ZAL et le SIMURGH
Maintenant je vais raconter d’après des récits anciens une histoire étonnante. Écoute comment la fortune se joua de Sam, et prête-moi l’oreille, ô mon fils ! Il n’avait pas d’enfants, et son cœur souhaitait un objet qu’il pût aimer. Or il y avait dans l’appartement de ses femmes une beauté dont les joues étaient des feuilles de rose, dont les cheveux étaient du musc. Il espérait avoir un fils de cette belle, car elle avait un visage de soleil et était digne de porter fruit. Elle devint enceinte de Sam, fils de Neriman, et le lourd fardeau pesait à son corps. Après quelque temps elle mit au monde un enfant beau comme le soleil qui éclaire le monde. Son visage était beau comme le soleil, mais tous ses cheveux étaient blancs. La mère ayant mis au monde un tel enfant, on n’en parla pas à Sam pendant sept jours ; toute la maison des femmes du héros illustre était en pleurs devant ce petit enfant. Personne n’osait dire à Sam que sa belle épouse avait mis au monde un enfant vieillard. L’enfant avait une nourrice courageuse comme un lion, elle alla hardiment vers le héros, et, arrivée devant lui, elle lui donna de bonnes nouvelles. Elle commença par appeler les bénédictions de Dieu sur Sam, disant : « Que les jours de Sam le héros soient heureux ! que le cœur de ses ennemis soit déchiré ! Dieu t’a donné ce que tu désirais, il a accompli le souhait qu’avait formé ton âme. Derrière les rideaux de ton palais, ô mon glorieux maître, est né de sa mère un enfant pur, un fils de Pehlewan au cœur de lion, qui tout petit qu’il est paraît avoir un cœur plein de courage. Son corps est d’argent pur, sa joue est comme le paradis ; et tu ne verras sur son corps aucune partie difforme, si ce n’est ses cheveux qui, par malheur, sont blancs. Ainsi l’a voulu ta fortune, ô mon puissant maître. Il faut que tu sois content de ce que Dieu t’a donné : n’ouvre pas ton âme à l’ingratitude, et ton cœur à la méchanceté. »
Sam le cavalier descendit de son trône et alla vers l’appartement de ses femmes, dans le Noubehar. Il y vit un enfant d’une rare beauté, mais avec une tête de vieillard, tel qu’il n’en avait jamais vu, ni connu par ouï-dire. Tous les poils de son corps étaient blancs comme la neige, mais son visage était vermeil et beau. Lorsque Sam vit son enfant aux cheveux blancs, il perdit tout à coup tout espoir dans ce monde. Il avait grandement peur qu’on ne rît de lui, et il quitta le chemin de la sagesse pour une autre voie. Il leva la tête droit vers le ciel, et demanda pardon de ses actions, disant : « Ô toi, qui es au-dessus de toute injustice et de tout malheur ! ce que tu as ordonné est toujours une source de bonheur ! Si j’ai commis une faute grave, si j’ai suivi la foi d’Ahriman, j’espère que, touché de mon repentir, le Créateur du monde m’accordera en secret sa grâce. Mon âme sombre se tourmentera de sa honte, et mon sang ardent bouillira dans mes veines, à cause de cet enfant qui ressemble à la race d’Ahriman, avec ses yeux noirs et ses cheveux semblables au lis. Quand les grands viendront et me questionneront sur son compte, que diront-ils de cet enfant de mauvais augure ? Quel dirai-je qu’est cet enfant de Div ? Dirai-je que c’est un léopard à deux couleurs, ou un Péri ? Les grands de l’empire riront de moi en public et en secret à cause de cet enfant. Je quitterai de honte l’Iran, je donnerai ma malédiction à ce pays. »
Il parla ainsi dans sa colère ; son visage étincelait, il maudissait son sort ; puis il ordonna qu’on enlevât l’enfant et qu’on le portât loin de ce pays. Or il y avait une montagne appelée Alborz ; elle était près du soleil et loin de la foule des hommes. C’est là qu’avait son nid le Simurgh ; c’est dans ce lieu qu’il se tenait éloigné du monde. Ils exposèrent l’enfant sur la montagne et s’en retournèrent, et un long temps se passa.
L’enfant innocent du héros ne distinguait pas encore le blanc du noir ; son père avait brisé avec mépris l’amour et les liens qui devaient rattacher à lui ; mais son père l’ayant rejeté, Dieu en eut soin. Une lionne qui avait rassasié de lait son petit dit à ce sujet : « Quand je te donnerais le sang de mon cœur, je ne t’imposerais pas de reconnaissance ; car tu m’es aussi cher que mes yeux et mon âme, et mon cœur se briserait si l’on t’arrachait à moi. » L’enfant resta ainsi dans ce lieu un jour et une nuit sans abri ; quelquefois il suçait son doigt, quelque-fois il poussait des cris. Les petits du Simurgh ayant faim, le puissant oiseau s’éleva de son nid dans l’air ; il vit un enfant qui avait besoin de lait et qui criait, il vit la terre qui ressemblait à la mer bouillonnante. Des épines formaient le berceau de l’enfant, sa nourrice était la terre, son corps était nu, sa bouche vide de lait. Autour de lui était le sol noir et brûlé, au-dessus le soleil qui était devenu ardent. Oh ! que son père et sa mère n’étaient-ils des tigres ! il aurait peut-être alors trouvé un abri contre le soleil.
Dieu donna à Simurgh un mouvement de pitié, de sorte que l’oiseau ne pensa pas à dévorer cet enfant. Il descendit des nues, le prit dans ses serres, et l’enleva de la pierre brûlante. Il le porta rapidement jusqu’au mont Alborz où était le nid de sa famille ; il le porta à ses petits pour qu’ils le vissent, et pour que sa voix plaintive les empêchât de le dévorer ; car Dieu lui accordait ses faveurs, parce qu’il était prédestiné a jouir de la vie. Le Simurgh et ses petits regardaient cet enfant dont le sang coulait par ses deux yeux. Ils l’environnèrent d’une tendresse merveilleuse, ils s’étonnèrent de la beauté de son visage. Le Simurgh choisit la venaison la plus tendre pour que son petit hôte qui n’avait pas de lait suçât du sang. C’est ainsi qu’un long temps se passa, pendant lequel l’enfant demeura caché en ce lieu. Lorsque l’enfant fut devenu grand, un long temps passa encore sur cette montagne ; il devint un homme semblable à un haut cyprès ; sa poitrine était comme une colline d’argent, sa taille comme un roseau. Il se répandait à son égard des bruits dans le monde, car ni le bien, ni le mal ne restent jamais cachés, et Sam, le fils de Neriman, eut nouvelle de ce jeune homme si fortuné et si glorieux.
SAM VOIT SON FILS EN SONGE
Une nuit, Sam dormait, le cœur navré et fatigué des affaires de ce monde. Il vit en songe un homme qui venait sur un cheval arabe du côté de l’Hindostan ; c’était un cavalier fier et un parfait héros. Ce cavalier s’avança jusqu’à ce qu’il eût atteint Sam, et il lui donna des nouvelles de son fils, de cette branche haute et fertile de lui-même. Sam, aussitôt qu’il fut réveillé, appela les Mobeds et leur parla longuement de cette affaire, et leur raconta le rêve qu’il avait eu, et en outre tout ce que les caravanes lui avaient rapporté. « Que direz-vous de cette histoire, et votre esprit peut-il déterminer si cet enfant est encore en vie, ou s’il a péri par le froid du mois de Mihr ou par la chaleur du mois de Temouz ? » Tous, jeunes et vieux, ouvrirent la bouche, se tournant vers le héros, et dirent : « Quiconque n’est pas reconnaissant envers Dieu ne connaîtra jamais le bonheur. Les lions et les tigres qui n’ont pour demeure que les rochers et la poussière, les poissons et les crocodiles qui vivent dans l’eau, tous élèvent leurs petits et font parvenir à Dieu leurs actions de grâces. Mais toi, tu violes la reconnaissance que tu dois à Dieu pour ses bienfaits, en abandonnant cet enfant innocent. Ses cheveux blancs jettent ton cœur dans l’angoisse, mais ils ne sont pas un déshonneur pour un corps brillant et pur. Ne dis pas qu’il ne vit plus. Prépare-toi et lève-toi pour le chercher ! car un être sur lequel Dieu a jeté un regard ne périra pas par le froid ni par la chaleur. Tourne-toi vers Dieu pour demander pardon, car c’est lui qui guide vers le bien et vers le mal. »
Le Pehlewan devait donc s’acheminer le lendemain en toute hâte vers le mont Alborz, et lorsque la nuit fut devenue sombre, il voulut dormir, car il était impatient de partir, tant son cœur était soucieux. Il vit dans un nouveau rêve que sur une montagne de l’Hindostan on élevait un drapeau de soie. Un beau jeune homme parut, suivi d’une grande armée. A sa gauche se tenait un Mobed, à sa droite un sage de grand renom. Un de ces deux hommes s’avança vers Sam et lui parla avec sévérité : « Ô homme impur et sans crainte de Dieu, as-tu donc dépouillé toute honte devant le maître du monde ? Si un oiseau te convient pour nourrice de ton fils, à quoi te sert ta haute dignité ? Si des cheveux blancs sont un crime dans un homme, ta barbe et ta tête sont blanches comme la feuille du tremble. Dieu t’a toujours comblé de ses grâces, mais tu perds ses dons par ton injustice. Abjure donc toute relation avec le Créateur, puisque ton corps prend chaque jour une couleur nouvelle. Tu as rejeté ton fils, mais il est devenu le pupille de Dieu qui a plus de tendresse pour lui qu’une nourrice, pendant que tu es dénué de toute miséricorde. » Sam poussa un cri, dans son sommeil, comme un lion furieux qui tombe dans un filet. Ce rêve lui fit craindre que le sort ne lui réservât une leçon de malheur.
Aussitôt qu’il fut réveillé, il appela auprès de lui les sages, rangea les chefs de son armée et se mit en marche en toute hâte vers les montagnes pour réclamer celui qu’il avait rejeté. Il vit un rocher qui s’élevait jusqu’aux Pléiades, et qui semblait vouloir arracher les étoiles. Sur le rocher s’élevait un nid immense que la mauvaise influence de Saturne ne pourra jamais atteindre ; des troncs d’ébène et de sandal y étaient fixés, et des branches d’aloès y étaient entrelacées. Sam regarda ce rocher et la puissance du Simurgh, et la hauteur de son nid. C’était un palais dont le faîte montait jusqu’aux étoiles, et qui n’était construit ni à l’aide d’une scie, ni en pierre, ni en terre. Il y vit un jeune homme de haute taille qui lui ressemblait, et qui faisait le tour du nid. Frappant la terre de son front, il adressa des louanges au Créateur pour avoir créé sur cette montagne un tel oiseau, et formé un rocher dont la tête s’élevait jusqu’aux Pléiades. Il reconnut que Dieu était le distributeur de la justice, le tout-puissant, le sublime au-dessus de toute chose sublime. Il cherchait un chemin pour monter, il cherchait quelle était la voie que suivaient les animaux sauvages pour gravir cette haute montagne autour de laquelle il tournait, en implorant Dieu, sans trouver d’accès. Il dit : « Ô toi, qui es plus élevé que les plus hauts lieux, plus élevé que l’arc brillant du ciel, plus élevé que le soleil et la lune ! Je baisse la tête en implorant ton pardon, mon âme se prosterne en crainte devant toi ; si cet enfant est issu de ma race pure et n’est pas de la race d’Ahriman le mauvais, aide ton esclave à monter ici. sois miséricordieux envers ce pécheur. »
Lorsqu’il eut ainsi soumis à Dieu les secrets de son âme, sa prière fut exaucée sur-le-champ. Le Simurgh regarda du haut de la montagne, et apercevant Sam et son cortège, il sut que c’était pour l’enfant que le roi venait, et que ce n’était pas par amour pour le Simurgh qu’il s’était mis en peine. Alors il parla ainsi au fils de Sam : « Ô toi, qui as partagé la misère de ce nid et de ce gîte, je t’ai élevé comme une nourrice, je suis pour toi comme une mère, et je suis une source de bonheur pour toi. Je t’ai donné le nom de Destan-i-zend, car ton père a usé envers toi de fraude et de ruse ; et quand tu seras rentré chez toi, demande que le brave qui te guidera t’appelle ainsi. Ton père est Sam, le héros, le Pehlewan du monde, le plus éminent d’entre les grands. Il est venu près de ce rocher pour chercher son fils, et la splendeur t’attend auprès de lui. Il faut maintenant que je te rende à ton père, que je te porte devant lui sain et sauf. » Le jeune homme entendit ces paroles du Simurgh, et ses yeux se remplirent de larmes et son cœur de tristesse. Il n’avait jamais vu d’hommes, mais il avait appris du Simurgh à parler et à répondre. Quand il parlait, c’était comme un écho du Simurgh ; il avait beaucoup d’intelligence et la sagesse d’un vieillard. Sa parole, son esprit et son jugement étaient droits ; c’était à Dieu seul qu’il demandait la force du corps. Écoute ce qu’il répondit au Simurgh : « Tu es donc fatigué de ma compagnie ; ton nid est pour moi un trône brillant, tes deux ailes sont pour moi un diadème glorieux. Après le Créateur, c’est à toi que je dois le plus de recon- naissance, car ta as adouci mon sort malheureux. » Le Simurgh lui répondit : « Quand tu auras vu un trône et une couronne, et la pompe du diadème des Keïanides, peut-être qu’alors ce nid ne te conviendra plus ; essaye le monde. Ce n’est pas par inimitié que je t’éloigne, c’est sur un trône que je te porte. J’aurais désiré que tu restasses ici, mais l’autre destinée vaut mieux pour toi. Emporte une de mes plumes pour rester sous l’ombre de ma puissance ; et si jamais on te met en danger, si l’on élève un cri contre tes actions, bonnes ou mauvaises, jette cette plume dans le feu, et tout de suite tu verras ma puissance ; car je t’ai élevé sous mes ailes, je t’ai laissé grandir avec mes petits. Je viendrai aussitôt comme un noir nuage pour te porter sain et sauf dans ce lieu. Ne laisse pas s’effacer de ton cœur ton amour envers ta nourrice, car mon âme te porte un amour qui me brise le cœur. » Il le consola ainsi et le souleva, il l’éleva dans les airs en tournant, et le porta en volant devant son père. Les cheveux de Destan lui tombaient jusqu’au-dessous de la poitrine ; son corps était celui d’un éléphant, ses joues comme une peinture. Lorsque son père le vit, il poussa un soupir douloureux ; il baissa aussitôt la tête devant le Simurgh et le couvrit de ses bénédictions. « Ô roi des oiseaux, le Créateur t’a donné de la force, de la puissance et de la vertu, parce que tu es le sauveur des malheureux, parce que, en fait de bonté, tu es supérieur à tous les juges. Les méchants sont toujours confondus par toi ! puisses-tu rester puissant à jamais ! » Le Simurgh retourna sur-le-champ à la montagne, et Sam et son cortège tenaient les yeux fixés sur lui ; puis Sam regarda son fils de la tête aux pieds, et reconnut qu’il était digne du trône et de la couronne. Destan avait la poitrine et le bras d’un lion et un visage de soleil, un cœur de héros et une main avide de tenir une épée. Ses cils étaient noirs, ses yeux couleur de bitume, ses lèvres comme le corail, ses joues comme le sang. Il n’avait aucun défaut, excepté ses cheveux ; on ne pouvait découvrir en lui une autre tache. Le cœur de Sam devint comme le paradis sublime, et il bénit son enfant innocent :
« Ô mon fils, dit-il, adoucis ton cœur envers moi, oublie ce qui s’est passé et accorde-moi ton amour. Je suis le dernier des esclaves adorateurs de Dieu, et puisque je t’ai retrouvé, je promets devant Dieu le tout-puissant que jamais mon cœur ne sera plus dur pour toi. Je chercherai à faire tout ce que tu souhaiteras en bien ou en mal, et dorénavant tout ce que tu désireras sera un devoir pour moi. »
Il l’habilla d’une tunique digne d’un Pehlewan et quitta la montagne ; il descendit de la montagne, et demanda un cheval pour son fils et une robe dont un roi pût se vêtir ; puis il lui donna le nom de Zal-zer, comme le Simurgh lui avait donné celui de Destan. Toute l’armée s’assembla devant Sam, le cœur ouvert et en joie ; des timbaliers assis sur des éléphants les précédaient, et la poussière s’élevait comme une montagne bleue. Les tambours battaient, et les timbales d’airain, les sonnettes d’or et les clochettes indiennes résonnaient. Tous les cavaliers poussèrent des cris et achevèrent leur route pleins d’allégresse ; ils arrivèrent ainsi joyeusement dans la ville et s’y arrêtèrent avec les Pehlewans.
MINOUTCHEHR APPREND L’HISTOIRE
DE SAM ET DE ZAL-ZER
Minoutchehr reçut du Zaboulistan la nouvelle que Sam était revenu de la montagne en grande pompe. Il s’en réjouit et en adressa des actions de grâces au Créateur du monde. Il avait deux fils excellents, braves, prudents, pleins de dignité et de foi ; l’un s’appelait Newder, l’autre Zarasp ; ils ressemblaient dans la lice à l’ange du feu. Il ordonna à Newder le renommé d’aller en toute hâte auprès de Sam le guerrier, de voir Destan, fils de Sam, qui avait été élevé dans un nid, de lui porter les félicitations du roi sur le bonheur qui lui était arrivé, et de lui ordonner de se rendre auprès du roi pour lui raconter ces événements heureux, ajoutant que Sam et Zal s’en retourneraient ensuite dans le Zaboulistan pour y servir le roi loyalement. Lorsque Newder fut arrivé auprès de Sam, fils de Neriman, il y vit un nouveau Pehlewan plein de jeunesse ; Sam le brave descendit de cheval, et ils s’embrassèrent. Sam demanda des nouvelles du roi et des grands, et Newder lui répéta ce qu’ils l’avaient chargé de dire. Sam le vaillant écouta le message du puissant roi, et baisa la terre. Il se mit en route en toute hâte vers la cour, comme le prince lui avait ordonné ; il fit monter Zal-zer sur un éléphant mâle et l’emmena avec lui à la cour. Lorsqu’il fut près de la ville du roi, Minoutchehr alla au-devant de lui avec un grand cortège, et Sam, en voyant l’étendard du roi, descendit de cheval et s’avança à pied ; il baisa la terre et souhaita au roi un bonheur et un contentement sans fin. Minoutchehr ordonna à ce serviteur de Dieu au cœur pur de remonter à cheval, et tous, roi et princes, se dirigèrent vers le trône et le palais. Minoutchehr monta joyeusement sur son trône et mit sur sa tête la couronne des Keïanides, ayant d’un côté Karen et de l’autre Sam, et ils s’assirent dans la joie et dans l’allégresse ; puis le maître des cérémonies amena solennellement devant le roi Zal vêtu avec magnificence, tenant une massue d’or et couvert d’un casque d’or. Le roi fut étonné à son aspect, car on eût dit que Zal donnait du repos et de l’amour aux âmes par sa haute stature et son beau visage. Puis le roi dit à Sam : « Prends soin de lui par égard pour moi ; ne l’afflige pas par un regard de colère ; ne cherche ton bonheur qu’en lui ; car il a la majesté d’un roi, les bras d’un lion, le cœur d’un sage et la prudence d’un vieillard ; enseigne-lui l’art et les armes de la guerre, et les plaisirs et les coutumes du banquet, car il n’a vu que l’oiseau du rocher et son nid : comment pourrait-il connaître toutes nos coutumes ? »
Ensuite Sam raconta tout ce qui regardait le Simurgh et son haut rocher, et pourquoi son fils illustre n’avait pas trouvé grâce devant lui, et comment Zal avait été couché, nourri et caché dans le nid. Il dévoila le secret de l’exposition de l’enfant et comment le ciel avait passé sur sa tête. « À la fin, le monde se remplit pendant plusieurs années de récits concernant le Simurgh et Zal. J’allai par l’ordre de Dieu sur le mont Alborz dans ces lieux escarpés ; je vis un rocher dont la cime s’élevait au-dessus des nuages ; il semblait que c’était une coupole de pierre assise sur une mer. Ce rocher était surmonté d’un nid semblable à un grand palais, et de tous côtés le chemin en était fermé pour tout ce qui pouvait nuire. Dans ce nid étaient les petits du Simurgh et Zal ; on aurait dit qu’ils étaient de la même espèce. L’haleine de Zal avait pour moi un parfum d’amour, et son souvenir portait la félicité dans mon cœur. Mais il n’y avait, d’aucun côté, de chemin pour monter au nid, et je faisais sans cesse le tour du rocher. Le désir de ravoir mon enfant perdu s’accrut en moi ; mon âme se consumait dans sa douleur ; je m’adressai en secret au saint maître du monde, disant : Ô toi, qui secours toute créature et qui te suffis à toi-même, ton pouvoir s’étend partout, et le ciel ne tourne que par tes ordres ; je suis ton esclave ; mon cœur est plein de fautes devant le maître du soleil et de la lune ; je n’ai d’espoir qu’en ton indulgence ; je ne peux être secouru que par toi. Amène-moi cet enfant, ton esclave, qui a été élevé par un oiseau, qui a grandi dans la misère et dans la détresse ; au lieu d’une robe de soie, il a une peau pour se couvrir ; il suce de la viande, au lieu d’un sein plein de lait ; amène-le-moi, ouvre-moi un chemin vers lui, et abrège toutes ces douleurs. Ne brûle pas mon âme à cause de mon manque d’amour pour mon fils, rends-le-moi, et fais renaître la joie dans mon cœur. A peine avais-je prononcé ces mots, que, par l’ordre de Dieu, ma prière fut exaucée. Le Simurgh battit des ailes et s’éleva dans les nuages, tournant au-dessus de ma tête coupable. Il descendit du rocher comme un nuage du printemps, en tenant embrassé le corps de Zal. Il remplit le monde d’une odeur de musc ; mes deux yeux et mes deux lèvres se desséchèrent, et mon esprit ne pouvait trouver son assiette dans ma tête, tant j’avais peur du Simurgh et envie d’avoir mon enfant. Le Simurgh l’apporta devant moi comme une nourrice pleine de tendresse. Ma langue se répandit en louanges sur le Simurgh et versa sur lui des actions de grâces. Ô merveille ! mon enfant resta avec moi, et le Simurgh retourna sur le rocher. Il ne faut jamais s’écarter des ordres de Dieu. J’ai amené Zal auprès du roi de la terre ; j’ai raconté tout mon secret. »
[…]
Bahram Gour,
Il reprit sa vie de plaisirs, ses chasses et ses amusements, jusqu’à ce que le Khakan, qui avait une grande envie de s’emparer de l’Iran, fit une invasion dans le Khorasan. Bahram partit avec sept mille hommes, en prenant la route de l’Azerbaïdjan : chaque homme portait un tambour et avait un chien de chasse, et le cortège était abondamment pourvu de guépards, de faucons, de pièges et de tout ce qu’il faut pour la chasse. Tout le monde croyait que Bahram fuyait : car, disaient-ils, que peut cette poignée hommes contre l’armée du Khakan, composée de tant de milliers de soldats ? Bahram ne cessa de chasser sur toute la route ; il prit un grand nombre de bêtes fauves de toute espèce, et les emmena vivantes avec lui ; ensuite il se dirigea tout à coup, dans la nuit, sur Koumesch, plaça ses sept mille cavaliers tout autour du camp du Khakan, les fit battre leurs tambours et lâcher les bêtes fauves, les guépards et les chiens. L’armée du Khakan attribua le bruit de tous ces tambours et de ces faucons à une chasse ; mais, dans la nuit, les Turcs se battirent entre eux mêmes au milieu des ténèbres, pendant que l’armée de Bahram ne fit que battre les tambours jusqu’au jour. Lorsque le soleil parut, il ne resta plus qu’un petit nombre de Turcs que les Iraniens attaquèrent et détruisirent. C’est ainsi que cette ruse produisit une grande victoire, et personne n’osa plus attaquer les Iraniens. Plus tard, Bahram se rendit dans le pays des Heyatheleh, qui demandèrent la paix, et l’on plaça, pour marquer la frontière, une colonne d’airain et de plomb fondus.
[…]
Firûz petit fils de Bahram
Firouz bâtit beaucoup de villes du côté de l’Inde, entre autres Firouz et Rouschenfirouz ; il en bâtit d’autres dans le Maveralnahr, dans la province de Reï, dans le Gourgan et dans l’Azerbaïdjan, auxquelles il donna aussi des noms décrives du sien. Il construisit une muraille entre le pas des Turcs et l’Iran, et acheva le château de Djeï à Ispahan. Il y eut pendant son règne une grande stérilité qui dura sept ans, pendant les quels il ne tomba pas de pluie, à la fin, Dieu, dans sa miséricorde, fit arriver la pluie, qui ramena l’abondance. On prit alors l’habitude de se jeter de l’eau de pluie pendant ce jour, qui fut consacré par une fête, laquelle est encore aujourd’hui conservée ; c’est le jour qui est marqué dans le calendrier sous le nom de Sabb al maï (l’effusion de l’eau). Ensuite il marcha contre le pays des Heyatheleh pour faire la guerre à Khouschnewaz ; il viola le traité que son grand-père Bahram Gour avait fait, fit arracher la Colonne d’airain et de plomb qui avait été posée, et la fit porter devant son armée, sur le dos d’un éléphant, parce que ce traité lui défendait de dépasser cette colonne ; c’était une interprétation frauduleuse. Khouschnewaz fit creuser un fossé et le fit couvrir de broussailles : Firouz y tomba et périt. Son fils Kobad (sa fille) Firouz Dokht, le grand mobed et beaucoup d’autres personnages furent faits prisonniers ; les autres s’en retournèrent en Perse.
Hormuzd arrière petit fils de Firûz—Son règne dura 12 ans. Aussitôt qu’il fut monté sur le trône, il commença à opprimer ses sujets ; il fit périr l’un après l’autre tous les ministres, le grand mobed, et tous ceux que son père avait rendus puissants. Saveh, roi des Turcs, entra dans le Khorasan à la tête d’une armée de quatre cent mille cavaliers, et Hormuzd ne put lui faire face, parce que les Romains, les Arabes et les Khazars faisaient de tous côtés entrer des armées dans l’Iran, dont ils convoitaient la conquête. A la fin, il envoya Bahram-Djoubineh contre le roi Saweh, sur l’avis de Mihran-Setad, qui avait entendu les prédictions des astrologues turcs, du temps où il avait amené (du Turkestan) la mère de Hormuzd. Le roi choisit donc Bahram, d’après les indications que Mihran Setad lui avait données, et Bahram partit et tua Saweh : c’est une histoire qu’on raconte avec beaucoup de détails.