67. Lysanias étant archonte d’Athènes, les Romains élurent consuls Appius Claudius et Titus Quintus Capitolinus.
Dans cette année, Thrasybule, roi des Syracusains, fut chassé du trône. Pour exposer cet événement en détail, nous sommes obligé de prendre les choses d’un peu plus haut.
Gélon, fils de Dinomène, distingué par son courage et ses talents militaires, avait dompté les Carthaginois, et vaincu les Barbares dans une bataille rangée, ainsi que nous l’avons raconté. Généreux envers les ennemis abattus, et bienveillant pour tous ses voisins, il s’était concilié l’estime des Siciliens. Enfin, aimé de tout le monde pour sa douceur, il régna en paix jusqu’à la fin de sa vie.
Hiéron, l’aîné de ses frères, qui lui succéda, ne gouverna pas ses sujets avec autant de bonté ; il était avare et violent, et très éloigné de la simplicité et de l’humanité de son frère. Cependant, plusieurs de ceux qui voulaient se soulever se continrent en considération de la mémoire de Gélon, chère à tous les Siciliens.
A la mort d’Hiéron, Thrasybule, son frère, succéda au trône, et surpassa encore son prédécesseur en méchanceté. Violent et sanguinaire, il fit mourir injustement beaucoup de citoyens, et, après en avoir exilé un grand nombre sur des accusations mensongères, il confisqua leurs biens au profit du trésor royal.
Ainsi, haïssant ses sujets et haï de ceux qu’il avait offensés, il se forma une garde de mercénaires pour l’opposer aux milices urbaines. Enfin, devenant de plus en plus odieux aux citoyens, insultant les uns, tuant les autres, il força ses sujets à se révolter contre lui. Les Syracusains se choisirent donc des chefs, et se soulevèrent en masse pour secouer le joug de la tyrannie ; se ralliant sous leurs chefs, ils travaillèrent à reconquérir leur liberté.
Thrasybule, voyant toute la ville soulevée contre lui, essaya d’abord la voie de la persuasion. Mais lorsqu’il se vit impuissant à apaiser la révolte des Syracusains, il fit venir de Catane les colons qu’Hiéron y avait établis, rassembla d’autres alliés et un grand nombre de mercenaires, de manière à former une armée de près de 15 000 hommes. Avec ces troupes, il occupa les quartiers de la ville qu’on nomme l’Achradine et l’Ile, position retranchée, et combattit de là les rebelles.
68. Les Syracusains s’étaient d’abord emparés du quartier de la ville, appelé Tyché. De là, ils envoyèrent des députés à Géla, à Agrigente, à Sélinonte, à Himère et à d’autres villes, situées dans l’intérieur de la Sicile, pour les engager à leur fournir de prompts secours et à contribuer à la délivrance de Syracuse. Toutes ces villes accueillirent la demande de ces députés et s’empressèrent d’envoyer les uns des troupes d’infanterie et de cavalerie, les autres des vaisseaux longs tout équipés ; de sorte que les Syracusains eurent bientôt à leur disposition des forces considérables, et se mirent en devoir de se défendre par mer et par terre.
Thrasybule, abandonné de ses alliés, ne comptait plus que sur ses mercenaires ; il n’était maître que de l’Achradine et de l’Ile, tout le reste de la ville étant occupé par les Syracusains. Thrasybule attaqua ses ennemis par mer, mais il fut battu, perdit un grand nombre de trirèmes, et se réfugia avec le reste dans l’Ile. Il eut le même sort par terre : sorti de l’Achradine à la tête de ses troupes, il fut vaincu dans un combat livré aux portes de la ville, et forcé de se retirer avec beaucoup de pertes dans l’Achradine.
Enfin il abdiqua la tyrannie, et négocia auprès des Syracusains un sauf-conduit pour se rendre à Locres.
C’est ainsi que les Syracusains délivrèrent leur patrie. Ils permirent aux mercenaires de sortir de Syracuse, et, après avoir également rendu libres les autres villes, en les délivrant de la tyrannie ou des garnisons étrangères, ils y établirent le gouvernement démocratique.
Depuis cette époque, Syracuse, jouissant de la paix, devint riche, florissante, et conserva le gouvernement démocratique pendant près de 60 ans, jusqu’à Denys le tyran. C’est ainsi que Thrasybule, héritier d’une royauté bien assise, perdit ignominieusement le trône par sa propre méchanceté, et se réfugia à Locres, où il termina ses jours dans la vie privée.