La clarté ne devait jamais être sacrifiée à l’élégance et qu’il fallait laisser les atours de la langue à ceux qui n’ont d’autre souci que de parer leur pensée.
DE LA DYNASTIE DES CHÉRIFS ALIDES DONT LES PRINCES, ISSUS DE MAULAY ECHCHERIF BN ALI, RÉGNENT ACTUELLEMENT SUR LE MAGHREB
Nous avons fait connaître précédemment la noble généa-
logie 1, d’ailleurs si connue, de ces princes, en parlant de la
dynastie fondée par ceux de leurs collatéraux qui avaient
régné avant eux depuis le moment où leur ancêtre com-
mun, Maulay Elhasen 2, était entré dans Sijilmasa; nous
avons également donné 3 la liste des descendants de Maulay
Elhasen jusques et y compris les enfants de Maulay Ech-
cherif hen Ali. Quant à ce Maulay Echcherif, il était né
1 Voir cette généalogie dans l’introduction.
Ce Maulay Elhasen est celui qui figure dans la généalogie sous le n° 20.
L’auteur fait allusion à un autre de ses ouvrages intitulé : Elboslàn ed-
dheriffi, daulet Maulay Ali Eccherif.
Vue 19 sur 346
en l’an 997 (1 589), Tannée même de la naissance de Ould
Al-Hajj 1, appelé Muhammad, au dire d’Essehbâgh.
Ainsi que nous l’avons déjà dit, les liens qui unissaient
la dynastie des chérifs zidanites se rompirent à la suite
de la mort du souverain de cette famille, Elmansour 2; la
discorde éclata entre ses fils et tout le territoire du Maghreb
fut bientôt en proie à la guerre civile. Maulay Echcherif se
trouvant alors un des personnages les plus en vue dans la
région saharienne, les habitants de Sijilmasa s’adressèrent
à lui pour qu’il gérât leurs affaires et se mît à la tète de
leur pays. Ce qui avait déterminé les gens de Sijilmasa à
cette démarche, c’est qu’ils avaient appris que Muhammad
Ould Al-Hajj Eddilàï s’était déclaré indépendant et qu’après
s’être emparé de Tâdla 3, de Salé 4, de la montagne de Derna 5,
il s’était avancé, en l’an 1061 (1631-1 632) jusqu’à la ri-
vière de la Molouïa, pendant que le sultan Abdelmalek bn
Zîdân 6 s’abandonnait à ses plaisirs dans la ville de Murrâkush.
En cette même année 10&1 (1 631-163a) qui vit naître
Maulay Errechid, les Sahariens reconnurent comme souve-
1 Muhammad Ould Al-Hajj était le petit-fils d’Abou Becr bn Muhammad,
de la tribu des Medjâth, fraction des Senhaga, qui fonda la zaouïa d’Eddila
(rfbJl) vers la fin du xvie siècle.
2 Aboulabbas Ahmad Elmansour, surnommé Eddzehebi, régna sur le
Murrâkush de 1878 à i6o3.
3 Ce bourg est situé sur les bords de l’Wad Derna, affluent de l’Omm
Errebia.
1 Salé ou, suivant la prononciation arabe, Sela est le port situé à l’embou-
chure du Bou Regreg. Pour les noms des localités très connues j’ai conservé
l’orthographe généralement adoptée par nos cartographes.
5 Si l’on adopte la leçon Derna, il s’agirait de la région dans laquelle l’Wad
Derna prend sa source; la leçon Deren s’appliquerait au massif montagneux
appelé Idraren Dran.
0 Abdelmalek, fils aîné de Zîdân, régna de iG3o à if>35.
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—i-s.( 3 )•«—
rain Maulay Echcherif, qui avait repoussé l’ennemi de/leur V
pays, mis un terme à la tyrannie de leurs oppresseurs et assuré
la sécurité des routes. Seuls les habitants de Tabouasâmt 1
refusèrent de se soumettre à l’autorité de Maulay Ech-
cherif; ils députèrent un envoyé à Muhammad bn Al-Hajj
Eddilâï, qui était alors maître de la montagne de Derna, et
celui-ci prit l’engagement de se rendre dans leur ville. Dès
qu’il apprit cette nouvelle, Maulay Echcherif alla deman-
der l’appui de Ali bou Hassoun 2, qui s’était rendu indépen-
dant dans le pays de Sous, et, l’ayant trouvé à Dâdes 3, il
le conduisit à Tabouasâmt. Avisés de ce qui venait d’avoir
lieu, les gens de Tabouasâmt expédièrent de nouveau leurs
envoyés implorer l’assistance de Muhammad bn Al-Hajj,
et celui-ci écrivit à Ali bou Hassoun, l’adjurant au nom
de Dieu de ne pas combattre les gens de Tabouasâmt, qui
étaient ses partisans. Ali bou Hassoun était campé sous les
murs de Tabouasâmt quand il reçut le messager porteur de
la lettre de Muhammad bn Al-Hajj; ayant alors décidé,
après avoir lu cette lettre, de ne pas combattre les habitants
de la ville, ceux-ci lui apportèrent les vivres et les approvi-
sionnements dont il avait besoin et lui donnèrent aussi de
l’argent. Bou Hassoun s’éloigna ensuite de Tabouasâmt.
En 10/16 (160/1-1635), Muhammad bn Al-Hajj entreprit
une expédition dans la région saharienne. Parvenu à Qasr
1 Sur la carte de Renou ce bourg est marqué à 9.0 kilomètres environ au
sud de Talilalet.
2 Ali bou Hassoun était le petit-fils d’un saint personnage nommé Sidi Ahmad
bn Moussa Essousi Essemlâh. Il mourut en 1660, laissant le Sous, où il s’était
créé une principauté indépendante, à son fils Muhammad. D’après le Noihct
elhâdi, le surnom de Bou Hassoun (le rossignol) appartiendrait à Muhammad.
Essouq ‘, il y reçut une députation de chérifs que lui envoyait
Maulay Echcherif. Ces personnages adressèrent des repré-
sentations à Muhammad, l’invitant à réfléchir aux consé-
quences de son agression et lui rappelant les égards et le
respect dus aux descendants du Prophète. Muhammad se
laissa toucher par leur discours, mais il stipula certaines
conditions que les chérifs acceptèrent au nom de Maulay
Echcherif, qui leur avait donné pouvoir de traiter. En vertu
de cette convention, Maulay Echcherif abandonna tous ses
droits sur diverses localités du Sahara; de ce nombre étaient
Tabouasâmt, dans le district de Sijilmasa, Guelhima dans
celui de Gheris 2 et Qasr Essouq dans le canton deMedghara.
La paix ainsi faite, Muhammad rentra sur son territoire.
En l’année io/t5 (1635-1636), Maulay Echcherif abdiqua
le pouvoir et laissa aux habitants de Sijilmasa le soin de lui
désigner un successeur. Toutefois il leur dit : « Choisissez
qui vous voudrez, mais craignez d’offenser Dieu.n Moham-
med, l’aîné des fils d’Echcherif, fut alors investi de l’autorité
et reconnu souverain par toutes les populations sahariennes.
Aussitôt qu’il eut connaissance de cette nouvelle, Moham-
med bn Al-Hajj, dont les partisans étaient plus nombreux
que ceux du nouveau souverain, marcha sur Sijilmasa;
mais les chérifs s’interposèrent, et la paix fut conclue sur
les bases précédemment indiquées.
En 10/17 (1637-1638),Maulay Muhammad Echcherif, à
la tête de deux cents de ses fidèles, se rendit de nuit à Taboua-
sâmt. La petite troupe pénétra dans la citadelle par une ou-
verture qu’elle avait pratiquée dans la muraille, puis elle
1 Qasr Essouq ou Essouf, situé au nord de Tafilalt dans le district deMed-
ghara, ne figure point sur les cartes.
2 Le district de Gheris est au nord-ouest de Tafilalt, à environ 5o kilomètres.
Vue 22 sur 346
-—w( 5 )•«-»—
massacra une partie de la garnison, qu’elle surprit dans son
sommeil, et pilla ensuite la forteresse. Maulay Muhammad
manda immédiatement cette nouvelle à son père, qui, le len-
demain, se présenta devant Tabouasâmt avec ses tambours
et suivi de tous ses partisans; les habitants de la ville ne purent
alors se dispenser de se rendre auprès du prince, de le recon-
naître comme souverain et de se soumettre à son autorité.
Prévenu de ce qui s’était passé, Ali bou Hassoun entra
dans une violente colère contre Maulay Echcherif et, s’étant
porté à Elfaïdja, il envoya des messagers à ceux des habi-
tants de Tabouasâmt qui lui étaient dévoués, leur enjoignant
de s’emparer par ruse, soit de Maulay Echcherif, soit de son
fils Muhammad : et Je viendrai, ajouta-t-il, telle nuit, •>•> Les
amis de Bou Hassoun ne purent réussir à surprendre Mo-
hammed, mais ayant offert l’hospitalité à Maulay Echcherif,
ils profitèrent de ce que ce dernier avait passé la nuit chez
eux pour s’emparer de sa personne et se saisir des serviteurs
qu’il avait amenés avec lui. Le lendemain matin, dès qu’il
fut instruit de cet événement, Muhammad attaqua les habi-
tants de la ville; Bou Hassoun étant alors survenu, se fit
remettre le prisonnier qu’il emmena dans le Sous. Là, il lui
assigna sa maison pour demeure; il le traita avec bienveil-
lance et lui donna, pour le servir, une esclave née chez
les Moâfera : cette esclave fut la mère du sultan Ismaïl.
Maulay Echcherif resta ainsi chez Bou Hassoun jusqu’au
moment où il racheta sa liberté moyennant une somme con-
sidérable, puis il retourna auprès de son fils; celui-ci, fort
irrité, cessa toute relation avec son père, qui, de ce jour jus-
qu’au moment de sa mort, se livra exclusivement à la piété.
Maulay Muhammad bn Echcherif tourna ensuite ses re-
gards du côté de l’est; il se porta vers les parties peuplées
Vue 23 sur 346
—i-s«( G )>e-s—
du Sahara, et, après les avoir saccagées, il les fit entrer sous
sa domination. Quand il arriva chez les Angâd 1, les Arabes
Maaqil, Ahlàf et Segouna se groupèrent autour de lui, le
proclamèrent souverain et l’accompagnèrent jusqu’à Oudjda.
Les habitants de cette ville étaient divisés d’opinion, et
l’un des partis, composé de la moitié des habitants, tenait
pour les Turcs. Maulay Muhammad attaqua la ville et s’en
empara; puis, les habitants ayant reconnu son autorité sou-
veraine, il se porta, avec les tribus arabes, contre les Bni
Yznâsen , qui étaient sur le territoire soumis aux Turcs; il
les razzia, leur enleva leurs troupeaux et revint ensuite à
Oudjda. Il dirigea bientôt une autre expédition contre les
Oulad Zelcri, les Oulad Ali bn Talha et les Bni Motaher 2,
les pilla, leur tua du monde, leur fit des prisonniers et les
obligea à accepter son autorité. Cette expédition terminée,
il rentra à Oudjda, d’où il partit pour attaquer les Bni Se-
nous et les Douï Yahia 3, chez lesquels il fit du butin et des
prisonniers. Revenu à Oudjda, il quitta de nouveau cette
ville pour envahir le pays des Zoghba 4 et razzier les Ghosel
et les Bni Amer 5, qu’il dispersa et-contraignit à se réfugier
aux environs d’Oran. Se dirigeant ensuite vers la campagne
de Tlemcen, il fit une incursion sur les terres de parcours
‘ L’ancien territoire des Angad est coupé par la frontière qui sépare l’Algérie
du Murrâkush. Les Maaqil formaient un des principaux groupes de l’invasion
arabe du xi° siècle.
2 Ces trois tribus se trouvaient également sur la frontière Murrâkushaine. L’ar-
ticle 3 du traité conclu le 10 septembre 18/1/1 entre la France et le Murrâkush in-
dique les deux dernières tribus comme devant rester sous l’autorité du Murrâkush.
* Tribus à l’ouest de Tlemcen.
1 On désignait sous ce nom tout le territoire qui comprend la partie méri-
dionale de l’arrondissement de Tlemcen et l’arrondissement de Sidi bel Abbès.
5 Les Ghosel occupent encore le sud de l’arrondissement de Tlemcen;
quant aux Reni Amer ils ont, émigré au Murrâkush en 18A6.
Vue 24 sur 346
—15′( 7 )’C-t—
des habitants de cette ville, ainsi que sur celles des habitants
des villages voisins. Mais, comme il emmenait les troupeaux
qu’il y avait pris, il fut poursuivi par les gens de Tlemcen
aidés de la garnison turque de cette ville; faisant alors
volte-face, il leur livra combat, les mit en déroute et leur
tua beaucoup de monde. Après avoir fait encore du butin,
Maulay Muhammad rentra vainqueur à Oudjda où il prit
ses quartiers d’hiver. Au printemps suivant, accompagné
des contingents arabes qui étaient venus le rejoindre, il
attaqua les Ahrâr \ leur tua du monde, fit des prisonniers
et s’empara de leurs richesses. Mahmoud, le cheikh des
Hamiân 2, vint alors lui apporter des présents et faire sa sou-
mission. Les Dakhila et les Mehaïa 3 suivirent cet exemple,
et Maulay Muhammad, assisté de ces auxiliaires, envahit le
territoire \urc. Les Soueïd, les Hosaïn, les Haouârets et
les Hachem prirent la fuite devant lui et se retranchèrent
dans la montagne de Râched 4. Poursuivant sa route en
pillant tout sur son passage, Maulay Muhammad s’avança
jusqu’à Laghouat, Aïn Mâdhi et les villages environnants.
Le bey de Mascara 5 fit creuser un fossé pour assurer sa
1 Les Ahrâr ou Harâr habitent les Hauts-Plateaux du département d’Orau
entre Saïda et Tiaret.
2 Les Hamiân forment une des tribus les plus turbulentes du département
d’Oran entre Saïda et la frontière. Une fraction de cette tribu dépend du
Murrâkush : ce sont les Hamiân Djenba.
3 Tribus Murrâkushaines établies dans le voisinage du chott de Mehaïa, près
de la frontière algérienne.
4 Les Soueïd, les Hosaïn, les Haouârets et les Hachem étaient des tribus
arabes établies dans la plaine d’Eghris au sud-est de Mascara.
5 11 semble, d’après ces mots, quele bey de l’Ouest résidait déjà (i65o) à
Mascara. Cependant on croit généralement que c’est Moustafa bou Chela-
ghem (1 686-1737) qui le premier quitta Mazouna pour aller établir sa capi-
tale à Mascara.
Vue 25 sur 346
—M.( 8 ).«—
propre sécurité, puis il écrivit au dey d’Alger pour l’informer
de la situation qui lui était faite ainsi qu’à ses sujets et lui
annoncer que le prince de Sijilmasa, Maulay Muhammad
bn Echcherif, dévastait le pays, tuant les habitants ou les
emmenant prisonniers. A celte nouvelle, le dey ordonna aux
troupes d’Alger de se mettre en route sous la conduite de
son kalifa, d’emporter des canons et d’aller rejoindre le bey
à Mascara. Maulay Muhammad quitta Aïn Mâdhi pour re-
tourner à Oudjda. Arrivé dans cette dernière ville, il ren-
voya les Arabes dans leurs campements d’hiver, leur donna
rendez-vous pour le printemps suivant et se rendit en-
suite à Sijilmasa.
Le pays que traversa l’armée turque était désert; les
terres étaient sans culture, les habitants avaient fui et
s’étaient réfugiés dans les montagnes qui bordent la mer
Personne n’apporta ni tribut, ni approvisionnements; les
habitants de Tlemcen, à cause des déprédations des Turcs,
firent mauvais accueil à la colonne, qui rentra à Alger « avec
les bottines de Honeïn 1n. Dès qu’Otsman pacha 2 fut in-
struit de la situation du pays, il donna l’ordre de réunir le
diwan pour tenir conseil. A l’unanimité il fut décidé qu’un
message serait porté à Maulay Muhammad par deux ulémas
d’Alger et deux Qâ’ids turcs. Le texte de ce message, dicté
par le secrétaire Elmahdjoub Elhadri, était très énergique. Il
est trop étendu pour que nous le reproduisions ici, étant
donnée la concision que nous nous sommes imposée dans
1 Expression proverbiale très usitée pour dire qu’on a été trompé dans son
espoir. Sur l’origine de cette expression cf. de Slane : Histoire des Berbères,
t. IV, p. 90.
2 II y a ici, sans doute, une erreur de nom car on ne voit point figurer
de pacha du nom d’Otsman, dans la liste des pachas d’Alger.
Vue 26 sur 346
—>s.( 9 )■« —
cet ouvrage, mais on le trouvera in-extenso dans le petit
livre historique intitulé : Elbostân eddherif fi daulet Maulay
Ali Echclierif, où nous avons exposé tout ce qui est relatif
aux règnes de ces princes, à leurs conquêtes, à leurs luttes
intestines ou à leurs guerres contre l’étranger. Quant à l’ex-
trait que nous en donnons ici, il est seulement destiné à
faire suite à l’histoire des dynasties précédentes, de façon
que ce travail soit complet et embrasse toute l’histoire;
toutefois, pour cette partie comme pour les précédentes, nous
nous sommes bornés à un résumé.
Les envoyés algériens se rendirent à Sijilmasa, auprès
de Maulay Muhammad bn Echcherif; quand ils furent ar-
rivés et que celui-ci eut lu le message d’Otsman, il écuma de
rage et s’emporta; puis, faisant appeler les envoyés, il leur
adressa de vifs reproches au sujet des insinuations contenues
dans ce message. Ceux-ci réfutèrent avec succès toutes les
raisons invoquées par le prince pour se justifier, et celui-ci,
reconnaissant ses torts, remit sa réponse aux envoyés et
prit l’engagement solennel devant Dieu de ne plus envahir
le territoire turc et de ne jamais franchir la rivière de la
Tafna 1, à moins que ce ne fût pour une oeuvre agréable à
Dieu ou à son Prophète. La limite des deux pays ayant été
ainsi marquée par la Tafna, rien ne fut changé à la situa-
tion jusqu’en l’année 1060 (i65o).
A cette époque, les habitants de Fâs 2 se révoltèrent contre
l’autorité de Muhammad Al-Hajj ; ils entamèrent la lutte
avec le gouverneur que ce prince leur avait donné et qui
Jusqu’en 18M, le Murrâkush avait considéré la Tafna comme formant sa
limite naturelle à l’est.
Quand le nom de Fâs n’est pas suivi d’une épilhèle, c’est qu’il s’agit de
Fâs la vieille.
Vue 27 sur 346
—H.( 10 )«H—
habitait Fâs al-Jadîd. Le gouverneur ayant réussi à empê-
cher les révoltés d’arriver jusqu’à la rivière, ceux-ci implo-
rèrent l’appui de Maulay Muhammad bn Echcherif. Accou-
rant aussitôt, ce prince entra dans Fâs al-Jadîd, s’empara
d’Abou Becr Ettameli, le représentant de Muhammad Al-Hajj,
et le jeta en prison. Quand Muhammad Al-Hajj apprit ces
événements, il réunit de nombreuses troupes berbères et, se
dirigeant sur Fâs, il vint camper sous les murs de cette ville.
Maulay Muhammad sortit à la rencontre de son adversaire;
mais, ses forces étant insuffisantes, il dut rentrer à Fâs.
Voyant cela, les habitants rompirent leur pacte de fidélité
vis-à-vis de Maulay Muhammad, qui reprit alors la route de
Sijilmasa. A Fâs la guerre continua avec Ettameli; dans
cette lutte périrent de grands personnages, entre autres Ab-
delkerim EHirini, chef des Andalous, Muhammad bn Seli-
man, etc. A la suite de leur défaite, les Ahl Fâs reconnu-
rent de nouveau l’autorité de Muhammad Al-Hajj, qui leur
envoya comme gouverneur son fils Ahmad. Le souverain
leur enjoignit l’ordre de jeter hors du mausolée de Maulay
Idris 1 les cadavres des fauteurs des derniers troubles qui y
étaient enterrés. Ali bn Idris Eldjouthi refusant d’exécuter
cet ordre, le gouverneur mit le siège devant le mausolée,
mais il accorda bientôt la vie sauve à Ali et à ses com-
pagnons qui, après s’être d’abord réfugiés dans la zaouïa
d’Elmokbfia, quittèrent ensuite la ville de Fâs.
Au mois de ramadhan de l’année 1069 (juin i65o,),
Maulay Echcherif bn Ali mourut à Sijilmasa. Le très docte,
le vertueux Maulay Muhammad bn Elmobarek composa en
1 Ce mausolée, situé dans la montagne de Zerhoun est encore aujourd’hui
un lieu d’asile inviolable pour tous les malfaiteurs.
Vue 28 sur 346
—«.( a )•«—
l’honneur du défunt une magnifique et mélodieuse élégie,
dont les premiers vers sont ce qu’il y a de plus sublime et
et déplus suave :
ce Dieu est grand ! Combien est terrible ce coup du destin
qu’aucun pouvoir n’eût pu parer !
«Qu’il est immense le malheur qui a fondu sur notre
patrie et dont les funestes effets s’étendent à toute la nation
qui en est accablée !
et Ce malheur qui a atteint celui autour duquel, en dépit
de tous, s’était groupé l’Islam et qui a déjoué toutes les
prévisions,
« C’est la mort de notre auguste seigneur, de notre puis-
sant souverain, de celui qui, par son élévation, faisait la
gloire de notre siècle,
ce Du refuge des malheureux, Maulay Echcherif, fils de
Maulay Ali, dont la haute renommée était connue de tous.
ce Par Dieu ! Le coeur se briserait si nous n’avions son
magnanime successeur, notre maître, le pontife,
ce Le descendant des sages, Maulay Muhammad, dont le
nom et les actions sont pour nous des gages de grandeur et
de victoire.
ce 11 est le roc et le pilier qui nous servent d’appui; il
est noire bonheur, notre sauvegarde, nos oreilles et nos
yeux.
ce II n’est pas mort, celui qui comme vous laisse un succes-
seur, car, comme le dit l’adage, la branche est la parure du
tronc le plus élevé 1. -n
Cette pièce de vers est longue.
Je ne suis pas absolument sûr de la lecture et, par conséquent, de la
traduction de la dernière partie de ce vers.
Vue 29 sur 346
Lorsque Maulay Echcherif mourut, son fils Maulay Er-
rechid, redoutant son frère Maulay Muhammad quitta Tafi-
lalet pour se rendre d’abord à Tedgha 1 puis à Demnât 2. Il
revint ensuite à la zaouïa Eddilâïa, où il demeura quelque
temps; delà il alla successivement à Azrou 3, à Fâs, à Taza
et chez les Arabes des Angâd, faisant un court séjour dans
chacune de ces localités. Pendant que Maulay Errechid
était chez les Angad, Elkhidhr Gheïlân 4 se révolta dans le
district d’Elfahs \ puis marcha sur Alcasar 5, où il pénétra
de vive force à la suite d’un combat. Une grande partie
des habitants delà ville furent massacrés, et ceux qui échap-
pèrent à ce carnage s’enfuirent à Fâs.
A la mort de Ahmad oulcl Al-Hajj, gouverneur de Fâs,
son fils, Muhammad, lui succéda dans ces fonctions, et
l’autorité de Muhammad Al-Hajj se maintint sur le Gharb 0
jusqu’en l’année 1070 (1659-1660). En cette année, El-
khidhr Gheilân fit une expédition contre les Cherâga 7, leur
enleva leurs tentes et leurs troupeaux et les réduisit à aller
mendier dans la ville de Fâs.
En 1071 (1660-1 661), Muhammad Al-Hajj envahit la
province de Gharb à la tête de nombreuses troupes ber-
bères; il pilla et dévasta tout sur son passage.
Elkhidhr Gheilân et les populations du Gharb s’enfui-
1 District à /10 kilomètres à l’ouest de Sijilmasa.
2 Bourg et province à l’est du Murrâkush, au pied du versant nord de l’klrareu
Dran.
3 Cette localité n’est pas indiquée sur les cartes.
4 Elkhidhr Gheïlân, ou mieux bn Gheïlân, est le personnage appelé Gailand
par les historiens européens.
5 District maritime au nord de Larache.
” La province de Gharb a pour chef-lieu Alcasar Elkebir.
7 La tribu des Cherâga est à l’est de Fâs.
7 La tribu des Cherâna est à l’est de Fâs.
Vue 30 sur 346
—w( 13 )•<«—
rentdansla province d’Elfahs jusqu’au mausolée du cheikh
Abou Selhâm 1, où ils parvinrent et demeurèrent sans être
inquiétés.
Muhammad Al-Hajj mourutàFâs en 107a (1661-1662).
Eddoraïdi qui commandait un corps de troupes profita de
l’affaiblissement de la dynastie dilâïte pour se soulever à la
tête des gens de sa tribu, les Doraïd, et fit reconnaître son
autorité dans la ville de Fâs. L’année suivante, Abdallah
ould Muhammad Al-Hajj vint, accompagné de nombreux
contingents berbères, camper sous les murs de Fâs la vieille;
pendant dix jours il assiégea cette place, brûlant et sacca-
geant les environs, puis il se retira. La ville était alors
commandée par Bn Salah.
A la fin de cette même année 1073 (1662-1663), Mau-
lay Muhammad bn Echcherif alla camper sur les terres de
culture des Hayayina 2, dont il fit manger ou dévaster les
céréales. Une grande famine s’ensuivit : les gens en furent
réduits à manger leurs bêtes de somme, des cadavres
d’animaux et même de la chair humaine. Les villages se
dépeuplèrent, les mosquées devinrent désertes, et les habi-
tants de Fâs appelèrent à leur secours la famille des Dilâï.
Maulay Muhammad bn Ali bn Tahar se mit aussitôt en
marche avec les Hayayina pour attaquer Maulay Muhammad
Echcherif; mais, n’ayant pu réussir à l’atteindre, il rentra
dans son pays.
1 Le tombeau du cheikh Abou Selhâm est situé sur le bord de la mer
au sud de Larache. D’après Delaporle cité par Renou clans sa Description
géographique de l’empire du Murrâkush, p. a5, Selhâm est le synonyme de
burnous. Dans son Dictionnaire arabe-français, Beaussier donne la forme
Sdhâb,
2 Les Hayayina sont au nord-est de Fâs.
Vue 31 sur 346
-—w( 14 )•«
En 107/t (1 663-1664), Muhammad Echcherif 1 vint
camper à Azrou. Les ulémas et les chérifs de Fâs se rendi-
rent auprès de lui et le proclamèrent souverain, puis ils
rentrèrent dans la ville, tandis que le prince, demeuré à
Azrou, y restait jusqu’à la saison d’hiver, époque à laquelle
il s’éloigna. Les habitants de Fâs prirent alors vis-à-vis
d’Eddoraïdi l’engagement de méconnaître l’autorité de Mo-
hammed Echcherif. Cette année-là, la Ta/a 2 de Fâs qui tom-
bait en ruines, fut démolie et remplacée par des plantations
qui s’étendirent de la porte d’Elmahrouq à la porte de Derb
Eddorra. Eddoraïdi se mit à cette époque à envoyer des bandes
de ses partisans faire des incursions sur le territoire de Mé-
quinez, et quand ces bandes revenaient avec du butin et des
prisonniers, on les recevait au son des tambours. Mais les
Berbères, ayant un jour attaqué avec vigueur ces soldats d’Ed-
doraïdi, en firent un grand carnage. C’est également en cette
année que les Anglais s’emparèrent de la ville de Tanger 3,
qu’ils enlevèrent aux Portugais, trop faibles pour leur résister.
Pendant l’année 1075 (i664-i665), le sultan Rechid
s’établit chez les Angâd, se déclara souverain et réunit
autour de lui les Arabes de Maaqil et leurs alliés les Bni
Yznâsen 4, qui lui prêtèrent bay’aet le con-
duisirent à Oudjda. Aussitôt que Maulay Muhammad bn
Echcherif fut informé de cet événement, il quitta Sijilmasa
avec ses contingents arabes et berbères pour aller attaquer
son adversaire chez les Angâd. Errechid se porta à sa ren-
1 Le manuscrit A porte par erreur Muhammad Al-Hajj.
2 Nom d’un quartier de Fâs.
3 En 1662, ia ville de Tanger fut apportée en dot au roi d’Angleterre
Charles II par l’infante Catherine de Portugal.
4 Le manuscrit B donne Yznâlen, qui sérail un pluriel de Zen a ta.
Vue 32 sur 346
—M«( 15 )•«-—
contre et le joignit dans la plaine des Angâd, où le combat
s’engagea; dès le commencement de l’action, Maulay Mo-
hammed bn Echcherif périt, et ses soldats, mis en déroute,
furent tués ou faits prisonniers. Quand Errechid retrouva
le corps de son frère, il le fit charger sur une monture et
l’emporta aux Bni Yznâsenpour l’y faire enterrer. 11 attaqua
la maison d’Ibn Mechaalx chez les Bni Yznâsen et, ayant fait
mettre à mort ce personnage, il s’empara de ses troupeaux
et de tous ses biens. Grâce à ces nouvelles ressources, dont
il distribua une part à ceux des Arabes et des Bni Yznâsen
qui l’entouraient, Errechid fortifia son parti. Il fit enterrer
son frère dans la maison d’Ibn Mechaal et revint ensuite à
Oudjda, où il organisa ses forces et fit appel à de nouveaux
partisans : les tribus lui apportèrent aussitôt leurs serments
d’obéissance et des présents. Quand la nouvelle de ces sou-
missions leur parvint, les Ahl Fâs se réunirent aux
Hayayina et aux habitants du Hawz 2; ils s’engagèrent par ser-
ment à ne point reconnaître l’autorité d’Errechid et à ne tenir
aucun compte de sa proclamation comme souverain. En
même temps ils prescrivirent d’acheter des chevaux et des
armes; sur l’ordre des chefs, chaque maison dut avoir un
fusil, et toute famille qui n’en possédait pas fut punie. Les
chevaux et les armes furent passés en revue à BâbElfotouh,
et l’on jura de combattre Errechid.
Errechid eut connaissance de tous ces faits, mais avec
1 Renou place celte localité à Dâr Cheikh Chaoui sur un des affluents de la
rive droite de la Molouïa. Suivant l’auteur du Nozet elhâdi, c’était un château
appartenant à un juif extrêmement riche qui exerçait une grande autorité sur
les populations qui l’environnaient.
Le mot Hawz s’emploie souvent pour désigner une sorte de grande ban-
lieue. Il désigne tantôt le district de Murrâkush, tantôt celui de Fâs, mais plus
généralement le premier.
Vue 33 sur 346
—«.( 16 ).«—
sa parfaite sagacité il n’en tint aucun compte pour le mo-
ment; il quitta Taza et alla assiéger clans Sijilmasa le fils
de son frère, Muhammad bn Muhammad Echcherif. Celui-
ci, après avoir soutenu un siège de neuf mois, fut vaincu et
prit la fuite. Errechid entra alors dans Sijilmasa; il restaura
les remparts de la ville et, après en avoir organisé la défense,
il rentra à Taza. Aussitôt que cette nouvelle parvint à Fâs,
les habitants de la ville et leurs alliés se réunirent pour se
préparer à la lutte et décidèrent de se porter sur Taza. Us
sortirent de Fâs au mois de chaoual 1076 (avril 1666);
mais, à peine arrivés à Taza en présence de l’armée ennemie,
ils prirent la fuite sans combattre. Errechid les poursuivit
jusqu’à la rivière de Sebou 1 et revint ensuite sur ses pas.
Les Ahl Fâs sollicitèrent la paix, mais les négociations
n’aboutirent point avant qu’Errechid fût devenu maître de
tout le Maghreb.
Au mois de safar 1077 (août 1666), Errechid vint
camper sous les murs de Fâs et assiéger la ville. Après un
combat qui dura trois jours sans résultat, il se retira; dans
cette affaire une balle l’avait atteint au bout de l’oreille.
Au mois de rebia suivant, le siège fût repris ; les incendies
et les combats firent de nouveaux ravages,- mais Errechid
leva de nouveau le siège, car cette fois encore il n’était
pas venu avec l’intention de rester. Il se dirigea alors vers
le Rif pour combattre le révolté Aaradh; il le cerna, lui
livra bataille et, après un certain nombre de rencontres et
de combats, il réussit à s’en emparer au mois de ramadhan.
Dans le mois de dzoulqaada, Errechid campa pour la troi-
sième fois sous les murs de Fâs; la lutte s’engagea de nou-
1 Le Sebou, un des principaux cours d’eau du Murrâkush, prend sa source dans
les montagnes des Aïl Yonsi et se jetle dans l’océan Altantique à Mehedia.
Vue 34 sur 346
—**.( 17 >e-i—
veau et, le 3 du mois de dzoulhiddja, il entrait dans Fâs la
neuve par une brèche pratiquée dans les remparts du côté du
mellak 1 des musulmans; le gouverneur de la ville, Eddoraïdi,
avait pris la fuite. Le lendemain Errechid attaqua Fâs la
vieille; le chef des Lemthiens 2, Ibn Esseghir, et son fils
abandonnèrent la ville pendant la nuit et se réfugièrent
dans le bastion 3 de la porte d’Eldjisa; le surlendemain matin
Bn Salah,le chef des Andalous, s’enfuit à son tour. Les ha-
bitants sortirent alors de la ville et vinrent prêter serinent
de fidélité à Maulay Errechid.
RÈGNE DE MAULAY ERRECHID BN ECHCHERIF BN ALI.
Reconnu souverain par les Ahl Fâs, Errechid déploya
la plus grande activité pour retrouver Ibn Salah et Ibn Seghir
et envoya de tous côtés des espions à la recherche de ces
deux personnages. Ibn Salah fut pris le premier dans la ban-
lieue de la ville; on l’enferma dans une prison située à la
porte de Dâr Bn Ghegra, et quelques uns de ses compagnons
furent mis à mort. Quant à Ibn Esseghir et à son fils, on les
arrêta plus tard chez les Hayayina; on les conduisit dans la
prison où était renfermé Ibn Salah, et, sept jours plus tard,
ces prisonniers subissaient le dernier supplice.
Errechid nomma Hamdoun Elmezouâri cadi de Fâs, puis
il se rendit dans le Gharb à la poursuite de Elkhidhr Ghei-
1 Le mot mellah s’emploie ordinairement pour indiquer le quartier réservé
aux juifs; s’il n’y a pas une erreur dans le texte, ce mot serait donc applicable
d’une façon plus générale à un quartier quelconque.
Les Lamtha ou Lemthiens prétendaient descendre des princes Himyarites
(cf. de Slane, Histoire des Berbères, t. I, p. 174).
Ce mot, emprunté à l’espagnol, se confond au pluriel avec le pluriel de
bostân.
Vue 35 sur 346
-—*-»•( 18 )«c-i—
iân. Celui-ci s’étant réfugié à Alcasar, Errechid l’y poursuivit,
mais Gheilân, ayant alors quitté Alcasar pour Açila 1, le
sultan rentra à Fâs. En 1078 (1667), Errechid partit dans
le but d’atteindre les Ait Oullâl, c’est-à-dire les Bni
Oullâl, qui soutenaient Muhammad Al-Hajj 2; il les surprit
et revint ensuite à Fâs. A peine était-il de retour que Mo-
hammed Al-Hajj venait avec de nombreux Berbères camper
àBab Meroura, non loin de Fâs. Errechid engagea le combat,
qui dura trois jours et qui se termina par la retraite de
Muhammad Al-Hajj; il prit ensuite la route de Taza. En re-
venant de ce payrs, il révoqua Elaguidi, le Qâ’id de Miknâs.
Le second jour de l’Aïd Elkebir 3, il fit une expédition contre
les Bni Zerouâl 4; il les soumit et envoya leur chef Echche-
rif à Fâs. Errechid alla également à Tetouan; là il fit arrêter
Ahmad Enneqsis, le chef de la ville, et un certain nombre de
notables qu’il ramena à Fâs, où il les condamna à la prison
perpétuelle. Après une campagne contre les Bni Yznâsen,
qu’il défit, il revint pour marcher contre Guigou 5, qui paya
ses impôts. Cette même armée, Kerroum Al-Hajj 0 Echcheb-
bâni, qui s’était déclaré indépendant à Murrâkush, mourut, et
son fils Abou Becr bn Al-Hajj lui succéda.
1 Açila, petit port au nord de Laracbe, s’appelle en arabe Asilali.
2 II s’agit probablement du fils de Muhammad Al-Hajj, car il est dit plus
haut que Muhammad Al-Hajj mourut en 1072 (1661-1662); le copiste aura
peut-être omis le mot ould devant ce nom.
3 L’Aïd Elkebir est le nom de la fêle dite des moutons ou des sacrifices;
elle a lieu le 10 du mois de dzoulhiddja.
1 Les Bni Zerouâl appartiennent au Rif.
5 Guigou est, au sud de Fâs, dans la tribu des Ait Yousi.
6 Chénier écrit ce nom Crom el-Hage (Recherches historiques sur les
Maures, t. III,p. 335), Godard, Krom Al-Hajj (Description et histoire du Ma-
roc, p. /186).
Vue 36 sur 346
–«•( 19 >e*—
En 1 079 (1668-1669), Errechid donna le gouvernement
de Fâs au faqih Muhammad Elfâsi, puis il dirigea
une expédition contre la zaouïa Eddiiâïa. La colonne ren-
contra les gens de Dilâi, conduits par Ould Muhammad El-
hadj, à Bathn Errommân, dans le district de Fazâz. A la suite
du combat qui fut livré, Ould Muhammad Al-Hajj, défait, se
retira avec ses contingents berbères à la zaouïa; le sultan
les poursuivit et vint camper sous les murs de la zaouïa.
Elyousi \ dans son ouvrage intitulé Elmohâdhara, s’exprime
ainsi à ce sujet : ce Le raïs 2 Muhammad Al-Hajj bn AbouBecr
Eddilâi s’était emparé de tout le Maghreb, où il régna de
longues années, et la fortune lui sourit ainsi qu’à ses frères
et à ses cousins. Quand le sultan Errechid bn Echcherif eut
attaqué et mis en déroute ses troupes à Bathn Errommân, ces
derniers se rendirent à la zaouïa auprès de Muhammad Al-Hajj
qui, à cause de son grand âge, ne pouvait plus assister à une
expédition ni prendre part à aucun combat. Quand Moham-
med Al-Hajj vit la grande terreur et l’extrême angoisse de ses
fils et de ses frères, il leur dit: ce Pourquoi vous vois-je ainsi? n
Puis il ajouta : ce II vous suffit, il vous suffit n, voulant ainsi
parler de Dieu. Ces paroles étaient merveilleusement appli-
1 Elhasen bn Ehnesaoudi, plus connu sous le nom d’Elyousi (abréviation
d’Elyousofi, suivant cet auteur), vivait dans la seconde moitié du xvn* siècle. Il
a composé divers ouvrages, mais le seul qui soit encore très répandu au Murrâkush
et en Algérie est celui qui a pour litre : Elmohâdhara iL^LsîJI tt l’entretien n.
Dans cet ouvrage Elyousi raconte un certain nombre d’anecdotes, le plus sou-
vent personnelles, et il fait suivre chacun de ses récits de conseils ou de consi-
dérations philosophiques et morales. Elmohâdhara a été rédigé en 1683. La
bibliothèque-musée d’Alger en possède un exemplaire qui porte le n° 1078
du catalogue des manuscrits.
Le litre de raïs se donne principalement à ceux qui commandent ou ont
commandé des navires.
Vue 37 sur 346
—».( 20 )•«—
quées à l’événement, car elles signifiaient: Dieu très haut vous
dit : ce Vous avez eu une part suffisante des biens de ce monde
abstenez-vous maintenant et soyez satisfaits et résignés à sa
volonté. D Ici se termine la citation d’Elyousi. La prise de la
zaouïa eut lieu le 8 de moharrem de cette année 1079
(1 9 juillet 1668). Généreux et sage, Errechid pardonna aux
gens de la zaouïa; il ne leur infligea aucune molestation et
ne fit périr personne. Quand la zaouïa eut été évacuée, elle
fut détruite, et son personnel transporté à Fâs.
Errechid marcha ensuite sur Murrâkush; il s’en empara au
mois de safar et fit mettre à mort le chef de la ville Abou Becr
bn Kerroum Al-Hajj Echchebbâni ainsi qu’un grand nombre
de ses frères, de ses proches et de ses partisans. Il séjourna
un mois à Murrâkush, puis il retourna à Fâs, dont il destitua le
gouverneur, Muhammad bn Ahmad Elfâsi, et le cadi, Elme-
zouâri. Les fonctions de cadi furent dévolues à Muhammad
Elmedjâsi et celle de prédicateur à la mosquée d’Elqarouïin 4,
à Sidi Muhammad Elbouinâni.
Cette même année, Elkhidhr bn Gheilân s’enfuit d’Ar-
zille, d’où il se rendit par mer à Alger. Au mois de redjeb,
Errechid entreprit une campagne contre les Chaouïa 1. Re-
venu de cette expédition au mois de rarnadhan, il donna
l’ordre d’expulser de Fâs les gens de Dilâï; toutefois il fit
exception pour quelques-uns d’entre eux. Quant aux autres,
ils demeurèrent auprès du mausolée de Sidi Ali bn Her-
zhoum 2 jusqu’à la fin de l’année, époque à laquelle ils
1 Les Chaouïa occupent la rive droite de l’Omm Errebia, près de l’embou-
chure^de ce fleuve.
2 Ce saint personnage mourut en 1163 (cf. l’article biographique d’Ali
bn Ismaïl bn Abdallah bn Herzhoum dans le Djedzouel eliqlibâs, manuscrit
.de la bibliothèque universitaire d’Alger 11° 5o4).
Vue 38 sur 346
—H.( 21 )«M—
furent tous expulsés. Muhammad Al-Hajj, qui s’était établi à
Tlemcen avec ses enfants, mourut quelque temps après
dans cette ville; il fut enterré dans le mausolée du cheikh
Essenousi.
Dans le mois de dzoulhiddja, Errechid fit une expédition
contre les AïtAyyâch 1; c’est à ce moment qu’il donna l’ordre
de frapper la monnaie dite Rechidia. Les négociants s’étant
plaints de la rareté de la monnaie 2, il leur en prêta cinquante-
deux quintaux 3 ordinaires; lorsque cet argent fut rendu, il
servit à construire les quatre arches du pont qui franchit la ri-
vière de Sebou près de Fâs. La construction de cepont eut lieu
en 1080 (1669-1670). Dans l’expédition contre Elabiod 4,
faite cette même année, Errechid s’empara des neveux de ce
personnage et les fit mettre à mort en revenant à Taza. Atteint
d’une grave maladie et sur le point d’y succomber, le sultan
donna l’ordre d’élargir les prisonniers et de répandre des
aumônes; alors, grâce à Dieu, il recouvra la santé. Au mois
de chaoual il maria son frère Maulay Ismaïl; les noces furent
célébrées à Dâr Bn Chagra. Au mois de dzoulqaada le
pont d’Errccif 5 fut restauré.
1 Les Ait Ayyàcli sont établis près des sources de l’Wad Guir.
2 Les monnaies d’or et d’argent sont toujours rares au Murrâkush; elles s’accu-
mulent dans les caisses du makhzen, qui fait la plupart de ses payements
en monnaie de billon, tandis qu’il exige qu’on le paye en monnaie d’or ou
d’argent.
3 Le manuscrit B remplace toujours le mot quintal par rr 1,000 mi tsqâls », qui
en est l’équivalent. D’après Macrizi, le qintâr contient, suivant les uns, 1,080
pièces d’or; suivant d’autres, 1,100. En réalité, le qintâr est un poids de
100 rolls (livres), et le nombre de pièces nécessaires pour obtenir ce poids
varie^un peu suivant que les pièces ont subi plus ou moins d’usure.
D’après la leçon du manuscrit B, ce nom est celui d’un chef indigène ;
cependant, en général, ce nom ne s’applique qu’à des localités.
5 Pont construit sur l’Wad Fâs, à Fâs.
Vue 39 sur 346
—«.( 22 >H—
En 1081 (1670-1671), Errechid dirigea une expédition
contre le Sous; il s’empara de Taroudant et soumit les He-
souka 1, auxquels il tua plus de 2,5oo hommes, et les gens du
Sahel, qui perdirent plus de /t,ooohommes; enfin il enleva
la forteresse de Yala connue sous le nom de Abou Domeïa
et qui servait de résidence royale à Ali bou Hassoun, après
avoir tué plus de 2,000 de ses défenseurs sur les flancs
mêmes delà montagne. A ce même moment Maulay Ismaïl,
qui était le représentant du sultan à Fâs, fit subir le dernier
supplice à soixante coupeurs de route des Oulad Djâma; les
corps de ces malfaiteurs furent suspendus à Bordj Eldjedid.
Le sultan ordonna de frapper avec la forme ronde les fé-
lons’ 2 de cuivre, qui auparavant étaient de forme carrée;
il décida en outre qu’il y aurait dorénavant vingt-quatre
pièces à la monzouna 3, au lieu de quarante-huit.
De retour à Fâs au mois de redjeb, Errechid fit com-
mencer, en chaâban, la construction de la meclressa des
Cherrâthin 4 à Dàr Bâcha Azzouz; il prescrivit également la
construction de la nouvelle qasba de Fâs dans le quartier
des Lemtouna 5 et dans le parc 6 d’Ibn Salah. Il fit don de
1,000 mitsqals pour l’édification des remparls et ordonna
‘ Il s’agit sans doute de la tribu indiquée sur les cartes sous le nom de
Stouka ou Chtouka.
2 Nom de la monnaie de billon au Murrâkush.
3 La mouzouna, nommée blanquillo par les Européens de Tanger, vaut en-
viron h centimes.
4 Ce nom de métier, qui figure sur le dictionnaire de Dozy avec la signifi-
cation de (f cordiers -a, signifierait, selon le cadi de Tlemcen, fabricant de galons.
5 Les Lemtouna, frères des Messoufa, étaient une des tribus qui concouru-
rent à l’établissement de la dynastie ahnoravide.
6 Le mot JU-_E , très usité dans l’ouest de l’Algérie pour désigner un verger,
s’écrit ordinairement avec un ^p.
Vue 40 sur 346
—M.( 23 ).(H—
à ses courtisans de bâtir des maisons à l’intérieur de cette
qasba. La tribu des Cherâga fournit une somme de 1,000 di-
nars pour la construction de la qasba d’Elkhemis. Erre-
chid alla cette année-là en pèlerinage à Abou Yaza, puis il se
rendit à Salé, d’où il revint à Fâs.
En l’année 1082 (1671), Errechid expédia de la cavalerie
pour combattre les infidèles à Tanger et un autre détachement
dans le Sous, sous la conduite du Qâ’id Muhammad Aaradh.
Un jour qu’il était à la chasse à Tafratha], il apprit qu’Ahmad
bn Muhammad, le fils de son frère , s’était révolté à Murrâkush.
Aussitôt il rentra à Fâs et en repartit le même jour dans
l’après-midi; arrivé à Feràra, il rencontra quelques-uns de
ses fidèles qui lui amenaient son neveu prisonnier. Il dirigea
son neveu sur Tafilalt et poursuivit sa route vers Murrâkush;
en même temps il envoyait à Fâs le Qâ’idZîdàn, avec mission
de lui amener des troupes; mais les gens du Sous étant
venus faire leur soumission, ces troupes, qui avaient déjà
dressé leurs tentes près de la rivière de Fâs, devinrent inu-
tiles. Errechid resta à Murrâkush jusqu’aux fêtes de l’Aïd Elkebir;
le second jour de cette fête son cheval s’étant emporté dans
le parc d’Elmesreb, il fut atteint à la tête par une branche
d’oranger 2 et mourut sur le coup. Dieu lui fasse miséricorde !
Le règne d’Errechid avait duré sept ans moins deux mois. La
nouvelle de sa mort fut apportée à son frère, qui, à ce mo-
ment, était gouverneur de Miknâs, le 1 k de dzoulhiddja
de l’année io83 (3 avril 1673).
1 Au nord-est de Taza dans la vallée de la Molouïa.
Ou de citronnier, en suivant la lecture du manuscrit B.
Vue 41 sur 346
—t-s-( 24 )•«-.—
REGNE DU SULTAN ISMA1L BN ECHCHERIF REN ALI.
A la mort d’Errechid, son frère Ismaïlfut proclamé sou-
verain à Miknâs. Ce prince habitait l’ancienne qasba
des Almohades, dans laquelle il s’était fait construire un
palais. C’est là qu’il reçut les serments de fidélité des habi-
tants de Fâs, qui envoyèrent une députation d’ulémas et de
chérifs le féliciter de son avènement au trône; la province
du Gharb envoya aussi des députations. Ismaïl expédia des
troupes dans toutes les directions, et lui-même se mit en
marche sur Murrâkush d’où personne n’était venu à lui, pas
plus de la ville même que des tribus environnantes. Arrivé
devant cette ville, les habitants et les tribus lui offrirent le
combat; Ismaïl engagea alors la bataille, fut vainqueur et
entra de vive force dans Murrâkush. Les habitants vaincus lui
ayant demandé Y aman 1, il leur accorda le pardon qu’ils
avaient sollicité, et les tribus s’empressèrent de lui apporter
leurs présents. Après avoir organisé la défense de la place,
Ismaïl ramena à Miknâs le corps de son frère Errechid
dans le cercueil où il avait été placé et le fit enterrer dans
le mausolée du cheikh Ali bn Herzhoum. On prétend qu’il
agit ainsi pour se conformer à un désir exprimé dans le
testament du défunt.
Ismaïl avait déjà fait distribuer des avances de solde 2 à
ses soldats en vue d’une expédition dans le Sahara, quand
les habitants de Fâs tuèrent le chef de cette colonne, Zîdân bn
Abid Elamri. Au cours de la longue lutte qui s’ensuivit, les
1 Ce mot qu’on pourrait traduire souvent par amnistie n’a pas* d’équivalent
exact en français.
2 Le texte porte à la lettre : il répartit la solde entre ses soldats
Vue 42 sur 346
—4-9-( 25 )•«—
Ahl Fâs mandèrent à Ahmad bn Mahrez, neveu d’Ismaïl,
de venir chez eux, qu’ils le proclameraient sultan. Ils changè-
rent d’avis quand ce personnage fut arrivé et, ayant sur ces
entrefaites reçu un courrier porteur d’un message d’Ismaïl,
ils acclamèrent sultan ce dernier, et dix cavaliers furent
envoyés au devant de lui à Taza. Le lendemain Ismaïl, qui
venait d’apprendre par un courrier la mort d’Elkhidhr
Gheilân, fit son entrée dans Fâs al-Jadîd. Les ulémas et les
chérifs se rendirent auprès de lui pour implorer son pardon;
il accéda à leurs prières et se montra indulgent, bien qu’il eût
été arrêté au siège delà ville pendant quatorze mois. Abder-
rahman Elmetrâri fut nommé gouverneur de Fâs al-Jadîd et
des tribus avoisinantes, et Ahmad Ettlemsâni exerça les
mêmes fonctions à Fâs la vieille : ces deux chefs terrorisè-
rent le pays par le meurtre, la prison et les exactions.
Le sultan était rentré à Miknâs pour s’y occuper de la
construction de ses nombreux palais. Il aimait cette ville,
dont le climat l’avait séduit, et il aurait voulu ne jamais la
quitter. Il fit démolir les maisons qui avoisinaient la qasba
et contraignit les habitants à en emporter les décombres.
Toute la partie orientale de la ville fut également détruite,
et l’emplacement ainsi obtenu servit à agrandir l’ancienne
qasba et à en dégager les abords. Les remparts de Méqui-
nez furent reconstruits et la nouvelle enceinte fut isolée de
celle de la qasba. Ismaïl avait employé à ces constructions
des ouvriers qu’il avait fait venir des villes et des campagnes
du Maghreb; mais comme il trouvait qu’il n’en avait pas en-
core assez, il obligea chaque tribu de lui fournir tous les
mois un nombre déterminé de travailleurs. Il fit encore
édifier la grande mosquée qui se trouve à l’intérieur de la
qasba et qui avoisine le palais de Nasr, bâti sous le règne
Vue 43 sur 346
—!•».( 26 >c*—
de son frère Errechid. C’est à lui également que l’on doit
la grande maison située près du mausolée du cheikh El-
medjdzoub.
Pendant qu’il était occupé à ces travaux, Ismaïl apprit
que Ahmad bn Mahrez était entré à Murrâkush pendant le
mois de moharrem de l’année io8/t (mai 1673). Il se mit
aussitôt en campagne et prenant d’abord le chemin des
Angâd, dont les tribus arabes coupaient les routes, il surprit
les Segouna, leur enleva leurs troupeaux et leur tua un
grand nombre d’hommes. Puis, après avoir terminé ses
préparatifs de guerre contre Ibn Mahrez, il marcha à la tête
de ses troupes sur Tâdla. Les deux armées se rencontrè-
rent à Bou Aqaba, où le combat s’engagea. Ahmad bn
Mahrez fut vaincu et s’enfuit à Murrâkush : Ettouïri, qui com-
mandait son armée, avait péri dans la lutte. Ismaïl poursuivit
son adversaire jusqu’à Murrâkush, où il l’assiéga en 1086 (1675).
Ayant acquis dans ces circonstances la preuve de la perfidie
de ‘Umar Elbethiouï, des fils de ce personnage, Abdallah Aa-
radh et ses frères, qui étaient ses généraux, Ismaïl les fit
étrangler dans son camp; il envoya l’ordre d’arrêter et de
mettre à mort ceux d’entre eux qui étaient demeurés à
Fâs; les biens, les maisons et terres de cette famille furent
confisqués. La lutte contre Ahmad bn Mahrez dura jusqu’au
mois de rebia II de l’année 1087 (juin 1676). A cette
époque, une grande bataille fut livrée entre les deux partis,
qui perdirent chacun un nombre considérable de combat-
tants; à la suite de cette affaire, Ahmad bn Mahrez fut
bloqué dans la ville et dut désormais continuer le combat à
l’abri des remparts. Le siège dura jusqu’au mois de rebia II
1088 (juin 1677); à ce moment Ahmad bn Mahrez s’en-
fuit de Murrâkush, et le sultan Ismaïl entra de vive force dans
Vue 44 sur 346
—«•( 27 )**—
la place, qu’il livra au pillage; sept des principaux habitants
subirent le dernier supplice et trente d’entre eux furent char-
gés de chaînes.
Pendant qu’il était à Murrâkush, Ismaïl apprit que les Ber-
bères réunis autour de Ahmad bn Abdallah Eddilâï pillaient
les tribus arabes de Tâdla, dont, ils étaient les voisins. Un
premier corps de troupes de 3,ooo cavaliers, qu’il envoya
sous les ordres du Qâ’id Ikhlef, fut défait et Ikhlef tué; une
seconde armée qui suivit subit le sort de la première. Le
sultan, qui était alors à la poursuite de Ahmad bn Mahrez
dans le Sous, apprit également la nouvelle de la révolte de
son frère Hammâdi bn Echcherif dans le Sahara et celle
de la lutte de ce dernier contre son frère Elharrân, qui
s’était également révolté dans ces contrées. Néanmoins il re-
vint à Tâdla guerroyer contre les Berbères; en arrivant dans
cette ville, il y trouva Elharrân qui venait lui demander se-
cours contre son frère Hammâdi bn Echcherif. Dès le pre-
mier engagement, Ismaïl fut vainqueur des Berbères; il fit
couper sept cents tètes de vaincus et les envoya porter à Fâs
par Abdallah Errousi. Lui-même avait d’ailleurs perdu beau-
coup de monde, quatre cents archers de Fâs ayant péri
clans le combat. Quand Errousi arriva à Fâs avec les têtes
coupées, la ville se pavoisa et l’on tira des salves d’artillerie.
Aussitôt après cette victoire du sultan, Elharrân avait quitté
le camp et s’était enfui dans le Sahara. Ismaïl envoya des
troupes à sa poursuite et se rendit ensuite à Miknâs cette
même année. Le Qâ’id Abdallah Errousi fut alors nommé
gouverneur de Fâs; son père Hamdoun eut la charge des
successions et Elarbi bn Délia celle de cadi dans la même
ville. Le sultan fit mettre à mort dix habitants de Tétouan
qui étaient enfermés clans la prison de Fâs. Elharrân, ayant
Vue 45 sur 346
—w.( 28 )•«—
été ramené du Sahara chargé de chaînes, fut conduit en
présence d’Ismaïl; celui-ci le fit mettre en liberté, lui donna
des cavaliers et un village du Sahara, afin qu’il pût subvenir
à ses besoins, puis il le congédia.
Le sultan Ismaïl s’occupa ensuite de surveiller lui-même
la construction de ses palais; à peine en avait-il terminé
un qu’il en faisait commencer un autre. Comme la mos-
quée de la qasba ne pouvait plus suffire à contenir le
peuple, il y fit édifier la mosquée d’Elakhdar : la porte prin-
cipale de ce nouveau temple faisait face à la ville. La nou-
velle qasba était percée de vingt portes fortifiées et sur-
montées de bastions portant canons et mortiers. A l’intérieur,
le sultan avait fait établir une grande pièce d’eau sur la-
quelle on pouvait se promener en barque. On y trouvait
aussi un grenier à grains près duquel étaient des réservoirs
d’eau très profonds et recouverts de voûtes ; au-dessus il y
avait une batterie de canons. Le sultan avait également
installé une écurie pour ses chevaux et ses mulets; elle était
longue de trois milles et tout le pourtour était garni de râ-
teliers; on y pouvait, dit-on, attacher douze mille chevaux.
Le plancher reposait sur des voûtes sous lesquelles on met-
tait l’orge destiné à la nourriture des chevaux. Au milieu,
on avait bâti un immense magasin très solide et très élevé
qui servait à remiser les selles et autres parties du harna-
chement. Ismaïl avait encore fait construire dans la qasba
un palais appelé Elmansour; ce palais renfermait vingt cou-
poles, et chacune de ces coupoles avait une tour d’où l’on
dominait le panorama formé par les plaines et les mon-
tagnes de Miknâs. Sur toute la longueur de l’écurie, on
avait planté des arbres des espèces les plus rares. La qasba
renfermait environ cinquante palais, chacun d’eux ayant sa
Vue 46 sur 346
—w( 29 ).«—
mosquée, son bain et sa salle d’ablutions, en sorte qu’il était
indépendant du palais voisin. Jamais semblable chose ne
s’était vue sous aucun gouvernement arabe ou étranger,
païen ou musulman. On rapporte que. la garde des portes
de ce palais était confiée à douze cents eunuques noirs.
La passion qu’avait Ismaïl de réunir des esclaves noirs
l’amena à constituer une armée de nègres, et voici dans
quelles circonstances. Un jour qu’il était à Murrâkush, un taleb 1
de celte ville lui présenta un registre sur lequel figuraient
les noms de tous les nègres qui avaient fait partie de
l’armée d’Elmansour. Le sultan ayant demandé au taleb
s’il restait encore quelques-uns de ces nègres : ce Beaucoup,
répondit celui-ci, à Murrâkush même, autour de la ville et dans
les tribus voisines. Si vous vouliez, seigneur, me charger
du soin de les réunir, je le ferais volontiers, n Ismaïl écrivit
alors à ses agents et leur enjoignit de seconder le taleb
dans la mission qu’il lui confiait de réunir les nègres et
leurs enfants. Le taleb se mit aussitôt en route. Quand le
sultan fut de retour à Miknâs, après ce voyage à Murrâkush, il
ordonna à son secrétaire Muhammad Elayyâchi de se rendre
dans les tribus arabes, chez les Bni Hasen 2 et dans les
montagnes, et d’en ramener tous les nègres qu’il y trou-
verait. Enfin, les agents du sultan dans les tribus reçurent
l’ordre d’acheter ceux que celles-ci possédaient. Tous les nè-
gres furent donc ainsi réunis et il ne resta pas dans tout
le Maghreb soit dans les villes, soit dans les campagnes un
seul nègre ni une seule négresse, même de condition libre.
Ce mot s’applique à toute personne qui fait ou qui a fait des études à
peu près complètes.
2 Les Bni Hasen sont établis entre l’Wad Rdem et l’Wad Beht, affluents
de la rive gauche du Sebou au nord-ouest de Miknâs.
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—M-( 30 )•«•—
Lorsque le taleb Ayyâch Elmarrekochi fut de retour
de sa mission, que Ibn Elayyâchi et les autres agents eu-
rent rassemblé tous les nègres qu’ils avaient trouvés ou
achetés, le sultan fit distribuer à ces nègres des vêtements
et des armes; puis il leur désigna des chefs et, leur ayant
donné de quoi faire bâtir, il les dirigea sur Mechra Erre-
mell. Arrivés sur les bords de l’Wad Felfela, ils construi-
sirent des maisons, cultivèrent leurs terres et demeurèrent
ainsi jusqu’au jour où leurs enfants atteignirent l’âge de
puberté. Alors le sultan ordonna à tous ces nègres de lui
amener leurs enfants, garçons ou filles, âgés de dix ans.
Certains de ces enfants furent placés pendant une année
en apprentissage chez des maçons, menuisiers ou autres
artisans, les autres furent employés comme manoeuvres à
faire le mortier. La seconde année, on les exerça à conduire
les mulels; la troisième année, ils apprirent à damer et à
faire du pisé; la quatrième année, on leur remit des chevaux
qu’ils durent monter à cru sans selle et en se tenant à la
crinière; la cinquième année, on leur fit monter des chevaux
sellés sur lesquels ils se perfectionnèrent dans l’équitation,
en môme temps qu’ils apprirent à tirer à cheval. Quand
ces enfants eurent atteint l’âge de seize ans, ils furent enré-
gimenlés sous l’autorité de chefs choisis dans l’armée; on
les maria alors aux jeunes négresses qui avaient été répar-
ties dans les palais du souverain, où elles avaient appris la
cuisine, le ménage et le savonnage. Quant à celles de ces
jeunes filles qui étaient jolies, on les avait remises à des maî-
tresses qui leur avaient enseigné la musique; leur éducation
1 Le gué du Remel. Le Bémol est un petit cours d’eau qui se jette dans les
marécages qui reçoivent les eaux de l’Wad Beht avant sa réunion à l’Wad
Sebou. Quelques cartes inarquent ce point au nord du Sebou.
Vue 48 sur 346
i>( 31 )•€-! —
musicale terminée, on leur donna un costume et une dot,
puis chacune d’elles fut conduite à son mari, qui l’emmena
après avoir été inscrit ainsi qu’elle sur un registre. Ces époux
devaient remettre leurs enfants : les garçons au service mi-
litaire, les filles, à la domesticité dans les palais. Ce système
de recrutement dura jusqu’à la fin du règne d’Ismaïl.
Chaque année, le sultan allait au camp de Mechra Erremel
et en ramenait les enfants. Le registre militaire de l’armée
noire compta jusqu’à i5o,ooo hommes, dont 70,000 à
Mechra Erremel, 2 5,ooo à Wadjh Arous à Miknâs; le
reste était réparti dans les forteresses que le sultan, ainsi
que chacun sait, avait fait bâtir dans le Maghreb, de Oudjda
à l’Wad Noun 1. La plupart de ces forteresses subsistent
encore aujourd’hui. J’ai puisé ces chiffres dans l’histoire de
Elliamidi et dans les registres de Seliman Ezzerhouni, se-
crétaire de Maulay Ismaïl. Dieu lui fasse miséricorde ! D’ail-
leurs le souvenir de ces chiffres s’est conservé jusqu’à notre
époque. Quant aux forteresses bâties par Ismaïl dans le
Maghreb, et que j’ai vues pour la plupart, elles sont au
nombre de soixante-seize.
En 1089 (1678), Ismaïl alla de Miknâs à Murrâkush; puis,
de là, il fit une expédition contre le Sous, qu’il pacifia. Dans
cette campagne il parvint jusqu’à Tata, Agga, Tesent 2
(dont le nom signifie sel en langue étrangère) et à Ghen-
guith. Des députations lui apportèrent la soumission de
toutes les tribus arabes du Sud : les Maaqil, les Moâfera, les
Oulad Delim 3, les Chebbanat, les Berâbich, les Djerrâr,
L’orthographe Noul parait préférable à celle de Noun, généralement
adoptée.
Ces villes sont situées près des affluents de la rive droite de l’Wad Drâa.
Le territoire des Oulad Delim ou Doleïm est au sud de l’Wad Noun.
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—w.( 32 )•«—
lesMotha et les Ouddi. Cette même année, il reçut la noble
dame Khenatsa, fille du cheikh Bekkâr 1, qui la lui avait
donnée en mariage. L’expédition ramena de ces contrées
deux milles mulâtres avec leurs enfants ; on les habilla et,
après les avoir armés, on les dirigea sur Mechra Erremel.
Puis le sultan revint à Miknâs.
Une nouvelle campagne fut entreprise l’année suivante,
en 1090 (1679), dans l’est, sur la route du Sahara. Ismaïl
vit se joindre à lui les Bni Amer, les Segouna, les Douï
Menia, les Dekhisa, les Hamiân, les Amour, les Oulad
Djerir, les Harâr et les Hachem 2 qui le conduisirent dans
le Sahara en laissant Tlemcen sur la gauche. Quand on ar-
riva au campement d’Elgouïa sur les bords du Chélif, on
trouva l’armée turque installée sur la rive du fleuve; elle
était au grand complet avec ses canons et ses obusiers. Dès
que la nuit fut venue, les Turcs ouvrirent le feu avec leurs
canons et leurs obusiers; en même temps ils firent battre
de leurs tambours et allumer des torches. En entendant
ce bruit, les Arabes épouvantés prirent aussitôt la fuite,
et, le lendemain matin, il ne resta plus au sultan que son
armée régulière, ses auxiliaires s’étant dérobés au combat.
Une dépuration envoyée par les Turcs apporta à Ismaïl les
écrits de Maulay Muhammad Echcherif et de Maulay Erre-
chid par lesquels ces souverains avaient fixé à la rivière de
la Tafna les limites respectives du territoire Murrâkushain et
du territoire turc.
1 Le cheikh Bekkâr est le même personnage que Chénier appelle Bn Buker.
Chénier, Recherches historiques sur les Maures, t. III, p. 344.
2 Les Bni Amer, les Hamiân, les Amour, les Harâr et les Hachem étaient
établis sur le territoire algérien; les Oulad Djerir et les Douï Menia habitent
encore le territoire Murrâkushain au sud de Figuig.
Vue 50 sur 346
—w( 33 )•€-«—
En conséquence, la députation demanda au sultan
d’évacuer le territoire turc et de ne point franchir la limite
de ses États. Cette demande fut agréée et la paix conclue
entre les deux partis. De ce jour le sultan cessa d’avoir
confiance clans les tribus arabes et ne compta plus jamais
sur elles. Il rentra ensuite dans le Maghreb.
Cette année-là, Ismaïl apprit la révolte de ses trois frères
Elharrân, Hachem, Ahmad, et de trois de leurs cousins,
qui, à la tète de tribus berbères, avaient pénétré dans le
Sahara. Il se rendit aussitôt à Sijilmasa avec son armée
régulière et poursuivit les rebelles dans la montagne de
Saghroux.
Une grande bataille fut livrée dans laquelle périrent le
général en chef du sultan, Moussa bn Youcef, ainsi que
quatre cents soldats de la ville de Fâs; mais les rebelles
furent vaincus et obligés de s’enfuir dans des endroits dé-
serts. L’armée revenait de cette expédition par la route
d’Elfaïdja, lorsque, arrivée à Teniet Elguelaouï 2, elle fut
assaillie par une tourmente de neige ; un grand nombre de
soldats périrent, les tentes et les bagages furent perdus, et
le reste de l’armée n’échappa qu’à grand’peine à une des-
truction totale. Quand, ensuite, on campa à SidiRahhâl, les
soldats firent main basse sur les troupeaux de cette localité
pour apaiser leur faim; mais les habitants ayant porté plainte
au sultan, celui-ci donna l’ordre de mettre à mort qui-
conque serait trouvé hors du camp. Ismaïl condamna le
La montagne de Saghrou est marquée sur les cartes au sud de l’Idraren
Dran entre l’Wad Drâa et l’un de ses affluents de la rive droite.
Le teniet ou col d’Elguelaouï est l’un des passages qui permettent de fran-
chir l’Idraren Dran et de passer du bassin de l’Wad Drâa dans celui de
l’Omm Errebia.
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~M.( 34 ).«->—
wazîr Abderrahman Elmetrâri à être traîné * à la queue
d’un cheval, et il fit fusiller ses compagnons en présence de
l’armée; la sentence portée contre le wazîr fut exécutée
d’abord à Miknâs, puis à Fâs, et les lambeaux de son
corps furent abandonnés aux bêtes. Environ trois cents
hommes avaient péri dans la tourmente de neige. Revenu
à Miknâs, le sultan y séjourna quelque temps.
Au mois de moharrem de l’année 1090 (février 1679),
la peste éclata au Maghreb ; des Abids, postés surles routes,
empêchaient les gens de pénétrer dans Miknâs; ils tuaient
à Sais 2 tous ceux qui se rendaient de Fâs à Miknâs, et
toutes les communications furent interrompues. A cette
époque, les Chebbânat et les Zerâra, partisans deKerroum
Al-Hajj qui habitaient le district de Murrâkush et qui opprimaient
les tribus du Hawz furent transportés aux environs d’Oudjda
sur la frontière du Maghreb, où ils durent s’établir. En
outre, on les incorpora dans l’armée et on leur donna pour
Qâ’id Elayyâchibn Ezzougher Ezzirâri; ils eurent pour mis-
sion de maintenir les Bni Yznâsen, qui relevaient du gou-
vernement turc, dont ils habitaient le territoire. Ces der-
niers faisant de continuelles incursions contre les tribus
transportées, les empêchant de labourer et de mener
pâturer leurs troupeaux dans la plaine des Angâd, le sul-
tan ordonna de construire un fort à Reggâda, un autre à
Eloyoun et un troisième à Selouan. Ces forts, occupés par
des soldats d’Ezzeghri, continrent les Bni Yznâsen dans
leurs montagnes.
En 1091 (1680), comme les Bni Yznâsen continuaient
.leurs déprédations, le sultan marcha contre eux à la tête de
1 Ce supplice était assez ordinairement employé à cette époque.
3 Ce point n’est pas marqué sur les caries.
Vue 52 sur 346
—w( 35 ).«—
son armée; il pénétra dans les montagnes occupées par cette
tribu, ravagea les cultures, pilla les troupeaux, brûla les
maisons et tua nombre de combattants. Il accorda ensuite
à cette tribu Y aman qu’elle avait sollicité, mais à condition
qu’elle remettrait ses armes et ses chevaux, ce qu’elle fit.
Delà, Ismaïl alla camper chez lesAngâd, où, sur son ordre,
les Seqouna vinrent livrer leurs armes et leurs chevaux.
Même mesure fut prise à l’égard des Mehaïa et des Ahlâf.
A son retour, le sullan ordonna de construire un fort à
chacune de ces stations. Des Abids, avec leurs enfants, for-
mèrent la garnison de chacun de ces forts, et les tribus
avoisinantes durent remettre la dîme de leurs récoltes
pour subvenir à la nourriture des hommes et à celle des
chevaux. Lors de sa rentrée à Miknâs, Ismaïl confia la
surveillance de tous ces postes à Elmansour bn Errâmi; il
lui assigna Tâza comme résidence et plaça sous ses ordres
deux mille cinq cents Abids accompagnés de leurs enfants.
Chaque fort avait cent cavaliers commandés par un chef qui
était responsable de tous les dégâts commis sur son terri-
toire. Le fort d’Elkhemis reçut une garnison de cinq cents
cavaliers de Cherâga, qui eurent pour mission de veiller
à la sécurité de la route de Sais à Mehdouma x.
Ismaïl apprit en 1092 (1681) que Ahmad bn Mahrez,
qui habitait le Sous, s’était emparé du pays des Bni Zeïneb
et voyait grandir son influence. Aussitôt il fit distribuer des
avances à ses troupes et il s’apprêtait à quitter Fâs à la tête
de ses soldats pour aller dans le Sous, quand on lui annonça
que l’armée envoyée à la conquête de Mehedia 2 n’atten-
1 Surl’Oiied Mehdouma, qui, avec l’Wad Nedja, forme l’Wad Mikkès,
affluent de la rive droite du Sebou.
Ville à l’embouchure du Sebou.
3.
Vue 53 sur 346
—«•( 36 )•«—
dait que son arrivée pour frapper un coup décisif : il ré-
solut alors de se rendre à Mehedia et assista à la prise,
de cette place. Le commandant des chrétiens obtint Y aman
pour lui et pour ses hommes, au nombre de trois cent huit.
Quant au butin, il fut exclusivement réservé aux gens du Rif
et du Fahs qui s’étaient enrôlés pour cette guerre sainte
sous les ordres du Qâ’id Amr bn Haddou Elbethiouï. Celte
expédition terminée, le sultan rentra à Miknâs. Amr bn
Haddou étant mort de la peste pendant le retour, Ismaïl
désigna Ahmad bn Haddou, le frère du défunt, comme chef
des combattants pour la foi *.
En 1093 (1682), le sultan entreprit une expédition dans
l’Est 2; il surprit les Bni Amer et pilla leurs troupeaux, puis
il revint à Miknâs. Il en expulsa alors les juifs et leur fit
construire une cité hors de la ville. Cette mesure venait d’être
exécutée, quand il reçut avis que les Turcs étaient venus
avec une armée prendre possession du territoire des Bni
Yznâsen et de Dar Bn Mechaal; il apprit également qu’il y
avait entente entre les Turcs et son neveu Ahmad bn Mah-
rez, et qu’il y avait eu de part et d’autre envoi de messa-
gers. Cette nouvelle lui ayant été confirmée par le gouver-
neur de Murrâkush, Ismaïl enjoignit à ce dernier de tenir tête à
Ahmad et d’attendre ainsi qu’il fût de retour d’une expédi-
tion qu’il voulait diriger contre Tlemcen; mais lorsqu’il
1 Le mot morabith est employé ici comme synonyme de modjahid; il dé-
signe les volontaires qui s’étaient dévoués pour chasser l’ennemi chrétien, qui
occupait des villes du territoire Murrâkushain. On voit qu’ils étaient en grande
partie berbères. Il n’est donc pas certain, comme on l’a cru jusqu’ici, que les
marabouts kabyles de l’Algérie soient de race arabe, car les descendants de
ces volontaires ont sûrement conservé le titre et les privilèges de marabout.
= Le mot charq trest» s’emploie souvent au Murrâkush pour désigner l’Algé-
rie; les Algériens, à leur tour, donnent au Murrâkush le nom de gharb «ouest*•.
Vue 54 sur 346
—«•( 37 ).«->—
arriva pour combattre les Turcs, ceux-ci étaient déjà en
route pour Cherchel, qui venait d’être attaqué par les
chrétiens 1 en l’année 109k (i683). Les gens d’Alger se
portèrent au secours de Cherchel, et les chrétiens furent
vaincus dans une grande bataille où sept cents musulmans
environ perdirent la vie.
Le sultan reprit la route de Murrâkush et de là se dirigea vers
le Sous, où eut lieu une rencontre avec son neveu Ahmad
bn Mahrez. Le combat qui s’engagea dura vingt-cinq jours;
un nombre incalculable d’hommes périt de part et d’autre.
Enfin Ahmad bn Mahrez se retira à Taroudant, et Ismaïl
alla l’y assiéger. Une nouvelle bataille très sanglante fut
encore livrée, puis le sultan et Ahmad bn Mahrez quittè-
rent Taroudant et continuèrent la lutte jusqu’au mois de
ramadhan, époque à laquelle ils conclurent la paix. Ismaïl
se mit alors en route pour Miknâs et arriva dans cette
ville au mois de dzoulqaada. Au mois de dzoulhiddja sui-
vant, le sultan se remit à la tête de ses troupes et marcha
contre les gens de la montagne de Fazâz. Dès que ceux-ci
connurent la marche du souverain, ils abandonnèrent leur
montagne et gagnèrent la Molouïa. Ismaïl fit aussitôt con-
struire un fort à Aïn Ellouh et un autre à Azrou, puis, lais-
sant là des ouvriers, il poursuivit l’ennemi, qui alla se re-
trancher dans la montagne d’Elayyâchi. Le sultan resta en
observation sur la Molouïa jusqu’à la saison d’hiver pour
donner le temps d’achever les murailles des deux forts. Puis
il revint au fort d’Azrou, où il laissa mille cavaliers, et de là
au fort d’Aïn Ellouh, où il en laissa cinq cents. De cette façon
la route de Saïs fut débarrassée des brigands qui l’infestaient.
Il s’agit de l’expédition de Duquesne, lorsqu’il vint bombarder Alger pour
la seconde fois (26 juin 1683).
Vue 55 sur 346
—w( 38 )<■*—
Les vivres manquant, les gens de la montagne de Fazâz
députèrent à Miknâs des envoyés qui exprimèrent leur
repentir au sultan. Celui-ci leur accorda Yaman à la condi-
tion qu’ils livreraient leurs armes et leurs chevaux et qu’ils
ne s’occuperaient dorénavant que de la culture de leurs
terres et de l’élevage de leurs troupeaux. Les Bni Idrasen
(tel était le nom de cette tribu) acceptèrent toutes ces con-
ditions et reçurent alors d’Ismaïl soixante mille moutons;
ils durent faire paître ces animaux et en remettre chaque
année la laine et le beurre au souverain. Ils furent affran-
chis de toute autre obligation et n’eurent d’autre charge
que celle de garder les troupeaux du sultan. Dans la suite
le sort de cette tribu fut prospère.
En 1095 (1683 ), le sultan reçut avis de la prise de
Tanger. Les Modjahidin, à la suite d’un long siège, étaient
entrés dans cette place abandonnée par les infidèles qui
s’étaient embarqués sur leurs vaisseaux et avaient aupara-
vant fait sauter la ville à l’aide de mines. Les gens du Rif
s’établirent à Tanger, et leur émir y fit construire son pa-
lais, des mosquées et la medressa; les remparts en. ruines
furent relevés, et la ville se peupla de musulmans. Sur ces
entrefaites, un navire espagnol, chargé d’approvisionnements
pour Sabta, échoua près de Tanger. Les Modjahidin livrè-
rent combat à l’équipage, puis l’ayant vaincu, ils s’emparè-
rent de la cargaison du navire et en débarquèrent les ca-
nons. Cette opération demanda quarante jours.
Le sultan entreprit en 1096 (168/1) une campagne sur
la Molouïa; mais à peine était-il campé à Safrou que les
tribus berbères s’enfuirent dans des montagnes inaccessibles.
Ces tribus comprenaient les Yousi, les Choghr, les Chendi,
lesSelim, lesAyyoub, les Allahoum, lesQadem, les Hayoun
Vue 56 sur 346
—«•( 39 )•**—
et les Makoud 1. Ismaïl donna ordre de construire des
forts à Alil, à Guigou, à Sekkoura, à Tichoukt, à Dâr Et-
tema, à Temaïoust, à Qasr Bni Methir et à Molouïa. Les
Berbères s’étaient dispersés et retranchés dans les défilés de
la montagne d’Elayyâchi. Pour les tenir en respect, le sultan
resta campé une année entière sur les bords delà Molouïa,
attendant l’achèvement de la construction des forts, dans
chacun desquels il installa, ensuite une garnison de quatre
cents Abids. Serrés de près et manquant de vivres, les Ber-
bères envoyèrent une députation exprimer leur repentir et
annoncer leur soumission. Ismaïl consentit à leur accorder
Yaman à la condition qu’ils livreraient leurs armes et leurs
chevaux. Cette remise, qui fut faite intégralement, assura la
pacification définitive de ce quartier oriental du Djebel
Deren.
Rentré à Miknâs, Ismaïl apprit que son frère Elharrân
était entré à Taroudant en compagnie de son neveu Ahmad
bn Mahrez. 11 se porta aussitôt sur Taroudant et mit le
siège devant cette place. Un jour qu’accompagné de ses es-
claves, Ahmad bn Mahrez était allé en pèlerinage à certain
marabout, il fut rencontré par une troupe de Zerâra qui,
ne le connaissant pas et croyant avoir affaire a un des gé-
néraux de l’armée assiégée, l’attaquèrent et le tuèrent. On
reconnut bientôt qu’on se trouvait en présence du cadavre
de Ahmad bn Mahrez. Avisé de cet événement, Ismaïl
se rendit au lieu où gisait le corps de son neveu; il or-
donna de lui faire des funérailles et de l’enterrer avec El-
gharnâti, qui avait succombé le même jour. A quelque
temps de là, des compagnons d’Ahmad sortirent de
Toutes ces tribus habitaient le massif montagneux qui est au sud-est de
Fâs et dans lequel l’Wad Sebou prend sa source.
Vue 57 sur 346
Redâna 1 pendant la nuit; ils fouillèrent la tombe et reti-
rèrent les cadavres du cercueil, afin de reconnaître Ahmad
et de ne pas confondre son cadavre avec celui d’Elgharnâti ;
puis, laissant Elgharnâti sur le bord de la fosse, ils em-
portèrent le corps de leur compagnon.
Elharran resta assiégé dans Taroudant, où il continua la
résistance, livrant chaque jour bataille. Le Qâ’id Ezzitouni et
le bâcha Hamdoun succombèrent avec six cents des leurs
dans un de ces engagements. Un second, puis un troisième
combat eurent lieu plus tard, et ce dernier coûta la vie à
Abderrahman Errousi. Le sultan remplaça ce chef dans son
commandement par le fils d’Elgharnâti, puis il poursuivit le
siège de Redâna jusqu’au mois de djoumada Ier de l’année
1098 (avril 1687); il y entra alors de vive force et passa
les habitants au fil de l’épée.
Aussitôt que la nouvelle de ce succès fut connue, Mo-
hammed Elalem, fils du sultan, les ulémas de Fâs, les ché-
rifs et les notables de cette ville accoururent féliciter Ismaïl
de sa victoire. D’autres députations, dans le même but, arri-
vèrent de tous les points du Maghreb. LesRifains qui habi-
taient Fâs reçurent l’ordre d’aller s’établir à Taroudant, où
il ne restait plus d’habitants. Les enfants d’Enneqsis qui
avaient quitté Sabta pour se rendre à l’armée furent, sur
l’ordre du sultan, renvoyés à Tétouan, où ils furent mis à
mort. Ceux des membres de cette famille qui se trouvaient
en prison à Fâs subirent le même sort.
1 Le mot Redâna est la forme arabe qui correspond au berbère Taroudant.
11 est probable que ces deux dénominations s’appliquaient à deux quartiers
différents de la même ville. Gatell cependant ne fait pas mention du nom de
Hedâna {Description du Sous, par Joachim Gatell dans leBullelinde la Société
de géographie, mars-avril 1871).
Vue 58 sur 346
—-M.( 41 )•«
En 1099 (1687-88), Ismaïl quitta le Sous pour rentrer
à Miknâs prendre quelque repos. Il prépara ensuite une
expédition dans le Fazâz. Ses préparatifs terminés, il quitta
Miknâs et pénétra dans la montagne de Fazâz par le ver-
sant occidental ; les premières tribus qui vinrent se soumettre
furent les Bnou Hakem et les Zammûr \ ayant à leur
tête Baïchi Elqebli. Le sultan confirma leur chef dans ses
fonctions et, poursuivant sa route jusqu’à la plaine de De-
khisân 2, il campa à Tala Chihakân. Comme les Berbères
d’Aït Malou, c’est-à-dire les OuladMalou, s’étaient enfuis
sur les cimes des montagnes, il fit réparer la qasba de
Dekhisân bâtie autrefois par Youcef bn Tachfin, puis il
donna l’ordre de construire les qasba de Mont, de Tâdla
et dTbn Elkouch au pied de la montagne des Ait Isri. Cela
fait, il bloqua les Berbères à Dekhisân durant une année
entière, leur livrant combat de temps à autre; pendant ce
temps, ses ouvriers poursuivaient sans interruption les tra-
vaux des forts et les achevaient entièrement. Chacune de
ces qasba reçut une garnison d’Abids : celle de Dekhisân,
quinze cents cavaliers; la zaouïa de Muhammad Al-Hajj, un
nombre égal ; la qasba de Tâdla eut mille cavaliers et
celle d’Ibn Elkouch cinq cents. Tandis qu’Ismaïl était à
Dekhisân, Baïchi lui présenta les troupeaux, les chevaux et
les armes des rebelles. Comme le sultan se montrait sur-
pris et lui disait : «Qui a pu vous porter à faire une chose
que je n’avais pas ordonnée ?» Baïchi lui répondit : «Sire,
j’ai fait cela dans votre intérêt et dans le leur, car si vous
vous conduisiez autrement à leur égard, ils vous lasseraient.
1 Tribus au sud de Miknâs entre cette ville et Tâdla.
Renou, dans sa carte du Murrâkush, donne à cette plaine le nom d’Adeesen
ou Adhazen.
Vue 59 sur 346
—H.( 42 >e-î—
En agissant ainsi, vous les purifiez seulement du mal et ils
s’occuperont de culture et d’élevage; les bons sentiments
grandiront chez eux et se montreront plus vifs. •» Le sultan
approuva ces paroles et distribua les chevaux, les armes et
l’argent à ses soldats, puis il revint à Miknâs.
Ce fut en 1 100 (1680-1689) que, pour la première fois,
Ismaïl donna l’ordre aux Abids de Mechra Erremel de lui
amener ceux de leurs enfants, garçons ou filles, qui avaient
atteint l’âge de dix ans, conformément à la réglementation
que nous avons indiquée plus haut. Depuis 1100 jusqu’à
1139, époque de la mort d’Ismaïl, ce fut parmi ces Abids
que se recruta, chaque année, l’armée régulière. En 1100,
les Modjahidin, sous la conduite du Qâ’id Ahmad bn Haddou
Errifi, allèrent cnribdP à Larache et mirent le siège devant
cette ville. Ils creusèrent sous les murs de la ville, du côté du
port, une mine qu’ils remplirent de poudre. L’explosion qu’ils
provoquèrent ensuite renversa un pan de muraille et, par la
brèche ainsi pratiquée, ils pénétrèrent dans la ville et s’en
emparèrent. Les chrétiens, qui s’étaient retirés dans la cita-
delle d’Elqebibat, construite par le prince saadien Ahmad
Elmansour, y soutinrent un siège d’une année entière contre
les Modjahidin; mais, impuissants à résister plus longtemps,
ils demandèrent Y aman, qui leur fut accordé sur l’ordre du
sultan. La ville complètement conquise, grâce à Dieu, fut
débarrassée des chrétiens au mois de moharrem 1101
(octobre 1689). Cette année-là, le cheikh Elhasen Elyousi
accomplit le pèlerinage de la Mecque en compagnie d’EI-
moatasem, fils du sultan. Sur l’ordre d’Ismaïl, les chrétiens
de Larache, au nombre de dix-huit cents, furent envoyés à
1 Ce mol est employé ici avec une valeur équivalente à celle du mot
rccroisadei> pour les chrétiens.
Vue 60 sur 346
—«•( 43 )•«-+-—
Miknâs, où ils furent employés à la construction des pa-
lais du sultan; la nuit on les logeait dans des caves. Les Ri-
fains envoyés par Ismaïl repeuplèrent Larache, et Ahmad
bn Haddou fit bâtir dans cette ville son palais, deux mos-
quées, une medressa, un bain et un four banal.
Les Modjahidin allèrent ensuite mettre le siège devant
Açila. Après une année de résistance, les assiégés à bout
d’efforts demandèrent Y aman, qui leur fut accordé sur l’ordre
du sultan; mais, craignant de subir le sort des chrétiens de
Larache, ils s’embarquèrent de nuit sur leurs vaisseaux et
abandonnèrent la ville, dans laquelle les musulmans entrè-
rent en 11 o3 (1691-1 692). Ahmad bn Haddou y fit con-
struire une mosquée, une medressa et un bain, et peupla la
ville de Rifains. Les Modjahidin se rendirent alors à Sabta,
qu’ils assiégèrent. Le sultan leur expédia comme renfort
un corps d’Abids, en même temps qu’il donnait l’ordre à
chacune des tribus montagnardes de fournir un contingent
de soldats. Les Ahl Fâs durent eux-mêmes envoyer
cinq cents archers, que l’on changeait tous les six mois. L’ar-
rivée de ces recrues porta à vingt-cinq mille hommes le
nombre total des Modjahidin. Comme la lutte se prolon-
geait, on soupçonna de trahison les chefs des assiégeants,
qui ne voulaient point, dit-on, hâter la reddition de la place
de peur d’être obligés de faire ailleurs une nouvelle cam-
pagne. Le chef de tout le Rif, le Qâ’id Ali bn Abdallah,
étant mort cette année-là, le sultan désigna le bâcha Ahmad
bn Ali, fils du défunt, pour lui succéder dans son comman-
dement.
Ismaïl ayant pacifié le Maghreb, le Sous et le Sahara, en
couvrant tout le pays de forts occupés par des garnisons
d’Abids, il ne lui resta plus à soumettre que la grande tribu
Vue 61 sur 346
—-w( 44 )<-«—
des Fazâz, composée des Aït Malou, des Aït Afalman 1 et
des Aït Isri. Après avoir terminé les préparatifs de cette
expédition, il envoya en avant ses canons et ses mortiers à
Molouïa par la route d’Alil; les chrétiens faits prisonniers à
Larache, à, Mehedia et sur mer furent obligés de traîner
cette artillerie. Avant de se mettre en marche, le sultan
régla les affaires de l’Etat; il confia le gouvernement de Fâs
à l’aîné de ses fils, Aboulala Mahrez; Aboulyoumn Elma-
mounfut envoyé comme gouverneur à Murrâkush, et Muhammad
surnommé Zîdân, le plus vaillant cavalier des fils du sultan,
eut la garde de Miknâs. Ismaïl allait partir pour Fazâz
quand il résolut de faire une campagne contre les Turcs;
il expédia des approvisionnements à Fâs et ordonna aux
gens de cette ville de prendre les armes sous le commande-
ment de son fils Zîdân. Cette armée se mit en route au
mois de ramadhan; le sultan vint la rejoindre après l’Aïd
Esseghir 2, laissant d’ailleurs à Fazâz les troupes qu’il avait
envoyées en avant. Arrivé à Oudjda, Isinaïl conclut la paix
avec les Turcs et revint en 110& (1692-1693) se mettre
à la tête de l’expédition contre les Berbères. 11 avait avec lui
toute son armée; il en détacha trois corps : le premier, qui
occupa Tâdla; le second, Molouïa, et le troisième, qui fut
placé en arrière dans la région de Toughi 3. Puis, pré-
cédé de ses canons et de ses mortiers, il alla avec le gros de
l’armée camper à Dekhisân, après avoir ordonné à ses
‘ Les Ait Afalman habitent le versant méridional des montagnes qui don-
nent naissance à l’Wad Ziz, à l’Wad Guir et à l’Wad Drâa.
2 L’Aïd Esseghir est la fête qui a lieu le ior chaoual à l’occasion de la fin
du Ramadhan.
J C’est sans doute Tedgha qu’il faut lire; le >> et le t se confondent aisément
dans l’écriture barbaresque.
Vue 62 sur 346
_„^j.( 45 )<n—
troupes d’engager toutes à la fois l’action contre les Ber-
bères, le jour qui suivrait la nuit pendant laquelle les
canons et obusiers n’auraient pas cessé de tonner. La veille
de ce jour, vers le soir, les artilleurs commencèrent avec
leurs canons et leurs mortiers une canonnade qui dura
toute la nuit. Terrifiés par ce bruit, les Berbères, saisis
d’épouvante, se dispersèrent de tous côtés, et le lendemain,
quand les troupes du sultan les attaquèrent à la fois sur
tous les points, ils subirent une complète déroute. Dans ce
combat les Berbères perdirent beaucoup de monde; leurs
richesses furent pillées et leurs femmes et leurs enfants, ca-
chés dans les ravins, tombèrent aux mains de l’armée im-
périale. On réunit toutes les tètes des ennemis qui avaient
péri dans le combat : il s’en trouva plus de douze mille que
l’on apporta au sultan. Celui-ci donna l’ordre de rassembler
toutes les armes et tous les chevaux que l’on avait pris : le
nombre des chevaux s’éleva à dix mille, celui des fusils à
plus de trente mille. Ismaïl envoya les têtes des Berbères
à Ali bn Ychchou 1 en lui disant de les compter, puis,
quand ce dénombrement fut achevé, il lui dit ces mots :
«Si tu ne m’apportes pas un pareil nombre de têtes des
Garwân 2, je ne te reverrai plus.» Cette tribu des Gue-
rouân exerçait ses déprédations sur la route du Sahara
entre Molouïa et Elkheneg. Ali partit aussitôt pour attaquer
ces pillards; il les vainquit, leur enleva leurs richesses et
leur tua beaucoup de monde. Comme les Garwân s’étaient
dispersés dans divers villages, il fit annoncer dans toutes les
vallées que quiconque donnerait asile à un Garwâni serait
Ou Ychch. Les noms comme Haddou, Hammou s’écrivent presque tou-
jours sans s final.
Les Garwân habitent le mont Garwân au nord-ouest de Miknâs.
Vue 63 sur 346
—w( 46 ).«–
mis à mort, et qu’une somme de dix mitsqâls serait payée
à chacun de ceux qui lui apporteraient la tête d’un de ces
pillards. Aussitôt les Berbères se mirent à l’oeuvre et ap-
portèrent un si grand nombre de têtes que le chiffre fixé fut
dépassé; la prime allouée fut alors réduite à un mitsqâl.
Toutes ces têtes apportées à Miknâs par Ali ayant été
remises au sultan, celui-ci les fit accrocher aux remparts de
la ville à côté de celles qu’on y avait déjà placées aupara-
vant.
Ismaïl ordonna à Ali bn Barka 1 de se construire une
maison à Tichghâlin et de se fixer là avec sa tribu, les
Aït Yemmour (le mot aït en chelha est un vocable qui a la
même signification que bnou en arabe), entre les Aït Malou
et les Aït Afalman; il lui donna mille chevaux avec des armes
en nombre égal pour équiper la tribu. A ce moment, il ne
restait plus dans les tribus une seule personne possédant un
cheval, à l’exception des Aït Yemmour, des gens du Rif,
des Abids et des Oudâïas 2. La soumission des Aït Malou et
des Aït Afalman mit un terme aux brigandages des tribus
berbères; le sultan plaça alors toutes ces tribus sous l’au-
torité d’agents qui eurent pour chef suprême Ychchou.
Cette expédition fut la dernière de celles entreprises par
Maulay Ismaïl. Ce prince avait consacré vingt-quatre années
de son règne à pacifier le Maghreb et à combattre les popu-
lations insoumises ou révoltées contre son autorité. Durant
ce long espace de temps, il n’avait pas passé sans interrup-
tion une année entière dans son palais.
1 Le nom de Barka est souvent donné aux nègres en Algérie.
– Les Oudâïas étaient une tribu de race arabe qui formait un des princi-
paux éléments de l’armée régulière. Les historiens européens écrivent ce nom
Ludaya, Ludiryres, etc.
Vue 64 sur 346
—-».( 47 )•«—
Le 9 du mois de rebia Ier de l’année 1106 (29 octobre
169M, le sultan envoya son fils Zîdân combattre les Turcs,
après avoir fait périr Ahmad Esselfi, son lieutenant à Fâs;
le jeune prince quitta cette ville pour guerroyer contre les
Turcs et revint avec du butin. En 1107 (169/1-1695), le
sultan ottoman, Selim bn Ibrahim 1, envoya une ambas-
sade porter au sultan Ismaïl une lettre dans laquelle il
enjoignait à ce prince de conclure la paix avec les Algériens.
Ismaïl déféra à cette demande. Au mois de dzoulqaada 1108
(mai 1697), il écrivit au cadi et aux ulémas de Fâs pour
les blâmer de n’avoir pas été d’accord sur la question de
reconnaître aux nègres inscrits au Diwan 2 le droit d’être
propriétaires. L’année suivante 1109 (1697-1698), il
adressa à Fâs un rescrit assurant le droit de propriété aux
mulâtres, et ce document fut lu en chaire.
En 1111 (1699-1700), le sultan Ismaïl partagea ses
États entre ses fils les plus âgés. L’héritier présomptif,
Ahmad Eddehebi, eut la province de Tâdla avec un corps
de trois mille Abids sous ses ordres; il devait résider dans la
qasba de Tâdla, que le sultan lui avait ordonné d’agran-
dir; mais il préféra bâtir à côté une seconde qasba plus
grande que la première. Il fit édifier son palais clans la nou-
velle citadelle, où il construisit une mosquée plus grande
que celle que son père avait élevée. Muhammad Elâlem eut
en partage le Sous, et sa résidence fut fixée à Redâna. A
l’aide de contingents recrutés parmi les Abids et les esclaves
1 II s’agit sans doute d’Ahmad II, fils d’Ibrahim.
La loi musulmane ne reconnaît pas aux esclaves le droit de posséder. On
comprend l’importance qu’il y avait pour le sultan Ismaïl à faire modifier
celte règle en faveur de la milice noire, qui était la seule force militaire sur
laquelle il put absolument compter.
Vue 65 sur 346
—-w( 48 )*->—
noirs du sultan, son armée fut portée à trois mille cavaliers.
La région de Sijilmasa échut à l’aîné, Elmamoun , qui
quitta Murrâkush, où il était, pour aller se fixer dans la qasba
qu’on lui fit bâtir à Tezmiu. Ses troupes se composaient de
cinq cents cavaliers choisis parmi les nègres du sultan.
Elmamoun mourut deux ans plus tard, et le gouvernement
de Sijilmasa fut alors donné à son fils Youcef. Le sultan
confia le gouvernement de l’Est à son fils Zîdân, qui était
auparavant à Miknâs. Zîdân fit des incursions sur le ter-
ritoire des Turcs, qu’il chassa même de Tiemcen. Dans une
de ses courses, il parvint jusqu’à Mascara; profitant de l’ab-
sence du bey, qui était en expédition, il pénétra dans la
ville, où il pilla et saccagea tout ce qu’il trouva dans le
palais du bey, tapis, vêtements et cuivres. Quand il fut de
retour, le sultan, qui avait appris cette nouvelle, entra dans
une grande colère contre son fils; il le destitua, à cause du
traité de paix qu’il avait conclu avec les Turcs, et le rem-
plaça dans les provinces de l’est par Hafid, frère de Zîdân.
En 1112 (1700-1701), on apprit qu’une armée turque
avait quitté Alger en même temps que le bey, dont le palais
avait été pillé. Ismaïl sortit avec ses troupes à la rencontre
des Turcs et revint après leur avoir livré bataille. Au retour,
beaucoup de soldats moururent de soif, et les Ahl Fâs à
eux seuls perdirent ainsi quarante hommes. Cette année-là,
Abdelkhâleq Errousi tua un des nègres de la maison du sul-
tan qui était entré chez lui sans y avoir été autorisé. Dès
qu’Ismaïl sut cela, il envoya son fils Hafid avec ordre de
lui amener le coupable enchaîné. Vainement les ulémas et
les chérifs intercédèrent auprès de Hafid; celui-ci emmena
Abdelkhâleq sans toutefois l’enchaîner; il le conduisit au
sultan qui aussitôt lui pardonna et le renvoya à Fâs. Mais
Vue 66 sur 346
—v*( 49 )•«—-
en 1113 (1701-1702) le sultan manda de nouveau Abd-
elkhâleq à sa cour et le fit mettre à mort dès son arrivée.
11 envoya ensuite son fils Zîdân à Fâs avec Hamdoun Errousi,
qui y allait en qualité de gouverneur. En 111k (1702-
1703), Maulay Abdelmalek, fils du sultan, se réfugia, pour
y trouver un asile inviolable, dans le mausolée de Maulay
Idris à Zerhoun*. Il venait de lutter contre son frère Abou
Ennasr, qui l’avait vaincu dans le Drâa et dans les contrées
avoisinantes. Ismaïl laissa Abdelmalek dans son asile et
nomma gouverneur du Drâa un de ses fils, Echcherif sahib
elmarlca 2, lui enjoignant de lutter contre Abou Ennasr et de
l’expulser du pays. En cette même année, Muhammad El-
âlem se révolta contre son père; il se dirigea sur Murrâkush,
mit le siège devant cette ville au mois de ramadhan et y
entra de vive force le 20 de chaoual. Il fit mettre à mort le
gouverneur de cette ville et les principaux habitants; il or-
donna ensuite de démolir leurs maisons, puis il rentra à
Redâna. A cette nouvelle le sultan envoya contre le rebelle
une armée commandée par Zîdân. Celui-ci arriva à Murrâkush
après le départ de Muhammad Elâlem qui était retourné à
Redâna. Il tint une conduite odieuse vis-à-vis des habitants
qu’il pilla et molesta, puis il poursuivit sa route jusqu’à
Taroudant. Arrivé sous les murs de cette ville, Zîdân entama
contre son frère une longue lutte qui dura trois années et
qui coûta la vie à un grand nombre de combattants.
En in5 (1703-170/1), Maulay Hafîd se rendit à Fâs la
1 Le massif du mont Zerhoun se trouve au nord de Miknâs.
La carie de Renou donne à une grande plaine située au sud de Taza le
nom de S’ah’âb el-Marga; le mot S’ah’âb est une erreur pour L_^ et plaine».
11 se pourrait que l’expression qui suit le nom d’Echcherif signifiât gouver-
neur d’Ehnarlca, c’esL-à dire du territoire formé par cette grande plaine.
Vue 67 sur 346
—«•( 50 ).«—
neuve et imposa une forte contribution aux habitants de
cette ville. Ezzaïm, un instant nommé gouverneur, fut des-
titué et Hamdoun Errousi rétabli dans ses fonctions. Ce der-
nier fit alors périr un grand nombre de gens dont les corps
furent suspendus aux murailles de la ville. A la fin du mois de
chaoual, Hafid mourut à Fâs al-Jadîd. Pendant l’année 1118
(1706-1707), il arriva à Fâs un ordre du sultan qui im-
posa la fourniture d’une selle par chaque feu* : personne ne
fut exempté de cette charge. Le 21 safar de cette année, on
reçut la nouvelle de la prise de Taroudant. La ville avait
été enlevée de vive force, Maulay Muhammad avait été fait
prisonnier et une foule de généraux et de soldats avaient péri
dans le combat; tous les habitants, hommes, femmes et
enfants avaient été passés au fil de l’épée. Le h de rebia I
Muhammad Elâlem chargé de chaînes arriva à Beht 2. Ismaïl
envoya quelqu’un qui coupa au prisonnier une main d’un
côté du corps et un pied de l’autre : quinze jours après cela
Muhammad mourait à Miknasa et son corps était enseveli
dans le mausolée d’Elmedjdoub. Quant à Zîdân, il fut as-
sassiné à Taroudant par Elkateb Elouzir; on apprit la nou-
velle de sa mort au mois de redjeb 1119 (octobre 1707).
Son corps, placé dans un cercueil, fut apporté à Miknâs
où on l’enterra nuitamment à côté de son frère.
Dans le courant de l’année 1120 (1708), Abdallah Er-
rousi exigea des notaires de Fâs qu’ils inscrivissent sur le
registre des Abids tous les esclaves. Ceux qui se conformè-
rent à cet ordre ne furent point inquiétés, mais ceux qui ne
voulurent point s’y astreindre furent arrêtés : entre autres on
1 Le manuscrit B dit : un bois de selle.
2 Ce point, qui n’est pas marqué sur les cartes, se trouvait à très peu de dis-
tance de Miknâs; peut-ôlre s’agit-il simplement des bords de l’Wad Beht.
Vue 68 sur 346
~~tj.( 51 >«–
arrêta les Oulad Djesous, on confisqua leurs biens, et leur
notaire qu’on exposa enchaîné sur le marché fut réduit à
mendier. Plus tard le sultan pardonna aux coupables et mit
le notaire en liberté. Ce dernier fut même envoyé à Fâs
pour inspirer une terreur salutaire aux mulâtres de celte
ville qui appartenaient à des gens de Miknâs : ce moyen
eut un plein succès. En 1121 (1709) Abou AliErrousi fut
destitué; il eut pour successeur Hamdoun Errousi; niais,
plus tard, Abou Ali reprit ses fonctions et Hamdoun fut à
son tour écarté. Cette année-là, Abdallah Errousi vint à Fâs
vendre les biens-fonds de tous les habitants de cette ville
qui avaient cherché un refuge sur le territoire algérien. En
1123 (1711), Abou’lmansour, fils du sultan, se révolta dans
le Sous. En 112& (1712), le sultan Ismaïl mit en liberté le.
kaleb Elkheyyath Ibn Mansour qui était en prison, et lui donna
le gouvernement de la province de Drâa; mais, l’année sui-
vante (1713), il le fit mettre à mort en même temps que
son frère Abderrahman. Le sultan apprit à la même époque
que les OuladDelim, dans le Sous, avaient tué Abou Nasr.
En 1126 (171/1), le sultan fit périr, à Mechra Erremel, le
Qâ’id Abou Dechich, trois autres Qâ’ids et dix-sept Abids.
En 1127 (janvier 1715), au commencement de moharrem,
mourut Maulay Ettihami, gouverneur de l’Wad Ezzân 1, et
au mois de djoumada mourut la noble dame Aicha Mebarka,
mère des chérifs. En 1 i3o (1718), les habitants de Fâs re-
çurent du sultan un rescrit qui les affranchissait de certaines
obligations qui leur avaient été imposées. Ils reçurent en-
suite un autre message contenant de vifs reproches et leur
enjoignant de choisir entre le service militaire dans les forts
Wad Ezzân est peut être une orthographe vicieuse, de Ouezzân.
h.
Vue 69 sur 346
—1-5>( 52 )•«—-
ou dans l’armée. Ould Essaharaouï qui avait déclaré qu’on
ne pouvait répondre à une semblable proposition qu’en
présence du souverain, fut tué et son corps suspendu aux
remparts. A cette nouvelle, le sultan fit arrêter Abou Ali et
son entourage et les jeta en prison à Miknâs. Hamdoun,
qui avait succédé à Abou Ali dans son commandement, fut
bientôt après assassiné par Abdelkhâleq bn Youcef. Le
meurtrier et son frère Mesaoud ne tardèrent pas à être ar-
rêtés par ordre du sultan; celui-ci confia alors le gouver-
nement de Fâs à Hammou Qessara, mais quelques jours
après, il rétablit Abou Ali dans ses fonctions. Cette même
année, on apprit la nouvelle de la mort, d’Abou Merouan
dans la province de l’Est 1, et le sultan ôta à ses enfants les
gouvernements qu’il leur avait confiés; cependant il main-
tint celui de Tâdla au prince héritier Ahmad Eddhehebi
et il investit du commandement du Sous Abdelmalek qu’il
envoya résider à Murrâkush.
Depuis ce moment le sultan se consacra exclusivement
à la construction cle ses palais et aux plantations de ses
jardins. D’ailleurs le pays jouissait de la sécurité la plus
complète. Un juif ou une femme pouvaient aller de Oudjda
à l’Wad Noun sans que personne osât leur demander
d’où ils venaient, ni où ils allaient. L’abondance régnait
partout: les céréales, les comestibles, les troupeaux étaient
à vil prix. Dans tout le Maghreb on n’aurait trouvé ni
un voleur, ni un coupeur de route. En n32 (1720), le
sultan ordonna de démolir le mausolée de Maulay Idris, afin
de l’agrandir sur ses quatre faces. Pour ce faire, il acheta les
.terrains contigus au mausolée et les ouvriers ne quittèrent
1 11 s’agit des provinces frontières de l’est du Murrâkush dont la ville principale
■esUO.udjda.
Vue 70 sur 346
—1-5-( 53 )-e-i—
les nouveaux travaux qu’après leur complet achèvement.
Enn33(i72i),le Qâ’id Abdallah Errousi mourut. Le sultan,
irrité contre les Ahl Fâs, envoya à cette époque Ham-
doun et Abou Ali avec l’ordre de prélever une contribution
sur tous les habitants de cette ville. Vainement les ulémas
et les chérifs sollicitèrent la révocation de cet ordre, le
sultan resta inexorable et personne ne put se soustraire à
cette contribution \ dont on n’a jamais connu le chiffre. La
ville se dépeupla, car tous les gens aisés l’abandonnèrent.
Ce fut également vers cette époque qu’une armée es-
pagnole 2 sortit de Sabta et fondit à l’improviste sur le camp
des musulmans. Un grand nombre de ceux-ci périrent dans
cette attaque; les Espagnols pillèrent le camp, firent des
prisonniers et mirent à sac le palais du pacha Ahmad bn
Ali. Puis, après s’être emparés des approvisionnements en
grains et en beurre qui se trouvaient là et avoir occupé les
retranchements elles ouvrages de défense des musulmans,
les Espagnols prirent la citadelle d’Afrag; ils rentrèrent en-
suite à Sabta d’où ils retournèrent en Espagne, ne laissant
à Sabta que la garnison accoutumée. Ce funeste événement
se passa en i i3A (1721). Au mois de moharrem de cette
année, mourut le pacha Ghazi Abou Sofra, gouverneur de
Murrâkush. Au mois de safar, mourut également Abou Aziz
Ou Sedouq 3, gouverneur de Redâna. A ce moment, Maulay
Les chérifs ou descendants du Prophète ont le privilège de ne point payer
d’impôt.
Le marquis de Lèves, envoyé par Philippe V à Sabta qui était bloquée de-
puis vingt-six ans par le Murrâkush, réussit, en effet, celte année-là, à infliger une
déroute complète aux soldats du sultan Ismaïl (Cf. Calderon, Manualdeloficial
en Marruecos, p. 293. Madrid, i84i.)
Dans les noms berbères, le mot ou est employé à la place et avec la signi-
fication de ibn «fils».
Vue 71 sur 346
—«•( 54 )*-t-—
Abdelmalek transporta sa résidence de Murrâkush à Taroudant.
Si l’on en croit les récits populaires, Maulay Ismaïl aurait eu
cinq cent vingt-huit garçons et un nombre égal de filles. J’ai
su par les registres du sultan Sidi Muhammad bn Abdallah
(Dieu lui fasse miséricorde!), qui leur distribuait chaque
année des pensions, que ceux de ces enfants qui avaient sur-
vécu ou qui avaient eu de la postérité occupaient cent cinq
maisons à Sijilmasa, ainsi d’ailleurs que j’ai pu le constater
par moi-même lorsque j’étais chargé d’aller répartir ces pen-
sions. Quant à ceux qui n’avaient pas eu de postérité ou
dont la postérité s’était éteinte, ils ne figuraient point sur le
registre du sultan. Personnellement j’ai connu de nom et de
visage huit des fils de Maulay Ismaïl et vingt-huit de ses filles.
Ces dernières avaient été logées par le sultan Muhammad bn
Abdallah dans le château de Ahmerr Yedou 1; elles avaient
avec elles celles de leurs nièces qui n’étaient point mariées;
elles recevaient régulièrement des vivres et des vêtements et,
une fois par an, sur les fonds affectés aux chérifs, le sultan
leur envoyait une somme d’argent que j’allais moi-même
leur distribuer. Les prisons de Maulay Ismaïl contenaient
26,000 captifs chrétiens et environ 3o,ooo criminels, tels
que voleurs et coupeurs de route. Le jour, tous ces prison-
niers étaient occupés à divers travaux; la nuit, ils étaient
enfermés dans des cachots souterrains. Le corps de tout
prisonnier qui mourait était encastré dans les maçonneries 2.
1 Ce nom signifie : Sa main a rougi. On connaît le nom analogue, Ahmerr
Kheddou: Sa joue a rougi, qui est appliqué à plusieurs points de l’Algérie.
2 Cet usage d’enterrer les captifs dans les blocs de pisé existait aussi en
Algérie. On avait même cru que c’était un genre particulier de supplice in-
fligé aux chrétiens qui refusaient d’embrasser l’islamisme, parce que Haëtlo,
dans sa Topografia et istoria generalde Argel, avait indiqué ce genre de mar-
tyre comme ayant été subi par un certain Geronimo dont le corps a été effec-
Vue 72 sur 346
—H>«( 55 )•€-*—
Les agitateurs et les malfaiteurs, chassés du pays, ne trou-
vaient asile nulle part. Tout inconnu qui passait la nuit soit
dans un douar, soit dans un bourg, était arrêté s’il ne par-
venait pas à justifier son honorabilité. Les habitants étaient
responsables de tous les vols et autres crimes ou délits
commis par un inconnu qu’ils avaient laissé en liberté.
Maulay Ismaïl, qui avait été le lieutenant de son frère
Errechid pendant sept ans, eut un règne qui dura cinquante-
sept années. Lorsqu’il se sentit atteint de la maladie dont il
mourut, il fit venir de Tâdla où il résidait, le prince héri-
tier, Ahmad Eddhehebi. Le samedi, 27 de redjeb 1139
(/t avril 1727) 1, trois jours après l’arrivée de ce prince,
Maulay Ismaïl rendait le dernier soupir. Il fut enterré dans
le mausolée du cheikh Elmedjdoub.
RÈGNE DO SULTAN AHMAD EDDHEHEBI BN ISMAÏL
BN ECHCHERIF BN ALI.
Aussitôt après la mort du sultan Ismaïl, les Qâ’ids des
Abids et des Oudâïas, les principaux chefs de ces deux
milices, les ulémas, les cadis et les secrétaires du gouver-
nement se réunirent pour reconnaître et proclamer souve-
rain, l’héritier présomptif, Ahmad Eddhehebi. Dès que cette
nouvelle fut connue à Fâs, les habitants mirent à mort leur
Qâ’id Abou Ali Errousi, puis ils envoyèrent à Miknâs une dé-
putation d’ulémas, de chérifs et de notables, pour offrir leur
bay’aet des présents au nouveau souverain.
Celui-ci, sans leur adresser le moindre reproche sur ce
tivement trouvé dans un bloc de pisé lors de la démolition du fort des Vingt-
quatre-heures à Alger, le 27 septembre i853.
Godard donne la date du 22 mars 1727. Description et histoire du Murrâkush,
p. 535.
Vue 73 sur 346
—«-»•( 56 )•«-*-—
qu’ils venaient de faire, leur donna pour chef un renégat,
le Qâ’id Elmahdjoub. Les autres villes du royaume et les
tribus envoyèrent également à Miknâs des députations
chargées de prêter bay’aau sultan et de lui
remettre leurs cadeaux. Eddhehebi fit bon accueil à tous ces
envoyés et distribua à ses soldats les richesses qu’on lui
avait apportées. 11 fit également des largesses aux ulémas,
aux chérifs, aux talebs et envoya de nouveaux personnages
remplacer les gouverneurs qui avaient été tués, tels que
Ali bn Ychchou, Ibn Elachqar, Ahmad bn Ali et Ibn Mor-
djan el-Kebir, Qâ’id des nègres du palais et préposé à la
garde des trésors. Cela fait, il rentra dans son palais où il
se livra entièrement aux plaisirs et à la débauche, sans plus
s’occuper de son royaume, ni de ce qui s’y passait.
A peine monté sur le trône, Eddhehebi envoya le bâcha
Ahmad à Tétouan. Celui-ci entra dans la ville, mais bientôt
les habitants ayant à leur tête leur émir Muhammad Elouq-
qâch prirent les armes contre lui et le chassèrent de chez
eux. Elouqqâch, qui n’avait pas reconnu l’autorité du sultan,
ne fit aucune démarche dans ce but. Les populations, com-
plètement négligées parle souverain, ne tardèrent pas à
rompre l’unité du Maghreb. Elles mirent à mort les fonction-
naires du gouvernement qui eu étaient les soutiens et,
méprisant les ordres du sultan, elles infestèrent de leurs
brigandages les routes du royaume sans que personne es-
sayât de réprimer leurs excès. Les Berbères ne songèrent
plus qu’à se procurer des armes et des chevaux; et le vent
chaud revint accomplir son oeuvre habituelle après avoir été dans
des coffrets de cuivre \ Les brigandages reprirent sur les
1 C’est-à-dire que les Berbères, autrefois contenus par le sultan Ismaïl,
reprirent leurs anciennes habitudes de pillage et d’insubordination; c’est une
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—«.( 57 ).«—
routes et les abords de la capitale. Les plaignants affluè-
rent à la porte du palais, mais ils n’y trouvèrent jamais
personne qui voulût les écouter, ni leur rendre justice.
Au mois de moharrem nko (août 1727), les Oudâïas
assaillirent les gens qui se trouvaient sur le marché du
jeudi, à Fâs; ils pillèrent les marchandises, tuèrent quel-
ques personnes et jetèrent en prison les habitants de la
ville qu’ils avaient fait prisonniers. Une nombreuse députa-
tion de chérifs et d’ulémas de Fâs partit aussitôt pour porter
plainte au sultan, mais il lui fut impossible de parvenir jus-
qu’au souverain. L’instigateur de cette agression, Muhammad
bn Ali bn Ychchou, fit même arrêter les membres de cette
députation et les retint en prison. Dès que cette nouvelle
parvint à Fâs, les habitants entrèrent en guerre ouverte avec
les Oudâïas et fermèrent les portes de la ville, car ils virent
alors que tout ce qui s’était passé avait eu lieu à l’instigation
du sultan, parce que les Oudâïas lui avaient écrit que les
Ahl Fâs s’étaient révoltés contre son autorité. Une nom-
breuse armée envoyée par le souverain vint mettre le siège
devant Fâs et dressa des batteries de canons, d’obusiers et de
catapultes contre la ville. Les hostilités durèrent jusqu’au
moment où le sultan expédia son frère Al-Mustadi, en com-
pagnie des chérifs de Fâs, qui avaient été incarcérés par Mo-
hammedbn Ali bn Ychchou, et des chérifs de Miknâs, afin
de rétablir la paix entre les Oudâïas et les habitants de Fâs.
En outre, Abou Farès, un des fils du sultan qui accompa-
gnait la mission, avait reçu l’ordre de séjourner dans la ville
pour servir d’intermédiaire entre les habitants et le souverain.
allusion au proverbe L^Uji) ^^JS ^^5 qui signifie : crLe vent chaud est
parti accomplir son oeuvre habituelle». (Freytag, Arabum proverbia, Bonnes
ad Rhenuiu MDCCCXXXVIII. )
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—*s.( 58 ).«—
La paix conclue, les troupes s’éloignèrent; mais, dès le
lendemain de leur départ, les Oudâïas lancèrent des bombes
sur la ville de Fâs et la lutte recommença comme précé-
demment. Le sultan envoya Mousa Eldjerâri pour renouer
la paix. Ce dernier, après avoir laissé quelques-uns de ses
compagnons en otage, retourna à Miknâs avec un cer-
tain nombre de notables et de chérifs, mais ceux-ci n’ayant
pu obtenir ni audience, ni solution, rentrèrent à Fâs, et la
guerre continua. Les Abids établis à Mechra Erremel an-
noncèrent alors aux habitants de Fâs qu’ils allaient déposer
le sultan Ahmad pour proclamer à sa place son frère Abdel-
malek, et ils leur demandèrent de faire cause commune
avec eux. Les Ahl Fâs accueillirent favorablement ces
ouvertures; ils promirent aux Abids de les seconder dans
leur dessein et traitèrent généreusement leurs émissaires.
Les Qâ’ids des Abids et les principaux chefs de cette milice,
voyant le trouble profond du pays et la triste condition
faite aux populations par les déplorables errements de l’ad-
ministration, se décidèrent à essayer de remédier à ces maux.
Ils rédigèrent une adresse et la remirent à une députation
qui fut chargée de la porter à Abdelmalek, frère du sultan.
Dans ce message ils demandaient au prince de prendre en
main l’autorité souveraine; car, dans leur pensée, ce prince
devait être préférable à Ahmad. Un escadron de cavalerie
accompagna la députation. A peine Abdelmalek eut-il reçu
cette escorte et ce message, qu’il quitta Taroudant et pour-
suivit rapidement sa marche jusqu’à l’Wad Beht où il passa
la nuit. Aussitôt qu’on apprit à Miknâs l’arrivée d’Abdel-
mal ek à l’Wad Beht, les Qâ’ids des Abids se rendirent auprès
d’Ahmad, le firent sortir de son palais, le déposèrent et
l’internèrent dans une maison qu’il possédait à Hedim, en
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—«.( 59 )•«—
dehors de la qasba. Le lendemain, les troupes montèrent
à cheval et se portèrent avec leurs Qâ’ids et les principaux
fonctionnaires au-devant du sultan Abdelmalek. La rencon-
tre eut lieu, dans la banlieue de Miknâs, au bruit des
tambours et des salves d’artillerie. Les soldats exécutèrent
des fantasias 1, et cette entrée à Miknâs fut une véritable
fête. Ceci se passait au mois de chaaban 1 iko (mars 1728).
RÈGNE DU SULTAN ABDELMALEK BN ISMAÏL.
Le sultan Ahmad ayant été déposé par l’armée et mis en
prison, les personnages marquants, Abids et autres, les
ulémas et les cadis proclamèrent Abdelmalek souverain. Les
ulémas, les chérifs et les notables de Fâs vinrent ensuite
reconnaître le nouveau souverain et lui apporter leurs pré-
sents; puis ce fut le tour des villes, des villages et des
tribus. Abdelmalek donna audience à toutes ces députations,
et quand il eut terminé ces réceptions, il fit enfermer dans
la prison de Fâs son frère Ahmad qu’on lui avait livré. Plus
tard, l’idée lui vint de l’envoyer dans la prison de Sidjil-
masa.
On avait cru qu’Abdelmalek tiendrait la même conduite
que son père et qu’il ferait cesser le désordre qu’Ahmad
avait provoqué dans le pays, mais cette espérance fut déçue.
Ni les soldats, ni les députations ne reçurent de cadeaux, et
quand les Bokharis 2 lui réclamèrent le don de joyeux avé-
J’ai cru devoir employer ce mot si connu des Algériens, parce qu’il fau-
drait une trop longue périphrase pour donner une idée exacte de ces charges
à fond de train faites par des cavaliers qui arrêtent brusquement leurs chevaux
aussitôt après avoir déchargé leurs fusils.
On donnait ce nom aux troupes régulières constituées par la milice noire,
parce que les soldats nègres prêtaient bay’asur un exemplaire
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—«.( 60 ^-te-
llement, il leur envoya seulement A,ooo mitsqâls. Cette par-
cimonie les étonna, car au temps de Maulay Ismaïl ce don
avait été de 100,000 mitsqâls, et, lors de son avènement,
Ahmad en avait distribué i5o,ooo : quelques personnes
avaient même eu jusqu’à 1,000 mitsqâls pour leur part. En
voyant l’avarice du sultan, l’armée parla de le déposer,
mais Abdelmalek ayant eu connaissance de ces menées se
hâta de créer un antagonisme entre ses troupes et les tribus
du Maghreb. Pour cela, il unit ces derniers entre eux dans
l’espoir qu’ils tiendraient en échec ses propres soldats ; puis
il les excita les uns contre les autres, lançant tantôt les Ber-
bères contre les Abids, tantôt les Abids contre les Berbères.
Voyant que les choses n’allaient point comme ils l’avaient
espéré, les deux partis s’entendirent pour déposer le sultan.
Ahmad fut alors rappelé au trône et il dut ce retour de la
fortune à sa générosité et à sa libéralité. On lui écrivit une
adresse et en même temps on lui expédia un détachement
de cavalerie pour le ramener de Sijilmasa. Dès qu’Abdel-
malek connut cette nouvelle, il députa Maulay Eltaïeb bn
Muhammad aux Abids de Mechra Erremel. Ce personnage
fit des excuses au nom du souverain; il chercha à détour-
ner les Abids du dessein qu’ils avaient formé de se révolter
contre le sultan et de le déposer, en leur faisant entrevoir
les conséquences de leur entreprise. Les Abids ne voulurent
rien entendre et refusèrent de céder à ses exhortations; ils
montèrent à cheval et, quittant Mechra Erremel, ils se mi-
rent en route pour Miknâs. Leur avant-garde razzia les
troupeaux et détroussa les caravanes qu’elle rencontra. Le
lendemain, touLe la troupe fit son entrée à Miknâs. La
du recueil des traditions de Elbokhari. C’est d’ailleurs sur ce livre que les mu-
sulmans jurent habituellement.
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—*-»>( 61 )•«—
ville fut mise au pillage : on ne respecta pas les choses les
plus sacrées et on fit périr tous les notables dont on put
s’emparer. A cette nouvelle, Abdelmalek quitta Miknâs
avec ses femmes, ses serviteurs et son entourage intime; le
lendemain, il se présenta devant Fâs al-Jadîd. Les Udaya
lui ayant refusé l’entrée de la ville, il gagna Fâs la vieille
et se cacha dans le mausolée de Maulay Idris. Là, il fit
mander les habitants de Fâs et quand ceux-ci furent en sa
présence, il sollicita leur appui. Lorsque les Qâ’ids des Abids
pénétrèrent dans la qasba de Miknâs pour se saisir
d’Abdelmalek, ils apprirent que ce prince s’était enfui la nuit
précédente à Fâs. Immédiatement on proclama dans Méqui-
nez la déposition d’Abdelmalek et la restauration d’Ahmad.
Aussitôt après son arrivée de Sijilmasa, en îtko
(1727-1728), lesultan AhmadEddhehebi s’installa dans le
palais impérial de Miknâs et les Qâ’ids, les cadis, les ulé-
mas et les chérifs s’empressèrent de venir lui prêter ser-
ment d’obéissance; puis, selon la coutume, il distribua de
l’argent aux troupes. Bientôt il reçut des députations de
tout le Maghreb, des villes et des bourgs, à l’exception de
Fâs, du bâcha Ahmad Errifi et de ses tribus, qui n’envoyè-
rent point reconnaître son autorité. Au moment de la fuite
d’Abdelmalek, cinq cents archers de Fâs s’apprêtaient à
suivre ce prince pour le soutenir de leurs armes; les Abids
les arrêtèrent, ainsi que leur Qâ’id. Le sultan Ahmad ordonna
de charger de chaînes ces archers et de les employer en-
suite aux travaux.
Le motif qui avait empêché les Ahl Fâs de recon-
naître le sultan, était la crainte qu’ils avaient des consé-
quences du meurtre d’Errousi, auquel ils avaient enlevé tous
ses biens, en même temps qu’ils s’emparaient de l’argent du
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■—«.( 62 ).«•
sultan que ce personnage avait chez lui. En outre, ils re-
doutaient la colère d’Ahmad, qu’ils avaient autrefois salué
comme souverain. Mais celui-ci, trop absorbé par le soin
de ses propres affaires, ne s’occupa point d’eux en ce mo-
ment.
Quand Abdelmalek arriva à Fâs, les habitants se portè-
rent en foule à sa rencontre; ils lui jurèrent fidélité et se
déclarèrent ouvertement en rébellion contre Ahmad dont,
par deux fois, ils avaient eu à se plaindre. Ce dernier leur
écrivit de lui livrer son frère ou de l’autoriser à aller le
combattre sur leur territoire. Les habitants de Fâs repous-
sèrent cette prétention et fermèrent les portes de la ville.
Le sultan envoya alors le Qâ’id Salah Ellirini leur proposer
de se soumettre et leur offrir, en échange de leur soumis-
sion, la liberté de ceux de leurs concitoyens qui étaient dé-
tenus dans ses prisons. Le Qâ’id avait à peine terminé son
discours qu’il fut mis à mort, son corps traîné dans les
rues et suspendu ensuite au mûrier. Elkheyyath-Adil fut
également assassiné sur le seuil de sa maison.
Abdallah Ibn Idris, l’Idrissite, à la tète de cavaliers et
d’archers de Zouaghas fondit à l’improviste sur les pâtu-
rages des Udaya et leur enleva leurs boeufs, leurs mou-
tons et leurs bêtes de somme qu’il amena à Fâs. Ces bestiaux
furent vendus à vil prix : les boeufs, six onces 1; les brebis
un dirhem. La guerre se trouva ainsi déclarée. Le premier
du mois de moharrem 11 h i (7 août 1728 ) le sultan Ahmad
quitta Miknâs à la tête de toutes ses troupes et vint cam-
per sous les murs de Fâs. Il ordonna à ses artilleurs de
lancer, nuit et jour, contre la ville des bombes, des boulets
1 L’once dont on se sert actuellement ne vaut que o fr. i5 cent.; peut-être
s’agit-il d’une monnaie de valeur plus élevée.
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et des blocs de pierre; puis, après avoir donné à ses soldats
l’ordre de ravager les vergers et les potagers aux alen-
tours de la ville, il fit ouvrir le feu. Le bombardement
causa des dégâts considérables et ruina une grande partie
de la ville. Pendant cinq mois consécutifs les rencontres se
succédèrent et nombre de combattants périrent, soit dans
ces luttes, soit par suite du bombardement. Enfin, étroite-
ment bloqués par l’ennemi, incapables de résister plus
longtemps, les vivres devenant rares et hors de prix, les
habitants de Fâs se décidèrent à reconnaître le sultan Ahmad
et à conclure la paix avec lui; ils s’engagèrent en consé-
quence à chasser Abdelmalek et à le livrer au sultan.
Celui-ci écrivit alors à son frère, lui offrant le choix soit
de se rendre à Sijilmasa, soit de rester dans l’asile où il
était. Abdelmalek ayant préféré demeurer dans son asile,
le sultan écrivit aux Ahl Fâs de ne plus avoir aucune
communication avec son frère, de ne point lui adresser la
parole, de ne rien acheter à ses compagnons, ni de leur
rien vendre : quiconque enfreindrait ces prescriptions serait
puni. Dès qu’Abdel mal ek eut connaissance de ces mesures,
il envoya son fils auprès les Abids : il leur lit demander de lui
garantir la vie sauve, déclarant se remettre entre leurs
mains. Le bâcha Salem Eddoukkali se rendit alors auprès
de lui avec cinquante Qâ’ids, et tous jurèrent sur la tombe de
Maulay Idris qu’ils lui assuraient la vie sauve. Ils le remirent
ensuite au sultan qui ordonna de le conduire à Sijilmasa
et de l’y interner. On le conduisit dans cette ville où on
l’enferma dans la maison du bâcha Mesahel.
Le sultan Ahmad tomba malade en rentrant à Miknâs.
Dès qu’il se sentait mourir, il donna l’ordre d’étrangler son
frère Abdelmalek : l’exécution eut lieu dans la nuit du lundi,
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premier jour du mois de chaaban de cette même année.
Ahmad Eddhehebi mourut dans la nuit du vendredi au sa-
medi, le quatrième jour du même mois. Dieu lui fasse misé-
ricorde et lui accorde son pardon! Abdelmalek fut enterré,
de nuit, dans la coupole 1 du cheikh Ibn Aïssa. Comme la
strangulation de Abdelmalek avait été tenue secrète, cer-
taines personnes, simples d’intelligence, prétendirent qu’il
s’était évadé et attendent encore aujourd’hui son retour
pour le proclamer sultan.