Charles de Foucauld, Description de Fès, 1883

FEZ/FES/FAS

La population de Fas est d’ordinaire estimée à 70 000 hab, dont 3000 israélites […] Fas fait un commerce considérable, elle est le centre où affluent d’une part les marchandises européennes venant de Tanger et de l’autre les cuirs du Tafilelt, les laines, la cire et les peaux de chèvre des Ait Ioussi et des Beni Ouaraïn, parfois même les plumes (d’autruche) du Soudan.
[…] les plus beaux cuirs restent à Fas où, travaillés par d’habiles ouvriers, ils servent à faire ces belgha, ces coussins, ces ceintures, objets de luxe qu’on vient y acheter de tous les points du Maroc du Nord (royaume de Fas). Les objets d’origine européenne arrivant dans la ville sont nombreux : velours, soieries, passementeries d’or et d’argent venant de Lyon ; sucres, allumettes, bougies de Marseille ; pierres fines de Paris ; corail de Gênes ; cotonnades (mariqân, sahan, indiennes), draps, papier, coutellerie, aiguilles, sucres, thés d’Angleterre ; verrerie et faïences d’Angleterre et de France.
Une portion de ces marchandises, tout ce qui ets passementeries, pierres fines, coutellerie, reste à Fas. Le reste […] va alimenter des marchés de Fas au Tafilalt. Les grands négociants de la capitale envoient des agents munis de cotonnades et de belgha sur les marchés des Hyayna et des Beni Mgild, de plus, ils ont des correspondants échelonnés depuis Sfrou jusqu’au Reteb : ils leur expédient du sucre, du thé, des cotonnades, qui s’écoulent de là chez les beni Ouarayn, les Ait Youssi, les Ait Tsegrouchen et chez toutes les tribus de la haute Mlouya de l’Ouad Ziz.
De l’autre côté, les caravanes viennent du tafilalt, apportant des cuirs et des dattes, s’en retournent chargés de cotonnades, sucre, thé, riches vêtements de drap et de belgha fines pour lesquelles Fas est renommée, et d’une pacotille de parfums, papier, aiguilles, allumettes, verres et faïences.
Fâs fournit ainsi non seulement une partie du Maroc central mais encore la plus grande portion du Sagara oriental, toute celle qui dépend commercialement de l’Ouad Ziz.
Un commerce aussi étendu serait la source de richesses immenses dans un autre pays ; mais ici, plusieurs causes diminuent les bénéfices : d’abord le prix élevé des transports, tous faits à dos de chameau ou de mulet, prix que doublent au moins les nombreux péages établis sur les chemins du nord de l’Atlas et les escortes qu’il est indispensable de prendre au sud de la chaîne, ensuite, dans une région dont la plus grande partie est peuplée de tribus indépendantes et souvent en guerre entre elles, dont l’autre n’est qu’à moitié soumise et se révolte fréquemment, il arrive sans cesse qu’une caravane soit attaquée, qu’un convoi soit pillée, qu’un agent soit enlevé. Le commerce a donc ses risques, et plus d’un motif vient en amoindrir les gains. Enfin, il est entravé par le manque de crédit et par l’usure. Le taux d’intérêt atteint au Maroc des limites fantastiques, ou plutôt, il n’y en a pas. Voici les taux auquel prêtent à Fâs des Israelites qui se respectent : 12% pour une coreligionnaire d’une solvabilité certaine, 30% pour une musulman d’une solvabilité également assurée, 30% pour une personne de solvabilité moins sûre, mais qui fournit un gage, 60% dans les même conditions sans gage.
Il faut aussi compter […] l’absence d’une système monétaire uniforme ; il y a bien une unité monétaire, le mithqal, se divisant en 10 Awqya, mais c’est uen valeur toute théorique ; il n’existe point de monnaie la représentant ; on se sert de pièces étrangères et de quelques rares pièces du pays, les unes et les autres changeant de valeur dans chaque ville, dans chaque tribu […]
-Le Ryâl (pièce de 5 francs français ou espagnole), il a cours partout, c’est la monnaie principale, ‘lunité dont on se sert pour tous els comptes, toutes les évaluations.
-la Peseta (pièce de 1 francs, 5 vallent un ryal) ; toutes les pièces d’un franc françaises ou espagnoles passent dans els grandes villes, hors de là n’ont cours que els vieiilmes pestas espagnoles du siècle dernier ou des 10 premières années de celui-ci
Diverses monnaies en argent, il y en a une foule de modèles […] anciennes […] neuves, les plus fortes sont un peu plus grosses qu’un pièce de 0,50 fr, on ne leur donne aps d’autre nom que celui de leur valeur en Awqya, valeur qui change en chaque lieu […] avec une valeur relativement moindre que celle des pièces européennes.
Les pièces de 2, 0,50 et 0,20 fr n’ont cours que dans els grandes villes, de même de la monnaie d’or ; les populations des campagnes et des petites localités, n’ayant pas le moyen de le contrôler, refusent de l’accepter, craignant d’en rpendre de fausse.
Comme monnaie de cuivre, on se sert d’une monnaie nationale dont l’unité est la muzûna, on compte 4 muzûna dans l’Awqya […] sa valeur est uniforme dans tout le Maroc […] il n’ya pas de pièces d’une muzûna, il y en a de 2/3 et de 1/6, etc…
Le Ryal a une valeur qui diffère en chaque lieu […] Villes du Nord : 10 mithqal, Meknès, Demnat, Sûs désertique : 8-9 m. ; Tisint, 4-5 m, Sahil, 3-4, Tarûdant-Haha, 12-13 ; Draa-Dades : 4 ; à Debdou (frontière française), 2,5m. soit 100 muzûna ; 1 muzûna : 5 ct : 1 sous.
Dans ce smonneies […] il circule beaucoup de poèces fausses[…] surtout parmi les pesetas espagnoles, qui sont la monnaie la plus commune ; ces anciennes pièces, à emprinte souvent effacée, sont d’une imiotation facile […] ce sont le sjuifs, les talebs, les sherifs qui les confectionnent, tous ceux en un mot qui ont quelques instruction ; la plupart d’entre eux s’occupent d’alchimie et en attendant qi’ils découvrent la pierre philosophale, font de la fausse monnaie. Dans ces conditions, on ne reçoit d’argent qu’avec les plus grandes précautions ; le moindre paiement exige un temps infini, on n’accepte une pièce qu’après l’avoir retournée examinée, montrée à deux ou trois personnes, fait voir à un Juif, s’il s’en trouve. […] Il n’ya pas jusqu’à celles de cuivre qui ne soient souvent falsifiées.
Dans les diverses villes du Maroc que j’ai vues, le costume des Musulmans de condition aisée est le même […] :
-linge de coton comme principal vêtement,
-soit un costume de drap brodé à la mode algérienne, soit un long cafetan de drap de couleur très tendre, soit plus souvent encore la farazya, sorte de cafetan de coutil blanc cousu au dessous de la ceinture, comme la gandûra, se fermant du haut par une rangée de boutons de soie 
-sur la tête, un large turban en étoffe très légère de coton blanc
-par-dessus le tout, un léger hayk de laine blanche unie
-aux pieds, jamais de bas, de simples belgha jaunes.
[…] la couleur des belgha a la plus grande importance : le jaune est réservé aux musulmans, le rouge aux femmes, le noir aux juifs, règle rigoureuse observée même dans les campagnes les plus reculées.
Les citadins portent rarement le burnûs […] on ne le met que quant il fait froid.
[…] les individus de condition secondaire, remplacent volontiers le cafetan par la jlabya en laine blanche ou en drap bleu foncé, avec la Jlabya, on e porte pas le Hayk.
Quant aux pauvres, ils n’ont qu’une chemise et une jlabya grossière.
Les musulmans de Fâs ont la peau d’une blancheur extrême, ils sont en général d’une grande beauté, leurs traits sont très délicats, efféminés même, leurs mouvements pleins de grâce, passant leur vie dans les bains, ils sont la plupart, même les pauvres, de cette propriété merveilleuse qui distingue els musulmans des villes.
Si dans les cités la mode est invariable, c’est tout le contraire dans les campagnes ; à chaque pas je la verra changer […] on peut dire, au vu du costume et des armes d’un marocain, à quelle région il appartient.