Dans cette année, les Léontins, en Sicile, descendants d’une colonie de Chalcidiens, et tirant ainsi leur origine des Athéniens, avaient à soutenir une guerre contre les Syracusains. Accablés par les forces supérieures de leurs ennemis, ils étaient menacés d’être soumis violemment. Dans leur détresse, ils envoyèrent des députés à Athènes, pour supplier le peuple athénien de leur envoyer de prompts secours, et de défendre leur ville contre les dangers qui la menaçaient. A la tête de cette députation se trouvait Gorgias, le rhéteur, qui l’emportait sur tous ses collègues par la force de son éloquence. C’est lui qui, le premier, a inventé les artifices de la rhétorique, et il fut tellement supérieur aux autres dans la sophistique, qu’il recevait de ses disciples jusqu’à cent mines de salaire. Arrivé à Athènes, et amené devant l’assemblée du peuple, il harangua les Athéniens pour obtenir leur alliance. La nouveauté de sa diction produisit beaucoup d’effet sur les Athéniens, qui ont le goût si délicat et qui aiment tant l’éloquence. En effet, Gorgias employa le premier les plus brillantes figures de rhétorique, l’artifice des antithèses, les périodes à nombres égaux, les chutes de phrases par des consonnances, et d’autres artifices semblables, alors estimés pour leur nouveauté, mais qu’on regarde maintenant comme des affectations ridicules et souvent fastidieuses. Quoi qu’il en soit, Gorgias parvint par son éloquence à décider les Athéniens à envoyer des secours aux Léontins ; et, après avoir excité par son art de rhéteur l’admiration des Athéniens, il retourna à Léontium.
54. Les Athéniens convoitaient déjà depuis longtemps la Sicile, à cause de la fertilité de ce pays. Ils accueillirent donc avec empressement la demande de Gorgias et décrétèrent un envoi de secours aux Léontins, sous le prétexte de se rendre aux voeux d’un peuple lié avec les Athéniens par une origine commune, mais en réalité pour tacher de conquérir l’île. Car déjà plusieurs années auparavant, à l’époque de la guerre des Corinthiens et des Corcyréens, lorsque chacune des parties belligérantes recherchait l’alliance d’Athènes, le peuple athénien s’était déclaré pour les Corcyréens, parce que Corcyre est bien située pour tenter de là un débarquement en Sicile. Les Athéniens tenaient l’empire de la mer ; ils avaient accompli de grands exploits; ils avaient beaucoup d’alliés, de nombreuses troupes, possédaient les plus grandes villes, et s’étaient emparés du trésor commun des Grecs, se montant à plus de dix mille talents qu’ils avaient fait venir de Délos. Ils avaient à leur service des généraux célèbres et renommés pour leur expérience stratégique. En possession de tous ces moyens, ils espéraient réduire les Lacédémoniens par la guerre, et une fois maître de la Grèce, arriver à la conquête de la Sicile. Tels étaient les motifs qui avaient engagé les Athéniens à voter les secours destinés aux Léontins. Ils firent donc partir pour la Sicile une flotte de cent navires, sous les ordres de Lachés et Charaeade. Arrivés à Rhégium, ces généraux joignirent encore à leur flotte cent navires tirés des Rhégiens et de la colonie de Chalcidiens. En partant de là, ils se dirigèrent sur les îles de Lipari qu’ils ravagèrent parce que les Lipariens étaient alliés des Syracusains. Ils se portèrent ensuite sur Locres, et après s’être emparés de cinq navires locriens, ils firent le siége d’une forteresse. Les Siciliens, voisins des Myléens, étant arrivés au secours des assiégés, il s’engagea un combat dans lequel les Athéniens victorieux tuèrent plus de 1000 ennemis et firent au moins 600 prisonniers. La forteresse prise d’assaut fut aussitôt occupée. Sur ces entrefaites, le peuple athénien, décidé à pousser la guerre avec plus de vigueur, avait fait mettre à la voile encore quarante navires. Ce renfort était commandé par Eurymédon et Sophocle. Tous ces navires réunis ensemble formaient une flotte de 250 trirèmes. La guerre traînant en longueur, les Léontins envoyèrent des députés pour négocier avec les Syracusains et conclure la paix. Après la conclusion de cette paix, les trirèmes athéniennes rentrèrent dans leur port. Les Syracusains accordèrent à tous les Léontins les droits de cité, et firent de leur ville une place syracusaine. Tels sont les événements arrivés alors en Sicile.