A cette même époque, en Sicile, les Égestéens étaient en guerre avec les Sélinontins au sujet d’un territoire litigieux. Un fleuve formait la limite des deux villes en querelle. Les Sélinontins le passèrent les premiers et se mirent de force en possession du pays riverain; ayant ensuite accaparé une grande partie du territoire adjacent, ils ajoutèrent à l’offense l’insulte. Les Ëgestéens, irrités, employèrent d’abord la voie de la persuasion pour empêcher une violation du territoire ; mais comme ils ne furent point écoutés, ils marchèrent contre les agresseurs, les chassèrent tous des terres que les Sélinotins avaient occupées, et rentrèrent en possession de la contrée. La lutte s’échauffant entre les deux villes, on rassembla des deux côtés des troupes, et on décida l’affaire par les armes. Il se livra un combat acharné, dans lequel les Sélinontins furent vainqueurs, après avoir tué un grand nombre d’Egestéens. Abattus par cet échec, les Egestéens, hors d’état de se défendre avec leurs propres forces, engagèrent d’abord les Agrigentins et les Syracusains à venir à leur secours. Mais, ayant échoué dans cette démarche, ils envoyèrent des députés à Carthage, chargés de demander des secours. Sur le refus de leur demande, ils cherchaient quelque alliance d’outre-mer, lorsque le hasard vint à les servir.
83. Les Léontins avaient été chassés par les Syracusains et obligés de quitter leur ville et leur territoire. Cependant les exilés reprirent courage et résolurent d’avoir de nouveau recours aux Athéniens, auxquels ils étaient déjà alliés par les liens du sang. (139) Après s’être concertés avec les peuples qui avaient adopté leur cause, ils envoyèrent en commun une députation pour solliciter les Athéniens de venir au secours des villes offensées, en même temps qu’on s’engagerait à leur livrer la Sicile. La députation arriva à Athènes; les Léontins faisaient valoir leur origine et leur ancienne alliance avec les Athéniens, tandis que les Égestéens promettaient de fournir de l’argent et des troupes pour soutenir la guerre contre les Syracusains. Les Athéniens résolurent de faire partir quelques citoyens des plus distingués avec la mission d’examiner les affaires de l’île et l’état des Egestéens. A l’arrivée de ces commissaires, les Egestéens montrèrent pour faire parade, une multitude de richesses, apportées tant de chez eux que de chez leurs voisins. A leur retour, les envoyés firent connaître l’opulence des Égestéens, et le peuple s’assembla pour délibérer. L’assemblée proposa d’entreprendre une expédition en Sicile. Nicias, fils de Nicératus, admiré pour ses vertus, s’éleva contre cette proposition. Il est impossible, disait Nicias, de soutenir tout à la fois la guerre contre les Lacédémoniens et d’envoyer de grandes armées au delà de la mer. D’ailleurs, ajoutait-il, comment les Athéniens, impuissants à conquérir la suprématie sur les Grecs, espéreraient-ils se rendre maîtres de la plus grande des îles du monde. Les Carthaginois, malgré leur énorme puissance et leurs nombreuses expéditions contre la Sicile, n’ont pas réussi à s’emparer de cette île ; comment les Athéniens, si inférieurs en forces aux Carthaginois, se flatteraient-ils de conquérir par les armes la plus puissante des îles?
84. Après que beaucoup d’autres discours eurent été prononcés à l’appui de cette motion, Alcibiade, le plus brillant des Athéniens, s’éleva pour ouvrir un avis contraire. Il persuada au peuple d’entreprendre cette guerre. Alcibiade joignit à son éloquence, par laquelle il surpassa tous ses concitoyens, le prestige de sa noble origine, de sa richesse et de son expérience militaire. Aussitôt le peuple construisit une flotte considérable; aux cent navires qu’il avait lui-même équipés, il joignit trente trirèmes fournies par ses alliés. Après les avoir pourvues de toutes les munitions de guerre nécessaires, il enrôla cinq mille hoplites et nomma au commandement de cette expédition trois généraux, Alcibiade, Nicias et Lamachus. Tel était l’état des affaires chez les Athéniens.
Nous voici arrivés au commencement de la guerre qui eut lieu entre les Athéniens et Syracusains. Conformément à notre plan tracé au commencement, nous en exposerons l’histoire dans le livre suivant.