CHAPITRE XI.
Dans ce temps-là Varazdirots, fils du vaillant Sempad, qui s’était réfugié auprès de Rustam (Rhoues-douem), ishkhan de l’Aderbadagan, passa avec ses serviteurs et sa suite auprès de l’empereur Heraclius. Il alla se fixer dans le pays des Romains, parce que Rustam avait voulu le faire tuer d’une manière secrète et perfide. A la même époque l’empereur Heraclius donna le titre de curopalate à David Saharhuni, et le créa ishkhan d’Arménie ; celui-ci occupa cette dignité avec beaucoup de gloire, et remporta plusieurs victoires pendant l’espace de trois ans. On construisit, par son ordre, une magnifique église dans la petite ville de Mrien. Au bout de 3 ans il fut méprisé des nakharars, qui le chassèrent. Par la méchante accusation des nakharars et par leur vaine jalousie, l’Arménie fut longtemps troublée. L’excellent ishkhan Théodore (Théouetouéroues) combattit avec un petit nombre de cavaliers un corps de cavalerie des ennemis.
A peu près vers cette époque parut, dans l’héritage de la servante Hagar (Hakar),
Muhammad (Mahmed), qui, selon Boghoues, naquit dans la servitude du côté du mont Sinaï (Sina), dans le désert. Par la suite il s’enfla d’orgueil, s’éleva contre la loi chrétienne et la véritable croyance des matières, et se plongea totalement dans l’abîme de sa perdition, en ne donnant pas de repos à la soif de son épée, qu’il abreuvait perpétuellement dans le sang des princes, ses ennemis, qui étaient tués ou pris dans les combats livrés aux fidèles.
C’est par l’ordre de Dieu qu’il fut orgueilleux et superbe contre la vérité de la foi d’Abraham et des lois de Moïse. Sa connaissance de Dieu était seulement un athéisme qui ne trompait que les esprits des ignorants ; sa croyance est une fausse doctrine ; ses louanges sont l’infamie ; sa foi est une détestable infidélité ; ses sacrifices sont des actions impures ; ses actions généreuses, des actes d’atrocité, parce qu’il donna comme venant du Seigneur une loi qui réglait que le fils de la servante serait héritier comme le fils de la femme libre, et parce qu’il ne distingua pas l’impiété de la véritable foi. Il rassembla une nombreuse armée d’Arabes, vainquit et mit en fuite toutes les troupes d’Héraclius ; il glaça de terreur l’Arabie, les peuples et les nations, qui alors se soumirent à son pouvoir. Les habitants de Jérusalem envoyèrent promptement à Constantinople le vrai bois de la croix de Jésus-Christ, et l’empêchèrent ainsi de tomber au pouvoir des ennemis ; après quoi ils se soumirent à la domination des Hagaratsikh. L’empereur Heraclius mourut ensuite ; son fils Constantin régnait avec lui. Les principaux du pays étaient divisés, et plusieurs d’entre eux ne voulaient pas que Constantin fût leur chef. Dans le même temps, le corrupteur de la race de Hagar fondit sur la Syrie, puis porta la dévastation en Arménie, et, comme un feu dévorant, consuma tout ce qu’il trouva. Ce torrent enflammé parvint promptement dans la province d’Ararad, et détruisit toutes les campagnes. La ville de Tovin (Dvin) fut assiégée et prise. Les épées des infidèles se désaltérèrent dans le sang des habitants. On fit dans cette ville un massacre épouvantable : il y eut 35 000 personnes de tuées ; puis les infidèles s’en allèrent et marchèrent contre la Syrie.
Le patriarche Esdras mourut alors, après avoir occupé le trône patriarcal pendant 10 ans. Théodore, seigneur de Rheshdunikh, et les autres nakharars nommèrent en sa place Nersès, évêque de Daïkh. Celui-ci, effrayé de la grande quantité d’hommes qu’on avait tués dans la ville qui avait été prise, pensa à s’enfuir secrètement, persuadé qu’il ne pourrait soutenir un rang aussi élevé. Mais enfin, vaincu par les prières et les remontrances des nakharars, il se résigna à leur obéir. Lorsqu’il fut élevé sur le trône patriarcal, il fit rassembler et inhumer une certaine quantité de cadavres ; dans le même endroit il rétablit le tombeau du saint martyr Siergis. Il fit ensuite construire un temple saint sur le puits de saint Grégoire, où l’homme apostolique de Dieu fut jeté au milieu des reptiles ; mais il écrasa sous ses pieds la tête de l’odieux serpent, retira les Arméniens de l’abîme mortel de l’idolâtrie, et leur montra la lumière glorieuse du fils de Dieu. Comme il mit toute sa confiance en Dieu, il ne fut pas accablé par l’esprit méchant et perfide de ses puissants ennemis ; et, malgré leur folie, il fonda d’une manière admirable la grande base et le miraculeux et étonnant tabernacle du Seigneur. Nersès donna au temple le nom de saint Grégoire, et se recommanda, pour le terminer, à la prudence du fondateur Jésus-Christ. Il édifia ensuite une autre église, qui fut le bercail spirituel de la nation Arménienne ; il plaça dans l’intérieur quatre fortes colonnes qui divisaient l’église en quatre parties ; puis il déposa dans ce bâtiment les précieuses reliques de saint Grégoire. On veille perpétuellement sur ce trésor céleste pour qu’il ne soit ni pris, ni souillé, et afin d’honorer la sainte foi chrétienne. Pour l’honneur et la confirmation de la religion chrétienne on ne le déposa pas dans un endroit profond ; mais on le plaça dans le trésor divin, en un lieu extérieur, où il pût et satisfaire les désirs de ceux qui voudraient le voir, et servir à la guérison des malades.
Dans ce même temps le grand patriarche Nersès, d’après les ordres de l’empereur Constantin, créa général des Arméniens Théodore, prince de Rheshdunikh.
(Sous Mu’awiya et Othman)
A cette époque, on livrait des combats dans toutes les contrées du monde. L’Amir-Abad (Amir-‘Abd ?)des Arabes avait envoyé des troupes qui s’étaient répandues partout, et qui dévastaient toutes les parties de la terre. L’Amir-Abad lui-même sortit alors du désert de Sin avec une immense multitude de troupes ; il s’avança vers la mer du Midi, vers celle de l’Orient, dans la Perse (Bars), le Sagasdan, le pays de Sind, celui de Msram, le Daran, le Makuran et l’Hindustan. Tous ces pays furent conquis et totalement dévastés ; on renversa tous les royaumes des nations. Après cela on s’avança dans les provinces soumises aux Romains. Cependant l’empereur Constantin fut assassiné traîtreusement par sa mère Martine (Mardiné), qui créa empereur en sa place son fils Héracléonas (Iéraklak). Le général Valentin (Vaghiendin) s’approcha alors, tua Martine et son fils Héracléonas, et créa empereur Constant (Kouesdant), fils de Constantin. L’Asbied Varazdirots vint dans le pays des Romains après cet événement, et le patriarche Nersès fit demander par lui la paix à l’empereur. Ce prince lui donna la dignité de curopalate et celle de gouverneur de l’Arménie. Varazdirots alla prendre l’administration de ce pays, mais il mourut presque aussitôt. On porta son corps à Taronkh, auprès de celui de son père, le vaillant Sempad. Le patriarche Nersès, en l’honneur du père, demanda que la place de celui-ci fût donnée à son fils Sempad. Il demanda aussi que Théodore, prince de Rheshdunikh, fût créé général, parce qu’alors il ne fallait pas se refroidir à cause des mauvais desseins de la race d’Hagar sur notre pays.
XII.
L’aspect des nations et des peuples fut totalement changé ; les antiques tabernacles du midi furent encore dans l’agitation, et il souffla contre nous un nouvel ouragan et une épouvantable et ardente tempête qui portait la mort. C’était un souffle brûlant qui dévastait tous les agréables et magnifiques jardins des hommes, qui blessait par de terribles morsures. C’est ainsi que la nation du midi gouverna bientôt toute la terre en courant rapidement et en envahissant toutes les contrées. Quand Théodore et les autres nakharars virent tout cela, ils furent effrayés de l’arrivée des étrangers, et se soumirent à leur domination ; ils firent un serment à la mort, jurèrent fidélité aux enfers et se séparèrent de l’empereur. Cependant l’empereur rassembla une armée nombreuse et marcha vers l’Arménie, où il ne trouva personne qui lui obéît et qui reconnût sa domination, excepté dans l’Ibérie. Constantin (Kuesdantin) irrité pensa alors à détruire avec cruauté toute l’Arménie ; mais le patriarche Nersès vint trouver l’empereur, et, par ses prières et ses supplications, lui ôta ce dessein de l’esprit. Quand Constantin fut apaisé, il alla à Tovin (Dvin) et descendit dans le palais du patriarche, il ordonna à des prêtres romains de célébrer la sacrifice à la sainte table et de préconiser le concile de Chalcédoine. Notre patriarche Nersès et l’empereur communièrent ensemble.
Leur désir était de faire une grande réunion d’évêques ; ce qui fut involontairement la cause de beaucoup de scandale, et troubla la foi qui nous avait été apportée par saint Grégoire et s’était conservée pure et intacte jusqu’à ce moment. Un évêque vint pour défendre les droits de l’autel ; il se cacha secrètement dans la foule, et lorsque le moment favorable fut arrivé, il parut devant l’empereur et lui adressa la parole en ces termes : Qu’y a-t-il de commun entre moi et toi ? pourquoi viens-tu te jouer de notre patriarcat ? pourquoi amènes-tu chez nous des causes de divisions ? Tu dis que tu viens pour apaiser les esprits, tandis qu’au contraire tu ne fais que nous empoisonner d’une manière spécieuse. Nous voyons bien que tu es l’empereur : nous sommes environnés de tous les côtés ; nous sommes complètement abandonnés, et personne ne communique avec nous.
L’empereur lui dit : Communiquerez-vous avec votre patriarche ? L’évêque lui répondit : Comme avec saint Grégoire. Au reste, c’est le patriarche lui-même qui est cause que nous ne communiquons plus avec lui. Il y a deux ans qu’il donna ordre aux évêques de se rassembler auprès de lui. Tous les évêques furent d’accord avec lui, et de concert on anathématisa tous les hérétiques et en particulier le concile de Chalcédoine. Et moi, alors, je me suis joint à eux. Ce discours transporta de fureur l’empereur, qui, dans sa langue, reprocha vivement à Nersès sa perfidie. Après cela l’évêque se réconcilia avec l’empereur, avec le patriarche, et donna sa bénédiction au premier, qui lui donna la sienne en échange. Dans ce temps l’empereur reçut de Constantinople des dépêches qui le firent partir promptement. Le patriarche Nersès redoutant la violente colère du prince de Rheshdunikh, alla se cacher dans le pays de Daïkh.
(Sous Mu’awiya et ‘Ali)
Les Ismaéliens, après avoir ravagé une ou deux fois l’Arménie, s’en rendirent entièrement maîtres, et prirent pour otages les femmes, les fils et les filles de tous les princes du pays. Théodore, prince de Rheshdunikh, accompagna l’armée arabe en Syrie ; il avait ses troupes avec lui. Il mourut dans cette expédition (656) ; on porta son corps au tombeau de ses pères. Le patriarche Nersès apprit, après six ans d’exil, la mort de Théodore et la fin des ravages des Arabes ; il rentra alors dans son patriarcat. D’accord avec les nakharars arméniens, il créa Ishkhan d’Arménie Hamazasb Mamikueniearikh. C’était un homme ami des lettres, très instruit dans divers genres ; toutes les belles qualités de ses aïeux étaient pour ainsi dire réunies en lui. Il était constamment occupé ; et dans les combats il s’illustrait toujours par de belles actions.
Peu après le patriarche Nersès, se trouvant tranquille, fit construire autour de la magnifique église où il devait habiter une immense enceinte de murs, la fortifia, et la prépara pour lui servir d’habitation ; elle était bâtie en fortes pierres de taille. Il se retira dans cet endroit, d’après une convention faite avec les citoyens, et pour être à l’abri des séditions. Ensuite il amena l’eau du fleuve K’hasagh dans une vaste plaine sablonneuse et inhabitée, qu’il fit planter de vignes et de bocages magnifiques. Les Arméniens, après cela, s’affranchirent du joug onéreux et effroyable des oppresseurs arabes, et se soumirent à l’empereur.
Le patriarche Nersès demanda pour Hamazasb à ce prince la dignité de curopalate et celle de gouverneur des Arméniens.
Quand l’Amir-Abad apprit ces faits, il fit tuer 1775 otages arméniens qui étaient en son pouvoir. Dieu, à cette époque, envoya un esprit de discorde parmi les Arabes ; il y eut un homme qui s’éleva contre ses égaux. La nation commit un nombre immense de meurtres par le tranchant de l’épée ; l’on se battit les uns contre les autres, l’on s’égorgea. L’Amir-Abad fut tué, et l’on en nomma un autre. Les troupes arabes qui se trouvaient alors en Egypte firent la paix avec l’empereur Constantin, embrassèrent la religion chrétienne et se firent baptiser. Elles comptaient 16 000 hommes. Cependant Mu’awia acquit de la puissance ; il tua l’Amir-Abad et devint souverain de tous les Arabes.
(Sous Mu’awiya)
Ce prince rétablit la paix sur toute la surface de la terre. Hamazasb arriva au terme de sa vie, trois ans après avoir reçu la dignité de curopalate ; il mourut, et on l’enterra avec ses pères. Le grand patriarche Nersès et, de concert avec lui, les nakharars arméniens désiraient avoir quelqu’un pour remplir la place d’ishkhan d’Arménie ; ils demandèrent, à l’Amir-Abad Mu’awiya, Grégoire Mamigonéan, qui alors était en otage auprès de lui. L’Amir-Abad reçut d’une manière favorable leur demande, et leur donna pour ishkhan Grégoire, qui aussitôt alla prendre possession du gouvernement de l’Arménie : c’était un homme bienfaisant, craignant Dieu, distingué par les qualités de l’esprit, juste, d’un esprit inventif, tranquille, doux ; enfin c’était un composé de toutes les meilleures qualités. Notre pays, qui était presque un désert, fut rétabli par ses utiles travaux. Lorsque ce prince vint en Arménie, le grand patriarche Nersès, après avoir occupé le siège patriarcal pendant vingt ans, rendit son âme à Dieu. On déposa son corps dans un tombeau que l’on construisit dans la partie septentrionale du palais qu’il habitait. On l’y porta avec toutes les distinctions et tous les honneurs dus à son rang éminent. Il avait été très pur dans ses mœurs ; toute sa vie avait été recommandable et digne de louanges, et il parvint en paix à la vie immortelle. Après le grand Nersès on éleva au trône patriarcal Anastase (Anasdas), qui était né dans le bourg d’Arkurhi situé au pied du mont Mans. Il était camérier du grand Nersès, et il avait été chargé, par ce patriarche, de diriger les travaux de la magnifique église qu’il faisait construire lorsqu’il était en exil dans la province de Daïkh.
De son temps le bienfaisant ishkhan Grégoire Mamigonéan fonda, grâce à la bienveillance de Dieu, une magnifique église dans le bourg nommé Aruj. Il s’occupa avec un soin vraiment céleste d’édifier une admirable église sur la terre. Du côté du midi il construisit un bâtiment pour lui servir de cour ; il le plaça à l’extrémité d’une petite vallée pierreuse d’où sortait une source limpide ; l’eau tombait avec rapidité d’une fissure de rochers qui entouraient cette vallée comme une couronne. Grégoire fit enceindre cet endroit avec de fortes pierres de taille, et y fixa sa résidence. Il bâtit encore un monastère avec une église ornée et magnifique, à l’orient du grand bourg nommé Eghivart ; et pour le salut de son âme, il y construit des habitations à l’usage des moines. Le grand patriarche Anastase fit aussi construire une magnifique église dans le monastère du bourg d’Argourhi, en place de sa maison paternelle ; il y attacha des prêtres, des solitaires et d’autres ecclésiastiques pour prier devant les autels de Dieu, et pour donner la nourriture spirituelle aux étrangers, aux malheureux et aux pauvres.
Un certain David, persan, de la race royale, vint alors en Arménie, auprès du grand ishkhan Grégoire, et lui demanda les signes du christianisme. Cet événement causa une grande joie. Le patriarche Anastase ordonna qu’on lui administrât le saint baptême. Son premier nom était Suhan ; le grand ishkhan Grégoire, en le tenant sur les fonds baptismaux, lui donna celui de son père, David. On lui assigna pour habitation le bourg de Dsag, dans la province de Kodaïkh. Quelques années après il reçut la couronne du martyre dans la ville de Tovin (Dvin).
On dit que c’est dans ce temps-là qu’arriva la guerre du grand bourg d’Erevan. Il me suffit de vous faire savoir, au sujet de cette guerre, qu’elle a été suffisamment racontée par ceux qui ont écrit l’histoire avant moi. Le patriarche Anastase s’occupa beaucoup du moyen de rendre fixe le calendrier arménien comme celui des autres nations, afin que les fêtes de l’année fussent invariables et en harmonie avec les diverses saisons. C’est pour cela qu’il appela auprès de lui un savant très habile dans cette science, nommé Anania Anetsi, et qu’il lui ordonna de faire ce qu’il lui demandait. Anania se mit au travail et fixa d’une manière certaine le calendrier chez les Arméniens, comme il l’était chez toutes les nations ; il en fit l’un des meilleurs qui existe, et nous ne désirons plus d’adopter celui des Romains. (v.665)
Le grand Anastase pensa alors à réunir une assemblée d’évêques pour consacrer ce qui avait été fait, mais la mort vint le surprendre. Il avait rempli les fonctions de patriarche pendant six ans. Après lui on négligea son projet, et tout continua de marcher vaguement et toujours comme auparavant. Israël, du bourg d’Iothmous, fut nommé patriarche pour succéder à Anastase.
CHAPITRE XIII.
(Sous Yazîd, Marwan et ‘Abd al-Malik)
Sous le patriarcat d’Israël, un certain Parhapa, général des troupes musulmanes qui étaient en Arménie, vainquit et mit en déroute, après un grand carnage, Nersèh, Ishkhan d’Ibérie, qui prit la fuite.
Le patriarche Israël mourut après avoir occupé le siège patriarcal pendant dix ans. On mit en sa place un nommé Isahak, qui, par ses pères, était originaire du bourg d’Arkhunashen, dans la province de Dsoraphor, et qui, par ses aïeux maternels, tirait son origine du bourg de Piertkats, dans la province de Maghaz. Il avait d’abord été évêque de Rhodog ; il fut ensuite appelé au trôné patriarcal de saint Grégoire.
Dans la septième année de son patriarcat, la nation des Khazars fit une invasion en Arménie (686) ; le grand ishkhan Grégoire se leva contre eux et leur livra un terrible combat dans lequel il fut tué : on l’enterra dans le tombeau de ses pères. Après sa mort la paix fut troublée de nouveau ; l’Arménie tout entière se trouva livrée à la plus violente agitation, et Sempad Pagratide, fils de Sempad, gouverna la principauté des Arméniens. On envoya, vers cette époque, en Arménie, en qualité d’Osdikan, un arabe, nommé M’rwan, qui attaqua tous les endroits fortifiés, de l’Arménie, les détruisit, les dévasta et les renversa de fond en comble. L’île de Sevan, située dans la petite mer de Gegham, ne fut pas prise dans le commencement de cette expédition ; mais au bout de deux ans elle tomba au pouvoir de M’rwan, qui y fixa sa résidence.
(Sous ‘Abd al-Malik et al-Walid)
Il y fit déposer tous les prisonniers qu’il avait faits, et tout le butin et toutes les dépouilles qu’il avait enlevés en pillant et en dévastant les forts de l’Arménie. Après cela, Muhammad envoya un autre Osdikan en Arménie ; il se nommait Abd-la : c’était un homme injuste et d’une cruauté barbare sans foi, rempli de tous les vices imaginables, et dont l’hypocrisie était semblable au venin de la vipère. Il fit jeter dans les fers, d’une manière cruelle, les ishkhans et les nobles de l’Arménie ; il pilla leurs trésors et s’empara des possessions de beaucoup d’entre eux. Ensuite il fit charger de fers le grand patriarche Isaac et l’envoya à Damas ; il y envoya aussi avec lui le prince d’Arménie Sempad, fils de Sempad, après quoi il dévasta toutes les églises de Jésus-Christ, les dépouilla de leurs ornements, et remplit de larmes, de deuil, de gémissements et de désolation les vieillards et les enfants.
Cet Aptla nous enleva de force un nouveau chrétien nommé David (Tavith), dont j’ai déjà parlé. Il le tourmenta cruellement par les supplices, les fera et la prison à cause de son attachement pour la foi chrétienne. On lui conseilla de le faire périr en le précipitant dans un abîme, ce qui ne lui convint pas. Le saint vieillard ayant résisté victorieusement à tous ces supplices, il le fit crucifier ; et après un coup de flèche qu’il, reçut au cœur, le saint rendit son âme à Jésus-Christ. Les évêques et les prêtres enlevèrent son corps ; et le déposèrent auprès du tombeau de saint Izdpouzid.
Dans ce temps-là arriva la guerre de Vartanakert, dans laquelle l’armée des Arabes fut complètement détruite ; aussi raconte-t-il que jusqu’à présent les Arabes disent d’une manière proverbiale : Vartanakert par sa prise ne nous a pas rebâtis. Après cela les grands de l’Arménie furent encore extrêmement tourmentés de toutes les façons ; mais ils mirent leur confiance dans la faveur divine, et ils marchèrent contre les spoliateurs de leur pays, c’est-à-dire les troupes arabes. Un général nommé ‘Uqba s’avança alors dans le pays de Vanant à la tête d’une nombreuse armée. Kamsaragan marcha contre lui avec tous les nobles de Vanant, et le mit entièrement en déroute. ‘Uqba, ayant pris la fuite, se retira auprès de son Amir-Abad. Là il rassembla beaucoup de soldats, d’armes, d’armures, de haches et de lances ; puis, avec un grand fracas, il s’avança vers l’Arménie pour venger la perte de sa première armée, pour brûler et renverser les églises, piller tous les endroits où il passerait, et donner tout à dévorer à l’impitoyable épée. Cependant le saint patriarche d’Arménie Isaac, qui vivait encore à Damas, apprit les horribles menaces d’‘Uqba, et demanda la permission d’aller le trouver. Il se mit en marche pour tâcher de faire sortir de l’esprit d’‘Uqba ses épouvantables projets, et, par l’ordre de ce général, il alla le trouver, à Harran. Lorsque le patriarche fut arrivé dans cet endroit, il attendit avec la plus grande patience ; puis il écrivit à ‘Uqba une lettre dans laquelle, après des supplications, des gémissements et d’instantes prières, il lui rappela que la mort menace généralement le corps de tous les hommes ; que la résurrection vient ensuite ; que tous les mortels vont promptement au tombeau, mais qu’il y a dans les enfers d’effroyables douleurs pour ceux qui auront tourmenté les âmes. Il ajoutait qu’au reste il mourait sur une terre étrangère pour lui faire plaisir ; qu’il ne doutait pas que aces paroles dictées par la plus profonde douleur et accompagnées des plus pressantes prières ne le détournassent de ses cruels desseins, et ne le fissent renoncer à l’exécution de ce qu’il était disposé à faire en Arménie par une barbare erreur.
Quand le patriarche eut écrit cette lettre, il ordonna qu’après sa mort on la plaçât dans sa main droite, afin qu’‘Uqba, lorsqu’il viendrait, la prit lui-même de ses mains ; il espérait que peut-être alors celui-ci serait touché de pitié et n’accomplirait pas son affreux dessein. L’Osdikan ‘Uqba, ayant appris la mort de saint Isaac, envoya aussitôt un exprès pour défendre d’enterrer le patriarche avant qu’il ne l’eût vu. Lui-même il se rendit en hâte auprès du corps de l’homme de Dieu, qui déjà était entre les mains de la personne chargée de l’ensevelir ; il lui serra la main, selon la coutume de sa nation, comme s’il eût encore été vivant, et il le salua en sa langue, en disant : Salamalekh. Par une influence spirituelle, la main du saint, qui était morte et inanimée, agita vers l’Ostikan la lettre de supplication ; celui-ci en fut extrêmement étonné. Cependant il prit la lettre qui était dans cette main et la lut ; ensuite il dit : Tes demandes seront accomplies, vénérable homme de Dieu.
‘Uqba écrivit alors une lettre aux nakharars arméniens et l’envoya en Arménie avec le corps du saint patriarche, qu’il fit conduire avec beaucoup d’honneur. Il pardonna tous les torts qu’on avait eus envers lui ; il les foula lui-même aux pieds, et s’en retourna dans le pays. C’est ainsi que l’homme de Dieu fut plus utile par sa mort qu’il ne l’avait été par sa vie ; car ses ferventes prières devinrent la cause d’un grand salut pour notre pays.
Le grand patriarche Isaac avait occupé le trône pontifical pendant l’espace de 27 ans quand il mourut. On lui donna pour successeur dans cette dignité un nommé Élie(Ieghia), du bourg de Dirarhidj, dans la province d’Aghéouevid.
[…résumé de l’histoire du martyr Vahan-Wahab…]
(sous ‘Omar)
Vélid succéda à son père Aptlmiélik’h, dans la dignité d’Amir-Abad ; il fut remplacé par son frère Ve-thasilman, qui vécut peu et eut pour successeur Omar (II). Sous le règne de ce dernier, Vahan, prince de Goue-ghtben, fut livré à de cruels tourments, et subit le martyre pour le nom de Jésus-Christ, dans la ville de Résapha (Rudzaph) au Sham, il fut couronné par le Christ d’une couronne impérissable,
Du temps du grand patriarche Élie un certain Nersès, qui alors était évêque des Albaniens, manifesta sa perfidie et son impiété, et soutint la mauvaise doctrine (du concile) de Chalcédoine. Il était d’accord avec une princesse qui, à cette époque, gouvernait le pays des Albaniens : unis l’un et l’autre dans leurs desseins, ils employèrent tous leurs efforts pour amener la totalité du pays à recevoir l’insidieuse hérésie de ledit de Léon (Lietouen). Quand les nakharars du pays s’en aperçurent, ils le firent savoir au grand patriarche Élie, afin qu’il ne négligeât aucun moyen pour arranger cette affaire.
Ce patriarche leur envoya, à deux et même à trois reprises, des lettres dogmatiques et remplies de piété, mais il ne pût les faire repentir de leur erreur. Alors, par prudence et pour la tranquillité de son cœur, il agit de la manière suivante : il écrivit à l’Amir-Abad des Arabes, Omar, une lettre dans laquelle il pleurait sur son église et lui disait :
« Dans notre pays il existe un évêque, et même une princesse sans époux, qui est unie avec l’évêque ; tous deux ils refusent l’obéissance à votre respectable empire ; ils ne veulent pas s’unir à moi qui ai toujours béni votre nom dans mes prières, mais ils se joignent à l’empereur de Rome, et, parce moyen, ils troublent notre pays. Il faut vous hâter de les faire périr et de les ôter d’auprès de moi, car Rome les soutient d’une manière efficace, par des trésors et par toutes sortes de moyens. »
Quand l’Amir-Abad eut lu cette lettre, il rendit de grandes actions de grâces à Élie, lui dépêcha un envoyé et lui conféra de grands honneurs. Puis il expédia le chef de ses eunuques pour arranger cette affaire et faire venir auprès de lui Nersès et la princesse. Dès que cet envoyé fut arrivé, il s’empara des deux coupables, les chargea de fers, les fit monter sur des chameaux et les envoya à l’Amir-Abad. C’est ainsi que le grand patriarche Élie agit très prudemment en se servant du pouvoir pour faire périr ces méchants qui tourmentaient les fidèles. Après cela il ordonna un autre évêque en place de l’hérétique Nersès.
(Sous Hishâm)
Le grand patriarche Élie mourut ensuite, ayant occupé le trône patriarcal pendant treize ans. On lui donna pour successeur le grand et saint philosophe Jean (717-728). C’était un homme très instruit et très habile dans les compositions grammaticales, dans les discours, et dans plusieurs autres choses qui sont toutes dignes qu’on y fasse une attention particulière. Rien n’échappait à sa pénétration ; il voyait toujours l’origine, les modifications, les différences et les ressemblances que n’aperçoivent pas les ignorants. Constamment il s’occupa de matières savantes, et s’appliqua à recueillir avec beaucoup de zèle le fruit de la science. Il écrivit particulièrement avec beaucoup d’habileté pour régler d’une manière admirable l’église de Jésus-Christ, en ce qui concerne toute sa hiérarchie et les offices divins. Il les expliqua, les augmenta, les arrangea fort bien, et, par là, procura un grand soulagement et une grande consolation aux ecclésiastiques. Ses sermons, ses discours poétiques mirent la pénitence dans le cœur des méchants ; ses exhortations produisirent la même chose dans celui des princes. Il était orné des plus rares vertus ; et comme il aimait extrêmement le travail, il occupait son esprit à composer des cantiques spirituels, ou bien il se livrait au jeûne, à la prière et à toutes sortes d’austérités. Dans l’intérieur, il ne portait aucun vêtement de laine ; il se vêtait seulement avec une robe faite de poils de chèvre et extrêmement rude. Mais quand il était hors de chez lui, il se montrait avec une robe d’une couleur éclatante et d’une étoffe précieuse ; il portait quelques ornements d’or qu’il savait disposer avec goût, et avait une barbe magnifique, qui descendait jusque sur sa robe. Il donnait toujours de bons conseils dans les assemblées ; il était fort agréable dans les festins. Toujours il réprimanda vivement les méchants et tâcha de les porter à faire le bien. Par des moyens clairs et manifestes il inspirait la terreur aux méchants, et il les invitait à faire le bien, après s’être revêtu d’habits riches et très ornés. C’est à cause de tout cela qu’il avait l’habitude de porter sur lui de magnifiques ornements, quand il s’acquittait du service divin ; alors il paraissait être plus qu’un mortel, et il excitait l’admiration de tous ceux qui le voyaient : ce n’était cependant pas l’admiration de tous les hommes en général ; mais seulement celle des personnes. qui étaient distinguées par leur jugement. Un osdigan d’Arménie nommé Vilth, qui avait vu l’homme de Dieu, parla, à la cour de l’Amir-Abad, de la beauté de Jean. Ce prince désira alors de le voir ; en conséquence il expédia promptement à l’homme de Dieu un de ses serviteurs, qui l’amena avec beaucoup d’honneur dans la ville royale. Dès l’arrivée de Jean, l’Amir-Abad lui envoya un message pour l’inviter à se présenter devant lui dans son costume habituel. Le. patriarche était d’une haute taille, il se revêtit de ses habits les plus éclatants et les plus magnifiques, divisa en tresses garnies, d’or sa belle barbe blanche et prit à la main une baguette d’ébène peinte avec de l’or : ensuite cet homme beau et doué de larges épaules se rendit auprès de l’Amir-Abad. Quand celui-ci le vit, il fut étonné de sa beauté, de la grandeur avantageuse de sa taille, et de son aspect respectable. Il le plaça sur un trône, l’y fit asseoir et le questionna en ces termes : Pourquoi êtes-vous vêtu d’une manière si éclatante, tandis que votre Christ était toujours modeste, qu’il ne portait jamais que de vils vêtements, et que ses disciples ont fait de même ? Le patriarche lui répondit : Lorsque l’Homme-Dieu Jésus-Christ a pris de nous un corps, et qu’il a caché sa gloire divine comme avec un voile, il n’a certainement pas caché les admirables marques de sa puis-sauce ; mais il a répandu de tous côtés les marques de ses grâces et la science, en les remettant à ses disciples. Il suffisait à ceux-ci d’avoir un esprit purement humain pour exciter à la crainte de Dieu, et ils n’avaient pas besoin d’un habit qui imprimât le respect. Mais comme nous avons perdu beaucoup de ces grâces miraculeuses, nous couvrons avec des vêtements qui commandent le respect notre âme faible et humaine, pour porter les hommes à la crainte de Dieu ; et de même que vous, rois temporels, vous vous revêtez de gloire et d’habits enrichis d’or, pour inspirer la terreur au plus grand nombre des hommes, j’en fais autant. Mais je suis aussi revêtu d’un cilice que peu de personnes voient. Au reste, ces vêtements grossiers et rudes n’effraient personne, et n’effrayeront pas votre gloire, puisqu’ils ne sont pas visibles. Si votre majesté désire me connaître complètement, qu’elle fasse retirer le petit nombre de personnes qui sont ici. Quand on l’eut fait, le patriarche se dépouilla de ses vêtements extérieurs, et montra à l’Amir-Abad sa robe de poils de chèvre. Il lui dit, en découvrant ses membres : Voilà l’habit qui est pour l’extérieur et que je présente aux regards du peuple. L’Amir-Abad porta la main sur la robe de poils de chèvre du patriarche, et s’écria avec une sorte d’humeur, de mécontentement et d’horreur : Comment le corps de l’homme peut-il vraiment souffrir et supporter ce misérable et infernal cilice, si Dieu n’a pas doué de patience celui qui le porte ? Après cela, l’Amir-Abad honora le patriarche d’une grande quantité de riches présents, le revêtit sept fois d’une belle et magnifique robe, vraiment royale, lui donna de grands trésors en or et en argent, et le renvoya ensuite dans son pays.
Le patriarche vécut encore quelques années après son retour, et mourut. Il avait occupé le siège patriarcal pendant onze ans.
Il eut pour successeur David (Tavith) (728-741), du bourg d’Aramonk’h, dans la province de Godaïk’h. Ce bourg était probablement la résidence patriarcale, avant les tourments que le roi Tiridate fit souffrir à saint Grégoire. Ce prince le lui avait donné à titre de fondation pieuse : on en conserve encore le décret jusqu’à présent. Comme les infidèles qui habitaient dans la ville de Tovin tourmentaient le saint homme David et qu’As le vexaient par beaucoup de méchancetés, celui-ci qui était dans une grande anxiété, sortit de sa résidence, ainsi qu’il a été écrit, et alla fonder une église dans le bourg d’Aramonk’h. Il orna magnifiquement cette église, et plaça dans le bâtiment qui l’environnait son habitation, qu’il fit décorer avec soin. Il passa tout le reste de sa vie dans cet endroit, et il mourut après avoir occupé le patriarcat pendant treize ans. On l’enterra très près du même lieu où il avait vécu.