Histoire du gouvernement des provinces succédant à l’injustice des khalifes
C’est dans les derniers jours do rebi’ I 1020 (juin 1611) qu’eut lieu le soulèvement contre ‘Abd Allah b. Ash-Shaykh par le fait du sharîf Sulaymân et du Faqih Al-Marbû‘ ; à Meknès se souleva le Sharîf Amghàr, et à Tétouan le Muqaddam Ahmad an-Naksîs. Alors les Shaykh-s des Arabes se rassemblèrent et vinrent à Fès, où ils traitèrent avec les chefs de la ville et s’engagèrent mutuellement par serment à traiter en ennemis les Shraga, alors que ceux-ci étaient sortis de la ville, avaient eu leurs biens pillés et perdu nombre des leurs tombés au Bâb al-Gîsa et à Al-Khamîs.
Ce dernier lieu fut débarrassé d’eux après un violent combat ou il en tomba beaucoup, et leurs demeures furent pillées. Ils s’étaient établis à Fès Jadîd, et sous la protection du sultan, ils poursuivirent longtemps leurs excès diurnes et nocturnes. La tribu finit par se retirer sur le Sebou, et eut des combats avec les Shraga. Alors les hommes sortirent contre eux.
Avec les gens de Fès, dont le Qâ’id Ya‘qûb b. Sa‘îd s’appuyait sur le sultan, il y avait certains Arabes, les Awlâd ‘Isa, les Mlâlghâ et une portion des Banû Hasan. Le résultat du combat qui s’engagea fui la défaite des gens de Fès, dont il périt environ 500, et leur insuccès réjouit le sultan.
Ils passèrent la nuit dans la croyance que le lendemain ils entreraient dans la ville ; mais Dieu déçut leurs efforts, et quand à l’aurore ils s’avancèrent, ils trouvèrent les habitants bien préparés…
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…l’injustice, la violence et l’irrésolution.
Aussi Dieu le châtia t-il dans son pouvoir temporel en donnant la suprématie à l’agitateur du Sahara, As-Sayyid Ahmad b. ‘’Abd Allah (Abû al-Mahallî). De nombreuses bandes se réunirent autour de celui-ci, qui était un homme versé dans les sciences occultes et sur les troupes de qui le feu et les balles restaient sans action.
II s’avança vers Marrakech, battit Moulay Zaydân, qui voulut l’arrêter, entra dans cette ville et, ayant pénétré dans le Badi‘, où il s’empara des trésors royaux, se fit proclamer souverain. Il exerça le pouvoir, pacifia le pays et entama contre Zaydân une lutte qui ne s’arrêtait ni jour ni nuit, si bien qu’il eut avec lui 12 engagements et resta vainqueur.
Ses débuts remontaient à la prise de Larache, alors que, revendiquant l’autorité et proclamant la guerre sainte, il voulut marcher sur celte ville ; mais comme il se mit à sa poursuite avec des troupes, il se détourna vers Marrakech dans le but de puiser dans cette conquête des forces nouvelles pour la guerre sainte. Mais alors se poursuivit assez longtemps sa lutte avec Zaydân, qui finit par aller trouver dans le Sous le marabout Yahya (Abû Zakariya Yahya b. ‘Abd Allah ad-Dâwudî), dont la parole était écoutée et les ordres exécutés ; la demande de secours qu’il lui adressa fut accueillie, et alors ce prince, revenant du Sous avec des forces qu’on eût prises pour un essaim de sauterelles, recommença la guerre contre Ibn ‘Abd Allah. Celui-ci, qui prenait personnellement part aux engagements, fut dans un combat environné par quelques partisans de Yahya, qui le tuèrent, et Yahya, entrant à Marrakech, fit suspendre à la porte du palais la tête d’Ahmed ben ‘Abd Allah, ce qui eut lieu en 1022 (1613).
Yahya écrivit alors au sultan de venir, au reçu de sa lettre, à Marrakech pour en occuper le palais, mais il essuya un refus :
« Si, dit le sultan, tu es fidèle à ta parole, retourne chez toi, et moi je ferai ce que je voudrai, soit que je revienne, soit que, me mettant à l’administration du pays, je reste ici ».
Au reçu de cette réponse, et en voyant que ses bandes chargées de butin étaient rentrées dans leurs montagnes du Sous, Yahya traita en personne chérie la faible troupe qui était restée à ses côtés et la ramena dans le Sous. Zaydân fit alors son entrée à Marrakech. Il trouva les habitants de Salé venus de chez eux et réclamant pour leur pays de l’aide contre les ennemis infidèles qui avaient pénétré dans la passe de la ville, où ils bâtissaient et sonnaient les cloches : Salé en effet reconnaissait Zaydân et lui obéissait.
Il leur fit de mensongères promesses de secours jusqu’au jour où il reçut du Chrétien un cadeau important provenant d’Al-Brija, et alors les Salélins comprirent qu’il faisait argent du droit du pays tout comme avait fait son frère Ash-Shaykh à Larache. Ils rentrèrent par suite chez eux, s’équipèrent et firent bonne garde autour de leurs murailles. Le nombre des chrétiens s’accroissait dans la passe, si bien qu’ils se rendirent maîtres du fourré et qu’ils enlevaient les musulmans qui se gardaient mal ; les Arabes renoncèrent à s’installer dans le fourré, et cela dura jusqu’à ce que Muhammad al-‘Ayyâshî ramenât le calme dans le pays en traquant les ennemis jour et nuit. Quant à Moulay Zaydân, le manque d’énergie ne la quitta qu’avec la vie.
Après lui régna Moulay ‘Abd al-Mâlik, qui se montra injuste et violent à l’égard du peuple. Son manque de religion était tel qu’il envoya aux femmes des gens de Marrakech ses serviteurs et les notables pour que tout ce monde se rendit, à l’occasion de la naissance d’un de ses fils, au palais, et ils étaient dans le Badi‘ mêlés les uns aux autres, pendant qu’il les regardait du haut du minaret s’adonnait au vin, et il était ivre quand il tomba sous les coups des renégats.
Après lui régna son frère Al-Walîd, qui faisait l’homme de bien et s’attira la satisfaction de son entourage et de la masse ; il était grand amateur de musique, et il tomba aussi sous les coups des renégats qui complotèrent contre lui.
Il fut remplacé par le plus jeune de ses frères, Moulay Muhammad ash-Shaykh, avec qui finit la dynastie des Chérifs Al-Walîd avait mis fin à leur race et avait enterré une quinzaine de chérifs, tant adultes qu’enfants, d’entre ses frères, cousins et neveux.
Gouvernement des provinces
A Fès l’autorité fut exercée par le Sharîf Sulaymân (Zarhûnî) à qui le juriste Al-Marbû‘ donnait son appui, et qui furent suivis par les hommes de tous les quartiers ; ce fut une période de répression qui fut goûtée de la masse. Il rechercha les Shrâgâ parmi la population de Fès, et Sarhân al-Hayyâni (chef des B. Hasan) s’étant emparé d’eux, il livra au bourreau 4 de leurs Qâ’id-s à la fin de sa période de pouvoir. Ses ordres faisaient loi.
Ensuite il succomba sous une traîtreuse attaque du juriste Al-Marbû‘, qu’aidait le Sharîf As-Sayyid as-Sammâ’. Contre eux se dressa l’insurrection d’Ahmad ‘Umayra, lequel la suscita pour Moulay ‘Abd Allah. Ce dernier, après avoir tué le juriste Al-Marbû‘, le Sharîf As-Sammâ’ et d’autres de ceux qui luttaient contre lui, détint l’autorité pendant une seule année, au bout de laquelle son frère, parti de la région d’AI-Qaçr, se rendit matlre de Fès et imposa des contributions aux habitants. Il fit du côté de Meknès une expédition où il échoua, et revint à Fès, qui se souleva de nouveau contre lui sous la direction de Muhammad b. Sulaymân Lamti et de ‘Ali b. ‘Abd ar-Rahmân. Alors survint la mort de Moulay ‘Abd Allah, ainsi qu’il a été dit plus haut.
Ensuite Ibn Sulaymân ayant péri, il fut suspendu au nouveau bastion Burj Jdîd, puis descendu par les Lamti. Le Shaykh Ahmad b. al-Ashhab exerça le pouvoir de concert avec ‘Ali b. ‘Abd ar-Rahmân ; la mésintelligence s’étant mise entre eux, il y eut un violent combat qui aboutit à ce que le premier sortit de Fès, ce qui se fit du vivant de Moulay ‘Abd Allah ; il mourut à Fès Jadîd.
L’autorité passa ensuite aux mains d’AI-Hâjj ‘Ali Sûsân al-Andalusi, sur la désignation qu’en fit son Shaykh le savant et célèbre wali connaisseur de Dieu, Sidi ‘Abd ar-Rahmân b. Muhammad al-Fâsi ; puis aux mains d’Ibn al-‘Arabi. Toute cette période, qui dura 10 mois, ne vit que des maux et des troubles jusqu’au moment où la verdure prîntanière reparut à ‘Ayn ‘Alloûn. Les combats ne cessaient point, la main des hommes s’acharnait à tout ruiner par la dévastation et l’incendie ; ce fut un temps d’épreuves, de destruction, d’oppression et de mépris des lois. D’autres encore exercèrent le pouvoir : le Shaykh Ar-Raqqâ, ‘Abd ar-Rahmân al-Lâyrîni, Yazdûr, ‘Umayr, Mas‘ûd b. ‘Abd Allah ; et encore le Shaykh Ahmad b. al-Ashhab du temps d’AI-‘Ayyâshi, ainsi que du temps des gens de la Zawiya. Ce fut une période d’émeutes et de grands maux, à ce point que les marchés furent incendiés et que pendant de nombreux mois la prière ne fut pas dite dans la mosquée d’AI-Qarawiyyin ; ce fut le règne de l’iniquité, et ce que nous en avons dit ou indiqué n’est qu’approximatif. La permanence appartient à Dieu, unique et dominateur, « et les injustes sauront quel traitement ils auront à subir » (Koran, XXVI, 228).