33. Aristée.
Nous allons présentement raconter l’histoire d’Aristée: il était fils d’Apollon et de Cyrène, fille d’Ypsée et petite fille de Pénée. Il est rapporté dans les histoires mythologiques qu’Apollon devint amoureux de Cyrène qui étant encore fort jeune était élevée sur le mont Pélion et qu’il la transporta dans cet endroit de l’Afrique où l’on a depuis bâti la ville de Cyrène: qu’Aristée étant né dans cet endroit, son père chargea aussitôt les Nymphes de son éducation: qu’elles lui donnèrent trois noms, savoir Nomius, Aristée et Agraee, et qu’elles lui enseignèrent la manière de faire cailler le lait, l’art d’élever les abeilles et la culture des oliviers. Aristée, ajoute‑t‑on, fit bientôt part aux hommes de toutes ces connaissances, et en revanche, les hommes lui rendirent les honneurs divins et le regardèrent comme un second Bacchus. Il alla ensuite dans la Béotie où il épousa Autonoë, fille de Cadmus. Il fut père d’Actéon de qui les fables disent qu’il fut dévoré par ses propres chiens. La cause de ce malheur fut selon quelques‑uns, qu’étant dans le temple de Diane, il dit qu’il voulait faire son festin de noces du tribut de la chasse qu’il apportait à la déesse, et selon d’autres, qu’il s’était vanté d’être plus habile chasseur que Diane même. Quoiqu’il en soit, il n’est pas surprenant que la déesse se soit irritée de l’un ou de l’autre discours: et ce fut avec justice qu’elle se vengea si rigoureusement d’un homme qui venait jusque dans son temple braver le choix qu’elle a fait de la virginité ou qui se vantait de surpasser dans l’art de la chasse une déesse à qui les dieux cèdent à cet égard. Diane l’ayant donc métamorphosé lui‑même en bête fauve, il fut méconnu par ses propres chiens qui le déchirèrent. Après la mort d’Actéon, Aristée alla consulter l’oracle de son père. Apollon lui ordonna d’aller dans l’île de Cos et l’assura qu’il y recevrait de grands honneurs. Pour obéir à ces ordres, Aristée prit la route de cette île. La peste désolait alors toute la Grèce. Aristée offrit aux dieux un sacrifice au nom de tous les Grecs et à peine le sacrifice fut‑il commencé que la peste cessa. C’était alors le commencement de la canicule, temps auquel les vents étésiens ont coutume de s’élever. On admirera là‑dessus l’ordre du destin qui permit que le même homme, qui avait vu déchirer son fils par des chiens, fut la cause du salut de sa patrie, en détournant de dessus ses concitoyens les influences malignes du chien céleste. On dit qu’Aristée ayant laissé ses enfants dans l’île de Cos repassa en Afrique et que de là, il alla en Sardaigne sur une flotte que la Nymphe, sa mère, avait équipée. Cette île était inculte quand il y arriva. Cependant, elle lui sembla si belle qu’il y établit sa demeure et qu’il y planta toutes sortes d’arbres fruitiers. Il y eut deux fils, Charmus et Calécarpe. Il visita ensuite plusieurs petites îles et il s’arrêta quelque temps dans la Sicile. Il fut si charmé de l’abondance des fruits et des troupeaux qu’il vit dans ses campagnes, qu’il résolut de faire part de ses inventions aux Siciliens. C’est aussi pour cette raison que tous les Siciliens en général, mais plus particulièrement ceux qui cultivent les oliviers lui rendent les honneurs divins. Après cela, il alla rejoindre Bacchus dans la Thrace, et il lia avec lui une amitié parfaite. Ce dieu même l’initia dans ses mystères et lui communiqua ses découvertes. Enfin, ayant demeuré quelques temps sur le mont Haemus, Aristée devint invisible et fut regardé comme un dieu non seulement par les Barbares de ce canton, mais encore par les Grecs.
34. Éryx et Vénus Érycine.
Nous devons parler ici d’Éryx et de Daphnis. Éryx, homme très illustre, fut fils de Vénus et de Buta, roi d’un petit pays de la Sicile. La naissance d’Éryx fut cause qu’une partie des Siciliens le choisirent pour roi. Il bâtit sur une hauteur une ville considérable à laquelle il donna son nom et au milieu de la citadelle un temple qu’il dédia à sa mère et qu’il enrichit d’un grand nombre de présents magnifiques. Les honneurs que Vénus reçut de son fils, et la vénération que les peuples avaient pour elle, lui plurent si fort qu’elle aima cette ville. sur toutes les autres et qu’elle voulut même porter le surnom d’Érycine. De tous ceux qui examineront de près la fortune de ce temple, il n’y en aura aucun qui n’en soit étonné, car tous les autres après avoir eu de la réputation pendant quelque temps l’ont enfin perdue ou tout entière ou en partie par différentes révolutions ; au lieu que celui‑ci quoique très ancien n’a jamais cessé d’être célèbre et même sa réputation s’est toujours accrue. Depuis le temps d’Éryx, Énée qui allait en Italie, ayant relâché dans cette île, laissa de grands dons dans ce temple, comme étant aussi fils de Vénus. Pendant plusieurs générations les Siciliens ont offert à Venus Érycine quantité de sacrifices et de présents. Dans la suite les Carthaginois s’étant rendus rnaîtres d’une partie de cette île ont entretenu le culte de cette déesse avec beaucoup de pompe. Enfin les Romains ayant soumis à leur domination toute la Sicile, ont surpassé par les honneurs qu’ils ont rendus à ce temple toutes les nations qui avaient possédé l’île avant eux. Ils s’y croyaient plus obligés que d’autres: car rapportant leur origine à cette déesse et lui attribuant le succès de toutes leurs entreprises, il était juste qu’ils lui en marquassent leur reconnaissance. A présent, même lorsque leurs consuls, leurs généraux, en un mot tous ceux qu’ils envoient en Sicile revêtus de quelque dignité sont arrivés à Éryx, ils offrent de magnifiques sacrifices dans le temple de Vénus. Se dépouillant ensuite de cette fierté qui leur est naturelle, ils se mêlent dans les assemblées de femmes et jouent avec elles croyant que c’est la seule manière de faire agréer leur domination à cette déesse. Enfin, le Sénat, pour signaler sa piété, a ordonné que 17 des villes de Sicile qui leur sont les plus fidèles apporteraient de l’or dans son temple et qu’il serait toujours gardé par 200 hommes.
35. Daphnis.
QUANT à Daphnis voici ce qu’on en raconte. Il y a dans la Sicile les monts Héraéens que leur beauté, leur fertilité et leur situation rendent délicieux pendant l’été. Ils sont arrosés par un nombre infini de ruisseaux dont les eaux surpassent en douceur toutes les eaux du monde et ils sont couverts d’arbres de toute espèce. Les chênes qui y croissent sont fort grands et portent des glands deux fois plus gros que ceux des autres chênes. On y trouve des arbres fruitiers des vignes qui y croissent sans culture et un nombre incroyable de pommiers. On raconte que l’armée des Carthaginois, ayant eu beaucoup à souffrir de la faim, se rétablit dans cet endroit, le lieu fournissant sans s’épuiser la nourriture à plusieurs milliers d’hommes. Au milieu de ces montagnes est situé un agréable vallon rempli d’arbres et dédié aux Nymphes de même qu’un bois qui y tient. Les mythologistes prétendent que ce fut là que naquit de Mercure et d’une Nymphe, Daphnis, ainsi nommé à cause de la quantité de lauriers qui ornaient le lieu de la naissance. Cet enfant ayant été élevé par les Nymphes devint possesseur de plusieurs troupeaux de boeufs et il fut même surnommé Bucolos, parce qu’il leur donnait tous ses soins. Il avait de grandes dispositions pour les vers et il fut l’inventeur de cette espèce de poésie que l’on appelle bucolique et qui est encore à présent fort estimée par les Siciliens. On dit que Daphnis allait souvent à la chasse avec Diane: que sa compagnie plaisait beaucoup à cette déesse et qu’il la divertissait par sa flûte et par ses bucoliques: qu’il fut aimé d’une Nymphe qui lui prédit qu’il perdrait la vue s’il s’attachait jamais à quelqu’autre femme qu’elle. L’événement vérifia cette prédiction car la fille d’un roi l’ayant enivré, il eut commerce avec elle et devint aveugle
36. Orion en Sicile.
IL EST Aussi rapporté dans les histoires mythologiques qu’Orion a surpassé les plus célèbres héros par la hauteur de sa taille et par sa force. Il aimait la chasse et il a fait plusieurs actions qui sont des preuves de son courage et de son amour pour la gloire. Zanclus régnait alors en Sicile et il faisait bâtir la ville de Zancle, présentement Messine. Orion y fut l’auteur et le conducteur de plusieurs ouvrages. Il présida entre autres à la construction de ce port de la ville qui s’appelle Acté.
Á ce propos, il est bon de dire ici quelque chose du détroit qui sépare la Sicile de l’Italie. Les anciens mythologistes racontent que la Sicile était autrefois une presqu’île et voici comme ils prétendent qu’elle est devenue île. Dans l’endroit le plus étroit de cet isthme les vagues de la mer frappaient l’un et l’autre rivage avec tant de violence qu’elles se firent un chemin en rompant les terres qui les empêchaient de se joindre. Pour preuve de leur opinion, ils disent que depuis ce temps‑là on a bâti sur ce détroit une ville à laquelle on a donné le nom de Rhège mot grec qui signifie rupture.
Quelques auteurs cependant ont écrit que cette séparation n’a été causée que par de violents tremblements de terre.
Hésiode dit au contraire que pour garantir la côte de Sicile des fréquents débordements de la mer, Orion forma par un grand transport de terres le cap Pélore sur lequel il bâtit ensuite le temple de Neptune qui est fort révéré par les habitants: qu’après avoir mis la dernière main à cet ouvrage, il alla dans l’île d’Eubée où il établit sa demeure: enfin qu’ayant été transporté au ciel il y fût placé au nombre des étoiles et jugé digne des honneurs immortels.
Homère fait mention de lui en ces termes qu’il met dans la bouche d’Ulysse racontant sa descente aux enfers:
Là, j’aperçus bientôt le géant Orion
Poursuivant chez les Morts comme dans nos campagnes,
A travers les forêts, par dessus les montagnes,
Des animaux pareils à ceux dont autrefois,
Armé de sa massue, il dépeuplait les bois.
Il avait déjà fait juger de sa taille en lui comparant les Aloïades dont il dit qu’à l’âge de neuf ans, ils avaient l’épaisseur de neuf coudées et la longueur de neuf arpents.
Les deux fils d’Aloüs si hauts, si belliqueux,
Et qui ne connaissaient qu’Orion plus beau qu’eux.
Nous terminons ici le quatrième livre, où suivant notre projet nous avons parlé suffisamment des demi-dieux et des héros.