Nous passâmes une nuit dans cette île (Munbasa) ; après quoi nous reprîmes la mer pour nous rendre à Kilwa, grande ville située sur le littoral ; et dont les habitants sont pour la plupart des Zanj, d’un teint extrêmement noir.
Ils ont à la figure des incisions semblables à celles qu’ont les Lîmiîn de Jnâda (africains centraux).
Un marchand m’a dit que la ville de Sufâla [Mozambique central, port du Zimbabwé] est située à la distance d’1/2 mois de marche (env. 1000 km) de Kilwa, et qu’entre Sufâla et Yûfi, dans le pays des Lîmiîn, il y a 1 mois de marche. De Yûfi, on apporte à Sufâlaa de la poudre d’or.
Kilwa est au nombre des villes les plus belles et les mieux construites ; elle est entièrement bâtie en bois ; la toiture de ses maisons et en Dîs, et les pluies y sont abondantes.
Ses habitants sont adonnés au Jihâd, car ils occupent un pays contigu à celui des Zanj Kuffar [“infidèles” d’où le terme Caffre]. Leurs qualités dominantes sont la piété et la dévotion, et ils professent la doctrine de Shâfi’î.
Du sultan de Kilwa
Lorsque j’entrai dans cette ville, elle avait pour sultan Abû al-Mudzaffar Hasan (b. Sulayman b. Hasan b. Talut, 1310-32), surnommé également Abû al-Mawâhib, cause de la multitude de ses dons et de ses actes de générosité.
Il faisait de fréquentes incursions dans le pays des Zanj, les attaquait et leur enlevait du butin, dont il prélevait la cinquième partie, qu’il dépensait de la manière fixée dans le Coran.
Il déposait la part des proches du Prophète dans une caisse séparée, et lorsque des Shurafa venaient le trouver il la leur remettait [Sachez que, quel que soit le butin que vous preniez, le cinquième appartient à Dieu, au Prophète et à ses proches, aux orphelins, aux pauvres et au voyageur Coran, VIII, 41].
Ceux-ci se rendaient près de lui de l’Irâq, du Hijâz et d’autres contrées. J’en ai trouvé à sa cour plusieurs du Hijâz, parmi lesquels Muhammad b. Jammâz ; Mansûr b. Labîda b. Abû Namî, et Muhammad b. Shumayla b. Abû Numay. J’ai vu, à Maqdishaw, Tabl b. Kubaïsh b. Jammâz, qui voulait aussi se rendre près de lui. Ce sultan est extrêmement humble, il s’assied et mange avec les Fuqara, et vénère les hommes pieux et nobles.
Récit d’une de ses actions généreuses
Je me trouvais près de lui un vendredi, au moment où il venait de sortir de la prière, pour retourner à sa maison. Un faqir du Yaman se présenta devant lui, et lui dit :
« O Abû al-Mawâhib !
-Me voici, répondit-il ; ô Faqir ! quel est ton besoin ? Donne-moi ces vêtements qui te couvrent.
-Très bien, je te les donnerai
-Sur l’heure
– Oui, certes, à l’instant. »
Il retourna à la mosquée, entra dans la maison du Khâtib, ôta ses vêtements, en prit d’autres, et dit au faqir :
« Entre, et prend-les. »
Le faqir entra, les prit, les lia dans une serviette, les plaça sur sa tête, et s’en retourna. Les assistants comblèrent le sultan d’actions de grâces, à cause de l’humilité et de la générosité qu’il avait montrées.
Son fils et successeur désigné reprit cet habit au faqir, et lui donna en échange 10 esclaves. Le sultan, ayant appris combien ses sujets louaient son action, ordonna de remettre au faqir 10 autres esclaves et deux charges d’ivoire ; car la majeure partie des présents, dans ce pays, consiste en ivoire, et l’on donne rarement de l’or.
Lorsque ce sultan vertueux et libéral fut mort, son frère Dâwud (b. Sulayman, 1332-56) devint le roi, et tint une conduite tout opposée. Quand un pauvre venait le trouver, il lui disait :
« Celui qui donnait est mort, et n’a rien laissé à donner. »
Les visiteurs séjournaient à sa cour un grand nombre de mois, et seulement alors il leur donnait très peu de chose ; si bien qu’aucun individu ne vint plus le trouver.