KHIWA GENEALOGIE DES GOUVERNEURS D’URGHENCH ET DE KHIWA
Ces deux villes (1) sont les seules de l’ancien royaume de Kharezm qui soient restées peuplées. Le Kharezm est aussi désigné sous le nom de Bésh Qaleli (les 5 citadelles).
La ville de Kharezm, aujourd’hui ruinée, est située à quatre étapes de Urgenj ; il ne reste plus que 300 villages des 1500 qui en dépendaient.
En l’année 1755, Muhammad Emin Bay devint Inâq. Il gouverna pendant 17 ans. Sous son administration, la principauté de Urghench fut prospère et florissante, elle abonda en tous Biens. Il n’y avait point de
Khiwa, qui est la résidence du souverain, se nommait jadis Khiwak, suivant le rapport des habitants, et occupait son emplacement actuel, avant que l’Amu Déria eût changé son cours. Cette ville est assez grande, entourée de murs, et bâtie sur un petit canal qui amène l’eau de l’Amu Déria. Les principaux édifices se bornent à la maison du khan, d’ailleurs assez insignifiante, et à une mosquée, pour laquelle les musulmans ont une vénération particulière.et mystérieuse : la coupole de ce temple est peinte en azur; il s’y trouve quelques monnaie particulière ; On récitait la khoutbèh au nom des khans Qâzâq, Les monnaies qui avaient cours étaient celles de Boukharâ et de Perse.
Lorsque le royaume de Kharezm fut détruit la ville de Kharezm avait 30 portes; le fleuve Amû coulait aux pieds de ses murs et du palais de Muhammad Ghâ.
Jenghis Khan saccagea la ville, et Houlagou la ruina peu à peu. Le cours du fleuve fut détourné et il alla se jeter dans la mer d’Aral, Toute la contrée fut frappée de stérilité, on y voit encore d’anciens monuments tels que le tombeau surmonté d’une coupole, de Najm Ad-Din Kubra, celui de Ibn Hajib, le minaret et la coupole du tombeau de la reine, fille de Muhammad Shah, et des bains. On distingue l’alignement des bazars.
De Kharezm à Khiwa il y a 4 étapes ; sur cet espace se trouvaient autrefois deux mille villages qui, depuis ont été détruits. Aujourd’hui, la cinquième partie du pays seulement est restée cultivée; on l’appelle Urgenj du nom de cette ville, située sur le bord du Jayhûn ; elle est la ville commerçante et la résidence des négociants. Khiwa, entourée de fortifications flanquées de tours et défendue par un château-fort, a été choisie pour capitale.
J’ai expliqué précédemment certains faits dans ce.que j’ai raconté au sujet d’Iltazer Khan.
Fazil Bek, fils de Muhammad Emin Bay, est doué d’une grande intelligence ; il est intruit et il possède une grande perspicacité (1). Son père et, après lui, son frère Iwaz Inâq Bay, n’entreprenaient rien sans le consulter. Dans sa vieillesse, ses yeux furent envahis par une humeur noire qui lui fit perdre la vue. Il vit encore aujourd’hui. Utouzer Khan méprisait ses avis, mais Muhammad Rahim Khaiilui témoigne beaucoup d’égards. Il a.élevé un superbe Madrasa à Khiwa et il a construit beaucoup de monuments à titre de fondations pieuses (2).
MUHAMMAD AMIN BAY QUNGHIRAT, INAQ
Légende de son cachet : « Grâces à Dieu, le prophète Muhammad a un esclave en qui il peut avoir confiance. »
Les Qunghrat forment une tribu uzbek, dont la plus grande partie vit sous la tente. Un grand nombre d’entre-eux résident dans les cantons dépendant de Bukhâra et sont soumis aux souverains de ce pays.
Muhammad Amin était un homme courageux et plein d’audace : par sa prudence, son ambition et sa persévérance, il a fini par se rendre maître du pouvoir à Khiwa.
Sous le règne de Danial Bay, il s’était enfui de Khiwa pour se réfugier à Bukhâra. Danial Bay lui accorda des secours à l’aide desquels il s’empara du Kharezm. Tant que Danial Bay vécut, Muhammad Emin Bay eut pour lui les plus grands égards, et la paix et la bonne harmonie régnèrent entre eux.
La règle anciennement établie à Urguendj exigeait que l’on choisît pour souverain, comme on le faisait pour les khans de Crimée, un des descendants de Djenghiz Khan.
On faisait venir un Qazaq que l’on établissait khan à Khiwa ; il était enfermé dans le château avec sa femme et ses enfants. On leur servait leurs repas à toute heure du jour et de la nuit; on les traitait avec égards; leurs habits étaient faits d’étoffe brochée d’or. Tous.les jours, l’inâq et les grands personnages se rendaient à la salle d’audience et étaient admis en présence du khan. Si quelque affaire venait à surgir, l’Inâq en instruisait le khan, et jamais celui-ci ne s’écartait des avis de l’inâq. Il suffisait que le khan fut informé, pour ordonner ce que l’inâq lui avait suggéré. Tous les vendredis, au moment de la prière, l’inâq et tous les notables se rendaient à l’audience du khan et chacun s’asseyait devant lui selon son rang; l’inâq prenait place à côté .du khan. Lorsque le moment de la prière arrivait, l’inâq prenait le khan sous le bras pour l’aider à se lever et on se rendait à la mosquée où devait se faire la prière. Au retour, l’inâq soutenait aussi sous le bras le khan revenant au palais qui lui servait de prison; tous ceux qui l’avaient accompagné se retiraient chez eux. Au bout de quelques.années, on exilait le khan; on le renvoyait chez les Qazaq et on en faisait venir un autre. En résumé, c’était jouer au khan. Je donnerai d’autres détails lorsque je parlerai d’Iltazer Khan.
Les fils de Muhammad Emin Bay furent :
Niaz Muhammad Bek ; il se révolta contre Muhammad Rahim Khan, fut fait prisonnier et mis à mort.
“Muhammad Riza Bek; il fut aussi mis à mort par Muhammad Rahim Khan.
Muhammad Niaz Bek ; il est mort.
Jan Murad Bek, Hassan Murad Bek; ils furent tous les deux tués par les soldats de Bukhâra dans la bataille livrée par Iltazer Khan en 1221 (1806).
Qutli Murad Bek; il fut fait prisonnier dans cette affaire et conduit à Bukhâra. H éprouva les effets de la clémence de l’Amir Haydar qui le fit revêtir d’un vêtement d’honneur, le combla de présents et le nomma inâq de Khiwa. Qutli Murad avait pris, par traité et par serment, des engagements vis-à^vk de l’imir* Lorsqu’il arriva à Kliiva, le peuple avait déjà conféré la lignite de khan à son frère puîné Muhammad Rahim, Qutli lui fit sa soumission, mais le khan ne prenait aucune décision sans son avis. C’est un homme très instruit.
Sa monnaie porte pour légende : « Frappée à Khiwa, résidence de la souveraineté. Sultan Muhammad Rahim Bahadur Khân. » Iltazer est le premier khan de la tribu des Qunghirât. IL fit frapper de la monnaie, mais il n’eut pas le temps de la mettre en circulation, elle portait pour légende.
Distique : « Iltazer, l’héritier des rois du Kharezm, a, par la grâce de Dieu, imprimé son nom sur l’or et sur l’argent. »
Ywaz Bay succéda à son père dans la charge d’inâq. C’était un personnage d’une grande sagesse et d’une grande simplicité de caractère, tous les grands s’étaient partagés entre eux la province de Urghench ; il n’eut point la force de s’opposer à ce partage. C’était pendant le règne des khans Qâzaq. Toutes les fois que le khan était changé, la tribu des Yomout se mettait en état de rébellion, se livrait au pillage et interceptait les routes. Ywaz Bek avait de bonnes relations avec Bukhâra. Amir Shah Murad lui témoignait la considération. La tribu des Yomout, celle des Manghushlaqi et les Qazaqs ne reconnaissaient pas son autorité.
Les Uzbek Qunghirat de l’île d’Aral étaient en révolte ouverte contre lui. Leur chef nommé Tûra -Sufi était parent d’Ywaz Inâq. Les Uzbek ne reconnaissent plus depuis 60 ans l’autorité de Khiwa. Ywaz Inâq mourut en 1804. Voici la légende de son cachet : « Ywaz, fils de Muhammad Amin Bay Inâq, verra sa réputation s’étendre dans les pays étrangers jusqu’à l’Iraq. »
Quand Iwaz Inâq fut mort, le peuple se réunit et désigna Qutli Murad Bek comme ayant le droit d’occuper cette charge. Tous ses frères lui témoignèrent aussi le même désir.
Mais Qutli Murad leur dit : « Je ne veux pas accepter Sa responsabilité du gouvernement; que mon frère Iltazer soit Inâq ; quant à moi, retiré dans la vie privée, je ferai des voeux pour la durée de la vie de mes frères. »
Iltazer Khan présentait toutes les garanties de jugement et de bravoure; le peuple adopta donc cet avis. Du consentement unanime, Iltazer fut proclamé Inâq. Tous ses soins tendirent à bien administrer le pays et à le débarrasser des rebelles et des brigands qui battaient les grands chemins.
Selon l’ancien usage, le khan Qazaq demeurait dans le château de Khiwa ; on allait tous les jours le saluer et lui rendre hommage. Six mois se passèrent ainsi. Une nuit, Iltazer Khan fit appeler Qutli Murad et tint conseil avec lui.
« Timur Leng, lui dit-il, Nadir Shah, Muhammad Rahim Khan Manguit, souverain de Bukhâra, étaient-ils des fils de rois ou des hommes comme nous, qui se sont élevés par leur courage, par leurs qualités et sont, en dernier lieu, devenus Sultab, Pasi-Shah et Khan ? Grâces à Dieu, j’ai du jugement, du courage et des soldats. Quoi qu’il advienne, je mettrai ma confiance en Dieu. Jusques à quand supporterai-je comme un enfant cette plaisanterie du khan? S’il plaît à Dieu, je me sens assez de valeur pour mener à bonne fin tout ce que je prétends entreprendre. J’ai demandé votre avis, parce que je veux moi-même devenir khan. Je donnerai au khan Qazaq une somme d’argent et je le renverrai dans son pays, puis je me débarrasserai de la tribu des Yomut. » Qutli Murad Bek approuva cette résolution et récita la fatiha. Le lendemain Iltazer Khan fit sortir du château et partir le khan Qazaq pour le Dashti Qipchaq qui s’étend au nord de la province d’Urghench jusqu’à la frontière de l’empire de Russie. Cette steppe est la résidence de la tribu des Qazaq ; il lui dit en le renvoyant qu’il allait faire venir un autre khan ; mais il s’occupa aussitôt à lever et à équiper des troupes et, en peu de temps, il rassembla 10 000 cavaliers d’élite Uzbek, revêtus d’armures de fer et d’acier ; puis, il réunit les Ulama, les religieux et les notables, les Ataliq, les Inâq et autres.
« Je suis devenu khan, leur dit-il, désormais nous n’aurons plus besoin d’un khan Qazaq; » toute l’assemblée appela sur lui les bénédictions divines et lui prêta serment de fidélité, à l’exception de Bek Pulad, Ataliq de la tribu des Uyghur, branche de celle des Uzbek, et qui compte 5000 familles.
« Ce projet, dit-il, n’est point digne de vous. Imitez la conduite de votre père et celle de vos aïeux. Plaise à Dieu que vous ne puissiez mener à bonne fin une affaire aussi grave! »
Mais, en présence de l’acquiescement général, Bek Pulad se soumit et dit :
« C’est le désir du Bien qui a dicté mes paroles, car je n’ai dans cette conjoncture, ni prétentions ni ambition personnelles. Que Dieu bénisse ce qui vient d’être fait. Pour moi je suis du nombre de vos serviteurs et de ceux qui vous sont dévoués. »
Mais la rancune contre Bek Pulad se fixa dans le coeur de Iltazer ; il ne dit rien, cependant, dans cette séance. Le nouveau khan fit ensuite distribuer dea vêtements d’honneur aux grands, aux Ulama, aux religieux et aux Aq-Saqal ou anciens du pays.
Iltazer ne se hâta pas de faire battre monnaie.
Étant un jour à Khiwa, je me rendis à la prière du vendredi : le khatib monté sur le Minbar récita la Khutba en en ces termes, en présence de Iltazer Khan :
« O Dieu ! prolonge éternellement le règne du Khàqân, du khan illustre Iltazer Muhammad Bahadur Khan. Puisse Dieu accorder une durée sans fin à son règne et combler son existence de toutes les bénédictions. »
Toutes les tribus des Türkman, des Qaraqalpaq et des Uzbek arrivèrent en foule pour féliciter Iltazer sur son avènement au trône. Seule la tribu des Yomut, dont la conduite rappelle celle des Janissaires, continua à donner des marques d’insubordination et de révolte. Cette tribu est fixée dans le Kharezm depuis 60 ans; elle s’est toujours livrée au brigandage; aujourd’hui, elle est dans une situation difficile.
Iltazer Khan s’occupa de réunir des approvisionnements de guerre. Tous les matins et tous les soirs, une musique composée de grosses caisses, de tambours, de timbales, de clairons et d’autres instruments jouait à la porte de son palais. Il fit faire un Tugh pour lequel on dépensa mille mithqal d’or. Lorsqu’il sortait à cheval, vingt coureurs le précédaient; ses officiers particuliers marchaient derrière lui et des sergents d’armes, huissiers armés, l’entouraient. Il portait sur sa tête, inclinée du côté droit, une couronne d’or incrustée de pierres précieuses. Il fît payer la solde aux troupes et il se prépara à entreprendre une expédition contre la tribu des Yomut, résidant au sud de la province et de la ville de Khiwa et sur la lisière du désert qu’il faut traverser pour se rendre à Astrabad en Perse et au Gurgan.
Quelques-uns de ces Yomout habitaient des villages, mais la plus grande partie était nomade. On peut évaluer leur nombre à 12 000 familles. Chaque famille fournit deux cavaliers ; ils ont des chevaux de race et ils manient bien le sabre et la lance. Les Yomut se divisèrent en deux partis ; les uns inclinaient vers la soumission.
«Nous ne pouvons, disaient-ils, abandonner la patrie de nos pères et de nos aïeux. Comment pourrons-nous vivre sur une terre étrangère ? »
Les autres refusaient de se soumettre, car Iltazer Khan leur avait fait dire :
« Si vous abandonnez le genre de vie coupable que vous menez, si vous renoncez à la violence et au brigandage, si vous vivez comme les autres sujets et si vous acquittez l’impôt sur vos chameaux, sur vos brebis et sur vos récoltes, c’est Bien. Sinon, sortez de mes États. »
Cette proposition parut difficile à admettre à ceux qui, depuis plusieurs générations, ne faisaient que piller et dévaster les Biens des musulmans sans jamais donner un Dinar à personne. Semblables à des serpents, ils se replièrent sur eux-mêmes, mais ils ne purent résister aux ordres du Khan. Ceux qui se soumirent émigrèrent d’un côté, ceux qui ne voulurent pas obéir se préparèrent à s’enfoncer dans dans le désert qui mène à Astrabad de Perse. Iltazer Khan se lança à leur poursuite et les atteignit à la tête de 400 cavaliers. Les Yomut firent filer en avant leurs familles et leurs bagages et se mirent en devoir d’offrir le combat. Iltazer Khan était suivi par le gros de ses troupes.
Sans les attendre, il fondit sur eux à la tête de ses 400 cavaliers; les Yomut ne pouvant supporter le choc, furent dispersés comme les étoiles de la constellation de la petite et de la grande Ourse et ils s’enfuirent pour rejoindre la colonne formée par leurs familles et leurs bagages. Iltazer Khan, semblable à un lion furieux, les rejoignit; 500 d’entre eux furent passés au fil de l’épée, 500 autres furent blessés et faits prisonniers. Le reste des troupes d’Iltazer arriva ensuite et ces brigands Yomut s’éparpillèrent dans l’immensité du désert. Iltazer revint à Khiwa, victorieux, triomphant et chargé de butin.
Au bout de quelque temps il dirigea une expédition contre Tûra Sufi pour s’emparer de l’île d’Aral. La situation de cette île au milieu de la mer fit que cette tentative fut malheureuse et le khan revint à Khiwa. Il voulut alors déclarer la guerre à Bukhâra et il tint à cet effet conseil avec tous les notables du khanat. Tous l’approuvèrent en lui disant :
« L’opinion du khan est ce qu’il y a de plus parfait; il est le maître absolu. »
Mais Bek Pulad, Ataliq de la tribu de Uyghur n’approuva point ce dessein.
« Le khan de-Bukhara,-dit-il, est puissant et il a une nombreuse armée. Notre pays n’est pas assez fort pour se mesurer avec Bukhara et pour lui résister. »
Ces paroles donnèrent une nouvelle force à la rancune d’Iltazer contre Bek Pulad.
Cependant il n’en fît rien paraître et il attendit une occasion favorable. Un jour, il dit en secret à ses confidents :
« Demain, je ferai mettre Bek Pulad à mort, sachez-le. »
Il introduisit plus de 500 hommes armés dans le palais.
Le lendemain, au moment du divan et de l’audience publique, les émirs arrivèrent à cheval, lun après l’autre ; ils furent reçus par le khan et ils quittèrent ensuite le palais.
Lorsque Bek Pulad Ataliq sortit de la salle d’audience et voulut monter à cheval, des hommes apostés se précipitèrent de tous côtés sur lui et le tuèrent à coups de couteau.
La nouvelle du meurtre de Bek Pulad Ataliq parvint à sa famille et à sa tribu. Elles levèrent l’étendard de la révolte, et se mirent sur pied. Il y eut deux rencontres entre Iltazer et les Uyghur et beaucoup de monde fut tué de part et d’autre. Les fils de l’Ataliq furent réduits à prendre la fuite. Ils se réfugièrent à Bukhâra auprès de l’Amir Haydar. Iltazer réussit à s’emparer par ruse de quelques notables de la tribu des Uyghur et les fit mettre à mort ; les autres réduits à l’impuissance durent se soumettre, accepter une paix semblable à celle qui est imposée par le loup.
Iltazer Khan, après réflexion, se dit :
« Je suis de la tribu des Uzbek ; mes ancêtres n’ont point exercé la souveraineté : je veux trouver un moyen pour que mes enfants soient de noble race, qu’ils me succèdent au trône et que le pouvoir se consolide dans leurs mains. »
Akhta Khwaja, Sayid d’une-illustre naissance et l’un des cheikhs les plus révérés de l’époque, était fixé à Urghench ; il avait une fille qu’Iltazer manifesta le désir d’épouser. Lorsque cette nouvelle parvint aux oreilles du Khwaja, il en fut troublé, et fiança aussitôt sa fille à son neveu ; Il fit faire en toute hâte les préparatifs du festin de noces et de la cérémonie nuptiale. Iltazer Khan en fut immédiatement informé. Il envoya quelques hommes.auxquels il donna l’ordre d’amener de gré ou de force cette jeune fille pour qu’il pût l’épouser. Ces envoyés, sans demander le consentement et les ordres du Sayid, conclurent (par procuration) le mariage d’Iltazer et revinrent à Khiwa où les noces furent célébrées. Le chagrin empêcha le seyid de goûter aucun repos pendant une semaine ; nuit et jour il n’était occupé qu’à faire des voeux pour la chute d’Iltazer.
En effet, Iltazer ne jouit plus ni de tranquillité dans sa vie ni de bonheur dans son gouvernement.
Il résolut, quelque temps après son mariage, de marcher contre Bukhâra. Bukhâra est, en effet, le pays le plus voisin de Khiwa, car la Russie en est éloignée de 40 journées de marche ; la Perse est à 20 jours de marche et pour y arriver il faut franchir le désert. Ce pays est situé au sud et au sud-ouest. Il faut 20 jours pour arriver à la mer Caspienne; il ne faut que 8 jours de marche pour arriver a Bukhâra qui se trouve à l’orient. Quand l’expédition contre Bukhâra fut décidée, il dépêcha un envoyé à Astrabad avec des propositions de paix, un traité et des engagements appuyés sur les serments les plus solennels pour s’aboucher avec la. tribu des Yomut. Il leur fit dire de revenir avec leurs bagages et leurs familles, dans la patrie de leurs ancêtres. On leur promettait de les traiter avec la plus grande douceur et la plus grande amitié. Rien ne devait être fait sans qu’ils fussent consultés et sans leur avis, et ils devaient, s’il plaisait à Dieu, participer à tous les succès d’Iltazer. Quand ces brigands pervers entendirent parler de pillage, ils s’épanouirent comme des boutons de rose, et, remplis de joie et d’allégresse, ils se préparèrent à retourner dans leur ancienne patrie.
On raconte qu’un prédicateur prononçait un sermon dans lequel il faisait la description du paradis. Un Turc se trouvait dans l’auditoire.
« Pourra-t-on-y faire des expéditions pour piller et pour voler, demanda-t- il ? »
« Non, lui fut-il répondu. »
« Alors, répliqua-t-il, l’enfer est préférable à ce paradis. »
Les Yomut partagent cette opinion.
Bref, cette tribu revint avec toutes ses familles dans la province d’Urghench, où on leur rendit leurs terres à cultiver. L’arrivée de la tribu des Yomut augmenta les forces d’Iltazer ; il fut enivré par les fumées de l’orgueil et de la présomption et il prit pour règle de conduite la violence et la tyrannie. Il s’emparait des Biens des marchands et des cultivateurs. Les plaintes des opprimés montèrent au ciel. Enfin il arriva que, dans l’année 1805, il fit une expédition contre Bukhâra : les troupes de l’Amir Haydar le poursuivirent sans l’atteindre, car le désert sépare Bukhara de Urghench ; il fit sur les bords du fleuve Âmu deux ou trois excursions pour les ravager et il arriva ce qui est arrivé :
Distique. « Le petit qui veut combattre plus grand que lui, tombera de telle façon qu’il ne pourra jamais se relever. »
J’ai raconté avec détails l’expédition d’Iltazer, j’ai dit comment il avait été englouti dans les flots et comment il avait perdu la vie (1). Je l’ai dit quand j’ai rendu compte de la vie de Seyid Amir Haydar : il est inutile de répéter les mêmes faits.
Un des principaux officiers de Iltazer Khan était Wali Tintek, gouverneur de Shâbad, place forte célèbre de la province d’Urghench. C’était un homme puissant et le chef d’une tribu. Il se considérait comme un autre Rustem, fils de Destan; il ne cessait, à cette époque, de dire et de faire savoir à Bukhâra que dans peu de temps son Tugh serait planté sur la place du Righistan. Cet homme était bouffi d’orgueil. Au bout de deux ou trois mois, la guerre avait éclaté. Ce héros s’enfuit du champ de bataille pour se jeter dans le Jayhûn. Arrivé sur les bords du fleuve, il tomba dans un bourbier. Il fut rejoint par les braves soldats de Bukhâra et tué d’un coup de pistolet. Sa tête fut coupée, envoyée à Bukhâra et suspendue à la potence sur la place du Righistan, à l’endroit même ou il voulait planter son Tugh. Elle y resta exposée pendant une semaine. Puis, on la mit enterre. Un collecteur des taxes nommé Qilij, homme violent, arrogant et audacieux, fut aussi noyé en même temps qu’Iltazer et ses gens. Ils trouvèrent tous la récompense de leur conduite.
Vers. « Iltazer Khan, qu’est devenu Wali Tintek ? Son orgueil l’a précipité dans le gouffre d’un fleuve profond comme la mer. Quel juste miracle s’est manifesté à l’égard de Qilij, ce tyran, cet oppresseur néfaste ! Dieu est le plus, grand ! Il n’a point connu le bonheur. La vie lui a été ravie dans sa fleur. Il a été saisi par une une mort inopinée ! Puisse, ô mon Dieu ! la durée des oppresseurs trouver ainsi son ternie; puisse le trépas être la récompense des tyrans!
« Les officiers de l’armée du Kharezm, semblables à des poissons, ont plongé dans un fleuve où ils ont tous été engloutis. Tout homme violent qui a molesté le peuple n’a pas vu son existence se prolonger et il est mort aux jours de sa jeunesse. Grâces à Dieu, ceux qui pratiquent l’injustice dans ce monde disparaissent et sont anéantis rapidement. Quiconque témoignera du mépris à Bukhâra verra à la fin sa tête suspendue au gibet. Je vais raconter l’histoire de ces gens pervers, prêtez-moi une oreille attentive.
« Ceux qui se déclareront les ennemis de Bukhâra recevront sans aucun doute la même récompense. Qu’est devenu Bayram ‘Alî, cet homme enivré d’orgueil ? Le flambeau de sa race a été complètement éteint. Le khan eunuque était notre ennemi éternel. Sa tête a été séparée de son corps pendant son sommeil. Nur Thay, qui s’était fait connaître par ses brigandages, n’a joui du monde ni pendant ni après.
« Allah Bardi, ce guerrier plein de superbe est tombé dans nos mains sans résistance et sans combat. Rahmat Allah s’était toujours distingué par sa haine contre nous :
Une flèche est tout à coup venue le frapper au cœur. Il n’a point non plus été heureux, ce roi de Kabul qui a tourné ses armes contre l’Amîr de Bukhâra (4).
« Khuda Yar était dans ce siècle un héros ; il a quitté ce monde en proie au désespoir. Ner Boutèh n’avait point le jugement d’un sage. Cet infortuné a dû, à la fin, abandonner Khoqand.
‘Umar Bay était éloquent : il a emporté cette qualité sous la terre obscure ; et les têtes de ses compagnons, qui l’avaient suivi dans sa révolte, ont été réunies en conseil au pied du gibet.
Aman Bay, dont le nom était dans toutes les bouches, a été déchiré et dévoré par les chiens, de la rue.
‘Ala ad Din, l’un de ces gens pervers, a témoigné son inimitié contre Bukhâra : il s’est livré à l’intrigue, à la sédition ; il n’a eu ni bonheur, ni postérité, ni honneur.
« Il vaudrait mieux que les femmes enceintes accouchassent de serpents, plutôt que de donner le jour à des oppresseurs du peuple. »
En résumé, ce jour-là, Iltazer perdit 2000 soldats qui disparurent dans les flots. Son frère, Muhammad.Rahim Khan, rencontra sur le champ de bataille Mahmud Khwaja, fils de ‘Abd al Hay Khwaja de Bukhâra ; il lui asséna un coup de sabre qui lui enleva une oreille, le nez et la moitié du visage; puis, il se dirigea rapidement vers la rive du fleuve, et il s’y précipita avec son cheval. Sa vie n’étant point arrivée à son terme, il sortit de ce tourbillon et atteignit le rivage du salut. Il parvint à gagner Khiwa, et, le même jour, il s’assit sur le trône du khanat. Iltazer avait régné environ deux ans. C’est en l’année 1806 qu’il fut noyé dans le Jayhûn.
Muhammad Rahim Khan lui succéda. Son frère Iltazer Khan avait péri ; les soldats de l’armée avaient été, les uns faits prisonniers, les autres noyés ou tués sur le champ de bataille ; le trésor avait été livré au pillage. Deux de ses frères, Hassan Murad Bek et Jan Murad Bek,- avaient succombé les armes à. la main ; Qutli Murad Bek, leur aîné, avait été fait prisonnier. Tous ces frères étaient issus de la même mère. Echappé à ces dangers, Muhammad Rahim se réfugia à Khiwa et fut nommé khan. Son frère Qutli Murad Bek revint de Bukhâra, et tous deux s’occupèrent, de concert, à remettre en ordre les affaires de la province. Ils firent tout d’abord les préparatifs d’une expédition contre l’île d’Aral. Ily eut de grandes pertes de part et d’autre, mais cette entreprise ne fut pas couronnée de succès. Les bords de la mer d’Aral furent complètement ravagés.
Au bout de quelque temps, Muhammad Riza Bek, oncle de Rahim, se révolta à la tête d’une troupe de Uyghur. Ils se livrèrent au pillage, mais Riza Bek fut fait prisonnier et mis à mort par l’ordre de Muhammad Rahim Khan. Quand les Uyghur furent rentrés dans le calme, Muhammad Rahim Khan fit venir auprès de lui soixante personnages notables de cette tribu sous prétexte de leur faire des présents et de conférer avec eux. Ils se rendirent à Khiwa sans concevoir le moindre soupçon. Quand ils entrèrent dans le château, ils furent arrêtés et massacrés.
Pendant l’hiver, l’armée fit une expédition dans le Dashti Qipchaq contre les tribus Qazaq de Chekli, de To’rt Qara et de Cho’meki. Ces tribus résident sur les terres qui bordent la province d’Urghench et l’empire de Russie. Au printemps elles se rapprochent des frontières de ce dernier pays, et elles y établissent des marchés pour vendre et pour acheter. Elles amènent des moutons, des chameaux, des bœufs ; elles apportent de la laine, du beurre, des peaux de moutons, de renards et d’autres marchandises. Chaque année, ces tribus vendent à la Russie pour quatre millions de moutons, de boeufs et d’autres marchandises.
Le Dashti Qipchaq s’étend sur une longueur de cinq mois de marche depuis la mer Caspienne, jusqu’à Kachgar et Ilèh qui font partie de l’empire chinois ; il est borné dans sa largeur, d’un côté par Urghench, Bukhâra, Samarqand, Khodjend, Tachkend, Andijan,Namangan, et de l’autre par les frontières de l’empire russe, à partir d’Astrakhan, en passant par Tibiq, Orenburg, Yeman-Qala, Turiska (Trusk), Qizildjar (Petropavlosk), Chemi (Ichim), Semi-Pulad (Semi-palatinsk), Kaklit (Kiakhta), jusqu’aux frontières d’Aqsu qui fait partie de la Chine. C’est dans ce désert que résident les tribus Qazaq; sa largeur est de 60 étapes. Au printemps, ces tribus se rapprochent des frontières de la Russie, et, en hiver, elles viennent établir leurs quartiers sur les con-fins de Bukhâra, de Khiwa et de Turkestan. Les tribus qui se fixent dans les environs d’Urghench sont celles de Chekly, To’rt Qara, Oy, Qirq Miltigh, Buzeji Chudur, Qaraqalpaq, etc. Les tribus des alentours de Tashkend, Bukhara et Samarqand, sont celles de Cho’meky, Quyuth, Jebas, Qipshaq, Jaghal-Bay, et Qaraqalpaq, etc. Les tribus des environs de Tashkend, de Khoqand, jusqu’aux environs d’Andijan et de Namangan et jusqu’à Kashgar sont les tribus de Qunghirat, Huchan, Orta Yuz, Qirghiz, Tama et autres dont l’émunération serait trop longue.
Elles habitent toutes sous la tente. La plupart d’entre elles ne mangent pas de pain, ne pouvant avoir de blé ; elles se nourrissent de viande de cheval, de lait de jument qu’elles nomment qimiz, de lait de brebis caillé et de lait de chamelle. Il y a dans ces tribus des gens qui possèdent 5000 chevaux, 5000 moutons, 500 chameaux et 1000 boeufs; mais, la plupart de ces nomades sont misérables et dénués de ressources. Les riches prennent soin des pauvres. Leurs vêtements sont faits de peau de cheval et de peau de mouton. Chaque tribu a un chef ou Tûra auquel on donne le nom de Sultan. Ainsi Shir Ghazi Sultan commande aux tribus de Shekli et de To’rt Qara; Bulki Sultan, aux Cho’meki, aux Jebas et autres ; Khouda-i-Banda Sultan, aux tribus d’Orta Yuz, Qunghirat, Tema et Hushan ; Qubuz Sultan est le chef des tribus des Qirghiz et de celles qui sont fixées dans les environs d’Ila et d’Aqsu en Chine.
Tous ces princes qui prennent le nom de sultan sont des descendants de Jenghiz Khan et de Jo’chi Khan. Les Qazaq sont turbulents et peu disposés à l’obéissance. Quand parmi eux un meurtre a été commis, il.est de règle que le meurtrier donne mille moutons pour payer le rachat du sang. Le prix du sang du khan n’est point fixé, car s’il venait à être tué, on ne pourrait, disent-ils, établir un compte exact pour le prix de son sang: Ces tribus font continuellement des expéditions l’une contre l’autre pour se piller.
Il y a quatre routes pour se rendre de Bukhâra en
Russie : la première passe par Turkestan, ville fortifiée où se trouve le tombeau de Khwaja Ahmed Yasawi : elle est située sur le bord du Sayhûn vers le Dashti Qipchaq ; en partant de cette ville, on traverse le territoire occupé par les tribus de Qounghourat, Hushan, Alma Yuz et l’on parvient à Qiziljar sur la frontière de Russie. La seconde route part de Bukhâra, traverse le Sayhûn sur le territoire des Jebas et conduit à Turiska située sur la frontière de Russie. La troisième route part de Bukhâra, longe le Sayhûn et traverse le territoire des tribus des Sho’meki, des Shekli, et des To’rt Qara.pour aboutir à Orenbourg. La quatrième route est celle de Bukhâra à Urghench et à Manghichlaq. Elle traverse le pays des Oy Qazaq qui habitent les bords de la mer Caspienne et elle aboutit à Astrakhan : ou Bien, parti d’Urghench, on passe par le pays des Qazaq Teurt Qara pour arriver à Orenbourg. Tous les conducteurs de bêtes de somme appartiennent à ces tribus Qazaq.
La distance qui sépare Orenbourg de Bukhâra est de 50 journées de caravane. La distance d’Urghench à Orenbourg est à peu près la même. Pendant l’hiver, le froid est rigoureux dans cette contrée, il tombe beaucoup de neige et les orages sont fréquents. On y trouve peu de bois.
Pendant l’été, on ne distingue pas de route tracée sur le sable et l’eau est très-rare. Cependant toutes ces tribus Qazaq savent creuser des puits. Ces difficultés naturelles ont empêché les Russes de convoiter ce pays. Ils en sont séparés par une longue étendue de terre où il est Bien difficile de transporter des vivres et de l’eau. Le Dieu maître du monde a créé une muraille d’Alexandre entre les musulmans et les Russes qui sont semblables à Magog. Si elle n’existait pas, ceux-là ne pourraient pas résister de ce côté aux armées cdes infidèles ni les repousser.
Je reviens à mon récit et à la narration de l’expédition que Muhammad Rahim Khan fit contre les tribus Qazaq.
Muhammad Rahim donna l’ordre aux Yomut et aux guerriers Uzbeks de courir sur les tribus qui se livraient au brigandage et qui, depuis de nombreuses années, pillaient les caravanes des musulmans sans avoir été châtiées. Les Turkomans et les Uzbeks fondirent à l’improviste sur les tribus des Cheumeky et Chekly et livrèrent au pillage leurs Biens et leurs richesses. ïls rentrèrent à Urghench ramenant prisonnières les jeunes filles de ces tribus.
L’année suivante, les tribus des To’rt Qara et des Oy furent également pillées. Ensuite, pendant l’hiver, l’armée se dirigea sur l’île d’Aral, domaine des Qunghurat qui, depuis 60 ans, vivaient indépendants et pillaient de temps en temps les caravanes d’Urghench. Il est impossible défaire arriver des troupes à Aral, lorsque l’eau n’est pas gelée. A l’époque où les troupes de Khiwa se dirigèrent de ce côté, la mer était prise par la glace. Les habitants de l’île furent donc attaqués. On perdit beaucoup, de monde des deux côtés, et la situation devint critique pour les Araliens. Il y avait alors dans cette île un Khivien qui, redoutant la colère d’Iltazer Khan, s’était enfui et étail venu se réfugier auprès de Tûra Sufi Murad. Il était resté quelques années à son service et avait acquis sa confiance. Les combats qui se livrèrent .entre les troupes de Khiwa et celles d’Aral lui firent voir que la fortune de Sufi était sur son déclin. 11 consulta son fils et lui dit :
« Sufi Murad est maintenant seul dans un endroit écarté; ses soldats sont engagés sur le champ de bataille ; saisissons l’occasion favorable, tuons Soufy Murad Tûra et portons sa tête comme un présent à Muhammad Rahim Khan. Sans aucun doute, il nous pardonnera nos crimes passés et il nous donnera des présents, un vêtement d’honneur et un emploi. Nous délivrerons le peuple de la tyrannie de Sufi Murad et nous aurons accompli un acte très-méritoire. »
Le fils approuva hautement ces paroles. Ils s’assurèrent que Sufi Murad était seul et endormi; il n’y avait d’autre personne à son service auprès de lui que le père et le fils. Ils tirèrent leurs sabres, tuèrent Murad Soufy, jetèrent sa tête dans un sac et se dirigèrent en toute hâte vers le camp de Muhammad Rahim. Les soldats de Muhammad Rahim souffraient beaucoup du froid et du manque de- vivres. Tout à coup, ils virent arriver un individu qui avait commis un meurtre et qui se dirigeait vers le quartier du khan pour solliciter l’aman (demander grâce). Les soldats lui donnèrent l’aman ; il se rendit auprès du khan et jeta à ses pieds la tête de Sufi Murad.
Vers. « Il jeta la tête de Sufi aux pieds du khan ; lorsque celui-ci la vit, il la reconnut. »
Le khan fit immédiatement revêtir ces deux personnes d’un vêtement complet ; il leur accorda une gratification et leur donna un emploi. On cria aux soldats de Tûra Sufi :
« Pourquoi continuez-vous à combattre ? Tûrah Sufi a été tué : cessez une lutte inutile. » Lorsque les troupes de Sufi furent assurées de la mort de leur chef, elles demandèrent quartier, et se dirigèrent, le linceul et le sabre au cou, vers le camp de Muhammad Rahim Khan. Celui-ci accorda un pardon général; on fit ensuite partir la famille et les richesses de Sufi et on revint à Khiwa chargé de butin, triomphant et victorieux. Muhammad Rahim établit comme gouverneur d’Aral un personnage possédant sa confiance. Les tribus Qazaq qui étaient en état de rébellion firent toutes leur soumission.
Aujourd’hui ce district jouit d’une grande sécurité. Muhammad Rahim épousa, en légitime mariage, la fille de Sufi Tûra.
Une autre fois, il fit, à la tête de 25 000 cavaliers, une incursion sur les frontières de Perse, dans le pays occupé par les Kurdes de Mashhad et à Kelât, patrie de Nadir Shah, et il en ramena beaucoup de prisonniers. Il y a 16 étapes de Khiwa aux frontières de Perse. Toutes les fois que le khan fait une incursion en Perse, il en rapporte un butin considérable et il en ramène un grand nombre de prisonniers ; il les vend soit à Bukhâra, soit dans ses propres Etats. Les Persans redoutent beaucoup ces expéditions : chaque fois que leurs troupes sont engagées contre Bukhara, les Khiwiens ravagent les provinces de la Perse.
Khiwa est aujourd’hui en paix avec Bukhâra. Le khan n’a jamais envoyé d’ambassadeur à la cour de Russie. Muhammad Rahim Khan est doué d’un grand courage ; il manie très-Bien le sabre, il est plein de générosité ; toutes ses actions sont conformes à la loi religieuse; il estime les Ulama et il n’est point porté à la tyrannie.
Il avait pour ministre Yar Muhammad; c’était un homme généreux dévoué et qui, depuis son enfance, était à son service. Sa maison était contiguë au palais du khan. Un membre de la famille de ce ministre vint de Bukhâra pour lui faire visite et s’établit chez lui en qualité d’hôte. C’était un jeune ^ homme d’une figure agréable. Le khan était, à cette époque, en expédition. A son retour, on lui fit savoir par l’intermédiaire de ses femmes, qu’une nuit, des esclaves avaient vu l’hôte de Yar Muhammad dans l’appartement de la fille de Soufy Murad ; selon un autre récit, on lui fit dire que pendant son absence la fille de Tûra Murad était allée dans la maison de Yar Muhammad et que celui-ci lui avait fait de nombreux cadeaux. Telles sont les deux versions.
Le khan demanda à la fille de Tûra Murad : « Quand tu es allée dans la maison de Yar Muhammad, quelle marque de considération t’a-t-il donnée ? » La fille du Tûra, qui n’avait que quatorze ans, répondit : « Il m’a donné tels et tels présents. » — « Fais-les apporter pour que je les voie » répartit le khan. On les apporta immédiatement. Le khan sortit sans dire un mot. C’était Laylat-i-Qadr. Le khan ne fit aucune enquête, ne demanda aucun renseignement et ne fit aucune recherche. C’était au moment de la prière du coucher. Il donna l’ordre d’arrêter la famille de Yar Muhammad Divan Begi ; il le fit saisir, lui, son hôte, sa femme, ses enfants, trente-six personnes petites ou grandes et même les enfants au berceau : les femmes furent mises à mort.. La fille de Tûra Murad fut exécutée avec deux esclaves. Yar Muhammad fut appliqué à la torture, mais on ne tira de lui aucun argent ; il n’avait que des dettes. « Je n’ai point amassé de richesses, dil-il, je n’ai point commis d’acte de trahison, je suis innocent. La femme du khan est venue dans ma maison, et c’est pour lui faire honneur que je lui ai présenté des cadeaux ; je n’ai point eu occasion d’en instruire le khan. C’était ma destinée ; l’ordre appartient au Dieu unique, au Dieu terrible. » Le khan envoya ce malheureux rejoindre ses amis. Il ne resta personne de la famille de Yar Muhammad : tous furent admis au nombre des martyrs.
En résumé, on ne voit jamais un Uzbek avoir des principes de justice et, de religion. Ils sont comme les boyaux du mouton qu’on ne peut purifier en les lavant. Les Uzbeks ne sont jamais animés de sentiments purs et nobles. La conduite de Muhammad Rahim fut désapprouvée par son peuple et par tous ceux qui se trouvaient près ou loin ; tout le monde lui en fit un reproche. Que Dieu très-haut ne fasse pas retomber sur un innocent la faute commise par un autre.
Car Dieu a dit : « Toute âme chargée d’un fardeau ne portera pas celui d’une autre »
Maintenant, c’est-à-dire en l’année 1818 Muhammad Rahim Khan gouverne la principauté d’Urghench et de Khiwa. Son nom figure sur la monnaie et il est prononcé dans la Khutba. Il frappe de la monnaie d’or et d’argent ; le poids du Tilla est d’un mithqal celui de la monnaie d’argent appelée Tenga est d’un dirhem. Sur une’ des faces du tilla on lit : « Frappé à Khiwa, résidence de la souveraineté, » et sur l’autre :
« Muhammad Rahim Khan Bahadur. » En tout état de cause, Rahim Khan est plus équitable et plus humain qu’Iltazer Khan.
Le royaume d’Urghench est aussi désigné sous le nom de Besh Qala. La première place forte se trouve sur la rive du Jayhûn et sur la route de Bukhâra ; elle porte le nom de Hazarasp ; elle est située sur une éminence et bien fortifiée; elle est entourée d’eau et il est difficile de s’en emparer. On lit dans les chroniques, que lorsque Kharezm Shah se révolta contre Sultan Sanjar qui régnait à Marw-i-Shâhijan, le sultan se dirigea de Marw sur Hazarasp avec une nombreuse armée pour le châtier. Le poète Rashid Wathwath se trouvait dans la place. Il était resté de longues années au service de Sultan Sindjar avec lequel il s’était brouillé pour un motif de peu d’importance. Il s’était réfugié auprès de Kharêzm Shah qui lui avait témoigné beaucoup d’amitié et d’affection. Invery attaché au service de Sultan Sindjar, écrivit suc une lèche qu’onlanfa dans ïïezâfeêp, le distique suivant :
Distique. « Empâlwtoi aujourd’hui de Hêzâresp après un seul assaut ! demain, tu seras le maître du Kharezm et de cent mille chevaux. »
– On porta cette flèche à Rechid ; il en demanda une autre qui fut lancée dans le camp du sultan, et sur laquelle il avait écrit ce distique :
Distiqué. « 0 roi ! quand Bien même tu serais le héros Rustem^ un âne ne peut pas être le vainqueur de mille chevaux. » (Hezâr Ësp)'(g).
Le sultan après avoir lu ces deux vers fut transporté de colère. Il jura que, s’il parvenait à s’emparer de Reçhid, il le couperait en sept morceaux. Au bout de quelques jours, . la place de Iiezaresp fut prise ; Rechid Vathvath redoutant là colère du sultan, s’adressait à tout le monde pour intercéder en sa faveur, mais personne ne.voulait le protéger. A la fin, il trouva un intermédiaire dans la personne de l’écuyer du sultan qui, autrefois, avait eu avec lui des rapports d’amitié.
Il fut convenu que, lorsque le sultan serait dans une disposition d’esprit favorable, Vathvath serait introduit en sa présence, et que, dans ce moment propice, il lui parlerait.
L’écuyer donna cette assurance à Vathvath. Pendant que le sultan assistait à un joyeux festin, l’écuyer fit paraître devant lui Rechid Vathvath dont la taille ne dépassait pas une coudée et demie et dont l’apparence était frêle et délicate.
Son chétif extérieur lui avait valu le surnom de Vathvath.
Vathvath est le nom d’un oiseau dont le corps est très-effilé et dont les pattes sont à peine visibles. Rechid dit immédiatement au sultan: « 0 mon roi ! j’ai entendu dire que vous aviez, pour une faute légère commise par lui, donné l’ordre de couper Vathvath en sept morceaux. Vathvath est un être faible et débile, il serait impossible de le tailler en sept quartiers. Pourquoi ne pas le couper seulement en deux? » En entendant ces mots, le sultan se mit à rire et lui accorda son pardon.
La deuxième place forte est celle de Khânqâh. La troisième celle d’Urghench. La quatrième celle de Kat. La cinquième celle de Shâhbad. Les villes de Khiwa et de Gulran sont aussi entourées de fortifications. La longueur de la province est de 5 journées de marche. Sa largeur de deux à trois journées. Nous n’y comprenons pas l’île d’Aral à cause de son éloignement, Dans le Kharezm les villages sont rapprochés les uns des autres. Les nomades Turkomâns* Uzbeks et Qâraqalpâq sont nombreux. Le khan peut lever 40 000 hommes de troupes quand cela est nécessaire. Aujourd’hui 1818, Muhammad Rahim Khan est souverain d’Urghench et de Khiwa (1).
C’est à Khiwa que se trouvent le tombeau et la sépulture de Pâhlawan Baba Mahmud, On lit sa biographie dans un livre quirapporte qu’un lutteur était venu de l’Inde à Khiwa, Selon une autre version, Pahlawan Mahmoud se serait rendu auprès du souverain de son pays. Celui-ci donna l’ordre de faire combattre le lendemain Pahlawan Mahmoud avec un lutteur indien. Le soir, Pahlivan Mahmud alla faire ses dévotions au tombeau d’un saint personnage. Il y vit une vieille femme qui, la tête nue et le visage tourné vers le ciel, invoquait Dieu en disant : « 0 mon Dieu! ne couvre pas de honte et de confusion, aux yeux du peuple, mon fils qui doit demain lutter avec Pahlawân Mahmud ! donne à mon fils assez de vigueur pour ne point être jeté à terre et permets^-lui de terrasser Mahmud. » En entendant ces mots, Pâhlawan Mahmud fut saisi de pitié et de compassion pour cette faible créature ; il l’aborda et lui dit : « O.ma mère ! le Dieu très-haut a exaucé tes voeux : demain, Pahlawân Mahmoud sera étendu sur le sol, » Ces paroles çomblèrënt dê joie cette vieille femme. Lé lendemain, lorsque les deux adversaires se mirent à lutter, Pahlawan Mahmud fut renversé, à l’etonnement de tous les spectateurs. Le jour suivant; le roi se rendit à la châsse. Pahlawan Mahmoud se trouvait sur le bord d’un ravin ; tout à coup, le roi poussa son cheval qui fit un bond et arriva au bord du précipice ; le roi ne put retenir sa monture et peu s’en fallut qu’il ne fût précipité avec elle dans le ravin. Pahlawan Mahmoud, de sa main ouverte, arrêta le cheval et prévint tout accident. Le roi le combla d’éloges et il fut reconnu alors que c’était par suite d’un dessein prémédité qu’il s’était laissé renverser, car le lutteur indien était loin d’avoir sa vigueur.
Mahmud est un personnage qui a été favorisé par des révélations divines et dont la sainteté s’est manifestée par des miracles. Que la miséricorde de Dieu soit sur lui (1) !