Qadiri, Chronique sur les Saadiens, 1654

Chronique de Qadiri, 1654

Quand, dans le dixième siècle, le pouvoir des Marīnīs s’affaiblit, que les chroniqueurs restèrent impuissants devant la honte de leur vie et de leur mort ainsi que de leur perte de toute distinction, quand il n’y eut plus à relater d’eux de beaux faits, que leur éclat s’éteignit, que, dans la débilité de leurs actes, ils s’abstinrent du ğihād ; que, incapables de passer en Espagne, ils se mirent à agir au gré de leurs sujets, et non en souverains ; que, s’abandonnant aux désordres, ils restèrent hésitants devant les questions les plus graves ; que, le calme planant autour d’eux qui étaient disséminés dans le pays, ils vécurent satisfaits et inférieurs à leur tâche, sans qu’il y eût entre eux envie ni émulation, ne se montrant d’ailleurs pas injustes el respectant ce qui appartenait à leurs sujets, ceux-ci d’autre part ne donnant pas la préférence à d’autres qui prissent leur place ; quand enfin cet état de choses se fut longtemps prolongé, le ğihād surgit contre le territoire chrétien du Sūs, menée d’une façon continue par les indigènes, qui recevaient des Marīnīs de l’aide en argent et en approvisionnements.

Ces hostilités duraient depuis longtemps quand Mawlay Muḥammad aš-Šayḵ et son frère vinrent y participer ; ils se dirent originaires du Sūs, prétendant qu’ils n’avaient eu au Dr’a qu’un seul échelon de leurs ancêtres, et en revendiquant cette origine ils se dirent Šurfā. Les choses se passèrent comme il a été dit et nous nous bornons à un bref résumé.

Les deux frères finirent ainsi par figurer parmi les chefs des combattants pour la guerre sainte, et les circonstances leur donnèrent le pouvoir. Ils se rendirent auprès du Marīnī, qui les accueillit bien et leur témoigna de la bienveillance à raison du ğihād qu’ils menaient, ce qu’il traduisit par le don d’abondants approvisionnements et de chevaux.

Ils retournèrent alors à leurs combats, mais revinrent ensuite une seconde fois le trouver et furent traités comme ils l’avaient été précédemment, puis se retirèrent. Entre eux et les chrétiens il y eut de nombreuses rencontres qui firent connaītre leur nom, et ils se mirent alors à adresser aux tribus des appels écrits de venir soutenir leurs efforts ; ils se rendirent encore auprès du Marīnī pour lui réclamer des tambours, des étendards et des approvisionnements, et leurs demandes furent accueillies : le prince ne voyait pas cela de bon oeil, mais voulait leur tenir compte du but qu’ils poursuivaient.

Les frères finirent ainsi par s’emparer du territoire chrétien et arrivèrent au résultat qu’ils poursuivaient : les tribus vinrent les rejoindre et prêter leur aide pour les régions reconquises sur les infidèles, une grande quantité d’hommes se rendirent auprès d’eux en bandes nombreuses.

Après avoir livré des combats aux tribus qui étaient dépourvues d’un chef, les deux Šurfā retournèrent vers Murrākuš jusqu’à la bataille de Darnā livrée au Marīnī, qui fut mis en déroute, évacua Murrākuš et fut interné à Tādla.

Les deux Šurfā entrèrent à Murrākuš en 951/1544 et s’y proclamèrent souverains ; après quoi ils entamèrent avec le Marīnī, qui s’y prêta, des négociations de paix. La situation resta telle pendant quelque temps, puis surgirent entre eux de nombreux différends à propos des tribus, et qui sont trop longs pour être autrement que mentionnés.

Il s’ensuivit des opérations militaires, et dans une rencontre qui eut lieu sur la rivière d’Umm ar-Rbi῾a, le Marīnī fut mis en fuite et retourna à Fās dans des circonstances trop longues à raconter ; il évacua Tādlā et Tāmisnā. Alors il engagea de nouveaux pourparlers de paix auxquels acquiesça le Marīnī Waṭṭāsī, qui pardonna la mort de son fils survenue dans la bataille.

Parmi les ruses auxquelles ils recoururent fut l’envoi à leur adversaire de Šurfā, de Fuqāhā et de professeurs revendicant la Loi, qu’ils désapprouvaient la guerre faite aux musulmans, qu’ils étaient chargés de l’oeuvre qu’ils revendiquaient pour eux-mêmes par suite de l’appel à eux adressé par les tribus du Sūs et des cantons qui en relèvent, à raison de l’impuissance du Marīnī à accomplir ce qu’exigeait cette oeuvre.

Quand tout cela eut été maintes fois répété par lettres et par intermédiaires, on s’entendit pour partager le pays en attribuant aux Šurfā la région s’étendant du Umm ar-Rbī῾a aux extrémités du Sūs, et celle du Umm ar-Rbī῾a jusqu’au fort de Tāza, au Marīnī. Celui-ci agréa cet arrangement, comme s’il n’avait pas la force de s’occuper d’administrer le Sūs et ses cantons, et il en fit sa chose de prédilection, sauf cependant Siğilmāssa, que l’on rattacha à la province de Fās .

Voilà ce dont il se contenta, et il respecta la convention intervenue. Par son ordre les marchands devaient se rendre à Murrākuš : les pertes qu’ils pouvaient faire depuis l’Umm ar-Rbī῾a jusqu’à cette ville incombaient aux Šurfā, et lui-même répondait des pertes survenues entre l’Umm ar-Rbī῾a et Fās . Ce fut sur ces bases que fut conclu le traité de paix, et les deux frères laissèrent alors le peuple tranquille.

Mais les tribus se mirent à écrire à Murrākuš, et les habitants de cette ville, de concert avec elles, s’occupaient d’intrigues et de préparatifs de guerre, de rassembler des bandes, d’organiser des troupes et d’élever des constructions du côté des frontières, etc., d’accord avec leurs amis appartenant aux tribus.

Quant au Marīnī, il se contentait de ce qui lui avait été reconnu par écrit; il avait des intentions honnêtes et ne songeait qu’au bien depuis l’entente intervenue. Son énergie se relâcha ; l’un de ses fils eut le gouvernement de Tādlā, un autre celui de Miknāsa, et un autre nommé Abū Ḥassūn, qui était le cadet, celui des régions du Rīf. Les choses restèrent en l’état pendant environ 6 ans, la paix étant acceptée librement et sans qu’il se manifestāt d’opposition.

Ce furent encore les deux frères Aḥmad et Muḥammad qui troublèrent l’ordre et se mirent en campagne ; une rencontre entre les 2 partis eut lieu à Abū ῾Aqaba, où fut pris le roi des Marīnī, Aḥmad b. Qaṣriya, dont le frère Muḥammad l-Azraq périt, pendant que leurs troupes subissaient une défaite complète ! ».

Les Šurfā relâchèrent le prince prisonnier moyennant des conditions dont la première fut l’abandon de Tādlā et de son ressort; d’autre, part, les tribus du Maġrib s’avancèrent et firent main basse sur les approvisionnements du camp du Marīnī. Ainsi s’accrut encore le pouvoir des Šurfā, qui s’étala au grand jour et étendit ses regards, qu’appuyait la force, sur toutes les tribus.

Ils conquirent Azemmūr ainsi que leurs voisins, comme aussi Tāmisnā et Salā ; ils appelèrent au Ğihāḍ contre Al-Brīğa en ordonnant de faire les préparatifs nécessaires pour cela, et de réunir ce qu il fallait pour continuer dans cette voie ; c’est de Dieu qu’émanent le commandement et la défense ! Ces dispositions leur valurent une autorité assurée, les coeurs leur furent conquis, les regards se tournèrent vers eux, leur commandement capable et accompagné de succès prévalut sur celui du Marīnī ; louanges à Celui qui accorde et qui retient, qui élève et qui abaisse, le maītre unique, le seul adorable !

Ils arrivèrent ainsi, en concentrant leurs bandes, à dominer entièrement les tribus occidentales, et le Marīnī ne conserva plus dans l’Ouest que Miknāsa az-Zaytūn, Fās, Bādis et les régions montagneuses qui en dépendent, jusqu’au Qaṣr ῾Abd l-Karīm, ainsi que, parmi les tribus arabes, lesAwlād ‘Isa, les Awlād Gā’id et les Mḥāmid ; toutes les autres reconnaissaient les Šurfā, à l’exception.des Awlād ῾Imrān qui s’étaient installés avec les Awlād Gā’id et les Awlād ‘Isa, à AI-῾Assāl, tandis que les Ğbālā et les Mḥāmid étaient à Ḵawlān. Alors le siège en devint nécessaire, et les Šurfā se rapprochant campèrent à Wadī Naḵla pour bloquer Miknāsa et Fās.

Le blocus poussé vigoureusement dura 14 mois : les hommes, sortant de Fās Ġadīd aussi bien que de Fās Bāli, combattaient nuit et jour; les gens se rendaient au camp, y coupaient les toiles et enlevaient les chevaux et les provisions, jusqu’au jour où le prix des vivres s’éleva, que les objets de valeur s’épuisèrent, que les greniers se vidèrent, que la mort faucha les héros, que de nombreuses discussions surgirent.

La famine étail générale, à ce point que le blé, dont le poids d’une Ūqiya était une rareté, se vendait dans le camp à 4 dh/ mudd. Les assiégés s’étant mis à gagner nuitamment le camp, les Šurfā firent repousser par la force ceux qui se présentaient ainsi ; on coupait une portion de l’oreille à ceux et on les mettait à mort quand ils se représenlaient une autre fois. Ainsi se prolongea le blocus, tandis que les docteurs excitaient la population à résister et à continuer d’obéir au Marīnī.

Celui-ci, au cours de correspondances qui furent échangées, fut exposé à diverses ruses : ainsi l’assiégeant lui promettait, si lui-même était reconnu, de ne lui faire aucun mal et de lui donner des territoires où il irait vivre, allant même jusqu’à lui attribuer, à lui et à ses partisans, Siğilmāssa :

« Comment, lui disait-il, n’agirions-nous pas bien avec toi, alors que toi-même tu as à plusieurs reprises usé à notre égard de procédés généreux et que tu nous as accordé des approvisionnements ? Nous reconnaissons les bienfaits que nous te devons et tu ne peux que penser du bien de nous. Jusqu’à quand vont durer ces luttes qui nous divisent et dont nous serons tenus responsables ? ».

Revenons en maintenant à ce qui concerne les Fuqāhā al-Wanšarīsī (Abū Muḥammad ‘Abd l-Wāḥid b. Abū l-῾Abbās Aḥmad) et az-Zakkāk (Abū Muḥammad ‘Abd l-Wahhāb b. Muḥammad) ainsi que le Sayyīd Ḥarzūzī (Abū ‘l-Ḥasan Ali ) à Miknāsa. Ils recevaient à tout moment des lettres du Mawlay Muḥammad aš-Šayḵ, qui cherchait à les intimider, et à qui ils répondaient :

« Nous ne romprons pas le contrat d’intronisation du Marīnī, et nous ne nous soustrairons pas à la fidélité que nous lui devons aussi longtemps qu’il restera en vie ».

Ce chef finit par adresser à ‘Abd el-Wāhid Wanšarīsī des vers dont le sens était :

« Si j’entre dans la ville à la suite de soumission, je la remplirai de justice ! ; si j’y entre de force, je la remplirai de carnage »

à quoi le destinataire répondit par ces vers :

« Menteur que tu es, j’en jure par le Temple sacré, tu ne pratiqueras pas la justice, et le Seigneur ne t’a marqué du mérite ni ne te l’a attribué ; tu n’es autre chose qu’un incrédule, un hypocrite, feignant, pour séduire les ignorants, de suivre la voie excellente. »

De même ‘Ali Ḥarzūz, prêchant sur lui à Miknāsa az-Zaytūn, finit, à la suite des préliminaires qui lui avaient servi de début, par dire :

« Il n’est, j’en prends le ciel à témoin, ni Šarīf, ni Sayyid, ni ne suit la voie de justice ; il infeste la terre et ses produits : et Dieu n’aime point le désordre. Quand on lui dit de craindre Dieu, la présomption le porte au péché; mais la géhenne lui suffira, et c’est assurément un bien vilain séjour. » (II, 201, 202).

En apprenant ces nouvelles, Mawlay Muḥammad aš-Šayḵ rassembla son entourage pour lui annoncer qu’ils allaient partir en abandonnant le Ġarb à al-Wanšarīsī, az-Zakkāk et Ḥarzūzī. Mais le qā’īd Abū Ḥammāda lui riposta :

« Donne-nous l’argent nécessaire, et je me fais fort de pénétrer dans la ville ».

Une forte somme lui fut en effet confiée. Or il correspondait avec les voleurs de Fās, qui s’appuyaient sur lui à raison des malheurs qui les frappaient et des épreuves du siège, et il leur adressa cet argent avec l’autorisation de se saisir de Wansharīsī ou de lui ôter la vie. Ces hommes, parmi qui figuraient Al-Ḥağğār, Al-Luwāti et le Šayḵ de la cité, que nous nous bornons à citer, acquiescèrent, mais le Šayḵ ῾Abd l-Mālik et ?????? restèrent du parti du Marīnī.

Ceux qui avaient reçu l’argent se rendirent au camp et convinrent avec Mawlay Muḥammad aš-Šayḵ qu’il viendrait le lendemain et que ses troupes pénétreraient du côté de Bāb el-Futḥ. Il donna donc aux gens de Zarhūn l’ordre de creuser pour la ruiner la muraille qui était dans le Wādī z-Zaytūn, où étaient installées les machines d’arrosage, muraille qui est aujourd’hui remise dans son état primitif ! l’ordre aux gens de Ṣafrū et aux Bahlūl de ruiner une partie de Bāb l-Ḥamrā’; l’ordre aux Banū Yāzġā ??? de détruire la muraille de Sīdi l-Ḥāğğ Abū Dirham.

Ces gens aussi bien que les troupes exécutèrent les ordres reçus, les premiers de détruire les murailles, les secondes de pénétrer dans la ville le lendemain, pendant que les voleurs stipendiés, leurs domestiques, leurs bandes chargés de garder les murailles du Bāb l-Futūh jusqu’à l’aurore, tenaient caché ce qui se passait, et à l’entrée des guerriers de Muḥammad aš-Šayḵ, qui pénétrèrent au coeur de la ville, ils leur vinrent en aide jusqu’à ce qu’ils atteignissent At-Tarārid. Alors le Marīnī, abandonnant Fās Ğadīd, descendit à la Qaṣba ; les gens de la tour de guet et les têtes chaudes de la cité se rassemblèrent autour de lui et firent pleuvoir la mort sur les guerriers du Sūs, des Ğrāwā et de Murrākuš, jusqu’au moment où ils sortirent par le Bāb al-Futūḥ, tandis que le Marīnī élait au milieu de ses défenseurs.

L’auteur s’exprime ainsi :

Je tiens ceci de la bouche d’un nommé ῾Ali b. Hārūn, qui se trouvait dans le quartier des fabricants de seaux, près du marché au henné, par où déferlait la débandade : il vit les cavaliers lançant leurs montures de dessus la conduite d’eau sur les têtes des gens fuyant, l’épée dans les reins, tant la pression exercée était grande.

Alors les voleurs qu’avait séduits l’appât de l’argent, se repentant de leur acte, se retournèrent contre les gens du Sūs et les autres et les refoulèrent vers le Bāb al-Futūḥ. Ce fut à ce moment que ces malfaiteurs de voleurs convinrent de mettre à mort le Faqīh Wanšarīsī, qui élait Imām au Ğāmi῾ l-Qarawiyyīn et expliquait Buḵāri. Le savant fut prévenu par son fils, qui lui dit :

« Père, des gens sont venus me prévenir que les voleurs projettent ta mort.

-Allons-nous donc, répondit-il, renoncer à la prière et à l’enseignement ? A quel chapitre sommes-nous parvenus ?

-Au chapitre du décret et de l’arrêt

– Eh bien, nous parlerons du décret et de l’arrêt et nous prendrons séance comme d’ordinaire. Dieu nous garde ! »

Et, se rendant à la mosquée, il fit la prière du Mughrib, s’assit sur son siège près la Porte des Libraires, et commença à expliquer les passages difficiles du chapitre du décret et de l’arrêt.

Alors ces chiens dont nous avons parlé se mirent à le maltraiter et à lui lancer des flèches, tandis qu’il était sur son siège et que les étudiants et les assistants restaient anxieux ; ensuite ces ennemis de Dieu le saisirent et l’emportèrent vers la porte de la mosquée, et comme il s’accrochait avec la main à l’anneau de la porte, un coup de sabre la lui trancha pendant qu’on lui criait :

« Prête ton aide à Mawlay Muḥammad aš-Šayḵ ! »

à quoi il répondait : « Dieu m’en garde ! »

Quand le Marīnī apprit le sort qui lui avait été fait, il fit appeler les notables de la ville et leur apprit la nouvelle en versant des larmes auxquelles ils mêlèrent les leurs :

« Veuille Dieu, dit-il, vous rémunérer à raison de ce que, par amour pour moi et jusqu’à présent, vous avez supporté et combattu, tout comme de la faim à laquelle vous avez exposé vos enfants. Je vais me rendre auprès de Muḥammad aš-Šayḵ pour intercéder en votre faveur, et c’est moi qui aurai à répondre pour vous et pour ce que vous lui avez fait, c’est ma tête qui vous servira de rançon »

Et il parla ainsi longuement, mais nous abrégeons.

Il se rendit auprès de son adversaire, installé vis-à-vis Rā’s l-Mā’, après être descendu, en approchant du camp, de cheval et s’être avancé les rênes de sa monture à la main ; à son arrivée et après avoir salué son vainqueur et le frère de celui-ci, il leur dit en pleurant :

« Me voici venu pour que vous me coupiez le cou et laissiez les habitants de Fās en leur accordant le pardon ; c’est pour cela que je me remets entre vos mains. La seule raison qui m’a détourné de fuir, ce sont eux, qui ont combattu pour moi et souffert de la faim ; c’est pour eux que je me livre et que je demande à Dieu et à vous d’apaiser votre vengeance sur moi seul et à leur exclusion. Le fait que je suis entre vos mains rend votre pouvoir complet, faites ce qu’il vous plaît. Si je me suis rendu, c’est uniquement pour que vous vouliez du bien aux habitants de Fās, et mon humilité devant vous ne veut autre chose que cela ; traitez-les bien ! ».

Il se mit alors, tout en continuant de parler, à verser des larmes qui mouillaient les genoux de ceux qu’il implorait, tandis que les assistants pleuraient aussi :

« Faites de moi, disait-il, ce que vous voulez, infligez-moi une mort qui serve d’exemple, mais épargnez les habitants de Fās, qui ne sont allés à la mort et n’ont exposé leurs enfants à la faim qu’à cause de moi ! ».

Ses vainqueurs lui répondirent d’une façon satisfaisante :

« Plus que toi nous sommes bien disposés pour les habitants de Fās ; mais nous tenterons de nous concilier leurs coeurs à la suite des épreuves qu’ils ont subies par suite de nos attaques, du siège que nous leur avons fait subir, des biens que nous leur avons enlevés. Mais maintenant ils ne verront de nous autre chose que de bons procédés et des bienfaits ; adversaires ou soumis, notre indulgence leur est acquise, à toi comme à eux ; pour toi comme pour eux il y a amnistie complète ».

Ils firent apporter les livres et lui jurèrent qu’ils ne feraient nul tort ou application de la peine capitale à lui ni à ceux qui l’avaient suivi, et qu’il y avait amnistie complète pour ses adhérents. Après quoi ils lui remirent environ 14 tentes en permettant à ses serviteurs de se retirer avec lui et leur assignant des frais de nourriture et de séjour. Ils les firent ensuite partir pour Murrākuš avec environ 400 Marīnīs, ainsi que les intimes, attachés et serviteurs particuliers du sultan, des nègres, des négresses, des muletiers et des litières.

La population de Fās Ğadīd salua leur départ de cette ville par des larmes de sang. Le trajet jusqu’à Murrākuš s’accomplit rapidement, et là leur entretien fut assuré pendant 40 jours ; puis un matin le sultan et ses familiers, au nombre d’une quarantaine, périrent empoisonnés et furent enterrés en une même journée. La durée n’est qu’à Allah, et heureux l’auteur de bonnes oeuvres qu’il retrouvera après sa mort !

Revenons-en maintenant à ce qui a trait à son fils Mawlay Abū Ḥassūn, qui, en apprenant que son père était allé trouver les Šurfā et s’était, à cause des habitants de Fās , remis entre leurs mains, s’enfuit aussitôt du côté du Rīf, où il resta à attendre ce que serait le sort réservé par Dieu à son père. Quand il apprit que celui-ci et ses compagnons étaient morts par le poison, tandis qu’à lui-même des embûches étaient tendues, il abandonna le Rīf et gagna Maliliya, puisqu’il ne lut était plus permis de rien espérer du côté du Maġrib.

Il se rendit en pays chrétien et se présenta en pleurant devant le roi, à qui il demanda du secours et des troupes pour rentrer au Maġrib, et qui lui répondit :

« Sulṭān, les princes chrétiens reconnaissent la paix que vous faites régner, votre fidélité dans vos engagements, votre justice vis-à-vis de nous ; aucun de nos droits n’est violé dans votre territoire, vous n’avez failli à aucune des promesses que vous nous avez faites ; de même que vous avez l’amour des musulmans, ainsi nous vous aimons et chérissons, et l’autorité de votre dynastie s’est toujours exercée au profit des 2 peuples. Toi, Sulṭān, écoute ce que je vais le dire : mes intentions à ton égard sont très favorables et mon projet ne peut que te servir.

-Et quelles sont tes intentions?

-Si je t’accorde le secours de troupes chrétiennes, nul au Maġrib ne te restera dévoué, aucun musulman ne te gardera son amitié, l’unanimité se fera chez tes coreligionnaires pour te combattre et faire le ğihād contre tes auxiliaires, l’hostilité de tes meilleurs amis devancera celle de tes ennemis. Tu n’as rien aulre chose à faire que d’aller à Al-Jazā’īr et d’y répandre des largesses pour qu’un corps expéditionnaire de 4000 Turcs ou davantage se mette en campagne. Tout ce qu’il te faudra d’argent, en fallût-il un monceau, c’est moi qui te le fournirai, et de ce qu’il te faudra, je ferai 3 parts : la première et la plus Importante, tu l’emporteras à Al-Jazā’īr ; la seconde te sera adressée et partira de Wahrān ; la troisième te parviendra de Maliliya. Dans chaque endroit où il te sera fait un versement, tu augmenteras sur place le nombre de tes recrues et accroîtras tes forces, les tribus qui te rejoindront te trouveront les mains pleines et largement ouvertes. Tel est le conseil que je t’adresse, rien de plus. »

Le Marīnī ayant reconnu que c’était là le meilleur plan, s’entendit à ce propos avec lui et partit pour Al-Jazā’īr, où il se mit en rapport avec le Diwān ; celui-ci lui consentit l’envoi d’un corps expéditionnaire qui, après arrangements conclus, se mit en marche. Le Marīnī se rendit à Wahrān, où il trouva l’argent promis, qu’il répartit entre les guerriers et augmenta ainsi ses forces. De là il passa à Tlimsān, d’où il adressa aux tribus un appel écrit qui fut entendu, et poursuivant sa marche atteignit le rīf de Tāza ; des gens du Maġrib vinrent se joindre à lui, puis il continua de progresser jusqu’au Wādi Innāwen près d’Ar-Rukn.

Là il se heurta aux troupes de Mawlay Muḥammad aš-Šayḵ grossies par des bandes et des tribus nombreuses ; à la suite de maintes escarmouches où le fils du Marīnī affirma sa vaillance, la rencontre d’Ar-Rukn aboutit à la déroute de Muḥammad, dont Abū Ḥassūn emporta le camp, et qui le lendemain matin s’enfuit avec ses bandes par Wasilen. Son fils Mawlay ῾Abd Allah, entré par le Bāb l-Futūḥ passa par le pont d’Ar-Rṣīf, mais craignant de traverser le milieu de la ville il rétrograda jusqu’au Wādi Aṣ-Ṣawwāfīn, et sortant par Bāb l-Ğadīd, il rejoignit son père après être entré à Fās Ğadīd.

Une marche précipitée les mena à Miknāsa az-Zaytūn, qu’ils quittèrent le lendemain pour se diriger vers Tādla. Là s’arrêta Mawlay ‘Abd Allah, tandis que Muḥammad aš-Šayḵ, poursuivant sa marche, poussa jusqu’à Murrākuš, où il se mit à résider dans l’opulence.

Quant à Abū Ḥassūn, il entra, à la suite de la mise en déroute de Mawlay Muḥammad, par le Bāb al-Futūḥ, précédé de ses troupes composées d’Arabes et de Turcs ; nu-tête et pleurant, il embrassait grands et petits, soulevant jusqu’à lui les enfants des Fāsi-s et disant :

« Suis-je en vie ou vais-je mourir après cette journée où j’ai vengé Abū Aḥmad sur les Ahl-as-Sūs et les Ğrāwā (Drawa ?) ? »

Le soleil commençait à décliner au début de son entrée, et ce ne fut qu’après 1-῾aṣr qu’il parvint au Mišwār et pénétra dans son palais.

Il donna toute liberté d’action à l’égard des ahl-s-Sūs et de Ğrāwā, à ce point que les Turcs prenaient les esclaves noirs et les tuaient à la place des Ğrāwā en disant que Gnāwī ou Ğrāwī c’était tout un, si bien qu’une foule de Ġrāwā et de Swāsā furent mis à mort.

Abū Hassūn reçut, à son entrée à Fās Ğadīd, les tribus du Ḥawz venus pour le saluer et le féliciter ; il fit aux troupes des distributions d’argent et frappa la monnaie; c’est lui qui est al-Kabīr al-Ḥassūnī. Il se mit aussi à fortifier les villes et à emplir les greniers d’orge et de blé.

D’autre pari, les Turcs, en voyant ce beau pays, furent enchantés, en prirent les parties de choix et écrivirent à ce propos à Al-Jazā’īr; ils avaient l’intention de se révolter contre Abū Ḥassūn, dont les ordres ne les atteignaient point, et ils agissaient dans la ville comme il leur plaisait, faisant main basse sur les femmes et les enfants et pillant ce dont ils avaient envie. Ces mauvais procédés excitèrent le ressentiment des habitants, qui se mirent à les luer, à leur tendre des pièges el à les assaillir nuitamment, si bien qu’ils en envoyèrent beaucoup à la mort.

Les Turcs décidèrent alors en conseil d’habiter Fās Ğedfd, et quittèrent en conséquence Fās Bāli, laissant ainsi libres les bātiments des mosquées el du maḵzen, ainsi que les fondouks. Une fois rassemblés dans leur nouveau lieu de séjour et se sentant en sécurité, ils firent main basse sur le sultan Abū tfassūn et sur ses courtisans, fermèrent Fās Ğedtd et en expulsèrent les habitants. A celle nouvelle les gens de Fās Bāli sortirent porteurs de haches, de pioches el d’échelles et montèrent à Fās Ğedld, tandis que les Šayḵs de la ville, dont le plus brave, nommé Es-SA’i, était chef’ de la tour du guel, s’appelaient les uns les autres. Les Turcs, montés sur les fortifications ou sur le Bāb es-Seba’, dominaient tout ce monde d’insurgés, dont le nombre leur fit peur :

« Quelle faute, dirent-ils, avez-vous à nous reprocher?

Rendez-nous, leur fut-il répondu, notre sultan s’il est encore en vie; il vous sera fait quartier, et puis regagnez votre pays I S’il est mort, voyez contre qui parmi vous vous pouvez crier et vous élever, et hélez-le I »

Alors on amena le sultan en liberté sur le Bāb es-Seba’, d’où la foule put le voir el à qui il fit signe. Il fut exigé qu’il sortirait, el Dieu ayant ainsi épargné aux croyants une lutte fratricide, l’ouverture de la pofle donna à la foule accès auprès du sultan. Celui-ci adressa ensuite aux principaux et aux chefs des Turcs l’ordre de sortir, ce qu’ils firent en passant par le Bāb el-Ğtf tf) ; leurs troupes les suivirent, et pendant les quatre jours qu’ils séjournèrent là, le prince leur donna ce qu’il leur avait promis, puis ils se mirent en route pour Al-Jazā’īr.

Le sultan alors commença à dresser ses troupes et à préparer ce qu’il lui fallait, ce qui lui prit huit mois ; après quoi il fit sortir son camp, et rassembla ses bandes formées pour la plus grande partie de Fāsis, car leur concours lui élait nécessaire.

Au bout de peu de jours arriva Mawlay Muḥammad ech-Šayḵ, qui campa à Sā’is, tandis que le Marīnī était campé à ‘Akabat Affrām ; puis les deux partis adverses se rapprochèrent, les cavaleries s’entrechoquèrent et une bataille importante eut lieu : Abū Ḥassūn mit son ennemi en déroute à Nefsi et poursuivit les opérations militaires, puis il envoya à Mawlay Muḥammad un message disant :

« Toi et tes enfants portez-vous vers El-Ghādi tandis que moi je me présenterai seul, et nous ne laisserons pas les musulmans participer au combat »

et son adversaire lui répondit :

Je ne m’avancerai pas autrement qu’avec mes guerriers. »

Le lendemain eut lieu la rencontre të; les troupes chérifiennes se montrèrent menaçantes, et les sept fils de Muḥammad ech-Šayḵ, chacun à la tète d’un millier de cavaliers, se répartirent autour d’Abū Ḥassūn.

Comme la mêlée était engagée, il se précipita à la rencontre de l’un des fils et le fil fuir ; mais alors ils revinrent à la charge tous ensemble et s’interposèrent entre lut et tses compagnonst : une bronchado de son cheval leur permit de lui porter des coups do lance, et une fois tombé ils lui coupèrent la tête el la présentèrent aux siens sur la pointe des lances2 et alors ces derniers s’enfuirent sans combattre davantage Des gens de Fās il périt une quarantaino (sic), dont la plupart étaient des tètes chjudestf), si bien que dans la ville l’expression devint proverbiale et qu’on répond à celui qui s’enquiert des nobles quils sent restés à ‘Akabat Afhām. Après cela Muḥammad cch-CheyUh prit les troupes *JUt« de Fās qui avaient tué un nombre très grand des siennes propres i*). Il fit le lendemain son enlréo à Fās Ğedtd, expédia à Murrākuš la tète d’Abū Ḥassūn et resta ainsi sans concurrent. Cela eut lieu à la fin d l’an 959/1551.

Ayant do la sorlo réoccupé la ville, il exerça durement le pouvoir, assouvit ses ressentiments, maltraita les habitants et en chassa la plupart dans les montagnes et vers l’Orient. Il mit aussi à mort l’imām Ez-Zakkāk (Abū Muḥammad ‘Abd l-Wahhābb b. Muḥammad), qui, lors de sa première entrée dans la ville, lui avait refusé le serment d’obéissance et qui, pour ce fait, avait été consigné dans sa demeure. Le savant respecta cet ordre jusqu’à l’arrivée d’Abū Hassūn ; il se rendit alors auprès de ce dernier à Fās Ğadīd, et ordonna au peuple de l’accueillir et do lui obéir :

« Ce prince, dit-il, est le survivant de vos Amīr, de ceux qui ont mis le pays en état de défense, honoré les mosquées, bāti les Madrasa-s et les Ponts, veillé aux affaires religieuses et civiles. »

Cette fois, Muḥammad aš-Šayḵ fit appeler Az-Zakkāk, qui arriva malgré lui, puis s’assit devant le vainqueur sans lui faire hommage de fidélité :

« Panse d’āne, lui dit le sultan, qu’est-ce qui t’empêche de me reconnaītre, et pourquoi as-tu reconnu Abū Hassūn ? »

Ma panse, répondit le savant, est une panse de science ; c’est la tienne qui est une panse d’āne bourrée de ribā et de gains illicites ! »

Ordre fut donné de le flageller, et il fut procédé à l’exécution du chātiment, mais sans qu’il en souffrit, car il récitait la Sourate du Tonnerre (XIII) et les invocations qu’elle renferme, ce qui évite toute douleur à celui qui, dans l’adversité et les épreuves, la répète. Le sultan, s’approchant alors de lui, l’interpella :

« Vois, sorcier, quel genre de mort je t’infligerai ! Choisis si je te pourfendrai ou si je t’enlèverai la chair des os ?

-Choisis toi-même, répondit le Šayḵ, la manière dont tu veux mourir ī

-Tranchez-lui la tête !

-A toi aussi, reprit Az-Zakkāk, on te tranchera la tête, qui ne sera pas inhumée avec le reste de ton corps. »

C’est ce qui arriva : plus tard on lui trancha la tête, qui fut envoyée à Constantinople, ainsi qu’il sera dit dans ce livre.

Les enfants et les officiers do Muḥammad aš-Šayḵ désapprouvèrent ce meurtre commis do sang-froid ; à quoi il répondit :

« L’exercice du pouvoir dans le Maġrib nous est assuré maintenant que nous avons mis à mort ces trois hommes, Wansharīsī, Zakkāk et Harzūz, qui nous débinaient en chaire el attisaient le feu de la guerre civile. »

Ce dornier eneffet avait prononcé à son propos une ḵuṭba où il en était venu à dire :

« Les gens qui ont pour vêtements des colliers et des haïks qui montent, et qui commencent leurs lettres par cent malédictions, se heurteront à l’erreur, et tant que je serai on vie jo ne les mentionnerai pas dans ma chaire ».

L’auteur défunt dit ceci :

« Je tiens d’un homme alors vivant, ‘Ali b. Harūn, qu’il rencontra quatre Karwi près du bain de la forteresse, Hammūm el-hal’a; ils étaient enveloppés dans des couvertures servant au couchage brodées de soie et aux bordures de soie colorée ; ils se regardaiententre eux et trouvaient cela beau. Muḥammad aš-Šayḵ, lors de sa première entrée à Fās Ğadīd, portait une mallūfa (vêtement de dessus) de drap bleu do ciel et un collier de drap rouge; aussi les Marīnīs le dénommaient-ils Abū Mallūfa.

Ainsi étaient vêtus également les principaux de la région du Dr῾a, de même que leurs Šurfā, jusqu’au jour où ils entrèrent à Fās et que leur autorité y fut reconnue ; alors leur mode de vio s’affina par l’influence d’un homme et d’une femm.

L’homme, ce fut Qāsim Zarhūnī, qui avait été vizir des Marīnīs et employé à leur service : il leur apprit à orner leurs vêtements et à avoir, meilleure tenue, leur montra comment ils devaient les porter, comment onrouler los lions et étoffes du turban, comment user do montures magnifiquement harnachées, comment rehausser les armes à l’aide d’or, d’argent el de dessins, comment traiter les affaires en compagnie des grands, comment tenir conseil avec ceux, docteurs, littérateurs, secrétaires, gardes et ofllciers, qui ont ce privilège, comment et à quel rang chacune de ces catégories devait s’asseoir à l’audience, à quel moment devaient avoir lieu les repas et comment présenter les mets aux convives, comment procéder par voie d’ordre ou do prohibition, etc. ; il les mit également au courant des impôts du Maġrib ainsi que de l’administration des tribus, des šakūl ?? et ‘ušr qu’on leur demandait et des redevances auxquelles elles étaient assujetties, comme aussi des soldes militaires. Il affermit ainsi le pouvoir nouveau en lui donnant du dehors, éleva l’éclat et lo rang do ces princes par l’importance que se donnèrent leurs chambellans et par le nombre des gens attachés à leur sorvico ; encore nous bornons-nous à en donner une idée approximative. Quant à l’intendante du harem Hoiit Ibn iN’edğū, elle élait des Marīnīs et tomba dans les mains des Šurfā, qui la trouvèrent dans le palais et la laissèrent dans la situation qu’elle occupait. Elle leur fut d’une aide sans pareille pour tout ce qui concorne la vie domestique ; elle leur montra la préparation et la cuisson des mets, la disposition d’après les moments et les saisons : en hiver, avec les fruits et la vaisselle de cette saison ; au printemps, avec les fines bouchées et les condiments do cette période ; en été, avec les fruits frais de l’époque, et de même à l’automne ; elle leur fit voir encore comment présentor les mets, lors de la rupture du jeūne, avec les accessoires convenables, et tout comme encore l’ordonnancement des repas du matin et du soir, en y ajoutant les indications concernant le personnel suffisant pour la tenue de l’intérieur. Elle leur enseigna aussi comment habiller leurs femmes avec de beaux vêtements, comment employer les parfums pour les maquiller, comment les parer magnifiquement et faire usage de tapis de soie ainsi que de broderies sur les oreillers et les portières, l’emploi de cierges comme moyens d’illumination, etc. L’ex-intendanto Marīnī leur fit donc un intérieur élégant et veilla à tout ce qui s’y rapportait, tandis que lo vizir Zarhūni donna du lustre à leur règne et traça la voie où s’engagea leur autorité ; nous donnons ainsi une brève approximation de leur oeuvre.

Quant le nouveau pouvoir fut solidement établi, Muḥammad aš-Šayḵ répartit ses enfants dans les diversos villes on gardant auprès de lui le plus distingué : il préposa au gouvernement de Fās celui qui lui était lo plus cher et qui lui succéda, Mawlay ‘Abd Allah. Après avoir procédé à des nominations, révocations et confirmations relatives à des Maghrébins exerçant quelque commandement, il prit parmi les ahl s-Sūs nos kādis et nos bftkem, de môme que ses fonctionnaires de tout ordre, tels que chambellans, percepteurs et adāla, pour Debdū, Tāza, Tetuan, EI-‘Àrā’ich, Selà et Miknāsa, à raison du concours qu’ils lui avaient apporté. Il fit édifier la Qaṣba de Tākmaddart..,, il y installa les udūta (?) appartenant aux indigènes du Sūs. Il en fut ainsi jusqu’au jour ou il donna à Fās, tombée entre ses mains, son fils ‘Abd Allah comme émtr. Lui même se mit en campagne du côté du Maġrib pour se rendre compte de la situation et y opérer la pacification. Il se mit alors à supprimer en les exécutant les chefs de tribus qui lui avaient servi à ses débuts, pour qu’ils n’eussent plus à réclamer sa reconnaissance, et nomma de son chef d’autres hommes choisis parmi les principaux et aux yeux de qui il garderait tout son prestige. Poussant vers l’Occident (sic) il arriva à Tārūdānt, où la qaṣba dont il ordonna l’érection fut construite en quelques jours, et qu’il organisa; il fit maintes tournées» 2) parmi les populations qui lui obéissaient et imposa à celles-ci les nawà’ib (contributions extraordinaires), ce dont il fut l’inaugurateur au Maġrib et il préleva l’impôt à Siğilmāsa, et son autorité fut pleinement reconnue, et aussi dans le Der’a.

Il s’arrêta à Tārūdānt, el son séjour près de celle localité ( 9 v°] s’élant prolongé, il ne lui resta plus, en fait de troupes, que les janissaires, dont la plupart étaient Turcs et s’étaient séparés de leurs compatriotes qui retournèrent à Al-Jazā’īr du vivant du Marīnī Abū Ḥassūn ; celui-ci étant mort et Muḥammad aš-Šayḵ ayant fait son entrée victorieuse à Fās, ils entrèrent à son service et formèrent sa garde orl ‘eurs services et fil d’eux ses favoris à raison de leur cruauté; ils marchaient devant lui et à ses côtés, et les quatre cents hommes environ qu’ils étaient campaient à proximité do lui. Le sultan d’ailleurs veillait à ce que leurs droits fussent respectés, il craignait leur mutinerie.

Il était devenu seul et incontesté maītre du Maġrib et avait fixé sa résidence à Fās , aux destinées de laquelle il présidait, quand il y reçut la visite d’un messager du sultan , qui était le protecteur de son pouvoir et qui lui rappelait que les Marīnīs avaient eu pour sa personne une amitié qui se manifestait par des cadeaux et la subordination ; que lui-même leur accordait une protection qui s’était traduite pour Abū Hassūn, le dernier d’entre eux, par l’envoi de 4000 hommes de la garnison d’Al-Jazā’īr, ce qui lui avait permis de pénétrer à Fās .

Le messager, après une longue attente, réclama son congé, et reçut celte réponse de Muḥammed aš-Šayḵ : « Donne le salut ā ton sultan, le Amīr des Barques, et dis-lui ceci : Le sultan du Maġrib ne peut qu’entrer en compétition avec toi à raison de l’Egypte ; il viendra, si Dieu le permet, te combattre à ce propos en Egypte même. Salut !

L’envoyé regagna Conslantinople et se présenta au sultan, à qui il transmit cette réponse; elle lui valut les injures de ce prince, qui voulait envoyer une expédition maritime et lancer des troupes d’Al-Jazā’īr contre Tlimsān.

Mais les vizirs et d’autres encore so prononcèrent contre ce projet: ils s’entendirent avec douze de leurs hommes de confiance, leur versèrent de fortes sommes tant pour eux-mêmes que pour leurs enfants, et les envoyèrent au Maġrib, tout en écrivant au Kiāya<3> Ṣāliḥ, chef des janissaires, pour le mettre au courant de ce qui so tramait. Le prince était installé vis-à-vis Tārūdānt lors do l’arrivée de ces 12 hommes de Constantinople, et il les fit héberger par le Kiāya Çālih, qui les lui présenta en cos termes :

« Ce sont mes cousins, frères et parents qui, ayant entendu parler de ton amitié pour nous, sont venus se mettre à ton service ».

Le prince leur souhaita la bienvenue, puis donna des ordres écrits touchant leur solde et leur installation chez leurs camarades, ils commencèrent donc à vivre avec ceux-ci, mais sans perdre de vue leur projet de trahison.

Ensuite le sultan conçut le projet de mettre à mort le šayḵ administrateur, çāfrib l-bilāl, du territoire où il séjournait, ce que comprit celui dont la vie était menacée. Réfléchissant à ce qui était arrivé à d’autres Šayḵ-s, il arrangea l’affaire avec le Kiāya Ṣāliḥ en l’informant des meurtres commis antérieurement par le sultan sur ceux qui lui étaient venus en aide pour conquérir lo trône. Ils s’entendirent donc pour le mettre à mort, et leur complot ne remontait qu’à trois jours quand le Šayḵ, s’étant rendu chez le sultan et trouvant une occasion propice, fit prévenir le Kiāya Ṣāliḥ, ( 10) et des Turcs, au nombre d’une quinzaine, se portèrent à la porte des tentes de Mawlay Muḥammad en se querellant :

« Va voir, dit Muḥammad au Šayḵ, ce que font ces chiens de pêcheurs et pourquoi ils font ce scandale !

-Seigneur, répondit-il, nous sommes au premier du mois, et probablement viennent-ils te trouver en raison des fournitures et des vivres; telle est leur coutume, et il faut qu’ils pénètrent jusqu’à toi ».

Ordre fut donné de les laisser entrer et ils s’approchèrent de Muḥammad pour le saluer. Alors Ṣāliḥ, saisissant une hache que l’un d’eux portait dans son dos, abattit la tète du sultan, et la tenant dans sa main rejoignit les chevaux dos nouveaux arrivés de Constantinople, pourvus de quatre jours de fourrage ; ces hommes la reçurent de lui, la placèrent dans une musette garnie de sel et de son, puis filment sur leurs montures en l’emportant vers Tafilālt, où ils arrivèrent, sans que personne soupçonnāt rien, comme s’ils étaient envoyés à Tlimsān. Ils atteignirent en effet cette dernière ville et en repartirent, toujours porteurs de la tête, pour Constantinople. Ainsi se réalisa le jugement divin que lui avait annoncé le Faqīh Az-Zakkāk (3), telle élait la décision du Décret et de l’arrêt.

Quant au camp, .voici ce qui se passa après la décapitation du sultan :

Les Turcs en sortirent prestement, en tirèrent les canons de partout et emportant tout ce qui lour appartenait, envahirent la kaçba de Tārūdānt, qu’ils trouvèrent bien approvisionnée en vivres et en fourrage; ils s’y installèrent après s’être emparés des approvisionnements et de l’argent du sultan, et refermèrent les portes sur eux.

Mawlay ‘Abd Allah, qui occupait Fās en qualité de ḵalīfa de son père, en sortit un jour en compagnie de son frère Aḥmad l-῾Arağ dans l’intention de pacifier l’intérieur du pays. En arrivant à Tādelā, comme Aḥmad lui demandait de le devancer à Murrākuš, il conçut des craintes que provoquait la bravoure de celui-ci, s’empara de lui et de ses enfants, et les envoya enchaīnés à Murrākuš ; puis il les y rejoignit et les mit tous à mort (l2).

Muḥammad aš-Šayḵ, au matin du jour où il périt, était soucieux, angoissé et de mauvaise humeur. Comme il avait auprès de lui un devin bien versé dans son art, il lui dit de rechercher ce qui lui arriverait en ce jour néfaste ou il était de si mauvaise humeur. Le devin, qui recourait à des lignes tracées sur une omoplate canine, pâlit et resta tout troublé devant le résultat de son opération : « Quel est-il ? » dit le sultan, et comme l’autre se refusait à rien dire, le prince le força à parler, et reçut cette réponse : « C’est aujourd’hui le dernier jour qui nous reste à vivre ! »

Muḥammad le fit mettre à mort, et les nègres l’inhumèrent dans les tentes royates.

Or il ne s’était écoulé qu’une faible partie du jour quand les Turcs vinrent le trouver et qu’il arriva ce que l’on sait.

Les enfants qu’il laissa étaient Mawlay ‘Abd l-Mū’min, Mawlay ‘Abd Allah, Mawlay ‘Abd l-Mālik et Mawlay Aḥmad, en outre de petits-fils qui avaient pour pères Mawlay ‘Abd l-Qādar et Mawlay Muḥammad l-Ḥarrān. Mawlay ‘Abd l-Mālik et Mawlay Aḥmad étaient à Siğilmāssa, d’où ils s’enfuirent à Tlimsan, ville où ils furent rejoints par leur frère ‘Abd el-Mū’min.

Quant à ‘Abd Allah, il résidait à Fās , la capitale, en qualité d’Amir, et y tenait l’armée réunie. Il était aimé de la population; il vivait à la manière des Marīnīs, dont il avait aussi la tenue extérieure ; à leur exemple, il s’occupait de la tranquillité ; il était à ce point partisan de l’ordre que les gens s’en allaient à leurs jardins avec femmes et enfants pour s’y livrer à la culture et autres besognes, et y prolongeaient leur séjour : ils y suspendaient leurs écheveaux de soie (?), égorgeaient leur bétail pour le transformer en conserves desséchées et ne cessaient d’y résider du commencement à la fin de l’automne. Aussi le peuple apprécia-t-il favorablement cette période succédant à celle des Marīnīs.

La mort de son père n’était pas éloignée quand, une nuit qu’il dormait dans son palais, il vit venir à lui le faqīh équitable, le mizwār (Abū ῾Abd Allah Mizwarī) qui, parti du quartier des Andalous, arrivant par la porte de la Kaçba, sortant par le Bāb el-Ghorūr, pénétrant par le Bāb cs-Sob’u et arrivant avec lo frākim jusqu’à la porte du mechouar, avait ordonné aux gardes de demander son admission immédiate auprès du prince; introduit aussitôt et s’assoyant devant lui, il s’exprima ainsi :

« Seigneur, j’ai tiré l’horoscope celte nuit même, et des signes indicateurs de la mort du sultan me sont apparus ; sois donc sur tes gardes pour prendre les mesures que tu jugeras lo convenir et ne néglige pas mon avertissement ; dans 5 jours d’ici cette nouvelle te parviendra. Veille donc à ce qu’il faut faire, el reçois mes salutations ».

Après quoi le faqīh rentra chez lui. Dès le lendemain, le prince fit payer la solde augmentée de distributions d’argent, fit sortir les troupes, procéda à des nominations (3) et à des révocations, arrêta certains de ses cousins et des fonctionnaires qui lui étaient hostiles et dont il pouvait redouter la désobéissance ; il rejoignit alors son camp, où, entouré de toutes les forces dont il disposait, il se prépara à une affaire d’importance. Il était là à attendre quand il reçut la nouvelle de la mort de son père ; expédiant alors des messages aux principaux de Fās, Fuqāhā, Šayḵs, grands et syndics, ainsi qu’à ses familiers et aux chefs des tribus qui étaient sur les lieux, il leur fit renouveler le serment de fidélité, en même temps qu’il écrivit de tous côtés pour réclamer de l’aide. Cela eut lieu vers 953/1546 (sic 965/1559) .

Il se mit alors en marche dans la direction do Murrākuš, et quand il dressa son camp vis-à-vis de cette ville, les habitants en sortirent pour lui présenter leurs condoléances à raison de la mort de son père ; le Qā’īd Ibn Šakrā’ y était alors ḵalīfa, et reçut d’eux le serment de fidélité qu’ils lui remirent par écrit.

Le prince fit verser leur solde aux soldats qui étaient là, et les bandes de la ville étant venues grossir ses troupes, il se hâta de repartir pour tirer vengeance de la mort de son père sur les Turcs retranchés dans la qaṣba de Tārūdānt. A son arrivée devant cette place, il ouvrit les hostilités et la soumit pendant de longs jours à un blocus sévère sans pouvoir après 3 mois de siège, s’en ouvrir l’accès.

Alors il s’en éloigna et battit en retraite ; mais ce n’était qu’un stratagème combiné avec le ḏimmī qui avait sous sa garde les approvisionnements de la place et qui en faisait la distribu-

lion aux Turcs ( 2) conformément aux ordres de leur chef le kiāya Çālih, qui l’avait nommé à co poste. En effet quand le départ du sultan eut laissé aux Turcs le champ libre, ils sortirent de la kaçba et rôdèrent dans les environs, où ils trouvèrent des groupes aposlés par leur adversaire avec ordre d’annoncer qu’il avait dū retourner à Fās par suite du soulèvement qu’y avait provoqué un prétendant. Ces nouvelles firent plaisir aux Turcs, qui se réapprovisionnèrent en vue d’un nouveau siège et tombèrent d’accord pour continuer d’occuper la place. Alors le juif leur parla en ces termes :

« Camarades, vous savez si mes conseils sont bons et si j’ai pour vous de l’affection

-Certes, lui dit-on, tu nous as rendu des services et donné de sages conseils.

-Eh bien ! le mieux que je puisse vous dire, c’est de mettre votre camp en ordre pour vous enaller d’ici par Siğilmāssa vers Tlimsān, et ainsi vous échapper avec vos approvisionnements avant que ce sultan en prenne à son aise avec vous ! »

Ils adopteront ce plan, firent sortir leur camp, se mirent à l’installer et à préparer leurs bagages, el trois jours après ils so mettaient en roule. Ils n’étaient qu’à un jour de marche de la qaṣba qu’ils étaient entourés par les cavaliers du sultan, lequel marchait sur leurs traces avec le gros de ses troupes. Les Turcs alors, comprenant le piège que leur avait tendu ce ḏimmī et se voyant cernés, dressèrent leurs tentes, se mirent en ligne et combattirent tout le jour, la nuit et le lendemain ; mais entourés de toutes parts ils tombaient les uns après les autres; la poudre et les balles étant épuisées, ils, remplaçaient le plomb par des lingots d’or avec lesquels ils se défendaient. Quand enfin leur camp fut envahi par l’ennemi, celui-ci ne trouva plus qu’une vingtaine do guerriers survivants, qui mirent le feu à ce qui leur restait de poudre et périrent ainsi jusqu’au dernier (Ğannabī, p. 345). Le sultan regretta fort la perte qu’avaient subie ses troupes, soit plus de 1200 hommes, sans parler d’innombrables blessés.

Le sultan rétrograda alors jusqu’à Tārūdānt, où il fil… Cl, après quoi il retourna à Murrākuš en envoyant à Fās , où il fut en chaire traité de ḵalife, son fils accompagné par le qā’id Ibn Chakrā’, tandis que lui-même, so mettant à pacifier le pays, assura la sécurité des routes, do sorto que l’autorité reposa sur des bases stables dans le Maġrib. Il envoya à Miknftsat ez-Zeytūn le fils de son frère, Mawlay Muḥammad b. ‘Abd l-Qādir, qui élait un homme brave, à l’espril toujours en éveil sur les affaires publiques, décidé, lettré, laborieux, ne montrant jamais un moment de négligence, si bien que les Šayḵ-s des tribus en vinrent à ne plus connaītre que lui, qui présidait à l’administration. Quant à Mawlay Muḥammad b. ῾Abd Allah, il resta négligé à cause de ses manières hautaines ; il aimait construire et se mit à édifier le Qaṣr Būblr et la Qubbat n-Naṣr. On ne lui laissa pas la charge des affaires, et à Fās ce fut le Qā’īd Ibn Šakrā qui la lui épargna ; ayant à s’occuper de la campagne, ce fut son cousin Mawlay Muḥammad b. ‘Abd el-Kādir qui l’en déchargea, de sorte que les Arabes n’invoquaient que le nom de celui-ci et l’affection qu’ils ressentaient pour lui1.

Mawlay ‘Abd Allah se préoccupa de cette situation quand il la connut et craignit qu’il ne se soulevāt contre lui. Au bout de plusieurs années il partit de Murrākuš et s’avança jusque près de Miknāsa, d’où le gouverneur sortit à sa rencontre pour lui offrir des présents et l’hospitalité, car ses intentions étaient sincères et il était résolu à respecter les droits de son oncle, pour qui il n’était que favorablement disposé. De là ils repartirent ensemble pour Fās , où les Maghrébins vinrent saluer le sultan en lui apportant leurs voeux accompagnés de présents.

C’était Muḥammad b. ‘Abd el-Kādir qui servait d’intermédiaire entre les tribus et lo prince, et le fils de celui-ci était comme inexistant, on ne tenait pas compte de ses ordres.

Mawlay ‘Abd Allah, voyant que les résultats obtenus par son neveu l’emportaient complètement sur ce qu’avait fait son fils, fit dans la nuit appeler le premier et lui posa des questions sur diverses affaires au courant desquelles il fut mis; après quoi il se retira en laissant son visiteur assis. Alors se présentèrent à celui-ci des nègres, qui lui dirent de se préparer à mourir; il réclama de l’eau qu’on lui apporta, fit ses ablutions, dit une prière de deux rek’a on se tournant vers la qibla, puis ils l’étranglèrent. Celte exécution provoqua la plus vive émotion dans tout le Maġrib. La victime fut enterrée le lendemain dans la Raw

a (cimetière) de Fās Ğedld à gauche en entrant par Bāb ez-Zekāri, en 975 (8 juillet 1567).

Racontons maintenant des événements antérieurs à la mort de Muḥammad b. ‘Abd l-Qādir.

Quand, à la suite de la mort de son père, le sultan eut pris possession du pouvoir, Mawlay ‘Abd l-Mālik ainsi que sa mère Ar-Raḥmāniyya s’installèrent dans le pays relevant de Constantinople auprès du sultan Murād, et le fugitif, en informant celui-ci de l’avènement de son frère, réclama des troupes pour lui disputer le pouvoir1. Le sultan turc lui répondit :

« Ce n’est pas moi qui le prêterai aide pour provoquer une guerre intestine entre musulmans ; ton frère, qui est ton aīné, détient le pouvoir et est reconnu par les musulmans maghrébins. Je lui enverrai cependant un ambassadeur ».

Celui-ci partit en effet avec mission de s’enquérir auprès des habitants s’ils étaient ou non satisfaits de leur nouveau prince et s’ils étaient traités justement ou tyranniquement. Il arriva, en passant par Tlimsān cen et tout en s’enquérant du pays auprès des habitants, jusqu’à Murrākuš, et, une fois installé dans la capitale, les troupes du prince vinrent le prendre pour le mener saluer celui-ci et lui présenter ses lettres d’audience, dont il fut pris connaissance ; à la suite de quoi ordre fut donné de l’accueillir et de le traiter magnifiquement. Au bout de 8 jours, le prince l’envoya chercher, lui fit l’accueil le plus honorable et le plus généreux et lui remit une forte somme d’argent, des objets précieux en or et pierreries, des étendards et des sabres argentés el dorés, en y ajoutant de nombreux approvisionnements. Il expédia avec lui son secrétaire le lettré et éloquent Abū Muḥammad Sarghīni, porteur de l’inventaire des présents qu’il envoyait et les renouveler chaque année. Il envoya aussi avec son secrétaire [12] 5000 à ses frères ainsi que ce message : « J’aurai à vous en adresser autant à chaque saison et fôte à Tlimsān ou à Al-Jazā’īr par l’intermédiaire des marchands, et vous n’aurez point, tant que je serai en vie, à être dans la gêne » ; et c’est ce qu’il fit. Le secrétaire susnommé se rendit, on emportant les présents et en compagnie de l’ambassadeur, auprès du sultan Murād ; dans l’audience qui lui fut accordée, les pourparlers aboutirent à une entente, et il reçut les conditions que lui fit ce prince quant au versement d’un tribut annuel ; après quoi il retourna au Maġrib et informa son souverain des conditions convenues.

Quant à Mawlay ‘Abd l-Mālik il retourna à Al-Jazā’īr, où il séjourna longtemps; Mawlay Ahmed et Mawlay ‘Abd l-Mū’min restèrent à Tlimsān.

Mawlay ‘Abd Allah se mit à organiser ses troupes, à réunir des approvisionnements cl équipements, à garnir les greniers et les poudrières, car il redoutait que ses frères ne revinssent d’Al-Jazā’īr à la tête d’une armée!1). La flotte et les bateaux des Algériens ne cessaient pas d’être dans le port de Bādis, les voyageurs d’Al-Jazā’īr, vers l’est ou vers l’ouest, ne cessaient de s’y embarquer, et les Turcs ne s’en éloignaient à aucun moment.

Aussi cette situation donnait-elle le plus grand souci à Mawlay ‘Abd Allah, qui redoutait toujours que la flotte turque ne fīi de là voile pour le Maġrib. Cela fit qu’il écrivit au roi chrétien et convint avec lui qu’il retirerait en sa faveur ! 2) la garnison de Floğr Bādis, lui vendrait ce pays et en évacuerait les musulmans, el qu’ainsi il serait mis fin à l’ingérence des Turcs de ce côté (3). En conséquence la flotte chrétienne arriva à El-Hoğr, qu’abandonnèrent les musulmans et où les chrétiens se mirent à habiter, grāce à la funeste résolution du sultan. Les habitants de Bādis écrivirent à Mawlay ‘Abd Allah, et il fut alors lancé un appel à la guerre sainte, pour provoquer un mouvement des gens de Fās, lesquels, sous la conduite de Mawlay Muḥammad b. ‘Abd Allah, parvinrent jusqu’au Wādi ‘l-Laban ; mais là ils apprirent que les chrétiens étaient déjà installés à El-Huğr et que des musulmans avaient abandonné Bādis, ce qui fit que de là ils retournèrent chez eux 1. Le sultan Mawlay ‘Abd Allah fit construire la qaṣba sur…. de Bādis 2 ; il retourna alors à Murrākuš et se trouva tranquillisé en ce qui concernait les Turcs de ces régions.

Les habitants de l’Espagne, après avoir été réduits par le roi chrétien et s’être vu enlever tout leur territoire, ce qui arriva en 921/1515, passèrent quelques années comme tributaires, opprimés par le nombre des impôts, contraints à donner libre accès auprès de leurs femmes et à se laisser prendre leurs enfants des deux sexes ; ordre enfin leur fūt donné de changer de religion.

Ils s’adressèrent alors aux divers princes musulmans. d’Orient el d’Occident en les adjurant de leur venir en aide. Ce fut à Mawlay ‘Abd Allah qu’ils adressèrent la plupart de leurs lettres à raison de sa proximité, et alors que sa puissance reposait sur des bases solides. Or il leur signifia fallacieusement de commencer par se soulever contre les chrétiens pour qu’il put avoir confiance dans leur projet, et quand cela se fut réalisé, il se déroba aux promesses qu’il avait faites, mentant ainsi traītreusement à ces fidèles et à la religion divine, pour l’avantage de sa passagère autorité.

Il entama une correspondance avec les chrétiens et convint avec eux que ces musulmans d’Espagne seraient transportés au Maġrib pour y peupler le littoral ainsi que Fās et Murrākuš, et qu’on en formerait un important corps de troupes. Quand le soulèvement eut, de connivence avec lui, éclaté et que les combats avec les chrétiens eurent commencé, on lui envoya des chefs, des grands et des vieillards qui, laissant leurs frères retranchés dans les montagnes de Grenade et luttant contre les chrétiens, vinrent réclamer de l’aide; mais ils ne reçurent que des réponses évasives, tandis qu’on leur faisait prolonger leur séjour. Puis il leur parvint par mer des correspondances où leurs compatriotes leur disaient avoir connaissance des lettres échangées entre le sultan et les chrétiens et montrant leur entente et la machination ourdie contre les fidèles; le bien-fondé de ces avis apparut aux envoyés comme prouvé par la longue durée de leur séjour et le temps perdu par eux sans résultai, et ils dirent à leurs frères de traiter avec les chrétiens si le sultan les laissait passer sur la côte d’Afrique.

Les chrétiens ayant consenti, la plupart des révoltés passèrent la mer et se répandirent dans le Maġrib. Alors Mawlay ‘Abd Allah leur imposa un service très pénible et leva parmi eux un important corps de troupes. Les chrétiens d’Espagne, en voyant tous les musulmans demander à émigrer, leur imposèrent d’abandonner leurs biens, à quoi ils consentirent, et l’exode se poursuivit; mais alors ces maudits dirent à ceux qui restaient de s’en aller en abandonnant leurs enfants, exigence que les malheureux refusèrent de subir, et ils restèrent avec ceux-ci.

Les Espagnols les disséminèrent dans les régions qui ne présentaient pas de moyens de résistance, et la plupart se fixèrent dans les campagnes. Ces impies les contraignirent ensuite à apostasier, ce qu’ils firent malgré eux, .et à se marier avec eux ; ils livrèrent aux flammes tous leurs livres, et de même ils brūlèrent tous ceux qui laissaient voir quelque pratique, prière ou jeūne, de noire religion, en y ajoutant la confiscation de leurs biens. Et ce triste prince, avec toute sa puissance, ne se souciait pas de ce qui frappait les musulmans.

Cela figure dans la liste de ses oeuvres perfides à l’égard de ses frère et ami des chrétiens, à qui il vendit Bādis, il enrôla les fidèles qui avaient fui d’Espagne pour sauvegarder leur foi et so servit d’eux comme d’instruments, ce qui lui valut un règne paisible. Dieu très haut l’affligea d’asthme f’i ; mais le châtiment de la vie future est bien pire, à moins toutefois qu’il n’ait obtenu son pardon 1II en souffrait jour et nuit et recourait aux boissons enivrantes, qui lui procuraient quelque soulagement. II élait près de sa fin quand, ramadan ayant commencé, le jeūne l’éprouva à ce point qu’il faillit en mourir ; le mois finissait et la nouvelle lune de chawwāl apparaissait quand l’ingestion d’un liquide enivrant parut, tout affaibli que le jeūne l’avait laissé, lui rendre quelque force, mais le lendemain matin il était mort. On prétendit qu’il avait passé la nuit à prier et qu’il était mort au matin.

Son règne fut une période de tranquillité, de paix el de bien-être. Les troupes réalisèrent des bénéfices, car il réunissait des richesses qu’il leur distribuait, ce qui fit que son règne se passa bien. De son vivant il ne résulta pas de mal de la, vente qu’il avait faite de Bādis l 2) et d’ËI-Brīğa après que le qā’id ‘Ali b. Wadda leur eut [rojpris cette [dernière place] et que, par suite de son occupation des bastions, il n’en resta plus

que peu de chose entre les mains des chrétiens W. Le lendemain du jour où ce chef y avait pénétré et y avait passé la nuit, un message du sultan lui enjoignit de sortir des bastions, et les musulmans obéirent, ce qui permit aux chrétiens, après que la plupari d’entre eux s’étaient rembarques, de les réoccuper. Ils lui versèrent, après le reirait des troupes, une somme considérable à laquelle ils joignirent de beaux présents, ce qui équivalait à un achat [13] qu’ils qui auraient fait. U agit donc avec les Espagnols comme on l’a vu, et arrêta ainsi triomphe dans les domaines spirituel et temporel pour pouvoir régner en paix. Louanges à l’Etre permanent et durant après l’anéantissement de sa création, seul Seigneur et seul adoré ! Il fut inhumé le 1er chawwāl 981 ou environ!1), et le pouvoir passa aux mains de son fils Mawlay Muḥammad .

Il y a encore quelque chose que nous avons appris et que nous dirons pour finir de parler de Mawlay ‘Abd cl-Malik, et exposer comment l’épée s’abattit sur le corps de troupes qu’il amena d’Al-Jazā’īr lorsque, dans sa marche vers le Maġrib, il se heurta à Mawlay Muḥammad b. ‘Abd Allah.

Le chroniqueur s’exprime ainsi. Quand les deux frères, l’un roi de Tunis l’autre d’Ifriqiya, se combattirent, le sultan IJamMa ballu s’enfuit à Sūsa, où il s’embarqua pour aller demander au roi chrétien de Sicile une armée et une flotte pour reprendre Tunis)3). Il les obtint à des conditions auxquelles il souscrivit, el repartit ainsi avec une flotte qui arriva à la Goulelte; puis les troupes débarquées s’avancèrent avec le sultan pour combattre les musulmans. La rencontre, qui eut lieu près d’une porte de Tunis, ne fut pas longue, et ceux-ci furent mis en déroule. ?*es vainqueurs pénétrèrent dans la ville, s’y livrant au pillage et au massacre et emmenant, entre autres captifs, cinq cents jeunes filles ; ils les transportèrent en Sicile avec d’autre butin, par exemple le marbre et les colonnes qu’ils enlevèrent aux mosquées ; ils s’emparèrent aussi des approvisionnements (qu’ils trouvèrent). Installés dans une moitié de la ville, ils frappèrent de capilalion les musulmans restés dans l’autre moitié, les chargèrent de lourds impôts et leur imposèrent de n’acheter aucuns vivres avant que le soleil commençāt à décliner, pour qu’eux-mêmes pussent se procurer ce qu’il leur fallait, après quoi il était loisible aux musulmans d’acheter ce qui restait en fait de légumes cl de fruits. Ils édifièrent en face du Bāb el-ttofrcyra un bastion où il y avait 3000e adāla; dans la ville même il y en avait une dizaine de mille; ils s’occupèrent aussi à édifier à la Gouletto une imposante kaçba sur les murailles do laquelle sept chevaux pouvaient, dit-on, s’avancer de front; il en subsiste encore des traces maintenant. Dix mille hommes de troupes en formaient la garnison.

Le jour de l’entrée des ennemis à Tunis fut le signal du malheur du pays ; lo sultan tfamīda élait avec eux, et ce sot assouvissait ses visées sur les habitants de Tunis, alors que les chrétiens s’emparaient du pays ; qu’on juge de sa stupidité 1 Aussi nous bornerons-nous là en ce qui lo concerne, lui ainsi que son frère, puisqu’il n’y a rien d’utile à retirer de la turpitude de leurs actes.

Les chrétiens poursuivirent leurs constructions à la Goulette sous le règne d’Abū Yazīd, aïeul du sultan Mourād. Ce dernier étant monté sur le trône vit une nuit pendant qu’il dormait deux hommes se poser devant lui en disant: « Si tu ne viens pas en aide au territoire des Arabes, tu ne comptes pas parmi les musulmans I » Il se réveilla, procéda aux ablutions, fit une prière de deux rek’a et ensuite se rendormit. De nouveau il vit ias deux hommes dans la même situation et lui parlant dans les mêmes termes; (13 v°] de nouveau aussi il se réveilla et recommença ses ablutions et sa prière, après quoi il se rendormit. Les deux hommes lui réapparurent encore tels quels, et alors il les interpella : « Qui êtes-vous? — Voici Ibn ‘Arūs et voilà El-Kelā’i <2> ; lu dois attaquer la Goulelte ! » Le lendemain matin il fit appeler des marchands arabes, qu’il interrogea au sujet de Tunis el de la façon dont les chrétiens s’en étaient emparés, et qui lui exposèrent ce qui s’était passé el ce que les infidèles avaient fail de la ville. Faisant alors compara Kro l’amiral, il lui donna l’ordre de mettre la flotte en route(3’, lui assignant à cet effet l’équipement nécessaire ainsi qu’une somme d’argent, et lui fixant un délai de huit jours à l’expiration duquel il devait mettre à la voile vers la Gouletto et y commencer les opérations militaires, sauf à faire savoir si des renforts étaient nécessaires. Il fit embarquer sur la flotte trente mille guerriers et donna l’ordre aux troupes d’Al-Jazā’īr de so rapprocher do la Goulelte. La flotte d’Al-Jazā’īr comptant Irento galiotes A-1»LU se mit en roule avec quatre mille hommes de troupes commandés par le pacha ‘Olūğ ‘Ali ; et en même temps, partit Mawlay ‘Abd el-Mālik sur une frégate à dix-huit bancs de rameurs qui n’emportait que trente et quelques guerriers. « J’ai vu, dit le chroniqueur, deux des hommes qui transportèrent “Abd el-Mālik à la Goulelte : l’un, nommé ‘Abd Allah, était un Gerāwi de Taryāna, quartier de Fās Bāli, et l’autre, ‘Abd cr-Hahmān, était de Miknāsa ; ils m’ont renseigné exactement el dit ce que fut le combat sur terre et sur mer. Je tiens d’un Turc nommé Ridwān, qui était portier du Fondouk cr-Roḵām à Tunis et qui était arrivé à la Goulelte sur la flotte amenant les Constanlinopolitains, qu’il faisait partie d'[un groupe] (Ode dix-sept hommes; le combat do la Goulelte terminé, ils se mirent à massacrer les chrétiens, si bien qu’il n’en resta que deux, en mémoire des tués*2), car dans cette expédition il mourut plus do 24 000 musulmans qui furent emportés au Paradis; aussi ne fut-il fait aucun prisonnier, homme, femme ou enfant, et on les massacra jusqu’au dernier, au nombre de vingt-trois mille ».

La flotte étant arrivée près de là Goulelte, jeta l’ancre à l’Ile de Malte, ou il fut fait provision de bois et d’arbres qui servirent à fabriquer plus de six cents échelles; puis elle pénétra à la Goulelte sous le feu des décharges, et après un violent combat où il y eut de nombreux morts. On commença à creuser (sonder ?) les murs des fortifications battus par les vagues, mais sans en trouver la base. Comme les assaillants avaient réduit au silence le tir des fortifications, on tomba d’accord pour monter à l’assaut à l’aide des échelles, qui furent dressées d’un seul coup el que les musulmans se mirent à gravir à deux de front; mais à mesure que les hommes et les échelons s’élevaient, il en retombait, et les uns suivaient les autres, si bien que la plupart des assaillants et des assiégés périrent.

Ensuite un message fut adressé au Sultan pour lui annoncer la bonne nouvelle de la victoire*1), lui faire le récit exact do ce qui s’était passé et lui demander des instructions sur ce qu’ils avaient à faire. Le sultan Murād, aussi bien de nuit que de jour, était très désireux d’avoir des nouvelles et surveillait la mer. Or trois galiotes $) furent détachées de la flotte pour lui porter la lettre.

A ce moment Mawlay ‘Abd el-Mālik alla trouver ses compagnons et leur dit :

« Partez avec celte frégate pour Constantinople en emportant ma lettre que voici pour la remettre à ma mère, qui est dans le palais impérial, mais ne la lui transmettez pas si les trois galiotes vous devancent ».

Sur sa recommandation de faire vile, ils s’embarquèrent nuitamment, avant même que fūt partie la Ictlrc adressée au Sultan, si bien qu’ils arrivèrent avant celle-ci et remirent le message dont ils étaient porteurs à la mère de Mawlay ‘Abd el-Malik, laquelle se rendit aussitôt auprès du sultan. Elle le trouva sur le toit du palais en train d’inspecter la mer, et lui apprit l’heureuse nouvelle de la prise de la Goulelte : « El qui, dit-il, t’a appris cela ? — Donne-moi le cadeau d’usage pour une bonne nouvelle, et je te remettrai la lettre qui m’a renseignée. — Il sera ce que lu voudras ! — Donne-moi pour mon fils ‘Abd el-Malik la promesse écrite que le pacha d’Al-Jazā’īr lui remettra son corps d’armée et qu’il pourra ainsi s’avancer à l’Occident contre son neveu. — C’est entendu ! ». Elle lui remit alors la lettre par laquelle il apprit te récit du combat couronné par la victoire el la prise de la ville, ce qui le laissa stupéfait toute la nuit el le lendemain jusqu’à l’après-midi, où arriva Tune des trois galiotes portant la lettre qui lui était adressée et où élait relaté ce que nous avons dit. Il remit alors à la princesse lo rescrit adressé à ‘Olūğ *Ali <*> à Al-Jazā’īr do remettre le corps do troupes à Mawlay ‘Abd el-Malik pour se diriger vers l’Occident.

La frégate remit à la voile et trouva à Al-Jazā’īr le pacha, à qui le rescrit fut transmis : « Mais, dit-il après l’avoir lu, où est l’argent nécessaire à l’entretien L»UI du corps d’arméo? —Fais-m’en l’avance, dit ‘Abd el-Malik, et je l’en dédommagerai si Dieu me donne de quoi y faire face. » Le pacha se mil donc à réunir les approvisionnements nécessaires et à payer la solde, puis le corps de troupes se mit en campagne, étant entendu avec ‘Abd el-Malik que chaque journée de marche représentait dix mille mithkāl, chacun représentant quatre oukiya trois quarts en or.

Ces troupes se composaient de quatre mille Turcs accompagnés d’un petit corps d’Arabes ; le pacha remit au prince un état de ce que comprenait l’entretien xAj) de ces troupes, et cela faisait 500.000 [pièces]. On poussa rapidement jusqu’à Arwarāt, où l’on arriva au bout de quaranle et une étapes!2).

Les Maghrébins s’étaient adressés à ‘Abd el-Malik après la mort de son père ‘Abd Allah ; son frère Mawlay Muḥammad avait avec lui 1.800 hommes de troupes originaires d’Espagne, et les principaux de celles-ci entretenaient une correspondance avec ‘Abd el-Malik à raison do l’aversion qu’ils avaient pour Mawlay ‘Abd Allah el son fils Mawlay Muḥammad , et qui provenait de ce que le premier avait violé son engagement d’attaquer, de concert avec eux, les chrétiens, ainsi que nous l’avons dit(*>. Aussi nourrissaient-ils contre lui des scntimenls hostiles el l’idée de le trahir quand l’occasion s’en présenterait, [14 v*] ce qui se réalisa ce jour-là. Quand les deux groupes en vinrent aux mains, les Espagnols quittèrent la gauche des troupes de Mawlay Muḥammad , dont ils faisaient partie, cl passant à la droite des Turcs qui s’avançaient avec ‘Abd el-Malik, ils combattirent avec eux ce qu’il était resté de défenseurs à Mawlay Muḥammad ; puis, à la fin du jour et sous le couvert de la nuit, les tribus allèrent les rejoindre.

Règne de Mawlay Muḥammad après la morl de son père

Quand arriva la nouvelle de la mort de son père, il fut reconnu par les habitants de Fās , courtisans, Fuqāhā et peuple, et précipita sa marche vers Murrākuš, où son intronisation fui complétée. Il fit des distributions d’argent aux troupes cl des cadeaux aux Fuqāhā, leva des soldats, prit soin des affaires du peuple, pratiqua la justice dans ses décisions, montra beaucoup d’activité, déploya des efforts dignes d’éloge et no laissa à blāmer que son orgueil. On ne dit pas de lui qu’il se soit livré ni à la fornication ni à la boisson ; son attention élait toujours en éveil et il avait une forte armée de 36.000 hommes.

Je tiens ceci de Muḥammad As-Samrāwī, d”Ayn Azlettn, qui élait d’entre les compagnons de Mawlay Muḥammad : a H y avait dans le camp de Mawlay Muḥammad , tant par devant que par derrière, plus de cent cinquante bouches à feu j^-> W ; plus décent maītres chirurgiens cl ventouseurs s’y trouvaient, ainsi que plus de trente marmites d’onguent de rose et d’oeufs< 2) à l’intention des blessés, des pièces de toile destinées aux ligatures cl aux bandages, el encore ne disons-nous rien des tentes cl des vivres ; du champ de bataille on rapportait les blessés au camp, où Ton procédait à la ligature des blessures ».

L’engagement se prolongea jusqu’à la nuit, où les Turcs abandonnèrent le champ de bataille ; mais le qā’id Ibn Chakrā’ avec un forl contingent des partisans de Mawlay Muḥammad ne quitta pas l’endroit où avait eu lieu la charge et laissa derrière lui le champ de tuerie, tandis que Mawlay ‘Abd el-Malik, qui était en arrière (sic), fil passer l’armée par ḵawlānlU.

Quand Mawlay Muḥammad , revenu en arrière, eut pris place dans la lente d’assemblée et s’enquit de ceux des siens qui s’étaient tournés contre lui ainsi que de ceux qui étaient morts, on lui apprit la défection des contingents espagnols dès le commencement du jour, à laquelle i) avait assisté, celle de Kcrmān<2> et des siens, celle des troupes d’isolés t3), dont la majorité avait fait de même, et celle des Awlād ‘Imrān. Comme ces nombreuses défections lui inspiraient crainte cl tristesse, survint quelqu’un qui lui dit: a Sois sur les gardes et songe à sauver ta vie, car Ibn Chakrā’, la colonne d’appui de les partisans, vient de faire défection avec ses troupes », ce qui n’était qu’un mensonge destiné à lo tromper. Alors il monta à cheval et gagna, avec ses esclaves noirs, Fās Ğadīd. La nouvelle de la défection d’ibn Chakrā’ provoqua la débandade du camp, qui prit la fuite et mil le feu au magasin à poudre, ce qu’on aperçut môme des montagnes. [15] Les cavaliers s’élançaient dans la direction d”Abd el-Malik pour lui porter la bonne nouvelle, quand ils trouvèrent Ibn Chakrā’, qui s’avançait en avant du champ de carnage avec un groupe important de guerriers originaires de Murrākuš et attendait le lever du jour pour poursuivre ‘Abd l-Mālik, tant il était sūr que celui-ci battait en retraite cl que les Turcs étaient en fuite ; aussi ses forces inlcrccptaicnl-clles déjà les roules. Quand il vit les lueurs de l’incendie il envoya des Turcs [prisonniers?] aux nouvelles, et apprit ainsi que Mawlay Muḥammad s’était enfui à Fās Ğadīd el que c’élail sa poudrière qui avait brūlé. Alors le qā’id avec nombre d’hommes le suivirent dans l’intention de le ramener au camp; mais déjà le prince, qui était rentré dans son palais de Fās , y avait aussitôt fait charger ce à quoi il tenait le plus, était parti par le 1Mb cl-Būğāt et filait précipitamment. Les gens de Fās Ğedid ctd’El-ḵemls le suivaient en interrogeant ses compagnons et mettant la main sur les objets de prix du sultan, sur les monlurcs et les ballots !1).

La plupart des propriétaires de jardins (j^J’ J»’ ī) de Fās Ğadīd s’approvisionnaient avec les gens d’El-ḵemīs grāce à la sortie nocturne de Mawlay Muḥammad . Nous ne disons pas tout ni ne parlons des bagages qu’il laissa en arrière. Ibn Chakrā’ le rejoignit dans sa fuite au Wādi n-Nağā, où il lui souhaita le bonjour; le prince n’avait avec lui qu’un faible nombre de soldats et accueillit grossièrement le qā’id, à qui il dit des choses inconvenantes(3). Ils s’arrêtèrent là en attendant d’être rejoints par la plupart des leurs, puis précipitèrent leur marche vers Miknāsat ez-Zcytūn, sous les murs de laquelle on dressa le camp.

Mawlay ‘Abd el-Malik, quand il fut informé de la fuite de Mawlay Muḥammad , donna Tordre à ses troupes, qui avaient franchi le wādi, de revenir en arrière, et il se porta à l’emplacement du camp de Mawlay Muḥammad , où il arriva le matin.

Monté sur une jument, il en était vis-à-vis <*> et le trouva vide ou à peu près, mais il y élait reslé les bagages tels que les na{4 (3), les vivres, les chameaux, les bêtes de charge, le parc 9J-s. Alors il s’y installa, et comme ses propres troupes s’y rassemblèrent autour de lui, il leur partagea les vivres cl fit proclamer l’amnistie en faveur des coupables ; les ahl Fās vinrent alors le rejoindre pour lui apporter leurs salutations el le reconnaītre. Le lendemain il donna le signal du départ à son camp pour aller s’établir sur le wādi de Fās . Procédé de ses troupes il fit son entrée par le Bāb el-Folūlj, el envoya des chaouchs à cheval pour savoir à quel point elles étaient arrivées; ils revinrent lui dire qu’elles avaient allcinl le canal d’ ‘ Achlcha alors que lui-même était au canal de Taghāz, 5000 hommes marchaient devant lui. Il pressa sa marche vers Fās Ğadīd qu’il contourna sans toutefois y pénétrer avant d’avoir fait édifier les bastions; ce qui so passait en 984.

Les troupes d’Al-Jazā’īr lui réclamèrent ensuite ce que, dans leur idiome, elles appellent baghehich (gratification), et il leur versa quarante oukvja par têle ; elles demandèrent aussi ce qu’il avait promis, el il emprunta l’argent nécessaire aux grands de Fās , au qā’id IJoscyn, au…!2*, aux marchands ot à quelques officiers de Mawlay Muḥammad , en la complétant parce qu’il avait lui-même en fait de marchandises el autres trésors; il versa ainsi les frais d’enlrcticn A*UI du corps de troupes qu’il avait amené d’Al-Jazā’īr, ce qui faisait 500 000 ; il leur remit également le prix de louage convenu de 10 000 par étape el leur fil don de vingt des bouches à feu j^U] qu’avait laissées Mawlay Muḥammad et dont la première et le plus appréciée élail celle qui a neuf bouches ajouta des cadeaux de choses précieuses, de chevaux de choix, de baudriers, de cuirasses, de sabres, de coites de maille ci d’étoffes bigarrées H), puis les accompagna jusqu’à ce qu’ils franchissent le Wādi Subū. Ce fut au nom du sultan Mourād que la ḵojba fut (dorénavant] prononcée dans les chaires des temples.

Réfléchis donc, ô frère, si les habitants de ce royaume el Jes auteurs de ces violences avaient besoin des conseils de Mawlay ‘Abd el-Malik ou avaient à recourir è ses plans ou à son habileté ou à sa force pour prendre la Goulelte ! U n’était pas autre chose qu’un réfugié auprès d’eux, un homme cherchant une protection auprès d* ‘Olūğ Pacha a raison de la crainte qu’il avait de son frère Mawlay ‘Abd Allah. Le pacha, quand il opéra sa descente pour attaquer la Goulelte, donna l’ordre à ‘Abd el-Malik et aux siens, de faire comme lui el de ne rallier nul autre que le commandant de la flotte, et alors ‘Abd el-Malik le suivit, soit qu’il s’avançāt soit qu’il s’arrêtāt. Un homme raisonnable peut-il donc écouter ce que prétendent quelques maghrébins qui ne savent rien, que Mawlay ‘Abd el-Malik prit la Goulelte grāce à son argent, à sa force et à son armée ? De quel poids étaient ces quelques Arabes qu’il avait avec lui vis à-vis des Turcs pour pouvoir avec ceux-ci délibérer sur les mesures à prendre ? C’était ‘Olūğ ‘Ali lui-mémo qui avait pleine autorité sur le commandant de la flotte, en outre de ce qu’il avait amené trente mille hommes et de ce que s’étaient groupées autour de lui dos troupes supérieures en nombre à ce qui l’avait accompagné par mer. Et vois donc les gens de ce royaume-là quand ils prêtèrent l’oreille au plus faible et au moindre pacha, ‘Ulūğ ‘Ali, qui fūt à leurs yeux, de sorte qu’il put mettre sur pied le corps d’armée destiné à ‘Abd el-Malik, ce qu’il fit moyennant 500.000 sans parler de l’équipement, des approvisionnements, dos chevaux ot des guerriers qui le composaient. Est-ce donc à celui pour qui de pareilles forces ont été rassemblées qu’appartient le pouvoir do commander en prenant le dessus sur celui qui les a constituées ?

Et que penser de celui qui a l’autorité suprême sur lo tout ?

Après avoir renvoyé les troupes d’Al-Jazā’īr qui lui étaient venues en aide, ‘Abd el-Malik se mit à dresser les recrues qu’il avait tirées de Fās , alors que nul avant lui n’y avait fait do levées ; il forma ainsi une armée importante où se fondirent ceux des Andalous qu’il avait avec lui, des Zuwāwā et une petite troupe de Turcs qui ne l’avaient pas quitté.Les gens furent amenés du dehors à son service, il tint son pouvoir d’une main ferme et le nombre de ses guerriers s’accrut considérablement ; veillant h tout par lui-môme, il ne négligeait pas la moindre affaire. U fit construire des bateaux à Al-῾Arā’īš et à Salā, les Andalous se mirent à courir la mer avec les gens du Maġrib, à serrer les chrétiens de près et à ramener un butin considérable; la plus grande partie des ressources do Mawlay Muḥammad et de ce qui lui passait par les mains n’avait d’autre provenance que le butin fait sur les chrétiens et le quint produit par la guerre sainte. A ses troupes ainsi accrues, il fit des distributions d’argent, de môme qu’au ğund, tira des muḵaznī de chacune des tribus arabes et constitua un camp considérable et largement entretenu dont il multiplia les sorties.

Il dirigea une expédition contre Mawlay Muḥammad , après avoir préalablement envoyé dans le Sūs des mossagers qui avaient distribué de l’argent aux habitants. Les deux troupes s’élant renconlréessur le Wādi ‘r-RHiānM, *Abd el-Malik à pied se mit à ranger ses guerriers el sa grosso artillerio ja^&W) ; àla suite d’un engagement très important, Dieu donna la victoire aux gens du Maġrib, et ceux de Murrākuš furent mis en déroute et abandonnèrent [16) leurs approvisionnements et leurs bagages, tes vainqueurs les poursuivirent vivement jusqu’à Murrākuš mémo, oīi l’émir s’empara des trésors qui y étaient et s’assura do la ville Envoyant on avant un corps de troupes, il se mit à poursuivre Mawlay Muḥammad dans les montagnes du Sūs avec deux corps d’armée : l’un formé d’Andalous commandés par Mawlay Ahmed ; l’aulro, formé des gens do Fās et de Murrākuš, avait ‘Abd el-Malik pour chef.

Des combats furent livrés aux tribus do région en région et de groupe on groupe, si bien qu’ils refoulèrent leurs adversaires jusqu’à la Sāqiyat l-Ḥamrā, et anéantirent, au cours de douze combats, les groupements qu’ils formaiont ; puis, l’hiver étant survenu, le camp regagna Murrākuš, laissant Mawlay Muḥammed aux confins du Sūs; après quoi ‘Abd el-Malik s’installa à Murrākuš.

Or Mawlay Ahmed avait demandé à son frère, qui lo lui avait promis, d’être nommé en qualité de lieutenant à Fās ; mais le qā’id ‘Azzūz -Hrdail l’exécution d’un projet qu’il désapprouvait : « Fās , leur disait-il, vous est acquis ; co quevous avez à fairo, c’est d’en finir avec l’afTairo do Mawlay Mohammod et de mettre un terme à l’influence qu’il exerce dans le Sūs, et alors votro royauté ira bion ». Mais Mawlay Ahmed combattait l’opinion d”Azzūz el préférait, pour s’éloigner de son frère, regagner Fās ; el ayant un jour trouvé une occasion favorable pour en parler à ce dernier, il en obtint l’autorisation de partir pour celle ville, avec affirmation sous serment qu’il pouvait ne pas passer la nuit à Morrākech. Sur le champ il se précipita dehors, et trouva ‘Azzūz a la porte de la Kaçba : « Nous sortons, lui dit-il, de chez le Sultan el partons pour Fās malgré loi, ‘Azzous ! — Pour nous, dit colui-ci, nous vous disons ce qu’il est de volro intérêt de faire, et vous assommons pour que vous en finissiez avec cet adversairo qui tient lès montagnes du Sūs, el ainsi vous assuriez un pouvoir incontesté; mais toi, tu es hostile à mon plan! J’en prends Dieu à témoin, il te faudra bien revenir de Fās en ces lieux ! » Mawlay Ahmed le laissa et dès le lendemain se mil en route pour Fās, ou il commença a administrer dans le calme et a traiter la plupart des affaires.

Après que celte solution fut arrêtée, Mawlay Muḥammad recommença à s’agiter dans le Sūs. ‘Abd l-Mālik so mil en campagne conlro lui, précédé par les corps de troupes andalouses, qui se mirent à sa recherche ; mais Muḥammad so relira vers lo chāteau do Sūs, cl quand ses adversaires so furent enfoncés dans les montagnes a sa poursuite, il fit une rapide incursion sur Murrākuš, dont les habitants étaient de connivence avec lui. Avec leur aide il pénétra dans le mallāh, ou il fit des prisonniers el s’empara d’abondantes richesses; il s’installa avec ses soldais devant la porte de la ville, mais ne put pénétrer dans la Kaçba, où ‘Abd el-Malik avait laissé sa soeur Mariyam avec 600 hommes qui, commandés par le qā’id Ibn Garmān, avaient mission de défendre le chāteau.

Mawlay Muḥammad fit devant la porte de Murrākuš un séjour d’une vingtaine de jours. Le sultan élait dans le Sūs à le chercher dans les diverses tribus quand il reçut la nouvelle que son rival élait entré h Murrākuš, co qui le fit rétrograder en toute hâte vers celte ville ; il écrivit aussi à Mawlay Ahmed d’avoir, à peine lu le présent message, à donner h son corps d’armée et & ses compagnons l’ordre de gagner le camp et d’en repartir le lendemain avec les Šayḵs de Fās pour rejoindre ‘Abd el-Malik ; pareil ordre fut aussi adressé aux tribus. Ahmed partit la nuit môme précipitamment pour Murrākuš en passant par Salā, et trouva son frère qui, près de celte première ville, élait à l’attendre, lui et les secours du Maġrib qu’il amenait, Muḥammad , quand il sut qu’ils étaient à proximité ( 16 v») et s’étaient réunis pour l’attaquer, donna aux habitants de Murrākuš l’ordre de venir le rejoindre au camp pour livrer bataille le lendemain, el ils vinrent en effet y passer la nuit, mais (ensuito) la plupart d’enfuirenl vers la ville ; ce qu’apprenant, il s’enfuit également avec ses compagnons au milieu de la nuit et prit la direction de Fās M. Il arriva ainsi un matin à 1’ ‘Ayn el-ḵemfs, el quand lo jour fut haut il franchit le Wādi Wtselenl2’, passa ensuite par El-Borğ el-Meklūb, et continuant d’avancer franchit le pont du Sebū dans l’intention de rejoindre les Mehāmid. Ceux-ci, l’apprenant, vinrent de son côté avec leur qā’id Ibn aš-Šayḵ el-‘Adil pour tenir conseil avec lui ; mais il les évita et se jeta dans la montagne d’EIkey *3’. Il fut rejoint par El-‘Adil, mais se retourna avec ses cavaliers contre celui-ci et le tua ; il passa alors dans les montagnes du RIf el finit par arriver à Al-Ğazīra (Algeziras) chez les chrétiens; de là il écrivit au prince chrétien, qui lui permit de venir le trouver. Or les chrétiens, lorsqu’il arriva, méditaient contre ‘Abd el-Malik un vaste projet dont nous parlerons.

Mawlay Ahmed rejoignit sous les murs de Murrākuš son frère ‘Abd el-Malik, qu’il alla saluer; or la première personne qu’il rencontra fui le qā’id ‘Azzūz, à qui son retour causa une joie maligno. ‘Abd el-Malik entra ensuite dans la ville, où il infligea aux habitants musulmans des chātiments exemplaires, bastonnade, crochets. dilaniation et mise aux fers, La plupart des gardes du corps ?U* de Muḥammad étaient des Garāwa, au nombre d’environ 46, et leurs contribuas se mettant è proférer des menaces h l’adresse du sultan, un violent tumulte éclata dans la ville. Alors le fcākim ‘A|(ār, qui en était le qā’id, et qui était aussi l’un des anciens compagnons de fuite du prince, alla dans la nuit trouver celui-ci et lui rapporta les propos proférés dans le tumulte ; il lui fut répondu d’avoir à regagner sa demeure, el il quitta en conséquence la Kaçba pour retourner dans la ville. Quand l’aurore se leva, tous les Garāwa étaient suspendus, & l’état de cadavres, a la porte de la Kaçba, et pas un des auteurs du tumulte ne vit la lumière du jour. Le hūkim se rendit ce jour-là auprès du sultan, qui lui dit comment il avait traité ta ville : • Seigneur, lui répondit-il,…Hl. — Reste chez toi 1 dit le sultan; si tu n’étais pas un de mes anciens compagnons de fuite, je t’aurais aussi envoyé à la mort I • C’était un prince valeureux, redouté, violent, attentif à toutes les affaires de son royaume.

A la suite de celte affaire Mawlay Ahmed retourna à Fās, emportant comme instructions d’organiser les troupes, de s’occuper des affaires de son territoire de commandement et do garnir les magasins d’approvisionnements, de munitions et de poudre*2).

Quand Mawlay Mol.iammed se fut établi chez les chrétiens, le Ġarb reconnut ‘Abd el-Malik et son frère Ahmed, qui ne trou-vèrent plus devant eux aucun prétendant. ‘Abd el-Malik se mit à préparer les moyens de transport pour la grosse artillerie et les tentes a mettre en bon ordre les munitions et les bateaux, ainsi qu’à s’occuper. Mais d’autre part les chrétiens, que Mawlay Mohammed, franchissant la mer, était allé rejoindre, accordèrent a celui-ci l’envoi d’une expédition el adhérèrent à ses demandes, car ils se disaient entre eux : • Ce sultan {‘Abd el-Malik] a vu l’empire turc et reconnu les avantages de la mer, de sorte que son premier soin est de construire des vaisseaux ; lorsque sa flotte sera en état, il arrivera dans notre pays avec les Andalous, qui sont ceux de qui il gūte davantage les conseils et les plans, et il ne s’occupera p^ d’autres que do nous.

Nous avons dono a prendre les mesures nécessaires pour notre royaume avant que son pouvoir soit bien instauré et solidement établi. A nos yeux, la première chose à faire pour cela c’est d’entreprendre une sérieuse expédition, do nous installer sur le littoral et de combattre notre ennemi dans son pays môme. » On so mit d’accord sur ce projet, el l’on dit & Mawlay Muḥammad : • Nous allons nous mettro en campagne, et tu nous accompagneras ; si nous conquérons ce territoire, nous ne réclamerons dans le partage n en faire que le littoral ; tout le reste te reviendra ». Ils confirmèrent cet arrangement par un serment qu’ils prêtèrent sur leurs croix, et il jura de son côté. On se mit alors à préparer la flolto et les troupes, ainsi qu’à réunir de l’argent et tout ce qui élait nécessaire. D’après leurs propres dires, les forces réunies comptaient soixante mille hommes, dont il resta sur la flotte une vingtaine de mille 0). On emmena deux cents grosses bouches a feu ^pl^j’ et vingt mille charrettes servant, comme les botes, de moyens de transport el dont ils se faisaient précéder el suivre, à l’exemple de leurs adversaires.

A leur arrivée les ennemis se dispersèrent sur le littoral du Maġrib tant par terre que par mer, puis opérèrent leur débarquement depuis Tanger jusqu’à Açila, territoire qu’avaient évacué les musulmans et que les chrétiens so mirent à organiser.

Ces troupes étaient commandées par leur roi Burtuqīš (????) el par Mawlay Muḥammad , qu’accompagnaient trois (I) Le montant des forces chrétiennes est diversement évalué par les musulmans. cents, do ses partisans et qui en outre était en correspondance avee les tribus. Une fois le débarquement bien assuré, la cavalerie so livra à des incursions à distance, mais (es habitants de la banlieue et les montagnards opposèrent de la résistance et écrivirent à ‘Abd el-Malik, qui faisait ses préparatifs et organisait la guerre sainle ; il donna l’ordre aux tribus de réunir des vivres pour les chevaux et les combattants et de so rendre avec les nomades dans la région d’Al-Qaçr.

Il adressa en oulre une lettre au prince chrétien où il disait :

« Tu as manifesté ton énérgie en quittant Ion royaume et en franchissant la mer pour assaillir le territoire musulman. Si lu te tiens ferme sur le littoral jusqu’à ce que nous nous dressions contre toi, tu es un vrai et valeureux chrétien ; mais si tu pousses dans l’intérieur et te diminues en attaquant quelques-uns de mes sujets avant qu’un émir ton pareil te fasse face, tu n’es qu’un juif fils de juif ».

C’est là un extrait de sa lettre. A cette lecture le prince chrétien entra dans une violente colère et rassembla son conseil ; comme Mawlay Muḥammad assistait à la séance, on lui demanda son avis, après que le chrétien eut parlé comme suit :

« Nous resterons ici jusqu’à ce que notre adversaire vienne nous trouver ; nous enverrons chez nous l’ordre de nous faire parvenir des renforts, et notre cavalorie fera des incursions à longues distances jusqu’à ce que lo prince de Murrākuš vienne nous trouver.

-C’est là, reprit Muḥammad, un avis erroné el une conception fausse ; lo seul plan raisonnable, c’est de l’avancer dans l’intérieur avant qu’il arrive el de mettre la main sur Teltian el El-Kaçr préalablement à sa venue ; nous entrerons à EI-‘Arā’ich et y réunirons la flotte, les tribus arriveront, el moi-même je rassemblerai les musulmans qui forment mon camp. Quand il s’avancera, nous l’entraīnerons d’un autre côté et userons ses troupes avant que le choc ait lieu ».

Ces paroles rallièrent l’unanimité des membres du conseil, mais comme le chef chrétien n’adoptait pas leur avis, ils lui dirent :

« Fais prendro acte que ton avis l’a emporté sur le nôtre, que nous ne sommes pas d’accord avec toi et que nous maintenons notre manière de voir ».

Acte fut dressé de ce qui vient d’élre dit, chacun restant sur ses positions, car le chrétion combattit l’opinion de Mohammed sans convaincre celui-ci.

De son côté ‘Abd el-Mālik fit parvenir do tous côtés l’ordre de le rejoindre à Selà, envoya ses k&’ids dans les tribus, manda à son frère à Fās do se mettre en campagne avec tous les habitants de cette ville, et adressa le même message aux Arabes et Berbères des diverses régions. La concentration so fit dans lo plus bref délai sous les murs d’EI-Kaçr, el c’est do là que s’opéra lo départ lors de l’arrivée du Sultan, qui adressa ce message au roi chrétien :

« Parti de Murrākuš, j’ai fait seize étapes pour me rapprocher de toi, alors que tu n’en as pas fait uno seule ».

Alors l’infidèle, parti du Wādi TaherrāretHi, alla dresser son camp au Wādi ‘1-Meḵāzin, et ‘Abd el-Mālik, se retirant devant lui, installa lo sien au Wādi Orūr vis-à-vis El-Kaçr; ce qu’apprenant, le chrétien, pris de dédain pour ses adversaires, donna lo signal de la marche en avant, franchit lo Wādi ‘l-Meḵflzin et campa dans la vallée où fut livrée la bataille.

Mais ‘Abd el-Mālik n’avait, en simulant la retraite, fait autre chose que recourir à un stratagème. Les chrétiens s’installèrent entre la rivière à leur gauche et les charrettes à leur droite et sur leurs derrières, cl placèrent les grosses bouches à feu en avant. Alors ‘Abd el-Mālik fil partir son frère Ahmed à ta tôle do quatre mille cavaliers, ainsi que des gens de la banlieue porteurs de haches et de pics avec mission de détruire nuitamment le pont du Wādi ‘1-Meḵā/in ; et celte opération fut en effet terminée au lever du jour. Or cette rivière n’a dans ces parages que des berges el ne pouvait être franchie que par lo ponl, el cela expliquo quo, à la suite de leur déroute, pas un chrétien ne put échapper à la mort, à la submersion ou à la captivité. Les choses étant comme il a été dit plus haut, ‘Abd el-Mālik se mit en marche le lendemain et campa à l’amont de la rivière, qui leur donnait à boire à tous.

Déjà malade à ce moment de l’affection qwi devait l’emporter, son état s’aggrava quand la bataille s’engagea. Il disposait do trento six mille musulmans pour faire face à un nombre double do chrétiens. Ceux-ci recoururent à des ruses pour intimider les nôtres : ils clouèrent des lances aux charrettes qui étaient pour donner l’illusion d’une cavalerie innombrablo. Ils avaient plus de dix mille chevaux bardés de fer et poussaient sur les nôtres tant à droite qu’à gauche; un côté du camp était mis à ma), et nos troupes refluaient en arrière. Le sultan gravement malade fut mis dans une litière d’où, dominant les têtes des combattants, il rétablissait leurs lignes, les encourageait et leur faisait signe do la main ; il leur commanda do masquer (?) les bouches des grosses pièces, el à la rencontra des cavaliers il envoya son frère, qui était nu-tête et à pied et qui attaqua et réattaqua avec les nôtres, au cours de la bataille, qui fut longue.

Le qā’id Et-Tā’i’ était le chambellan du sultan. Ce dernier, de plus en plus malade, ayant fini par rendre l’āme pendant que la lutte so poursuivait, ce qā’id (18] continua de transmettre les prétendus ordres ou défenses du Sultan sans révéler qu’il était mort, faisant intensifier la lutte el les attaques, réclamant de l’eau soi-disant pour faire boire au malade et maintenir la croyance qu’il élait encore eu vie, la répandant dans la litièro cl en réclamant de nouveau, toujours dans le même buU2). Il resta le seul à connatlre la vérité jusqu’au moment où Dieu, ayant mis les infidèles en fuite, permit aux nôtres de les lucr et de les capturer à leur gré.

Quand les guerriers furent rentrés au camp, le chambellan réunit les chefs, les introduisit dans les tentes royales et leur révéla alors la vérité ».

Mawlay Ahmed étant alors arrivé, Mawlay Dà’ūd s’enfuit, el le premier s’installa sur le trône.

Lorsque la bataille s’était engagée, les Awlād Bāhlū ‘l avaient dirigé une incursion contre le camp musulman pour le mettre à mal, car ils étaient au service de Mawlay Muḥammad ; mais, grāce à la protection divine, les musulmans leur échappèrent et furent sauvés d’un grand désastre.

Ahmed prit alors le pouvoir en main et exerça une pleine autorité sur lo royaume; on était A la fin de 986/1578. Son avènement excita les craintes et provoqua la fuite de tous ceux de ses cousins et de ses neveux qui entouraient ‘Abd el-Mālik.

Ilègne de Mawlay Ahmed [el-Mtmçūr Dhehebi]

Il avait le teint brun, les yeux enfoncés dans leurs orbites, la barbo épaisse, des scarifications sur la jouo gauche, lo corps épais et la voix forte ; un défaut do prononciation lui faisait changer lo r/t en * ; il se couvrait de longs vêtements qui traînaient sur lo sol el lui couvraient les pieds, cl quand il marchait paraissait près de s’appuyer sur les chevilles <*>. Une grande chance favorisa son règne : renonçant à la guerre sainte, il s’empara du Soudan d’où il lira des richesses, exerça longtemps le pouvoir, compléta les jardins en y élevant des constructions el fit installer les jardins do Fās Ğadīd qui faisaient partie des propriétés de la petite masğid, el pour quoi il dépensa une somme considérable provenant des revenus des ḥubūs affectés à la grande mosquée. Il avait un goût tres prononcé pour les constructions cl édifia le palais Kl-Bedt’ <*>. 11 se montrait souvent injuste el partial ; de son temps les campagnes eurent à souffrir, tandis que les citadins el les soldats réalisèrent des profits.

Dès ses débuts et sitôt qu’il eut été reconnu, les troupes lui réclamèrent le don qu’elles dénomment baḵšhiḵ, tandis que de son côté il leur réclamait le quint du butin ; mais il élait difficile de le leur faire verser parce que lo butin n’avait pas été inventorié, de sorte qu’il renonça au quint et que les guerriers renoncèrent au baḵchḵ. Lo bulin réalisé à la suite de la bataille dont nous avons parlé ne fut pas réparti selon le mode légal, car chacun garda ce qu’il avait pris ; pour quelques-uns ce fut l’enrichissement, mais la plupart des combattants et dos gens de piété no reçurent ni peu ni prou, car le bulin fut muéen/f^d), el accrut lo nombre des choses illicites oxistant au Maġribt-».

Les chrétiens mis en déroulo refluèrent en fuyant vers le Wādi ‘l-Meḵāziii, où lo pont dovail assurer leur salut ; mais ils ti’cn trouveront plus qtto les traces cl so précipitèrent dans la rivière, d’où no devait sortir aucun de ceux qui y entraient : les musulmans les entouraient cl les massacrèrent presqtto tous en n’en faisant prisonniers qu’un petit nombre. Dos plongeurs découvrirent dans la partie de la rivière ( 18 v°] faisant face au pont les cadavres de Mawlay Muḥammad et du prince chrétien, et Mawlay Ahmed fil écorcher el bourrer do paille lo premier pour l’expédiera Murrākušl’L

II fui mandé aux principaux des tribus de rejoindre Fās, et les soldats se séparèrent en regagnant leurs territoires respectifs el emmenant avec eux lo bulin et les captifs qu’ils avaient faits.

Le sultan quitta aussi ces lieux et gagna à marches forcées Fās Ğadīd, où il fit son entrée. Quant à Mawlay ‘Abd el-Mālik, il fut inhumé dans la Qubba. Le nouveau prince reçut la visite des chefs, Arabes, non-Arabes et Berbères, venus do loutos paris, et le serment de fidélité fut renouvelé; il convint avec eux de la sūreté des routes et chique Šayḵ devint responsable de co qui so perdrait dans sou territoire. H nomma émir à Fās son fils Mawlay ech-Choyḵ en lui donnant pour conseillers lo qā’id Ibrahim Sofyāni, le clioyḵ lyād Drisi el le kādi ‘Abd el-Wahid Homaydi. Il conclut des engagements et des traités avec les chefs de tribus, arrangea les affaires du Maġrib en quelques jours, et rassembla les officiers et chefs des chrétiens qui étaient chez les uns el les autres el notamment chez les juifs, qui on avaient acheté la plupart. Se rendant alors à Murrākuš, il ramena l’ordre dans lo |>;iys el chez ceux qui l’habitaient, si bien quo le calme régna depuis Taxa jusqu’au fond du Sūs ; il organisa et disciplina ses troupes, el arriva ainsi à jouir d’une autorité solidement établie. Lo prince chrétien lui fil demander lo rachat des principaux chrétiens captifs, à quoi il consentit moyennant uno rançon des plus considérables, et il acquit ainsi des richesses importantes tant en argent qu’en marchandises. Il avait fait frapper de la monnaie avec alliage de cuivre que l’on appela dirhems courants co qu’il regrella nu bout do quelque temps. Il multiplia les tranactions commerciales, et la tranquillité régna.

Le prince chrétien, après avoir fait racheter les principaux captifs, les réunit autour de lui et tint consoil à leur propos :

« Vous autres, qui êtes les soutiens du royaume, quel était donc votre plan quand, après avoir franchi la mer el débarqué en pays musulman, vous êtes restés à conférer avec les troupes ennemies jusqu’au jour où les contingents appelés depuis le Sūs jusqu’à Tlimsān ont fait bloc contre vous, qui étiez de tous côtés ? A quoi pensiez-vous donc en agissant ainsi ? Qu’est-ce qui vous a fail passor chez eux ? Mais, cela fait, pourquoi n’avoir pas pris Ël-Kaçr, Tcluan et KI-‘Arā’ich, tant par terro que par mer, comme aussi Salā, el alors que le prince ennemi se trouvait loin de vous ? Mais vous n’avez rien fail de cela el avez agi mollement jusqu’à ce que vos adversaires soient venus à vous et vous nient infligé le désastre que vous savez! — Celait là, dirent-ils, notre plan el celui du sultan Muḥammad ; mais c’est le prince que tu nous avais donné pour chef qui s’y est opposé ï voici qui témoigne contre lui et l’attestation qu’il nous a fait opposition pour n’agir qu’à sa tête ! »

Ht ils lui remirent l’écrit relatant co qui a été dit ci-dessus.

« Pourquoi, reprit-il, ne l’avoir pas empêché et n’avoir pas, de concert avee le sultan, agi dans l’intérêt du souverain ?

-Il était, dirent-ils, absolument ancré dans son opinion, et nous ne pûmes rien contre lui».

Kl alors le prince les fil tous brūler. Héfléchis à la somme que cet infidèle dissipa pour racheter les chrétiens captifs afin d’arriver à pouvoir les faire passer en jugement, el se servir deux comme moyen d’enseignement pour d’autres, poussé aussi qu’il était par le ressentiment que lui inspirait l’aide victorieuse accordée par Dieu aux musulmans !

Il fil ensuite préparer un cadeau considérable*2* qu’il adressa à Mawlay Ahmed Dhchehi’ 3) avec des congratulations au sujet de sa royauté, en lui demandant de s’abstenir d’expéditions contre le littoral et do vouloir bien faire quartier à ceux qui y habitaient. Ahmed leur consentit celle grāce- et tint sa promesse. Son autorité bien établie s’exerça paisiblement. Cependant il y eut ensuite quelques troupes qui lui refusèrent obéissance pour un motif que nous passons soins silence,’ montèrent dans le Ğabal Giliz et se révoltèrent contre lui. Il donna alors l’ordre de verser la solde et de dresser lo camp el l’expédia avec le qā’id Ibn Sālirn…!1). Ils parlirenl de Murrākuš après qu’il eut pendant trois jours subvenu à leur entretien dans la ville.

Ils pénétrèrent ainsi dans les déserts du Soudan, et alors leur guide, conformément à l’autorisation qu’il avait reçue du sultan, s’enfuit, de sorte que, s’égarant dans le désert, ils périrent jusqu’au dernier. L’un d’entre eux cependant, qui put s’échapper, a raconté que, dévorés pur la soif, ils égorgeaient les chameaux pour en presser les ventricules cl tācher de se désaltérer, mais ils finirent par mourir tous de soif. Celui qui échappa s’était égaré dans lo désert, mais rencontra un Arabe Touareg qui le sauva en lui donnant de l’eau et le fil parvenir jusqu’à une tribu nomade. Quant aux approvisionnements de ceux qui avaient péri, ce furent les nomades de ces régions qui s’en emparèrent.

Le sultan équipa aussi un autre camp qu’il envoya, sous le commandement du qā’id Mahmoud, à Ğāġū ??? Quand on fut arrivé à destination, le chef de celle ville sortit el il fut convenu que le combat s’engagerait le lendemain ; mais avant lo lever du jour Mahmoud, feignant de fuir, se relira, et le roi du Soudan, dont la convoitise fut excitée, marcha si vile à sa suite qu’il put camper le soir près de son adversaire ; mais le lendemain Mahmoud repartit encore, toujours poursuivi, el l’entraīna ainsi jusqu’à dix étapes de son pays. Les noirs étaient affaiblis, les fantassins mal nourris et les vivres so faisaient rares quand eut lieu le choc entre les deux armées : une foule innombrable de noirs y péril, car la plus grande partie de leur armement était enfantine et consistait en arcs du genre de celui des Ġuzz en lances en bambou et en sabres, alors que les Maghrébins disposaient de grosses bouches à feu el de canons.

Le camp élait formé de douze mille hommes, qui manifestèrent leur supériorité sur les nègres en les massacrant et les faisanl prisonniers, el la plupart s’enfuirent vers le camp de Mahmoud. Celui-ci le lendemain donna le signal du dépari, puis ce démon revint en arrière et fil massacrer les noirs qui venaient de passer la nuit auprès de ses guerriers, tandis que les malheureux nègres, levant les mains au ciel, invoquaient leur communauté de religion ; mais les barbares continuaient la boucherie, car il n’y a de force el de puissance qu’eu Dieu! si bien que ces criminels mirent à mort sans aucune raison légitime tous ceux qui venaient de passer la nuit auprès d’eux : cela est inscrit dans le Livre de leurs actes et de celui de leur chef, c’est devant Dieu que se réuniront les liligants et que se rencontreront l’oppresseur et l’opprimé !

11 n’échappa que ceux qui s’enfuirent dans le désert, et les victimes, qui étaicnl innocentes de loul acte d’hostilité ou de faute antérieure, représentaient dix fois le chiffre des Maghrébins.

Ceux-ci repartirent alors à marches forcées vers les frontières el trouvèrent des bandes de nègres semblables à ceux qu’ils avaient envoyés à la mort; ces noirs jurèrent qu’ils ne se sauveraient ni ne s’enfuiraient, et s’attachèrent les uns aux autres. Les envahisseurs les entourèrent, puis massacrèrent les uns et réduisirent les autres en captivité.

Ce fut ainsi qu’au prix de nombreux actes d’injustice ils conquirent le pays; mais tout cela esl consigné dans un Livre manifeste ! On adressa alors au sultan des lettres pour lui annoncer la conquête du pays, la prise du prince nègre et de ses bandes, le massacre auquel on s’était livré, ce qu’on avail fait du pays et de ses habitants ; cl il donna l’ordre de procéder malin et soir à des réjouissances pendant trois jours à raison du massacre de créatures humaines qui étaient musulmanes.

Tout cela esl inscrit auprès de Dieu, le juste et souverain Juge !

Les pseudo-Fuqāhā, les officiers, les soi-disant docteurs et les syndics vinrent le féliciter à l’occasion du massacre de musulmans, du butin fail sur eux, do la réduction en esclavage de leurs enfants; cl lui-même, tres satisfait, en témoigna la plus grande joie !

Quand l’obéissance des habitants lui fut acquise, que la cavalerie irrégulière, adula, se fut dispersée, que les richesses, les munitions el les esclaves furent réunis auprès de lui. il ne garda à ses côtés que la moitié du camp el renvoya l’autre moitié avec tout ce bulin à Murrākuš. Quand celle-ci approcha de la ville, les officiers et les grands en sortirent pour se porter à sa rencontre; après quoi l’on introduisit dans le palais du sultan 1200 esclaves tant jeunes filles que jeunes gens, 40 charges d’or, 4 selles en or, de nombreuses charges d’ivoire et d’ébène, des vases de grand prix, des gcneltes et autres objets précieux du Soudan.

Mawlay Ahmed Dhehebi emmagasina lotit cela cl son pouvoir en fut fortifié. Un tribut annuel lui élait envoyé du Soudan, et il reçut ainsi un éléphant femelle qu’accompagnait un guide qui se faisait comprendre de l’animal, lequel fut envoyé à Fās .

Quand sa souveraineté fut parvenue à un haut degré, que son armée eut grossi, que le lemps eut consacré son pouvoir cl qu’aucun prétendant ne se montra plus, il désigna comme successeur son fils Ech-Šayḵ, encore que nous ayons omis d’en fixer le moment el de dire comment il s’y prit (?). Ce fut quand, après la défaite des chrétiens, les principaux habitants du Maġrib se réunirent autour de lui qu’il se fit donner la promesse de ceux-ci cl recommanda aux habitants des villes cl des campagnes de reconnaītre son fils après lui. Il partit ensuite pour Murrākuš.

Hūtoire de la lieutenance de son fils Mawlay Muḥammad aš-Šayḵ ; comment il traita le pays el les gens

Il avait le teint foncé rouge-brique, les yeux saillants, le nez fort, les lèvres épaisses et la voix perçante. Il était lyrannique, d’une nature mauvaise qui se manifestait dans ses actes, fourbe vis-à-vis de ceux qui le servaient et le conseillaient, se livrant au désordre avec des chanteuses, des enfants et des jeunes gens, adonné au vin et au hachlch, ne pratiquant pas les ablutions dues pour impureté majeure, n’assistant jamais à la prière du vendredi, chiqueur de tabac, éhonté, faisant tort aux pauvres, dévorant les biens de ses sujets, qui devaient pendant la nuit garder leurs boutiques, leurs marchés et leurs demeures.

De son temps on vola la Tour des vêlements, v*’^’ zf. ams’ que celle des dīmes située sur le Wādi ‘l-‘lcjām ; on vola l’Hôtel des monnaies, et à lui-môme on vola les sabres (?^»ta£!) de dessus la porte de sa koubba. Entre autres faits dus à son injustice après la mort de son père, est celui-ci, que les arquebusiers prélevaient sur les Arabes comme droit de couchage 1 miṯqāl par nuit, el sur les principaux de l’armée, depuis 40 jusqu’à 100 ūqiya, s’appropriaient les boeufs et les tapis ????, débauchaient les femmes du pays ; la qaṣba élait chaque jour louée à prix d’or ceux des molafarrika qui avaient passé la nuit auprès de lui recevaient au matin des lettres portant assignation sur le Ijākim, lequel en versait le montant et prélevait lui-même sur le peuple…!, sans droit et méchamment, ce qui lui plaisait, que ce fūt de nuit ou de jour.

Il enlevait les dīmes à ceux qui avaient la charge de les percevoir, de sorte que le percepteur qui en avait recueilli la plus grande partie élait révoqué et remplacé par un autre ; après quoi était lancée cette proclamation, que les contribuables qui s’étaient partiellement acquittés étaient frustrés de leur paiement et devaient verser une seconde fois: le résultat en fut que les laboureurs cessèrent de cultiver et que, à ceux qui continuaient, les estimateurs imposaient le double de ce qu’ils devaient, de sorte qu’il ne leur restait rien, ce qui eut pour conséquence que, la population restant impuissante devant ces exigences, la cherté de la vie devint grande dans le Maġrib.

Il emprunta aux gens de Fās 300 000 sous la caution du wAli Abū Chekā’ik, du hākim, d’KI-Ğeblli el du qā’id YVeysū, et paya sur cette somme la solde do la colonne (mahalla) do son fils ‘Abd Allah, qu’il envoya à Murrākuš. Ce dernier s’y heurta à son oncle Abū Fāris, qu’il mit en déroute, ce qui lui permit d’entrer dans Ël-Badi’ et de prendre le gouvernement de celle ville. Il y tint la même conduite que son père, el fit même pis : il forniquait avec les femmes de son oncle et Ici concubines de son grand’père ; en ramadhāti il buvait ostensiblement du vin en compagnio de ses serviteurs. Les arquebusiers et les meḵasni avaient gardé les richesses qu’ils avaient enlevées aux habitants do Murrākuš, et la plupart se livraient aussi à la consommation publique du vin en plein ramadhān. Qu’on juge par là de la honteuse conduite de ces misérables !

Les gens de Murrākuš, victimes de ces actes injustes et malfaisants, écrivirent à Mawlay Zaydān : la majeure partie du corps de troupes pénétra dans la kaçba, et Mawlay ‘Abd Allah s’enfuit à Fās en laissant les troupes derrière lui. Zaydān alors leur accorda quartier, et il lui fut concédé par les partisans d’*Abd Allfth de pénétrer dans la kaçba ; il s’avançail donc à cheval à cet effet quand ils l’accueillirent à coups de gros canons jaUj^L pour le tuer. Il dut à la protection divine d’être épargné el différa son entrée; à la suite de quoi il y en eut dans le corps de troupes qui s’enfuirent, d’autres qui restèrent dans la kaçba. Les pourparlers recommencèrent au sujet do l’amān et le sultan fit son entrée, au lendemain de laquelle, après leur avoir enlevé leur armement, il leva toute restriction l’), cl alors la populace el les serviteurs du sultan se mirent à massacrer ces troupes, dont il péril plus de 4000 hommes.

Quant à Mawlay ‘Abd Allah, qui s’était enfui à Fās , il se présenta à son père el le mil au courant de ce qui s’était passé. Ce dernier mit la main sur plusieurs de ses officiers, qu’il séquestra et mit à la torture pour s’emparer de leurs richesses et s’approprier leurs trésors; quand.ce résultat fut obtenu, il envoya un message aux syndics lU pour leur faire estimer les objets qu’il avait pris pour eux aux officiers, en ajoutant :

« Je reste débiteur des premières sommes que j’ai empruntées aux gens de Fās ; mais j’ai encore besoin d’argent, et comme j’ai honte de recourir de nouveau h eux, je mettrai en vente des choses de valeur, el ne mécontenterai pas les habitants de celle ville ».

Alors les syndics se mirent à exposer aux gens du grand marché (kaysariyya) cl aux parfumeurs les velours, […] les couvertures do lit, les tapisseries (espagnol mailla) et autres objets.

J’ai vu, dit l’auteur, certains objets dont l’un était une tenture murale & qui fui donnée à El-tjādğ el-Jtabār et à Stdi ‘Allai Merfni, qui étaient voi-sins [20 v°) des boutiques, pour douze cents (sic, el qui, dans la main dit cricttr, parvint jusqu’au prix <3> īle soixante-quinze ūkiya. J’ai vu aussi deux ma’mūra (?) avec vases orftés de coquillages,… et des soupières, qu’on livra h El-IJaJğ el-Bakkā) pour douze cents (ne). J’ai vu encore… el quatre…- 4’ qu’on livra à Ei-IIādğ Kobeyti pour deux mille deux cents. Le chroniqueur a également vu livrer un tapis long de haute laine et un trsrīlj livrés aux Awlād ‘Achlr (fie) pour mille ūkiya. C’csl de cette manière que furent dispersés tous les effets mobilier* qui avaient été pris aux officiers, el le prince réunit ainsi une somme considérable, qu’il versa aux troupes. Le récit complet en sera fail en son lieu.

Les serviteurs d Aš-Šayḵ émettaient des lettres autorisant qui le voulait à épouser cotlo qu’il voulait, La première qui divorça du temps d’Abū ‘1-Kāsim b. Abū ‘n-No’aym fut la femme d’EI-tyādğ Muḥammad b. Sāsi : celui-ci, porteur d’une lettre du sultan, avait fail une demande de mariage qui fut repoussée par la famille de la future, et ce fut le nègre du prince qui parfit la dot demandée 0).

Il y avait de ces serviteurs impudents qui mettaient publiquement la main sur les femmes et les jeunes garçons. L’un d’eux alla de nuit cogner à la porte d’un homme demeurant dans la rue El-‘Okayba ; celui-ci étant sorti à cet appel, fut envoyé en prison, et ce fut cet ennemi de Dieu qui passa la nuit avec la femme de l’individu incarcéré, lequel recouvra sa liberté quand le jour fut venu. Bien d’autres actes de désordre seraient à citer, et nous passons sous silence les faits de ce genre qui se renouvelèrent du temps d’Aš-Šayḵ el de son fils ‘Abd Allah.

Son dernier acte fut la vente d’EI-‘Arā’ich ; veuille Dieu ne pas alléger le chātiment des criminels !

Quand ces désordres de [Ech-Šayḵ] devinrent de notoriété publique du vivant de son père, celui-ci lui adressa des envoyés auxquels il refusa de se corriger. Le qā’id Ibrāhtm Sofyāni intervint inutilement dans le môme but, et comme il insistait < 21, le prince le fit empoisonner et se débarrassa ainsi de lui et de ses conseils. A la suite de cet attentat contre le qā’id, son père Mawlay Ahmed songea d’abord à aller lo trouver, puis il différa ce projet, parce qu’il étail trop proche de son rétour de Vannée de la neigea. Aš-Šayḵ arrêta le secrétaire Ibn ‘Isa! 4) et lui enleva quatre-vingts candélabres en or, des coquillages, du marbre et cent ballots de drap de couleur ; tous les récipients qu’il trouva dans sa demeure étaient (faits] de coquillages et autres matières.

Comme il étail pénible (? ^-) au sullan, après la mort de Sofyftrii, de retourner au Maġrib, il écrivit à son fils pour lui défendre de persister dans ses désordres, mais celui-ci refusa de s’amender, de sorte que [Ahmed, de nouveau], projeta de so rendre au Maġrib. Alors son fils Aš-Šayḵ distribua la solde à ses troupes, dans l’intention de se diriger sur Tlimsān (U. Ces troupes provoquaient l’admiration [d’Ahmed], car Aš-Šayḵ n’avait aucune qualité qui le recommandāt en dehors de la force de ces guerriers el de l’attenlion qu’il apportait au versement de leur solde : ils étaient au nombre de 22 000, dont 4000 meḵāzeni el 18 000 autres, tous \’élus de drap el de soie. Quand Mawlay Ahmed eut vent de la chose et apprit que son fils, se dirigeant vers Tlimsān, étail campé chez les Benū Wārcthtn, il fit rentrer son camp à Murrākuš el écrivit à Aš-Šayḵ de renoncer à son projet, toul en lui envoyant, en même temps que ses Fuqāhā, les astronomes dresseurs de thèmes, qui étaient des gens graves el tenant un haut rang dans le royaume. [21]

Une fois arrivés, ils s’assirent devant lui, lui adressèrent des avertissements et lui conseillèrent, par un retour à [une meilleure conduite] de ne pas irriter son père, ce à quoi, à la suite d’une longue conversation, il consentit. Ils dressèrent un horoscope destiné à lui servir de charme; puis lui enjoignirent de réparer ses actes injustes, de tenir séance pour écouter les réclamations et de veiller au bien du peuple. Il leur distribua des cadeaux, fit des dons en argent, puis sortit avec son camp à Dār ed-Deblbagh, où il s’installa avec les janissaires et se refusa à renoncer à ses injustices el autres actes de ce genre.

Les Fuqāhā, à leur retour à Murrākuš, apprirent au sultan de nombreux actes d’injustice commis à l’égard des sujets el l’étal de ruine où se trouvait le pays, ainsi que le charme auquel ils avaient soumis son fils ; el comme il refusait d’ajouter foi à leurs dires, ils se firent fort de lui assurer la victoire sur le jeune prince, un corps do troupes ne s’avançāl-i) qu’avec 100 cavaliers, Le sultan (incrédule] envoya à son autre fils Zaydān, qui était à Tà-Icla, l’ordre d’expédier 100 cavaliers sur la route de TāfilāleU*) avec mission de refouler tout voyageur venant de la région de Murrākuš et se dirigeant vers Fās ; il envoya également, sur la roule de Salā, Mas’ūd ed-DūH 2) porteur des mêmes instructions. Un certain soirl3′, le sultan partit de Murrākuš à la lêtede 12 000 cavaliers el s’avança à marches forcées sur Fās tout en permettant d’ailleurs aux Mehāl (*) de le suivre, et au bout de peu de jours on reçut de ses nouvelles venant d’Ed-I>ārūğ<5). Des cavaliers qui furent alors envoyés à la découverte par Aš-Šayḵ rentrèrent le jour même après avoir vu la cavalerie des Mehāl près de Miknāsa.

Le jeune prince resta alors (un moment) perplexe ; mais se voyant cerné de tous côtés, il monta à cheval suivi de ses servi- teurs, qui pour la plupart étaient des molefarrika, et le lendemain avant le lever du soleil, il avait gagné (la zāwiya de) Sldi Abū ‘ch-Chilà’ <6> avec ses familiers, les jeunes gens à qui étail due la ruine de son gouvernement. Son père Mawlay Ahmed campa à Taghāt, tandis que partaient des cavaliers commandés par le pacha Ğawder et Mançūr Nomeyli <7\ qā’id des meḵazeni, à qui il avait juré qu’il se vengerait sur eux s’ils ne lui ramenaient pas son fils. Ces chefs trouvèrent le fugitif dans le sanctuaire-mausolée de Sldi Abū ‘ch-Chitā’, d’où il refusa de sortir; alors fut lancée la cavalerie W, et comme ses serviteurs luttèrent pour le défendre, il y eut des morts des deux côtés. Néanmoins il fut pris et amené au sultan, qui le fil garder à Miknāsa, tandis que lui-même entrait à Fās Ğadīd, qu’il trouva en ruines el avec les greniers à blé vides.

La première chose qu’il fit fut de procéder à des aumônes à raison de re qu’il était venu sans combat à bout de son fils ; il fit également réparer les torts injustement causés et annoncer la mise en location des terres et autres sources de revenus des mosquées. Au dire du feu chroniqueur, l’administrateur, dès la première semaine, perçut 45 000 [ūkiya], dans la seconde 25 000, dans la troisième 18 000, provenant des biens des Qarawiyyīn, cl qui étaient [précédemment] remis aux troupes. La première amélioration à laquelle il consacra cet argent, ce fut la construction de la coupole nouvelle formant bibliothèque el aténante à la maqṣūra, el le reste servit à l’immeuble de la mosquée principale et aux murailles de la ville. Il donna ses soins aux affaires des sujets et du pays el fil collaborer à la culture les Šayḵs des Denū Wārelhīn W, [21 v°] tout comme les Šayḵs des gens do Sā’is ^pīlw J»l- il permit aux tribus de payer au cours de l’été, à Fās , toutes les dīmes dues par le Maġrib ; il remit la situation en ordre, reconstitua les réserves de grains dans les entrepôts, prépara le départ f 2» de six cents motefarrika el les expédia à Murrākuš dans l’intention de les envoyer à Gāghūt3), [en un mot] procéda à de nombreuses améliorations.

Comme il restait perplexe sur le point de savoir s’il attribuerait la licutenance à Fās à quelqu’un de ses fils, la mère d’Ech-Chcyḵ intervint auprès des faktrW de Murrākuš venus avec le sultan, c’est-à-dire les Awlād Sldi Itū ‘Omar et les Awlād Sldi ‘Abd Allah b. Sāsi, ainsi que des fakir de Fās , c’csl-à-dire les Awlād b. Bekkār^), qui, se rendant à sa suggestion, s’entremirent auprès du sultan : « Ton fils, lui dirent ils, esl venu à résipiscence et redoute ton courroux ; les gens du Maġrib ne connaissent que lui, cl tu devrais lui rendre sa situation ».

Ils reçurent la mission de l’interroger et de se rendre à Miknāsa pour y passer trois jours à le tenir en observation. Dès leur arrivée il leur posa des questions sur les jeunes gens qui étaient ses compagnons de plaisir, et les envoyés constatèrent chez lui la môme perversion d’esprit. Retournant alors à Fās Ğadīd auprès du sultan, les Awlād Sīdi Bū ‘Omar et les Awlād b. Bekkār, travestissant la vérité, lui dirent :

« Nous l’avons trouvé en train de lire [le Koran] et il s’est amendé ; cependant il refuse de te rendre le pouvoir ».

Mais Es-Sid Sāsi les démentit en ces termes :

« Seigneur, je jure ne pas vouloir duper les fidèles, je jure ne pas vouloir que tu remettes le Trésor public entre les mains de ce prince » Nous abrégeons la discussion qui s’éleva entre les deux parties <2′.

Mawlay Zaydān versa le montant de la solde d’une année entière, pourvut largement aux besoins de l’armée du Maġrib et se porta vers les cantons de Tàdela, où le pacha, le précédant, alla camper. Le sultan sortit avec ce qui restait du corps de troupes et se rapprocha de la région de combat.

Quant à Mawlay Abū Fāris, il fil d’abondantes distributions d’argent, et fit partir son fils ‘Abd el-Malik en compagnie du pacha Ğawdar. Quand il fut bien assuré de la résolution de son frère, dont il connaissait la vaillance, il consulta ses officiers, qui lui dirent :

« Seigneur, Ion fils ‘Abd el-Malik n’est pas en état d’affronter ton frère, qui a avec lui les troupes du Gharb. Le meilleur parti à prendre, c’est de relâcher ton frère I 5’ Aš-Šayḵ el de l’envoyer à la colonne que dirige ton fils ; c’est lui qui fera face à Mawlay Zaydān, car les troupes du Maġrib, une fois informées de sa présence, ne voudront jamais le combattre ».

A la suite de celte délibération, il relācha Ech-Šayḵ, conclut un arrangement avec lui el le fit partir avec les 600 motefarrikafà que Mawlay Ahmed avait détachés de Fās pour marcher sur Gaġū (3). Ech-Šayḵ quittant Murrākuš fit diligence pour rejoindre la colonne, où il passa la nuit après avoir reçu un bon accueil des gens de Murrākuš. U expédia des messages aux Awlād Ibn Tires et autres officiers, et lança une proclamation annonçant aux gens du Gharb el de Fās la présence de Mawlay aš-Šayḵ dans la colonne. Le lendemain une sanglante bataille! 4) s’engagea sur le Wādi 0awāla<5>; mais la plupart des troupes (régulières? IJ~HH refusèrent obéissance à Mawlay Zaydān, qui ne put combattre qu’avec le reste et qui fut mis en déroute ; sa colonne -XUt* qui élait en arrière, survint alors, et il retourna à Fās de concert avec les troupes [jt-^, (22] mais la majeure partie de celles-ci rejoignit Aš-Šayḵ et, se séparant de la colonne ALt* de Murrākuš, se groupa autour de lui. Le lendemain ce dernier partit sur les traces de son frère, et comme ‘Abd el-Malik, fils de celui-ci, lui adressa le pacha el les qā’ids de Murrākush pour lui dire de s’arrêter, un refus grossier accueillit ces envoyés :

« C’est vous, dit-il, qui avez à prendre mes ordres, et non moi qui ai à prendre les vôtres ».

Il avait appris en effet que son frère Abū Fārisavail écrit à (‘Abd el-Malik] son fils et à ses officiers qu’ils eussent, après la défaite de Zaydān, à s’assurer de la personne de son frère [Ech-Šayḵ] et à l’envoyer à Murrākuš. Or ces qā’ids, quand Aš-Šayḵ sorti de leurs mains eut trouvé des partisans dévoués dans les troupes du Gharb’1), cherchèrent leur salut el se mirent à marcher à sa suite [de Zaydān] jusqu’à ce qu’il atteignit Fās , où il campa à

Ra’s el-mā. La nouvelle se répandit à Fās que Zaydān voulait que l’armée combattīt avec lui à Fās Ğadīd ; mais la popula- tion s’y refusa, se prononça en faveur d’Ech-Šayḵ, et les troupes s’insurgèrent contre lui Zaydān **2». La situation étant telle, il quitta de jour Fās Ğedid, précédé de son harem et de ses bagages cl accompagné d’une centaine de cavaliers et d’autant d’arbalétriers, franchit le Bāb cl-Būğāl. traversa le pont et passa par El-ḵemls, descendit à Ousllcn (?), toujours talonné par une dizaine de mille cavaliers ennemis, qui finirent par l’atteindre au Wādi Sebū. Se retournant alors contre eux, il en tua quelques-uns, puis franchit la rivière; mais la poursuite continuait, et ses adversaires alteignirent en mémo temps que lui le Wādi Maghremda (?), où de nouveau il se retourna conlre eux cl en tua quelques-uns, après quoi la poursuite s’arrêta.

Entrée d’Aš-Šayḵ à Vez Ğedtd après la mort de son père ; déroute de son frère, dans le* premiers jours de ramadhan 1012 (comm. février 1604)

Il avait adressé des messages à l’armée de Murrākuš, qui se trouvait sous les murs de Miknāsa, à l’effet de la faire repartir pour Murrākuš en emmenant le kādi Abū ‘l-Kāsim b. Abū ‘n-Xo’aym et le mufti Muḥammad el-Kaççārtf), qu’il avait préalablement gourmandes pour avoir intronisé son frère Zaydān et pour avoir insulté tant lui-môme que son frère (germain) Abū Fāris en les traitant de fils de concubines, incapables à ce titre d’avoir le pas sur Zaydān pour exercer le pouvoir.

Les” gens de Murrākuš eurent donc le dessous, le gouvernement de Fās se retrouva, après le départ de Zaydān, tel qu’il avait été, et ce fut Mawlay aš-Šayḵ qui s’installa à la place du fugitif. Après avoir fail son entrée à Fās Ğcdid, il fit arrêter les officiers qui, sous le coup des supplices, livrèrent leurs richesses, il contracta des emprunts auprès des habitants, se plongea dans l’injustice, renchérit sur sa tyrannie d’autrefois et par son arbitraire enflamma les habitants des villes cl des campagnes. Il envoya sous les ordres de son fils f 1) une expédtion qui se heurla à Mawlay Abū Fāris à Mersa ‘r-Rimād, occupé par d’innombrables guerriers provenant de Murrākuš.

Mais ceux-ci furent mis en déroute, Mawlay ‘Abd Allah fit son entrée dans la kaçba, et ses soldais, envahissant les demeures des officiers, en enlevèrent des richesses considérables; ce fut le muletier seul qui s’enrichit, à l’exclusion des chefs militaires.

Il y eut alors des désordres que l’on ne peut décrire : en plein ramadhàn, les soldats buvaient publiquement du vin, et le prince faisait comme ses hommes, outre qu’il usait des femmes de son oncle el de son grand’père, (22 v°] Cela dura jusqu’à l’arrivée de Zaydān, qui s’était d’abord rendu à Ouğda, dans l’espoir de l’arrivée de troupes venant d’Al-Jazāīr; mais cela ne s’étant pas réalisé, il avait gagné Siğilmāssa, dont il s’était rendu maītre, puis le Dr’a, qui s’était soumis à lui. Il reçut alors une lettre des habitants de Murrākuš, qui l’informaient des désordres existants et l’autorisaient à venir, même seul, chez eux. Co fut ainsi qu’il se trouva un jour à la porte de la ville alors qu’il s’y passait ce qu’on a vu : il massacra les troupes ennemies el alors s’établit dans le pays<2>. Il commença alors à prendre soin de l’armée et à recouvrer les impôts, cl Abd Allah retourna auprès de son père Ech-Šayḵ.

Ce dernier se mit alors à lui dresser un corps d’armée en employant pour cela l’argent des sujets et celui que les qā’ids avaient enlevé à ceux-ci, grāce à quoi il attira au service les gens de Fās . La population d’ailleurs était irritée du massacre des guerriers (qui avait eu lieu à Murrākuš) : l’un y avait perdu un frère, un aulre un fils» un père, uq parent ou un voisin, si bien que nombre de gens partaient sans solde uniquement pour tirer vengeance de ceux qui étaient tombés à Murrākuš à la fois sous les coups des soldats et de la population.

Zaydān, après avoir massacré les troupes ennemies, distribua la solde à ses guerriers et envoya des messagers dans les tribus de la région jy=* de Murrākuš pour les appeler à se mettre en campagne, et mit à la tôle de ces recrues le pacha Muṣtafa, qui élait un homme de jugement et de ressources. Celui-ci, après avoir réuni tous ses contingents, se dirigea vers le Maġrib, arriva à Salā, d’où il passa à TlfclfolH1*, et la colonne campa sur la rivière. Alors ‘Abd Allah b. ech-Šayḵ, à la tête de l’armée recrutée à Fās , se porta rapidement contre lui, et la lutte aboutit à la défaite du pacha et à la débandade de ceux qu’il commandait (?) O : les troupes de Fās , bien qu’inférieures en nombre à celles de Murrākuš, entourèrent celles-ci et en massacrèrent environ neuf mille hommes. Le pacha se retira alors vers Siğilmāssa et le Der’a, où il se mit à reconstituer ses forces. Il ne voulut pas affronter les gons de Murrākuš, car ceux de celte ville qui s’étaient mis en campagne avec lui ne revinrent pas ; les gens avaient beau se porter chaque jour à la porte de la ville pour attendre les survivants : il ne revint de la colonne qu’un petit groupe de cavaliers, et des fantassins il ne revint pas un, car la colère des gens de Fās avait réclamé de sanglantes représailles.

Mawlay ‘Abd Allah, se portant alors en avant, établit son camp devant Salā, puis passa par Tāmesnā et progressa jusqu’à Murrākuš. Une importante armée, comptant 36 000 hommes, sortit de cette ville en réclamant vengeance pour l’affaire de Ttfelfelt et après avoir juré de ne pas reculer ; de plus, un homme qui servait de chef à la populace s’étant mis à lancer un appel Cl aux habitants de la ville, 12 000 hommes constituant le restant de la population, tous munis de sabres et de boucliers, se joignirent à lui avec le ferme propos de no pas laisser debout un seul homme de Fās .

Alors eut lieu la rencontre, où les Mehāl s’avançant débutèrent par une attaque de cavalerie, et Zaydān mis en dérouto se réfugia dans la montagne H».

Il convoqua les principaux de l’armée et leur dit ce que rapportaient les fakirs, en ajoutant: :

« Qu’en pensez-vous? Empêcherez-vous Aš-Šayḵ d’entrer à Murrākuš ?

-Nous nous taisons, répondirent tous les qā’ids ; le qā’id ‘Azzūz est présent, et c’est lui qui va parler ».

Celui-ci, invité par le sultan à prendre la parole, s’exprima ainsi :

« Mets ton fils à mort et laisse Zaydān comme lieutenant à Fās ! »

Ces paroles excitèrent la colère du prince, qui leur dit :

«  Nul de vous ne me suggère autre chose que la mort de mon fils !

-Grand Dieu, repartit ‘Azzūz, je t’ai donné l’avis le plus profitable aux musulmans, el demain, quand viendra le jour de la Résurrection, je serai dans la vérité devant Dieu comme je le suis devant toi cl eux. As-tu vu, Seigneur, ce qu’a fait ton fils & l’égard do la souveraineté, comment il a traité les sujets, comment il a dilapidé les fonds du Trésor public ? Naguère il se précipitait pour lācher d’arriver à Tlimsān et songeait à te combattre ! Or tu as 12 fils, et tu peux, s’il platt à Dieu, en avoir encore d’autres ».

Le sultan envoya alors à Miknāsa l’ordre de resserrer l’emprisonnement d’Aš-Šayḵ et d’augmenter le nombre des arquebusiers préposés à sa garde. Il semit à équiper ses troupes et fit sortir son camp (qui s’installa) au-dessus de Dahrez-zāwiyat*); en outre il permit à Zaydān de venir avec les siens de Tādela et l’envoya en qualité de lieutenant à Fās.

Dans les premiers jours de rebt’ i le sultan sortit de Fās pour se rendre à Murrākuš, en se faisant précéder par Ğawder à la tête de la moitié du camp, et campa à Miknāsa ; Mawlay Zaydān, de son côté, s’installait àFās Ğedtd. Cela dura jusqu’à la nuit de la Nativité (12 rebl* i), où l’on se rendit avec des cierges au camp du sultan. Or au cours de colle promenade cl alors que les cierges dominaient la tète des porteurs, il arriva que les blancs se rompirent par le milieu et tombèrent par lerre, incident de mauvais augure qui impressionna fort les assistants ; ils arrivèrent cependant au camp, et la fêle fut célébrée. Le lendemain, le sultan monta à cheval, mais il élail très gravement souffrant, et entra à Fās sous le coup du poison que lui avait fait absorber Ech-Chebāniyya, du consentement do son fils Zaydān, dans des figues-primeurs U>.

Ce dernier empêcha les médecins d’approcher, et l’on dit même qu’il l’étrangla. Il cacha la mort do son père jusqu’à ce qu’il eūt envoyé à Miknasi un officier chargé de s’assurer do la personne do son frère [Ech-Šayḵ]; mais celte tentative échoua par l’opposition du pacha Ğawder, qui fit sortir ce prince et l’accompagna jusqu’à Murrākuš, où il le remit entre les mains d’Abū Fàris, qui élait son frère germain (*).

Après la divulgation de la mort du sultan, les principaux de la ville arrivèrent, (entre autres) Abū ‘1-Kāsim b. Abū ‘n-Xo’aym, qui étail kādi, el une réunion formée par les familiers de Mawlay Zaydān et de son frère l’i Ech-Šayḵ, fils de Mawlay Ahmtd, se Uni dans la Koubbal en-Naçr. Celui qui prit Ib premier la parole fut le Faqīh el qāḍī Abū ‘Abd Allah [el-Kaççār], qui élail venu de Murrākuš avec le sultan :

« Lorsque, reprit-il, l’Apôtre mourut et fut accueilli dans la satisfaction divine, le peuple s’accorda à reconnaītre le ḵalifat d’Abū Hekr le Véridique et à lut rendre hommage, et so prépara à procéder aux funérailles de l’Apôtre. Faisons de même ! Le sultan Ahmed est mort, et voici son fils, qui est le plus digne de la royauté, car son père l’avait da son vivant désigné comme chef et esl mort dans ses bras ! ».

Alors le peuple donna son assentiment et lui prêta serment de fidélité.

La permanence est réservée à Allah l’unique, le dominateur ! La mort d’Ahmed eut lieu à la mi-rebi’ I 1012 ( 25 aūt 1603); il fut enterré à Fās Ğadīd et transporté à Murrākuš au bout de quelque temps.

Règne de Mawlay Zaydān

(23 v°) Ce prince, au teint jaunātre et fils d’une femme libre, avait exercé la lieulenance du vivant de son père et fut reconnu après la mort de celui-ci ; il était brave, audacieux el prenait part personnellement aux combats. Une fois investi du pouvoir, il fit des distributions d’argent et marcha sur Murrākuš contre son frère Abū Fāris, pour lui reprendre la part de moitié des biens considérables que leur père leur avait laissés à l’un el à 1’aulre. Le refus qui lui fut opposé fit surgir entre eux de nombreuses discussions qui aboutirent à la guerre, postérieurement au partage do territoires dont ils étaient convenus, savoir, de Tādla à Tàza pour Zaydān, el de Tādla au Sūs pour Abū Fāris à Murrākuš, étant entendu que le Dr’a dépendait de Murrākuš, et Siğilmāssa de Fās . Ils avaient accepté cet arrangement, mais se querellèrent à raison t3’….

(3) Il y a ici une lacune a peine indiquée dans le ms. et certainement plus importante que ce que comporte l’aspect extérieur, qui est celui-ci : g-*j^ Ils envoyèrent à raison du meurtre du gardien un présent à Ech-Šayḵ, qui so mit alors à combiner des ruses destinées, pour répondre aux intentions des chrétiens, à perdre En-Naksīs.

Il vendit ainsi ses frères en vue d’avantages temporels. Sans étendre plus longuement cet exposé JU», nous dirons que les captifs musulmans qui s’étaient enfuis de Tanger furent refoulés dans cette ville et chez les chrétiens par Aš-Šayḵ et ses noirs. Il se mit ensuite à donner les territoires vacants aux mokaddemstt) pour les mettre en culture après qu’ils se furent arrangés avec les chrétiens ; puis il fil des dons aux Awlād Abū ‘l-IJf el aux Awlād IJoseyn. II so mita exciter les mokaddems les uns contre les attires cl à soulever la discorde parmi eux par ses détestables discours, si bien que des luttes sanglantes éclatèrent, qu’il y eut de grands troubles et que les tenants de la guerre sainte perdirent plusieurs de leurs héros, lui ne s’arrôlant pas dans ses excitations : la mort frappa le mokaddem Ahmed b. ‘Ali, le hāfiz Ibn ‘Abd es-Selflm et les Awlād tjoseynoù (sic). Sans en dire davanlago sur sa perfidie à l’égard des musulmans, cela aboutit, grāce à sa mauvaise conduite, à la ruine de ces régions. La résolution de combattre ceux qui traitaient avec les chrétiens dans les districts du Fahṣ fut alors prise par des guerriers se livrant à la guerre sainte’*), ce qui vit le jour quand les mokaddems et toute la population se furent rendu compte do sa perfidie : parmi eux figuraient lo muqaddam Muḥammad cç-Çaghfr Abū ‘l-Ltf et le mokaddem Ahmed en-Naksīs’ 1) commandant à Teluan périrent également Abū Dobeyr • et ses frères ; les biens des victimes furent mis au pillage. Ce massacreest du mardi 26 reğeb 1022 (Il sept. 1613) M. Pendant cinq jours et cinq nuits, le cadavre du prince resta à l’abandon à Fedğ el-Faras ; il avait une tournure de chrétien (?), et le peuple venait le regarder.

Quand(*> il s’était installé à Fedğ el-Faras el qu’il y eut séjourné assez longtemps, il envoya à EI-‘Arā’ich ses qā’ids El-Gerni et Mançūr b. Yahya, qui occupèrent les bastions el ordonnèrent aux habitants d’évacuer la ville. Ceux-ci commencèrent par faire partir les femmes et les enfants, puis retournèrent pour emporter une partie do leurs biens.

Les gens faisaient leurs adieux à leurs enfants et à leurs ancêtres défunts, en répandant des larmes sur leurs lombes, tandis que les chrétiens urinaient dessus et organisaient des réjouissances.

Tout cela, du temps d’Ech-Šayḵ, se passait malin et soir à EI-‘Arā’ich, Tanger et Ceula. Les serviteurs d’Aš-Šayḵ allaient à Tanger faire la louange des infidèles en les félicitant de l’occupation d’EI’AraYich. Ce fui pour les musulmans une grande humiliation que cette entrée sans combat des chrétiens à El-* Arā’ich, [ 24] ce qui eut lieu le samedi 3 ramadan 1019 (24/11/1610), 5) par le fail d’Ech-Šayḵ, veuille Dieu doubler son chātiment pour cela ! Par la livraison d’EI-‘Arā’ich aux chrétiens il mit le sceau à ses méfaits, de méme que par sa traītrise à l’égard des Andalous qui étaient en pays chrétien: leur chef lui fit savoir que le plus grand nombre étaient enrôlés et bien préparés, qu’ils formaient une nombreuse troupo d’environ huit mille hommes dont la plupart, se reposant sur lui, se soulèveraient contre les infidèles, dans la croyance où ils étaient que, en sa qualité de musulman, il viendrait en aide à ses frères en religion. Or il révéla leur projet secret au prince chrétien, qui voulait en brūler un certain nombre; il intervint cependant en raison des liens d’amitié qu’il avait avec l’infidèle et convint avec celui-ci qu’ils seraient expulsés, ce qui eut lieu en effet ; cette dispersion dans lo levant el le couchant se fit au commencement de 1018 (6 avril 1609) IW. Nous n’en dirons pas plus sur tout cela.

Revenons-en à nolro premier récit M. Quand les troupes retournèrent, elles trouvèrent les gens de Murrākuš semblables à des sauterelles épandues (partout), de sorte que les gens du Gharb, effrayés de la multitude qu’ils voyaient, reculèrent et tinrent conseil avec le sultan. Lo chef el conseiller des gens de Fās était alors le qā’id Ahmed b. Ğūdi, ainsi que le qā’id Ahmed b. Sa’Id : la revue à laquelle ils firent procéder donna le chiffre de cinq mille hommes el, pour les cavaliers, de deux mille quatre cents, c’est-à-dire un total de sept millo cl quelques, alors que ceux de Murrākuš approchaient de quarante mille. Puis survint le pacha amenant d’autres forces tirées des régions de Der’a et de Ilāha. L’avis d’Ibn Ğūdi fut que les gens du Maġrib attaquassent au premier choc la populace de Murrākuš, parce qu’ils étaient au centre des troupes qui les encadraient à droite et à gauche. C’est ce qui fut arrêté, et le lendemain les gens du Maġrib se criaient les uns aux autres :

« Voyez ce que vous avez fail à ceux de Murrākuš au Wādi Ttfelfelt I Si vous reculez, vous êtes morts el nul d’entre vous n’échappera ; conduisez-vous en hommes, el vous aurez lo

dessus sur vos ennemis ! » La mêlée s’engagea et ils fondirent, sabre en main, sur le groupe constitué par la populace de Merrākech ; ceux-ci résistèrent h l’attaque et, plaçant leurs mousquets sur (l’épaule) gauche, dégainèrent avant do tirer, puis ils s’enfuirent devant leurs adversaires, qui enveloppèrent tous ceux des combattants 1’» qui avaient résisté avec le chof des kçoùr, si bien qu’après la déroute il péril deux mille quatre cents des gens de Murrākuš. Le sultan aussi prit la fuite et gagna la montagne ; mais la cavalerie des Maghrébins le pour suivit el pilla ses bagages.

Mawlay *Abd Allah pénétra à Murrākuš et y pratiqua encore plus d’actes de violence el d’injustice que la première fois, à ce point que ses fonctionnaires hokkām lorsqu’ils y arrivèrentil, massacraient tous ceux qui, tenant de près ou de loin à l’administration, leur passaient sous les yeux. Les habitants de cette ville commencèrent alors à s’enfuir dans la montagne de Gilīz, où se réunirent les gens ayant le sentiment de l’honneur el proclamèrent Mawlay Muḥammad , qui élail chérif il, et qu’appelèrent à eux les gens de Murrākuš. Celui-ci s’élant présenté à la porte de la ville eut à combattre Mawlay ‘Abd Allah, dont les troupes mises en déroule l’abandonnèrent, et qui dut se retirer vers Fās accompagné dans sa retraite par ceux de ses partisans qui étaient restés dans le camp. Quant à ceux qui avaient tourné le dos (24 V] au début du combat, ils allèrent, après s’élre reformés, trouver Mawlay Muḥammad, qui leur pardonna, et ils le précédèrent lors de son entrée dans la kaçba et à Murrākuš. Ils étaient environ quinze cents, à qui il accorda considération et faveur, et attribua la solde.

Alors les gens de Murrākuš les reprirent en dégūt, et la jalousie qui divisait les uns et les autres se manifesta. Une lettre d’appel fut adressée à Mawlay Zaydān, qui s’avança vers la ville : Mawlay Muḥammad en sortit pour combattre son cousin, niais fut défait. De nouveau les gens de Fās se regroupèrent et se rendirent auprès de Zaydān, qui leur pardonna.

Ils marchèrent avec lui contre les tribus i1), ce qui fit qu’il leur accorda de la considération, reconnut leur droit, leur attribua la solde el s’avança dans la direction de Fās . Mawlay ‘Abd Allah marcha contre lui et lui livra bataille à Ro’ūs ech-Chi’ābt**! mais fut mis en déroute, et Zaydān fit son entrée à Fās , dont il se rendit maītre. Quant à Mawlay ech-Šayḵ, il s’enfuit d’El-‘Arā’ich pour passer en pays chrétien, tandis qu>4Abd Allah s’enfuyait avec son oncle [Abū] Fāris à Dār Ibn Mochghil t3», car l’un et l’autre s’étaient rencontrés à El-Arà’ich avant l’embarquement d’Aš-Šayḵ pour le pays chrétien.

Après qu’il se fut installé à Dār Ibn Mochghil el que, par suite du groupement des chefs arabes ainsi que de la tribu des Zaydān autour de lui, ses forces se furent bien accrues, il reçut un appel des gens du Maġrib ; (d’autre part] Zaydān partit**) pour Murrākuš, en laissant à Fās son pacha 15) avec quelques troupes. Quant il se fut éloigné de Fās , ‘Abd Allah se mil en mouvement et, descendant de Dār Ibn Mochghil, marcha sur celte ville ; il se heurta, à Koudyat el-Meḵāli, au pacha, qu’il battit et décapita, et pénétra à Fās de compagnie avec Abū Fāris son oncle ; mais au bout de peu de jours il mit celui-ci à morU6>.

Quant à (Ech-Šayḵ) l’homme d’EI-Wrà’ich, après s’être installé en pays chrétien et s’être abouché avec les chefs infidèles, il s’engagea à leur vendre El-*Arā’ich et leur remit a litre d’otages quatre de ses fils, noirs pourceaux m ; il fut convenu qu’il recevrait l’équipement et les approvisionnements nécessaires. Quand il informa le roi chrétien de l’occupation de Fās par son fils el son frère et de la mort du pacha, il demanda [et obtint) de s’embarquer et d’attaquer Teluan. A son arrivée devant celle ville, il écrivit à Eu-Naksts, c’est-à-dire au mokad- dem Ahmed, mais celui-ci lui répondit en termes grossiers et l’empêcha de mettre son plan à exécution »*>. Il se relira alors de devant celte ville et se rendit à Bādis auprès du qā’id Muḥammad b. Yahya A’arrāçi’J. Son fils au reçu de cette nouvelle prononça des injures contre lui et se fit proclamer souverain.

Quand les gens de désordre (*) apprirent la venue du fauteur des désordres, ils abandonnèrent son. fils ‘Abd Allah, et de nombreux groupes provenant de l’armée vinrent le rejoindre dans les montagnes du RIf. Il fit alors parvenir de l’argent à son fils avec l’autorisation de se rendre à Murrākuš. Celui-ci leva une faible colonne et s’avança du côté de son oncle Zaydān, que s’était porté aux confins du Gharb. La rencontre qui eut Heu entre eux aboutit à la défaite d* ‘Abd Allah, qui s’enfonça dans le pays des Çanhāğa et autour de qui se groupa la tribu des Zaydān. Zaydān continua de rester auprès de Fās jusqu’à ce que, à la suite d’un message des Benū lïasan el des Benū Malek, il allāt camper à Asà’is. Le choc qui se produisit alors entre les deux partis aboutit à une double défaite : Zaydān mit en déroute les Arabes et les bandes qu’il avait devant lui, de même qu’ ‘Abd Allah mit en déroute ceux qui lui faisaient face, tandis que le camp de chacun d’eux étail mis au pillage, (25) de sorte que le soir l’un et l’autre étaient en déroute. Zaydān était au matin devant la porte de Fās en compagnie d’une faible troupe, el le lendemain les habitants se tenaient prêts à se porter à sa rencontre, mais ses soldais se mirent à les massacrer et piller. Il resta là pendant huit jours, mais alors de nombreux soldats groupés autour d’ ‘Abd Allah marchèrent contre lui, et il fut défait dans le combat qu’il leur livra à Dār el-Beydā. Des 500 Andalous environ qu’il avait avec lui la plupart périrent et furent dépouillés tt) ; puis les partisans d’ ‘Abd Allah entrèrent (dans la ville] et s’emparèrent d’eux n’importe où.

Quant à Zaydān, il s’échappa par les sentiers de la montagnede Tefāt, chez les Azghār, et gagna Murrākuš.

Après que celle défaite de Zaydān eut débarrassé le Gharb, Aš-Šayḵ se mit en mouvement et alla camper devant Tetuan.

Les gens du Fahç se joignirent à lui grāce à El-Ğo’eydi en qui ils avaient confiance, et qu’Ech-Šayḵ, après lui avoir envoyé des messagers porteurs de sommes d’argent, avait adressé aux gens du Fahç. El-Ğo’eydi, qui élait un fourbe, leur permit de lui obéir, en ajoutant : t II est fatal que ses drapeaux flottent sur l’Égypto et que son règne dure quarante ans ». Ce fut ainsi que ces populations passèrent à Ech-Šayḵ et lui donnèrent leur obéissance et leurs services, qu’il paya largement. U annonça alors la paix avec les chrétiens pour une période de 40 ans, et grāce aux intrigues qu’il dirigea contre le mokaddem Ahmed en-Naksts, celui-ci, forcé de fuir de Teluan, se mit à l’abri dans la zāwiya de Sldi Ahmed Filāli chez les Benū Sa’Id ; une quarantaine de tenants du ğihād se groupèrent autour de lui, et Dieu lui garda la vie, bien qu’Aš-Šayḵ eūt mis sa tête à un très haut prix. Ce fut un oflīoier de ce dernier, Ha m mou Bou Dobeyratë), qui administra alors Teluan ; il mit à mort, pour répondre aux intentions des chrétiens, Mourād Borluguis, qui était un Turc habitant celte ville, et à qui appartenait une frégate ramenant chaque mois quatre et cinq prises. Sans insister davantage sur ces agissements et sur ce qui arriva, cela finit par le don de fortes sommes (aux habitants d’El-‘Arā’ich ] pour les forcer īi l’évacuation, ce qui se fil par l’intermédiaire du qā’id El-Gerni, veuille Dieu ne pas alléger leur chātiment!

Six jours après l’inhumation à Teluan de cet injuste renégat, son fils ‘Abd Allah fut informé de l’événement et le fit annoncer à Fās ; mais il ne fut, après la mort de son père, suivi que par ses intimes, et celte ville s’était déjà soulevée contre lui sous la direction du chértf Soleymftn.

Comme ‘Abd Allah était très favorablement disposé pour les gens du Gharb, qui étaient ses appuis, qu’il leur donnait en assignation les jardins situés à Zouāgha et en livrait (aussi] aux Melālegha <2>, il arrivait que quelque habitant de Fās s’en allant à son jardin y trouvait quelque Arabe qui y avait dressé sa tente et lui disait : « Sors d’ici, car le Sultan m’a donné celte terre 1 ». Son préfet, hdkim, arrêtait les gens qui n’avaient commis aucun délit et qui ( pour se libérer] donnaient la moitié (de leurs biens], et il remettait ainsi chaque jour au sultan dix mille (ūkiya] et davantage ; de même, les fonctionnaires de son entourage entraient dans les maisons, y recensaient le mobilier el l’enlevaient contre tout droit ; son qā’id Māmi el-‘Ilğ procédait à des rafles.de gens dont chacun devait ensuite payer la somme qui lui élait réclamée. Les Zaydān W jouissaient aussi auprès do lui d’une grande puissance, si bien qu’il leur laissait [25 v*] taxer les maisons dans les divers quartiers.et m e ils les occupaient avec son consentement par suite des assignations qu’il leur délivrait. Les gens terrorisés se tenaient chez eux et dans les mosquées, tandis que les Zaydān et les Tlemceniens qui étaient à son service se livraient de jour etde nuit au pillage, si bien que l’on n’osait plus assister dans les mosquées à la prière du Maġrib et qu’on se mit à porter des vêlements sordides et usés. Et que d’autres choses encore à dire sur l’excessive injustice dénotée par les actes d*’Abd Allah, de son père et de leurs partisans. Dieu ne néglige rien et rien ne lui échappe !

Histoire du gouvernement des provinces succédant à Cinjustice des ḵalifes

C’est dans les derniers jours do rebt’ i 1020 (vers le tO juin1611) qu’eut lieu le soulèvement contre ‘Abd Allah b. ech-Šayḵ par le fail du chértf Soleymān et du faqih BhMerbū’» ;

à Miknāsa se souleva le chértf Amghàr, el à Teluan le mokaddem Ahmed en-Xaksts. Alors les Šayḵs des Arabes se rassemblèrent et vinrent à Fās , où ils trailèrent avec les chefs de la ville el s’engagèrent mutuellement par serment à traiter en ennemis les Šrāga, alors que ceux-ci étaient sortis de la ville, avaient eu leurs biens pillés et perdu nombre des leurs tombés au Bābel-Ğtsa et à El-ḵemist3). Ce dernier lieu fut débarrassé d’eux après un violent combat ou il en tomba beaucoup, et leurs demeures furent pillées. Ils s’étaient établis à Fās Ğedtd, et sous la protection du sultan, ils poursuivirent longtemps leurs excès diurnes et nocturnes. La tribu finit par se retirer sur le Sebū, el eut des combats avec les Zaydān. Alors les hommes sortirent vers eux. Avec les gens de Fās , dont le qā’id Ya’kūb b. Sa’ld s’appuyait sur le sultan, il y avait certains Arabes, les Awlād ‘Isa, les Melftlegha et une portion des Benū Hasan.

Le résultat du combat qui s’engagea fui la défaite des gens de Fās , dont il périt environ 500, et leur insuccès réjouit le sultan. Ils [les vainqueurs) passèrent la nuit dans la croyance que le lendemain ils entreraient dans la ville ; mats Dieu déçut leurs efforts, et quand à l’aurore ils s’avancèrent, ils trouvèrent les habitants bien préparés… [blanc d’une ligne el un tiers].,.

 

[…]

 

l’injustice, la violence et l’irrésolution **». Aussi Dieu le chātia t-il dans son pouvoir temporel en donnant la suprématie à l’agitateur du Sahara, Es-Sld Aferaed b. ‘Abd Allah 12). De nombreuses bandes se réunirent autour de celui-ci, qui était un homme versé dans les sciences occultes et sur les troupes de qui le feu et les balles restaient sans action. II s’avança vers Murrākuš, battit Mawlay Zaydān, qui voulut l’arrêter, entra dans celte ville et, ayant pénétré dans le Bedi’, où il s’empara des trésors royaux, se fit proclamer souverain. Il exerça le pouvoir, pacifia le pays el entama contre Zaydān une lutte qui ne s’arrêtait ni jour ni nuil, si bien qu’il eut avec lui douze engagements et resta vainqueur.

Ses débuis remontaient à la prise d’EI-‘Arā’ich, alors que, revendiquant l’autorité et proclamant la guerre sainte, il voulut marcher sur celte ville; mais comme il se mit à sa poursuite avec des troupes, il se détourna vers Murrākuš dans le but [26] de puiser dans cette conquête des forces nouvelles pour la guerre sainte. Mais alors se poursuivit assez longtemps sa lutte avec Zaydān, qui finit par aller trouver dans le Sūs le marabout Yaḥya(Abū Mahalli), dont la parole était écoutée el les ordres exécutés ; la demande de secours qu’il lui adressa fut accueillie, et alors ce prince, revenant du Sūs avec des forces qu’on eût prises pour un essaim de sauterelles, recommença la guerre contre Ibn ‘Abd Allah. Celui-ci, qui prenait personnellement part aux engagements, fut dans un combat environné par quelques partisans de Yahya, qui le tuèrent, et Yahya, entrant à Murrākuš, fit suspendre à la porte du palais la tête d’Ahmed b. ‘Abd Allah, ce qui eut lieu en 1022 (21 février 1613).

Yahya écrivit alors au sultan de venir, au reçu de sa lettre, à Murrākuš pour en occuper le palais, mais il essuya un refus :

« Si, dit le sultan, tu es fidèle à ta parole, retourne chez toi, et moi je ferai ce que je voudrai, soit que je revienne, soit que, me mettant à l’administration du pays, je reste ici ».

Au reçu de cette réponse, et en voyant que ses bandes chargées de bulin étaient rentrées dans leurs montagnes du Sūs, Yahya traita en personne chérie t 1) la faible troupe qui étail restée à ses côtés et la ramena dans le Sūs. Zaydān fit alors son entrée à Murrākuš.

Il trouva les habitants de Salā venus de chez eux el réclamant pour leur pays de l’aide contre les ennemis infidèles qui avaient pénétré dans la passe de la ville, où ils bātissaient et sonnaient les cloches : Salā en effet reconnaissait Zaydān et lui obéissait.

Il leur fit de mensongères promesses de secours jusqu’au jour où il reçut du Chrétien un cadeau important provenant d’El-Briğa, el alors les Slāwā comprirent qu’il faisait argent du droit du payst 3) tout comme avait fail son frère Aš-Šayḵ à EI-‘Arā ich. Ils rentrèrent par suite chez eux, s’équipèrent et firent bonne garde autour de leurs murailles. Le nombre des chrétiens s’accroissait dans la passe, si bien qu’ils se rendirent maītres du fourré et qu’ils enlevaient les musulmans qui se gardaient mal ; les Arabes renoncèrent à s’installer dans le fourré, et cela dura jusqu’à ce que Muḥammad [b. Ahmed] el-‘Ayyāchi ramenāt le calme dans le pays en traquant les ennemis jour et nuit. Quant à Mawlay Zaydān, le manque d’énergie ne lo quitta qu’avec la vie.

Après lui régna Mawlay ‘Abd el-Mālik [b. Zaydān), qui se montra injuste et violent à l’égard du peuple. Son manque de religion élait tel qu’il envoya aux femmes des gens de Merrākech ses serviteurs et les notables pour que tout ce monde se rendit, à l’occasion de la naissance d’un de ses fils, au palais, et ils ‘étaient dans le Bedl* mêlés les uns aux autres, pendant qu’il les regardait du haut du minaret W. H s’adonnait au vin, el il étail ivre quand il tomba sous les coups des renégats.

Après lui régna son frère El-Welid [b. Zaydān ], qui faisait l’homme de bien et s’attira la satisfaction de son entourage et de la masse ; il élail grand amateur de musique, et il tomba aussi sous les coups des renégats qui complotèrent contre lui*2′.

Il fut remplacé par le plus jeune de ses frères, Mawlay Muḥammad aš-Šayḵ [el-Açghar], avec qui finit la dynastie des Šurfā. El-Walīd avait mis fin à leur race et avait enterré une quinzaine de Šurfā, tant adultes qu’enfants, d’entre ses frères, cousins el neveux.

[26 v?] Gouvernement des provinces (sic)

A Fās l’autorité fut exercée par le šarīf Sulaymān, à qui le Faqīh El-Merbū* donnait son appui, el qui furent suivis par les hommes de tous les quartiers ; ce fut une période de répression qui fut gūtée de la masse. Il rechercha les Zaydān parmi la population de Fās, et Serhān el-tfayyāni l5> s’élant emparé d’eux, il livra au bourreau quatre de leurs qā’ids à la fin de sa période de pouvoir. Ses ordres faisaient loi.

Ensuite il succomba sous une trattreuse attaque du Faqīh El-Merbū’, qu’aidait le chérlf Es-Seyyid es-Semmft*. Contre euxse dressa l’insurrection d’Ahmed ‘Omeyra (*), lequel la suscita pour Mawlay ‘Abd Allah. Ce dernier, après avoir tué le Faqīh El-Merbū’, le chértf Es-Semmā’ et d’aulres de ceux qui luttaient contre lui, détint l’autorité pendant une seule année, au bout de laquelle son frère, parti de la région d’EI-Kaçr, se rendit matlre de Fās et imposa des contributions aux habitants.

Il fil du côté de Miknāsa une expédition où il échoua U), et revint à Fās , qui se souleva de nouveau contre lui sous la direction de Muḥammad b. Soleymān Lamfi et d”Ali ben ‘Abd cr-Rahmān t2). Alors survint la mort de Mawlay ‘Abd Allah, ainsi qu’il a été dit plus haut.

Ensuite Ibn Soleymān ayant péri [de mort violente, son cadavre] fut suspendu au nouveau bastion burğ ğadīd, puis descendu par les Lamti. Le Šayḵ Ahmed b. el-Achhab exerça le pouvoir de concert avec ‘Ali b. ‘Abd er-Rahmān ; la mésintelligence s’élanl mise entre eux, il y eut un violent combat qui aboutit à ce que le premier sortit de Fās , ce qui se fil du vivant de Mawlay ‘Abd Allah ; il mourut à Fās Ğadīd.

L’autorité passa ensuite aux mains d’EI-IJādğ ‘Ali Sūsān Andalosi, sur la désignation qu’en fil son Šayḵ le savant et célèbre wali connaisseur de Dieu, Stdt ‘Abd cr-Rahmān ben Muḥammad el-Fāsi ; puis aux mains d’Ibn el-‘Arabi. Toute celle période, qui dura dix mois, ne vit que des maux cl des troubles jusqu’au moment où la verdure prīntanière reparut à ‘Ayn ‘Allūn ? (3> : les combats ne cessaient point, la main des hommes s’acharnait à tout ruiner par la dévastation et l’incendie ; ce fut un temps d’épreuves, de destruction, d’oppression et do mépris des lois. D’autres encore exercèrent le pouvoir : le Šayḵ Er-Rakkā, ‘Abd er-Rahmān el-Lāirīni, Yczdūr, ‘Omcyr, Mas’ūd b. ‘Abd Allah ; el encore le Šayḵ Ahmed b. el- Achhab du temps d’EI-‘Ayyāchi, ainsi que du temps des gens de la zftwiya. Ce fui une période d’émeutes et de grands maux, à ce point que les marchés furent incendiés et que pendant de nombreux mois la prière ne fut pas dite dans la mosquée d’EIKarawiyyin ; ce fut le règne de l’iniquité, el ce que nous en avons dit ou indiqué n’est qu’approximatif. La permanence appartient à Dieu, unique el dominateur, « el les injustes sauront quel traitement ils auront à subir » (Koran, xxvt, 228).

Événements survenus du temps des Šurfā

Le règne de Mawlay Muḥammad aš-Šayḵ fut une période de calme, de paix et de bon marché, à ce point que le blé se vendait à ¼ de dinar le tcask, et à cette époque l’armée et le peuple réalisèrent des bénéfices ; mais la vente qu’il fit de Bādis aux chrétiens fut un acte funeste, de même que sa trahison à l’égard de Mawlay Muḥammad ben ‘Abd el-Kādir ; de même encore sa violation de l’engagement qu’il avait pris vis-à-vis des musulmans d’Espagne quand, après leur avoir dit de se soulever, il les abandonna, ce qui leur attira de la pari des chrétiens des persécutions, des confiscations, le refoulement <2> et la mainmise sur le pays, l’ordre de se convertir, la destruction de leurs livres par le feu, etc. II mourut en état d’ivresse.

Il eut pour successeur son fils Mawlay Muḥammad , dont le règne fut une période de troubles, de famine el de guerres ; il pénétra dans le pays des chrétiens et les fil sortir! 3) ; il eut des démêlés avec Mawlay ‘Abd el-Malik. II régna dans le Maġrib pendant trente mois, qui ne furent que désordres et combats.

Le règne de Mawlay ‘Abd el-Malik fut l’inverse du précédent en ce qui concerne les troubles et le désordre. Ce prince eut avec les chrétiens une rencontre où, grāce à lui et à son habileté, les musulmans eurent le dessus. Ses actes el son zèle lui valurent la reconnaissance du pays. Il mourut en 986/1578).

Son frère el successeur Mawlay Ahmed, qui gouverna bien ; il aval! autant d’énergie dans son administration que de laisser aller et de négligence pour la guerre sainte. De son temps, (1) après la défaite des chrétiens W, le blé se vendait 40 ūkiya. Après lui (sic) arriva l’année de Koheyha (toussotement) ft, où les gens, après avoir souffert de la toux trois ou quatre jours, mouraient ; la mortalité fut considérable. Ensuite eut lieu, contre lui et contre son fils, le soulèvement d’Ech-Šayḵ en-Nāçir, fils de son frère, qui sortit de Melilla et revendiqua la souveraineté. Il élait sans argent, agita le Maġrib contre eux et les tribus lui adressèrent un appel.

Mawlay aš-Šayḵ l’attaqua à Tàferāta à l’ouest de la Molouya ; mais les soldats des Šrāga se révoltant tournèrent contre lui leurs pensées et leur énergie et se joignirent à En-Nāçir.

Mawlay aš-Šayḵ prit la fuite, gagna Fās , et à l’aide de distributions d’argent reconstitua un corps d’armée en peu de jours.

En-Nāçir marcha contre lui et fut mis en déroute dans le combat qui s’engagea vis-à-vis de Fās sur la montagne de Zāligh ‘3>

1200 Zaydān tombèrent el leurs têtes servirent à élever un fortin borğb) vis-à-vis la porte d’Es-Seba’, et cela… f».

En 1004 (G sept. 1595) la peste sévil dans le Maġrib à un tel point qu’on sortait quotidiennement de Fās un millier de morts. Après avoir cessé elle recommença, et à Murrākuš on emportait quotidiennement deux mille morts.

En 1007 (4 aūt 1598) un éléphant femelle» 6) fut amené du Soudan à Fās . En 1009 (13 juillet 1600) une forte inondation détruisit les maisons, les marchés et les ponts ; l’eau arriva jusqu’à la porte dite Bāb el-Berda’iyyīntff.

A la suite de la mort de Mawlay Ahmed, survenue en 1012 ( 11 juin 1603) et dans la période voisine de cette date, tous les maux restés éloignés s’approchèrent, tout le bien qui s’était avancé battit en retraite, la guerre civile alluma de nombreux foyers dont l’extinction élait peu facile, si bien que le moudd de blé se vendit 3 ūkiya en 1014 (19 mai 1605), que la faim fit d’innombrables victimes, que les troupes de Fās et de Merrākech furent anéanties par les émeutes et les combats mortels.

En 1017 (17 avril 1608) eut lieu le mouvement des Arabes d’Espagne.

En 1018 (6 avril 1609) les actes d’injustice sévirent sur les sujets de la capitale et des campagnes.

En 1019 (26 mars 1610) EI-‘Arā’ich fut prise sans combat £>.

En 1020 (16 mars 1611) se souleva le chérlf Soleymān, qui entraīna les sujets à sa suite. Les combats et le siège qui en résultèrent et que dirigea ‘Abd Allah b. ech-Šayḵ, furent tels que nulle langue ne peut les décrire; (27 v°J le dénūment fut tel qu’il en vint à fondre les bouches à feu li-il pour les transformer en monnaie de cuivre.

En 1022 (21 février 1613) survint la mort d’Aš-Šayḵ l’ennemi des musulmans et l’ami des chrétiens. La cherté fut excessive et la disette sévit, le moudd de blé se vendit 5 ūkiya, ce dont Dieu nous garde ! et nombre de gens moururent.

En 1033 (25 octobre 1623) mourut l’injuste ‘Abd Allah ben ech-Šayḵ, à qui succéda son frère ‘Abd el-Malikl, qui élait d’intelligence courte et jeune d’āge ; les Arabes et les malandrins se précipitaient à l’envi contre lui, les troubles ravageaient la ville, les ruines el les destructions étaient telles qu’on ne peut les décrire, n ce point qu’il arrivait que, un homme étant installé dans sa demeure, les malandrins y pénétraient, l’en expulsaient et s’emparaient de ce qu’il possédait ; il donnait môme un tribut et des vivres pour qu’ils ne la démolissent pas et en respectassent les poutres. Les habitants d’un quartier lançaient des incursions contré l’autre et ven- daient le buli n <‘)[… M/ntc] consistant en montures, etc.; les habitants du quartier (sic) expédilionnaient contre ceux du Bāb Gīsa et réciproquement, et vendaient de même leur bulin ; le pèlerinage élait arrêté, des barrages installés dans les rues ne permettaient aux femmes el aux enfants de passer que contre péage, l’eau provenant du littoral’ 2» était interceptée. Nous abrégeons cet exposé approximatif des actes d’injustice el de désordre qui eurent lieu alors.

L’émir et sultan Mawlay Ahmed ed-Dhehebi (l’aurique) élait fils de Mawlay Muḥammad aš-Šayḵ b. Mawlay Muḥammad Amghār aš-Šarīf, b. ‘Abd er-Rahmān ; il avait pour mère la concubine Kā’ūda, qui avait elle-même pour père ??? le chérlf Amghār, parti de l’Orient dans la direction de Sūs du Maġrib, s’arrêta dans celte dernière région, où il se fixa et s’attira le respect des habitants, qui finirent par le mettre à leur tête et dont il devint l’émir pendant les trente-trois mois qui précédèrent sa mort.

Il laissa trois fils, Mawlay Ahmed el-A’reğ, qui étail l’aīné, Mawlay Muḥammad (*> aš-Šayḵ el Mawlay ‘Abd Allah. De Mawlay Muḥammad aš-Šayḵ naquirent Mawlay ‘Abd el-Malik et Mawlay Ahmed ed-Dhehebi précité. Mawlay ‘Abd Allah eut de nombreux fils, parmi lesquels Mawlay Muḥammad et Mawlay Nāçir.

Quant à Mawlay Ahmed el-A’reğ, il devint émir de la Hamra’ de Murrākuš <5> après son père Amghār le chértf ; mais des calomniateurs semèrent la discorde entre lui et son frère.

(3) Mas’ūda bent Abū ‘l-Abbās Ahmed b. ‘Abd Allah Uzġi Warzazāti,

Muḥammad aš-Šayḵ en le dénonçant auprès de celui-ci comme aspirant à la royauté, ce qui provoqua entre eux une guerre où Muḥammad s’empara d’Ahmed, qui resta emprisonné jusqu’à sa mort. Mawlay Mehammed resta de la sorte sultan (28] jusqu’à la fin de ses jours.

Il eut pour successeur son frère Mawlay ‘Abd Allah, dont le règne de 17 ans fut une heureuse période pour les habitants du Maġrib. Il relégua les fils de son frère aux extrémités du royaume.

Son fils Mawlay Muḥammad , qui lui succéda, ayant régné un an el neuf mois, Mawlay ‘Abd el-Malik et Ahmed ed-Dhehebi s’irritèrent I 1) et se rendirent auprès du Prince des croyants’ 2) ottoman, régnant à Constantinople, et ‘Abd el-Malik sollicita son concours militaire pour conquérir Merrākech, ce qu’il obtint, el il pul ainsi battre son cousin <3> Mawlay Muḥammad b. Mawlay ‘Abd Allah, qui s’enfuit chez les chrétiens!4). ‘Abd el-Malik exerça alors le sultanat à Murrākuš pendant un an et neuf mois et échangea les coutumes de ses prédécesseurs (*! contre celles des Turcs. Mais Mawlay Mohammed b. ‘Abd Allah demanda au roi chrétien son secours militaire contre ‘Abd el-Malik, el l’infidèle y consentit en mettant son fils à la tête de l’armée de secours. ‘Abd el-Malik prit de son côté des dispositions militaires, et le choc des deux armées aboutit, par la volonté divine, à la mort des Irois chefs, c’est-à-dire de Muḥammad , d’ ‘Abd el-Malik et du fils du prince chrétien t6). Les deux parties continuèrent la bataille sans que fūt connue la mort d’ ‘Abd el-Malik, que son général Mohammed Tā’i’ ne révéla à qui que ce fūl : il se rendait à la tente où élail déposé le corps, feignait une conversation et retournait dire aux guerriers : « Le sultan vous salue el est d’avis que vous fassiez telle el telle chose », ce qui dura jusqu’à la défaite cl à la retraite des chrétiens. Quand sa mort fut révélée, Mawlay Ahmed ed-Dhehebi s’enfuit par crainte des Turcs, et ceux-ci voulurent introniser Mawlay Ismā’ll b. ‘Abd el-Malik; mais les habitants de Murrākuš ne voulurent accepter personne autre que Mawlay Ahmed, dont ils firent leur émir.

Celui-ci commença par envoyer à la mort les principaux ofilciers de son frère, les qā’ids Ed-Doghāli l*>, ItioVān, Ğa’far el ‘Ali ; il respecta cependant le qā’id Ğawder ainsi que Muḥammad Tā’i’ ; mais il Ie< 2′ tint pendant douze ans séquestré dans une propriété lui appartenant el où il jouissait de toutes les aises de la vie ; après quoi ce prince lui rendit la liberté el l’envoya comme pacha au Soudan.

Mawlay Ahmed resta sultan pendant 27 ans el demi, où se montrèrent le plaisant el le rare produits par la pénétration d’esprit et la connaissance de toutes choses, les desseins élevés, le bonheur dans les affaires, la complaisance du destin, à ce point qu’on a dit que, quand il songeait à quelque affaire, celle-ci se présentait à lui dans de meilleures conditions que ce qu’il avail voulu et cherché.

Il fut le premier à envoyer vers le Soudan des colonnes qui, conduites par le qā’id Ğawder, en firent la conquête. Après la mort de ce prince, qui date des commencements de 1012 (11 juin 1603), les choses rétrogradèrent cl en revinrent à leur misérable étal antérieur. La cause des épreuves qui frappèrent Murrākuš remonte au transfert des Fuqāhā du Soudan, fils de Sld Mahmoud, auprès de Mawlay Ahmed, ce qui sérail long à raconter (Nozhet, pp. 169 et 307). Ils rencontrèrent, rapportc-t-on, des captifs chrétiens employés à divers travaux, et parmi lesquels en élail un dont on n’avait jamais vu le visage épanoui, el qui se mit à rire lors de l’entrée des Fuqāhā, au grand étonnement des assistants. Mawlay Ahmed, jusqu’à qui parvinl le bruit de cet incident, le fil questionner, et il lui fui répondu : « Comment ne me réjouirais-je pas quand ce que nous vous souhaitons se réalise? Nous savons par nos docteurs que la ruine de votre pays aura lieu à l’entrée des hommes voilés, mulāthimīn, et ces gens réunissent bien les caractères sous lesquels ils nous onl élé signalés ».

La première épreuve qui atteignit le sultan fut le soulèvement de Mawlay Nāçir b. Mawlay ‘Abd Allah l*>, du côté de qui se rangèrent tous les gens du Gharb à raison de l’amour qu’ils avaient pour son père. Cela provoqua des craintes très vives chez Mawlay Ahmed, qui se mit en campagne contre lui avec le grand camp (sic) après avoir pardonné aux Fuqāhā el les avoir relāchés. Dieu lui donna la victoire : il tua son adversaire cl il envoya ses parties génitales (sic) au Soudan, dont il avait antérieurement fait la conquête.

Ensuite il fut assailli de multiples soucis de toute nature, si bien que le repentir le prit de ce qu’il avait fail (28 v»J aux docteurs, soudanais. Puis son fils favori et héritier désigné Mawlay aš-Šayḵ so souleva contre lui à Pez ; il équipa lui-même un corps de troupes, se saisit du rebelle elle fit emmener par le pacha Ğawder à Miknāsa pour l’y garder prisonnier.

Ce fui alors à son fils Abū Paris qu’il fit prêter serment de fidélité, ce dont il informa Ğawder retour de Miknāsa. Après quoi, empoisonné par sa femme* 2′ el ayant quitté Fās pour se rendre à la Ijamrā de Murrākuš, il mourut en route à la date précédemment indiquée. Ğawder cacha cet événement au peuple el ne le révéla qu’en arrivant à la ville, où eut Heu l’inhumation.

Cet officier, conformément aux dernières volontés du prince, fit inironiser Abū Fāris. Mais ce fut Zaydān, frère de ce dernier, qui fut reconnu à Fās . el la guerre s’alluma entre eux.

Abū Fāris confia des troupes à Ğawder pour combattre son rival, tandis que Zaydān s’avança en personne à la tête de ses troupes. Quand Ğawder en fut informé, il demanda à Abū Fāris de relācher, dans son intérêt, Aš-Šayḵ pour combattre Zaydān ; sa demande fut agréée, et le prisonnier, ayant été relāché par ses soins, le rejoignit. Mais Abū Fāris adressa ensuite à Ğawder une lettre où l’on trouvait cette phrase : c Après t’être servi de ce glaive, rengafne-lc » ; el Ech-Šayḵ, dans les mains de qui tomba cette lettre avant de parvenir à son destinataire, comprit qu’il était visé par cette allusion. Le choc des deux armées aboutit à la défaite de Mawlay Zaydān, qui s’enfuit au Sūs, tandis qu’Aš-Šayḵ regagna Fās , où il reprit l’exercice du pouvoir M.

Il équipa ensuite une armée qui, commandée par son fils ‘Abd Allah, fut envoyée contre Abū Fāris à Murrākuš. el ce dernier, de nouveau vaincu, se réfugia dans les montagnes. Ce fut alors ‘Abd Allah qui exerça en son propre nom le pouvoir à Murrākuš, mais seulement pendant un an el neuf mois, comme Abū Fāris. Quand l’autorité passa entre ses mains, sa mère se rendit auprès de lui et lui fit mettre à morl les grands chefs qui avaient servi son grand-père Mawlay Ahmed, dans le but d’assurer te calme à son règne ; leur nombre élait de onze, parmi lesquels Ğawder. Il envoya leurs têtes à son père, qui résidait à Fās , et qui, le coeur brisé, regretta le pouvoir..

Abū Fāris, sortant à ce moment des montagnes où il s’était réfugié, se dirigea vers Fās el y demeura avec son frère Ech-Šayḵ. Ce fut alors Zaydān qui manigança l’envoi de troupes, dont il confia le commandement à son cousin paternel Abū Hassūn, contre ‘Abd Allah à Murrākuš ; celui-ci fut défait et s’enfuit auprès de son père à Fās . II tuai 2) son oncle Abū Fāris el eut le dessus sur son père ; il s’enfuit <3> chez les chrétiens et leur vendit El-‘Arā’ich, portion du territoire musulman, qui est encore entre leurs mains actuellement. Il resta chez eux jusqu’à sa mort, tandis que son fils Mawlay ‘Abd Allah continua de résider à Fās et y mourut.

Quant à Abū Ḥassūn, il gouverna en son propre nom Murrākuš pendant quarante jours. Comme il avait trouvé les habitants dans une situation très gênée, il tira du palais, pour les secourir, toute espèce de vivres, ce qui lui valut le qualificatif d’Abū ‘ch-Cha’ir (l’homme à l’orge). Mais alors se présenta Mawlay Zaydān, qui le fit mettre.à mort et prit le pouvoir en mains 1*). Au milieu de ces épreuves éclata la peste à Murrākuš, el ainsi de suite’2>.

Ensuite eut lieu en moharrem 1010 (mars-avril 1610) le soulèvement de Sid Ahmed b. ‘Abd Allah es-SūrH3), c’est-à-dire du Wādi ‘s-Sūr, pays entre le Touat ctTāfilālet ; il fut proclamé par un ramassis de gens avec qui il marcha contre Mawlay Zaydān. Celui-ci s’avança pour le combattre, mais il fut mis en déroule et s’enfuit (29] dans les montagnes, tandis que les vainqueurs, envahissant la ville, la ravagèrent entièrement. Es-Sūri lui-même n’y pénétra pas et resta en dehors des murs, où il soutint en ramadan 1022 (oct.-nov. 1613) l’attaque dirigée contre lui par Sld Mohyi cs-Sūsi ; il [celui-ci] le vainquit el lui trancha la tête, qui servit de jouel aux enfants de Murrākuš. Il adressa à Mawlay Zaydān un message le rappe lant au pouvoir, mais ce prince, se méfiant, lui répondit que, quand il se serait éloigné, lui-même se rendrait dans la ville.

Quand Sldi Yahya se fut relire, Zaydān reprit le pouvoir à Murrākuš, où il resta jusqu’à sa mort, en 1037 (12 sept. 1627), après être resté sultan pendant 22 ans.

Il eut pour successeur son fils Abū Merwān Mawlay ‘Abd l-Mālik, prince sanguinaire el adonné aux horreurs, que ses gens mirent à mort en 1039 (21 aūt 1629) après qu’il eut régné deux ans et huit mois).

Celui qui ensuite prit le pouvoir fui son frère Abū ‘Abd Allah Mawlay el-WelId, qui se conduisit comme son frère. A la suite d’une entente entre sa la nie paternelle Lāla Ṣafiyya et les mamlouks serviteurs du palais, il fut mis à mort en 1045/ 1635 après un règne de 5 ans, et sa tante leremplaça par le frère cadet des deux précédents, le méritant et fortuné Mawlay Muḥammad aš-Šayḵ b. Zaydān, qui fut prince des croyants el ḵalife des musulmans, qui fui bon administrateur, aimant les pauvres et les misérables, honorant les savants el les gens de bien, el qui esl actuellement sultan depuis 19 ans<4>.

Fin de ce qui est lire de la chronique (sic).

Il y esl dit [encore] que Mawlay Ahmed ed-Dhehebi est celui qui expédia des colonnes au Soudan. La cause en fut qu’un des serviteurs des émirs de Saght s’attira la colère de l’émir Sokyā Iṣḥāk b. Sokyā Dāwud b. Sokyā el-Hāğğ Muḥammad, tous rois du Soudan, et fui envoyé par son maītre à Atghāz (Tiġazza) ; qui est dans leurs états, pour y être emprisonné. La volonté de Dieu lui permit de s’évader, et il se réfugia à Murrākuš. A Fās il trouva le sultan Mawlay Ahmed qui était en train, pour chātier les Šurfā, de les faire aveugler, opération à la suite de laquelle beaucoup d’entre eux périrent’. Cet homme adressa au prince une lettre où il exposait le motif de sa venue, l’histoire des gens de Saght el leur faiblesse, en le poussant àfaire la conquête de ce pays. Au reçu de celle lettre, Ahmed écrivit à Sokyā Ishak à Tinbuktu : il lui annonçait l’arrivée auprès de lui du fuyard, lequel étail alors à Fās et dont il joignait la lettre à la sienne, lettre par laquelle il lui reconnaissait la redevance de la mine d’Atġāz comme y ayant plus de droit, vu que lui, Ahmed, marquait en 998/1589 la séparation entre eux et les chrétiens. Mais Sokyā ne l’écoula pas, et envoya une réponse grossière accompagnée de lances et de deux fers de cheval. Alors Ahmed décida de faire marcher contre lui une colonne expéditionnaire, ce qui se fit en 999/1590. Cette troupe, qui avait Saght pour objectif, comptait trois mille arquebusiers, tant cavaliers que fantassins, qu’accompagnait un nombre double d’auxiliaires, artisans de toute espèce, médecins, etc.

Le chef en était le baša Ğawdar assisté de 10 qā’id-s, et l’expédition se mit en marche contre les gens de Saght. Sokyā Ishāk, à la tête de 12500 cavaliers de 30 000 mille fantassins**), s’avança contre ses adversaires, et la bataille s’engagea dans un endroit dénommé Tinkudbaġ <5> le mardi 17 ğumāda 999/13 mars 1591). Sokyā fut mis en déroule, et des combats successifs furent livrés qui aboutirent à la conquête du pays du Soudan au profit du sultan Mawlay Ahmed ed-Dhehebi ; le récit en est long, cl les combats livrés furent nombreux.