Si la guerre sociale était sacrilège, on la fit du moins contre des hommes de condition et de naissance libres. Mais qui pourrait ne pas s’indigner en voyant le peuple-roi combattre des esclaves ? Dans les commencements de Rome, une première guerre servile fut tentée à l’intérieur même de la ville par le Sabin Herdonius, alors que l’État était en proie aux séditions tribunitiennes. Herdonius occupa le Capitole, qui fut repris par le Consul. Mais ce fut une émeute plutôt qu’une guerre. Qui eût cru que plus tard, lorsque l’empire s’étendait dans les contrées les plus diverses, une guerre servile ensanglanterait la Sicile beaucoup plus cruellement que la guerre punique ?
La province de Sicile est une contrée fertile ; c’était en quelque sorte un faubourg de Rome, et les citoyens romains y possédaient de vastes domaines. Ils y entretenaient de nombreux esclaves indispensables à la culture de leurs terres, et ces cultivateurs à la chaîne furent la cause de la guerre. Un Syrien, nommé Eunus – (la grandeur des désastres qu’il causa nous empêche d’oublier son nom) – simula l’enthousiasme prophétique, et, jurant par les cheveux de la déesse syrienne, appela les esclaves, comme par l’ordre des dieux, à la liberté et aux armes.
Pour prouver qu’il était inspiré par une divinité, il dissimulait dans sa bouche une noix remplie de soufre allumé, sur laquelle il soufflait légèrement, et il jetait ainsi des flammes en parlant.
Ce prodige lui permit de rassembler autour de lui d’abord 2000 esclaves qu’il avait rencontrés, puis, les armes à la main, il brisa les portes des prisons et se constitua une armée de plus de 60 000 hommes.
Pour couronner ses forfaits, il se para d’ornements royaux. Il désola par d’affreux pillages les petites forteresses, les villages et les villes. Bien plus, et ce fut pour nous le comble de la honte, il s’empara des camps de nos prêteurs. Je ne rougirai point de les nommer : c’étaient les camps de Manlius, de Lentulus, de Pison, d’Hypsée.
Ainsi des esclaves, qui auraient dû être ramenés par des hommes lancés à leur poursuite, poursuivaient eux-mêmes des généraux prétoriens qu’ils avaient vaincus et mis en fuite.
Ils furent enfin châtiés par notre général Perperna. Il les vainquit près d’Henna, finit par les bloquer dans la ville et les réduisit par la famine, qui fut suivie de la peste. Ce qui restait de brigands fut chargé de fers et de chaînes, et mis en croix. Perperna, leur vainqueur, se contenta d’une ovation, afin de ne pas souiller la dignité du triomphe par l’inscription d’une victoire remportée sur des esclaves.
A peine l’île avait-elle repris haleine, que tout de suite sous le préteur Servilius la révolte recommença, non plus avec un Syrien, mais avec un Cilicien.
Le pâtre Athénion, après avoir assassiné son maître, délivre de leur prison ses compagnons d’esclavage, et les range sous ses enseignes. Portant une robe de pourpre et un bâton d’argent, le front ceint d’un bandeau royal, il rassemble une armée au moins aussi nombreuse que celle de son fanatique prédécesseur, et, comme s’il voulait le venger, il se montre encore beaucoup plus cruel, torturant les maîtres et surtout les esclaves, qu’il traite comme des transfuges.
Il battit aussi des armées prétoriennes, prit le camp de Servilius, et le camp de Lucullus. Mais Titus Aquilius, à l’exemple de Perperna, le réduisit à l’extrémité en lui coupant les vivres et détruisit facilement par les armes des troupes affaiblies par la faim. Elles se seraient rendues si la crainte des supplices ne leur eût fait préférer une mort volontaire. On ne put même infliger à leur chef aucun supplice, bien qu’il fût tombé vivant entre nos mains.
Entouré d’une foule de soldats qui se disputaient cette proie, il fut, dans la lutte, déchiré entre leurs mains.