AL-MAS‘ÛDI, Murûj-adh-Dhahab, v. 970 n-è : Route de la Soie, Commerce, chute des Tangs,

Oxus :

Le fleuve de Balkh, ou Jayhûn, sort de différentes sources, traverse le pays de Tirmidh, Isfarayn et d’autres parties du Khurâçan, et entre dans le Kharizm. Là, il se divise en plusieurs branches, qui arrosent le pays; le surplus de ses eaux se jette dans le Lac, sur les bords duquel est le bourg de Jorjaniê, au-dessous de la ville de Kharezm. C’est le plus grand lac de cette contrée, et, au dire de quelques-uns, du monde habité, car il ne faut pas moins d’un mois pour le parcourir en long et en large.

[…]

Route « de la soie » :

La Chine est arrosée par des fleuves aussi considérables que le Tigre et l’Euphrate, et qui prennent leur source dans le pays des Turcs, dans le Tibet et dans les terres des Sogds, peuple établi entre Bukhara et Samarqand, là où se trouvent les montagnes qui produisent le sel ammoniac (chlorhydrate d’ammonium, du nom du temple d’Ammon et de l’ammoniaque naturel d’une plante égyptienne, apparait en milieu volcanique par précipitation de gaz, volatile, il peut se conserver en profondeur).Durant l’été , j’ai vu, à une distance d’environ 100 farsakh des feux qui brillaient la nuit au-dessus de ces montagnes; pendant le jour, grâce aux rayons éclatants du soleil, on ne disltingue que de la fumée; c’est dans ces montagnes qu’on recueille le sel ammoniac. Lorsque vient la belle saison, quiconque veut aller du Khoraçan en Chine doit se rendre à cet endroit où se trouve une vallée qui se prolonge, entre les montagnes, pendant quarante ou cinquante m. A l’entrée de cette vallée il fait marché avec des porteurs qui, pour un prix élevé, chargent ses bagages sur leurs épaules. Ils tiennent à la main un baton, avec lequel ils stimulent des deux côtés le voyageur marchant devant eux, de crainte que, vaincu par la fatigue, il ne s’arrête et ne périsse dans ce passage dangereux. Arrivés au bout de la vallée, ils rencontrent des terrains marécageux et des eaux stagnantes dans lesquelles tous se précipitent pour se rafraîchir et se reposer de leurs fatigues.

Les betes de somme ne suivent pas cette route, parce que l’ammoniaque s’enflamme pendant l’été et la rend, pour ainsi dire, impraticable. Mais l’hiver, la grande quantité de neige qui tombe dans ces lieux et l’humidité éteignent cet embrasement, de sorte que les hommes peuvent les traverser; mais les bêtes ne peuvent endurer cette insupportable chaleur. On exerce la même violence avec le bâton sur les voyageurs qui viennent de la Chine.

La distance du Khoraçan à la Chine, en suivant cette route, est d’environ 40 journées de marche, en passant alternativement par des pays cultivés et des déserts, des terres fertiles et des sables.

Il y a une autre route, accessible aux bêtes de somme , qui est d’environ 4 mois les voyageurs y sont sous la protection de plusieurs tribus turques

J’ai rencontre à Balkh un beau vieillard , aussi distingué par son discernement que par son esprit, qui avait fait plusieurs fois le voyage de la Chine, sans jamais prendre la voie de mer; j’ai connu également, dans le Khoraçan, plusieurs personnes qui s’étaient rendues du pays de Sughd au Tibet et en Chine, en passant par les mines d’ammoniaque.

Chute de l’empire Tang : 

Le roi de Chine dut se contenter de reconaissance purement nominale que les gouverneurs lui accordaient, et du titre de roi qu’ils lui donnaient dans leurs lettres; mais il ne put pas se porter de sa personne dans toutes ses provinces, ni combattre ceux qui s’en étaient rendus maîtres. Il se résigna donc à n’exiger d’eux qu’un simple hommage , et, bien qu’ils ne lui payassent aucun tribut, il les laissa vivre en paix; il fut même obligé de permettre que chacun de ces nouveaux maîtres attaquât, selon ses forces et son pouvoir, ses voisins. Ainsi l’ordre et l’harmonie qui avaient régné sous les anciens rois cessèrent d’exister.

Du marchand de Samarqand à Khanfu : 

Les anciens rois avaient un système régulier de gouvernement, et se laissaient guider par la raison dans les jugements équitables qu’ils rendaient. On raconte qu’un marchand de Samarqand, ville de la Transoxiane, ayant quitté son pays avec une riche pacotille, était venu au ‘Iraq. De là il s’était rendu avec ses marchandises à Baçra, où il s’était embarqué pour le pays du ‘Uman; puis il était allé par mer à Killah , qui est à peu près à moitié chemin de la Chine. Aujourd’hui cette ville est le rendez-vous général des vaisseaux musulmans de Siraf et ‘Uman, qui s’y rencontrent avec les bâtiments de la Chine; mais il n’en était pas ainsi autrefois. Les navires de la Chine se rendaient alors dans le pays du ‘Uman, à Siraf, sur la côte de Perse et du Bahrein, à Obollah et à Baçra, et ceux de ces pays naviguaient à leur tour directement vers la Chine. Ce n’est que depuis qu’on ne peut plus compter sur la justice des gouvernants et sur la droiture de leurs intentions, et que l’état de la Chine est devenu tel que nous l’avons décrit, qu’on se rencontre sur ce point intermédiaire.

Ce marchand s’était donc embarqué sur un bâtiment chinois pour aller de Killah au port de Khanfu. Le roi avait alors, parmi les serviteurs attachés à sa personne, un eunuque en qui il avait confiance_les Chinois donnent aux eunuques des emplois, comme ceux de receveurs de contributions et autres; il y en a même qui font châtrer leurs enfants, afin de les faire parvenir aux dignités_ alla donc à Khanfu (Guangdong ?), où il fit appeler en sa présence les marchands, et parmi eux celui de Samarqand. Tous lui présentèrent les marchandises dont il avait besoin.

Après avoir mis de côté ce qui pouvait servir au roi, il offrit au Samarqandi un prix dont celui-ci ne se contenta pas; de là une discussion qui alla assez loin pour que l’eunuque donnât l’ordre d’emprisonner el de maltraiter le marchand. Le Samarqandi, ayant plus de confiance dans la justice du roi, se rendit aussitôt à Anmou, la résidence royale, et se plaça à l’endroit où se mettaient les plaignants. Quiconque avait à se plaindre d’une injustice, vint-il ou non d’un pays éloigné, se revêtait d’une sorte de tunique en soie rouge, et se transportait dans un lieu destiné aux plaignants.

Là un des grands dignitaires des provinces, commis à cet effet, le transportait par la poste à une distance d’environ un mois. On en agit ainsi avec le marchand, et on le conduisit devant le gouverneur du pays chargé de ces fonctions, qui lui dit :

«Tu entreprends là une grave affaire, où tu cours risque de la vie. Considère bien si tu es fondé dans ta plainte, sinon je regarderai tout comme non avenu et te ferai ramener au pays d’où tu viens. »

Si le plaignant ainsi apostrophé baissait la voix, si on le voyait se troubler et se rétracter, on lui appliquait cent coups de bâton , et on le ramenait là d’où il était venu ; mais s’il persistait, on le conduisait au château royal, en présence du roi qui entendait sa réclamation. Comme le Samarqandi persévérait dans sa demande, et comme on vit qu’il disait la vérité sans se troubler et sans mentir, on le mena devant le roi, auquel il raconta ce qui lui était arrivé.

Lorsque le drogman eut fait comprendre au roi ce dont il était question, ce prince donna des ordres pour que le marchand fût logé dans un des quartiers de la ville et qu’il y fût bien traité.

Ensuite il manda auprès de lui le Wazir, le maître de la droite et le maître de la gauche. Ces hauts dignitaires, qui connaissaient parfaitement leurs atlributions et leurs devoirs , exerçaient leur charge dans les circonstances critiques et en temps de guerre.

Le roi leur ordonna d’écrire séparément à leurs représentants à Khanfu; car chacun d’eux avait un agent dans toutes les provinces. Ils leur écrivirent donc pour leur demander un rapport sur ce qui s’était passé entre le marchand et l’eunuque. Le roi, de son côté, écrivit dans le même sens à son lieutenant. Cependant l’aflaire s’était ébruitée dans le pays, en sorte que les lettres apportées par la poste confirmèrent la déposition du marchand.

Les souverains de la Chine ont sur toutes les routes de leurs provinces des mulets a longue queue ponr la poste et le transport d’argent.

Le roi fit aussitôt venir l’eunuque, lui ôta tous les biens qu’il tenait de sa munificence, et lui dit :

« Tu as nui à un marchand qui venait d’un pays éloigné, et qui, après avoir traversé sans accident bien des royaumes et vécu sous la protection de plusieurs souverains de la mer et du continent, espérait arriver sans enconbre dans ce pays, plein de confiance dans ma justice ; mais, grâce à ton iniquité, peu s’en est fallu qu’il n’ait quitté mes Etats en semant partout sur moi le blâme et le reproche. Sans tes services antérieurs, je t’aurais fait mettre à mort ; mais je l’infligerai un châtiment qui, si tu le comprends, est plus sévère que la mort. Je te charge de la garde des sépulcres des anciens rois, parce que tu as été incapable d’administrer les vivants et de remplir la tâche que je t’avais confiée. »

Le roi combla ensuite le marchand de bienfaits, le fit retourner à Khanfu, et lui dit:

« S’il te plaît de nous céder celles de tes marchandises qui nous conviennent, nons t’en donnerons un bon prix; sinon, tu es le maître de ta fortune; séjourne ici tant que tu le voudras, vends à ton gré, et va où il te plaira. »

Quant à l’eunuque, il fut préposé à la garde des sépulcres royaux.

Des Turcs : 

D’autres descendants d’Amour traversèrent le fleuve de Balkh, et se dirigèrent pour la plupart vers la Chine. Là ils se répartirent entre plusieurs états, et s’établirent dans ces diverses contrées, comme les Huttal, qui habitent Qotlo-lan , Ruçan, Al-Oshrusnê et le Sughd, entre Bukhara et Samarqand; les Ferganides, les habitants de Shach, d’Istijaj et du territoire d’Al-Farab. Ceux- ci fondèrent des villes et des bourgs; d’autres se séparèrent d’eux pour habiter les plaines, comme les Turcs, les Qozloj, les Taghaz-Ghaz , qui occupent la ville de Ku-Shan (Kao- Çang), située entre le Khuraçan et la Chine, et qui sont aujourd’hui, en 332 , de toutes les races et tribus turques, la plus valeu reuse, la plus puissante et la mieux gouvernée. Leurs rois portent le titre de Khan, et seuls entre tous ces peuples ils professent la doctrine de Manès. Parmi les Turcs il y a les Qaymaq, les Warsaq, les Badiya-Jariya (nomades transhumants), les Ghuz qui sont les plus braves de tous, et les Quzluc (Qarlug ?), qui se distinguent par leur beauté, leur haute stature et la perfection de leurs traits. Ces derniers sont répandus sur le territoire de Ferghana, de Shash et des environs. Ils dominaient autrefois sur toutes les autres tribus; de leur lace descendait le Qagan des Qagan, qui réunissait sous son empire tous les royaumes des Turk, et commandait à tous leurs rois.

Parmi ces Qagan se trouvèrent Afrasiab le Turk, le conquérant de la Perse, et Chaneh. Aujourd’hui les Turcs n’ont plus de Qagan auquel leurs autres rois obéissent, depuis la ruine de la ville d’Amat, dans les déserts de Samarqand. Nous avons raconté dans notre Histoire moyenne dans quelles circonstances cette ville perdit la souveraineté.