Tant que les Perses ou les Égyptiens eurent la prééminence dans l’Orient, les fidèles eurent cependant moins à souffrir que lorsque les Turcs, ayant étendu leur empire, commencèrent à se rapprocher des frontières de ces peuples: enfin, lorsque les Turcs se furent emparés de la ville sainte, et pendant les trente-huit années qu’ils la conservèrent, le peuple de Dieu fut: encore plus cruellement persécuté, et en vint à trouver léger le joug qu’il avait eu précédemment à supporter. […]
La race des Turcs ou Turcomans était, dans le principe, une nation septentrionale, tout à fait barbare et sans résidence fixe.Les Turcs vagabonds se transportaient çà et là, cherchant partout de bons pâturages, n’ayant nulle part ni ville, ni établissement, ni cité permanente. Lorsqu’ils voulaient partir, ceux de la même tribu s’avançaient ensemble, ayant à leur tête un des hommes les plus considérables de leur tribu, comme une sorte de prince: toutes les contestations qui s’élevaient dans la même tribu lui étaient soumises, l’une et l’autre des parties intéressées obéissaient à sa décision, et nulle d’elles n’aurait impunément tenté de s’y soustraire. Dans leurs émigrations, ils transportaient avec eux toutes leurs richesses, leurs haras, leur gros et leur menu bétail, leurs esclaves, hommes et femmes c’était ce qui composait leur fortune. D’ailleurs, en aucun lieu ils ne s’adonnaient à l’agriculture; ils ignoraient complètement les contrats de vente et d’achat, et ne se procuraient que par voie d’échange tout ce qui pouvait être nécessaire à leur subsistance. Lorsque de bons herbages leur inspiraient le désir de dresser leurs tentes en un lieu, et de s’y arrêter quelque temps sans être troublés, ils avaient coutume d’envoyer quelques-uns de ceux qu’ils jugeaient les plus sages dans leur tribu, au prince du pays où ils arrivaient; ils concluaient des traités sous les conditions agréées réciproquement, s’engageaient à payer au prince certaines redevances stipulées, et alors ils demeuraient là selon les conventions, vivant au milieu des pâturages et des forêts.
Une multitude innombrable de ces Turcs, ayant marché en avant, et séparée du reste de la population, arriva sur les frontières de la Perse, et y trouva un pays qui lui convenait parfaitement. Ils payèrent au roi qui gouvernait alors le tribut dont ils étaient convenus dès leur arrivée, et y demeurèrent pendant quelques années, plus longtemps qu’ils n’avaient coutume de faire. Leur population s’accrut considérablement, et il n’y avait pas de raison pour qu’elle n’augmentât à l’infini. Le roi et les indigènes, ayant en quelque manière le pressentiment de l’avenir, commencèrent à redouter cet accroissement. On tint conseil, et on résolut de les expulser à main armée des frontières du royaume. […] Ils traversèrent le fleuve Cobar, qui de ce côté formait la limite de l’empire, et ce fut pour eux une occasion de voir […] l’immensité de leur population comme ils avaient toujours vécu séparés les uns des autres[…]
Ils reconnurent avec certitude qu’ils n’étaient inférieurs en nombre ni en force au peuple de Perse, ni à aucune autre nation; qu’enfin il ne leur manquait, pour occuper à main armée les pays voisins, qu’un roi tel que les autres peuples en avaient. […] ils firent une revue complète de leur immense population, et y reconnurent 100 familles plus illustres que les autres. Ils ordonnèrent alors que chacune […] apporterait une flèche, et on forma ainsi un faisceau [qui…] fut recouvert; on fit venir un jeune enfant innocent […pour] en retirer une seule flèche, après avoir publiquement arrêté que celle que le sort amènerait désignerait la famille dans laquelle on prendrait le roi. L’enfant tira la flèche de la famille de Selduc, […]un homme très considérable, noble et illustre dans sa tribu, d’un âge avancé, mais conservant encore toute sa vigueur; il avait une grande expérience militaire, et, par son bel extérieur, possédait la majesté d’un grand prince. […] et chacun adoptant le traité d’union, vint s’engager de sa personne, et par serment, à obéir aux ordres du nouveau souverain.
[…] En peu d’années ils conquirent, non seulement le royaume des Perses, mais même tous les autres royaumes de l’Orient; car ils domptèrent les Arabes et les autres nations en possession de l’empire. Ainsi un peuple vil et abject parvint rapidement au plus haut degré de puissance, et domina dans l’Orient. Ces événements arrivèrent environ trente on quarante ans avant que nos princes d’Occident entreprissent le pèlerinage dont je vais écrire l’histoire. Et afin qu’il y eût au moins une différence de noms entre les hommes de cette race qui, s’étant donné un roi, avaient obtenu une gloire immense, et ceux qui, n’abandonnant pas leur ancienne manière de vivre, étaient restés dans leur grossièreté primitive, les premiers prirent le nom de Turcs, les autres conservèrent leur ancien nom de Turcomans.