Dixième travail: les vaches de Géryon.
LE DIXIÈME travail qu’Eurysthée imposa à Hercule fut d’amener les vaches de Géryon qui paissaient sur les côtes de l’Ibérie ou de l’Espagne. Hercule voyant qu’il ne pouvait exécuter ce commandement qu’avec beaucoup de peine et d’appareil, équipa une très belle flotte et leva des soldats dignes d’une telle entreprise. Le bruit s’était répandu par toute la terre que Chrysaor, qui avait été ainsi nommé à cause de ses grandes richesses, régnait alors sur toute l’Ibérie, qu’il avait trois fils qui combattaient ordinairement avec lui, remarquables par leur force et par leurs exploits, que de plus, chacun d’eux commandait de puissantes armées toutes composées de vaillants hommes. Eurysthée croyant que c’était une entreprise insurmontable que de leur faire la guerre, avait donné exprès à Hercule cette commission ; mais ce héros regarda ce péril avec autant de fermeté qu’il avait regardé les autres. Il marqua le rendez‑vous de ses troupes en l’île de Crète parce que cette île est avantageusement située pour envoyer de là des armées par toute la terre. Les Crétois lui déférèrent de grands honneurs pendant le séjour qu’il fit chez eux, et lui‑même voulant à son tour leur marquer sa reconnaissance purgea leur île de toutes les bêtes sauvages qui la ravageaient auparavant de telle sorte que depuis ce temps‑là, il n’y a eu dans toute l’île de Crète, ni serpents, ni ours, ni loups, ni aucune autre espèce d’animaux malfaisants. Il entra aussi dans son dessein d’illustrer un pays qui avait donné le jour et l’éducation à Jupiter. Étant enfin parti de cette île, il relâcha en Afrique. D’abord qu’il il fut arrivé, il appela au combat Antée qui s’était rendu fameux par la force de son corps et par son expérience dans la lutte. Il avait coutume de faire mourir tous les étrangers qu’il avait vaincus à cet exercice, mais il fut enfin tué en se battant contre Hercule.
Voyage d’Afrique et d’Espagne.
CE HÉROS nettoya ensuite l’Afrique d’un grand nombre d’animaux sauvages dont elle était remplie et par ses soins et ses conseils, il la rendit si fertile qu’il croissait abondamment des blés et des fruits dans des lieux auparavant déserts, et que des contrées arides se virent bientôt couvertes de vignes et d’oliviers. En un mot, d’une région pleine de monstres, il fit le plus heureux séjour de la terre, et poursuivant partout les scélérats et les tyrans, il rétablit la tranquillité dans les villes. On a dit que c’était par une animosité particulière qu’il s’était rendu ennemi des bêtes féroces et des méchants hommes, d’autant que dès son berceau il avait été attaqué par des serpents malicieusement envoyés contre lui, et qu’étant homme fait, il avait été soumis aux ordres d’un tyran injure et superbe. C’est par ce motif qu’étant allé en Égypte après la mort d’Antée, il fit mourir le roi Busiris qui massacrait tous les étrangers qui venaient loger chez lui. Mais auparavant il traversa les vastes solitudes de la Libye et se trouvant dans un pays fertile et rempli d’eau, il y bâtit une ville d’une grandeur étonnante. On lui donna le nom d’Hécatompyle à cause du grand nombre de ses portes, et sa gloire a subsisté jusque dans ces derniers temps, mais enfin les Carthaginois ayant envoyé contre elle une armée aguerrie et conduite par d’excellents capitaines, elle a été réduite sous leur domination. Hercule parcourut l’Afrique jusqu’à l’océan et arriva enfin au détroit de Cadix ou de Gibraltar, où il éleva deux colonnes sur les bords de l’un et de l’autre continent. De là, ayant pénétré dans l’Espagne, il alla au devant des enfants de Chrysaor, qui commandant chacun une grande armée étaient campés séparément. Hercule les fit appeler en combat singulier, les vainquit et les tua tous trois, il conquit ensuite toute l’Espagne, et il emmena ces fameux troupeaux de vaches qu’il cherchait. Étant arrivé chez un roi du pays homme recommandable par sa piété et par son équité, il en reçut de grands honneurs. Ce fut pour cette raison qu’il lui fit présent d’une partie de ces vaches. Ce roi consacra aussitôt à Hercule le troupeau qu’il venait de lui donner, et il lui sacrifia depuis tous les ans le plus beau taureau qui en provenait. Ces vaches sacrées ont été soigneusement conservées en Espagne jusqu’à nos jours.
Digression au sujet des colonnes d’Hercule.
Nous placerons ici une courte digression au sujet des colonnes d’Hercule dont nous venons de parler. Ce héros étant arrivé aux deux extrémités de l’Afrique et de l’Europe sur l’océan, voulut y poser ce monument immortel de son expédition. Selon quelques‑uns, les deux continents étaient autrefois très éloignés l’un de l’autre. Il résolut de les rapprocher jusqu’à ne laisser entre eux qu’un passage étroit qui ne permit plus aux monstres de l’océan d’entrer dans la Méditerranée, ouvrage mémorable par les terres dont il fallut combler un grand espace de mer. D’autres disent au contraire que les deux continents étant joints, il coupa l’isthme et forma la communication qui est aujourd’hui entre les deux mers. Chacun peut suivre selon son goût l’une ou l’autre de ces deux opinions. Cependant Hercule avait déjà fait quelque chose de semblable dans la Grèce. La vallée qu’on appelle aujourd’hui Tempé était autrefois couverte d’eau dans toute son étendue. Il creusa dans son voisinage une fosse profonde, ou par le moyen d’un canal, il fit passer toutes ces eaux et mit à sec cette plaine délicieuse de Thessalie qui n’est arrosée aujourd’hui que par le fleuve Penée. Il fit le contraire dans la Béotie qu’il inonda toute entière, en détruisant les rivages de la rivière qui passe à côté de la ville de Minye. Par le premier de ces deux ouvrages il fit plaisir à toute la Grèce et par le second il vengea les Thébains des outrages qu’ils avaient essuyés durant la captivité où les Minyens les avaient réduits.