CHAPITRE II. DISCOURS DE LA HUPPE AUX OISEAUX
Les oiseaux du monde se réunirent tous, tant ceux qui sont connus que ceux qui sont inconnus, et ils tinrent alors entre eux ce langage :
« II n’y a pas dans le monde de pays sans roi ; comment se fait- il cependant que le pays des oiseaux en soit privé? Il ne faut pas que cet état de choses dure plus longtemps; nous devons joindre nos efforts et aller à la recherche d’un roi, car il n’y a pas de bonne administration dans un pays sans roi, et l’armée est désorganisée »
En conséquence de ces considérations, tous les oiseaux se rendirent en un certain lieu pour s’occuper de la recherche d’un roi. La huppe, tout émue et pleine d’espérance, arriva et se plaça au milieu de l’assemblée des oiseaux. Elle avait sur la poitrine l’ornement qui témoignait qu’elle était entrée dans la voie spirituelle; elle avait sur la tète la couronne de la vérité. En effet, elle était entrée avec intelligence dans la voie spirituelle, et elle connaissait le bien et le mal.
« Chers oiseaux, dit-elle, je suis réellement enrôlée dans la milice divine, et je suis le messager du monde invisible. Je connais Dieu et les secrets de la création. Quand, comme moi, on porte écrit sur son bec le nom de Dieu, on doit nécessairement avoir l’intelligence de beaucoup de secrets. Je passe mes jours dans l’anxiété, et je n’ai affaire avec personne. Je m’occupe de ce qui intéresse personnellement le roi ; mais je ne me mets pas en peine de son armée. J’indique l’eau par mon instinct naturel, et je sais en outre beaucoup d’autres secrets.
J’entretins Salomon et j’allai en avant de son armée. Chose étonnante!
Il ne demandait pas de nouvelles et ne s’informait pas de ceux qui manquaient dans son royaume; mais, lorsque je m’éloignais un peu de lui, il me faisait chercher partout. Puisqu’il ne pouvait se passer de moi, ma valeur est établie à jamais. Je portais ses lettres et je revenais; j’étais son confident derrière le rideau. L’oiseau qui est recherché par le prophète Salomon mérite de porter une couronne sur sa tête.
Tout oiseau peut-il entrer dans le chemin de celui qui y est parvenu avec bonheur par la grâce de Dieu ? Pendant des années, j’ai traversé la mer et la terre, occupée à voyager. J’ai franchi des vallées et des montagnes; j’ai parcouru un espace immense du temps du déluge.
J’ai accompagné Salomon dans ses voyages; j’ai souvent arpenté toute la surface du globe. Je connais bien mon roi, mais je ne puis aller le trouver toute seule. Si vous voulez m’y accompagner, je vous donnerai accès à la cour de co roi. Délivrez-vous de toute présomption timide et aussi de tout trouble incrédule. Celui qui a joué sa propre vie est délivré de lui-même; il est délivré du bien et du mal dans le chemin de son bien-aimé. Soyez généreux de votre vie, et placez le pied sur ce chemin, pour poser ensuite le front sur le seuil de la part de ce roi. Nous avons un roi légitime, il réside derrière le mont Kāf. Son nom est Simorġ; il est le roi des oiseaux. Il est près de nous, et nous en sommes éloignés. Le lieu qu’il habite est inaccessible et il ne saurait être célebré par aucune langue. Il a dmaul lui plus de enl niiHe \oilcs de lumière et d’obscurité. Dans les deux mondes, il n’y a personne qui puisse lui disputer son empire. Il est le souverain par excellence; il est submergé dans la perfection de sa majesté. Il ne se manifeste pas complètement même au lieu de son séjour, auquel la science et l’intelligence ne peuvent atteindre. Le chemin est inconnu, et personne n’a assez de constance pour le trouver, quoitpie des milliers de créatures le désirent. L’âme la plus pure ne saurait le décrire, ni la raison le comprendre. On est troublé, et, malgré ses deux veux, on est dans l’obscurité. Aucune science n’a encore découvert sa perfection, aucune vue na encore aperçu sa beauté. Les créatures n’ont pu s’élever jusqu’à son excellence; la science est restée en arrière, et l’oeil a manqué de portée. C’est en vain que les créatures ront voulu atteindre avec leur imagination à cette perfection et à cette beauté. Comment ouvrir cette voie à l’imagination, comment livrer la lune au poisson. Là des milliers de tètes seront comme des boules de sorgho ; on n’entendra que des exclamations et des soupirs. On trouve tour à tour dans ce chemin l’eau et la terre ferme, et Ton ne saurait se faire une idée de sa longueur. Il faut un homme à coeur de lion pour parcourir cette route extraordinaire; car ce chemin est long et la mer profonde. Aussi marche-t-on stupéfait, tantôt riant, tantôt pleurant. Quant à moi, je serais heureuse de trouver la trace de ce chemin, car ce senrait pour moi une honte que de vivre sans y parvenir. A quoi servirait l’âme, si elle n’avait un objet à aimer ? Si tu es un homme,que ton âme ne soit pas sans maîtresse.
Il faut un homme parfait pour un tel chemin, car il doit savoir introduire son àme.» à cette cour. Lave-toi brave Mil les mains de cette vie, si tu veux être appelé un honnue d’action. A quoi servirait la vie, si l’on n’aimait pas ? Pour ta bien-aimée, renonce à ta vie chérie, connue les honnues divnes de leur vocation. Si tu livres gracieuseinenl ton âme, tu mériteras que ta bien-aimée te sacrifie sa vie. »
Chose étonnante ! ce qui concerne le Simorg conmença à se manifester en Chine au milieu de la nuit. Une de ses plumes tomba donc alors en Chine, et sa réputation remplit tout le monde. Chacun prit le dessin de cette plume, et quiconque la vit prit à cœur l’affaire. Cette plume est actuellement dans la salle des peintures de la Chine, et c’est pour cela que le Prophète a dit : « Allez à la recherche de la science, fùt-elle en Chine » Si la manifestation de cette plume du Simorg n’eût pas eu lieu, il n’y aurait pas eu tant de bruit dans le monde au sujet de cet être mystérieux. Cette trace de son existence est un gage de sa gloire ; toutes les Ames portent la trace du dessin de cette plume.
Comme sa description n’a ni commencement ni fin, il n’est pas nécessaire de dire à ce sujet plus que je ne le fais. Maintenant, vous qui ôtes les hommes du chemin, abordez cette route et placez-y le pied.
Tous les oiseaux se réunirent donc, ainsi qu’il a été dit. Ils étaient dans l’agitation en songeant à la majesté du roi dont la huppe leur avait parlé. Le désir de Tavoir pour souverain s’était emparé d’eux et les avait jetés dans l’impalicnce. Ils firent donc leur projet de départ et voulurent aller en avant ; ils devinrent ses amis et leurs propres ennemis. Mais comme la route était longue et lointaine, chacun d’eux néanmoins était inquiet au monient de s’y engager et donna une excuse différente pour s’en dispenser, malgré la bonne volonté qu’il paraissait avoir.
[ S’ensuit le discours de 10 oiseaux qui prétendent être comblé (royauté, fortune, amour…) et qui l’incarnent, et argumentaire de la huppe, puis le voyage des 7 vallées initiatiques
Rossigol : amour vain (princesse et derviche)
Perruche : douceur de vivre, éternité, khizr (fou et khizr)
Paon : beauté, perfection, palais, paradis terrestre
Canard : eau, pureté, instabilité
Perdrix : joyau, multicolore, (sceau du chaton de pierre de salomon)
Humay : royauté terrestre, fortune, orgueil (révélation de Sultan Mahmud)
Faucon : proche du roi, courtisan, combattant (esclave favoris à la pomme)
Héron : mer/lac, soif, océan en deuil
Hibou : tristesse, solitude, chercheur de trésor, avidité, avarice
Bergeronnette, faiblesse, hypocrisie (tristesse de Ya῾qub)
[…]
Histoire du shaykh, de la chrétienne, des pourceaux et du soleil
22 autres demandes : défauts et qualités, à combattre
7 vallées :
Talab, ‘Ish (amour), ma῾rifa, Istiġna, tawḥīd, kayrat (ébahissement), faqr
Le chambellan de la grâce vint leur ouvrir la porte, puis il ouvrit encore 100 rideaux, les uns après les autres. Alors un monde (nouveau) se présenta sans voile à ces oiseaux : la plus vive lumière éclaira cette manifestation. Tous s’assirent sur le Masnad de la proximité, sur la banquette de la majesté et de la gloire. On mit devant eux un écrit en leur disant de le lire jusqu’au bout. Or cet écrit devait leur faire connaître par allégorie leur état désolé.
Joseph, que les astres adoraient, fut vendu par ses dix frères. L’Ëgyptien Malik le leur acheta à bon marché; mais il voulut avoir un reçu d’eux. Il exigea donc ce reçu des frères de Joseph sur le lieu môme, et il fit certifier la vente par les dix frères. Quand ‘Azîz d’Egypte l’eut acheté à son tour, le fatal reçu tomba entre les mains de Joseph. A la fin , lorsque Joseph fut revêtu du pouvoir royal , ses dix. frères vinrent en Egypte. Ils ne le reconnurent pas, et ils se prosternèrent devant lui. Ils s’offrirent en esclavage pour obtenir les moyens d’exister; ils renoncèrent à l’eau (l’honneur) pour avoir du pain. Joseph le véridique leur dit alors:
« O hommes! j’ai en ma possession un écrit en langue hébraïque. Personne ne sait le lire ; si vous pouvez le dé-chiffrer je vous donnerai beaucoup d’or. »
« Tous lisaient en effet l’hébreu, et ils répondirent, contents et empressés :
« Sire, montre-nous cet écrit »
Qu’il est aveugle dans son esprit celui qui, par orgueil, ne reconnaîtra pas là son histoire par rapport à Dieu.
Joseph leur remit donc leur propre écrit, et aussitôt un tremblement convulsif s’empara de leur corps. Ils ne purent lire une seule ligne de cet écrit, ni en déchiffrer la moindre particularité. Tous restèrent dans la douleur et l’afiliction, préoccupés de l’affaire de Joseph. Leur langue devint muette tout à coup, et leur âme fut tourmentée par ce fâcheux incident.
« Vous paraissez interdits, leur dit Joseph; pourquoi rester muets : lorsqu’il s’agit de lire cet écrit ? »
« Nous aimons mieux être mis à mort tout de suite, répondirent- ils tous ensemble, plutôt que de lire cet écrit et d’avoir ensuite la tète tranchée ! »
Ainsi, lorsque les trente oiseaux amaigris eurent lu le contenu de l’écrit qui leur avait été remis pour leur instruction, ils y trouvèrent complètement consigné tout ce qu’ils avaient fait.
Ce fut en effet très-dur pour les frères de Joseph, alors esclaves, d’avoir à regarder cet écrit. Ils étaient allés et avaient fait un long voyage pour retrouver ce Joseph qu’ils avaient jeté dans le puits. Ils avaient brûlé dans l’ignominie l’àme de Joseph, et ils le voyaient actuellement briller en un rang éminent.
Tune sais donc pas, ô insignifiant faqir ! que tu vends un Joseph à chaque instant ? Lorsque Joseph sera ton roi et qu’il sera le premier et le chef, tu finiras par venir devant lui comme un mendiant affamé et nu !
L’âme de ces oiseaux s’anéantit entièrement de crainte et de honte, et leur corps, brûlé y devint comme du charbon en poussière. Lorsqu’ils furent ainsi tout à fait puriGés et dégagés de toute chose, ils trouvèrent tous une nouvelle vie dans la lumière du Simorg. Us devinrent ainsi de nouveaux serviteurs, et furent une seconde fois plongés dans la stupéfaction. Tout ce qu’ils avaient pu faire anciennement fut purifié et môme effacé de leur cœur. Le soleil de la proximité darda sur eux ses rayons, et leur âme en fut resplendissante. Alors dans le reflet de leur visage ces trente oiseaux [si morg) mondains contemplèrent la face du Simorg spirituel. Ils se hâtèrent de regarder ce Simorg, et ils s’assurèrent qu’il n’était autre que simorg. Tous tombèrent alors dans la stupéfaction ; ils ignoraient s’ils étaient restés eux-mêmes ou s’ils étaient devenus le Simorg. Ils s’assurèrent enfin qu’ils étaient véritablement le Siniorg et que le Simorg était réellement les trente oiseaux (9e marg). Lorsqu’ils regardaient du coté du Simorg ils voyaient que c’était bien le Simorg qui était en cet endroit, et, s’ils portaient leurs regards vers eux-mêmes, ils voyaient qu’eux-mêmes étaient le Simorg.
Enfin, s’ils regardaient à la fois des deux côtés, ils s’assuraient qu’eux et le Simorg ne formaient en réalité qu’un seul être. Ce seul être était Simorg, et Simorg était cet être. Personne dans le monde n’entendit Jamais rien dire de pareil. Alors ils furent tous plongés dans l’ébahissèment, et ils se livrèrent à la méditation sans pouvoir méditer. Comme ils ne comprenaient rien à cet état de choses, ils interrogèrent le Simorg sans se servir de la langue; ils lui demandèrent de leur dévoiler le grand secret, de leur donner la solution du mystère de la pluralité et de l’unité des êtres. Alors le Simorg leur fit, sans se servir non plus de la langue, cette réponse :
« Le soleil de ma majesté, dit-il, est un r miroir ; celui qui vient s’y voit dedans, il y voit son âme et son corps, il s’y voit tout entier. Puisque vous êtes venus ici trente oiseaux, vous vous trouvez 30 oiseaux [si marg) dans ce miroir. S’il venait encore quarante ou cinquante oiseaux, le rideau qui cache le Simorg serait également ouvert. Quoique vous soyez extrêmement changés, vous vous voyez vous-mêmes comme vous étiez auparavant »
Comment l’œil d’une créature pouait-il aiver jusqu’à moi? Le regard de la fourmi peutr-il atteindre les Pléiades? A-t-on jamais vu cet insecte soulever une enclume, et un moucheron saisir de ses dents un éléphant ? Tout ce que tu as su ou vu n’est ni ce que tu as su ni ce que tu as vu, et ce que tu as dit ou entendu n’est pas non plus cela. Lorsque vous avez franchi les vallées du chemin spirituel, lorsque vous avez fait de bonnes œuvres, vous n’avez agi que par mon action, et vous avez pu ainsi voir la vallée de mon essence et de mes perfections. Vous avez bien pu, vous qui n’êtes que 30 oiseaux, rester stupéfaits, impatients et ébahis ; mais moi je vaux bien plus que 30 oiseaux [si marg) car je suis l’essence même du véritable Simorg.
Anéantissez- vous donc en moi glorieusement et déhcieusemcnt, afin de vous retrouver vous-mêmes en moi.
Les oiseaux s’anéantirent eu effet à la fin pour toujours dans le miroir, l’ombre se perdit dans le soleil, et voilà tout.
J’ai discouru tant que ces oiseaux ont été en marche ; mais mon discours est arrivé à ce point qu’il n’a plus ni tète ni queue; aussi dois-je le terminer ici. La voie reste ouverte, mais il n’y a plus ni guide, ni voyageur.
A propos du lion
Alî est le maître de la vérité, le chef possesseur de droiture, la montagne de la douceur, l’océan de la science, le pôle de la religion. Il est l’échanson qui verse à boire l’eau du Kaurar, l’imâm qui montre le vrai chemin, le cousin de Mahomet, le lion de Dieu, le choisi, l’élu, l’époux de la vierge, le chaste seigneur, le gendre du Prophète. Il est venu expliquer la direction ; il est venu dévoiler le secret de demande-moi il est le directeur plein de mérite de la religion; il en est le juge absolu. Comme Alî est le seul confident des secrets de Dieu, on ne peut éprouver aucun doute sur sa science éminente^. D’après une sentence de Mahomet, Alî connaît l’essence divine; que dis-je! il eu fait partie. Si quelqu’un fut ressuscité par le souflle de Jésus, Alî par une parole guérit une main coupée. Dans la caaba il fut agréé de Dieu ; il en brisa les idoles jusque sur le dos et les épaules du Prophète. Son cœur contenait les secrets du mystère; ii aurait pu retirer de son sein sa main blanche^ S’if n’avait eu sa main vraiment blanche, comment l’épée zû’ljicar s’y serait-elle reposée ? Tantôt il était en émotion à cause de ses préoccupations, tantôt il disait à voix basse des secrets dans un puits^; il ne trouva dans les horizons personne dont il pût faire son compagnon; il entra dans le sanctuaire et il n’y eut pas de mahram.
toi qui es en proie au fanatisme! toi qui restes tantôt dans la haine, tantôt dans l’amour! si tu te flattes d’avoir de l’intelligence et du cœur, pourquoi donner dans le fanatisme? ignorant! il n’y a pas de déviation dans le khalifat; car comment penser qu’elle ait pu avoir lieu de la part d’Abû Bekr et d’Omar? Si elle avait eu lieu dans ces deux chefs, tous les deux auraient désigné leur fils pour leur successeur, et, bien que ces deux éminents personnages eussent fait porter témoignage de la vérité par des gens dignes de confiance, les autres y auraient mis empêchement. Or comme personne n’y mil obstacle, c’est qu’il n’y eut pas de prétentions opposées. Si donc personne ne vint empocher Abu Bekr de s’être proclamé khalife, veux-tu démentir tout le monde ? Mais si tu démens les compagnons du Prophète, tu n’agrées pas le discours du Prophète lui-môme, qui dit : tr Chacun de mes amis est un astre lumineux, et ma tribu est la meilleure tribu. Les meilleurs hommes sont mes amis ; ils sont mes alliés et mes all’ectionnés.» Si le meilleur devient pour toi le plus mauvais*, comment peut-on t’appeler clairvoyant? Peux-tu admettre que les compagnons du Prophète eussent accepté de bon cœur des gens indignes pour les faire asseoir à la place de Mahomet? Cela n’est pas admissible pour les compagnons du Prophète. Si le choix de la majorité n’a pas été bon, dans ce cas la collection du Coran en volume n’a pas été meilleure. Or tout ce que les compagnons du Prophète ont l’ait, ils iont fait justement et convenablement. En méconnaissant l’élection d’une personne, vous en condamnez trente trois mille. Celui qui a mis son espoir en Dieu seul n\i pas lié le genou de son chameau. S’il est en suspens dans cette affaire, comment peut-il recevoir la vérité de Dieu? N’aie donc pas une telle opinion.
[…]
Nous tous, nous sommes sous la domination de cette âme infidèle et désobéissante, nous l’entretenons nous-mêmes en nous ; sera-t-il donc facile de la détruire ? Lorsque cette âme trouve son assistance de deux côtés, il serait en effet étonnant qu’elle périt. L’esprit, connue un cavalier, parcourt avec constance le royaume spirituel ; mais, jour et nuit, cette âme vile est son commensal. Le cavalier a beau faire galoper son cheval, cette âme le suit toujours sans relâche comme un chien. Tout ce que le cœur a reçu de l’objet de son amour, l’âme en a pris tout autant du cœur. Toutefois, celui qui lie vigoureusement ce chien prendra dans son filet le lion des deux mondes. Celui qui asservit à lui-même ce chien devance ses rivaux au point qu’ils n’atteignent pas la poussière de sa chaussure, et s’il lie follement ce chien, la poussière de ses souliers aura plus de valeur que le sang des autres.
[…]
Celui (|iii rospire im seul iiislaiit dans va vmi sora iiioindn’ (|ue coiil nioiiceanx di’ rien. QuVsl le monde, si re n esl une absolue nullité? et qu’est cette nullité, si ee n’est un esclavage?
Le monde est un feu brillant on vient se brûler à cliaqne instant une nouvelle créature. Tu es un lion inulion si tu peux échapper à ce feu violent. Ali ! détourne les veux de ce feu comme le lion, si tu ne veux te brûler à ce feu comme le papillon. Celui qui adorera ce feu comme le papillon devra s’y brûler dans son ivresse décevante. Ce feu est devant toi et derrière toi ; aussi est-il impossible que tu ne t’y brûles à chaque instant ; mais regarde ou tu pourras te mettre pour que ce feu ne dévore pas ton âme.
…
Symbolique du daim :
“Le premier est donc Abu Bekr, le premier ami de Mahomet et le second des deux personnages qui furent dans la cavenie ‘ ; le centre de la religion, le véridique du Très-Haut, le pôle du vrai Dieu, celui qui en toute chose a eu la prééminence. Tout ce que Dieu a répandu de sa cour élevée sur la noble poitrine de Mahomet, il Ta aussi répandu en totalité et réellement sur la poitrine d’Abû Bekr. Lorsque Dieu eut tiré du néant les deux mondes par une parole, il tint gravement la bouche fermée et retint ses agréables paroles. De même Abu Bekr restait la tète baissée toute la nuit jusqu’au jour; à minuit il faisait entendre des gémissements, par l’effet de l’ardeur de son amour pour Dieu.
Ses soupirs odorants allaient jusqu’en Chine, et le sang du daim de Tartarie produisait le musc. C’est à cause de cela que le soleil de la foi et de la religion a dit : « Il faut aller d’ici à la Chine à la recherche de la science ».
La sagesse réglait si bien les mouvements de la bouche d’Abù Bekr, que ses lèvres prononçaient sans cesse le mot avec la gravité convenable. Que dis-je! sa gravilé se manifestait sur sa langue, en sorte qu’il ne prononçait d’autre nom que celui de Dieu. Il faut de la gravité pour <[ue la dignité se manifesti^ : comment un honune Stins gravilé peut-il Hvo bon à quelque chose? Omar vit un échantillon de la grave dignité d’Abii Bekr, et il dit : cr J(» voudrais en avoir un peu en partage, ne serait-ce que la valeur d’un des poils de crsa poitrine.”
Symbolique des pourceaux
“A la fin, lorsque le schaïkh fut devenu Thonimc de la jeune chrétienne, le cœur de cette belle finit |)ar ressentir à son égard la llamnie de Tamour; mais elle lui dit (pour 1 éprouver encore) : <r Ac- er tuellement, pour mon douaire ^ i) homme imparfait! va garder mes pourceaux pendant une année entière ; et ensuite nous passerons ensemble notre vie dans la joie ou dans la tristesse.
Le schaïkh m» détourna pas la tète de Tordre de sa belle; car s’il Teùt détournée, il n’aurait pas trouvé ce qu’il recherchait. Ainsi donc ce schaïkh de la Caaba, ce saint et grand personnag se résigna a garder les pourceaux pendant une année.
Dans la nature de chacun de nous il y a 100 pourceaux : il faut devenir pourceau ou prendre le ziunu\r. toi qui n’es rien! tu penses que ce danger était à appréhender pour le schaïkh, et voilà tout. Or ce danger se trouve dans l’intérieur de chacun de nous, il montre la tète lorsqu’on entre dans la voie du spirilualisme. Si tu ne connais pas ton propre pourceau, tu es excusable alors que tu n’es pas homme de la voie spirituelle. Quant à toi, homme d’action, lorsque tu mets le pied dans cette voie, tu vois en même temps 100 000 idoles et 100 000 pourceaux. Chaque pourceau, et brûle l’idole dans la plaine déserte de l’amour; sinon sois, comme ce schaïkh, déshonoré par l’amour.
A la fin, lorsque le schaïkh fut devenu chrétien, le bruit s’en répandit dans toute la (i rèce \ Ses conq)agnons en furent déconcertés et tout à fait désolés. Lorsqu’ils coiumrenl sa détermination, ils abjuraient son amitié.
[…]
Lorsque tous les oiseaux eurent entendu cette histoire, ils se décidèrent à renoncer eux aussi à la vie. La pensée du Simorg enleva le repos de leur cœur; son unique amour remplit le coeur des cent mille oiseaux. Ils tirent le projet de se mettre en route, projet louable, pour lequel ils se préparèrent promptement. Tous dirent :
« Actuellement il faut nous procurer avec notre argent un guide pour nouer et dénouer, il nous faut un conducteur pour notre route, parce qu’il ne peut agir d’après ses propres idées, il faut un excellent administrateur en un tel chemin, dans l’espoir qu’il puisse nous sauver de cette mer profonde. Nous obéirons de coeur à ce guide ; nous ferons ce qu’il dira, bon ou mauvais, pour notre atome rejoigne ainsi le majestueux soleil ; l’ombre du Sirnorg tombera sur nous.
A la fin les oiseaux dirent : « Puisque nous n’avons pas de chef reconnu, tirons au sort, c’est la meilleure manière. Celui sur qui tombera le sort sera notre chef ; il sera grand parmi les petits.
Lorsque ce tirage au sort fut résolu, le cœur des oiseaux impatients reprit de la tranquillité.
En ell’el, quand la chose fut décidée, l’effervescence se calma, et tous les oiseaux restèient silencieux. Ils th-èrent donc au sort d’une maniùrc j’c^giiliôi’e, et le sort tomba sur la huppe aimante. Tous l’acceptèrent pour guide et résolurent de lui obéir, jusqu’à exposer leur vie, quelque chose qu’elle commandât. Tous dirent alors d’un commun accord :
« La huppe est désormais notre chef, notre guide et notre conducteur dans cette voie. Nous recevrons ses ordres, et nous lui obéirons; nous n’épargnerons, pour lui être agréables, ni notre âme, ni notre corps ! »
Lorsque la huppe entreprenante aiva après sa nomination, on mit la couronne sur sa tête. Cent mille oiseaux accoururent dans le chemin; ils étaient cm si grand nombre cjuils cachaient la lune et le poisson. Lorsqu’ils aperçurent, du chemin, l’entrée de la première vallée, ils s’envolèrent de frayeur jusqu’à la lune. La terreur de ce chemin s’empara de leur âme, un feu ardent s’empara de leur cœur. Ils soulevèrent tous à l’envi leurs plumes, leurs ailes, leurs pattes, leur tête.
Tous, dans leur intention pure, renoncèrent à la vie; en elVet, leur tâche était lourde et le chemin hmg. C’était un chemin où l’on ne pouvait avancer et oii, chose étonnante! il n’v avait ni bien ni mal. Le silence et la tranquillité y régnaient: il n’y avait ni augmentation, ni diminution.
Cependant un des oiseaux^ demnnda à la huppe: a Pourquoi ce cr chemin est-il désert ?t La huppe lui répondit : C’est à cause du respect qu’inspire le roi, à la demeure duquel il conduit. t
ANNEAU DE SALOMON : symbolique du sceau à 6 branches
Aucune pierre n’eut jamais l’éminente prérogative du châton de l’anneau de Sulayman. La renommée et la réputation de cet anneau étaient extrêmes, et cependant le châton n’était qu’une simple pierre du poids d’un demi-dâng (0,12 dr). Lorsque Sulayman prit pour chaton de sa bague cette pierre, toute la face de la terre fut sous sa puissance. Sulayman vit ainsi son règne établi : il vit les horizons sous sa loi. La superficie de son royaume était donc immense : le vent le portait partout à son gré, et il ne possédait en réalité que sa pierre d’un demi-dâng. Il dit :
« Comme mon royaume et mon gouvernement ne sont stables que mendiant par cette pierre, je ne veux pas que dans le monde spirituel ou temporel quelqu’un puisse posséer désormais une telle puissance. O mon roi ! J’ai vu clairement de l’œil de la raison ce royaume précaire : il ets diminutif de celui qui viendra ensuite. Désormais, ne le donne jamais à personne d’autre : je ne veux avoir affaire ni avec l’armée, ni avec l’empire ; mais je choisis pour toujours la besace du derviche ».
Quoique Sulayman fût un roi puissant, à cause de la pierre de son anneau, cette pierre était cependant ce qui arrêtait sa marche dans la voie spirituelle.
Comme cette pierre produisait cet effet à l’égard de Sulayman, que n’opérerait-elle pas à l’égard d’un être tel que toi, pauvre perdrix ? Et puisque le diamand est une simple pierre, ne le recherche pas, ne donne ton âme que pour la face de ta maîtresse ; détourne ton cœur du joyau vulgaire, ô toi qui recherches le vrai joyau ! et sois toujours à la poursuite du bon joaillier.