BUKHÂRA _GENEALOGIE DES KHANS UZBEKS.
Je m’occuperai maintenant de l’histoire de Muhammad Rahim Khan, Mangit, Uzbek, qui régna à Bukhara à partir de l’année 1160 après la mort de Nadir Shah, et de l’histoire des Khans qui ont gouverné jusqu’en cette année 1233, année en laquelle règne Seyid Amir Haydar, fils de Shâh Murad Bay ,fils de Daniel, Mangit, Uzbek. Ce que je vais consigner par écrit contiendra les détails les plus minutieux.
« Abû-l-Fayz Khân (‘Ubayd-Allah II), dernier descendant en ligne directe de Tîmur, régna 38 ans. Pendant son règne, Nadir Shâh s’étant emparé de ses États, le laissa régner et prit en otage Muhammad Rahîm, fils d’un des chefs de l’armée boukhare.
« Muhammad Rahîm Khân, à son retour de la Perse, occupa pendant 9 ans le poste d’Atâliq du vivant d’Abû-l-Fâ’iz Khân et de ses deux successeurs, nommés ‘Abd-l-Mûmin Khân (II) et ‘Ubayd Allah Khân (III). Ayant tué d’abord le père et ensuite ses deux fils, il épousa la fille de ce même Abû-l-Fâ’iz et régna 2 ans comme khan.
Après la mort de Rahîm, Dâniâl Bay, Uzbèk de nation, gouverna le royaume avec le titre d’Atâliq, tandis qu’un rejeton de la maison de Chingîz Khân nommé Sayid Abû-l-Ghâzî, occupait le trône de Bukhâra. Dawlat Qûshi Begî, premier ministre de ce monarque, administrait avec un pouvoir absolu toutes les affaires de cette province ; mais il fut tué par Murâd Bay, fils aîné de Dâniâl, qui eut cette place de Qûsh Bêgî.
Après la mort de Sayid Abû-l-Ghâzî, Dâniâl Bay prit le titre de khân.
« Après la mort du khân Mouhammed Rahîm, une grande partie des provinces de ce royaume était gouvernée par différents Beg-s Uzbeks, indépendants du souverain de Boukhâra. Celui-ci n’avait que les 7 districts qui forment l’arrondissement de la capitale, et, en outre, Karmîna et Qarshî. Ce fut Schâh Murâd Bay qui soumit à sa domination toutes les provinces de la Bukhârie. Ce prince, fils de Dâniâl Bay, monté sur le trône que son père avait occupé, gouverna le royaume pendant 16 ans : il se qualifiait sur ses monnaies du titre d’émir, qu’il n’avait pris que vers la fin de son règne. Il avait épousé la veuve de Mouhammed Rahîm et fille d’Abû-l-Fâ’iz.
« Mîr Haïdèr, aujourd’hui régnant, est né de ce mariage. Il descend de Chingîz par sa mère, et règne depuis 23 ans, sous le titre d’émir.
BUKHÂRA
ABOUL FA’IZ KHAN (1152-1739)
Lorsque Nadir Shah revint de son expédition de l’Inde, Abû al-Fâ’iz Khan, fils de Soubhan Quli Khan, descendant de Jinghiz Khan, était souverain de Bukhâra.
Ilbars Khan , Qazaq, qui était aussi de la race de Jinghiz, gouvernait le Kharezm.
Abû-l-Fâ’iz Khan, reconnaissant qu’il n’était point assez fort pour lutter avec l’armée persane, envoya à Pichâwar, auprès de Nadir Shah, une ambassade composée de quelques personnages considérables, et d’un Khwaja du Juybar avec de riches présents.
(1) Le Juybar ou « quartier du bord de l’eau » est habité par les Khwajas L’aristocratie religieuse de Boukhârâ se divise en deux classes : les Seyids et les Khwajas. Les premiers descendent des khalifes Osman et de ‘Alî par les filles du prophète.
Les seconds descendent d’Abou-Bekr et d’Omar, ou des deux autres khalifes par d’autres femmes que les filles de Mohammed. Les Seyids ont la préséance sur les Khwajas. Les Khwajas eux-mômes sont divisés en deux catégories. Les Khwajas Seyid Ata qui possèdent les documents établissant leur généalogie et les Khwajas Juybari-s, dont les titres sont perdus et qui ne peuvent invoquer que la notoriété et la tradition.
Il fit dire au Shah : « Je suis le dernier rejeton d’une ancienne famille royale ; je n’ai pas la puissance d’affronter un monarque redoutable ; je me tiens à l’écart, faisant des voeux pour lui ; mais s’il veut m’honorer de sa visite, je lui témoignerai les égards que l’on doit à un hôte. »
Nadir Shah se montra très satisfait de ces paroles, il traita les ambassadeurs avec la plus grande considération et les congédia après leur avoir remis pour Abû-l-Fâ’z Khan une lettre dont voici le sens :
« Votre conduite m’apénétré de joie et de reconnaissance. J’ai reçu vos ambassadeurs et j’ai agréé les présents que vous m’avez envoyés : votre loyauté a éclaté pour nous en même temps que votre affection et que votre amitié : tout ce que vos ambassadeurs nous ont exposé était dicté par la sincérité. Il est nécessaire que je châtie Ilbars ; punir ce malfaiteur, est pour moi une obligation sacrée. S’il plaît à Dieu, après être arrivé à Hérât, résidence de la royauté, je me dirigerai sur Balkh, et de là, je me rendrai auprès de vous pour avoir une entrevue et être reçu comme un hôte par Votre Hautesse que je considère comme un père. Veuillez me traiter comme un hôte et n’avoir aucune arrière-pensée, car je ne convoite ni vos Etats, ni vos trésors. Je vous envoie aujourd’hui, à titre de souvenir, à vous quiètes mon ami sincère et véritable, quelques objets de l’Hindustan que vous accepterez comme un présent de peu de valeur. Agréez, avec cette lettre, tous mes voeux. »
Lorsque la lettre et les cadeaux de Nadir Shah arrivèrent à Bukhâra, Abû al-Fâ’iz Khan en éprouva la joië la plus vive et il fit connaître les résultats de sa démarche à Ilbars Khan, dans l’espérance que celui-ci s’amenderait et s’excuserait des fautes qu’il avait commises. La. fatalité s’était attachée à Ilbars Khan. Il n’accepta pas-je conseil qui lui était donné et il envoya à Abû al-Fâ’iz une réponse conçue en termes grossiers.
Distique. « Les bons conseils ne font point impression sur une mauvaise nature ; on ne peut faire entrer de force un damné dans le Paradis. »
Abû al-Fâ’iz Khan s’occupa ensuite des préparatifs de la réception de son hôte : il fit de grands approvisionnements de blé, de riz et d’orge ; il rassembla des troupeaux de moutons.
Nadir Shah arriva à Hérât. Il avait avec lui 300 éléphants, une tente brodée en perles et le trône du paon (butin moghol évalué en 1898 à 280 M de francs). Il établit son camp dans la plaine de Kuhestan à l’est de la porte de Khoshk (2). Il envoya de là deux éléphants et de riches présents à la cour impériale du sultan Mahmoud Khan Ier (3). Il envoya aussi 2 éléphants et des objets de l’Inde en cadeau à l’impératrice de Russie Petrowna, fille de Pierre Alexis. Il fit participer également les grands de l’empire au partage du butin. Nadir Shah resta trois mois à Hérât, puis il fit partir pour la ville sainte de Mashhad, capitale de son empire, avec son harem et ses gros bagages, son fils Nasr Allah Mirza qui l’avait accompagné dans son expédition de l’Inde et auquel il avait fait épouser une fille de Muhammad Shah, souverain de l’Hindustan.
Il partit de Kouhdestan et vint camper à Badghis localité située au nord de Hérât et sur la route de Balkh et de Bukhâra. C’est une plaine ravissante et une résidence délicieuse qui, au printemps, excite l’envie du paradis. Il y fut rejoint par l’aîné de ses fils, Riza Quly Mirza, qu’il avait proclamé son héritier présomptif. Celui-ci arrivait de Mashhad, accompagné de 12 000 cavaliers d’élite. Chaque troupe de 1000 cavaliers était montée sur des chevaux de couleur uniforme : tous ces soldats étaient couverts d’armures d’acier, et leurs armes étaient incrustées d’argent.
Ce fut à Karatèpèh que Nadir Shah donna audience à son fîls qu’il reçut ses cadeaux et passa ses troupes en revue ; ce fut là aussi que la crainte et les appréhensions s’emparèrent de son âme, Riza Quly Mirza, sans l’autorisation de son père avait fait étrangler, à Ifeçhfaëd, Thâhmàsp Shah de la famille desv Séfèvis dont il avait épousé la fille. Cette action avait excité les soupçons de Nadir Shah, Il donna ordre d’incorporer dans ses propres troupes celles de Riza Quly Mirzâ^ et il emmena avec lui d’étape en étape, à Mayménèh, à Fariab et à Balkh, ce prince accompagné seulement des officiers de son service particulier.
De cette dernière ville, il fit connaître à Abû-l-Fâ’iz Khan sa prochaine arrivée. Il donna quelque temps de repos à ses troupes, puis, il fit passer à la moitié de son armée Amou Dariâ, c’est-à-dire le Jayhûn ; l’autre moitié, avec les parcs d’artillerie et plus d’un millier de petites barques chargées d’approvisionnements, resta sur la rive opposée. Nadir Shah se dirigea alors sur Bukhâra, À son arrivée à Kerki, ville située sur le bord du fleuve à 4 stations dêBukhâra, Muhammad Rahim Beg, Mangit, un des principaux confidents et officiers d’Abû-l-Fâ’iz Khan, vint à sa rencontre avec des présents et des approvisionnements.
Il eut l’honneur d’être reçu en audience. De là, le Shah se dirigea sur Charju (21), située à 3 journées de Bukhâra et qui est aussi sur la route du Kharezm : l’armée y campa. Dans l’espace de 3 jours, un pont fut jeté sur le Jayhun, la moitié de l’armée fut chargée de garder le camp et les bagages, l’autre moitié se dirigea avec le Shah sur Karakul à une journée de Bukhâra. Abû al-Fâ’iz Khan, accompagné par les Sayids, les Ulamas, les religieux et les notables de la ville, vint y trouver le Shah auquel il offrit des chevaux de race arabe et des présents de haute valeur.
Il y eut une réception solennelle.
Abû al-Fâ’iz Khan se présenta devant Nadir Shah qui le fit asseoir et revêtir d’un vêtement d’honneur : on posa sur sa tête une couronne enrichie de pierres précieuses et, en lui parlant, on lui donna le titre de Shah. Abû al-Fâ’iz Shah demeura une nuit à Karakoul. Il obtint son congé et retourna à Bukhâra le lendemain. Nadir Shah leva le camp et vint à Char Bakr, à une demi fersakh de Bukhâra. Abû-l-Fâ’iz avait des filles d’une beauté remarquable. Nadir Shah épousa l’une d’elles, et il donna l’autre à son neveu Adil ‘Shah, fils de son frère Ibrahim Khan, en observant les règles et les formes en usage pour les unions royales. Il confia l’administration et le gouvernement du Turkestan à Abû al-Fâ’iz Shah. Il accorda le titre de Khan à Muhammad Rahim Bek, qui eut, en outre, le commandement de 6000 hommes d’élite levés dans le Turkestan. De Char Bakr, Nadir retourna à Charju. De là, il fit partir Adil Shah pour Mashhad avec le harem, et Rahim Khan avec ses troupes. Il leur enjoignit de passer par Merw Shahijan pour se rendre à la ville sainte de Mashhed. De Mashhad ils devaient marcher sur le Daghestan.
Pendant que Nadir Shah se trouvait à Charbekr, il avait, sur la demande d’Abû al-Fâ’iz Shah, envoyé à Ilbars, khan de Khiwa, un ambassadeur accompagné par deux Khoja du Jwïbar. Cette ambassade avait pour objet d’inviter Ilbars à se rendre auprès de Nadir Shah pour solliciter le pardon de ses fautes passées. Lorsque l’ambassadeur et les khwaja-s arrivèrent à la place forte de Khanqah et à Hazarasp, ils y trouvèrent Ilbars campé avec 20 000 cavaliers yomut, turkoman, qazaq et uzbeks. Le nombre de ses soldats l’avait rempli d’orgueil et de présomption ; il était en embuscade et disposé à couper la route.
Il prit connaissance de la lettre de Nadir Shah dont voici la teneur :
« Que Ilbars Khan, asile de la valeur, gouverneur de Khiwa, sache que : Grâce à Dieu, mon épée resplendissante m’a rendu maître de l’Iran jusqu’à Adem, Basrahet Mascate, des provinces du Khorassan, de l’empire de l’Inde, jusqu’à Jihan Abad, d’Ekber Abad, de Dehli, de Laknau, de Lahore, de Roumas jusqu’aux limites du Bengale, de Ky, de Bampour jusqu’aux extrémités de Serandib, de Jemu, de Kashmir, de Jisr Mir, de Tettèh, du Sind, de Thalpour, du Gujarat, du Maultan, de Chikarpour, du Kaboul, de Qandahâr, de Balkh, de Badakhshan, de Qunduz, de Khutan jusqu’aux frontières du pays des Kâfîr Siahpouch, de Bukhâra, de Samarqand et de la province de Farghana.
« Tous les grands personnages du siècle venus à ma cour ont incliné leurs fronts et tendu le cou en signe d’obéissance. Personne n’a pu résister à la puissance de mes armées, qui ont l’aide et l’appui de Dieu; j’ai été partout précédé par l’assistance céleste, et la fortune et le bonheur-ont accompagné mes pas. Lé Kharezm étant limitrophe de mon empire, il était nécessaire que son prince, asile de la valeur, se rendît sans tarder à mon étrier impérial, et revêtu par nous de riches habits d’honneur, il eût été distingué et glorifié parmi ses pairs et ses égaux. Il eût pu prendre part aux expéditions dans l’Inde, nous y accompagner et nous prêter son aide. Il ne l’a pas fait et il a été ainsi privé de nos largesses royales. Bien qu’il n’ait pas donné ces marques de soumission et d’obéissance, il était convenable, nécessaire et digne, lorsque nous nous sommes dirigés sur l’Hindustan, qu’il s’acquittât de ses devoirs envers notre héritier présomptif, notre fils aîné, le prince Riza Quli Mirza, resté dans la ville sainte de Mashhad. Il fallait qu’iï se conduisît à son égard en ami et en allié. Il ne l’a pas fait non plus. Bien plus, sans égard pour nous, il s’est mis, à plusieurs reprises, à la tête d’expéditions formées de Yomut pillards pour ravager et dévaster les environs de la ville sainte de Mashhad. Chaque fois, il a été battu, mis en complète déroute et obligé de revenir en désordre à Khiwa.
Riza Quly Mirza, l’objet de notre plus chère affection, ne s’est point ému et il n’a pas fait marcher sans notre ordre des troupes sur le Kharezm. Aujourd’hui, revenu de l’Inde, accompagné par la victoire, l’assistance divine et le bonheur, nous nous sommes rendu pour être son hôte et jouir de sa présence, auprès du souverain ami Abû al-Fâ’iz Khan, le plus illustre rejeton de la famille de Jinghiz et que je vénère comme un père. Il nous a traité avec la déférence due à un hôte et avec les plus grands honneurs.
« Il fallait que ce chef militaire à courte vue, que cet étourdi sans dignité se rendît à notre cour. Ses fautes passées lui auraient été sans doute pardonnées et il aurait été traité en voisin. Il aurait eu sa part des marques de notre Bienveillance royale et il en aurait été honoré.
Nous nous imaginions que, grâce au court séjour que nous faisons dans les environs de Bukhâra, il viendrait à résipiscence, qu’il témoignerait du repentir de sa conduite inconvenante et qu’il épargnerait à son pays le pillage et l’effusion du sang musulman.
« Mais, nous avons appris que trois mille Yomut s’étaient dirigés sur Sharju pour prendre cette ville par surprise. Un corps de nos troupes, instruit de ce dessein, les a anéantis par une seule attaque et les a dispersés comme les étoiles de la constellation de la grande Ourse.
Le plus grand nombre de ces Turkoman a été tué ou fait prisonnier, le reste n’a pu qu’avec mille peines gagner une retraite sûre. Ce fait a provoqué notre indignation et notre, colère, mais Sa Hautesse Abû al-Fâ’iz Shah, que je considère comme un père, a intercédé avec instance auprès de nous et nous a calmé. Aujourd’hui, mon ambassadeur accompagné par deux personnages qui jouissent de la confiance d’Abû al-Fâ’iz Shah s’est mis en route pour vous rejoindre.
« Tu te rendras, sans hésitation et sans retard, à notre cour qui a la puissance du firmament. S’il plaît à Dieu, tu recevras encore des marques de ma bonté royale : sinon, apprête-toi à recevoir notre visite. Notre volonté est que dans ce cas, ton pays misérable soit foulé par les sabots de nos chevaux et que ta tête pleine de malice et de méchanceté soit, comme un anneau, suspendue au gibet.
Vers : « L’obstination réalise cette parole : C’est l’obstination qui détruit les maisons les plus anciennes. Salut ! » :
Lorsque Ilbars lut la lettre royale il entra dans une violente colère et, inconsidérément, sans que rien pût justifier un pareil acte, il donna l’ordre de mettre à mort les trois ambassadeurs. Une pareille conduite n’est autorisée par Madhab ! Ce fut l’acte d’un homme à courte vue, en proie à la folié et ne reculant devant aucun crime !
Quand cette nouvelle parvint à Nadir Shah, il divisa son armée en élus corps ; il fit passer le Jayhûn à l’un d’eux pendant que l’autre, le plus considérable, avec sa grosse artillerie et son artillerie légère suivit le bord du fleuve que descendirent des bateaux chargés d’approvisionnements.
Cette armée, aussi nombreuse que les fourmis et les sauterelles, se dirigea vers les états du présomptueux Ilbars.
Elle arriva près de Hazarasp, place forte située sur le bord du Jayhûn, Ilbars s’y était solidement établi, Nadir Shah donna ordre de dépasser Hazarasp sans rien tenter contre cette ville et de se diriger contre Khantah : Ilbars, informé de ce mouvement, sortit de Hazarasp et se jeta précipitamment dans Khanqah, L’armée persane investit cette placé et se mit à la canonner. Au bout de 3 jours Ilbars et la population de la ville demandèrent à capituler. Nadir Shah leur fit grâce et interdit le pillage à ses troupes,
Ilbars se présenta le sabre et le linceul au cou devant le shâh qui l’accueillit avec distinction ; mais les enfants des Khwaja du Jwibar que Ilbars avait mis à mort se portèrent comme accusateurs, en demandant quelle était la secte religieuse qui autorisait le meurtre d’un ambassadeur.
« Nous réclamons, dirent-ils, conformément à la loi divine, le sang de nos pères. »
Il fallut se conformer aux prescriptions de la loi ; la mort de Ilbars fut jugée nécessaire et il fut exécuté avec 21 de ses principaux officiers.
Ilbars capitula a Khânqah : à l’approché dé Nadir, ce prince avait fait appel aux Qâzâqs et aux Uzbeks du nord du Kharezm, dont le chef Abû-l-Khayr Khan s’était jeté dans Khiwa ; les canaux et les ponts avaient été rompus et les abords de la ville inondés. Aboul Kheïr Khan s’échappa de la ville avant l’arrivée de l’armée persane qui investit la place malgré les difficultés que lui opposait un terrain couvert d’eau.
Khiwa se rendit après quelques jours de siège. Deux facteurs de la Compagnie anglaise du commerce avec la Russie, MM. Thomson et Hogg, se trouvaient dans la ville et furent conduits devant Nadir Shah, qui leur rendit la liberté et leur accorda la permission défaire le commerce dans ses Etats.
Nadir Shah confia le commandement de la ville de Khiwa à Abû Tahir Khan et rendit la liberté à 10 000 esclaves persans qui s’y trouvaient prisonniers. Il leva dans le Kharezm 6000 soldats qu’il plaça sous le commandement du prince Nasr Allah Mirza. Il s’éloigna ensuite de la province de Khiwa et revint à Sharju. Il renvoya à Abû al-Fâ’iz Shah sa fille qu’il avait épousée, et lui donna un pouvoir absolu sur tout le Turkestan : il laissa aussi à Bukhâra quelques canons et retourna à Mashhad par la route de Marw.
Il se reposa pendant quelques jours dans cette ville des fatigues de son expédition, et il prit ensuite la route de la Perse pour se rendre dans le Mazandaran. Dans une forêt de cette province, un cavalier nommé Nik Qadem, au service de Hezarèh Muhammad Khan de la tribu de Taïmeny, fraction de tribu des Aïmaqs de Hérât, tira un coup de fusil sur Nadir. Ce jour-là Riza Quly Mirza était sorti à cbeval en compagnie de Hezarèh Muhammad Khan. Cette circonstance fit naître le soupçon et le doute dans l’esprit de Nadir Shah ; il donna l’ordre d’arrêter son fils et d’exécuter Muhammad Khan. Nik Qadem, saisi dans sa maison, fut mis à la torture ; on lui demanda au milieu des tourments :
« Qui t’a donné l’ordre de commettre le crime dont tu t’es rendu coupable ? » Il répondit, en appuyant ses paroles d’un serment :
« Personne ne m’a donné d’ordre ; j’ai voulu délivrer de ta tyrannie les créatures de Dieu. »
Quel châtiment t’infligerai-je ? » lui demanda Nadir Shah
« Crève-moi les deux yeux, » s’écria Nik Qadem, « j’avais avec mon fusil visé le milieu de ta poitrine ; mes yeux ne m’ont pas Bien servi, la balle a dévié et n’a point frappé le roi. »
On lui creva les yeux. Quelques jours après on infligea le même supplice à Riza Quli Mirza.
Nadir Shah ne tarda pas à s’en repentir, il devint hypocondriaque et sa raison s’altéra. Dans chaque ville mille maisons se fermèrent par suite du meurtre des chefs de famille, mis à mort dans les supplices et dans les tortures.
A son retour de l’expédition de Daghestan, il se rendit à Ispahan. Des révoltes éclatèrent en plusieurs endroits. Le Saystan se souleva d’abord : Adil Shah y fut envoyé avec une nombreuse armée pour le réduire. Taqi Khan de Chiraz et d’autres seigneurs se révoltèrent aussi.
Nadir Shah, l’esprit troublé, se dirigea vers Mashhad ; il reçut à ce moment une lettre d’Abû al-Fâ’iz Shah qui lui apprenait que Ibad Allah Uzbek, venant de Ferghana et de Tashkend, avait pillé Samarqand, les Miankal (de Mian-Qalaa, médiane, Karmina, Penj-shambê, Zia Ad-Din, Katta Qurghan et Shalaq) et s’était avancé jusqu’au tombeau de Shah Naqshband à 1 farsakh de Bukhâra ; il demandait un prompt secours.
Nadir Shah fit partir pour Bukhâra au secours d’Abû-l-Fâ’iz 12 000 hommes d’élite commandés par Hassan Khan Beyath (tribue turkmen-iranienne) et Behboud Khan Jindawl (officier d’arrière garde). Lorsque les troupes persanes entrèrent à Bukhâra, Ibad Allah effrayé battit en retraite vers Tachkend, et l’armée se mit à sa poursuite.
Nadir Shah autorisa, en outre, Muhammad Rahim Khan Mangit, à se diriger sur Bukhâra avec ses troupes pour venir en aide à l’armée persane. Muhammad Rahim Khan nourrissait depuis longtemps, sans pouvoir l’accomplir, le désir de retourner à Bukhâra ; il pouvait aujourd’hui le réaliser sans chercher un prétexte et il marcha sur cette ville avec ses troupes, en prenant la route de Marw.
Après son départ, les tribus de Ghûz, de Chinaran, et de Kouhmich du Khorassan se mirent en état de rébellion.
A cette nouvelle, Nadir Shah fut transporté de fureur : il partit de Mashhad pour se rendre à Chinaran et y châtier ces tribus kurdes (colonies safavides de frontière). Il faisait mettre à mort les habitants de toutes les localités où il s’arrêtait, qu’ils fussent coupables ou innocents. Arrivé à Khabouchan, il y établit son camp. Là il acquit la conviction que les Persans avaient le dessein arrêté de se mutiner et de se révolter. Il cessa de leur accorder confiance, et il se mit à témoigner une Bienveillance et des égards marqués aux Afghans et aux Uzbeks.
Il avait même formé le projet de faire massacrer un matin tous les Persan s qui l’entouraient. Ceux-ci, informés de ce projet, dirent: « Il faut porter remède à l’événement avant qu’il ne se produise ! »
Bref, 80 conjurés (le chef du complot était Muhammad Khan Qajar Erivany) se mirent d’accord et, pendant une nuit obscure, ils se présentèrent devant la tente du harem royal. 70, saisis de crainte, restèrent en arrière. Salih Muhammad Khan, membre de la tribu du roi et son premier chambellan, se précipita dans la tente le sabre à la main. Nadir Shah, en le voyant, lui demanda grâce. Salih Muhammad Khan ne lui donna pas le temps de se reconnaître et lui abattit la tête d’un coup de sabre. Cette tête qui s’élevait jusqu’aux cieux, roula dans la poussière de l’avilissement.
Vers. « C’était une tête qui, le soir, avait le désir de tout détruire : le matin, le corps n’avait plus de tête, la tête n’avait plus de couronne. Une seule révolution de la roue du firmament azuré a suffi pour faire tomber dans le néant et Nadir et ses partisans. »
Les Afghans d’Ahmed Shah, après la mort du roi, pillèrent le camp et se retirèrent à Qandahâr ; les Uzbeks regagnèrent Bukhâra, Balkh et le Kharezm.
Nadir Shah fut assassiné le 23 juin 1747
Muhammad Rahim Khan arrivé à Sharju, y apprit la mort de Nadir Shah et la révolte des Persans ; il tint cette nouvelle secrète et arriva à Bukhara après 2 journées de marche. Il se rendit, encore couvert de la poussière de la route, au palais d’Abû-l-Fâ’iz Shah, et lui demanda une entrevue. Ses troupes entrèrent dans le palais en même temps que lui, Abû-l-Fâ’iz se rendit à la salle d’audience, Muhammad donna immédiatement l’ordre de l’arrêter et de le conduire hors du palais. Muhammad Rahim Khan s’empara du trône et fit battre le tambour en ligne de souveraineté: Il confisqua le trésor d’Abû-l-Fâ’iz. Celui-ci, accompagné seulement de quelques personnes ; dépourvu de toute ressource et sans provisions de route, se réfugia dans le quartier des Khwaja du Jwibar pour se réunir à ses parents et conférer avec eux ; mais ceux-ci, par crainte de Rahim Khan, ne voulurent pas lui accorder l’hospitalité même pendant une seule nuit.
Abû al-Fâ’iz, privé de tout, sortit de la ville par la porte de Nâmâzgâh, se retira au couvent de Qalendar Khâna.
Il pria Rahim Khan de vouloir Bien lui accorder la somme nécessaire pour entreprendre le pèlerinage de la Mecque. Il s’arrêta quelques jours à Qalendar Khâna.
Dans cet intervalle, la nouvelle arriva de Samarqand que Hassan Khan et Behboud Khan avaient défait et taillé en pièces l’armée d’Ibad Allah, tué ce chef, et qu’ils revenaient couverts de gloire et ignorant l’assassinat de Nadir Shah.
Rahim Khan avait l’esprit assiégé de préoccupations : « Je suis, se disait-il, un simple Uzbek, devenu possesseur de ce royaume dont Abû al-Fâ’iz Shah était le souverain ; je l’en ai dépouillé et il est aujourd’hui hors de sa capitale, abandonné à lui-même. Plaise à Dieu que l’armée persane, à son arrivée ne le prenne point sous sa protection. »
Il donna donc l’ordre d’enlever Abû al-Fâ’iz du Qalender Khâna et de l’emprisonner dans une cellule de la Madrasa Mir Arab à Pay Minar( fondé en 1526, 80 cellules recevant 3,5 tilla (56 fr) sur les Awqaf)
Au bout de quelques jours, l’armée persane chargée de butin et apportant la tête d’Ibad Allah, déboucha aux environs de Bukhâra : elle apprit que Rahim Khan s’était emparé du pouvoir et qu’il avait emprisonné Abû al-Fâ’iz Khan. La conduite de Muhammad Rahim Khan excita l’indignation et la colère des Persans. « Nadir Shah est vivant, disaient-ils, pourquoi Muhammad Rahim Khan a-t-il emprisonné le père de la femme du roi ? Il faut qu’il fasse sortir de prison Abû al-Fâ’iz Shah et qu’il manifeste son repentir des mauvaises actions qu’il a commises ; sinon nous emporterons la ville de vive force et nous massacrerons Muhammad Rahim Khan et tous les habitants. »
Celui-ci expédia une lettre pour leur faire savoir que Nadir Shah avait été tué.
« Rentrez en vous-mêmes, disait-il, et retournez sains et saufs dans votre patrie. Ne commettez ; point d’actes insensés ; si vous venez à dire que Muhammad Rahim Khan est Uzbek, et que, à ce titre, il n’est point digne de la royauté, réfléchissez à ce qu’était Nadir Shah qui a dépouillé et fait prisonniers tant de rois. »
Toutes les démarches de conciliation et tous les conseils de Rahim Khan furent repousses par les Persans qui investirent la place, Rahim Khan se décida alors à envoyer secrètement un émissaire aux Afghans Ghiljaïy, qui se trouvaient au nombre de 1500 dans le camp persan.
« Nadir Shah est mort, leur fit-il dire, sa puissance s’est écroulée. Votre patrie est Qândahâr, mais Nadir Shah en a donné les terres aux Afghans Abdâli ; vous êtes maintenant des exilés. Grâce à Dieu, Bukhâra est la mine de la science et de l’islamisme ; je vous donnerai des propriétés, des Biens, des femmes et une solde. Établissez-vous à Bukhâra. »
Les Ghildjaïs réfléchirent sur ces offres qui étaient sincères. Ils acceptèrent dans la même nuit ces propositions et, d’après les ordres de Rahim Khan, ils entrèrent a Bukhâra, par la porte de Qibla Gâsh sous la conduite de ‘Abd al-Hay Khwaja. Cette même nuit Rahim Khan fît mettre à mort Abû-l-Fâ’iz.
Le lendemain matin , les troupes persanes apprenant la défection des Afghans et le meurtre d’ Abû-l-Fâ’iz, furent convaincues de la mort de Nadir Shah. Les chefs persans conclurent la paix avec Rahim Khan ; ils lui abandonnèrent leur parc d’artillerie, leurs belles tentes, leurs gros bagages.
Rahim Khan, de son côté, les combla de cadeaux et de présents. Les Persans prirent la route du Punjab de Balkh et se dirigèrent sur Endkhou/Mashhad et Nishâpûr. Hassan Khan Beyath s’empara de Nishâpûr ; ses enfants y sont restés indépendants jusqu’à ces derniers temps ; aujourd’hui Feth ‘Alî Shah a affaibli leur puissance. La tente que Hassan Khan avait donnée à Rahim Khan existe encore aujourd’hui (1232-1816).
Rahim Khan devint donc le maître absolu du Turkestan.
RAHIM KHAN
Abû-l-Fâ’iz avait laissé un fils nommé ‘Abd al Mûmin ; Rahim Khan lui fit épouser sa fille. Il était âgé de 12 ans.
Un jour ‘Abd al Mûmin se présenta devant elle portant un melon dans son mouchoir.
« Qu’as-tu dans ton mouchoir ? » lui demanda-t-elle. « La tête de ton père que je viens de mettre à mort, répondit-il, car il a tué le mien et il s’est emparé de ses Etats. »
La jeune femme raconta ce qui venait de se passer à son père qui en garda rancune à ‘Abd al Mûmin et se dit :
Distique. « Le louveteau finira par devenir loup, Bien qu’il ait grandi au milieu des hommes.. »
Au bout de quelques jours, Rahim Khan fit conduire ‘Abd al Mûmin en partie de plaisir auprès d’un puits nommé Sharkh-Ab. ‘Abd al Mûmin, penché sur le bord du puits, en regardait le fond, lorsque les personnes qui l’accompagnaient l’y précipitèrent comme Yûsuf. Quand on l’en retira, il avait cessé de vivre.
Rahim Khan confia le gouvernement du Miankal à son oncle DamaiBay. Il s’empara de Shahr-i-Sabz, de Hissar (1), de Koulab(2), de Khojend, de Tashkend, de Turkestan (3) et d’autres villes. Il épousa la fille d’Abû al-Fâ’iz Khan. Il avait des relations amicales avec Ahmed Shah souverain de l’Afghanistan. Il accorda aux gens de la tribu de Ghildjaï qui avaient déserté le camp persan et qui étaient entrés à Bukhâra, des propriétés, des pensions et des emplois. Aujourd’hui (1233-1818) leurs fils et leurs petits-fils existent encore; les uns ont des emplois civils, les autres des emplois militaires. Ils sont Pançad bachi (cinq-centurions), Yuz bachi (centurions), Penjah bachi (cinquanturions) et Deh bachi (décurions).
Rahim Khan ne laissa point d’enfants. Étant allé avec son harem à là ville fortifiée de Ghidjuwân (4) visiter le tombeau de Khwaja Abd al-Khaliq, il retenait la nuit précédé par des mâchais (torchés) et rentrait dans la ville en grande pompe, lorsque tout à coup son oreille fut frappée par la voix d’un derviche qui chantait ce distique :
Vers. «La fumée des mâchais s’élève devant toi, et derrière toi les opprimés exilaient leurs soupirs. L’existence des habitants de ce monde ne dure pas plus de 5 jours. »
Malgré toutes les recherches, on ne put retrouver ce derviche.
Rahim Khan devint triste, mélancolique, et il tomba malade. N’ayant pas d’enfants mâles, il désigna pour son successeur son oncle Danial Bay, Il fut enterré dans la rue de la porte de Mazâr.
(adopté dans son ênfànçe parle prophète Khizr (Ëliê), leçons spirituelles de Youssouf Hamdany dont il fat l’an dès quatre khâlifèhs Ou successeurs)
Son ministre était Dawlet Bay, esclave d’origine persane, homme de ressources et plein de bonnes qualités. Sayid Nizam ad-Din était un personnage ignorant qui s’était attaché au service de Rahim Khan lorsque celui-ci était allé en Perse ; c’était un homme d’un caractère agréable et plein de finesse qui ne quittait jamais Rahim Khan. Lorsque celui-ci fut maître de Bukhâra, il fit de Nizam ad-Din le qadi l-qûdât (IIIè faqih après le shaykh al-Islam, le Naqib al-Ashraf et le Qadi ‘Askar) de la ville. Il se rendait toujours en grande pompe à l’audience royale. Au moment de mourir, Rahim Khan recommanda particulièrement à Danial, Dawlat Bay et le Qadi al-Qûdât.
Rahim Khan laissa deux filles qui eurent deux fils ; il avait régné 12 ans. Sa manière de vivre rappelait, par son luxe, celle des Persans.
Rahim Khan, grâce aux soins de Dawlet Bay, Qush Begi, régit Bukhâra, Samarqand, le Miankal jusqu’à Qarshi, Khazar, Kerki, Charju et autres villes ; mais Shahr-i-Sabz, Hissar et Tashkend échappèrent à sa domination. Ses affaires privées et l’administration de l’Etat étaient toutes entre les mains de Dawlat Bay.
III. DANIAL BAY.
Danial Bay était fils de Khoudayar Bay, Mangit, Uzbek
Shah Murad Bay était fils de Danial Bay (2), dont les autres fils étaient :
Mahmoud Bay : à la mort de son frère Shah Murad, il s’enfuit à Khoqand par crainte de l’Amir Haydar ; il est encore aujourd’hui vivant (1818).
Omar Bay et Fazil Bay : ils furent mis à mort avec leurs enfants par Amir Haydar Tûrah.
Sultan Murad Bay : il se rendit en pèlerinage à la Mecque et mourut à Mascate.
Des scrupules religieux ne permirent pas à Danial de prendre le titre de khan. Il se contenta de celui d’Ataliq, et plaça sur le trône Abû-l-Ghazi Khan, descendant de Jenghiz et Seyid par sa mère.
Rustam Bay il mourut à Boukhâra,
‘Alî Bay : il est vivant aujourd’hui (1233-1818).
Rajab ‘Alî Bay : Il est privé de sa raison et mène une existence déréglée.
Tukhtûmish Bay il est mort à Kaboul sous le règne de Timûr Shah ; son corps a été rapporté à Boukhâra.
Difvioh Bay : il embrassa la vie; ascétique. Ce fut un pir lonnâfé d’une grande dévotion ; il mourut à Boukhâra.
Danial Bay n’avait point assez de résolution pour s’affranchir promptement de toute influence. Le QQ et Dawlat Qush Begi s’unirent l’un à l’autre.
Le qadi se rendait avec un qâlian au palais du prince. L’usage de fumer le qalian, à la manière des Persans se répandit dans la ville et dans les bazars. Lés choses en vinrent même au point qu’une maison de débauche était publiquement ouverte et fréquentée à Kafir Rubat, Le lieutenant de police et les Râ’is n’avaient pas le pouvoir de réprimer ces excès.
Shah Murad Bay, dont l’intelligence et la science condamnaient ces actes contraires à la loi religieuse, réfléchissait, constamment au moyen de les faire disparaître. Il se fendit auprès du cheikh Sefer, l’un des cheikhs les plus considérables de la ville, dont la sainteté était attestée, par des miracles et qui, voué à une haute dévotion, pratiquait scrupuleusement les préceptes divins. Il lui témoigna le désir d’être un de ses disciples. Le cheikh lui répondit :
« Tu es le fils d’un tyran, comment pourrais-tu avoir la force d’accomplir les bonnes oeuvres et de suivre les ordres des cheikhs ? »
L’Amir Shah Murad Bay s’engagea par serment à exécuter tout ce qui lui serait commandé. Le cheikh lui intima l’ordre de renoncer à la pompe et au luxe qui l’entouraient, et d’exercer pendant, quelques mois le métier de portefaix pour s’humilier et pour s’avilir aux yeux de la population :
« Alors, lui dit le cheikh, je t’accepterai comme disciple et je te traiterai avec considération. »
Shah Murad prononça un divorce irrévocable avec ses passions et ses désirs, avec le luxe et les Biens de ce monde revêtit des habits grossiers et se mit à exercer dans le bazar la profession de portefaix et à louer ses services.
Danial Bay en fut informé ; il le fit venir devant lui pour lui prodiguer ses conseils :
« Abandonnez, lui dit-il, une pareille conduite, elle est pour nous un sujet de honte. Je vous ferai donner par le trésor tout ce qui vous sera nécessaire. »
« Vous êtes un homme ignorant, répondit Shah Murad à son père ; dans cette ville qui est l’asile de la science et de l’islam, il se commet un grand nombre d’actions honteuses. Vos enfants oppriment et molestent les musulmans ; ils se livrent à leurs passions et à leurs vices et vous ne vous y opposez en aucune façon. Dawlat Qush Begi, qui n’est qu’un esclave, est devenu le maître de l’Etat. Le Qadi ne craint point de commettre des actes blâmables ; moi, je n’ai pas la force d’être témoin de pareils excès et j’ai choisi, pour ma part, le coin de la pauvreté et de la mendicité »
Danial Bay reconnaissant que tout ce que lui disait son fils était vrai, ne put s’opposer à sa conduite, et il le laissa vivre comme il l’entendait’.
Chili Murad Bay vécut ainsi pendant une année. Au bout de ce temps, le cheikh Safar l’agréa comme son disciple : il était très assidu aux leçons pour acquérir la science, et son temps était entièrement consacré à la fréquentation des Ulama, Toute la population accourait à sa demeure qui se trouvait à Pal Chenar.
Un jour, dans une entrevue secrète avec son père, il lui exposait que Dawlat Qush Begi était devenu le maître de l’Etat :
« Il fait peser son pouvoir sur vous et sur nous, il nous traite comme ses subordonnés et c’est lui qui nous remet, à vous et à moi les sommes qui nous reviennent.
Quel remède, disait-ils peut-on apporter à cette situation ? »
« « Je là comprends aussi bien que vous, répondit Danial, mais je ne vois pas le moyen d’en sortir. » —
« LeTemèdê est facile, répliqua Shah Murad Bay, et je mènerai tout cela à bonne fin. »
Dânial Bay garda le silence.
Quelques jours plus tard arrivèrent des ambassadeurs de Khoqând, Une nuit Shah Murad Bay fit appeler Daoulet Bay pour s’entendre avec lui sur la conduite à tenir à l’égard de ces ambassadeurs, Daoulet Bay, sans rien appréhender et sans rien soupçonner, se rendit à la résidence de Murad Bay.’
Lorsqu’il voulut entrer dans la salle d’audience réservée, il fut accosté par des bourreaux qui, avec leurs couteaux, lui ouvrirent le ventre. La nouvelle du meurtre de Dawlat Bay se répandit aussitôt dans Bukhâra. La population se trouva délivrée de sa tyrannie. Tous ses Biens et toutes ses richesses furent confisqués, et Danial Bay remit les rênes du gouvernement aux mains capables de cet émir équitable (Shah Murad Bay).
Pour en revenir au Qadi l-Qûdât, lorsque Shah Murad Bay exerçait le métier de portefaix, Danial se plaignit de son fils au Qadi :
« Je ne sais, disait-il, mais il est devenu fou. Il exerce dans le bazar le métier de portefaix et il porte les sacs de charbon ; il nous couvre de honte ; que faut-il faire pour l’en empêcher ? »
Le Qadi redoutait, de son côté, Shah Murad Bay qui, à plusieurs reprises, l’avait humilié dans les réunions, et avait voulu l’empêcher de fumer le Qalian ; le Qadi lui avait résisté, mais il conservait toujours des appréhensions. Quand Danial Bay lui parla de Shah Murad, il lui répondit :
« Grâce à Dieu, tu as des enfants parvenus à l’âge d’homme, qui possèdent l’intelligence et toutes les qualités. Prive de la virilité ce fou qui est pour l’Etat une cause de honte et d’opprobre. »
Ces paroles firent une mauvaise impression sur le coeur de Danial, mais il ne répliqua rien. Elles parvinrent cependant aux oreilles de Shah Murad qui épiait toujours une occasion favorable.
Une année se passa après le meurtre de Daoulet Bay. Le Qadi était toujours sous l’empire de la crainte ; il ne cessait de prier Danial Bay de le recommander à la Bienveillance de Shah Murad.
Danial Bay disait en secret à celui-ci :
« Le Qadi est un ancien serviteur, traitez-le avec considération, donnez-lui toute sécurité. »
Shah Murad répliquait :
« Si le Qadi renonce aux actions qui sont défendues par la loi, sans aucun doute, je le traiterai avec la distinction due à sa noble naissance. »
Le Qadi n’abandonnait point l’habitude de fumer le Qalian, et Bien qu’il y eût depuis longtemps des raisons d’inimitié entre lui et Shah Murad, celui-ci ne mettait en avant que le prétexte du qalian.
Une nuit, Shah Murad ordonna à quelques-uns de ses serviteurs de se saisir du Qadi et de ramener bon gré mal gré in sa présence. Cet ordre fut exécuté et le Qadi fut conduit de force devant lui, Il trouva moyen de faire savoir à Danial Bay qu’il venait d’être arrêté et traîné chez Shah Murad Bay, Lorsque le Qadi entra dans la salle d’audience, Shah Murâd le traita avec considération.
« Je suis un vieillard; je suis votre esclave, lui dit le qazhi, si j’ai commis quelque faute envers votre famille.,, veuillez me la pardonner. »
– « Vous n’avez commis aucune faute, répartit Shah Murâd Bay, je vous ai fait appeler pour parler d’une affaire. »
Puis, sous un vain prétexte, il se leva et sortit. Des bourreaux qui étaient cachés et se tenaient aux aguets, se précipitèrent sur le malheureux Qadi et le mirent en pièces.
Lorsqu’arriva le messager envoyé par Danial Bay pour ordonner de sa part qu’on ne fît aucun mal au Qadi, celui-ci avait cessé de vivre.
La terreur et la crainte s’emparèrent du coeur des frères de Shah Murad Bay comme elles s’étaient emparées autrefois du coeur des frères de Yûsuf. Shah Murad s’appliqua à réprimer leurs écarts ; quelques individus, qui avaient été les complices de leurs iniquités, furent mis à mort. Ses frères, rentrant en eux-mêmes après la frayeur qu’ils avaient éprouvée, se tinrent en repos et s’abstinrent de toute action injuste et tyrannique. Shah Murad Bay fit disparaître toutes les filles publiques et ne toléra aucun des désordres qui sont condamnés par la loi. Bukhâra devint alors l’image du paradis. Danial Bay ne s’opposait à aucun des actes de son fils, qui avait pris en main toutes les affaires intéressant la population.
Danial Bay avait confié le gouvernement de Qarshi à Tukhtûmish Bay ; celui de Karmina (i) à Sultan Murad Bay. Au bout de quelque temps, Tukhtûmish Bay voulut se révolter contre son père. Shah Murad Bay réussit, par son savoir-faire et son habileté, à amener la soumission de son frère et à le faire venir à Bukhâra. On ne lui confia plus ensuite de gouvernement.
Au bout de quelque temps, Le Amîr Danial tomba malade. Sa maladie s’étant aggravée, il ordonna, lorsqu’il fut près de la mort, de faire venir, la nuit, au chevet de son lit, Shah Murad. Celui-ci se rendit auprès de son père, qui le désigna pour son successeur et lui fit quatre recommandations suprêmes. La première était de ne pas exiler ses frères et de ne pas les mettre à mort ; la seconde était celle de ne point donner en mariage les femmes qu’il laissait après lui ; la troisième était-celle de traiter avec considération et honneur Khwaja Sadiq, le chef de ses eunuques ; la quatrième était de donner à ses frères et à ses soeurs, sur ses Biens particuliers, une somme fixée selon les règles de l’équité. Enfin, il ordonna qu’on l’enterrât auprès du tombeau de Shah Naqshbend. Shah Murad jura, sur sa tête et sur ses yeux, de se conformer aux ordres de son père et il lui baisa la main. Une heure après Danial expira.
Shah Murad s’était rendu au palais royal accompagné par un millier d’hommes ; ses frères, qui en furent informes le matin, se dirigèrent tous vers le palais, mais on ne les laissa point passer. En voyant les soldats de Shah Murâd en bon ordre et bien armés, ils comprirent que leur père était mort.
On forma une grande assemblée, Shah Murad .prit la parol :
« O mes frères, notre.père est allé dans le sein de la miséricorde divine ; il m’a désigné pour son Successeur au trône ; mais vous, mes frères et tous les grands, qui êtes ici présents, vous savez quel est le meilleur parti à prendre ; donnez le pouvoir à celui qui en est le plus digne; je me rangerai à votre opinion. »
Tous s’écrièrent d’une seule voix :
« La succession au trône est votre droit ; personne, excepté vous, n’est digne du rang suprême, »
Shah Murad reçut ensuite de tous les personnages notables et de ses frères le serment de fidélité que chacun prêta isolément. Les assistants furent, chacun selon le rang qu’il occupait, traités avec la considération et les honneurs qui leur étaient dus. Tous les frères de Shah Murad étaient présents à cette cérémonie, à l’exception de Sultan Murad Bay qui se trouvait à Karmina. Les fonctions de Wazir furent données à Utkur Sufi, ami de Shah Murad et affilié à la même Tariqa que lui.
Danial Bay était un homme simple, incapable de ruse et de fausseté, plein de courage et de bravoure. On rapporte qu’Ahmad Shah lui ayant envoyé un éléphant, on fit paraître en sa présence cet animal qui le salua. Ses officiers lui firent remarquer que l’éléphant lui rendait hommage : « Que le salut soit sur lui », répondit Danial Bay.
Danial avait des relations pacifiques avec Gurgenj, Khoqand et avec Bairam Ali Khan, Chiite, qu’il appelait « mon enfant » lorsqu’il lui écrivait ; leurs rapports étaient fréquents. A l’époque de Danial Bay, Bukhâra était en pleine prospérité ; tout y était à bon marché. Il gouverna pendant 22 ans.
IV. SHAH MURAD II
Shah Murad Bay, fils de Dânial Bay Ataliq eut pour fils :
Amir Seyid Haydar Turah, qui fut son héritier présomptif et gouverneur de Bukhâra ; Pir Naur Bek, qui, du vivant de son père, était gouverneur de Marw, La crainte que lui inspirait son frère Haydar le détermina à se réfugier à la cour de Perse ; il se rendit ensuite à Constantinople ; il est aujourd’hui en Russie,
Muhammad Husayn Bek : après la mort de son père, il s’enfuit à Shahr-i-Sabz ; il s’y trouve actuellement.
Lorsque Shah Murad eut succédé à son père, tous ses efforts tendirent à donne plus de force à l’Islam et à en faire exécuter les prescriptions. Il honora particulièrement les Ulama. Il abolit tout ce qui était contraire à la loi religieuse. Toute sa conduite fut basée sur la justice et l’équité ; il exécuta les dernières volontés de son père, et il confia le gouvernement de Karmina à Sultan Murad Bay. Ses autres frères restèrent à Bukhâra.
Au bout d’une année, Tukhtûmish Bay, qui, de tous les enfants de Danial Bay, était celui qui avait le caractère le plus violent et le plus despotique, ne pouvant donner libre cours à sa prépolence et à sa tyrannie, laissa la haine et l’envie prendre possession de son coeur. Il résolut de faire tuer Shah Murad Bay. Il confia ce projet à quelques-uns de ses officiers, et ces gens pervers l’encouragèrent dans son dessein en lui disant :
« Si le Shah vient à disparaître, le pouvoir vous appartiendra de droit. »
Tukhtûmish avait un esclave nommé Feridûn : une nuit, à minuit, il se rendit au palais, suivi d’une troupe d’hommes armés. Il se tint en dehors et Feridûn, suivi de 3 personnes, entra dans la chambre à coucher de Shah Murad. L’Amir était plongé dans le sommeil. Feridûn tira son couteau et se dirigea vers Shah Murad ; l’obscurité ne lui permit pas de porter un coup assuré et, en frappant l’Amir, il lui fendit la figure depuis la bouche jusqu’à l’oreille. Feridûn pensa l’avoir tué. Shah Murad, en proie à la terreur, saisit sa barbe et l’appuya fortement sur sa poitrine pour protéger son cou. Feridûn n’eut point le courage de rester plus longtemps : il se précipita hors de la chambre. Les hommes de garde, dont l’attention avait été éveillée, arrivèrent avec des flambeaux et virent que, grâce à Dieu, la vie du prince ne courait aucun risque. Un chirurgien, appelé immmédiatement, recousit la partie blessée.
Feridûn, qui avait été reconnu par Shah Murad, revint auprès de Tukhtûmish :
« Qu’as-tu fait? » lui demanda celui-ci. « Je l’ai tué » répondit Feridûn.
« Si tu l’as tué, répliqua Tukhtûmish, où est sa tête ? »
« Je n’ai point eu le temps de la couper, » répliqua Feridûn. Les conjurés restèrent dans l’attente jusqu’au matin pour voir quelle nouvelle se répandrait hors du palais. Il ne s’y produisit aucun mouvement extraordinaire et Tukhtûmish comprit que Shah Murad n’avait point été tué. Il retourna .chez lui et y resta paisiblement, s’imaginant que personne neporterait ses soupçons sur lui !
 la pointe du jour, les émirs et les ministres arrivèrent au palais pour le Salâm. Le malheureux Shah Murad, pour tranquilliser les esprits, se rendit à la salle d’audience, la figure et la tête entourées de bandages. Feridûn et ses complices, ainsi que Tukhtûmish, furent immédiatement arrêtés. Le premier fut pendu, Tukhtûmish et.ses serviteurs furent exilés et conduits sous bonne escorté à Charjû sur la route de Marw.
« Sans la recommandation de mon père, dit Shah Murad, son crime eût été puni de mort. »
Aujourd’hui, Tukhtûmish s’est rendu à la Mecque. .
Au bout de quelque temps, Sultan Murad Bay se révolta.
Shah Murâd Bay envoya contre lui des troupes qui le battirent et le firent prisonnier ; il fut conduit à Bukhâra.
Shah Murad songea à s’emparer de Marw Shahijan et à se débarrasser de Bayram Ali Khan. Cette expédition était l’objet de ses constantes préoccupations. •
Lorsque Bairam ‘Ali Khan avait appris la mort de Danial Bay, il avait envoyé à Bukhâra quelques-uns de ses principaux officiers avec de riches présents et une lettre de condoléance . A Marw, il avait fait réciter le Quran et faire des distributions d’eau et de vivres pour le repos de l’âme de Danial Bay.
« C’était mon père, » disait-il, et il cherchait à vivre en paix et en sécurité. Mais Shah Murad Bay ne cessait de poursuivre son dessein. A la fin, il fit partir une expédition composée des Türkman des bords du Jayhûn et de 2000 cavaliers Uzbeks, pour piller et saccager Marw. Cette expédition donna le signal des hostilités. Il y avait 3 ans que Bayram ‘Ali Khan gouvernait Marw. Le nombre de ses cavaliers s’élevait à 1500 cents ; celui des Türkman qui pillaient et ravageaient étaient de 3000-4000. Bayram ‘Ali, semblable à un loup qui tombe sur un troupeau de moutons, tuait et faisait prisonniers tous ceux qu’il attaquait.
La mère de Bayram ‘Ali était une femme turkomane de la tribu de Salor et son père était Qajar.
Bayram Ali avait inspiré une terreur profonde aux Türkman. Jamais un pareil héros n’était né au milieu des Persans. A la fin, l’Amîr Shah Murad Bay se décida à employer la ruse. Il alla camper à Charjû pour attaquer Marw avec 6000 cavaliers Uzbeks.
Un Turkoman, espion de Bayram ‘Ali, se rendit à Marw pour lui donner la nouvelle que Shah Murad était venu à Charjû, sur le bord du fleuve Amû. Shah Murad Bay ne resta qu’une nuit à Charjû : il y laissa son armée, et accompagné seulement de quelques officiers, il retourna à Bukhâra. Un autre espion, qui accompagnait Shah Murad, le voyant rentrer clans son palais, courut à Marw et y fit savoir que Shah Murad n’avait pas eu le courage de se porter en avant, qu’il était retourné sur ses pas et rentré à Bukhâra. Cet espion était un personnage digne de confiance : Bayram ‘Ali ajouta foi à ses paroles et fut délivré de toute préoccupation. Shah Murad rentré dans son palais, y fit en public la prière du soir, puis il retourna à Charjû en doublant les étapes. Il arriva, après une marche forcée de nuit, dans les environs de Marw. Il fit cacher 4000 cavaliers dans un pli de terrain profond et il envoya 1000 cavaliers fourrager en avant.
La nouvelle de cette excursion parvint à minuit à Bayram ‘Alî. Il partit immédiatement. Sa mère essaya de l’arrêter en lui disant qu’elle avait fait un rêve de mauvais augure pour lui et qu’elle le priait de ne pas se mettre en marche avant le lever du jour. Bayram ‘Alî, sans écouter sa prière, fit sonner les trompettes et, à la tête de 150 cavaliers très-lestes, il se mit en marche pour couper la route de Bukhâra. Le reste de ses soldats prit un autre chemin.
Au point du jour, Bayram ‘Alî tomba sur les maraudeurs ennemis : il tailla en pièces tous ceux qu’il rencontra. Dans cet engagement ; on fit prisonnier Qara Khwaja, gendre de Shah Murad. Qara Khwaja demanda à être conduit devant le Khan, et lorsqu’il fut en sa présence :
« Je suis, lui dit-il, un des grands personnages de Bukhâra, je suis le gendre de Shah Murad, ajoutez foi à mes paroles. »
« Qu’as-tu à dire, » lui demanda Bayram ‘Alî?
« Ne vous portez pas en avant, lui répondit le Khwaja ; Shah Murad est posté en embuscade devant vous avec 6000 cavaliers déterminés vos soldats sont peu nombreux ; plaise à Dieu que vous ne soyez point la victime d’une catastrophe. Je suis maintenant prisonnier entre vos mains et je vous donne une preuve de mes bonnes dispositions. »
Les prières et les supplications du pauvre Khwaja ne furent point écoutées par ce maudit et cet infidèle.
« Tu mens, lui répondit-il, Shah Murad n’est point arrivé ! » et, d’un coup de sabre, il abattit la tête du Khwaja qui fut admis au nombre des martyrs.
Bayram ‘Alî se mit à poursuivre les fuyards : tout à coup, on vit apparaître 6 Tugh (, queue de cheval, millurie, sous les ordres d’un Tugh Sahibi) de six côtés, et la troupe de Bayram ‘Alî fut complètement enveloppée ; lui-même tomba frappé d’une balle. Un Pançad Bachi afghan lui coupa la tête. Les 150 hommes de Bayram ‘Alî demandèrent quartier et furent faits prisonniers. Sa tête fut envoyée à Bukhâra, où elle resta exposée pendant une semaine sur le lieu des exécutions. Un poète a dit à ce sujet :
Vers. —« La tête de Bayram ‘Alî est devenue la boucle d’oreille de la potence. »
Les environs de Marw furent complètement ravagés, et les têtes des cavaliers tués furent mises au pied de la potence, le cadavre de Bayram ‘Ali fut rendu a sa mère.
La bataille de Marw Shahijan eut lieu en 1785, Danial Bay mourut en 1788. Une paix illusoire eut lieu et Shah Murad retourna à Bôukharâ.
Bayram ‘Alî Khan eut trois fils : l’aîné Baji Muhammad Husayn était le Platon du siècle, c’était un homme plein de sagesse et de connaissances ; il demeurait à Mashhad.
Son second fils Muhammad Karim Khan, et le troisième, Mahdi Khan, résidaient à Marw, Muhammad Karim Khan succéda à son père.
Sept habitants notables de Marw avaient été faits prisonniers et conduits à Bukhâra où Shah Murad leur avait proposé de se convertir à l’islam sunnite. Ils avaient accepté cette proposition, et demandé ensuite avec instance à retourner à Marw pour conseiller à Muhammad Karim Khan de remettre la ville à Shah Murad :
« Et, ajoutaient-ils, nous vous obéirons et nous serons considérés comme vos autres sujets, » Shâh Murad fît donner à ces 7 notables, qui étaient chefs de tribu, des vêtements d’honneur, et il les fit partir pour Marw » Lorsqu’ils y furent arrivés, ils convoquèrent leurs parents et les membres de leurs tribus : « Nous n’avons pas le pouvoir leur dirent-ils, de résister aux soldats uzbeks, il vaut mieux que nous nous soumettions et que nous détournions de nos familles, de nos enfants et de notre pays, les calamités qui les affligent : nous sommes sans force ; nous n’avons aucun secours à attendre, nous n’avons point d’argent, nous ne pouvons compter sur rien. »
Les habitants de la ville se montrèrent disposés à accueillir ces paroles; ils firent entendre les mêmes conseils à Muhammad Karim Khan. L’hésitation et le désir de la paix dominaient tous les esprits. Karim Khan tint conseil avec son Wazir Muhammad Quli Khan. « Ces sept notables, dit ce dernier, ont été en captivité à Bukhâra ; la crainte de perdre la vie leur a fait embrasser le rite sunnite ; ils ont épousé les intérêts de Shah Murad Bay, et maintenant ils engagent la population dans une mauvaise voie. Il vaut mieux, dès aujourd’hui, se- débarrasser d’eux pour écarter toute cause de trouble et de discorde. »
Karim Khan agréa l’avis de Muhammad Quli Khan. On fit, un jour, appeler ces notables pour donner une conclusion à tous ces pourparlers. Ces vrais musulmans, ne soupçonnant aucune mauvaise intention à leur égard, se rendirent à la salle d’audience de Karim Khan. On discuta sur tous les points. Puis, Muhammad Karim Khan, invoquant un prétexte, sortit de la salle. Aussitôt une troupe d’individus armés de poignards et de sabres se précipitèrent hors d’une chambre où ils étaient cachés, et massacrèrent en un instant ces sept personnages, dont les maisons furent livrées au pillage.
Au bout de quelque temps, la population de Marw fatiguée de Muhammad Karim Khan, appela son frère Haji Muhammad Husayn, qui était à Mashhad. Celui-ci accourut en toute hâte à Marw. Karim Khan de son côté se retira à Mashhad. Haji Muhammad Husayn Khan se montra fort peiné du meurtre de ces gens de Bien : il fit périr sous le bâton Muhammad Quli Khan, à l’instigation duquel ce crime avait été commis. Haji Muhammad Husayn envoya un ambassadeur auprès de Timur Shah (pour solliciter son appui).
Shah Murad leva une seconde fois une armée et vint attaquer Marw. La ville est bien fortifiée et entourée d’un fossé profond ; il est difficile de s’en emparer en peu de temps.
Il y a aussi, sur la rivière, un barrage construit anciennement en pierres reliées par du bitume et de la chaux hydraulique.
Ce barrage est l’oeuvre du sultan Sanjar: il est protégé par une forte citadelle, ce qui ne permet pas de s’en rendre maître facilement.
Shah Murad, après avoir ravagé les environs de la ville, allait retourner à Bukhâra, quand le gouverneur du château qui commandait le barrage eût à se plaindre de Muhammad Husayn Khan. En voici la cause :
Il y avait à Marw une courtisane célèbre et d’une beauté remarquable, dont le gouverneur devint éperdument amoureux: il la fit sortir de la ville et conduire au château où il se livra à tous les plaisirs. Ce fait parvint aux oreilles de Haji Muhammad Husayn Khan qui fit partir des agents de police déterminés, avec l’ordre d’enlever de force cette beauté au corps de rose. Ces agents remplirent leur mission, traitèrent le gouverneur avec grossièreté et brutalité, et ramenèrent à Marw cette beauté semblable à la lune.
Le gouverneur, dans son désespoir, se débattait comme un oiseau à moitié égorgé, sans pouvoir trouver de remède à sa situation. Plein de colère et de haine, il fit tenir une lettre à Shah Murad Bay, par laquelle il lui offrait de se soumettre et de lui livrer le château qui protégeait le barrage. Cette lettre confiée à des marchands fut remise à Shah Murad Bay.
Cette nouvelle Mûsa la plus grande satisfaction et la joie la; plus vive. Accompagné par 4000 cavaliers jeunes et alertes, dont chacun était semblable à Rustem Ils de Uestan et à Sohrah, il parvint, après une marché de 4 nuits, au barrage de Marw. Le gouverneur se porta à sa rencontre et lui livra le .château. Le Amîr ordonna de couper les digues : en peu d’heures le barrage fut détruit et Marw se trouva privé d’eau. Le Amîr fit évacuer le château par ceux qui l’habitaient, le rasa après en avoir transporté la population à Bukhâra. Ce barrage est à la distance de 12 farsakh-s de Marw. Le manque d’eau ne permit aux habitants de Marw, ni de cultiver ni d’ensemencer leur terres. Ils furent en proie à la détresse, et la famine ne tarda pas à se faire sentir parmi eux,
Timour Shah envoya 5000 cavaliers pour défendre Marw, sous les ordres de Lashkari Khan Berdurani. On envoya aussi de Herât des approvisionnements de grains.
Ces mesures prolongèrent la résistance ; mais les malheureux habitants de la ville étaient dans une situation précaire et misérable.
Tant que le général afghan fut à Marw, Shah Murad s’abstint de toute incursion, mais il arriva un moment ou la brouille éclata entre le général Lashkari Khan et Muhammad Husayn Khan. Voici la cause qui la fit naître :
Lashkari Khan avait un fils nommé Khanjar Khan ; celui-ci devint amoureux d’une soeur de Haji Husayn Khan, qui était veuve. Ils donnaient l’un et l’autre cours à leur passion, sans se préoccuper des envieux. Mais Haji Muhammad Khan ne tarda pas à tout apprendre, il les épia et, ayant trouvé la porte sans être fermée à clef, il les surprit au milieu-de leurs ébats. Aveuglé par le ressentiment, il frappa ce jeune homme, dont la beauté égalait celle de Yûsuf, avec une telle violence qu’il expira en revenant chez son père. Haji Muhammad Husayn Khan fut tellement troublé en apprenant la mort de Khanjar Khan, qu’il ordonna aussitôt de faire mourir sa soeur.
L’atrocité de la conduite de Haji Muhammad Husayn Khan excita l’indignation de Lashkari Khan : il fit une proclamation à ses soldats pour leur ordonner de se préparer au départ, et il offrit aux habitants de la ville qui voudraient le suivre avec leurs familles de les conduire à Herât. Il repoussa toutes les prières qui lui furent adressées pour le faire revenir sur sa détermination. Bref, il se dirigea sur Herât avec ses troupes et plus de 2000 familles qui abandonnèrent Marw.
La situation des habitants de cette dernière ville ne fit ensuite que s’aggraver et devenir plus pénible. Haji Muhammad Husayn Khan ayant appris que son frère Muhammad Karim Khan, qui était à Mashhad, avait le dessein de se rendre à Bukhâra pour y faire sa soumission, il résolut de prendre les devants. Il s’empressa d’envoyer à Bukhâra quelques .personnages de distinction pour demander grâce et faire acte d’obéissance. Amir Shah Murad éprouva un grande joie de cette démarche ; il accueillit les envoyés avec Bienveillance et leur prodigua les présents et les cadeaux.
Ces envoyés revinrent à Marw, et Haji Muhammad Husayn Khan se rendit à Bukhâra porteur de .présents considérables et accompagné par les notables de la ville.
Shah Murad, pour leur faire honneur, envoya à leur rencontre, à la distancé de 2 journées de marche quelques-uns de ses officiers et ils firent à Bukhâra une entrée solennelle.
On assigna à Muhammad Husayn Khan, au Chahar-Bagh, une résidence digne de lui. Il s’imaginait qu’on lui rendrait le gouvernement de Marw. Quelques jours se passèrènt, puis Murad Shah lui proposa de faire venir sa famille à Bukhâra ainsi que quelques notables de Marw, pour que les deux partis fussent en toute sécurité » Haji Muhammad Husayn voyant qu’il fallait se soumettre, consentit à ce qui lui était demandé.
A la même époque, Muhammad Karim Khan arriva de Mashhad ; il fut reçu avec honneur.
Haji Muhammad Husayn Khan écrivit à Marw pour donner ordre a sa famille de venir le rejoindre sans que personne pût soupçonner son départ.
Shah Murad it alors partir secrètement 5000 cavaliers, auxquels il donna l’ordre d’entrer dans la ville après le départ de la famille de Haji Husayn Khan, 1000 hommes par 1000 hommes ; il leur prescrivit en outre de faire partir 5000 familles ainsi que les gens de Muhammad Husayn Khan, de Karim Khan et les notables de la ville. Ces troupes devaient tenir garnison à Marw et expédier, au bout de quelques jours, encore 2000 familles, afin qu’il n’en restât que 2000-3000 mille dans la ville. .
Lorsque les envoyés, porteurs de la lettre, de Haji Muhammad Husayn Khan, arrivèrent à Marw, on fit partir pour Bukhâra la famille de Bayrâm ‘Alî Khân, et celles de Haji Husayn Khan, de Muhammad Karim Khan et de Mahdi Khan. Les troupes entrèrent dans la ville par détachements de 1000 hommes sans éprouver de résistance. Les habitants de Marw furent transportés à Bukhâra, selon la résolution qui avait été prise, et il ne resta dans cette ville que 3000 familles sunnites et 2000 familles chiites.
Shah Murad nomma ses frères ‘Umar Bay et Fazil Bay, gouverneurs de Marw.
Le nombre des familles transportées à Bukhâra s’élève approximativement à 17 000 mille. Shah Murad devint ainsi le maître de la province de Marw qui perdit son ancienne prospérité. Le barrage qui fournissait l’eau fut rétabli.
‘Umar Bay et Fazil Bay gouvernèrent Marw pendant 2 ans. Au bout de ce temps, cédant aux suggestions des Türkman, ils se mirent en état de rébellion. Shah Murad fit alors partir des troupes de Bukhâra. Mais il ne put se rendre maître de la ville ; il s’empara de vive force du barrage, il rompit les digues et il retourna à Bukhâra.
Les causes qui ont amené la prise de Marw, l’attaque faite par les habitants de cette ville et la fuite de ‘Umar Bay seront expliquées plus loin.
Timur Shah, pour venger les habitants de Marw et s’emparer de la province, fit marcher une armée sur Balkh.
Amir Shah Murad leva aussi des troupes, mais on ouvrit des pourparlers et on finit par conclure la paix. L’origine de cette guerre a été racontée dans la vie de Timûr Shah.
Il n’est pas nécessaire d’y revenir.
‘Umar Bay, depuis quelque temps en état de révolte, voulut rançonner les habitants de Marw et prendre les Türkman à sa solde. Les habitants de Marw eurent vent de son dessein : ils se rassemblèrent au nombre de 1000 hommes de pied et ils attaquèrent le château où résidaient ‘Umar Bay et Fazil Bay. Après avoir fermé les portes de la ville pour empêeher les Türkman d’y entrer, ils investirent le château dont ils firent sauter la porte avec de la poudre, Omêr Bay ne put résister. Les habitants.de Marw avaient arrêté, dès le premier jour, 300 Boukhâriotes, soldats et civils, ainsi que le Qadi et le lieutenant de police. Ils attaquèrent ensuite le château. ‘Umar Bay demanda quartier et la permission de se retirer sans être inquiété avec ses enfants et Fazil Bay, par la porte du château qui s’ouvrait en dehors de la ville. Les habitants de Marw accédèrent a sa prière. ‘Umar Bay et Fazil Bay avec leurs familles sortirent de la ville et se rendirent à Shahri Sabz par la route du désert.
Après leur départ les habitants de Marw expédièrent à Bukhâra un courrier porteur d’une lettre dans laquelle ils protestaient de leur dévouement et faisaient connaître la fuite d’‘Umar Bay et de Fazil Bay.
Lorsque l’on ouvrit les portes de la maison où l’on avait enfermé les Bôukhâriotes, on n’en trouva qu’un seul vivant ; tous les autres avaient été suffoqués par l’excès de la chaleur ou étaient morts de soif.
Lorsque la lettre des habitants de Marw parvint à Shah Murad Bay, il approuva hautement leur conduite ; il fit partir Muhammad Amîn Sipèhsalar avec 5000 cavaliers et Bêdel Mirza qu’il avait nommé gouverneur de la ville.
Marw fut de nouveau occupée au nom de Shah Murad Bay.
Les enfants des Boukhariotes qui avaient péri obtinrent une fatwa établissant que leurs pères avaient été emprisonnés par les habitants de Marw, avec l’intention de leur donner la mort. Mais Shah Murad Bay répondit qu’ils étaient tous en état de rébellion et qu’on ne pouvait réclamer le prix de leur sang. Cependant on fît partir de Marw 1000 autres familles, que l’on établit à Bukhâra.
L’année suivante, Shah Murad Bay confia le gouvernement de Marw à son fils Din Nacir Bek, dont la mère est Qalmuq. Il lui donna comme Qush Begui son wazir Abd our Ressoul Bek, fils de Outkour Soufy. Le barrage de Marw fut rétabli.
La conduite de son frère Sultan Murad Bay ayant fait concevoir des soupçons à l’Amir, celui-ci l’exila de Bukhâra. Sultan Murad se rendit à Qandahâr en passant par Hérât, puis il se réfugia à Kaboul, auprès de Timour Shah.
La suite de ces événements sera racontée plus loin.
Amir Shah Murad eut 3 fils : l’aîné était Amir Haydar Tûrah, dont la mère, fille d’Abû al-Fâ’iz Khan, avait épousé en premières noces Muhammad Rahim Khan; après la mort de ce prince, elle était devenue la femme de Shah Murad Bay. Quand Amir Haydar fut arrivé à l’âge de raison, son père lai confia le gouvernement de Qarshi. Son second fils, Din Nacir, fut envoyé à Marw ; son troisième fils était Muhammad Husayn Bek.
Shah Murad faisait tous les ans une expédition en Perse d’où il rapportait beaucoup de butin. Pendant son règne, la loi religieuse était strictement observée ; Bukhâra était prospère, les savants y florissaient, les routes étaient sûres et les populations tranquilles et heureuses. II recherchait continuellement la société des Ulama et des pus lettrés.
Haji Muhammad Husayn Khan de Marw, craignant pour sa vie, vendit en secret toutes les propriétés que Shah Murad Bay lui avaient données et, ayant trouvé une occasion propice, il s’enfuit à Shahr-i-Sabz. De là, il se rendit à Khoqand, à Kaçhgâr, au Tibet, à Kâshmîr, et il arriva à Kaboul lorsque Zénian Ghâh y régnait. Il passa ensuite à Qandahâr et de là dans le Seïstan et le QouBaystan, provinces dépendant du royaume de Feth ‘Alî Shah Qajar, Son intelligence .et sa perspicacité lui firent accorder un rang élevé, II est aujôurd’hui à Téhéran. Tous ses enfants sont restés a Bukhâra.
Mehêmmed Kerkn Khan s’enfuit aussi de Bukhâra pour se réfugier à la cour de Perse. Ses enfants et ses petits enfants sont demeurés à Bukhâra,
L’Amir Shah Murad Bay montra beaucoup de bonté et témoigna beaucoup de Considération aux habitants de Marw et à la famille de Bayram ‘Alî Khan, Ceux-ci, satisfaits de leur condition, se convertirent au rite sunnite. L’arrivée des habitants de Marw à Bukhâra fit adopter de nouveaux usages.
L’Amir Shah Murad Bay commit une action qui fut désapprouvée et sévèrement blâmée.par les habitants de Bukhâra et par les Ulama. Voici ce qui provoqua ce mécontentement.
En l’année 1796, l’eunuque Aga Muhammad Khan Qajâr fit une expédition dans le Khôrassan, et s’empara de Mashhed. Shah-Rûkh l’aveugle, fils de Riza Quli Mirza, fils de Nadir Shah, résidait dans cette ville qui lui avait été concédée par le souverain afghan Ahmed Shah ; il y vivait, sans ambition. L’eunuque Muhammad Khan s’empara de sa personne. Il avait 16 fils ; le plus grand nombre d’entre eux se retira à Hérât, les autres prirent la fuite dans des directions différentes. Shah Roukh, qui n’avait point voulu quitter la ville, se porta à la rencontre de Muhammad Khan ; celui-ci, à peine entré à Mashhad, le fit saisir et appliquer à la torture et il s’empara de tous les trésors provenant de l’héritage de Nadir Shah. Shah Roukh mourut à la suite des tourments qui lui furent infligés (1).
Muhammad Khan exila dans le Mazanderan tous les serviteurs de Shah Roukh.
L’aîné des fils de Shah Roukh, nommé Nadir Shah, accompagné de ses frères Abbas Mirza, Qahraman Mirza, Imam Quli Mirza, Riza Quli Mirza et autres, arriva à Hérât, gouverné alors par le Shahzadèh Mahmoud, fils de Timour Shah. Ce prince leur témoigna la plus grande Bienveillance et les plus grands égards. Nadir Mirza désira se rendre à Kaboul auprès de Zéman Shah, avec ses frères et ses enfants.
Imam Quli Mirza et Haydar Mirza avec vingt de leurs serviteurs se réfugièrent à Bukhâra auprès de Shah Murad Bay. Ils écrivirent à ce souverain une lettre dont voici le sens: « Il est notoire pour tout le monde que notre aïeul « Nadir Shah n’a jamais fait le moindre mal à Bukhâra ; « il a comblé de Bienfaits et de marques d’honneur les Ulama et les religieux de cette ville. Il avait, épousé légalement une fille d’Abû al-Fâ’iz Khan : vous-même vous avez épousé une fille de cette famille, et elle vous a donné Amir Haydar Tourèli. Il y a donc entre nous des liens de parenté. Muhammad Rahim Khan, qui est votre oncle, est devenu le souverain, de Bukhâra par suite de la haute position qu’il avait auprès de Nadir Shah,, et, grâce à Dieu, la souveraineté est arrivée jusqu’à vous par droit héréditaire. Les personnes instruites savent aussi pertinemment, que notre aïeul Nadir Shah après avoir reconnu la vérité de la religion, faisait prospérer le rite sunnite et qu’il répudiait et qu’il voulait faire disparaître les doctrines chiites. Cette conduite excita les chiites à saisir une occasion favorable pour le tuer : ils l’assassinèrent à Khabouchan, localité du Kurdistan, ce souverain rempli de droiture. Nous aussi, nous avons toujours témoigné de la considération aux sunnites. Aujourd’hui, le misérable Muhammad Khan Qajar s’est, par la force et par la violence, emparé de nos Biens, il a mis notre père aveugle au nombre des martyrs.
« Quant à nous, nous avons abandonné nos demeures et notre patrie ; nous nous sommes enfuis pour chercher un refuge chez un peuple musulman. Le serviteur qui vous écrit s’est dirigé vers Kaboul avec ses frères, mais nous avons envoyé en qualité d’hôtes, auprès de vous, Imam Quly Mirza et Haydar Mirza, qui sont la prunelle de nos yeux et la force visuelle de la souveraineté. Nous espérons que vous voudrez Bien accueillir des étrangers avec Bienveillance et avec bonté, et que vous daignerez leur accorder le secours de vos troupes. Si la victoire nous favorisait, et si la ville de Mashhad était reconquise sur les Qajars, la monnaie serait frappée et la Khutba récitée au nom illustre de Votre Hautesse. Pour nous, nous vous obéirons et nous demandons à être comptés au nombre de vos serviteurs. »
Nadir Mirza, à son arrivée à Kaboul, fut Bien accueilli par Zéman Shah, qui lui accorda une pension et lui assigna pour résidence la ville de Pichâver.
Imam Quli Mirza, porteur de la lettre de Nadir Mirza et accompagné par le Shahzadèh Mahmoud, partit de Hérât en l’année 1797, et se rendit à Bukhâra en passant par Marwi Shahidjan. Murad Bay envoya à la rencontre de ces deux princes des émirs et ses ministres, et il leur fit faire une entrée solennelle dans la ville. On mit à leur disposition un palais dans le Paï Menar, et ils présentèrent à Shah Murad les cadeaux dont ils étaient porteurs.
Une année s’écoula : les deux princes voyant qu’il n’y avait à.attendre de Shah Murad Bay ni aide ni secours, lui demandèrent la permission “de retourner à Hérât. Shah Murad cherchait toujours des moyens dilatoires avec son ministre le Qush Begui Outkour, mais, vaincu par leurs instances, il leur accorda le congé qu’ils demandaient.
Il faisait partir à ce moment pour Marw 5000 cavaliers, sous le commandement de Muhammad Emin Topchi Bachi (1). Les Shahzadèhs se joignirent à Muhammad Emin, et ils arrivèrent ensemble sur les bords duJayhûn. Shah Murad Bay avait donné ordre de les faire noyer. Muhammad Emin les fit monter dans une barque délabrée, conduite par deux vieux bateliers qui avaient pour instruction de la faire chavirer. Arrivée au milieu du fleuve; elle se remplit d’eau ; les châhzadèhs virent qu’ils étaient les victimes d’une trahison; après quelques moments d’hésitation, ils aperçurent deux outres gonflées sur lesquelles ils se jetèrent et ils parvinrent ainsi avec mille peines à gagner le rivage du salut.
Muhammad Emin s’éloigna avec les serviteurs des princes ; il s’empressa d’écrire à Shah Murad Bay que les châhzadèhs n’avaient point été noyés et, levant son camp, il alla s’établir à Charjû, sur les bords duJayhûn, pour attendre les ordres de Bukhâra.
Après avoir reçu la lettre de Muhammad Emin, Murad Bay fit appeler le Thourèh Qazaq, petit-fils d’Ilbars Khan, gouverneur de Khiwa, qui avait été mis à mort par Nadir Shah. Il lui dit : « Ton aïeul a été tué par Nadir Shah ; ses enfants le doivent compte de son sang. Aujourd’hui, deux de ses petits-fils sont à Charjû; cours-en toute hâte, et tue-les pour venger le sang d’Ilbars. Je t’accorde en outre dix bourses prises sur leurs effets. »
Le Qazaq. qui ne cherchait que crimes à commettre, se rendit à Charjû et se cacha dans le château, dans la maison de Balta Quli Bek gouverneur de la ville. Au milieu du jour, les deux châhzadèhs furent invités à se rendre au château pour prendre part à un repas. En pénétrant dans la salle de Balta Quli Bek, ils connurent le sort qui leur était réservé. Ils se mirent à prier et à supplier, demandant avec larmes qu’on les épargnât.
« Nous sommes venus dans votre pays en qualité d’hôtes disaient-ils, vendez-nous comme esclaves ou Bien gardez-nous à Bukhâra ; nous ferons venir nos familles et tant que nous serons vivants, nous ne nous éloignerons pas de cette ville. Il est contraire à toutes les lois de l’humanité de massacrer un hôte. Grâce à Dieu, nous sommes musulmans, nous sommes sunnites. Que tous les musulmans nous servent de témoins ! »
Leurs supplications furent inutiles. Le Qazaq altéré de sang, les massacra à coups de sabre : un de leurs serviteurs fut aussi mis à mort. Leurs cadavres furent jetés dans le fossé du château, et le reste de leurs gens fut conduit à Bukhâra. Mais, plus tard, ils réussirent à s’enfuir séparément et à regagner leur patrie.
Cette même année, Muhammad Khan Qajar fut tué dans la ville de Chichèh, dans le Qarabâgh (1). Nadir Mirza, fils de Shah Roukh revint de Pichâver et rentra à Mashhad. Le commandant Qajar s’enfuit de cette ville et se retira à Téhéran. En apprenant à Mashhad le meurtre de ses frères, Nadir Mirza fut rempli de trouble et de frayeur; mais il n’avait aucun moyen de tirer vengeance.
La population et les Ulama de Bukhâra blâmèrent vivement l’assassinat des deux châhzadèhs. Ce crime fut comparé au meurtre de Siavush, fils de Kaykawus, qui s’était rendu dans le Turkestan en toute confiance et qui fut mis à mort par Afrassiab.
A la fin de sa vie, Amir ChâhMurad Bay vécut en mauvaise intelligence avec Amir Haydar Tûrah qui était gouverneur de Qarshi; il y avait entre eux une paix illusoire.
Pour en revenir au meurtre des fils de Shah Roukh, il faut l’attribuer aux rapports des espions qui avaient été chargés de surveiller leur conduite et qui affirmèrent que ces princes étaient adonnés au vin et qu’ils se livraient à toute espèce d’excès et de dérèglements. On se basa sur ces faits pour ordonner leur mort.
Sous le règne de Shah Murad Bay, la prospérité de Boukhara excitait l’envie du paradis ; la religion de l’islam y avait-acquis une vie nouvelle. Le prince n’était occupé que de bonnes oeuvres, de prières et de pratiques de dévotion. Il avait renoncé aux jouissances et aux pompes de ce monde. Il ne touchait ni à l’or ni à l’argent et il ne dépensait pour ses besoins que la somme provenant de la capitation imposée aux Juifs et aux infidèles.
Il dit adieu à ce monde périssable la nuit du vendredi 14 rajab de l’année 1214 (1799). Il avait de son vivant désigné comme son héritier présomptif Amir Haydar Tûrah, son fils aîné, qui était gouverneur de Qarshi. Shah Murad Bay était, au moment de sa mort, âgé de 63 ans.
V. HAYDAR TÛRAH, SAYID AMIR HAYDAR, FILS DE AMIR SHAH MURAD BAY
Inscription de son cachet : « Le descendant de Jinghiz, le rejeton du Prophète, celui dont le rang égale le rang de Yûsuf, l’héritier de Maçoum Ghazy, Amir Haydar Padishâh. ».
J’avais moi-même composé l’inscription suivante pour le sceau de ce prince, lorsque Abû al-Fâ’iz Khan fut tué sans laisser d’héritier. « Après que Abû al-Fâ’iz fut mis au nombre des martyrs, le trône brillant de la royauté devint le partage de Haydar. » ‘
Bahâdur Khan Tûrah Nasr Allah est le lieutenant de son père à Bukhâra. Son père lui témoigne une grande affection au détriment de Muhammad Husayn Tûrah. Il est d’un extérieur agréable et plein d’intelligence. Sa mère est esclave. –
Abdallah Khan Tûrah ; sa mère est esclave.
‘Umar Khan Tûrah ; sa mère est esclave.
Zubayr Tûrah.
Jahangir Tûrah Sultan ; la mère de ce dernier est la fille d’un des Khwaja-s du Jwïbar. Elle le porta 4 ans dans son sein ; il demeure avec sa mère dans la maison de son grand-père ; son père, Amir Haydar, ne l’a jamais vu et n’a aucune affection pour lui.
Muhammad Husayn Khan Tûrah est l’aîné des fils d’Amir Haydar ; il appartient par sa mère à la noblesse des Seyids ; c’est un prince plein de bonnes qualités et de bravoure ; sa générosité rappelle celle de Hatem ; il fait ses largesses sans ostentation ; il donne à la fois 500 ou 1000 tillas à des gens de condition obscure, il témoigne peu de déférence à son père qui, de son côté, l’a éloigné de ses yeux. Amir Haydar lui a donné le gouvernement de Karmina, dont les revenus, s’élevant à 10 000 Tilla, ne suffisent pas à ses dépenses. II est aimé par les paysans, par les Ulama et par tous les habitants de Bukhâra. D’après l’opinion générale, il deviendra souverain, si Dieu lui accorde la vie : l’intelligence et le bonheur éclatent dans tous ses traits ; il parcourt continuellement incognito le royaume à l’insu de son père ; il traite également Bien les étrangers et les indigènes ; il est plein d’esprit et de moyens. Il témoigne la plus vive amitié aux personnes qui dans leurs voyages ont parcouru le monde.
Lorsque Shah Murad Bay, père d’Amir Haydar, fut atteint de la maladie à laquelle il succomba, le Qush Begui Outkour, qui était à la tête de l’administration de Bukhâra en qualité de premier ministre et qui avait de l’amitié pour Haydar, lui représenta que son fils était doué de toutes- les qualités viriles et d’un jugement sain ; qu’il était par sa mère le petit-fils d’Abû al-Fâ’iz Khan, et que le trône devait lui appartenir. Shah Murad Bay le .désigna donc pour son successeur. Outkour Soufy et Khwaja Sadiq, chef des eunuques, expédièrent un courrier à Qarshi pour faire venir le prince.
Shah Murad était mort la nuit du vendredi : la nouvelle s’en répandit en ville le lendemain matin. Ses frères, ‘Umar Bay, Mahmoud Bay (I) et Fazil Bay, instruits de cet événement, se firent suivre par une troupe de gens armés et se rendirent sur la place du Reghistan, en face la grande porte du château de Bukhâra. Ils s’y établirent, attendant une occasion favorable pour pénétrer dans l’intérieur. Le Qush Begui et Khwaja Sadiq, de leur côté, s’étaient assurés de la personne de quelques émirs qu’ils avaient fait enchaîner, et, Bien armés et ayant pourvu à tout, ils gardaient le château avec leurs gens.
Avant la prière du vendredi, Omêr Bay attaqua la grande porte du château. Le topchi bachi Muhammad Emin, le qazhi oui qouzhat Mirza Fézil, donnèrent au peuple l’ordre suivant :
« Massacrez les rebelles qui viennent de s’insurger et pillez leurs maisons: »
Les gens sans aveu qui s’étaient amassés pour assister au spectacle de ce qui allait se passer, entendant la bonne nouvelle du pillage, fondirent aussitôt sur la troupe d’‘Umar Bay ; ils l’attaquèrent à coups de pierres et à coups de bâton. La supériorité du nombre leur assura l’avantage. Ils tuèrent sur la place quelques-uns des partisans-d’‘Umar Bay qui prit la faite, il n’eut pas le temps de retourner à sa demeure : suivi de quelques hommes, il sortit par la porte de Samarqand et se dirigea du côté du Miankal.
La populace se rua sur les maisons des frères de Shah Murad Bay et, en une heure, elle les pilla et les mit à sac. On abattit, pour les voler, les colonnes en bois qui soutenaient les chambres, et quelques individus qui se trouvaient à l’intérieur, perdirent la vie et rAmirent leurs âmes entre les mains du maître de l’enfer. On alla jusqu’à dépouiller de leurs vêtements et à laisser nus la femme et les enfants d’‘Umar Bay:
Le corps de Shah Murad Bay resta 3 jours dans le palais.
Dans la nuit du mardi, Amir Haydar fit son entrée à Bukhâra, accompagné d’une suite nombreuse et brillante ; le trouble et l’effervescence, se calmèrent aussitôt. La musique joua au palais et le lendemain on enleva le cercueil de Shah Murad. Amir Haydar fit sur lui la prière des morts et il revint au palais, où il reçut le serment de fidélité.
Il confirma dans le poste de premier wazir Utkur Qush Begui et confia le gouvernement de Qarshi au fils de Utkur Qush Begui, Muhammad Hakim Bay qui avait été son lieutenant dans cette ville. Din Nacir Bay eut le gouvernement de Marw. Celui de Samarqand fut donné à Muhammad Housseïn Bay, son frère aîné. Le qazhi Mirza Fézil fut comblé de cadeaux et de présents.
‘Umar Bay, Fazil Bay et Mahmoud Bay qui avaient pris la route de la plaine de Miankal, se rendirent maîtres des villes fortifiées de Penj-Sham-Bê et de Katta Qurghân. Keya Khwaja, gouverneur de Karmina et Niaz ‘Alî Bek Uzbek, se joignirent à ‘Umar Bay. Ils firent résonner le tambour de la rébellion.
Amir Sayid Haydar Shah, après avoir mis ordre aux affaires de la ville et de ses alentours, marcha contre eux à la tête d’une puissante armée. Les chefs rebelles, incapables de résister à un pareil déploiement de forces, se retirèrent chacun dans une place forte. Celle où s’étaient réfugiés les oncles du roi fut bombardée et canonnée pendant plusieurs jours et à peu près ruinée. Pendant la nuit, ‘Umar Bay et Fazil Bay, avec leurs enfants, s’échappèrent de la citadelle. Le malin, les soldats de Bukhâra, informés de leur fuite se mirent à leur poursuite ; ils tuèrent ou firent prisonnier environ mille hommes de Shahr-i- Sabz. L’ordre fut donné de massacrer les prisonniers.
‘Umar Bay et Fazil Bayfurentpris avec leurs enfants, dans un village. Amir Haydar en reçut la nouvelle en route et ordonna de les mettre à mort. Khwaja Keya parvint à s’échapper et à gagner Shahr-i- Sabz. Cette sédition fut ainsi étouffée.
Mahmoud Bay, fils de Danial Bay, se réfugia à Khoqand et sa femme alla l’y rejoindre. Il y est encore aujourd’hui.
L’Amir Haydar, comblé des faveurs de la fortune, revint en triomphateur à Bukhâra. Il se mit à répandre des largesses, à. faire des générosités, et il pratiqua la justice et l’équité.
Vers. « L’Amir, conquérant du monde, se dirigea vers Bukhâra, victorieux, favorisé par l’aide de Dieu et ayant vu tous ses désirs accomplis. Cette capitale fut choisie par lui pour y goûter le repos après les fatigues de. cette expédition. L’arrivée de ce souverain rendit Bukhâra semblable aux jardins et aux bosquets du paradis. Il se répandit en dons, en largesses et en générosités, et les pauvres et les malheureux reçurent des sommes d’argent
Au bout de quelque temps Mehemmêd Husayn Bay, gouverneur de Samarqând, conçut la mauvaise pensée de faire cause commune avec les chefs de Shahr-i-Sabz et de Khoqand. Des personnes dévouées en avertirent Amir Haydar.
La révolte n’avait pas eu le temps d’éclater, que Muhammad Husayn Bay fut arrêté à Samarqand et conduit à Bûkhârâ. Il affirma sous serment que l’accusation, portée contre lui était mensongère. Quoi qu’il en fût, l’Amir se montra clément ; il lui ordonna de vivre, à l’écart et lui fixa une somme pour ses dépenses journalières afin qu’il n’eût aucune préoccupation matérielle, ; il devait aussi accompagner l’Amir dans toutes ses expéditions, Deux ou trois personnes attachées au service de Husayn Bay furent mises à mort, Le gouvernement de Samarqand fut donné à Dawlat Qush Begi, né à Ispahan et qui avait été un des serviteurs intimes d’Abû al-Fâ’iz Khan dont il avait toute confiance.
A cette époque, les soupçons de l’Amir se portèrent sur les enfants de Haji Muhammad Husayn Khan et sur ceux de Karim Khan et de Bayram ‘Alî. Khan de Marw. Cédant aux insinuations de gens pervers, l’Amir Haydar donna l’ordre de les arrêter et de les emprisonner; cela ne lui suffit pas il se décida à les faire exécuter. Plus de 13 personnes, parmi lesquelles les 3 fils de Haji Muhammad Husayn Khan, les trois fils de Muhammad Karim Khan, le frère de Bayram ‘Alî Khan, l’Amir Arslan Bek, nommé aussi Medhy Khan, fils de Bayram ‘Alî Khan, et d’autres membres de leur famille furent conduites la nuit en dehors de la porte de l’Imam et là, égorgées comme des moutons. On donna en cadeau comme esclaves les femmes et les enfants en bas âge. On ne sut jamais quel avait été leur crime.
L’Amir appela auprès de lui Din Nacir Bek qui était, à Marw. Celui-ci se rendit sans retard à Bukhâra ; il y fut reçu avec toutes sortes de marques d’honneur et renvoyé dans son gouvernement. Mais quelque invitation qu’on lui adressât dans la suite., il ne voulut plus aller à Bukhâra.
La frayeur que lui inspirait son frère le détermina à faire partir sa famille et il se rendit avec elle à Mashhad, accompagné d’un certain nombre d’habitants de Marw.
Wali Muhammad Mirza se porta à sa rencontre pour lui faire honneur ; il lui assigna une belle résidence et des rations abondantes. Il fit parvenir à Téhéran, au Shah son père, la nouvelle de l’arrivée de Din Nacir Bek et il reçut l’ordre de le faire partir pour la cour. Le roi de Perse lui accorda un rang parmi ses propres enfants et lui donna le nom de Amir Din Nacir Mirza. Il lui accorda une pension digne d’un hôte de pareil rang et le renvoya à Mashhad, qui lui fut assigné pour résidence. Tous les ans, Din Nacir se rendait à Téhéran pour voir le Shah : il vivait tranquille et libre de tout souci. En 1818 il était à Mashhad ; en 1829, il se rendit à Constantinople ; au bout d’un an, c’est-à-dire en 1830, il passa en Russie ; il y est aujourd’hui.
Din Nacir est un homme d’une grande bravoure ; il manie admirablement le sabre et il est archer consommé ; on dit qu’une flèche en bois de hêtre, décochée par lui, traverse une plaque de fér.
Amir Haydar conduisit une armée contre Uratepa. Le gouverneur de cette ville se porta à sa rencontre avec de riches présents. Après quelques discussions, il fut livré à un individu qui avait à réclamer de lui le prix du sang et qui le mit à mort. Cette action fut généralement désapprouvée.
Qabil Bek, fils d’Utkur Qush Begui, fut nommé gouverneur d’Uratepa. Les pays s’étendant jusque près de Khujend et Tashkend furent placés sous l’autorité de Bukhâra.
Amir Haydar épousa la fille du prince de Shahr-i- Sabz dans cette même année 1219 (1804).
Mir Ala oud Din fut désigné pour être ambassadeur auprès de l’empereur de Russie. L’ambassadeur me choisit pour intendant, moi, Mir Abdoul Kérim, auteur de cet ouvrage.
Nous partîmes pour la Russie ; nous restâmes neuf mois à Pétersbourg où nous vîmes des Merveilles, et où nous eûmes tous les sujets de satisfaction et de plaisir. De Pétersbourg nous allâmes à Moscou, puis à Astrakan, où nous nous arrêtâmes pendant 8 mois. Nous nous rendîmes ensuite au Kharezm, à Khiwa et à Urgenj.
C’était au commencement du règne de Iltazer, fils de Ywaz Inâq, de la tribu uzbek de Qunghrat. Ce prince sait acte de souverain indépendant, levait des troupes, rassemblait des armes.et des approvisionnements pour entreprendre une expédition contre Bukhâra. Nous parvînmes à nous échapper de ses mains et nous nous dirigeâmes vers Bukhâra.
Nous racontâmes ce que nous avions vu et nous fîmes part des projets d’Iltazer à Muhammad Hakim Bay, fils de Utkur Qush Begui qui avait été gouverneur de Qarshi.
C’était un homme expérimenté, intelligent, digne de toute confiance et animé des meilleures intentions. L’Amir l’avait fait revenir de Qarshi et l’avait nommé son ministre après avoir destitué son père. « Préoccupez-vous, lui dîmes-nous, de la’ conduite d’Iltazer, il est enivré d’orgueil et il rassemble des troupes; il a l’intention de venir ravager les environs de Bukhâra. Il nourrit la pensée de poser la couronne sur sa tête et de s’asseoir sur le trône; il veut battre monnaie et faire prononcer la khoutbèh à son nom. Il est semblable à la chauve-souris qui voyant, la nuit, l’espace déserté par les oiseaux, s’imagine que ceux-ci lui sont inférieurs, voltige librement de tous côtés, et se livre à ses rapines sans être inquiétée. Lorsque la lueur du matin vient à paraître, elle se retire tranquillement dans une retraite obscure où elle cache son corps hideux et tremblant.
Vers. « Lorsque la forêt est abandonnée par le lion, on y voit errer le chien et cent renards abjects. »
Un proverbe dit que lorsque la destinée a marqué l’heure de la mort-du gibier, celui- ci court du côté du chasseur endormi dans un coin. En vérité, un moucheron peut-il avoir la puissance de se présenter devant un gigantesque éléphant pour le combattre ? lltazer Khan ne peut aspirer à la royauté, ni au rang des Khosroës, il ne peut dépasser du pied le bord de son grossier tapis. Il ne faut pas que ce Kharezmien brutal et turbulent puisse devenir un roi, un Khosroës brillant de majesté. »
Je donnai à Muhammad Hakim Bay tous les détails sur la conduite, les actes et les projets de Iltazer. Le ministre en fit part à l’Amir, qui se borna à répondre :
« Il n’aura pas l’audace de se lancer dans une si grave entreprise, » et il ne prêta point attention à ce qui lui avait été exposé.
Un mois s’était écoulé depuis notre retour de Khiwa, quand Iltazer Khan fît une incursion et ravagea les environs de Bukhâra; il enleva plus de 50 000 moutons et quelques milliers de chameaux. Le Amîr se réveilla alors du sommeil du lièvre dans lequel il était plongé. On reconnut la vérité des renseignements que j’avais donnés. On s’occupa de rassembler des troupes, mais, dans un court, espace de temps, Iltazer ravagea plusieurs fois les environs de Bukhâra. La ville était en proie au trouble et au désordre. A la fin, l’Amir se fâcha et dit à ses ministres :
« C’est notre longanimité qui a enhardi ce Khivien éhonté. »
Vers. « Mon rival a le caractère du chien, et je veux fuir son approche ; j’ignorais que plus on s’éloigne du chien, plus son audace augmente. »
« Il faut, ajouta-t-il, qu’à la tête de soldats éprouvés vous marchiez sur Urghench et que vous infligiez un châ- timent exemplaire à ce fauteur de rébellion. »
Muhammad Niaz Bay fut chargé de rassembler une armée formée de soldats d’élite, semblables à Rustem, d’une valeur éprouvée et exercés au maniement des armes. Il se mit en marche à la tête de 30 000 Uzbek pour envahir le pays de Khiwa.
Une distance de six journées de marche sépare Khiwa de la frontière de Bukhâra ; cet espace est un désert stérile. Une route longe le Jayhûn qui est éloigné d’une journée de marche de Bukhâra. La route côtoie le fleuve ; la partie cultivée du Kharezm est en aval et Bukhâra est en amont. A une demi-journée d’Urghench, le Jayhûn fait un coude et se dirige vers le nord, dans la partie du khanat de Khiwa qui avoisine la Russie et que l’on désigne sous le nom de Deshti Qipchaq. C’est là que vivent les Qaraqalpaq et les Qazaq. Au bout de deux jours de marche le fleuve se convertit en mer. Du côté de l’Orient, le Sayhûn coule au milieu du Deshti Qipchaq et tombe dans cette mer dont la longueur est de 4 ou 5 journées de marche et la largeur de la même étendue. Il y a, au milieu de cette mer, une terre que l’on appelle l’île d’Aral, habitée par 10 000 familles uzbeks qui se nourrissent de poisson. La circonférence de la mer d’Aral est de 10 journées de marche ; on y trouve des tribus qui vivent sous la tente, les unes sont des Qaraqalpaq et les autres des Qazaq. L’eau de cette mer est salée, et on ne sait où elle s’écoule. Quelques personnes prétendent qu’il existe un canal souterrain nommé Qaldirim , par lequel la mer d’Aral se déverse dans la mer d’Astrakan. Dieu est celui qui sait le mieux la vérité des choses.
La distance qui sépare la mer d’Aral de la mer Caspienne est de 10 journées de marche. Catherine, qui était une femme et impératrice de Russie, voulut joindre ces deux mers pour permettre aux navires de se rendre de la mer Caspienne dans la mer d’Aral; elle voulait de là faire passer de petits bâtiments à Urghench, à Bukhâra et les faire remonter jusqu’à Balkh ; la mort ne lui permit point de réaliser ce projet. En vérité, on pouvait le mener à bonne fin, car on ne rencontre point de montagnes et la route est unie. Un souverain puissant pourrait achever cette entreprise en une année.
Revenons à l’expédition de l’armée de Bukhâra contre Iltazer Khan.
Quand Iltazer apprit que l’armée de Bukhâra marchait contre lui, il manifesta une grande joie. Il arma 12 000 cavaliers des tribus de Teka, Yomut, Salor, Chudur, Amir ‘Alî, Buzejîy, Uzbek, Qunghurat, Qangh ‘Alî, Mangit et autres. Il côtoya le Jayhûn. Des troupes de Bukhara avaient passé le fleuve et s’étaient éloignées d’une journée de marche; elles pillèrent quelques villages et les corps restés en arrière rejoignaient le gros de l’armée. Iltazer envoya 2000 cavaliers pour leur barrer le chemin. Le fils du Dâd Khâh de Bukhâra, à la tête de 500 cavaliers, rencontra les Türkman. Hors d’état de leur résister, il fut fait prisonnier avec toute sa troupe et conduit à Iltazer Khan. A ce moment-là, Iltazer Khan avec 4000 fantassins et cavaliers, avait passé le Jayhûn et établi, sur la route de Bukhâra, son camp protégé par quelques travaux de défense. Lorsque les prisonniers lui furent amenés, on les attacha, les mains liées et la corde au cou, à la porte des tentes du khan.
L’armée de Bukhâra ne tarda pas à apprendre qu’on lui avait coupé la retraite et que le fils du Dâd Khâh de Bukhâra avait été fait prisonnier avec sa troupe. Cette nouvelle la troubla, car elle se vit des deux côtés près de l’abîme de la destruction. En effet, il n’y avait point d’autre route pour retourner à Bukhâra si l’armée s’éloignait du fleuve elle s’enfonçait dans un désert dépourvu d’eau jusqu’à Bûkhâra et pas un homme ne pouvait échapper vivant ; si elle, voulait retourner par le chemin qu’elle avait pris, elle rencontrait Iltazer Khan, maître de la route.
Le général et tous les officiers tinrent conseil :
« Fuir, dirent-ils, est une honte; comment pourrons-nous nous présenter déshonorés devant l’Amir Haydar ? Il est préférable de mettre notre confiance en Dieu et d’attaquer tous à la fois les ouvrages, les tentes et les bagages de l’ennemi. Si nous sommes tués, nous succomberons courageusement ; si le Dieu très-haut nous accorde son aide et la victoire, ce sera pour la gloire et pour le bonheur de l’Amir. »
Bref, ils s’en tinrent à cette résolution. Ils fondirent en masse sur l’armée d’Iltazer et dispersèrent les avant-postes qui ne purent soutenir leur choc.
Les éclaireurs d’Iltazer vinrent lui annoncer que l’armée de Bukhâra était arrivée et que ses troupes n’avaient pu résister à son attaque. Ils lui conseillèrent de repasser le fleuve, La fatalité s’était attachée à lui, il ne voulut donc point écouter l’avis sensé qu’on lui donnait, Ses soldats se replièrent en désordre ; les uns étaient blessés, les autres démontés, La poussière des combattants s’éleva jusqu’au ciel, le bruit de la fusillade et les cris des guerriers assôurdirent les oreilles du firmament. Tous ceux qui arrivaient se précipitaient dans le fleuve sans écouter les exhortations d’Iltazer,
Vers. « Dans ce vaste désert, les sabots des chevaux ont réduit à 6 les zones de la terre et porté à 8 celles du firmament : de tous côtés s’élevaient les éclats de la trompette et les clameurs s’échappaient de la large poitrine, des héros. » •
Iltazer vit que ses affaires prenaient une mauvaise tournure, que la fortune se détournait de lui, et que l’ennemi arrivait sur lui. Il se dirigea vers le fleuve et se jeta dans un bateau. Dans leur effroi, tous ceux qui le suivaient s’y précipitèrent. Iltazer en repoussa, mais inutilement, quelques- uns à coups de sabre. A la fin, le bateau sombra et Iltazer se noya avec quelques-uns de ses officiers, et parmi eux Qilij Kemer Bikijî et autres. La plupart de ses soldats périrent dans les flots.
Son frère Muhammad Rahim Khan, qui gouverne aujourd’hui Khiwa, s’élança dans le fleuve avec son chevalet parvint à s’échapper sain et sauf. Deux autres de ses frères, Hassan Murad Bek et Jan Murad -Bek furent tués ; son frère aîné Qutli Murad Bek fut fait prisonnier.
Mille personnages de distinction tombèrent aux mains des Boukhariotes, qui pillèrent le trésor et les tentes et s’emparèrent d’un Tugh qui servait d’étendard ; la hampe était couverte d’or et avait coûté 1000 mithqal d’or. L’armée de Bukhâra campa sur le champ de bataille et le lendemain matin elle reçut des approvisionnements de Urghench et des cantons voisins.
La nouvelle de la victoire fut portée à Bukhâra ; celui qui en était porteur reçut une gratification de mille tillas.
L’Amir Haydar donna l’ordre aux troupes de rentrer en amenant les prisonniers.
« Maintenant, dit-il, le royaume de Khiwa nous appartient. »
Les troupes revinrent donc avec les captifs ; on leur enleva des mains et du cou les chaînes dont ils étaient chargés et on les fit paraître en présence de l’Amir. Celui-ci leur accorda leur pardon ; il it revêtir d’un habit d’honneur Qutli Murad Bek et il lui témoigna des égards, particuliers,. Les personnages notables reçurent chacun selon son rang, un vêtement, et un officier fut chargé de pourvoir à leur subsistance. Qutli Murad Bek affirma par serment sa fidélité :
« Je suis, dit-il à l’Amir, votre chien, votre esclave; je suis entièrement soumis à vos ordres. » Au bout d’une semaine, la liberté fut rendue à tous les prisonniers.
Qutli Murad Bek reçut la dignité d’Inâq et fut nommé gouverneur de Khiwa, Tous les Khiviens partirent de Bukhara. Avant l’arrivée de Qutli Murad à Khiwa la population avait élevé à la dignité de khan Muhammad Rahim, qui avait pris la place de Iltazer.
Qutli Murad donna son assentiment à l’élévation de son frère puîné :
« Je me suis lié, dit-il, vis-à-vis du souverain dé Bukhâra par un pacte et par un serment ; mais je ne prétends pas exercer le pouvoir. Soyez khan, je serai Iïiâq, » Les deux frères firent leur accommodement en secret. Ensuite Qutlî Murad Bek écrivit à l’Amir Haydar une lettre ainsi conçue :
« Avant mon arrivée, les sujets, les religieux et les grands avaient élevé à la dignité de khan mon frère Muhammad Rahim ; ils n’ont fait aucun cas de ma personne ; j’ai dû forcément accepter ce fait. Mes engagements vis à-vis de vous subsistent que puis-je faire ? Il n’y a aucun moyen de se conduire autrement. Vous agréerez sans doute mon excuse, et vous tiendrez pour véridique ce que je vous mande. »
L’Amir Haydar Shah ne s’ingéra par la suite en aucune façon dans les affaires de Khiwa, il y eut entre les deux États une paix hypocrite. Muhammad Rahim Khan fit frapper la monnaie et réciter la Khutba en son nom. La monnaie d’or portait pour légende : « Frappée à Khiwa, résidence de la royauté : Muhammad Rahim Bahadur. »
Voici quelques vers qui ont été composés à la louange de l’Amir Haydar, à l’occasion de la défaite de l’armée du Kharezm :
Vers. « Haydar, dont l’origine remonte à Haydar (‘Alî), est un sage souverain, un Khosroës qui voit réussir tous ses desseins et dont la bonne renommée remplit la terre ! Que les astres propices favorisent ses désirs ! »
« Cet Amir est le conquérant du monde : il a la majesté de Darius ; il descend de Chinghiz qui a dominé l’univers. Les siècles conserveront son souvenir comme celui d’un héros qui a eu les vertus de Rustam. Il est généreux, libéral, plein d’honneur et de dignité, il réunit tous les mérites et se fait distinguer par son éloquence. Ses actes conquièrent l’approbation des peuples, car ils sont dictés par un jugement semblable à celui d’un vieillard plein d’expérience et sa fortune est vigoureuse comme un jeune homme. Son équité, son humanité ont tellement fait fleurir la justice qu’une fourmi n’a à se plaindre des mauvais traitements de personne. Il est plein de compassion, savant, prudent et ses hautes qualités lui font supporter le fardeau de Yûsuf. Le monde jusqu’à ses dernières limites a été subjugué par lui et sa renommée parvient jusqu’à .l’empereur de la Chine. »
« Lorsqu’il s’est décidé à combattre ses ennemis il a dirigé ses troupes du côté du Kharezm. Quand les guerriers eurent aligné leurs rangs, les plus braves lancèrent leurs flèches et déchargèrent leurs fusils. Un .seul choc suffit pour rompre les rangs de l’ennemi. La plus grande partie de ses soldats fut engloutie dans le fleuve de l’anéantissement. Les Kharezmiens, en nombre incalculable, furent mis à mort. Les têtes des rebelles reçurent les embrassements du gibet. C’est ainsi que les tyrans reçoivent la récompense de leurs actions et de leur conduite détestables. Le prince au coeur de lion, maître du trône et de la couronne, leva dans le Kharezm les taxes et les impôts. »
En résumé, il n’y a aucune sympathie entre Urghench et Bukhâra. Quelquefois Muhammad Rahim Khan donne l’ordre aux Türkman de piller les caravanes de Bukhara. Telle est la situation en l’année 1233 (1818).
Amir Haydar poursuit toujours ses études de science, il s’occupe de pratiques pieuses et il a le caractère d’un molla. Il n’a point les goûts belliqueux; il aime beaucoup les femmes, il en a certainement épousé 100. Il a toujours 4 femmes légitimes; lorsqu’il veut en épouser une nouvelle, il fait prononcer le divorce irrévocable avec l’une d’elles, et il lui accorde une maison et une pension en rapport avec sa condition. Cette conduite est désapprouvée par la population. Tous les mois, il voit une jeune vierge, soit comme esclave, soit comme épouse légitime. Il marie les esclaves dont il n’a point eu d’enfants, soit à des mollas, soit à des militaires. Tous les jours il donne des leçons sur chacune des branches des sciences, et le nombre de ses disciples s’élève à 500.
Son wazir est actuellement Muhammad Hakim Qush-Begi. C’est un homme intelligent, plein de bonnes qualités, généreux comme Hatem, austère et doué d’une grande droiture. Le pouvoir de l’Amir Haydar est purement nominal. L’expédition des affaires est tout entière dans les mains du wazir. Dans l’administration, personne ne se permet la moindre violence ni la moindre injustice. Le nombre des soldats touchant une solde régulière est de 12 000 ; mais, en cas de nécessité, on peut lever 50 000 ou 60 000 hommes.
La guerre a éclaté une fois entre Bukhâra et la principauté de Khoqand. Les Khoqandy ont élé battus. La paix règne aujourd’hui entre les deux pays. L’Amir Haydar est aussi en paix et en bonnes relations avec le souverain de Kabul.
Il a épousé les filles des princes qui avoisinent ses États. Il a eu pour femme la fille de Zéman Shah, fils de Timour Shah, lorsque ce prince est venu à Bukhâra. Il a épousé également la fille du gouverneur de Hissan Seayid Bay Uzbek, de la tribu des Yuz, fille du gouverneur de Shahr-i- Sabz, Muhammad Sadiq Bay, et d’autres encore.
Il est sur le trône depuis 17 ans, et il a réussi à ruiner et à anéantir peu à peu ses ennemis. Son règne est celui des Ulama et des religieux.
Il a, sous sa domination, les villes de Bukhâra, Charju, Kerki, Aqcha, Khazar, Tirmiz, Hissar, Qarshi, Chiraghchi, Karmina, Penj-Chenbâ, Katta-Qurghan,
(mort 1826 et a eu pour successeur son second fils Nasr Allah Bahadur Khan qui régna jusqu’en 1860)
Marw-i- Shahijân, Zamm Ab, Islam Ab, Amir Abâd, Miankal, Saffârqand, Jizaq Uratepa, Turkestan, le canton de Marw, Shahr-i-Sabz, Oouâbèh et 7 districts qui renferment des bourgs et des villages : Qarakul, Laklâkaj Ëlaïrabâd, Âbkend, Ghitjuwân, Khargush, Zandanî.
Il y a aux environs de Bukhâra beaucoup de tribus nomades : Arabes, Türkman, Uzbek, Qarâqalpaq, Qûnghrat vivant sous la tenté, Elles habitent la rive du Jayhûn sur laquelle se trouva Charjû.
Les Türkman sont établis tout le long du fleuve sur un parcours de 4 ou 5 journées de marche. Voici les noms des tribus türkman : les Ersary, la tribu des Sariq, celle des Bâqab, Sayûr,T6kèb, Amir’Alî, îchoudour, Khidiry, Mangit.
. Les tribus arabes sont celles des Khuzayma, des Béni Tamim, Bani Zayd, et d’autres que l’on ne peut dénombrer
Dans le Miankal et du côté de Samârqand, on peut dire que le nombre des nomades égale celui des habitants des villes.
Depuis Bukhâra jusqu’à Samarqand et jusqu’à Jizzakh et Uratepa, il y a une succession de villages, de bourgs et de campements de tribus.
Tableau des distances qui séparent les différentes villes.
Entre Bukhâra et Urghench, il y a 50 fersakhs; entre Urghench et la Russie, il y a 40 étapes; entre Ourgueudj et la Perse, 20 étapes; de Urghench à Marw, 60 fersakhs.
De Bukhâra à Shahr-i- Sabz, 40 fersakhs; de Bukhâra à Samarqand, 40.fersakhs; de Bukhâra à Balkh, 40 fersakhs; entre Shahr-i- Sabz et Samarqand, 30 fersakhs.
Entre Khoqand et Kachgar, il y à 20 jours de marche ; entre Kachgar et Yarkend, 10 étapes; entre Yarkend et le Tibet, 20 étapes; du Tibet à Kachmir, 15 étapes.
De Samarqand à Tashkend, 30 fersakhs.
De Bukhâra à Orenbourg, sur la frontière de Russie, 50 étapes; d’Orenbourg à Qazan des Tatars, 80 fersakhs; de Qazan à Moscou, 90 fersakhs; de Moscou à Pétersbourg, 90 fersakhs. La distance qui sépare Moscou d’Astrakan est de 70 fersakhs. De Moscou à la frontière de Bessarabie, 70 fersakhs ; de la Bessarabie jusqu’au Pruth, qui coule en Moldavie, 20 fersakhs; de Moscou jusqu’à la Crimée, 180 fersakhs. De la Bessarabie jusqu’à Orenbourg, d’où l’on va à Bukhâra, 320 fersakhs; d’Orenbourg jusqu’à Boukhara, 220 fersakhs ; de Bukhâra à Kachgar, 220 fersakhs.
De Bukhâra à Endkhou, 40 fersakhs, de Endkhou à Hérât, 60 ; de Endkhou à Balkh, 30 ;. de Endkhou à Marw, 40; de Constantinople à Erzerouni, 35 étapes; d’Erzeroum à Téhéran, 25 étapes; de Téhéran à Mashhad, 25 étapes, et de Mashhad à Bukhâra, 25 étapes.