucun compte du grand nombre de ceux qui tombent dans ce péché. De même, ils interdisent la construction des synagogues et ordonnent la démolition de celles qui sont déjà bâties, sans prendre en considération le grand nombre, ni l’existence prolongée de ces établissements. Les textes qui imposent ces décisions ne peuvent être méconnus que par celui qui traite de mensongère la loi religieuse et travaille à la démolir.
As-Sanûsî (Tlemcen) :
Approbation de la Fatwâ ci-dessus, grand éloge de Tanassî, et recommande à Al-Maghilî et à la population de Ṭamanṭīṭ d’agir en conformité de la Fatwâ ci-dessus.