Ibn Khaldoun, Origines mythiques des berbères, v. 1375 n-è

NOTICE SUR LES TRIBUS ET LES DYNASTIES DES BERBÈRES, L’UN DES DEUX GRANDS PEUPLES QUI HABITENT LE MAGHREB. HISTOIRE DE CETTE RACE DEPUIS LES TEMPS LES PLUS ANCIENS JUSQU’A NOS JOURS ET EXPOSÉ DES DIVERSES OPINIONS QU’ON A ÉNONCÉES AU SUJET DE SON ORIGINE.

Depuis les temps les plus anciens cette race d’hommes habite le Maghreb dont elle a peuplé les plaines, les montagnes, les plateaux, les régions maritimes, les campagnes et les villes. Ils construisent leurs demeures soit de pierres et d’argile, soit de roseaux et broussailles, ou bien encore de toiles faites avec du crin ou du poil de chameau.

Ceux d’entre les Berbères qui jouissent de la puissance et qui dominent les autres s’adonnent à la vie nomade et parcourent, avec leurs troupeaux, les pâturages auxquels un court voyage peut les amener ; jamais ils ne quittent l’intérieur du Tell pour entrer dans les vastes plaines du Désert. Ils gagnent leur vie à élever des moutons et des bœufs ; se réservant ordinairement les chevaux pour la selle et pour la propagation de l’espèce.

Une partie des Berbères nomades fait aussi métier d’élever des chameaux ; se donnant ainsi une occupation qui est plutôt celle des Arabes. Les Berbères de la classe pauvre tirent leur subsistance du produit de leurs champs et des bestiaux qu’ils élèvent chez eux; mais la haute classe, celle qui vit en nomade, parcourt le pays avec ses chameaux, et toujours la lance en main, elle s’occupe également à multiplier ses troupeaux et à dévaliser les voyageurs.

Leurs habillements et presque tous leurs autres effets sont en laine. Ils s’enveloppent de vêtements rayés dont ils rejettent un des bouts sur l’épaule gauche, et par-dessus tout, ils laissent flotter des burnous noirs. Ils vont, en général, la tète nue, et de temps à autre ils se la font raser.

Leur langage est un idiome ‘Ajamî, différent de tout autre : circonstance qui leur a valu le nom de Berbères.

Voici comment on raconte la chose :

Ifrîqus b. Qays b. Sayfî, l’un des rois Tubba (mythologie yemenite), envahit le Maghreb et l’Ifriqya, et y bâtit des bourgs et des villes après en avoir tué le roi, Al-Jarjîs.

Ce fut même d’après lui, à ce que l’on prétend, que ce pays fut nommé l’Ifriqya. Lorsqu’il eut vu ce peuple de race étrangère et qu’il l’eut entendu parler un langage dont les variétés et les dialectes frappèrent son attention, il céda à l’étonnement et s’écria : « Quelle Br-bra est la vôtre ! »

On les nomma Berbères pour cette raison. Le mot birbara signifie, en arabe, « mélange de cris inintelligibles » ; de là on dit, en parlant du lion, qu’il birbar, quand il pousse des rugissements confus.

Les hommes versés dans la science des généalogies s’accordent à rattacher toutes les branches de ce peuple à deux grandes souches : celle de Barnis et celle de Madghis.

Comme ce dernier était surnommé Al-Abtar, on appelle ses descendants Al-Butr, de même que l’on désigne par le nom de Barânis les familles qui tirent leur origine de Barnis. Madghis et Barnis s’appelaient chacun Ibn Barr ; cependant, les généalogistes ne s’accordent pas tous à les regarder comme issus d’un même père : Ibn Hazm, par exemple, dit, sur l’autorité de Yûsuf al-Warraq, qui tenait ses renseignements d’Ayûb b. Abû Yazîd (l’homme à l’âne), qu’ils étaient fils du même père, mais les généalogistes du peuple berbère, tels que Sabiq b. Sliman al-Matmati, Hani b. Masdûr (ou Isdûr) al-Kûmi et Kahlan b. Abi Luwa déclarent que les Barânis sont enfants d’un Barr qui descendait de Mazîgh, fils de Qana‘an, tandis que les Butr ont pour aïeul un autre Barr qui était fils de Qays, et petit-fils de Ghailan.

Quelquefois, même, on donne ce dernier renseignement sur l’autorité d’Ayûb Abû Yazîd ; mais la déclaration d’Ayûb lui-même, telle qu’Ibn Hazm nous l’a transmise, doit être accueillie par préférence, à cause de l’exactitude bien reconnue de cet auteur.

 

-Selon la plupart des généalogistes, les Barânis forment 7 grandes tribus :

.Azdaja, (A la branche d’Azdaja appartiennent :

Mestaça

Masmûda

Ghumara. Ceux-ci sont les enfants de Ghomar b. Mastaf b. Falîl b. Masmûd.)

 

.Masmûda

.Awraba

.Ajîsa

.Kutama

.Sanhaja

.Awrîgha (D’Awrîgh sortent :

Hawara De [lui], les Malîla et les Bni Kamlan;

Mild De [lui], les Satat, les Urfal, les Wasîl et les Misrata. Comme ces dernières familles eurent pour aïeul Lihan b. Mild, on les désigne collectivement par le nom des Lihana. A cette catégorie on ajoute même quelquefois le nom des Malîla.

Qalden, [son frère, de lui] naquirent Camsana , Ourstîf, Bîata et Bel.

Magghir, fils d’Aurîgh, eut pour fils Mawas, Zammûr, Kaba et Masray )

Sabiq b. Sliman et ceux qui suivent son autorité y ajoutent

.Lamta,

.Haskura

.Gezûla.

« L’on rapporte, dit Abû Muhammad b. Hazm, que Sanhaj et Lamt étaient fils d’une femme nommée Tîzki et que l’on ignore le nom de leur père. Cette femme devint l’épouse d’Awrigh dont elle eut un fils nommé Hawar. Quant aux deux autres, tout ce que l’on sait à leur égard se borne au fait qu’ils étaient frères de Hawar par leur mère. » Quelques personnes, ajoute le même auteur, prétendent qu’Awrîgh etait fils de Khabbûz b. Al-Muthanna b. As-Sakasik b. Kinda, ce qui est absurde. »

« Les tribus de Ketama et de Sanhaja, dit Ibn al-Kalbî, n’appartiennent pas à la race berbère : elles sont branches de la population yémenite qu’Ifrîqus b. Sayfî établit en Ifrîqya avec les troupes qu’il y laissa pour garder le pays. »

Voilà, en somme, les opinions que les investigateurs les plus exacts ont énoncées au sujet des origines berbères.

 

-Les Botr, descendants de Madghis al-Abtar, (Ces branches ont pour souche commune Zahhîk/Zajjîk, fils de Madghis) forment 4 grandes familles :

.Addasa : Les Addasa, enfants d’Addas, fils de Zahhîk, forment plusieurs branches et se confondent avec les Hoouara. La raison en est que la mère d’Addas, après avoir été la femme de Zahhîk, épousa Awrîgh b. Barnas, cousin de son premier mari et père de Hawara. Addas étant ainsi devenu frère de Hawara, ses descendants sont tous classés au nombre des enfants de celui-ci. Voici les noms des fils d’Addaça :

Safara

Andara

Hanzûna

Anbira

Haragha

Awtîta

Tarahna

Bien qu’ils naquirent tous d’Addas, fils de Zahhîk et petit-fils de Madghis, on compte aujourd’hui leurs descendants parmi les Hawara.

.Nafûsa

.Darîsa

.Luwa l’ancien est l’aïeul de deux grandes familles :

Nafzawa (mot dans lequel on donne au z un son qui se rapproche du sh), enfants de Nafzaw, fils de Luwa l’ancien

La tribu de Nafzawa fournit un grand nombre de branches, telles que

Ulhasa : se composent d’un grand nombre de familles qui dérivent de deux aïeux : Tîdghast et Dihya, tous les deux fils d’Ulhasa

De Tîdghas proviennent les Urfejjuma, tribu qui renferme

Zajjal

Tû,

Burghush,

Wanjaz

Kartît

Manjdal

Sînt

Tous descendus d’Urfajjûm, fils de Tîdghas, fils d’Ulhas, fils d’Ituwaft, fils de Nafzaw.

Ibn Sabiq et les gens de son école disent que les descendants de Tîdghas appartiennent à la branche de Luwata et qu’ils habitent le mont Aurès.

De Dihya dérivent :

Urtadîn

Tarîr

Urlattunt

Makra

Ifwîn

 

Ghassasa

Zahîla

Sumata

Ursîf,

Mernîza

Zatîma

Urkûl

Mernîsa

Urdeghrus

Urdîn

Toutes ces familles descendent d’Ituwaft b. Nafzaw. A cette liste Ibn Sabiq et ses disciples ajoutent

Majar

Meklata.

« Quelques personnes, dit ce généalogiste, refusent à Meklata qualité de berbère. Selon leur opinion, il appartenait à la race himyarite, et étant tombé encore jeune, au pouvoir d’Ituwaft, il fut adopté par lui. Son vrai nom était Mekla, fils de Rîman, fils de Kelâ-Hatim, fils de Sâd, fils de Himyar. »

Luwata, enfants de Luwa le jeune, fils de Luwa. Luwa le jeune était encore dans le sein de sa mère lorsqu’il perdit son père ; c’est pourquoi il reçut le même nom que lui.

Les Luwata se partagent en plusieurs branches, savoir :

Agûra b. Masila

Atrûza b. Masila

Mezata b. Zaïr

Maghagha  b. Katûf

Jidana b. Katûf

Ibn Sabiq et les généalogistes de son école regardent les Maghagha, les Jidana, les Agûra et les Atrûza comme les enfants de Masila b. Luwa le jeune.

Aux Luwata appartiennent les

Sidrata b. Nîtat b. Luwa le jeune.

Leur généalogie se rattache à celle des Maghrawa, « car, dit Ibn-Hazm, Maghraw épousa la mère de Sidrata, lequel devint ainsi frère utérin des enfants de Maghraw. »

.Darîsa, descendants de Dari, fils de Zahhîk, fils de Madhgis-al-Abtar, forment ensemble deux grandes familles : les enfants de Tamzît b. Dari, et ceux de Yahya b. Dari.

« Toutes les ramifications de Tamzît, disent Ibn Sabiq et ceux de son école, sortent de la souche de Faten b. Temzît. On leur accorde spécialement le titre d’enfants de Dari, à l’exclusion des familles descendues de Yahya, fils de Dari. »

Les branches des Tamzît :

Matmata

Satfoura, appelés aussi les Koumïa

Lamaya

Matghara

Sadîna

Maghîla

Malzuza

Keshana

Dûna

Madîûna

Les branches de Yahya sont : la totalité des familles qui compose la tribu de Zenata, et, de plus, les Semgan et les Urstîf.

Des Urstîf dérivèrent les Miknasa, les Awgtia, les Urtenaj et les Meggen ; tous enfants d’Urstîf b. Yahya.

De Miknas sont issus les Urtîfa, les Urtedous, les Teflît, les Ansara, les Muwalat, les Harat et les Urflas.

De Meggen provinrent les Bûlalîn , les Terîn, les Isliten, les Jarîn et les Fughal.

Ourtenaj est l’aïeul des Makansa , des Batalsa, des Karnîta, des Sadarja, des Hanata et des Foulai ; tous enfants d’Ourtenaj b. Urstîf.

Semgan, fils de Yahya, est père des Zwagha et des Zwawa.

lbn-Hazm classe les Zwawa parmi les tribus ketamiennes ; opinion assez vraisemblable et qui peut s’appuyer sur le fait que le territoire touche à l’ancien territoire des Ketama]. Il est donc probable que les Zwawa, compris ici parmi les Semgan, ne sont autres que les Zwaza, tribu dont l’existence est une chose reconnue.

De Zwagha sont issus les Majer, les Watîl, et les Semkîn.

 

Ce que nous donnons ici, n’est qu’une esquisse des diverses branches dont se compose la race berbère ; mais nous traiterons à fond de toutes ces tribus, puisque nous aurons à raconter l’histoire de chacune d’elles.

Maintenant si l’on aborde la question de savoir jusqu’à quel peuple des temps anciens il serait possible de faire remonter les Berbères, on remarquera une grande diversité d’opinion chez les généalogistes, classe de savants qui ont consacré à ce sujet des longues études.

Les uns les regardent comme les descendants de Yaqsan fils d’Abraham, le même dont nous avons fait mention en parlant de ce patriarche. D’autres les considèrent comme Yémenites, et d’autres comme une population mélangée, venue du Yémen.

Selon Al-Mas‘ûdî ce sont un débris de Ghassanide et autres tribus qui se dispersèrent à la suite du Torrent d’Arim. « Ce sont, disent quelques-uns, des gens qu’Abraha Dhu al-Manar laissa après lui en Maghreb ; ils appartiennent, disent encore d’autres, aux tribus de Lakhm et de Judam. Ils avaient habité la Palestine, mais ils en furent expulsés par un roi de Perse. Arrivés en Égypte, ils ne purent obtenir des souverains de ce pays l’autorisation d’y rester ; aussi traversèrent-ils le Nil et se répandirent dans le pays [d’Afrique]. »

« Quelques peuplades berbères, dit Abû ‘Umar b. ‘Abd-al-Barr (Lisbonne-Santarem, 1070), prétendent former la postérité d’An-Nu‘man b. Himyar b. Saba‘. Moi-même, dit-il, j’ai lu dans l’ouvrage d’Al-Isfendad le philosophe, qu’An-Nu‘man était le [plus grand] roi de la période qui sépare la mission de Jésus de celle de Muhammad. Ayant convoqué ses fils il leur adressa ces paroles : je veux envoyer quelques-uns  d’entre vous en Maghreb pour le peupler. Malgré leurs remontrances, il persista dans sa résolution, et y expédia Lamt, l’aïeul des Lamtûna, Masfw, l’aïeul des Masûfa, Marta, l’aïeul des Haskura, Asnag, l’aïeul des Sanhaja, Lâmt, l’aïeul des Lâmta, et Aîlan, l’aïeul des Haylana. Les uns se fixèrent dans la montagne de Deren, et les autres dans le Sûs et le Dara‘. Lamt s’arrêta chez Gazûl et en épousa la fille ; Ajjana, le pére des Zenata , s’établit auprès du Chélif ; les Urtajîn et les Maghraw fixèrent leur séjour sur la frontière de l’Ifrîkïa, du côté du Maghreb, et Masmûd alla habiter dans le voisinage de Tanger. »

Nous supprimons le reste de cette légende qui est très longue et dont Ibn ‘Abd-al-Barr lui-même, ainsi qu’Ibn Hazm, a contesté l’exactitude.

Selon d’autres, les Berbères seraient tous une portion du peuple de Jalût, et voila le généalogiste ‘Ali b. ‘Abd al-‘Azîz al-Jurjani qui dit dans son livre des généalogies :

« Je ne connais aucune opinion à ce sujet qui se rapproche plus de la vérité que l’hypothèse d’après laquelle ils seraient les enfants de Jalût. »

Il néglige toutefois de nous informer de quelle famille provenait ce Jalût, mais Ibn Qutayba (Baghdad, 907) supplée à son silence et nous dit que le Jalût en question se nommait Wannûr et qu’il était fils de Harmal, fils de Jadîlan, fils de Jalûd, fils de Redîlan, fils de Hati, fils de Zîad, fils de Zajjîk, fils de Madghis al-Abtar.

L’on rapporte aussi sur l’autorité du même historien, que Jalût était fils de Heryal, fils de Jalûd, fils de Dîal, fils de Qahtan, fils de Faris, « personnage bien connu, dit-il, et Safak (cf : Flavius Iosephe) est l’ancêtre de tous les Berbères. »

Selon les mêmes personnes, les Berbères se composent d’une foule de branches et de tribus, à savoir : les Hawara, les Zenata, les Darîsa, les Maghîla, les Ourfejjûma, les Nafza, les Kutama, les Luwata, les Ghumara, les Masmûda, les Sadîna, les Izderan, les Daranjîn, les Sanhaja, les Majaksa, les Warglan, etc..

Selon At-Tabari et d’autres historiens, les Berbères sont un mélange de Cananéens et d’Amalécites qui s’étaient répandus dans divers pays après que Goliath fut tué ; Ifrîqus, ayant envahi le Maghreb, les y transporta des côtes de la Syrie, et les ayant établis en Ifrîqya, il les nomma Berbères.

Les Berbères, selon une autre opinion, descendent de Cham, fils de Noé, et ont pour aïeul Barbar, fils de Tamla, fils de Mazîgh, fils de Canaan, fils de Cham.

« Ils descendent, dit As-Sûli (Basra 947), de Barbar, fils de Casluhîm, fils de Mesraïm, fils de Cham. »

Selon une autre hypothèse, ce sont des Amalécites, et ils descendent de Barbar, fils de Tamla, fils de Marib, fils de Faran, fils de ‘Amr, fils d’Amaliq, fils de Lawd, fils de Sem [sic]. D’après cette opinion, les Berbères seraient des Amalécites.

« Les Berbères, ditMalik b. Murahhil (secrétaire d’Abû Yûsuf Ya’qûb), se composent de diverses tribus himyarites, mudarites, coptes, amalécites, cananéennes et qurayshites qui s’étaient réunies en Syrie et parlaient un jargon barbare. Ifrîqus les nomma Berbères à cause de leur loquacité. »

El-Masoudi, Et-Taberi et Es-Suhayli (Marrakech, 1185) rapportent qu’Ifrîqus forma une armée avec ces gens afin de conquérir l’Afrique, et que ce fut là la cause de leur émigration. Il les nomma Berbères, et [à ce sujet] on cite de lui le vers suivant:

Le peuple cananéen murmura [berberat] quand je le forçai à quitter un pays misérable pour aller vivre dans l’abondance.

« On n’est point d’accord, dit Ibn al-Kalbi, sur le nom de celui qui éloigna les Berbères de la Syrie. Les uns disent que ce fut David qui les en chassa après avoir reçu par une révélation divine l’ordre suivant : 

« Ô David ! fais sortir les Berbères de la Syrie, car ils sont la lèpre du pays ». 

D’autres veulent que ce soit Josué, fils de Noun, ou bien Ifrîcos, ou bien encore un des rois Tubba qui les en expulsa. »

Al-Bakri les fait chasser de la Syrie par les Israélites, après la mort de Goliath, et il s’accorde avec El-Masoudi à les représenter comme s’étant enfuis dans le Maghreb à la suite de cet événement. Ils avaient voulu rester en Egypte, dit-il, mais ayant été contraints par les Coptes à quitter ce pays, ils allèrent à Barca, en Ifrîkïa et en Maghreb. Ayant eu à soutenir dans ces contrées une longue guerre contre les Francs et les Africains, ils les obligèrent à passer en Sicile, en Sardaigne , en Maïorque et en Espagne. Ensuite la paix se rétablit à la condition que les Francs n’habiteraient que les villes du pays. Pendant plusieurs siècles, les Berbères vécurent sous la tente, dans les régions abandonnées, et ne s’occupaient qu’à mener paître leurs troupeaux aux environs des grandes villes, depuis Alexandrie jusqu’à l’Océan, et depuis Tanger jusqu’à Sous. Tel fut l’état dans lequel l’Islamisme les trouva. Il y avait alors parmi eux [des tribus] qui professaient la religion juive; d’autres étaient chrétiennes, et d’autres, païennes, adorateurs du soleil, de la lune et des idoles. Comme ils avaient à leur tête des rois et des chefs, ils soutinrent contre les musulmans plusieurs guerres trèscélèbres.

« Satan, dit Al-Bakri, sema la discorde entre les enfants de Cham et ceux de Sem ; aussi, les premiers durent se  retirer dans le Maghreb où ils laissèrent une nombreuse postérité. »

« Cham, ajoute-t-il, étant devenu noir par suite de la malédiction prononcée contre lui par son père, s’enfuit en Maghrib pour y cacher sa honte, et il y fut suivi par ses fils. Il mourut à l’âge de 400 ans. Berber, fils de Casluhim, un de ses descendants , laissa une nombreuse postérité en Maghreb. »

Ailleurs, le même auteur dit :

« Aux Berbères se joignirent deux tribus d’Arabes yémenites, les Kutama et les Sanhaja, qui venaient de quitter Marib. »

Il dit encore que Hoouara, Lamta et Louata sont les enfans de Himyer-Ibn-Seba.

Selon plusieurs généalogistes berbères, dont nous nous bornerons à nommer Hani b. Bakûr ad-Darîsî, Sabiq b. Sliiman al-Matmati, Kahlan b. Abî Luwa et Ayub b. Abî Yazîd, les Berbères forment deux grandes branches, les Baranis et les Butr. Ceux-ci, disent-ils, tirent leur origine de Barr, fils de Qays, fils de Ghailan ; mais les Baranis descendent de Barr b. Safgû b. Abdaj b. Hanah b. Ulîl b. Sharat b. Nam b. Duwîm b. Dam b. Mazîgh fils de Canaan, fils de Cham.

Voilà l’opinion soutenue par les généalogistes appartenant à la nation berbère.

« Barr, fils de Qays, dit At-Tabari, sortit pour chercher une chamelle qui s’était égarée dans les tribus berbères, et ayant conçu de l’amour ponr une jeune fille, il l’épousa et en eut des enfants. »

De leur côté, les généalogistes berbères disent qu’il quitta son pays pour échapper à la haine de son frère, ‘Amr b. Qays, et qu’à ce sujet [leur frère] Tumadar prononça les vers suivants:

Toute femme qui pleure la perte d’un frère peut prendre exemple sur moi 

Qui pleure Barr fils de Qays.

Il quitta sa famille et se jeta dans le Désert. 

Avant de le retrouverla fatigue aura amaigri nos chameaux.

Ils attribuent encore au même poète un morceau que nous reproduisons ici:

Barr s’est choisi une demeure loin de notre pays.

Barr a quitté sa patrie pour se rendre à une autre destination.

On reproche à Barr son idiôme étranger 

A Barr qui parlait si purement quand il habitait le Najd et le Hijaz.

Comme si nous et Barr n’avions jamais lancé nos coursiers en avant

Pour faire des incursions dans le Najd

Comme si nous n’avions jamais partagé la proie et le butin.

Les savants d’entre les Berbères citent aussi les vers suivants de ‘Ubayda b. Qays al-Usaylî :

Ô toi qui cherches à mettre la désunion entre nous; arrête! et que Dieu te dirige dans la voie des hommes de bien!

Je le jure! Nous et les Berbères sommes frères; comme nous, ils remontent jusqu’au même noble aïeul.

Notre père, Qays Ghailan, est aussi le leur, c’est lui qui atteignit le faite de la gloire, pendant qu’au milieu des combats il abreuvait ses guerriers altérés.

Avec ses enfants nous formons une forte colonne, et nous restons frères, malgré les efforts de nos ennemis, gens que leurs qualités rendentméprisables.

Tant qu’il y aura des hommes, nous défendrons Barr, et Barr sera pour nous un fort appui.

Pour recevoir nos adversaires nous tenons prêts des coursiers sveltes et légers, des épées qui tranchent les têtes au jour du combat.

[Les enfants de] Barr, fils de Qays, sont une noble troupe de la race de Mudar; tisse tiennent sur la cime de la gloire que s’est acquise cetteillustre famille.

[La tribu de] Qays est partout le soutien de la foi; elle est la plus noble branche de la famille de Mâdd, si l’on examine sa généalogie.

Qays a conquis une renommée qui sert de modèle aux autres tribus; à Qays appartient l’épée dont les tranchants sont bien effilés.

Ils citent encore les vers suivants, tirés d’un poème composé par Yezîd-Ibn-Khaled à la louange des Berbères:

0 toi qui désires connaître nos aïeux! [descendants de] Qays Ghailan, nous sommes les enfants de la noblesse la plus ancienne.

Tant quenous vivrons, nous serons fils de Barr le généreux; rejetons d’une souche enracinée dans le sol de la gloire.

Barr s’est élevé un édifice de gloire dont l’éclat rejaillit au loin, et il nous a garantis contre les malheurs les plus graves.

Barr réclame Qays pour aïeul; et certes Qays peut réclamer parenté avec Barr.

La gloire de Qays est la nôtre; il est notre grand aïeul, le même qui sut briser les chaînes des captifs.

Qays, Qays Ghailan, est la source du vrai honneur et notre guide vers la vertu.

En fait de bonté [Barr] que le Barr de notre peuple te suffise; ils ont subjugué la terre avec la pointe de la lance.

Et avec des épées qui, dans les mains de nos guerriers ardents, abattent les têtes de ceux qui méconnaissent le bon droit.

Portez aux Berbères, de ma part, un éloge brodé avec les perles de la poésie la plus exquise‘.

Voici un récit provenant des généalogistes berbères et reproduit par Al-Bakri et d’autres auteurs :

« Mudar avait deux fils : Al-Yas et Ghaylan. Leur mère, Ar-Rabab, était fille de Hîda b. ‘Amr b. Ma‘add b. ‘Adnan. Ghaylan b. Mudar engendra Qays et Dahman. Les enfants de Dahman sont peu nombreux et forment une famille Qaysite à laquelle on donne le nom de Bni ‘Amama. Dans cette maison naquit une fille qui porta le nom d’Al-Biha bt. Dahman. Quant à Qays b. Ghaylan, il engendra 4 fils : Sa‘d, ‘Amr, Barr et Tumadar, dont les deux premiers naquirent de Muzna bt. Asad b. Rabi‘a b. Nizar, et les deux derniers de Tamzîgh bt. Majdal b. Majdal b. ghumar b. Masmûd. A cette époque, les tribus berbères habitaient la Syrie, et ayant les Arabes pour voisins, ils partagaient avec eux la jouissance des eaux, des pâturages, des lieux de parcours, et s’alliaient à eux par des mariages. Alors Barr b. Qays, épousa sa cousine, Al-Biha bt. Dahman, et encourut ainsi la jalousie de ses frères. Tamzîgh, sa mère, femme d’une grande intelligence, craignant qu’ils ne le tuassent, avertit secrètement ses oncles maternels et partit avec eux et son fils et son mari, pour la terre des Berbères, peuple qui habitait alors la Palestine et les frontières de la Syrie. El-Beha donna à Barr-Ibn-Qays deux enfants, Alouan et Madghis. Le premier mourut en bas-âge, mais Madghis resta. Il portait le surnom d’El-Abter et était père des Berbères-Botr. Toutes les tribus zenatiennes descendent de lui. »

Les mêmes historiens disent que Madghis b. Barr, et surnommé Al-Abtar, épousa Amlal bt. Watas b. Majdal b. Majdal b. Ghumar, et qu’il eut d’elle un fils surnommé Zahhîk b. Madghis.

Abû ‘Umar b. ‘Abd al-Barr dit, dans son ouvrage intitulé Kitab at-Tamhid (classification des généalogies) :

« Une grande diversité d’opinion existe au sujet des origines berbères ; mais la plus probable est celle qui représente ce peuple comme les enfants de Qubt, fils de Ham. Quand il se fut établi en Égypte, ses fils en sortirent pour aller vers le Maghrib, et ils prirent pour habitation le territoire qui s’étend depuis la frontière de l’Égypte jusqu’à l’Océan Vert et la mer de l’Andalousie, en passant derrière Barqa, et en se prolongeant jusqu’à la limite du grand Désert. De ce côté ils se trouvèrent dans le voisinage immédiat des peuples nègres.

Une de leurs familles, les Luwata, occupa le territoire de Tripoli ; et une autre peuplade, les Nafza, s’établirent auprès de cette ville. De là, ils s’avancèrent jusqu’à Cairouan, et passèrent en avant jusqu’à ce qu’ils parvinrent à Tahert, à Tanger, à Sijilmasa et au Sûs al-Aqsa. Ces populations étaient des Sanhaja, des Kutama, des Dukkala, branche des Warglawa, des Ftwaka, branche des Haskûra, et des Miztawa. »

Quelques investigateurs de l’antiquité racontent que Satan ayant semé la discorde entre les enfants de Cham et ceux de Sem, plusieurs conflits eurent lieu entre les deux races, et la guerre se termina par le triomphe de Sem et de ses fils. Cham s’en alla vers le Maghrib et entra en Égypte. Après la dispersion de ses enfants, il continua sa route vers le Maghrib et atteignit le Sûs al-Aqsa. Ses enfants allèrent à sa recherche, et chacune de leurs bandes parvint à un endroit différent. N’ayant plus entendu parler de lui, ils s’établirent dans ces endroits et s’y multiplièrent. [Chaque] troupe de gens qui arriva chez eux y fixa son séjour et s’y multiplia aussi.

Al-Bakri rapporte que Cham vécut 443 ans, mais d’autres historiens lui donnent 531 ans.

« Yaman, dit As-Suhayli, est la même personne que Yarub b. Qahtan. Ce fut lui qui exila les enfants de Cham dans le Maghreb après qu’ils eussent été les tributaires de Qût b. Japhet. »