Je cheminais ainsi, lorsque se produisit un fait qui faillit mettre fin à mon voyage. De mes 3 Ztâtâ, l’un, nommé Bâ-l-Qâsm, était un honnête homme ; les 2 autres, s’étant figuré, à la blancheur de mes habits, à la bonne mine de mon mulet, et, parait-il, d’après les dires des Juifs d’Al-Ûtât, que j’étais chargé d’or, ne s’étaient offerts à m’escorter que dans le but de me piller. Rien ne parut d’abord.
A midi et demi, comme je marchais en tête de la caravane, prenant mes notes, je me sentis tout à coup tiré en arrière et jeté à bas de ma monture : puis on me rabattit mon capuchon sur la figure, et mes 2 Ztâtâ se mirent à me fouiller : l’un me tenait, pendant que l’autre me visitait méthodiquement.
A cette vue, Bâ-L-Qâsm d’accourir : il brandit son fusil, menace, veut empêcher le pillage ; mais il est impuissant à arrêter ses compagnons : tout ce qu’il peut est de prendre ma personne sous sa protection : il me rend la liberté et assiste, les larmes aux yeux, au déballage de mes effets.
On m’avait pris ce que j’avais sur moi ; on se mit à chercher dans mon bagage : il était léger : on n’y trouva pas grand-chose ; mes 2 Ztâtâ s’emparèrent de ce j’avais d’argent (une fort petite somme) et des objets qui leur parurent bons à quelque usage ; on me laissa comme sans valeur les seules choses auxquelles je tinssent : mes notes et mes instruments.
Puis on me fit remonter sur mon mulet et on continua la route, Bâ-l-Qâsm, mélancolique d’avoir vu violer sous ses yeux son ‘Anaya, mes 2 voleurs mécontents de n’avoir fait que demi-besogne, étonnés de n’avoir pas trouvé plus d’argent et se repprochant de m’avoir laissé les seules choses qu’ils ne m’avaient pas prises, la vie te mon mulet.
Durant le reste de cette journée et durant toute celle du lendemain, ils discutèrent ce sujet, pressant Bâ-L-Qâsm de m’abandonner, de les laisser me dépêcher d’un coup de fusil, lui faisant des offres, lui promettant sa part. Bâ-L-Qâsm fut inébranlable et déclara qu’ils n’auraient ma vie qu’avec la sienne ; il leur fit des raisonnements : comment feraient-ils au retour s’ils n’apportaient d’Al-‘Asrî la lettre de son fils prouvant mon arrivée à Dabdû ? Ma mort connue, ce Juif, envers qui ils s’étaient engagés à me conduire, se vengerait : son seigneur était un des hommes le splus puissants d’une fraction des Wulâd al-Hâjj beaucoup plus nombreuse que la leur : elle s’armerait contre eux et les ruinerait. Cette dernière considération, jointe à l’attitude ferme de Bâ-L-Qâsm et à l’adresse qu’il eut de faire trainer la discussion en longueur, me sauva.
En approchant de Bnî Ghys, on décida qu’il ne me serait pas fait de mal, et qu’on me forcerait, en vue de Dabdû, à envoyer un billet au jeune Israélite, annonçant mon arrivée, demandant la lettre pour son père, et déclarant que mon escorte avait été parfaite. Ce fut au dernier moment et en désespoir de cause que ce plan fut accepté : jusque là, la discussion de cessa pas […]