ISTANBUL
Et pour revenir à mon chemin, quand je montay au vaisseau des Grecz à Escutari, ilz cuiderent que je fusse Turc et me firent de l’onneur beaucop. Et quant ilz me eurent descendu en terre, je alay en la ville demander ung marchant de Jennes à qui je portoys lettrès , et s’appelloit Cristofle Parvezin. Lesditz Grecz sceurent que j’estoye Crestien et quant je retournay vers mon cheval que j’avoye laissié à la porte en garde, je trouvay iceulx Grecz qu’ilz n’estoient que deux et là me vouldrent raençonner et faire paier plus que je ne devoys pour mon passaigc ; ils me eussent voulentiers batu, si je l’eusse volu souffrir, car en cestuy temps, ilz heoient fort les Crestiens et fus en dangier d’estre bien escous, mais j’avoye encorcs mon espée et mon bon tarquais et ne me firent riens. Et me vint à la rescousse ung cordouannier Jennevois qui demouroit emprez de la porte.
Je escrips ces choses pour advertir aucun autre si demain ou après il avoit affaire à eulx. Car autant que j’ay hanté lesditz Grecz et que m’a peu touchier et que j’ay eu affaire entre culx, j’ai plus trouvé d’amitié aux Turcz et m’y fieroye plus que auxditz Grecz. Car, comme il m’a peu sambler, ilz ne aiment point les Crestiens obeyssans à l’église de Romme.
Et l’obéissance qu’ilz ont depuis faicte, je croys qu’ilz l’ont plus faicte par povreté et disette que pour amour qu’ilz eussent à l’église de Romme.
Combien qu’il me fu dit que ung pou par avant que je passasse, ilz estoicnt venus à la dernière maudicion du Pape qu’il leur avoit donnée à ung conssile gênerai où ilz furent tenus pour scismatiques et les maudit, que
tous tussent serfs à ceux qui estoient serfs. Et vueult on dire que, en icelluy temps, toute la Turquie et la Rommenic estoient obeissans à l’empereur de Constantinople et aux Grecz. Et avant que je passasse par icellc contrée, le Grant Turc avoit conquis toutes les deux Vallaquies, c’est assavoir la grande et la petite et n’y avoit plus nulle cité, ville ne fortrès se qui fust en l’obéissance de l’empereur de Constantinople que tout ne fust subgect ou tributaire au Turc.
Le 11″^ jour que je fus arrivé en Père, je traversay le havre qui n’est point large, mais il est bien parfond pour aler veoir ladite cité de Constantinople. Et illec avoit des marchans Venissiens, Jennevois et Cathelans entre lesquelz il y eust ung Cathelan qui m’avoit autrès fois veu à Bruges et l’appeloit on Bernard Carmcr, lequel me recongneust à ma parole et me fist très bonne chiere et grant recueillote. Et me pria que je me voulsisse partir de ladite ville de Pere pour aller logier en son logeiz en Constantinople et visiter ladite cité a loisir. Et ainsi le feiz je.
Si nous apprestasmes tous deux pour traverser ledit havre à la première marine et venir en ladite cité de Constantinoble qui jadis estoit appellée
Bizance la grant.
Constantinoble est une cité moult grande et spacieuse, faicte comme ung escu à trois poinctes de quoy l’une est sur le destroit que nous appelions le bras Sainct Georges. Et a de l’un des costés devers le midi, ung gouffre assés large qui dure de là jusques à Gallipoly, et de l’autre, vers le north est le havre. Et vueult on dire qu’ilz sont trois grosses citez et en chascune a vu montaignes. C’est Romme, Constantinoble et Anthioce. Au regard de moy, il me samblc que Romme est plus grande et plus reonde que Constantinoble. Et quant à Anthioce, je ne la veiz que en passant et ne peus sçavoir combien elle comprcnt, fors que les montaignes sont plus grandes que celles de Rommc et de Constan tinoble. On dist aussi que cestc cité a xviii milles de tour en ses trois quarrcs. Et l’autre tiers est sur la terre devers soleil couchant. Et est très bien fermée d’assés bonnes murailles tout autour et, parespecial, la part qui est vers la terre; laquelle premièrement de l’un coing à l’autre qui sont vi milles, comme dit est, a ung fossé tout curé, excepté à ung des boutz devers Père, environ ir’ pas du palais qu’on appelle la Blaquerne pour ce que d’eulx mesmes les fossés sont assés parfons pour une montaignete qui est au devant. Et me fu dit que autrès fois l’ont cuidié prendre par icelle place. Et après ces fossés, environ XVI ou XX piez, il y a une fausse braye de bonne muraille et haulte. Et après sont les haultz murs de la ville, lesquels sont beaulx et bons et fors de ce costé. Et y souloit avoir aux deux dcboutz deux beaulx palais et fors, comme encoires il y peult apparoir par les murailles et edeficesqui y sont. Et me fu dit que ung Empereur les fist abatre pour ce qu’il se trouva en dangier et prisonnier du Grant Turc, lequel le volt contraindre de rendre la cité de Constantinoble ou de le faire mourir. Lequel Empereur respondi qu’il amoit mieulx mourir que faire ung si grant dommaige à la Crestienté et que sa mort ne seroit point si préjudiciable comme seroit la perte de Constantinoble, et ainsi eslut il la mort. Et quant le Turc vit cecy, il luy fist dire qu’il fist abatre les deux palais et la place qui est devant Saincte Sophie et il le delivreroit, pensant mais que les ditz palais feussent abbatus, que aisément après il concquestcroit ladicte cité. L’Empereur l’accorda et ainsi le fist taire comme il appert encoires.
Il y a dedans ladite cité ung petit havre pour mettre 3 ou 4 galèes du costé du midi, assés prés d’une porte où il y a une montaignette des os des Crestiens qui partirent de Jherusalem et de la terre de promission et dWccre après Gaudeffroy de Billon, lesquelz Crestiens estoient en grant nombre et vinrent sur le destroit de Constantinoble et les Grecz qui les aloient passer, à mesure que ilz les avoient menés en icelle place qui est bien avant en la ville, hors de la veue des autrès , ilz les tuoient tous. Et eussent tout tué, se n’eust esté ung page qui repassa devers les autrès , et leur dist vraiment que tous ceulx qui estoient passés estoient mors. Et ainsi le demourant s’en ala autour de la mer Maiour en bien grant nombre. Et vueult on dire que ce sont ceulx que l’on appelle maintenant Cercays, Zigues, Gothlans, Avar et Mingrelins. Et sont toutes ces gens cy gros Crestiens habitans autour de la mer Maiour. Je n’en sçay que par ouy dire, car il y a grand pièce que ce fu.
Tout ainsi que les grosses carraques peuvent venir devant Père, semblablement font à Constantinoble. Et est ceste cité cy faicte par villaiges et y a beaucop plus de vuyde que de plain.
Il y a de moult belles églises, c’est assavoir l’église de Saincte Sophie qui est la maistrès se église où le patriarche se tient et autrès gens comme chanoines, laquelle église est assés prés de la poincte, devers le soleil levant, et est grande église faicte sur le reond’. Et dist on, anciennement, elle souloit avoir trois milles de tour.
Mais maintenant, elle n’est pas si ample ; et estoit faicte par cloistrès , dont il yen aencoires trois et sont pavez de larges marbres, blancz et lambroissiez. Et y a des portes d’airain haultes et larges. Et puis y est le corps de l’église de trois estages tous d’une fachon. L’ung est dessoubz terre, l’autre sur la terre et le tiers est hault. Et va on tout autour ainsi que en manière d’un cloistre et est tout lambroissiê et pavé de large marbre. Et sont les pilliers gros et de plusieurs couleurs.
Et dist on que, en ceste église, est une des robes de Nostre Seigneur et le fer de la lance et l’esponge dont il fu abreuvé et le rosel marin. Mais je y ay veu derrière le cuer les grandes bendes de fer du gril sur quoy sainct Laurent fu rosti. Et je y ay veu une pierre large comme ung lavoir où on dist que Abraham donnai mengier aux trois angels qui aloient pour destruire Sodome et Gomorre. Je veiz un jour ledit patriarche faire le service à leur manière auquel estoient l’Empereur, sa mère, sa femme qui estoit une très belle dame, fille de l’empereur de Trapezonde, et son frère qui estoit dispot de la Alourée. Je attend ! tout le jour pour veoir leur manière de faire, et firent un mistere de trois enfans que Nabuchodonosor fist mettre en la fournaise’. Et fus tout le jour sans boire et sans mengier jusques au vespre, bien tard, pour veoir l’Emperix, laquelle avoit disné en ung hostel prez de là pour ce qu’elle m’avoit samblé si belle à l’église, pour la veoir dehors, et la manière comment elle aloit à cheval ; et n’avoit avec elle que deux dames seulement et deux ou trois hommes anciens d’estat, et trois de telz gens comme les Turcz font garder leurs femmes. Et quant elle vint hors de l’hostel, on apporta ung banc sur lequel elle monta et puis luy amena on ung très beau ronchin sellé d’une belle et riche selle. En alant près dudict banc, print ung de ces anciens hommes notables ung long manteau qu’elle portoit et s’en ala de l’autre costé du cheval et sur ses mains estandi ledict manteau le plus hault qu’il peut. Elle mist le pié en l’estrier, et tout ainsi que ung homme, elle monta à cheval et puis luy rejecta le manteau sur ses espaules et luy bailla ung de ces longz chapeaulx à poincte de Grèce, sur lequel au long de ladicte poincte avoit trois plumes d’or qui luy seoient très bien. Elle me sambla aussi belle ou plus que paravant. Et me approchay si près, que on me dist que je me traisse arrière et me sambloit qu’il n’y avoit riens à redire, fors qu’elle avoit le visaige painct. qui n’estoit jà besoing, car elle estoit jeune et blanche. Et avoit en ses oreilles, pendu en chascune, ung fermail d’or large et plat où il avoit plusieurs pierres et plus de rubis que d’autrès . Et semblablement, quant l’Emperix monta à cheval, firent ainsi les deux dames qui estoient avec elle, lesquelles estoient aussi bien belles et estoient habillées de manteaulx et de chapeauk, et puis s’en alla au palais de l’Empereur qu’on appelle la Blanquerne, vers la terre.
Il y a devant ceste église de Saincte Sophie une moult belle place, où anciennement souloit avoir ung beau lieu en manière d’un palais cloz de belles murailles, comme il samble, où ilz souloient faire leurs esbatemens comme il me fu dit. Et je y veiz le frère de l’Empereur dispot de la Mourée, à 20 ou 30 chevaulx. Chascun portoit son arc et couroit au long de ladite place à cheval. Et jettoient leurs chapeaulx devant et puis celluy qui povoit ferir le plus près en courant, par derrière, c’estoit le mieulx fait à leur guise. Aussi est ce une de leurs habiletez et qu’ilz apprenent des Turcz.
Et il y a auprès de ceste poincte l’église de Sainct George qui est belle. Et y a devers la Turquie au plus estroict une tour. Et me samble que à cest endroict, le passaige n’est pas bien large. Et en alant de l’autre costé devers le ponant, il y a ung moult hault pillier de pierres quarrécs où il y a des lettrès escriptcs, lequel est bien hault et dessus est Constantin l’Empereur, de metail sur ung grand cheval tout de fondure et tient le sceptre en l’enchlenche main et a le bras droit tendu et la main ouverte devers la Turquie et le chemin de Jherusalem par terre, en signe que tout celluy pays jusques en Jherusalem luy souloit estre obeyssant, et ne sçay point en quelle manière on l’a peu mettre là dessus, veu la grandeur et le poix de quoy il est. Et assés prés dudit pillier en a un autrès d’un renc chascun d’une pierre sur lesquelx souloit avoir trois chevaulx dorez Icsquclz sont maintenant à Venize.
Il y a encoires une belle et gente église qu’on appelle Pantheacrator où il y a des religieulx qu’on appelle Kalogiros et sont comme nous dirions moynes de l’Observance.
En ceste église est la lame ou pierre que Nichodeme avait faicte pour mettre sur son monument, sur laquelle pierre de diverses couleurs Jhesucrist fut mis, quant on le descendit de l’arbre de la croix et que Nostre Dame le mistsurson giron. Et est une moult dévote chose, comme il me samble, car on y voit toutes les larmes que Nostre Dame ploura, qui cheoient sur ladite pierre et non mie sur le corps de Jhesucrist. Et véritablement, je cuiday de prime face que ce fussent gouttes de cire et y mis la main pour les touchier et puis me abaissay bas pour veoir contre le jour et me sembla que c’estoient gouttes d’eaue engelées. C’est une chose que plusieurs gens ont vue. 11 y a aussi en ceste église les sépultures de saincte Helaine merc de Constantin et de Constantin qui sont élevées de environ 8 piedz de hault, chascune sur un reond pillier sur la fachon d’un diamant pointu de un quarrés. Et autrès fois que on dist que les Venissiens eurent grant puissance à Constantinoble, ilz emportèrent le corps de saincte Helaine à Venize lequel est tout entier. Et dist on qu’ilz ne peurent oncques ouvrir celluy de Constantin et est assés vraysamblable, car on voit deux grosses pierres qui sont rompues pur là où on le vouloit ouvrir. Et sont lesditz deux sépultures de la couleur de jaspre sur le vermeil comme une brique. Il y a encoires une autre église que on appelle Sâinct Apostole ‘ où il y a ung tronchon plus hault qu’ung homme de la coulompne où Jhesucrist fust attachié pour estre batu en la maison Pilate, laquelle est de pareille pierre que les deux autrès tronchons que j’ay veux, l’ung à Romme et l’autre en Jherusalem ; mais cestuy cy est plus grant le tiers que les deux autrès ne seroient ensamble. Et est ceste église cy aussi bien belle et y a des corps saincts grecz tous entiers que voit qui vuelt. Et sont eslevès en sarcus de bois et y en a l’ung qui eut la teste coppée et &n luy a mis la teste d’un autre sainct à l’endroict de la sienne. Ilz sont tous entiers et y a longtemps qu’ilz y sont, mais ilz ne les tiennent point en telle révérence que nous faisons les corps sainctz par dechà. Et ainsi ne font ilz ladite pierre ne la coulompne, laquelle n’est seulement que couverte d’aix autour et est toute droicte près d’un pillier à la dextre main, quant on entre en l’église par la porte de devant.
Il y a encoires une autre église que on appelle la Blaquerne près du palais de l’Empereur et des murs du costé de la terre, envers Père, là où sont les fossés que je dis qui ne sont pas glacissez. Et me samble que ceste église cy, qui n’est pas grande, d’autant qu’elle contient, est aussi belle ou plus que nulle de toutes les autrès , car elle est pavée, paincte, lambroissiée et tout ce que faire se peut. Il me samble qu’il n’y a riens à redire fors qu’elle est ung pou mal couverte. Je croy bien qu’il y a des autrès églises où je n’ay point esté.
Il y en a une où on célèbre et dist on, chascun jour, messe selon l’ordonnance de Romme, où les marchans vont tous les jours à l’endroit du passage de Pere. Je veiz en ceste ville plusieurs marchans et de plusieurs nations, mais les Venissiens sont ceulx qui ont plus d’auctorité. Ilz y ont ung officier que on appelle baille, lequel n’a de riens à respondre à l’Empereur, ne à ses olficiers et n’ont quelque congnoissance sur eulx ; et ont eu ceste franchise passé longtemps, comme on dist. Et me fu dist que ce ne feussent lesditz Venissiens, Constantinoble eust esté gaignée des Turcz, par deux fois, l’une que leurs galères aloient à la Tane où ilz envoient tous les ans, vindrent si à poinct devant Constantinoble que les Turcz assailloient la cité et estoicnt bien 100 000, ce dist-on, au coing où les fossés ne sont point glacissez, ceulx desdites galères ne firent que descendre et venir pour defîendre la ville qui estoit en très grant dangier, ce dist on, et croy que Dieu l’a plus gardée pour les sainctes reliques qui sont dedans que pour autre chose. Et samblablement, longtemps après, on dist qu’elle fut une autre fois rescousse des galères qui revenoient de la Tane.
L’Empereur de Constantinoble est en grande subjection du Grant Turc, car il me fut dict qu’il luy paye tous les ans x” ducatz de tribut seulement pour le corps de la ville de Constantinoble, affîn qu’il ne luy demande riens et ne tient plus autre chose en toute la Grèce que une petite cite que on appelle Salubrie et ung chastel à iir heures de Constantinoble devers le north. Et samblablement que les Venissiens ont, est de par le Turc, à Constantinoble, ung officier pour le fiit de la marchandise que les Turcz font à Constantinoble ; et n’ont les Turcz riens à respondre aux gens de l’Empereur. Et, se d’aventure, aucun esclave crestien eschappoit de la maison des Turcz et s’en venoit à Constantinoble, il fliuldroit que l’Empereur ou ses gens le rendissent au Turc.
Le marchant Cathelan chez qui j’estoyc logié Dist à ung des gens de l’Empereur que j’estoye à Monseigneur le duc de Bourgongne, lequel me fist demander s’il estoit vray que le duc de Bourgongne eut prins la Pucelle, car il sambloit aux Grecz que c’estoit une chose impossible. Je leur en dis la vérité tout ainsi que la chose avoit esté, de quoy ilz furent bien esmerveilliez.
Les marchans Cathelans et autrès me menèrent ung après disner au palais de l’Empereur veoir une solennité que on faisoit ainsi que nous faisons le jour de la Chandeleur et célèbrent après disner. Et veiz l’Empereur en son estât, assis sur une couche au bout d’une sale. Et l’Emperix regardoit de dessus une chambre en hault et ne vint point en bas venir veoir l’office. Et sont les chappelains qui chantent l’office estrangement habilliez et chantent par cuer, selon leurs dois. Environ 4 ou 5 jours aprez, ilz me menèrent encoires veoir une festc qui se faisoit d’ung des parcns de l’Empereur qui se marioit. Et y jousta on à leur manière qui est bien estrange ce me samble. La manière est telle : il y avoit planté ung grant pal au millicu d’une place et y avoit là attachié ung grant aix d’environ 3 pies de large et de 5 de long. Et estoient bien là xl chevaulx qui vcnoient courant l’un après l’autre, chascun ung petit baston en sa main et firent assés de manières et n’avoient pièce de harnois. Et quant ilz eurent couru environ demie heure, on apporta environ i.x ou nu” perches toutes telles que on faict pardechà pour couvrir les maisons d’estrain, mais elles estoicnt plus longues. Et le sire de nopces commencha le premier et en print une qui ployoit très fort en courant et courut tant que le cheval pouvoit aller et ferit à celle quintaine, à la forte course, tant qu’il rompy sa perche sans grant branle. Et alors commencèrent à huer et à jouer de leurs instrumens qui sont nacquaires comme ceulx des Turcz. Après chascun prcnoit sa perche et les rompoit très toutes, excepté que, en la fin, le sire des nopccs en fit lyer deux ensamble qui n’estoient pas trop fortes et les rompy sans se bleschier, qui sambla que fut bien faict. Et estoit l’Empereur aux fenestrès et l’Emperix aussi, laquelle estoit tousiours très belle fille, ce me sambloit. Ainsi la feste se departy qu’il n’y cust nul bleschié et s’en ala chascun à son logeis.
Je me partis de la dicte ville de Constantinoble le 23° jour de janvier l’an 1433 en la compaignie d’un gentilhomme nommé Messire Benedic de Fourlino lequel aloit en ambaxade de par le duc de Milan devers le Turc, comme dist est. Et estoit en sa compaignie ung gentilhomme qui estoit aussi au duc de iMilan et l’appelloit on Jehan Visconte, et avoit ledit ambaxadeur en sa compaignie vir personnes et x chevaulx, car il fault porter par la Grèce tout ce de quoy on a nécessité par le chemin.
Et au partir de Constantinoble a ung passage qui est sur la mer que l’on nomme Rigory ‘ qui fut jadis assês fort, car la mer y entre au long d’une vallée bien 20 miles et illec a ung pont et une tour ; mais les Turcz l’ont abbatue et y a une moult longue chaucié et ung villaige de Grecz ; et qui vuelt venir à Constantinoble par terre, il fault passer par là ou à ung autre passaige qui est ung peu au dessus sur une rivyerc qui vient là cheoir en la mer, lequel me
fu dit qu’il est aussi fort ou plus que cestuy.
Item, de là je vins à Athyra qui souloit estre bonne ville, mais les Turcz l’ont toute destruicte et si avoit ung moult fort passage, car la mer se boute samblablenient que j’ay dit de l’autre et le pont qui y est est grand et fort et à chascun bout y a une belle tour et forte. Ce nonobstant, les Turcz l’ont toutgaignié et gasté et sont encoires tous Grecz en ladite ville.
Item, de là je vins à une cité que l’en nomme Salubrie qui est à l’Empereur de Constantinoble”.
Et tout depuis la ville de Constantinoblc jusques à ladite cité de Salubrie qui sont 2 journées, si est en l’obéissance de l’Empereur, mais il n’y a que villaiges bien povres. Et est ceste ville de Salubrie celle que le Turc n’a oncques peu prendre, et toutes fois n’est elle point trop forte de la part qui est sur la mer; et il y a ung pou de havre qui est sur le gouffre entre Constantinoble et Gallipoly.
EDIRNE :
Item, de là je vins à une ville que l’on nomme Chourleu qui a esté assés bonne par samblant, car les Turcz l’ont abatue et est repeuplée de Grecz et de Turcz ‘.
Item, de là je alay à une ville que l’on nomme Misterio qui est une petite place fermée et n’y demeurent que Grecz excepté ung Turc à qui le Grant Turc l’a donnée.
Et de là, je vins à une ville que l’en nomme Pirgasi qui est aussi tous les murs abbatus et n’y demeure que Turcz.
Item, de là je vins à une ville nommée Zambry qui est aussi toute abattue ‘et depuis Constantinoble jusques à Andrenopoly sont vi journées à très beau pays, montées et vallées fertilles de tous biens excepté de boys, car il n’en y a nulz, ne nulz arbres et y a moult de rivyercs et est assés mal peuplé de gens.
Item, de Zambry, je alay avec ledit ambaxadeur à Andrenopoly qui est une très bonne ville et la millieure que le Turc ayt en la Grèce’. Ceste ville cy est très grande et bien marchande et fort peuplée de gens. Et cy se tient le Seigneur plus que en nulle autre ville de la Grèce. Et est ceste ville sur une moult grosse rivyere que l’on nomme la Marisse.
Et demeurent en ceste ville plusieurs marchans Venissiens, Cathelans, Jenevois et Flourentins. Cy se tient le seigneur de la Grèce comme nous disons ung lieutenent, et avoit esté esclave du Turc.
Item, je me party de ceste ville de Andrenopoly avec ledit Messire Benedicto pour aler devers le Turc qui estoit à Lesseres, une grosse ville en Pirrhe vers où fu la bataille de Thessale de Jule César et de Pompée, et passay ceste rivyere que l’on nomme la Marisse à bateaulx et alay en ung villaisge qui est prés de ladite rivyere et là, trouvay bien l des femmes du Turc accompaignées d’environ de 12 à 16 esclaves chastrez dont les deux vindrent parler à nous et nous dirent que le Turc se devoit partir pour s’en venir et aloient lesdites femmes à Andrenopoly, car le Turc y devoit venir.
Item, de là je alay à Dimodicque qui est assés bonne ville et y a très beau chastel et grant sur une montaigne presque toute reonde et si est très bien fermé de doubles murailles et y passe par une part une rivyere et puet bien avoir dedans ledit chastel iiif maisons et y a ung dongon où le Turc tient son trésor, ainsi que l’en m’a dist.
Item, je alay de ceste ville de Dimodicque à une ville que l’en nomme Ypsala qui est assés bonne ville et est aussi toute abbatue et passay encoires la rivyere de la Marisse en bateau, ainsi que j’avois faict autrefois, et est ceste marche de pays tout marescage et mal aysiée à chevaulchier et furent deux journées depuis Andrenopoly.
Item, de cy je alay à une ville que l’en nomme Ayne qui fu jadis une grant cité du temps de Trove la grant et y souloit avoir ung roy et maintenant en est seigneur le frère du seigneur de Matelin, lequel est tributaire au Turc ; et est ceste dite ville sur la mer et entre ceste grosse rivyere cy en la mer, qui a bien deux milles de large’.
Item, il y a une sépulture qui est sur une petite montaigne reonde et dient que jadis le Roy Priam envoya ung sien filz moins né qu’on appelloit Polidoire avec grant foison de trésor à ce roy de Ayne, lequel, aprez la destruction de Troye, tant pour crainte des Grecz que pour la convoitise du trésor, l’avoit faict morir.
Item, devant ceste ville, je traversay en gros vaissel la Marisse et alay envers ponant en une ville que l’en nomme Macry qui jadis, par samblant, a esté bonne ville et grande et, de présent, est toute abbatue, excepté une partie du chastel qui souloit estrc bel et fort. Et est habitée de Grecz et de Turcz et est sur la mer et est prés de l’isle de Samandra qui est au seigneur de Ayne’.
Item; de là je passay une montaigne non pas trop grande et vins en une ville que l’en nomme Caumussin qui est assés bonne petite ville et est bien fermée de murs et est assise sur une petite rivyere en très beau pays et bon et plain et prés des montaignes devers ponant.
Item, de là je passay par une ville nommée Mussi, qui fu jadis, par samblant, bonne et bien fermée, mais elle est ores toute destruicte, et une partie des murs abbatus et n’y habite personne.
Item, de là, je vins à une ville que l’en nomme Peritoq qui fu jadis bonne et est une ville ancienne et est sur ung goulfe de la mer qui se boute entre la terre jusques devant ladite ville bien 60 milles et vient de devers Monte Sancto où il y a si grant nombre de gallogiros et est ceste ville habitée de Grecz et est bien fermée, excepté en deux places que les murs sont abbatus et est ceste dicte ville en ceste grant plaine qui va jusques à Lesserres et va l’en selon ceste montaigne.
Item, de là je alay en une ville champestre nommée Jangibatzar qui a esté eddifiée des Turcz et attendi là le Turc qui y devoit passer et venir là. Et y fus deux jours et y veiz venir ledit seigneur lequel menoit pou de gens en sa compaignic, selon ce qu’il a accoustumé, car il s’en aloit esbatant et chevaulchoit à son ayse à petites journées. Toutesfois avoit en sa compaignie de un à 5″ chevaulx dont la plus grant partie estoient faulconniers et ostriciers, desquclz a grant foison. Et m’a l’en dit qu’il en a plus de deux mil. Je veys venir ledit seigneur Grant
Turc quant il entra en ladite ville de Jangibatzar et n’avoit avec luy que environ de xl à l chevaulx. Il plouvait et portoit vestu une robe de veloux sur veloux cramoisy fourrée de martrès sebelines en guise d’un mantel, selon la mode du pays, et un chappeaul vermeil sur sa teste, tel que les autrès Turcs le portent et aloient devant luy 12 archiers et xir qui sont ses esclaves. Et fu ledit seigneur logié en ung pavillon, car il faict porter tousdis tout ce qui luy est de nécessité et ainsi fault que chascun face, car on treuve pou à mengier, se ce n’est es bonnes villes, et ne scet on aussi où logier. Pour ceste cause portent ilz tout et mainent grant charroy, c’est assavoir de chameaulx et d’autrès bestes. Et veys, icelluy vespre, ledit seigneur de bien près, lequel aloit en ung baing se baignier et estoit encoires grant jour et n’avoit en sa
compaignie que vi personnes. Il estoit à cheval et les autrès estoient avec luy de pié. Car ledit baing estoit prés de son logis et portoit sondit chappeaul et une robe de satin cramoisy et estoit de l’aage de 28 à 30 ans. Et est homme ung pou sur le plus gras, et l’ouys parler à ses gens et a bien grosse loquence. Ledit ambaxadeur du duc de Milan qui avoit nom Messire Benedicto de Fourlino avec lequel j’estoye, envoya devers un Turc auquel il avoit congnoissance sçavoir s’il pourroit parler au seigneur et luy présenter aucun présent qu’il luy vouloit faire; et ledit Turc le demanda au seigneur lequel respondit qu’il ne vouloit riens besoignier, car il n’aloit que pour prendre plaisir, et aussi ses bâchas n’y estoient point, et qu’ilz estoient demourez derrière, mais se il les vouloit là attendre, qu’il les attendist ou se non qu’il s’en retournast à Andrenopoly et ainsi le fist il ; auquel lieu me fu dit que ledit Turc avoit envoyé de Lesserres x” combatans, de quoy les v” estoient de ses esclaves pour prendre et réduire aucuns seigneurs
d’Albanie, qui estoit la cause pour quoy il avoit si pou de gens alors en sa compaignie’.
Item, nous partismes lendemain de Jangibatzar, retournasmes à Camussin et de là, venismes à passer une assés maie montaigne. Et celle grant plaine que j’ay dit cy devant, qui dure depuis le pié de ceste montaigne jusques à Lesserres qui sont 4 ou 5 journées, a bien en aucun lieu une journée de large et en aucun n’a point un mile et y a de bonnes villes au long et m’a l’en dit que la grant bataille de Thessale fu prés de Lesseres. Et quant j’eus passé ladite montaigne, je vins sur une rivyere qui passe entre deux haultes roches et sur l’une a ung chastel qui garde celuy passage nommé Coulony lequel estoit moult fort et a esté abbatu la plus grant partie.
Et de cette montaigne la pluspart est bois, et sont maies gens et murdriers ceulx qui y habitent. Et quant j’euz passé ladite montaigne, je vins en une ville que l’en nomme Trajanopoly, jadis eddifiée par ung empereur appelle Trajan, lequel avoit, ce disoient les Grecz, une oreille ainsi que ung mouton et fu filz de celluy qui eddifia Andrenopoly. Et fist cest empereur pluseurs autrès choses dignes de mémoire. Geste ville de Trajanopoly est près de la mer et de ceste rivyere que l’on appelle la Marisse et a esté assés grande ville et est toute abbatue et n’y demeure que ung pou de gens; et y a en ceste ville ung baing que l’on nomme eau saincte et est au pié d’une montaigne qui luy est devers le soleil levant et la mer luy est devers midy.
MURAT BEY
Item, de là, je vins à une ville que l’en nomme Vira : en ceste ville souloit avoir ung beau chastel lequel est abbatu en aucun lieu, et m’a dit ung Grec qu’il y souloit avoir m” chanoines et y est encoires le cuer de l’église, de quoy les Turcz ont faict leur musquée et ont édifié autour de ce chastel une grande ville qui est peuplée de Grecz et de Turcz. Et est ceste ville sur ung mont prés de la Marisse.
Au partir de Vyra, environ tierce, rencontrasmes le seigneur de la Grèce qui aloit au devant du Turc, lequel l’avoit mandé qu’il venist devers luy et avoit en sa compaignie bien vi’^” clievaulx et est ce seigneur bel homme et de bonne taille et fu esclave dudit seigneur et est de Voulgairie. On m’a dist que pour ce qu’il boit très bien, ledit seigneur l’a faict seigneur de la Grèce et luy a donné bien L” ducatz de rente. I
Item, de là je revins à Dimotiq qui est une très belle place ainsi que j’ay dit cy devant. Elle est bien grande ville et m’a samblé encoires plus belle la dernière fois que la première. Et me samble que se ledit seigneur Grant Turc y tient son trésor, qu’il y est bien seurement. Et de là je retournay à Andrenopoly, où je attendis jusques à ce que ledit seigneur fu venu qui furent xr jours, et vint le premier jour de Quaresme. Et alerent au devant de luy le grant caliphe qui est entre eulx ainsi que le pape est entre nous, et aussi toutes les notables gens de
la ville qui furent en grant nombre. Et trouvèrent ledit seigneur aux champs, et en venant qu’il fu assés près de la ville, il se arresta pour mengier et pour boire par especial, et n’entra en ladite ville jusques à la nuyt et en fist aler toute la plus grant partie de ses gens. Et me dirent aucuns qui l’ont hanté en sa court, depuis qu’il est seigneur, une partie de ses condicions et en quoy il se délite.
El tout premièrement, ainsi que j’ay veu et que j’ay dit cy devant, il est homme de grosse taille, courte personne et a ung pou le visage large sur la philosomie de Tartre et si a le nés grant assés et courbe et assés petis yeulx et est moult brun par le visaige et a grosse joes et la barbe ronde. Et m’a l’en dist qu’il est doulce personne, bénigne et large de donner seigneurie et argent. On m’a dist aussi qu’il het assés la guerre et ainsi me le samble il, car s’il vouloit exequiter la puissance qu’il a et sa grant revenue, veula petite resistence qu’il treuve en la crestienté, ce seroit à luy legiere chose à en conquestcr une grant partie.
Item, m’a l’en dit qu’il a bien 2,5 millions de ducatz tous les ans que de ses rentes que de ses tributz qui montent à 25″ ducatz. Et m’a l’en aussi dit qu’il mettroit bien sus en la Grèce 6000 hommes ensamble dont il y a bien de 4 à 5 esclaves qui sont siens et à ses gaiges, mais la moittié sont mal en point, car celluy qui aura arc n’aura point d’espée.
Item, m’a l’en dit que quant il faict armée, il ne luy couste riens, mais gaigne en ceste manière que quant il mande ceulx de la Turquie à venir en la Grèce il ne leur donne riens, ains payent à Gallipoly le comarch, c’est assavoir y aspres pour cheval et trois pour homme. Et quant ilz vont en course, il a de v esclaves ung, tel qu’il le veult choisir””. Et pareillement, s’ilz passent la Dunoc, ilz payent le comarch. Et m’a l’en dit que ceulx de la Grèce sont tenus de luy faire, tous les ans, 30 hommes pour les mander où bon luy samblera et c’est le plus grant fait et le millieur de ses gens.
Item, luy doit on faire en la Turquie 10 hommes aussi, chascun an, et n’en a autre revenue que vivres. Il a donné de grandes seignouries, mais ceulx à qui il les a données ne les ont que à sa voulenté, et avec ce, ilz sont tenus de le servir à certain nombre de gens et ainsi ne fait mie despense plus, quand il fait armée, que autrement. Quant aux gens de son hostel, qui sont bien v” que à pié que à cheval, il ne leur accroist de riens plus leurs gaiges.
Item, il a un hommes que l’en nomme bascha ou visirs bâcha c’est à dire ainsi que capitaines ou conduiseurs et visirz, c’est à dire conscilliers, et ces quatre ont çest office et nul ne parle audit seigneur se ce n’est par le moyen de ceulx cy,qui ont le gouvernement de luy et de tout son hostel entièrement. Et le seigneur de la Grèce a le gouvernement des autrès gens au fait de la guerre quant ilz sont en la Turquie.
Item, on m’a dist et aussi j’en ay veu aucunement l’expérience que ce seigneur se déduit moult en chasses et en oyseaulx. Et m’a l’en dit qu’il a plus de 1000 chiens et plus de 2000 oyseaulx, et de cecy ai je veu une grant partie.
Item, la chose en quoy il prent le plus grant plaisir, c’est en boire et aime gens qui boivent bien et m’a l’en dit qu’il boit très bien 10 ou 12 grondilz de vin qui peuvent bien estre vi ou vu quartes; et adonc, quant il a bien beu, il n’est riens qu’il ne donne et sont ses gens très ayses quant il boit, car adoncques fait il les grans dons. Et m’a l’en dit, qu’il y a ung an passé, que ung More le vint preschier et dire que tous ceulx qui boivent vin très passoient les commandements de leur prophète et qu’ilz n’estoient pas bons Sarrazins ; et tantost il le fist mettre en prison et deffendre qu’il ne venist plus en son pays. En après, le plus grant plaisir qu’il peult avoir c’est en femmes et en garçons jeunes sodomites ; et a bien 3 femmes ou plus, et si a bien 25 ou 30 garçons lesquelz sont tousiours avecques luy plus souvent que ses femmes, et à ceulx cy, quant ilz sont grans, donne il les grans dons et les seignouries et a donné à ung, l’une de ses seurs à femme et xxv”ducatz de revenue par an.
Item, quant à l’armée de 30 hommes qu’il fait en la Grèce, ceulx à qui il a donné les seigneuries que j’ay dit cy devant doivent estre prestz toutes et quantes fois qu’il les mande, c’est assavoir 20 en la Grèce et 20 en la Turquie, sans les esclaves de son hostel.
Il est moult bien obey en son pays et de ses gens, car ilz font ce qu’il leur commande, sans contredit, se il leur est possible, et fait tout ce qui vuelt que nul ne luy dit riens, au contraire. Il f;iit de grandes justices et tient son pays en grant seureté et ne fait nulle extorsion à ses gens qui sont Turcz, c’est assavoir de taille ou d’autre chose.
Item, s’il vuelt faire grant armée, tel qui le scet bien m’a dit qu’il trouvera bien vi” mil hommes en la Grèce, mais qu’il les paye de leurs gaiges, c’est assavoir 8 aspres pour homme à cheval et y pour homme de pié, et de ceulx cy, m’a l’en dit que les 60 000 seront bien en point ; ceulx de cheval, de tarquais et d’espée et le demeurant sont gens de pié mal en point, car qui a espée, il n’a point d’arc et pluseurs y en a qui n’ont que ung baston et de ceulx cy a la moittié de ceulx de la Turquie, non obstant qu’ilz les prisent plus que ceulx de la Grèce et sont plus à craindre. Et de l’armée qui fu dernièrement en Grèce, une grant partie estoit Crestiens ; c’est assavoir que quant il mande le dispot de Servie, il envoyé l’un de ses filz acompaignié de m” chevaulx de service et aussi d’autrès assés d’Albanie et de Voulgairie qui sont Crestiens, lesquelz n’osent dire le contraire et sont pluseurs esclaves qui vont à la guerre qui sont Crestiens. Et m’a l’en dit depuis, et de vérité, que quant le dessusdit seigneur vuelt faire armée, que au pays de Turquie luy sont tenuz de le venir servir 30 hommes, lesquelz sont payez. Et de la Grèce y a 20 hommes sans ses esclaves qui peuvent estre de II à m” bien en point. Aucuns me dirent qu’il puelt bien avoir en son trésor 1 million de ducatz, et autrès me dirent la moittié. Et de son trésor si est en ses esclaves et en joyaulx de ses femmes bien 1 million d’or vaillant. Si a de la vaisselle, mais quant il vouldra clorre la main qu’il ne donne riens, en ung an, il pourra espargnier 1 million de ducatz, sans faire tort à nulluy.
Item, quant ledit seigneur fu venu à Andrenopoly, lesditz bâchas vinrent 7 jours aprez, lesquelz menoient la plus grant partie de ses gens et de son bagaige et a bien ledit seigneur cent camelz et environ ii’L que mules que chevaulx de sommiers, car ilz ne mainent nulz chariotz. Et quant les dessusditz bâchas furent venuz, ledit ambaxadeur du duc de
Milan manda, ainsi qu’il est de coustume, s’il pourroit parler à eulx et luy fu mandé que non. Et la raison si fu pour ce qu’ilz avoient esté devers ledit seigneur et estoient très bien yvres. Mais ilz envoyèrent lendemain devers ledit ambaxadeur, et je alay avecques luy et leur porta à chascun ung présent, ainsi qu’il est de coustume. Car nul ne parle à eulx s’il ne leur porte présent, et à chascun des esclaves qui gardent leur porte, que homme n’y entre sans leur sceu. Et quant il eust esté visiter chascun des bâchas en leur maison, et leur eust fait présenter leurs presens, lendemain, ilz luy mandèrent qu’il fust prest pour aler devers le seigneur pour luy présenter ce qu’il luy vouloit donner. Car aussi nul ne va devant luy qui soit estrangier qu’il ne luy porte aucun présent. Et lendemain, lesditz bâchas envoyèrent quérir le dessusdit ambaxadeur sur le vespre et monta à cheval, luy seul de ses gens et alasmes à pic
avecques lui.
Et quant nous venismes devant la court dudit seigneur, nous trouvasmes là grant foison de gens et chevaulx. Et entrasmes dedans la première porte, et là sont bien 20 ou 30 esclaves atout bastons, qui gardent ladite porte, laquelle est toute ouverte. Et quant aucun vuelt y entrer, ilz ne luy dicnt que une foys qu’il retourne, et la seconde le font retourner à coups de baston. Et ont ces esclaves dudit seigneur, très tous un chief auquel ilz respondent et les conduist’. Et quant ledit ambaxadeur fu entré, ilz le firent seoir auprès de la porte, là où il y avoit moult de gens qui attendoient ledit seigneur qui devoit saillir hors de sa chambre pour faire porte ainsi qu’il a accoustumé. Car touttefois que ambaxade luy vient, il fait porte, et c’est presque tous les jours. Et est à dire faire porte ainsi que nous disons en France quant le Roy vuelt tenir son estât royal et court ouverte, non obstant qu’il y a beaucop à dire en toutes choses, ainsi que je diray cy aprez, mais ainsi que nous disons la Court du Roy, ilz dient la Porte du Seigneur.
Et quant toutes ces gens furent vcnuz, c’est assavoir les trois bâchas et le seigneur de la Grèce et les autrès qu’ilz appellent seigneurs, ledit seigneur Grant Turc se party de sa chambre et n’avoit avecques luy que ces garçons qui l’accompaignerent jusques cà l’uys de sa chambre qui rcspondoit en une moult grant court, et là l’attendoit le seigneur de la Grèce et ne sailly avccques luy que ung petit nain et deux autrès garçons qui font le fol. Et quant il fu hors de l’uys, il ala assés tost jusques en une galerie qui estoit auprès de l’uys, là où il sailly et passa par le bout de cette grant place; et avoit vestu une robe de satin cramoisy à leur guise et dessus, en guise de manteaul, ainsi qu’ilz l’ont de coustume, une robbe de satin figuré vert, fourrée de martrès sebelines.
En cestc galerie cyestoit la place appointée là où il se ala seoir, c’est assavoir une chose en manière d’une couche couverte de veloux et si y a un ou y pas de degrez à monter et là s’en ala asseoir à leur guise, qui est telle que celle des cousturiers qui se assient quant ilz cousent. Ettantost que le seigneur fu assis, les bâchas qui estoient en une autre place auprez de ladite galerie, prestement ilz se partirent et alerent devers luy. Et quant ilz furent dedans ladite galerie, adoncques chascun qui a accoustumé d’entrer en la court y entra et s’en ala en sa place, c’est assavoir selon les murz ou parois qui estoient autour de ladite galerie, le plus loing bonnement du seigneur qu’il se puelt faire.
Q.uant chascun fu mis ainsi à part, on fist venir ung seigneur du royaulme de Bossene, lequel estoit venu devers le Turc pour luy faire obéissance d’icelluy royaulme et fu mené seoir en ladite galerie avecques les bâchas, lequel estoit venu pour demander secours audit seigneur contre le Roy de Bossene et se disoit que le royaulme luy appartenoit. Et furent assis assés prés devant ladite ga- lerie, le visaige contre le seigneur, environ xx gentilzhommes de Walaquie, lesquelz estoient ostages pour ledit pays de Walaquie. Et avant que ledit seigneur fust venu en ladite place, on y avoit porté au millieu, bien cent grandes escuelles d’estain et en chascune avoit une pièce de mouton et du ris.
Quant doncques ledit seigneur fu assis et les hachas furent devers luy, on fist venir ledit amhaxadeur de Milan devers ledit seigneur et portoit on ses presens après luy, et de là où estoient les escuelles de viande que i’ay dit, gens qui sont à ce ordonnez prindrent lesditz presens et les levèrent en hault que le seigneur les povoit veoir et ung chascun aussi, et ledit amhaxadeur ala toudis avant, et vint ung homme notahle au devant de luy, lequel les mist en ladite galerie où estoit ledit seigneur et là s’enclina ledit amhaxadeur sans oster son aulmuce et ala jusques auprez des degrez qui estoient là où le seigneur estoit assis; et illecques s’enclina ledit amhaxadeur tout bas. Et adoncqucs se leva le seigneur en piez et fist environ deux pas jusques au debout desditz degrez et là print il le dessusdit ambaxadeur par la main, lequel ambaxadeur voult baisier la sienne, mais ledit Turc ne le souffry point pour l’onneur du duc de Milan et luy demanda comment son bon tradello et voisin le duc de Milan se portoit. Respondy que très bien. Et pour ce que ledit Turc n’entendoit point ledit ambaxadeur, il y avoit ung Juif qui avoit grant auctorité autour dudit Turc, qui de mot à mot, rapportoit les paroles de l’un à l’autre en turc et en italien comme il me fu dit, car je ne le povois ouyr. Et adoncques se tira arrière l’ambaxadeur toudis le visage devers le seigneur, car la coustume est telle, et fu le seigneur en piez jusques à ce que ledit ambaxadeur fu là où devoit seoir, et fu mis en costé de celluy de Bosscne. Adoncques, ledit seigneur se assist, et quant il fut assis, chascun se assist à terre et lors, celluy qui avoit mené ledit ambaxadeur dedans la court nous feit seoir qui estions à luy emprez les gens de celluy de Bossene. Et si tost que le seigneur fu assis, on luy apporta à meugier et luv mirent une touaille de sove devant luv ainsi que une serviette et la tira devant luy. Et aprez, luy mirent une pièce de cuyr vermeil tout rond et bien delyé devant, en lieu de nappe, car la coustume est telle qu’il ne menge que sur telles nappes de cuyr. Et adoncques luy apportoient de la chair en deux grans platz dorez, et aussi tost qu’il fu servi, ceulx qui sont ordennez apportèrent ces autrès escuelles que j’ay dit cy devant, qui furent portées en celle place et en portèrent et en servirent les gens qui estoient là, c’est assavoir de iiii à iiii, une escuelle, et avoit dedans du ris bien cler et une pièce de mouton sans point de pain ne que boire. Aucuns mengerent et autrès non, et avant qu’ilz eussent accomply de servir, on commença à desservir et ce fu bien tost. Car aussi le seigneur ne menge nulle fois que en son privé et sont peu de gens qui l’ayent veu boire, ne mengier, ne ouyr parler.
11 y avoit au bout de la place ung hault buffet et veiz aucuns qui y beuvoient. Je ne sçay si c’estoit vin ou eaue; et si avoit sur ledit buffet qui estoit fait à degrez bien peu de vaisselle et au pié avoit ung vaissel d’argent, de la façon d’un calice, lequel estoit moult grant ; et avoit de costé ledit buffet menestrelz qui. quant le seigneur sailly de sa chambre, commencèrent à jouer et chanter chansons de gestes des fais que leurs prédécesseurs avoient fait, comme il me fu dit. Et quant ilz disoient aucunes choses qui leur plaisoient, plusieurs cryoient en leur manière de cryer, et à ouyr me sambloient hongres, car je ne les pouvoys vcoir. Et quant je fus dedans la court, je veiz qu’ilz jouoyent d’instrumens de corde moult grans et dura jusques à ce qu’ilz commencèrent à mengier. Et prestement que la viande fu levée, chascun se leva, et se party ledit ambaxadeur sans parler rien de son ambaxade à celle fois, car la coustumc est telle, et puis s’en ala à son hostel.
Item, lendemain vint celluy qui l’estoit venu quérir pour le mener à la court, lequel estoit des
gens du trésorier et porta audit ambaxadeur de l’argent pour despendre, c’est assavoir 11′ aspres, car la coustume est telle que depuis que ung ambaxadeur a parlé au seigneur, jusques à ce que il luy ayt f;iit response, il luy envoyé argent pour dcspcndre. Et lendemain qu’ilz luy curent envoyé de l’argent pour taire sa despense, si vindrent aucuns des esclaves qui gardent la porte pour avoir de l’argent, car la coustume est telle, mais on les contente de peu.
Item, le tiers jour mandèrent le dessusdit ambaxadeur pour ouyr ce qu’il vouloit dire, lequel s’en ala tantost à la court et moy avec luy. Si trouvasmes que ledit seigneur avoit jà tenu court et s’estoit retrait en sa chambre et là furent les bâchas et Beguelarbay qui esi le seigneur de la Grèce, lesquelz ouvrent ce que le dessusdit ambaxadeur vouloit dire. Et quant nous venismes à la Porte, nous trouvasmes les iiii dessusditz hors de la galerie où ledit seigneur se tenoit, et estoient assis sur une boise qui là estoit; et firent venir ledit ambaxadcur devant eulx et là fu mis ung lapis et le firent seoir bas devant eulx ainsi que ung homme que l’on juge. Et par celle grant place avoit encoires des gens assés. Et quant il eust dit la charge de son ambaxade, ilz luy dirent qu’ilz ne pourroient parler pour l’heure au seigneur ainsi qu’ilz ont de coustumc, car il estoit occupé, mais ilz le manderoient quérir quant temps seroit, car la coustume est que nul ambaxadeur parle jamais audit seigneur depuis que ung ambaxadeur de Servie tua le grant père de cestuy cy pour ce que nul ne vouloit prendre les dessusditz de Servie à mercy, s’il ne les avoit à sa voulenté pour esclaves et pour délivrer les gens et le pays de servitude, devant ses gens, tua ledit Turc en parlant à luy et aussi fu il tué. Et mefu dit que la charge qu’il avoit estoit que son frère le duc de Milan luy prioit que pour amour de luy, il fust content de laissier à l’empereur de Romme Siçremond le rovaulme de Honiruerie, la Walaquie et la Vulgairie jusques à Sophie et le royaulme de Bossene et ce qu’il tenoit en Albanie qui depent d’Esclavonie. Auquel les bâchas respondirent qu’ilz le reporteroient au seigneur et puis luy feraient responce. Et le 10° jour après, manderoient le dessusdit ambaxadeur pour luy faire responce. Et quant nous venismes à la court, nous trouvasmes le seigneur qui estoit assis en sa place et tenoit court et n’avoit nul en ladite galerie que luy et ceulx qui luy portoient sa viande et les bâchas estoient dehors en piez, bien loing de luy et les autrès gens aussi que j’ay dit qui y estoient la première fois, et estoient en moindre nombre, et se n’y avoit point de buffet, ne de menestrelz aussy, ne le seigneur de Bossene, ne les Wallachz, mais bien y estoit le frère du duc de Chifalonie nommé Magnoly lequel se tient tout coy avec ledit Turc comme son serviteur ; et firent attendre le dessusdit ambaxadeur à la porte de la court jusques à ce que le seigneur eust fait. Je le veys partir de son estât, ce que je n’avoys pomt veu l’autre fois, et le vis retourner en sa chambre, et va moult tost comme je l’ay dit cy devant, et portoit une robe de drap d’or vert qui n’estoit pas bien riche.
Et tant que ledit seigneur fu en son estât, le grant cadi, et les autres qui sont commis avec luy, tenoit la raison pour faire justice à ung chascun, à l’entrée de la porte de ladite court dedans, et veys venir des Crcstiens qui sont estrangiers plaidoyer. Et prestement que le seigneur se fu party desa place, chascun s’en ala hors et les bâchas firent venir ledit ambaxadeur ainsi qu’ilz avoient fait autrefois, en celle mesme place, et luy firent la responce qui fu telle : que le seigneur luy mandoit qu’il luy saluast son frerc le duc de Milan pour lequel il vouldroit faire beaucop, mais il luy sambloit que les requestes qu’il luy faisoit n’estoient point raisonnables, et devoit bien estre content de ce que, pour amour de luy, il avoit souvent différé de faire grans conquestes sur le royaulme de Honguerie, qu’il eust bien fait s’il cust voulu, et luy devoit bien souffire et luy scroit bien dure chose de rendre ce qu’il avoit gaignié à l’espée, car à celle heure, ne luy, ne ses gens n’avoient point d’autre pays pour eulx occuper que les pays dudit empereur, lequel ne se trouva oncqucs devant luy, ne ses prédécesseurs, qu’ilz ne l’eussent tousiours desconfy et qu’il ne s’en fust fuy, comme chascun le peut bien sçavoir et n’eut point d’autre responce. Et me dist ledit ambaxadeur que la dernière fois que ledit Turc desconfy ledit empereur qui tenoit le siège à Coulonbach et que Messire Advis,ung chevalier de Poulainc’ fu tuè à tout 6 Walaques, il estoit party de devers ledit Turc et le jour devant ladite desconfiture, il estoit arrivé devers ledit empereur. Et me conta toute la manière de la besongne et comment Jehan Visconti avoit esté adverty de la venue dudit Turc et comment, autrès fois, il avoit tractié avec les Vulgaires de luy faire obéissance de tous les pays de
Vulgairie, jusques à la ville de Sophie, et de tuer tous les Turcz qui y estoient, laquelle chose ledit empereur ne voult entreprendre. Et fu ledit Messire Advis escorchié et eut la teste coupée et trois autrès avecques luy, de quoy ce fu grant pitié et fu porté devant le Turc rempl}’ de fuerre. De plusieurs autrès choses qui lors advindrent comme il me fu dit, il n’est jà besoing que j’en ûice icy mention.
Je veys aussi deux arbalestriers Jenevoiz qui avoient esté à ceste bataille et me contèrent comment l’empereur et son ost avoient passé la Dunoe en ses galées.
Et quant ledit ambaxadeurfu en son hostel, le seigneur luy manda une robe de camccas cramoisy doublée de bocassin jaune et avecques ce vi” aspres de quoy ung ducat venissien en vault xxxvi. Ht le trésorier qui délivre cest argent en prend x pour cent, à cause de son office.
Je veys ung jour ung présent que le seigneur envoya à la fille de Beguelarbay, le seigneur de la Grèce, le jour de ses nopces. Et ala présenter ledit présent la femme de l’un des bâchas, laquelle estoit accompagniée de xxx femmes ou plus, très bien vcstues de riches robes de veloux cramoisy et aucunes de drap d’or sans nulles fourrures. Et elle mesmes estoit vestue d’un tissu d’or cramoisy et portoit le visaige couvert d’un délié drap moult riche, chargé de pierreries, car lacoustume est telle et les autrès aussi, chascune moult richement, et alloient à cheval tout ainsi que le roy, jambe dechà, jambe de là. Et devant elles aloient xii ou xiui hommes, deux menestrclz et une trompette et ung grant tambour et bien vui paires de naquaires, et tous à cheval menoient grant noise et grant bruyt, et le présent venoit après, c’est assavoir 70 grans plateaux d’estain en quoi avoit plusieurs manières de confitures et de composte ; aprez, portoient xviri moutons escorchiés dedans samblables plateaux, lesquclz moutons estoient paintz de couleurs, blanc et rouge et chascun avoit trois aneaulx d’argent pendus, c’est assavoir en chascune oreille ung et ung au nés. Et ainsi alerent présenter ledit présent. Et aucunes des dessusdites femmes chevaukhoient de bien riches selles.
Je veys mener des Crestiens enchaînez vendre, et demandoient l’aumosne avant la ville, qui est grant pitié à veoir les maux qu’ilz portent.
Je me partis de Andrenopoly le 12° jour de mars en la compaignie dudit ambaxadeur auquel le Turc avoit fait baillier ung de ses esclaves pour nous conduire.