Je parlerai du descendant d’Abraham, non du fils libre, mais de celui qui naquit de l’esclave et en qui se réalisa véritablement cette parole de Dieu : « Sa main [sera] contre tous, et la main de tous [sera] contre lui. (GN, XVI, 12) »
A cette époque, des Juifs des douze tribus vinrent et se rassemblèrent dans la ville des Edesséniens. Lorsqu’ils virent que l’armée perse s’était retirée (628) et avait laissé la ville en paix, ils fermèrent les portes, s’y fortifièrent et n’y laissèrent pas entrer les troupes du royaume romain.
L’empereur romain Héraclius donna alors l’ordre de l’assiéger. [Les Juifs] reconnaissant qu’ils ne pouvaient pas résister dans la lutte, firent des propositions de paix à [l’empereur], ouvrirent les portes de la ville et vinrent se présenter devant lui. Il leur ordonna de se retirer et de rester chacun chez soi ; et ils se mirent en route. Ils prirent le chemin du désert et arrivèrent en Arabie, chez les enfants d’Ismaël; ils les appelèrent à leur secours et leur firent savoir qu’ils étaient parents, d’après la Bible. Bien que ceux-ci crussent volontiers à cette parenté rapprochée, [les Juifs] ne purent cependant pas convaincre toute la masse du peuple, parce que leurs cultes étaient différents.
A cette époque, il y avait un des enfants d’Ismaël, du nom de Mahomet, un marchand, il se présenta à eux comme sur l’ordre de Dieu, en prédicateur, comme étant le chemin de la vérité, et leur apprit à connaître le Dieu d’Abraham ; car il était très instruit et très versé dans l’histoire de Moïse. Comme l’ordre venait d’en haut, ils se rallièrent tous, sur l’autorité d’un seul, à l’unité de loi et, abandonnant les cultes de vanité, retournèrent au dieu vivant qui s’était révélé à leur père Abraham.
Mahomet leur prescrivit de ne manger la chair d’aucun animal mort, de ne pas boire de vin, de ne pas mentir et de ne pas forniquer.
Il ajoutait :
« Dieu a promis par serment ce pays à Abraham et à sa postérité après lui en toute éternité; il a agi selon sa promesse, lorsqu’il aimait Israël. Or vous, vous êtes les fils d’Abraham et Dieu réalise en vous la promesse faite à Abraham et à sa postérité. Aimez seulement le dieu d’Abraham, allez vous emparer de votre territoire, que Dieu a donné à votre père Abraham, et personne ne pourra vous résister dans le combat, car Dieu est avec vous.”
Alors ils se rassemblèrent tous, depuis Ewiwlay jusqu’à Sur et en face de l’Egypte ; ils sortirent du désert de Phapan répartis en 12 tribus, d’après la race de leurs patriarches. Ils répartirent parmi leurs tribus les 12 000 enfants d’Israël, 1000 par tribu, pour les guider dans le territoire d’Israël. Ils partirent, campement par campement, d’après l’ordre de leurs patriarches : Nabêuth, Kedar, Abdiwl, Mosamb,[326] (Mast,) Masmay, Idovmay, Masé, Kholdat, Theman, Yetur, Naphês et Kedmay. Ce sont là les tribus d’Ismaël. Ils se rendirent à Eraboth Moab (Kerak) dans le territoire de Ruben. Car l’armée des Romains campait en Arabie. Ils les attaquèrent à l’improviste, les passèrent au fil de l’épée, mirent en fuite Thêodo[ros], le frère de l’empereur Héraclius et revinrent camper en Arabie. (633)
Tout ce qui restait des peuples enfants d’Israël vint s’unir à eux et ils formèrent une grande armée. Puis ils envoyèrent une ambassade à l’empereur des Romains, disant :
« Dieu a donné en héritage ce pays à notre père Abraham et à sa postérité après lui ; nous sommes les enfants d’Abraham ; tu as assez longtemps possédé notre pays ; cède-le nous pacifiquement, et nous n’envahirons pas ton territoire ; sinon, nous te reprendrons avec usure ce dont tu t’es emparé ».
L’empereur refusa et, sans leur donner de réponse satisfaisante, dit :
« Ce pays est à moi ; ton héritage, c’est le désert; va en paix dans ton pays ».
Il se mit à lever des troupes, environ 70.000 hommes, qu’il plaça sous le commandement d’un de ses fidèles eunuques et leur ordonna de se rendre en Arabie. Il leur commanda de ne pas livrer bataille contre ceux-ci, mais de se tenir sur la défensive, jusqu’à ce qu’il eût réuni d’autres troupes pour les envoyer à leur secours.
Arrivés au Jourdain (sic, Yarmuk), ils le franchirent et pénétrèrent eu Arabie ; laissant leur campement au bord du fleuve, ils allèrent à pied contre l’armée [ennemie]. [Les Ismaélites] postèrent une partie de leur armée en embuscade, de ci, de là, et disposèrent la masse de leurs tentes tout autour du campement. Puis ils placèrent les troupeaux de chameaux autour du camp et des tentes, et ils leur lièrent les pieds avec des cordes. Tel était le retranchement de leur campement. Quant aux Romains, fatigués par la marche, ils ne purent qu’avec peine entamer le retranchement du camp; ils commençaient à tomber sur [les Ismaélites], lorsque ceux qui étaient embusqués sortirent subitement de leur retraite et fondirent sur eux. Une frayeur inspirée par le Seigneur s’empara de l’armée des Grecs; ils tournèrent le dos pour fuir devant eux.
Mais ils ne pouvaient fuir à cause de l’épaisseur du sable, dans lequel ils enfonçaient jusqu’au genou, tandis que l’ennemi les poursuivait l’épée dans les reins et qu’ils étaient fort incommodés par l’ardeur du soleil. Tous les officiers tombèrent et succombèrent. Le nombre des morts dépassa 2.000 [hommes]. Quelques-uns seulement réussirent à se sauver par la fuite et à trouver quelque refuge. (636)
Les [Ismaélites], après avoir franchi le Jourdain, campèrent à Jéricho. La terreur qu’ils inspiraient gagna les habitants du pays, qui firent tous leur soumission. Cette nuit-là les habitants de Jérusalem mirent à l’abri la croix du Seigneur et tous les ustensiles des églises de Dieu ; ils les embarquèrent et les emmenèrent sur des vaisseaux au palais de Constantinople (635) ; puis ils demandèrent [aux Ismaélites] la garantie d’un serment et leur firent leur soumission.
L’empereur des Romains ne put plus dès lors opposer de troupes [aux Ismaélites] en rase campagne. Ceux-ci divisèrent leur armée en 3 corps.
Une partie se dirigea vers l’Egypte et s’en empara jusqu’à Alexandrie.
La deuxième se porta vers le Nord contre l’empire romain et s’empara en un clin d’oeil du pays depuis les rives de la mer jusqu’aux bords du fleuve Euphrate, et en deçà du fleuve Edesse et toutes les villes de la Mésopotamie.
La troisième partie marcha vers l’est contre l’empire perse.
Alors disparut le royaume des Perses ainsi que son armée divisée en trois parties. L’armée des Ismaélites qui avait été rassemblée en Orient vint assiéger Tizbon, où résidait le roi des Perses. Les troupes des Mèdes, portées au chiffre de 80.000 hommes armés par le général Rstom, marchèrent contre [les Ismaélites]. [Les Perses] quittèrent alors la ville et passèrent de l’autre côté du Tigre. A leur tour, [les Arabes] traversèrent le fleuve, les poursuivirent en toute hâte, et [les Perses] ne s’arrêtèrent pas avant d’avoir atteint leur pays, dans un village nommé Herthian. [Les Arabes] les poursuivirent et campèrent dans la plaine. Là se trouvaient Muchel, Mamikonien, fils de David, commandant 3.000 Arméniens armés de pied en cap, et le prince Grégoire, seigneur de Siounie, avec 1.000 hommes.
L’action s’engagea et l’armée des Perses prit la fuite devant les Arabes, qui les poursuivirent et les passèrent au fil de l’épée. Là périrent les Nakharars les plus considérables, ainsi que le général Rstam, Muchel avec ses deux neveux, et Grégoire, seigneur de Siunik, avec un de ses fils. Les autres échappèrent et s’enfuirent dans leur pays.
[défaite du reste de l’armée Perse]
A cette époque, le bienheureux Héraclius acheva sa vie, à un âge avancé, après avoir régné 30 ans (641). Il fit jurer à son fils Constantin d’user de miséricorde envers tous les criminels qui avaient été bannis par son ordre, et de laisser chacun réintégrer son foyer. Il lui fit également jurer de ramener l’Aspet avec sa femme et ses enfants et de le rétablir dans ses anciennes fonctions. “Et s’il veut aller dans son pays, je le lui ai promis par serment. Que mon serment ne soit pas faux. Laisse-lui la faculté d’aller en paix”.
Héraclius mourut et son fils Constantin devint le maître. En Arménie, aucun général ne fut élu, parce que les ishkhans, désunis, se tenaient éloignés les uns des autres.
L’armée dévastatrice [des Ismaélites] partit de l’Asorestan par le chemin de Dzor [pour aller] dans la contrée de Tarôn. Ils s’en emparèrent ainsi que de Bznunis et d’Aliovit; puis ils se dirigèrent vers la vallée de Berkri (Van) par Ordspoy et Gogovit, et se répandirent dans l’Ararat. Aucun des soldats arméniens ne put apporter la triste nouvelle dans la ville de Dwin, sinon 3 Ishkhan, qui arrivaient pour rassembler les troupes dispersées ; [c’étaient] Théodoros Vahewuni, Khachean Arawelean et Shapuh Amatuni, qui se hâtèrent de fuir à Dwin.
Arrivés au pont du Mekamawr, ils le détruisirent derrière eux et arrivèrent pour apporter dans la ville la triste nouvelle. Ils rassemblèrent dans la forteresse tous les gens du pays, venus là pour la vendange du vignoble. Quant à Théodoros, il s’était rendu dans la ville de Nakhshawan.
Lorsque les ennemis eurent atteint le pont du Mekamawr, ils ne purent pas le traverser ; mais guidés par Vardik, prince de Mokkh, surnommé Aknik, ils franchirent le pont, pillèrent toute la contrée, firent beaucoup de butin et de captifs et vinrent camper au bord de la forêt de Xosrakert. Le cinquième jour, ils assaillirent la ville (Dwin) qui tomba en leur pouvoir. Ils l’avaient enveloppée de flammes, et ils repoussèrent les défenseurs des remparts par la fumée et à coups de flèches; ils apposèrent ensuite des échelles, escaladèrent les murailles, et pénétrèrent dans la ville, dont ils ouvrirent la porte. L’armée ennemie fit irruption et détruisit la population de la ville. Après avoir pillé la ville, ils l’abandonnèrent et regagnèrent leur campement. Ceci arriva le 20 du mois de Trê, un vendredi. (641)
Après avoir pris quelques jours de repos, [les Ismaélites] reprirent le chemin par lequel ils étaient venus, emmenant avec eux une foule de captifs, 35.000 personnes. Le prince des Arméniens Rshtuni (Van), qui s’était mis en embuscade avec quelques troupes dans le district de Gogovit, fondit sur eux ; mais il eut le dessous et dut fuir devant eux. Les Arabes les poursuivirent, en tuèrent beaucoup et se dirigèrent vers l’Asorestan. Ceci se passait à l’époque du catholicos Ezr. A la suite de cette guerre, Théodoros, seigneur des Rshtuni (Van), fut nommé général en chef par l’empereur, et il reçut la dignité de patrice. Cet événement eut lien à l’instigation du catholicos Nersès qui, la même année, succéda à Ezr sur le siège catholicosat.
Lorsque les enfants d’Ismaël s’étaient dirigés du désert de Sin vers l’Orient, leur roi Amr (sic : ‘Umar b. al-Khattab) n’était pas allé avec eux ; mais, après qu’ils eurent remporté des victoires et qu’ils eurent anéanti les deux empires, il s’était emparé du pays depuis l’Egypte jusqu’au grand Taurus et depuis la mer occidentale jusqu’en Médie et en Khuzastan.] Puis avec les campements militaires royaux ils entrèrent dans le pays qui constitue proprement les possessions d’Ismaël.
Le roi donna l’ordre de réunir des navires et de les équiper de beaucoup de matelots pour se diriger par-delà la mer vers le sud et vers l’est, vers Pars, Sagastan, Sant, Srman, dans le pays de Turan et Makuran, jusqu’aux frontières de l’Inde. Lorsque les troupes furent prêtes, après avoir fait diligence, elles accomplirent l’ordre [reçu] et mirent le feu à toute la terre, pillèrent et dévastèrent, et retournèrent dans leur pays, en traversant la mer.
Nous avons appris ces faits de prisonniers d’Arabie, qui en ont été témoins oculaires et nous les ont racontés.