Au nom de Dieu clément et miséricordieux!
Que Dieu répande ses bénédictions sur notre seigneur Muhammad, sa famille et ses compagnons, et leur accorde le salut!
Il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu très-Haut, très-magnifique!
Le cheïkh, l’imam distingué, savant et sage, versé dans le hadits, Abû Muhammad Salah b. ‘Abd al-Halim, que le Très-Haut lui fasse miséricorde et
l’agrée, Amîn ! a dit :
Louanges à Dieu qui conduit toutes choses selon sa volonté et sa direction, qui aplanit les difficultés par son soutien et son concours, qui a créé toutes choses dans sa sagesse et leur a donné leurs formes, qui a donné la vie à ses créatures par son pouvoir et leur a dispensé les choses nécessaires à leurs besoins! Je lui adresse mes louanges, et mes louanges
sont celles d’un homme qui connaît sa faiblesse et les bienfaits du Seigneur, il n’y a de Dieu que Dieu seul, il n’a pas d’associé! Je le témoigne du fond de mon cœur et de ma pensée. Je témoigne aussi que notre seigneur Mohammed est le serviteur et l’envoyé de Dieu, qui l’a élu pour remplir sa mission, et dont il a mérité l’amitié, les bienfaits et la
loute-bonté. Que le Très-Haut répande ses bénédictions sur lui et sur sa famille juste et pure, sur ses femmes sans taches qu’il a exemptées de souillures! Que Dieu soit propice à ses compagnons qui, les premiers, l’ont suivi dans la foi et la victoire, lui ont porté honneur et respect, et à ceux qui les ont suivis et qui les suivront jusqu’au jour de la résurrection dans la voie du bien ! Que cette prière soit faite aussi longtemps que la nuit aura ses ténèbres et le jour sa lumière !
Je prie aussi pour l’heureux règne des Marîn b. ‘Uthmân. Que Dieu élève leurs ordres et leur puissance! Qu’il conserve leur gouvernement aussi
longtemps que les jours! Qu’il les comble de grandeurs et de prospérités, leur donne la victoire et des conquêtes éclatantes! Ensuite, que Dieu prolonge la vie de notre maître le Lieutenant, l’imam qui chérit et élève l’islam, qui déteste et dompte l’infidèle, la couronne qui répand la justice, qui découvre et confond l’injustice, le prince du temps, l’ornement du siècle, le défenseur de la religion et de la foi, le Commandeur des musulmans, Bâ S’îd ‘Uthmân, fils de notre maître, le protégé, le victorieux, le roi, l’adorateur, l’austère, le juste qui excelle en toutes choses, le prêtre de la justice, le soutien de la vérité, le Commandeur des musulmans, Ba Yûsf Ya‘qûb b. ‘Abd l-Haqq ! Que Dieu rende notre maître victorieux! Qu’il le protège, éternise son gouvernement et ses jours! Qu’il comble de bonheur et de victoires sa bannière et ses enseignes! Qu’il lui ouvre les régions de l’Orient et de l’Occident! Qu’il fasse tomber les têtes de ses ennemis pour qu’il puisse monter sur leurs cols en temps de paix ou de guerre ! Qu’il lui donne des victoires éclatantes ! Qu’il laisse la Lieutenance à ses descendants jusqu’au jour de la résurrection, et que ses descendants le conservent et le fassent revivre sans cesse! Qu’ils élèvent sa lumière! Qu’ils le préservent du mal! Puissent la prospérité accompagner leurs affaires, la joie être toujours sur leur seuil, la victoire unie à leur bannière, et puissent tous les cœurs les aimer aussi longtemps que les teintes variées de l’aurore coloreront le vêtement de la nuit, et que les oiseaux chanteront et
gazouilleront sur les arbres ! Je prie pour notre maître qui ne cesse de défendre l’islam , qui combat dans la vérité pour cette vie et pour l’autre, qui donne sans ostentation, et chez qui l’on trouve ce que l’on désire. Et, lorsque j’ai vu la générosité de cet heureux gouvernement, que Dieu l’éternisé! ce règne semblable à un collier de perles précieuses, dont toutes les bouches chantent les louanges et dont toutes les actions étincellent, jetant partout leur clarté, ce règne qu’une resplendissante lumière soutiendra à jamais ; ce prince qui suit l’exemple de ses ancêtres
et ne peut pas périr : j’ai voulu aussi en tracer les beautés et chercher à les rendre accomplies. J’ai essayé d’écrire ses grandeurs dans cet ouvrage; mais elles sont telles que je n’ai pu les exprimer par des mots. Je me suis placé sous l’ombre de cette cour, et j’en ai bu l’eau douce ! Mon livre , d’une étendue moyenne, contient les beaux faits de l’histoire; il réunit les principales époques, leurs merveilles et leurs prodiges. Il contient aussi l’histoire des rois et des hommes illustres de l’antiquité, et la durée des dynasties anciennes, leurs règnes, leurs origines, leurs âges, leurs gouvernements, leurs guerres, leur conduite envers leurs peuples, leurs constructions dans le Maghreb, leurs conquêtes dans les régions
diverses, la description de leurs châteaux et de leurs forteresses, les impôts qu’ds ont perçus. J’énumère Commandeur par Commandeur, Roi par Roi, Lieutenant par Lieutenant, siècle par siècle, selon leur rang et leur mérite, depuis le commencement du règne du Shrîf Drîs b. ‘Abd-l-llah l-Husayn jusqu’à nos jours.
J’y ai mis tous mes soins, j’y ai employé tous mes efforts, j’y ai consacré tout mon temps. J’ai demandé à Dieu si mon œuvre lui serait agréable. Je
l’ai prié de me secourir. Dieu m’a entendu et je dois la réussite à ses bienfaits et à la bénédiction de notre maître, le Commandeur des musulmans.
J’ai rassemblé ce joli recueil en choisissant les perles des principaux livres d’histoire authentiques. Je n’ai décrit que les faits véritables et je me suis borné aux explications essentielles, en renvoyant pour
plus de détails aux ouvrages dont je me suis servi.
J’ai ajouté ce que j’ai appris moi-même des shyûkh de l’histoire, de mes collègues, et des écrivains contemporains, tous gens honnêtes et dignes de foi, dont je connais la vie et l’origine, que j’aurais rapportées si je n’avais craint de surcharger et obscurcir mon livre de choses inutiles. J’ai cherché à dire le plus de choses possible en peu de mots, et j’ai ainsi fait un livre d’étendue moyenne, ce qui est préférable à tout, comme le savent les partisans du Prophète (que Dieu le comble de bénédictions !), au précepte duquel je me suis conformé. Dans le Hadîth, il est dit qu’un jour Mohammed, conversant avec ses compagnons, leur apprit que, de toutes choses, la moyenne est la meilleure. J’ai intitulé mon livre RawD l-Qirtas (Jardin des feuillets), Que Dieu préserve mon ouvrage d’erreurs, il ne contient
que ce que j’ai pensé. Puissé-je en être récompensé! Que le Seigneur nous conserve notre maître, le Commandeur des musulmans, que son règne soit au-dessus de tous les règnes, et que ses ennemis lui soient soumis, que sa puissance soit victorieuse et ses jours chéris de tous!
Idrissides :
Il n’y a de Dieu que Dieu, et de bien que son bien !
L’auteur de ce livre (que Dieu lui pardonne!) raconte ainsi les motifs de la venue et de rétablissement dans le Maghreb des Edrissites Hosseïniens.
L’imam Mohammed, fils d’Abd Allah, fils d’Hosseïn,
fils d’el-Hosseïn , fils d’Ali, fils d’Abou Thalcb (que
Dieu les agrée!), s’était soulevé contre Abou Djafar
el-Mansour, l’Abbassite , prince des musulmans dans
l’Hedjaz, dont il blâmait la tyrannie et les iniquités;
on était alors dans l’année i/i5 (762 J. C). El-
Mansour envoya à Médine une grande armée qui
chassa l’imam Mohammed et s’empara de sa famille
et de ses amis. L’imam , s’étant échappé , se dirigea
secrètement vers les pays de la Nubie, où il demeura
jusqu’à la mort d’el-Mansour (que Dieu lui fasse mi-
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séricorde!). Ei-Mehdi, fils d’el-Maiisour, devint kha-
life à la place de son père; Molianinied ben Abd
Allah ben Hosseïn partit pour la Mecque à l’époque
du Mousam, et, à son arrivée, il convoqua le peuple
[)our se faire proclamer souverain; un nombreux
j)arti l’accueillit, et les habitants de la Mecque et
de ]\lédine, ainsi qu’un grand nombre d’hommes de
l’Hedjaz, se soumirent à lui. Mohammed fut sur-
nommé le Probe, à cause de sa dévotion et de son
extrême probité, de ses aumônes, de son abstinence,
de sa science et de ses bienfaits. Il avait six frères :
Yahya, Soliman, Ibrahim, Aissa, Ali et Edriss; H en
dépêcha plusieurs dans les principaux pays, avec
mission de faire reconnaître sa souveraineté. Ali,
qu’il envoya en Ifrîkya , fut accueilli par un grand
nombre de tribus berbères, mais il mourut avant,
d’avoir atteint son but. Yaliya , qui fut envoyé au Kho-
rassan, y demeura jus(ju’à l’époque de la mort de
son frère Mohammed, où il se réfugia dans le pays
de Dedem. Il y fut bien reçu, parvint à s’y faire re-
connaître souverain, et devint très-puissant. Le khalife
el-Raci)id, après avoir vainement envové ses armées
contre lui, fut obligé d’employer la ruse, et parvint
à l’attirer à sa cour en lui donnant l’aman. Yahya
resta quelque temps auprès du khalife et finit par y
être empoisonné.
Soliman alla en Egypte, et y demeura jusqu’à ce
(ju’il ent appris la mort de Mohammed son frère;
alors H passa successivement dans le Soudan, dans
9
le Zâb africain ^ et arriva enfin à Tlemcen, ville du
Maghreb, oh il se fixa. 11 eut un grand nombre d’en-
tants, qui, plus tard, à Tépoque de son frère Edriss,
prirent le nom d’Hosseïniens, è cause de leur des-
cendance de Soliman, fils d’Abd Allah, fils d’Hosseïn.
Ce fut aussi alors, dit-on, que ces Hosseïniens se
répandirent dans le sud, et pénétrèrent jusque dans
le Sous el-Aksa-.
Cependant l’imam Mohammed étant devenu fort
et puissant à la Mecque, en sortit avec une nom-
breuse troupe de soldats de l’Hedjaz, de l’Yémen et
d’autres lieux, pour attaquer l’armée d’el-Mehdi.
La rencontre eut lieu à un endroit connu sous le
nom de Fadj, situé à six mdles de la Mecque (que
Dieu l’ennoblisse!). Un grand combat fut livré, et le
massacre fut sanglant. L’imam Mohammed fut tué
(que Dieu lui fasse miséricorde!), son armée mise
en déroute, la majeure partie de ses soldats massa-
crés, et les autres dispersés et mis en fuite. Les
cadavres furent abandonnés sur le champ de bataille,
tant ils étaient nombreux, et devinrent la proie des
oiseaux et des lions. Le combat eut lieu un samedi,
jour de Trouyat^, 8 du mois dou’l hidjâ de l’année
‘ Zâb, ancienne province d’Afrique, dont le chef-lieu était Bis-
kera.
^ Sous el-Aksa, province extrême de la Mauritanie, chef-lieu Ta-
rudant. [Géographie d’Ahoulféda et d’Idrisi.)
c*j^jO) ^yi jour de la boisson; c’est le jour où les pèlerins
de la Mecque î>oivent l’eau du puits de Zemzem.
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169 (786). Ibrahim, qui fut du nombre des fuyards,
vint chercher asile à Bassora, où il se fixa. H con-
tinua à faire la guerre à ses ennemis, jusqu’à ce
qu’il eût trouvé la mort dans un combat (que Dieu
lui pardonne !)
Edriss, après la mort de son frère et des siens, prit
la résolution de se réfugier dans le Maghreb. Il sortit,
déguisé, de la Mecque , accompagné d’un ancien ser-
viteur, nommé Rachid, passa en Egypte, et arriva
dans la capitale , qui était gouvernée par un des lieu-
tenants d’el-Mehdi, nommé Ali ben Soliman el-
Hachemy. Edriss et son serviteur firent halte en cette
ville, et, un jour, tandis qu’ils parcouraient les places
et les rues, ils s’arrêtèrent devant une fort belle
maison, dont ils se mirent à contempler l’architec-
ture et l’extérieur remarquable. En ce moment le
maître du logis sortit, les salua, et, après qu’ils eu-
rent rendu le salut, leur demanda pourquoi ils con-
sidéraient ainsi cet édifice.
cf Seigneur, répondit Rachid, nous admirons sa
rr grandeur, son architecture et sa solidité. — Vous
crêtes étrangers, à ce que je vois? dit cet homme.
ce — Puisse notre venue vous être propice! nous
ff sommes étrangers. — Quel est votre pays ? —
cfL’Hedjaz. — Et de quelle ville de l’Hedjaz êtes-
ff vous ? — Nous sommes de la Mecque. — Appar-
ff tiendriez-vous aux descendants d’Hosseïn , et seriez-
cc vous du nombre de ceux qui ont pris la fuite après
ffla défaite de Fadj?r A cette question, Edriss et
11
Racbid furent sur le point de déguiser la vérité, pour
cacher leurs affaires; mais, leur interlocuteur leur
ayant paru bon et bienfaisant, Racbid répondit :
r. Seigneur, sur votre physionomie il nous a semblé
frque nous n’avions que le bien à attendre de vous;
rr car vos actions doivent être comme la sérénité de
rvoti’e front et la joie de votre visage. Cependant,
ff si nous nous faisions connaître à vous , si nous vous
ce disions nos affaires, garderiez-vous le secret? — Je
ff vous le promets, au nom du Seigneur de la Kaaba!
f-Je cacherai vos affaires; je garderai vos secrets,
ret je ferai tout ce qui me sera possible pour votre
cfbien. — C’est ce que nous avions pensé de vous,
rcet ce que nous attendions de votre bienfaisance,
rc reprit Rachid. Eh bien, voici Edriss, descendant
rd’Hosseïn, fils d’Ali, fds d’Abou Thaleb (que Dieu
cfles agrée tous!), et je suis son serviteur Rachid, et
rr je l’ai accompagné dans la fuite, parce que je crai-
ff gnais qu’il ne perdît la vie avant qu’il eût atteint
rrle Maghreb. — Rassurez-vous donc, et cessez de
rr craindre. J’appartiens aussi au peuple de la Mec-
rrque, je suis un de ses serviteurs, et, comme tel,
rje dois être le premier à garder ses secrets et à
ff faire tout ce qui est on mon pouvoir pour son bien.
r- Soyez donc sans peur, sans soupçons , car vous êtes
ff mes hôtes, r Ils entrèrent alors dans la maison , et
ils y demeurèrent quelque temps, comblés d’atten-
tions et de générosités.
Cependant le gouverneur Ali ben Soliman ol-
12
Hachemy, ayant été informé de la présence de ces
étrangers, fit venir l’hôte qui les avait accueillis, et
lui dit : rr Je sais que tu donnes refuge chez toi à deux
ff hommes, et le commandeur des croyants a ordonné
cf de poursuivre les Hosseïniens , et de faire périr tous
rrceux que l’on découvrirait. Il a envoyé ses cava-
ff tiers sur les chemins pour les chercher, et il a
replacé des gardes sur les routes de la ville, pour vi-
re siter les caravanes, afin que nul ne passe avant d’a-
rrvoir fait reconnaître son identité, expliqué ses af-
rr faires, et déclaré d’oii il vient et où il Va. Je ne veux
rr point pourtant faire verser le sang du peuple de la
rr Mecque, ni être cause qu’il lui arrive aucun mal.
rr Je donne donc l’aman à toi et à tes hôtes; va les
rr trouver, et fais que dans trois jours ils ne puissent
rrplus être en mon pouvoir! n
L’Egyptien se rendit inmiédiatement auprès d’Ed-
riss et de Rachid , leur fit connaître ce dont il s’agissait ,
et s’occupa aussitôt des préparatifs de leur départ
pour le Maghrej). Il acheta trois bêtes de somme,
dont une pour lui, fit d’abondantes provisions, et se
munit de tout ce qui était nécessaire pour aller en
Ifrîkya. Il dit ensuite à Rachid : rr Sors avec la foule
rrpar la grande route, tandis qu’Edriss et moi nous
reprendrons un chemin détourné et solitaire. La ville
rrdeRarka sera le lieu de notre rendez-vous, et nous
rrt’y attendrons; car là nous serons à l’abri des pour-
rr suites. — Ton avis est le mien,’-) répondit Rachid;
et, s’étant déguisé en marchand, il sortit par la grande
. 13
route avec la foule. Edriss et l’E^jyptien partirent
aussi, et, suivant toujours les lieux déserts, ils arri-
vèrent à la ville de Barka; ils attendirent la venue
de Rachid, et alors l’Egyptien, ayant renouvelé les
provisions et tout ce qui était nécessaire pour la con-
tinuation du voyage de ses hôtes, leur dit adieu et
retourna dans son pays. Edriss et Rachid se mirent
en route à travers l’Urîkya, et marchèrent à grandes
journées jusqu’à ce qu’ils eussent atteint la ville de
Kairouan, où ils se reposèrent quelque temps avant
de reprendre leur voyage vers le Maghreb el-Aksa.
Rachid était de ceux qui réunissent en eux le cou-
rage, la science, la prudence, la force, l’esprit, la re-
ligion et la pureté de la famille par excellence. En
sortant de Kairouan , il revêtit par précaution Edriss
d’une robe de laine ordinaire et d’un turban grossier,
et, lui donnant des ordres, il affectait de le traiter
comme un domestique. Ils allèrent ainsi jusqu’à Tlem-
cen, d’où, après s’être reposés quelques jours, ils se
dirigèrent vers les terres de Tanger, et ayant passé
l’Oued Moulouïa, ils entrèrent dans le Sous el-Adna.
Le Sous el-Adna est compris entre la Moulouïa et
la rivière Oumm el-Rebya. C’est la terre productive
du Maghreb; elle est d’une merveilleuse abondance.
Le Sous el-Aksa est compris entre Tedla et le Djebel
Derèn.
Edriss et son serviteur marchèrent jusqu’à ce qu’ils
eussent atteint la ville de Tanger. Tanger était alors
la capitale du Maghreb, la mère de ses villes, la plus
l/i
belle alors et la plus vieille. Mais j’ai déjà parlé de sa
fondation et de ses annales dans mon grand ouvrage
intitulé Zohrat el-Boiistân Ji Akhbâr el-Zeman.
Edriss et Racliid demeurèrent quelque temps à
Tanger; mais ils ne purent s’y plaire, et ils se re-
mirent en route. Ils arrivèrent à Oualily \ chef-lieu
des montagnes de Zraoun. Oualily était une ville en-
tourée de superbes murs de construction antique, et
située au milieu de belles terres, abondamment ar-
rosées et couvertes d’oliviers et de plantations. Edriss
descendit chez le chef d’Oualdy, nommé Abd el-Medjid.
qui le reçut généreusement, et qui, en lui entendant
conter son histoire, donna les plus grandes marques
de joie, l’accueillit dans sa propre maison et le servit
en cherchant à prévenir tous ses désirs.
Ce fut l’an 179 (788 J. G.) qu’Edrisss entra dans
le Maghreb. Son arrivée chez Abd el-Medjid à Oualily
eut lieu dans les premiers jours du mois béni raby
el-aouel de la même année.
Edriss demeurait depuis six mois à Oualily, lorsque
dans le commencement du ramadhan de ladite année,
Abd el-Medjid, ayant rassemblé ses frères et les Ka-
byles d’Ouaraba, leur fit connaître l’histoire d’Edriss,
ses vertus et sa parenté avec le prophète de Dieu
(cjue le Seigneur le comble de bénédictions et lui
accorde le salut!). Il leur parla de sa noblesse , de sa
* Oualily , aujourd’hui Zaouïa Moulai Edriss , située dans les mon-
3fnes de Zraoun. à vingt myriamètres enviro
Mekenès. Lieu saint inaccessible aux infidèles.
tagnes de Zraoun. à vingt mvriamètres environ de Fès et en vue de
. 15
science, de sa religion et de toutes les autres bonnes
qualités qui étaient réunies en lui. frLoué soit Dieu
fc qui nous l’a donné ! s’écrièrent les Kabyles. Sa pré-
rcsence au milieu de nous nous ennoblit; car il est
rr notre maître et nous sommes ses esclaves, prêts à
fr mourir pour lui! Mais dites : Que désirez-vous de
ffuous? — Proclamez-le souverain, répondit Abd el-
fr Medjid. — Nous avons entendu; qu’il soit notre sou-
ffverain, qu’il reçoive ici le serment de notre sou-
ft mission et de notre fidélité !*n
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’IMAM EDRISS L’IIOSSEÏNIEN ,
PREMIER IMAM SOUVERAIN DU MAGHREB.
Edriss, fds d’Abd Allali, fds d’Hosseïn, fds d’el-
Hosseïn, fds d’Ali, fds d’Abou Thaleb (que Dieu les
agrée!), se montra en public dans la vdle d’Oualily,
le vendredi quatrième jour du mois de Dieu rama-
dhan de l’année 172. La tribu des Ouaraba fut la
première à le saluer souverain; elle lui donna le
commandement et la direction du culte, de la guerre
et des biens. Ouaraba était à cette époque la plus
grande des tribus du Maghreb; puissante et nom-
breuse, elle était terrible dans les combats. Vinrent
ensuite la tribu des Zenèta et des fragments des
tribus berbères de Zouaklita, Zouagha, Lemmaya,
Louata, Sedretta, Khyata, Nefrata, Mekenèsa et
Ghoumâra, qui le proclamèrent et se soumirent à lui.
Edriss affermit son gouvernement et son pouvoir;
de toutes parts on venait en foide lui rendre hom-
IG
mage. Bientôt devenu puissant, il se mit à la tête
(l’une immense armée, composée des principaux
d’entre les Zenèta, Ouaraba, Senhadja et Houarà, et
il sortit pour faire une razia dans le pays de Temsena.
11 se porta d’abord sui’ la ville de Chella, qui était
la plus proche, et s’en empara. 11 soumit ensuite une
partie du pays de Temsena et se dirigea sur Tedla,
dont il enleva les forteresses et les retranchements.
11 n’y avait dans ce pays que quelques musulmans;
les chrétiens et les juifs y étaient très-nombreux;
Edriss leur fit .à tous embrasser la religion de Mo-
hammed.
L imam Edriss revint à Oualily, où il fit son en-
trée à la fin du mois dou’l-hidjà de ladite année 172.
11 y passa le moharrem, premier mois de l’an 178
(789 J. G.), pour donner à ses gens le temps de se
reposer, et il sortit de nouveau pour aller soumettre
ce qui restait encore dans le Maghreb de Berbères,
chrétiens, juifs ou idolâtres. Ceux-ci étaient retran-
chés et fortifiés sur des montagnes et dans des châ-
teaux inaccessibles ; néanmoins , l’imam ne cessa de les
attaquer et de les combattre que lorsqu’ils eurent
tous, de gré ou de force, embrassé l’islamisme. 11
s’empara de leurs terres et de leurs retranchements;
il fit périr la plus grande partie de ceux qui ne vou-
lurent pas se soumettre à l’islam, et dépouilla les
autres de leurs familles et de leurs biens. Il ravagea
le pays , détruisit les forteresses des Béni Louata, des
Mediouna, des Haloula et les citadelles des khyata
ET ANNALES DE LA VILLE UE FES. 17
et de Fès; il revint alors à Oualily et y entra vers
le milieu de djoiimada el-alchira de la même
année 178.
Un mois après, vers le i5 de radjeb, son armée
étant reposée, l’imam se remit en campagne et se
porta sur Tlemcen, qui était occupée par les tri-
bus des Mahgraoua et des Béni Yfran. Etant arrivé
dans les environs de cette ville, il campa, et aussi-
tôt l’émir Mohammed ben Ghazen ben Soulat el-
Maghraouy el-Ghazy, qui la commandait, vint vers
lui pour demander l’aman. Edriss le lui accorda, et
reçut sur le lieu même la soumission de Mohammed
ben Ghazen et de tous ceux qui l’accompagnaient.
L’imam entra sans coup férir à Tlemcen , donna
l’aman au peuple et édifia une belle mosquée, qu’il
orna d’une chaire sur laquelle il fit graver ces mots :
rrAu nom de Dieu clément et miséricordieux. Ce
cr temple a été élevé par les ordres de l’imam Edriss
fr ben Abd Allah ben Hosseïn ben el-Hosseïn ben Ali
ffben Abou Thaleb, que Dieu les agrée !^i On était
alors au mois de safar de fannée ly/i (180 J. C.).
Sur ces entrefaites, on annonça au khalife Rachid
qu’Edriss avait conquis le Maghreb, que toutes les
tribus l’avaient proclamé souverain, et qu’il s’était
emparé de la ville de Tlemcen, où il avait fait éle-
ver une mosquée. On l’informa également du cou-
rage entreprenant de l’imam, de ses moyens, du
grand nombre de ses sujets et de leur puissance à
la guerre, et on lui parla du dessein qu’il avait
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conçu de s’emparer de l’Ifrîkya. A ces nouvelles,
le khalife craignit qu’Edriss, rendu puissant, ne vînt
un jour l’attaquer, car il n’ignorait pas ses bonnes
qualités et l’amour que les hommes portaient à ceux
qui appartenaient à la famille du Prophète. (Que
Dieu le comble de bénédictions et lui accorde le
salut !) Cette pensée l’épouvanta et l’inquiéta vive-
ment; il envoya chercher son premier ministre Yhya
ben khaled ben Bermak, homme puissant et en-
tendu dans les affaires du gouvernement, pour lui
raconter ce qu’il venait d’apprendre, et lui deman-
der conseil. Il lui dit qu’Edriss descendait d’Ali, fils
d’Abou Thaleb et de Fatime, fille du Prophète (que
Dieu le comble de bienfaits et lui accorde le salut!),
qu’d avait affermi sa souveraineté, qu’il commandait
de nombreuses troupes, et qu’il s’était emparé de la
ville de Tlemcen. rTu sais, ajouta le khalife, que
cr Tlemcen est la porte de l’Ifrîkya, et que celui qui se
cr rend maître de la porte est bientôt maître de la mai-
re son entière. J’avais résolu d’envoyer une forte armée
rr pour faire périr Edriss ; mais ayant ensuite réfléchi à
cr l’éloignement du pays, à la longueur de la route
frqui sépare l’Orient de l’Occident, j’ai vu qu’il
ff était impossible aux armées de l’Irak d’aller jusque
ffdans le Sous, qui est situé à l’Occident, et j’ai
a changé d’avis; je ne sais que faire, donne-moi donc
cries conseils. — Mon opinion, répondit Yhya ben
tf Khaled, est que vous envoyiez un homme résolu,
fcrusé, éloquent et audacieux, qui tuera votre
19
ff ennemi et vous en débarrassera. — C’est bien,
rc Yhya, ton opinion est bonne; mais où trouver cet
cf homme? — Prince des croyants, reprit le ministre,
cf je connais parmi les gens de votre suite un indi-
rrvidu nommé Soliman ben Djérir, entreprenant,
r: audacieux, fourbe et méchant, fort en discussion,
rr éloquent et rusé : vous pourriez l’envoyer, — Qu’il
ff parte à l’instant, t) dit le khalife. Aussitôt le mi-
nistre se rendit chez Soliman ben Djérir, lui apprit
ce dont il s’agissait et la mission dont le chargeait
le prince des croyants, en lui promettant en récom-
pense de l’élever aux premières dignités et de le
combler de richesses et de biens; il le munit de tout
ce qui pouvait lui être nécessaire et le congédia. Soli-
man ben Djérir partit de Bagdad, et marcha avec di-
ligence jusqu’à son arrivée dans le Maghreb. 11 se
présenta à Edriss dans la ville d’Oualily et le salua.
L’imam lui ayant demandé son nom, son origine,
sa résidence habituelle et le motif de son voyage, il
répondit qu’il était un des anciens serviteurs de son
père, et qu’ayant eu de ses nouvelles, il était venu
vers lui pour lui offrir ses services, sa fidélité, et le
dévouement qu’il professait pour ceux de la famille
par excellence, qui étaient supérieurs à tous et n’é-
taient comparables qu’à eux-mêmes. Edriss, tran-
quillisé par ces paroles, l’accueillit avec joie, lui
accorda sa confiance et son estime, et bientôt il ne
lui permit plus de le quitter. Jusque-là l’imam ne
s’était attaché particulièrement à personne, parce
que , à cette époque , les habitants du Maghreb étaient
grossiers et barbares; mais, reconnaissant la poli-
tesse, l’esprit, les talents et la science qu’il y avait
chez Soliman ben Djérir, il lui accorda son affection
entière. Dans les assemblées où Edriss siégeait an
milieu des principaux Berbères et Kabyles, Soliman
prenait la parole , parlait des vertus et de la sainteté
de la famille par excellence, et, faisant venir le dis-
cours sur l’imam Edriss, il disait que lui seul était
imam, et qu’il n’y avait d’imam que lui. Il appuyait
son raisonnement de démonstrations et de preuves
évidentes, et gagnait ainsi le cœur d’Edriss. Mais
tandis que celui-ci, frappé de tant desprit, de talent
et de connaissances, l’admirait et l’aimait toujours
plus, Soliman cherchait le moyen et le moment de
tuer l’imam, chose jusque-là impossible, car Ra-
chid le serviteur ne ([uittait jamais son maître.
Enfin, il arriva un jour (jue Rachid dut sortir pour
faire quelques visites. Ben Djérir vint chez l’imam
selon sa coutume, s’assit auprès de lui et lui adressa
quelques paroles. Bien certain de l’absence de Ra-
chid, il crut avoir trouvé l’occasion favorable de
mettre son projet à exécution, et il dit à Edriss :
fr Seigneur, puissé-je vous être propice! J’ai apporté
ffavec moi de l’Orient un flacon d’essence odorifé-
frrante, et, comme il n’y en a point dans ce pays,
tr j’ai pensé que c’était à vous qu’il appartenait d’en
cf faire usage plutôt qu’à moi, qui ne suis rien auprès
crde vous, et c’est là ce que j’ai à vous offrir, n En
. 21
même temps il sortit un flacon et le donna à Edriss,
qui, après l’avoir remercié beaucoup de cette atten-
tion, l’ouvrit et se mit à en respirer le parfum. Ce
qu’ayant vu, Soliman ben Djérir, qui savait avoir
atteint son but, se leva et sortit tranquillement,
feignant d’avoir un besoin à satisfaire; il se rendit
chez lui, et aussitôt, sautant sur un superbe che-
val, excellent coursier, qu’il tenait toujours prêt à
l’événement, il sortit de la ville d’Oualily, pour se
mettre en sûreté par la fuite. Le flacon était em-
poisonné. A peine Edriss eut-il respiré l’essence ,
que le poison, lui montant à la tête et se répandant
bientôt dans le cerveau, l’étourdit, et il tomba sans
connaissance la face contre terre , de sorte que per-
sonne ne put savoir ce qu’il avait, avant que Ben
‘Djérir, auquel on ne pensait pas, se fût déjà fort
éloigné. L’imam resta dans cet état jusqu’au soir et
rendit l’âme (que Dieu lui fasse miséricorde!). Dès
que le serviteur Rachid avait été informé de ce qui
se passait, il était accouru en toute hâte et était
arrivé auprès de son maître, qui respirait encore,
mais qui ne pouvait déjà plus proférer un seul mot ,
tant la mort était proche. Rachid, anéanti et ne
sachant à quoi attribuer ce malheur, demeura au
chevet d’Edriss jusqu’au dernier moment. L’imam
Edriss mourut dans les derniers jours du mois de
raby el-aouel, an 177 (793 J. G.), après avoir
gouverné le Maghreb pendant cinq ans et sept
mois. On n’est pas d’accord sur le genre d’empoi-
22
somiement dont fut victime l’imam; outre la ver-
sion de l’essence que l’on vient de raconter, il en est
d’autres qui rapportent qu’Edriss s’empoisonna en
mangeant du chabel (alose), ou bien des anguilles.
Ceux-ci s’appuyent sur ce que l’imam fut pris du-
rant son agonie d’un relâchement des parties géni-
tales. Dieu connaît la vérité!
Cependant, après qu’on eut enseveli Edriss, Ra-
chid demanda où était Soliman ben Djérir. On ne
sut où le trouver, et bientpt des gens venus du
dehors donnèrent la nouvelle qu’ils l’avaient ren-
contré à une distance de plusieurs milles de la ville.
On comprit alois que c’était lui qui avait empoi-
sonné l’imam, et aussitôt un grand nombre de
Berbères et Rachid lui-même, montant à cheval,
partirent à sa poursuite; la nuit ne les arrêta point,
et ils coururent tant que les chevaux eurent de
forces; ils succombèrent tous, excepté celui de Ra-
chid, qui seul atteignit le fuyard au moment où il
passait l’Oued Moulouïa. Rachid se précipita sur
Soliman, lui coupa la main droite et lui porta trois
coups de sabre sur la tête; mais son cheval était à
bout de forces, et il fut obligé de s’arrêter avant
d’avoir tué le traître qui, mutilé et couvert de sang,
continua à fuir. Ben Djérir arriva dans l’Irak;
des gens venus plus tard de Bagdad affirmèrent
l’avoir vu manchot du bras droit, et marqué de
plusieurs cicatrices à la tête.
Rachid, abandonnant la poursuite, retourna à la
ET ANNALES- DE LA VILLE DE FES. 23
ville pour tranquilliser la population par sa pré-
sence et faire élever un tombeau à l’imam. (Que
Dieu très-haut lui fasse miséricorde et l’agrée!)
Edriss mourut sans enfants, mais il laissa sa
femme enceinte. Mohammed Abd el-Malek ben
Mohammed el-Ourak dit avoir lu, dans l’ouvrage
intitulé El-Mekabès, dans El-Bekry, El-Bernoussy et
plusieurs autres auteurs, qui traitent de l’histoire
des Edrissites, que l’imam Edriss, fils d’Abd Allah,
qui n’avait point eu d’enfants durant sa vie, laissa,
en mourant, sa femme. Berbère de naissance et
nommée Khanza, enceinte de sept mois.
Bachid, après avoir achevé de rendre les derniers
devoirs à son maître, rassembla les chefs des tribus
et les principaux du peuple, a L’imam Edriss , leur dit-
ce il, est mort sans enfants, mais Khanza, sa femme,
crest enceinte de sept mois, et, si vous le voulez
ffbien, nous attendrons jusqu’au jour de son accou-
re chement pour prendre un parti. S’il naît un gar-
rf çon , nous l’élèverons, et, quand il sera homme , nous
rrle proclamerons souverain; car, descendant du pro-
ff phète de Dieu, il apportera avec lui la bénédiction
rcde la famille sacrée. S’il naît une fille, vous verrez
crce que vous aurez à faire pour choisir entre vous un
ff homme de bien. — Ils répondirent, ô vieillard béni!
cf pouvons-nous avoir d’autre avis que le vôtre? Ne
cr tenez-vous pas auprès de nous la place d’Edriss?
ff Comme lui donc soyez notre chef, dirigez notre culte,
ff gouvernez-nous selon le Livre et le Sonna, jusqu’au
2A HISTOIRE DES SOUVERAINS DL MAGHREB
(fjour de raccouchemeiit de Khanza; si elle nous
redonne un garçon, nous l’élèverons et le proclanie-
cf rons souverain. Dans le cas contraire, nous ne se-
cr rons point embarrassés; car nul ici ne vous surpasse
fT en vertus , en religion et en science ! ^ Rachid les
remercia, et, après avoir prié avec eux, il les con-
gédia. Il se mit donc à la tète des affaires, et gou-
verna les Berbères jusqu au jour de l’accouchement
de Khanza , qui mit au monde un garçon , d’une res-
semblance frappante avec l’imam Edriss. Rachid pré-
senta le nouveau-né aux principaux d’entre les Ber-
bères, qui s’écrièrent unanimement : ff C’est Edriss
ce lui-même! Edriss n’a pas cessé de vivre, n et l’on
donna à l’enfant le nom de son père.
Rachid continua à gouverner les Berbères et à
veiller aux affaires. Dès que l’enfant eut cessé d’être
allaité, il le prit auprès de lui, pour lui donner une
bonne éducation. Il commença par lui faire étudier
le Koran (et à l’âge de huit ans, le jeune Edriss le
savait entièrement par cœur). Il l’instruisit dans le
Sonna, la doctrine, la grammaire, la poésie, les
sentences et les pensées arabes, dans l’organisation
et la direction des biens. Il le fit exercer à monter
à cheval, à lancer le javelot et lui enseigna l’art et
les ruses de la guerre. A dix ans, Edriss, fils d’Edriss,
possédait toutes ces connaissances. Rachid le pré-
senta au peuple, pour le faire reconnaître souverain
du Maghreb; sa proclamation eut lieu dans la mos-
quée de la ville d’Oualilv.
. 25
HISTOIRE DU REGNE DE L’IMAM EDRISS,
FILS D’EDRISS L’HOSSEINIEN. QDE DIEU L’AGREE!
L’imam Edriss, fils d’Edriss, fils d’Abd Allah, fils
d’Hosseïn, fils d’El-Hosseïn, fils d’Ali, fils d’Aboii
Thaleb, que Dieu les agrée! eut pour mère Khanza,
femme qu’Edriss avait reçue en présent, et naquit
le troisième jour du mois de radjeb de l’année 177.
Edriss ben Edriss, auquel on donna le prénom
d’Abou el-Kasem, était le portrait vivant de son
père; teint rose, chevelure frisée, taille parfaite,
yeux noirs et parole facile; très-bien élevé, savant
dans le Livre de Dieu, dont il suivait fidèlement les
préceptes, observateur du Hadits du Prophète (que
le Seigneur lui accorde le salut et le comble de bé-
nédictions!), fort versé dans la doctrine et le Sonna,
distinguant sagement ce qui est permis de ce qui
est défendu, jugeant sainement tous les différends,
désintéressé, religieux, charitable, généreux, labo-
rieux, courageux, bon soldat, très-intelligent, pro-
fond dans les sciences et versé dans les afi’aires.
Voici ce que rapporte Daoued ben Abd Allah
ben Djafar.
cr J’accompagnais Edriss, fils d’Edriss, dans une
ff expédition contre les Berbères hérétiques de Sefe-
frria, qui se présentèrent à nous au nombre de
fc trois mille. Au moment où les deux troupes sefu-
ff rent rapprochées, je vis Edriss descendre de cheval,
/^
26
fr se purifier, se prosterner et invoquer le Dieu très-
cfhaut, puis remonter à cheval et se précipiter au
ce combat. Le massacre fut sanglant; Edriss, courant
rfd’un bout à l’autre de sa ligne, frappait partout
fcet sans cesse. Vers le milieu du jour, il se retira
ffdans son camp et vint se placer près de son dra-
crpeau, tandis que ses gens continuaient à corn-
er battre sous ses yeux; je m’étais mis derrière lui,
ce et je l’observais attentivement. Debout, à l’ombre
rrdes bannières, il excitait sa troupe au combat et
cr dirigeait ses mouvements. J’étais frappé d’étonne-
fcment, par tant de courage et de talent, lorsque,
frayant tourné la tête, il m’aperçut et me dit :
rrô Daoued! qu’as-tu donc à m’observer ainsi? —
ff Prince, lui répondis-je, j’admire en vous des choses
« que je n’ai vues chez nul autre. — Et quelles sont
rrces choses, Daoued? — Ce sont, repris-je, votre
rr beauté, votre élégance, la tranquillité de votre
a cœur, la sérénité de votre visage , et l’ardeur sans
cr pareille avec laquelle vous fondez sur vos ennemis !
ff — Ces biens, ô Daoued, me viennent de la béné-
rr diction de mon aïeul, le prophète de Dieu (que le
rr Seigneur lui accorde le salut!), qui veille sur moi,
fret pour lequel je prie; ils sont aussi l’héritage de
ff notre père Ali, fils d’Abou Thaleb (que Dieu
ff l’agrée!) — Comment se fait-il, prince, lui dis-je
ff encore, que vous ayez la bouche si fraîche, tandis
ff que la mienne est sèche et brûlante. — Ceci, Daoued,
rr provient du sang-froid et du courage que j’apporte
. 27
rrà la guerre, tandis que chez toi, esprit faible, la
crpeur dessèche la bouche et trouble les sens. — Et
fc pourquoi, seigneur, vous agitez-vous sur la selle?
cf Pourquoi, courant sans cesse, ne restez-vous pas
fcun moment au même endroit? — L’activité et la ré-
rr solution, ô Daoued, sont choses bien nécessaires à
ffla guerre. Ne va pas penser, au moins, que ces
rr courses et ces mouvements soient motivés par la
rf crainte, n et il ajouta en vers :
rrTu ne sais donc pas que notre père Hachim,
fc ceignant ses vêtements, a transmis à ses fils l’art de
refrapper de la lance et du sabre? Nous ne redou-
fc tons pas la guerre, et la guerre ne nous dédaigne
frpas. Si le malheur nous atteint, nous ne nous plai-
re gnons pas. n
Edriss était bon poëte. Voici ce qu’il écrivit à un
certain Behloul ben Abd el-Ouahed, chef puissant
et son allié, auquel Ben el-Khaleb, lieutenant du
khalife El-Rachid, qui commandait dans l’Ifrîkya,
avait conseillé de passer de son côté et de se sou-
mettre au khalife , avec promesse de lui donner les
plus grands biens :
ffO Behloul! les grandeurs dont ton esprit se
ce flatte auront bientôt changé leur éclat en tristesse,
ff Ibrahim, quoique loin de toi, te trompe, et de-
crmain tu te trouveras bridé sans t’en douter.
ff Comment ne connais-tu point les ruses de Ben el-
ffKhaleb? Demande, et tous les pays te les feront
cf connaître. Tes plus belles espérances, Behloul,
28
crne sont que malheurs! les promesses d’Ibrahini
fi- sont des chimères ! v
Edriss eut pour ministre Ameir ben Mosshab
Elezdy; pour kady, Amer ben Mohammed ben Saïd
el-Kasby, et pour secrétaire Abou el-Hassên Abd
Allah ben Malek el-Ensary.
L’imam Edriss ayant accompli dix ans et cinq
mois, Rachid le Serviteur résolut de le mettre à la
tête du gouvernement des tribus berbères et autres
du Maghreb; mais il n’en eut point le temps, car
Ibrahim ben Khaleb, qui gouvernait dans l’Ifrîkya,
ayant connu son projet, gagna, par de fortes sommes
envoyées secrètement, les Berbères de sa suite, qui le
mirent à mort en 188 (8o3 J. G.). Rachid fut rem-
placé dans les affaires par Abou Khaleb ben Yezid
ben Elias el-Hamoudi, qui fit reconnaître, vingt jours
après, la souveraineté d’Edriss par toutes les tribus
berbères. Sa proclamation eut lieu un vendredi, au
commencement du mois de raby el-aouel, an 188.
Abd el-Malek el-Ourak, parlant dans son histoire
de la mort de Rachid, rapporte ce qui suit :
ff Ibrahim ben Khaleb, dans une de ses lettres au
ff khalife Rachid, écrivit en témoignage de son dé-
ff vouement et de sa fidélité : Sachez que Rachid a
ff succombé à mes ruses et n’existe plus, et que je
ff tends pour Edriss de nouvelles embûches. J’ai su les
ff atteindre dans leur demeure lointaine, et je leur ai
fffait justement ce qu’ils voulaient me faire. C’est le
ff frère deHakim qui a tué Rachid, mais c’est moi qui
ET ANNALES DE LA VILLE DE F ES. 29
ffl’ai poussé, car il dormait tandis (]iie je veillais, r»
Celui que Ben Khaleb désigne par le frère de
Hakim se nommait Mohammed ben el-Mekatel el-
Haky, et avait aussi un commandement dans l’Ifrîkya
que le khalife Rachid lui ôta à cette occasion pour le
donner à Ibrahim ben el-Khaleb.
Dans Bekry et Bernoussy on trouve que Rachid ne
mourut qu’après la proclamation d’Edriss, et il est
dit ce qui suit :
cr L’imam Edriss , ayant accompli sa onzième année,
dépossédait un esprit, un talent, une raison et une
fr éloquence qui surprenaient les sages et les savants;
rr Rachid le présenta aux Berbères pour le faire re-
rr connaître comme souverain. C’était le vendredi de
crraby el-aouel, an 188. Edriss monta en chaire
fc pour réciter au peuple les prières de ce jour, et dit :
r: Louange à Dieu! je le glorifie! Qu’il me pardonne
fret me secoure! Dieu unique, je vous ai imploré;
ff guidez mon âme dans le bien, préservez-moi du
crmal et préservez-en les autres. Ici, je le témoigne,
ff il n’y a de Dieu que Dieu , et notre seigneur Moham-
crmed (que le Tout-Puissant le bénisse!) est son ser-
re viteur et son prophète, envoyé auprès des hommes
fret des génies pour les avertir, les instruire et les
ff appeler dans la voie du ciel , au nom de leur Dieu
fret par des signes évidents. Répandez, ô mon Dieu,
rr vos bénédictions sur lui et la famille sacrée, famille
ff pure, préservée de tout mal et exempte de toute
cr souillure! hommes! je vais avoir désormais le
30
r commandement de ces affaires que Dieu récom-
ff pense ou punit doublement, selon qu’elles sont
ff bonnes ou mauvaises. N’allez donc pas chercher
cr un autre chef que moi, et soyez certains que je com-
ffblerai vos désirs, tant qu’ils seront conformes à la
ff justice. — Les assistants furent frappés de la clarté,
ff de l’esprit, de l’énergie et du sang-froid qu’Edriss
ff déployait si jeune, et à peine fut-il descendu de
ff chaire qu’ils se portèrent en foule vers lui pour lui
ff baiser la main en signe de leur soumission. C’est
ff ainsi qu’eut lien la proclamation d’Edriss dont la
ff souveraineté fut reconnue par les tribus des Zenèta ,
ffOuaraba, Senliadja, Goumâra et tous les Ber
ff hères du Maghreb. Rachid mourut quelque temps
ff après. V
Dieu connaît la vérité! Edriss ayant reçu la sou-
mission de tous les habitants du Maghreb, régularisa
et étendit sa domination , augmenta le nombre de ses
officiers et agrandit ses armées. On accourait vers lui
de tous pays et de tous côtés. Il employa le reste de
l’année de sa proclamation, 188, a distribuer des
biens, à faire des présents aux nouveaux venus et à
s’attacher les grands et les cheikhs. En 1 8 9 (8 /i J. C),
une foule d’Arabes des pays d’Ifrîkya et d’Andalousie
arrivèrent chez Edriss, ainsi que cinq cents cavaliers
environ des tribus d’Akhysia, El-Houzd, Medehadj,
Béni \ ahthob, Seddafy et autres. L’imam les accueillit
avec joie, les éleva aux honneurs et les initia aux af-
faires de son gouvernement, à l’exclusion des Ber-
. 31
bères, auxquels il les préférait à cause de l’idiome
arabe que ces derniers ne savaient pas. Il choisit
pour ministre Ameïr ben Mosshab; c’était un des prin-
cipaux chefs arabes dont le père, Mosshab, s’était
maintes fois distingué en Ifrîkya et en Andalousie, où
il s’était valeureusement comporté dans les guerres
contre les chrétiens. Il éleva également Amer ben
Mohammed ben Saïd el-Akhyssy de Khys Khillen à
la dignité de kady. Amer était homme de bien, in-
tègre, instruit, et versé dans les doctrines d’El-Malek
et de Souffian el-Tourry, qu’il suivit exactement.
Edriss se décida à aller faire la guerre sainte en
Andalousie; mais à peine fut-il descendu dans l’A-
doua , qu’il fut rejoint par un grand nombre d’Arabes
et autres qui venaient se rallier à lui de tous les points
du Maghreb; alors, considérant que sa domination
s’était étendue, que son armée s’était augmentée à
tel point que Oualily était désormais trop petite pour
la contenir, l’imam conçut l’idée de bâtir une nou-
velle ville pour lui, sa famille, sa suite et les princi-
paux de ses sujets. Revenant donc sur son premier
dessein, il partit, avec quelques officiers et les chefs
de sa suite, à la recherche d’un emplacement. On
était alors en 190 (8o5 J. C). Arrivé au Djebel Oua-
likh, Edriss, charmé de la position du terrain, de la
douce température et de l’étendue des vallées qui en-
touraient cette montagne, traça à sa base le circuit
de la ville. On commença à bâtir; mais déjà une par-
tie des murs d’enceinte était élevée, lorsque un tor-
32
rent, se précipitant une nuit du haut de la mon-
tagne, détruisit tout ce qui était construit, emporta
les habitations des Arabes et dévasta les champs.
Edriss cessa de bâtir et dit : a Ce lieu n’est point pro-
rrpre à l’élévation d’une ville, car le torrent le do-
frmine. Ti C’est ainsi que Ben el-Ghâleb rapporte ce
fait dans son histoire. On raconte aussi qu’Edriss, fds
d’Edriss, ayant atteint le sommet du Djebel Oualikh,
fut charmé de la belle vue que l’on avait de tous cô-
tés, et ayant rassemblé les chefs et les principaux de
leurs sujets, il leur ordonna de bâtir au pied de la
montagne. Ceux-ci, se mettant à l’ouvrage, construi-
sirent des maisons, percèrent des puits, plantèrent
des oliviers, des vignes et autres arbustes. L’imam
lui-même jeta les fondements d’une mosquée et des
murs d’enceinte, qui étaient déjà élevés au plus du
tiers de leur hauteur, lorsqu’une nuit la tempête
survint et plusieurs torrents réunis , descendant impé-
tueusement de la montagne, détruisirent tout ce qui
avait été construit, dévastèrent les plantations et em-
portèrent les débris jusqu’au fleuve Sebou où ils •
s’engloutirent. Un grand nombre d’hommes périrent
cette nuit-là, et telles furent les causes qui firent
abandonner les travaux en cet endroit.
Au commencement de moharrem,an 191 (806
J. C), l’imam Edriss se mit de nouveau en cam-
pagne pour aller chercher l’emplacement de la ville
qu’il voulait construire. Arrivé à Khaoullen, près du
fleuve Sebou, il fut séduit par le voisinage de l’eau
. 33
et du bois, et résolut d’y bâtir sa ville. Il commença à
creuser les fondements, à préparer le mortier et à
couper des pièces de bois; mais au moment de cons-
truire, il lui vint à l’idée que les eaux bouillonnantes
du Sebou, déjà si abondantes, pouvaient bien, en
temps de pluie , augmenter encore et causer par leur
débordement la perte de ses gens. Saisi de crainte,
il renonça encore cette fois à sa ville et revint à
Oualily. Cependant, il chargea son ministre Ameïr
ben Mosshab el-Azdy de lui trouver un emplace-
ment convenable pour mettre son projet à exécution.
Ameïr partit, accompagné de quelques hommes,
et parcourut le pays en tous sens; arrivé à Fhahs
Sais, il fut satisfait des terres vastes, fertiles et bien
arrosées qui se déroulèrent devant lui, et il mit pied
à terre près d’une fontaine dont les eaux limpides
et abondantes coulaient à travers de vertes prairies.
S’étant purifié ainsi que ses gens à cette source, le
ministre fit la prière du Douour et supplia le Dieu
très-haut de lui venir en aide et de lui désigner le
lieu où il lui serait agréable que ses serviteurs demeu-
rassent. Alors, remontant à cheval, il partit en or-
donnant à ses gens d’attendre là son retour. Ce fut
Ameïr ben Mosshab qui donna le nom à cette fontaine,
que de nos jours encore on appelle Aïn Ameïr. C’est
de lui que descendent également les Béni Meldjoum,
qui sont les maçons de Fès.
Ameïr parcourut Fhahs Saïs et s’arrêta aux sources
de la rivière de Fès. qui jaillissent au nombre de
3
U
soixante et plus, sur un beau terrain couvert de ro-
marins, de cyprès, d’acacias et autres arbres, a Eau
rr douce et légère! dit Ameïr après avoir bu à ces
rr sources, climat tempéré, immenses avantages!… Ce
ff lieu est magnifique! Ces pâturages sont encore plus
ff vastes et plus beaux que ceux du fleuve Sebou!r>
Puis, suivant le cours de la rivière, il arriva à l’en-
droit où la ville de Fès fut bâtie; c’était un vallon
situé entre deux hautes montagnes richement boi-
sées, arrosé par de nombreux ruisseaux, et qui
était alors occupé par les tentes des tribus des Ze-
nèta désignées sous les noms de Zouagha et Béni
Yarghich.
Retournant près d’Edriss, le ministre lui rendit
compte de ce qu’d avait vu, et lui lit une longue des-
cription de ce pays si beau, si fertde, abondammeni
arrosé et placé sous un climat doux et sain. L’imam,
émerveillé, lui demanda : rr A qui donc appartient
rr cette propriété? — A la tribu des Zouagha, qu’on
rr appelle aussi Béni el-Kheïr (Enfants du Bien), ré-
rr pondit Anieïr. — Ce nom est de bon augure, t^ dit
Edriss, et aussitôt il envoya chez les Enfants du
Bien pour acheter l’emplacement de la ville, qu’il
leur paya 6,000 drahem, ce dont il fit dresser acte.
On raconte aussi que l’endroit où Fès est située
était habité par deux tribus zenèta, les Zouagha et
les Béni larghich, hommes libres, dont les uns pro-
fessaient fislamisme et les autres étaient chrétiens,
juifs ou idolâtres. Les Béni larghich étaient campés
. 35
sur le lieu nommé aujourd’hui Adoiia el-Andalouè;
mais leurs habitations et leurs familles étaient à Bel
Chybouba. Les Zouagha occupaient l’emplacement
actuel de l’Adoua el-Kairaouyn.
Ces deux tribus étaient constamment en guerre,
et elles se battaient pour une question de territoire ,
lorsque Edriss et son ministre Ameïr arrivèrent. L’i-
mam , ayant appelé à lui les principaux des deux par-
tis, leur fit faire la paix et leur acheta l’emplacement
de Fès , qui était alors couvert de bois et d’eau , et ser-
vait de repaire aux lions et aux sangliers.
Suivant un autre récit, l’imam acheta des Béni
\argliich l’emplacement de l’Adoua el-Andalous pour
1,5 drahem qu’il leur paya, et fit dresser l’acte de
vente par son secrétaire le docte Abou el-Hassen
Abd Allah ben Malek el-Ensary el-Regeragi. On était
alors en 191. Edriss commença à bâtir et établit ses
tentes à l’endroit nonmié aujourd’hui encore el-Ge-
douara qu’il entoura de broussailles et de roseaux.
Ce fut après cela qu’Edriss acheta pour 3,5 00 dra-
hem l’emplacement de l’Adoua el-Kairaouyn, qui ap-
partenait aux Béni el-Kheïr, fraction des Zouagha.
HISTOIRE DES CONSTRUCTIONS FAITES PAR L’IMAM EDRISS DANS LA
VILLE DE FÈS. DESCRIPTION DES BIENFAITS ET DES BEAUTES QUE
DIEU A DISPENSÉS À FES, QUI EXCELLE SUR TOUTES LES AUTRES
VILLES DU MAGHREB.
L’auteur du livre (que Dieu l’agrée!) continue :
Depuis sa fondation , la ville de Fès a toujours été le
3.
36
siège de la sagesse, de la science, de la paix et de la
religion ; pôle et centre du Maghreb , elle fut la capi-
tale des Edrissites hosseïniens qui la fondèrent, et la
métropole des Zenèta, des Béni \fran, des Magh-
raoua et autres peuples mahométans du Maghreb.
Les Lemtuna s’y fixèrent quelque temps, lors de
leur domination; mais bientôt ils bâtirent la ville de
Maroc, qu’ils préférèrent à cause de la proximité de
leur pays, situé dans le sud. Les Mouâhédoun (Almo-
hades), qui vinrent après eux, suivirent leur exemple
par la même raison ; mais Fès a toujours été la mère
et la capitale des villes du Maghreb, et aujourd’hui
elle est le siège des Béni Meryn qui la chérissent et
la vénèrent. (Que Dieu perpétue leurs jours!)
Fès réunit en elle eau douce, air salutaire, mois-
sons abondantes , excellents grains , beaux fruits ,
vastes labours, fertilité merveilleuse, bois épais et
proches, parterres couverts de fleurs, immenses jar-
dins potagers , marchés réguliers attenant les uns aux
autres et traversés par des rues très-droites; fon-
taines pures, «ruisseaux intarissables qui coulent à
flots pressés sous des arbres touflus, aux branches
entrelacées, et vont ensuite arroser les jardins dont
la ville est entourée.
Il faut cinq choses à une ville, ont dit les philo-
sophes : eau courante, bon labour, bois à proximité,
constructions solides, et un chef qui veille à sa pros-
périté, à la sûreté de ses routes et au respect dû à
sa puissance. A ces conditions, qui accomplissent et
. 37
ennoblissent une ville, Fès joint encore de grands
avantages, que je vais décrire, s’il plaît à Dieu.
Dans nulle partie du Maghreb on ne trouve de si
vastes terres de labour et des pâturages si abondam-
ment arrosés que ceux qui entourent Fès. Du côté
du midi s’élève la montagne des Béni Behloui, dont
les forêts superbes donnent cette quantité incalcu-
lable de bois de chêne et de charbon que l’on voit
accumulée chaque matin aux portes de la ville. La
rivière, qui partage la ville en deux parties, donne
naissance, dans son intérieur, à mille ruisseaux qui
portent leurs eaux dans les lavoirs, les maisons et les
bains, et arrosent les rues, les places, les jardins, les
parterres, font tourner les moulins et emportent
avec eux toutes les immondices.
Le docte et distingué Abou el-Fadhl ben el-
Nahouy, qui a chanté les louanges et la description
de Fès, s’est écrié :
cr Fès , toutes les beautés de la terre sont réu-
fcnies en toi! De quelle bénédiction, de quels biens
crne sont pas comblés ceux qui t’habitent! Est-ce ta
r fraîcheur que je respire, ou est-ce la santé de mon
crame? Tes eaux sont-elles du miel blanc ou de
r l’argent? Qui peindra ces ruisseaux qui s’entre-
cc lacent sous terre et vont porter leurs eaux dans les
cr lieux d’assemblées, sur les places et sur les che-
r mins ! i->
Le docte Abou el-Fadhl ben el-Nahou) était de
ceux qui possèdent science, religion, intégrité et
38
bienfaisance, ainsi qu’il est dit dans le Téchaouif qui
traite de l’histoire des hommes savants du Maghreb.
Un autre illustre écrivain, le docte et très-savant
Abou Abd Allah el-Maghyly, étant kady à Azimour,
a dit ce qui suit dans une de ses odes à Fès :
rr Fès! que Dieu conserve ta terre et tes jardins,
cret les abreuve de l’eau de ses nuages! Paradis
rr terrestre qui surpasse en beautés tout ce qu’il y a
cfde plus beau et dont la vue seule charme et en-
cr chante! Demeures sur demeures aux pieds des-
cf quelles coule une eau plus douce que la plus douce
ff liqueur! Parterres sendjlables au velours, que les
rf allées, les plates-bandes et les ruisseaux bordent
fc d’une broderie dor! Mosquée el-Kairaouyn, noble
ff nom ! dont la cour est si fraîche par les plus grandes
ff chaleurs!… Parler de toi me console, penser à toi
fffait mon bonheur! Assis auprès de ton admirable
ff jet d’eau, je sens la béatitude! et avant de le lais-
ff ser tarir, mes yeux se fondraient en pleurs pour le
ff faire jaillir encore! t
L’auteur du livre reprend : L’Oued Fès , dont
l’eau l’emporte par la douceur et la légèreté sur les
meilleures eaux de la terre, sort de soixante sources
qui dominent la ville. Cette rivière traverse d’abord
une vaste pleine couverte de gossampins et de cyprès;
puis, serpentant à travers les prairies toujours vertes
qui avoisinent la ville, elle entre à Fès, où elle se di-
vise, comme on l’a dit, en une infinité de petits ruis-
seaux. Enfin, sortant de Fès, elle arrose les cani-
B
pagnes et ies jardins, et va se jeter dans le ileuve
Sebou, à deux milles de la ville.
Les propriétés de l’eau de l’Oued Fès sont nom-
breuses; elle guérit de la maladie de la pierre et des
mauvaises odeurs; elle adoucit la peau et détruit les
insectes; on peut sans inconvénient en boire en quan-
tité à jeun, tant elle est douce et légère (qualités
qu’elle acquiert en coulant à travers le gossampin et le
cyprès). Le médecin Ben Djenoun rapporte que, bue
à jeun, cette eau rend plus agréable le plaisir des
sens. Elle blanchit le linge sans qu’il soit nécessaire
d’employer du savon, et elle lui donne un éclat et
un parfum surprenants. On tire de l’Oued Fès des
pierres précieuses qui peuvent remplacer les perles
fines. Ces pierres valent un metkal d’or la pièce, ou
plus ou moins, selon leur pureté, leur beauté et leur
couleur. On trouve également dans cette rivière des
cheratyns(écre visses) qui sont très-rares dans les eaux
de l’Andalousie, et on y pêche plusieurs espèces de
poissons excellents et très-sains, tels que el-boury
(le mulet), el-seniah, el-lhebyn (cyprinum), el-
bouka (murex) et autres. En résumé, l’Oued Fès
est supérieur aux autres rivières du Maghreb par ses
bonnes et utiles qualités.
Il n’existe nulle part des mines de sel aussi remar-
quables que celles de Fès; situées à six milles de la
ville, ces mines occupent un terrain de dix-huit milles,
et sont conq)rises entie le hameau de Chabty et
l’Oued Mesker, dans le Demnet el-Bakoul. Elles don-
40
lient différentes espèces de sel variant entre elles de
couleur et de pureté. Ce sel, rendu en ville, coûte
un drahem les dix sda, quelquefois plus, quelquefois
moins, selon le nombre des vendeurs; autrefois avec
un drahem on en avait une charge (de chameau), et
souvent même les marchands ne pouvaient s’en dé-
faire , tant l’abondance était grande ; mais ce qui est
vraiment merveilleux, c’est que l’espace occupé par
ces mines est coupé en divers sens par des champs
cultivés, et certes, quand au milieu du sel on voit
s’élever de belles moissons dont les épis se balancent
sur de vertes tiges, on ne peut que dire : c’est là
un bienfait de Dieu, un signe de sa bénédiction!
A un mille environ de Fès est situé le Djebel Beiii
Bazgha, qui fournit ces quantités indicibles de bois
de cèdre qui chaque jour arrivent en ville. Le fleuve
Sebou, qui n’a qu’une seule source, sort d’une grotte
de cette montagne et suit son cours à l’est de Fès, à
une distance de deux milles. C’est dans ce fleuve que
Ton pêche le chabel et le boury (l’alose et le mulet),
qui arrivent si fiais et en si grande quantité sur les
marchés de la ville. C’est aussi sur les bords du Se-
bou que les habitants de Fès viennent faire leurs par-
ties de plaisir.
A tous les avantages qui distinguent Fès des autres
villes, il faut ajouter encore les beaux bains de Khaou-
len, situés à quatre milles de ses portes, et dont les
eaux sont d’une chaleur extraordinaire. Non loin de
Khaoulen sont enfin les magnifiques thermes de
ET ANNALKS DE LA VILLE DE FÈS. 41
Oiiachnena et de Aby Yacoub, les plus renommés du
Maghreb.
Les habitants de Fès ont l’esprit plus fin et plus
pénétrant que les autres peuples du Maghreb; fort
intelligents, très-charitables, fiers et patients, ils sont
soumis à leur chef et respectent leur souverain. En
temps d’anarchie ils l’ont toujours emporté sur les
autres par leur sagesse, leur science et leur religion.
Depuis sa fondation, Fès a toujours été propice aux
étrangers qui sont venus s’y établir. Grand centre
où se réunissent en nombre les sages, les docteurs,
les légistes, les littérateurs, les poëtes, les médecins
et autres savants, elle fut de tout temps le siège de
la sagesse, de la science, des études nouvelles et de
la langue arabe, et elle contient à elle seule plus de
connaissances que le Maghreb entier. Mais, s’il n’a
jamais cessé d’en être ainsi, il faut l’attribuer aux
bénédictions et aux prières de celui qui l’a fondée;
l’imam Edriss, fils d’Edriss (que Dieu l’agrée!), au
moment d’entreprendre les premiers travaux, leva
les mains au ciel et dit : cr mon Dieul faites que ce
rrlieu soit la demeure de la science et de la sagesse!
rrque votre livre y soit honoré et que vos lois y soient
rr respectées! Faites que ceux qui l’habiteront restent
cf fidèles au Sonna et à la prière aussi longtemps que
rr subsistera la ville que je vais bâtir! v Saisissant alors
unepioche, Edriss commença lespremiers fondements.
Depuis lors jusqu’à nos jours, an 726 (iSaS
.1. C), Fès a effectivement toujours été la demeure
42
de la science, de la doctrine orthodoxe, du Sonna, et
le lieu de réunion et de prières. D’ailleurs, pour ex-
pliquer tant de bienfaits et de grandeurs, ne sutlit-il
pas de connaître la prédiction du Prophète (que Dieu
le bénisse et le sauve!), dont les propres paroles sont
rapportées dans le livre d’Edraiss ben Ismaël Abou
Mimouna, qui a écrit de sa propre main ce qui suit :
cf Abou Medhraf d’Alexandrie m’a dit qu’d tenait
rrde Mohammed ben Ibrahim el-Mouaz, lequel le te-
rr nait de Abd er-Rahmann ben el-Kasem, qui le tenait
ff de Malek ben Ans, qui le tenait de Mohammed ben
frChahab el-Zahery, qui le tenait de Saïd ben el-
cfMessyb, qui le tenait d’Abou Hérida, lequel avait
ff entendu de Sidi Mohammed lui-même (que Dieu
et le sauve et le bénisse!) la prophétie suivante : Il
ff s’élèvera dans l’Occident une ville nommée Fès qui
ffsera la plus distinguée des villes du Maghreb; son
ff peuple sera souvent tourné vers l’Orient; fidèle au
ff Sonna et à la prière , il ne s’écartera jamais du che-
ff min de la vérité; et Dieu gardera ce peuple de tous
ff maux jusqu’au jour de la résurrection ! v
Abou Ghâleb raconte dans son histoire qu’un jour
l’imam Edriss, se trouvant sur l’emplacement de la
ville qu’il voulait bâtir, était occupé à en tracer les
contours, lorsque arriva vers lui un vieux solitaire
chrétien, qui paraissait bien avoir cent cinquante ans,
et qui passait sa vie en prières dans un ermitage situé
non loin de cet endroit. frQue le salut soit sur toi!
ffdit le solitaire en s’arrètant: réponds, émir, que
, 43
«viens -tu faire entre ces deux montagnes? — Je
fc viens, répondit Edriss, élever une ville où je de-
ff meurerai et où demeureront mes enfants après moi,
rrune ville où le Dieu très-haut sera adoré, où son
rr Livre sera lu et où l’on suivra ses lois et sa religion ! r
cf — Si cela est, émir, j’ai une bonne nouvelle à te
«donner. — Qu’est-ce donc, ermite? — Ecoute. Le
ce vieux solitaire chrétien, qui priait avant moi dans ces
ff lieux et qui est mort depuis cent ans, m’a dit avoir trou-
er vé dans le livre de la science qu’il exista ici une ville
ff nommée Sèf qui fut détruite il y a dix-sept cents ans,
r mais qu’un jour il viendrait un homme appartenant
ffà la famille des Prophètes, qui rebâtirait cette ville,
«relèverait ses établissements et y ferait revivre une
«population nombreuse; que cet homme se nom-
« merait Edriss ; que ses actions seraient grandes et
«son pouvoir célèbre, et qu’il apporterait eu ce lieu
«l’islam qui y demeurerait jusqu’au dernier jour. —
«Loué soit Dieu ! Je suis cet Edriss, -^i s’écria l’imam,
et il commença à creuser les fondations.
A l’appui de cette version l’auteur cite le passage
d’El-Bernoussy où il est dit qu’un juif, creusant les
fondements d’une maison près du pont de Ghzila.
sur un lieu qui était encore, comme la plus grande
partie de la ville, couvert de buissons, de chênes,
de tauiarins et autres arbres, trouva une idole en
marbre, représentant une jeune fille, sur la poitrine
de laquelle étaient gravés ces mots en caractères an-
ti(|ues : « En ce lieu, consacré aujourd’hui à la prière.
44
frétaient jadis des thermes florissants, qui furent dé-
crtruits après mille ans d’existence, ti D’après les
recherches des savants qui se sont particulièrement
occupés des dates et de la fondation de la ville de
Fès, Edriss jeta les premiers fondements le premier
jeudi du mois béni de raby el-aouel, an 192 de
l’hégyre (3 février 808 J. G.). Il commença parles
murs d’enceinte de l’Adoua^ el-Andalous, et, un an
après, dans les premiers jours de raby el-tâni, an
198, il entreprit ceux de l’Adoua el-Kairaouyn. Les
murs de l’Adoua el-Andalous étant achevés , l’imam
fit élever une mosquée auprès du puits nommé
Gemâa el-Chiak (lieu de réunion des cheikhs) et y
plaça des lecteurs. Ensuite il fit abattre les arbres et
les broussailles qui couvraient de leurs bois épais
l’Adoua el-Kairaouyn , et il découvrit ainsi une infi-
nité de sources et de cours d’eau. Ayant mis les tra-
vaux en train sur cet emplacement, il repassa dans
l’Adoua el-Andalous et s’établit sur le lieu appelé
el-Kermouda; il construisit la mosquée El-Cheyâa
(que Dieu l’ennoblisse!) et y plaça des lecteurs. En-
suite il bâtit sa propre maison, connue jusqu’à ce
jour sous le nom de Dar el-Kytoun et habitée par
les chérifs Djoutioun, ses descendants; puis il édifia
l’Al-Kaysserïa (les bazars) à côté de la mosquée, et
établit tout autour des boutiques et des places. Gela
‘é^’^C. Adoua, rive; les rives diin fleuve, d’un ruisseau, les
deux côtés d’un détroit.
/.i)
fait, Edriss ordonna à ses gens de construire leurs
demeures. rrCeux d’entre vous, dit-ii, qui auront
ff choisi un terrain et qui auront sur ce terrain établi
rrdes maisons ou des jardins avant que les murs
ff d’enceinte soient entièrement achevés, en reste-
cf ront propriétaires. Je le leur donne, dès à présent,
ff pour l’amour du Dieu très-haut, t Aussitôt le peu-
ple se mit à bâtir et à planter des arbres fruitiers;
chacun, choisissant un emplacement assez vaste pour
construire sa demeure et son jardin, le défrichait et
employait à la construction de sa maison le bois des
arbres qu’il abattait.
Sur ces entrefaites, une troupe de cavaliers persans
de l’Irak, appartenant en partie aux Béni Mélouana,
arrivèrent auprès d’Edriss et campèrent dans le voisi-
nage de l’Aïn-Ghalou ; cette fontaine, située au milieu
d’une épaisse forêt de dhehach , de ghyloun , de kelkh,
de besbâset autres arbres sauvages, était la demeure
d’un nègre nommé Ghalou, qui arrêtait les passants.
Avant la fondation de Fès, personne n’osait s’appro-
cher de cet endroit, ni même se mettre en chemin, de
peur de rencontrer Ghalou. A cette peur se joignait
l’épouvante qu’occasionnaient le bruissement des bois
épais, le grondement de la rivière et des eaux, et les
cris des bêtes féroces qui avaient là leurs repaires. Les
bergers fuyaient ces parages avec leurs troupeaux,
et si quelquefois il leur arrivait de se hasarder
de ces côtés, ce n’était jamais que sous une nom-
breuse escorte. Edriss commençait à bâtir sur l’A-
40 HISTOIRE DES SOIVERAINS DU MAGHREB
doua ei-Andalous lorsqu’il apprit ces détails; im-
médiatement d donna Tordre de s’emparer du nègre,
et, dès qu’on le lui eut amené, il le tua et fit clouer le
cadavre à un arbre situé au-dessus de ladite fontaine,
où il le laissa jusqu’à ce qu’il eût entièrement disparu
en lambeaux de chair décomposée. C’est de là que
vient le nom de Ghalou que cette fontaine porte en-
core aujourd’hui.
Dans la construction des murs de 1 Adoua el-Kai-
raouyn, l’imam prit pour point de départ le sommet
de la colline d’Ain Ghalou , où il fit la première porte
de la vdle qu’il nomma Bah Ifrtkya (porte d’Afrique) ;
de là, portant les murs vers Ain Derdoun et jusqu’à
Sahter, il éleva la deuxième porte Bab Saclaun; de
Bab Sadaun, i\ se dirigea vers Ghallem, où il éta-
blit la porte appelée Bab el-Fars (porte de Perse);
de Ghallem, il descendit sur les bords de la ri-
vière (Oued Kebir) qui sépare les deux Adoua, et il
fit le Bab el-Facil (porte de la séparation) , qui conduit
d’une Adoua à l’autre. Passant sur l’autre rive , il cons-
truisit, en remontant le cours de l’eau, cinq mesafat
de murs, au bout desquels il établit le Bab el-Ferdj
(porte du soulagement), que l’on nomme aujourd’hui
Bab el-Selsela (porte de la chaîne) ; repassant la lùvière
et rentrant sur l’ Adoua el-Kairaouyn, il remonta de
nouveau le courant jusqu’aux fontaines situées entre
El-Sad et El-Gerf, et construisit là le Bab el-Hadid
(porte de fer); rejoignant enfin cette dernière porte
au Bab Ifrikya, il acheva l’enceinte de l’Adoua el-Kai-
ET ANNALES DR 1;A VILLE DE FES. A7
raoïiyii, ville de grandeur moyenne, ayant six portes,
abondamment arrosée et contenant grand nombre de
jardins et de moulins à eau. Passant à l’Adoua el-
Andalous, il construisit au midi la porte par laquelle
on prend le chemin de Sidjilmeça, que l’on nomme
aujourd’hui Bab el-Zeïtoun (porte des oliviers); de là
il dirigea les murs le long de la rivière, en remontant
vers Bersakh , et, arrivé vis-à-vis le Bab el-Ferdj de l’A-
doua el-Kairaouyn , il fit une porte; puis, continuant
les murs jusqu’à Ghybouba, il construisit la porte de
ce nom qui fait face au Bab el-Facd de l’autre Adoua ;
de Bab el-Chjbouba il arriva à la pointe de Hadjer
el-Feradj , et y plaça la porte de l’orient nommée Bab
el-kenesya (porte de l’église), qui conduit au bourg
des malades et par laquelle on prend le chemin
de Tlemcen. Cette dernière porte fut conservée telle
qu’Edriss l’avait faite jusqu’en Sko (ii/i5 J. G.). A
cette époque, elle fut détruite par Abd el-Moumen
ben Ali, qui, devenu maître du Maghreb, s’était em-
paré de la ville de Fès. Elle fut rebâtie en fioi
(l’io^ J. G.) par El-Nasser ben el-Mansour l’almo-
hade, qui relit à neuf les murs d’enceinte, et elle
prit alors le nom de Bab el-Khoukha (porte de la
lucarne). Le bourg des malades était situé au de-
hors de Bab el-Khoukha de façon à ce que le vent
du sud pût emporter loin de la ville les exhalai-
sons qui auraient été nuisibles au peuple. De même, la
rivière ne passait dans ce bourg qu’au sortir de Fès,
et on n’avait point à craindre ainsi ([ue les eaux se
àS
corrompissent par le contact des malades qui s’y bai-
gnaient et y jetaient leurs ordures. Mais, en 619
(1222 J. C), lors de la désastreuse famine qui, jus-
qu’en 687 (1289 J. G.), bouleversa le Maghreb et le
plongea dans les troubles et la misère (malheurs dont
Dieu se servit pour mettre fin au gouvernement des
Almohades et faire briller celui des Meryn), les lé-
preux passèrent le Bab el-Khoukha. et vinrent s’éta-
blir en dehors de Bab el-Gheryah (une des portes de
l’Adoua el-Kairaouyn), dans les grottes situées auprès
du fleuve, entre les silhos aux grains et le jardin Me-
serlat. Ils demeurèrent là jusqu’à ce que les Meryn,
devenus souverains du Maghreb, eurent affermi leur
pouvoir, faitbriller la lumière de leur justice , répandu
leur bénédiction sur le peuple, rétabli la sûreté des
routes et accru par leurs bienfaits la population de la
ville. Alors seulement, en 658, on se plaignit à l’émir
des musulmans, Abou loussef \acoub ben Abd el-
Hakk , de ce que les malades se baignaient et lavaient
leurs vêtements, leur vaisselle et autres objets dans la
rivière, etcorrompaient ainsi les eaux dont l’usage com-
promettait la santé des musulmans de la vdle. Aus-
sitôt Abou loussef (que Dieu lui fasse miséricorde!)
ordonna au gouverneur de Fès, Abou el-Ghala Idriss
ben Aby Koreïch, de faire sortir les malades de cet
endroit et de les chasser loin de la rivière. Get ordre
fut exécuté, et les lépreux furent relégués dans les
cavernes de Borj el-Koukab, au dehors de Bab el-
Djvsa, une des portes de 1 Adoua el-Kairaouyn.
49
Edriss construisit une porte dans le sud de l’Adoua
el-Andalous et la nomma Bab el-Kahla (porte du Sud) ;
cette porte resta intacte jusqu’à l’époque où elle fut
détruite par Dounas el-Azdy, qui s’empara, les armes
à la main, de l’Adoua el-Andalous; elle fut ensuite
reconstruite par El-Fetouli ben el-Mouaz ben Zyry
ben Athia el-Zenety el-Maghraouy, lors de son gou-
vernement à Fès, ou, suivant l’histoire. de Ben Ghâleb,
par El-Fetouh ben Manser el-Yfrany, qui lui aurait
donné son nom.
Fès, dit Abd el-Malek el-Ourak, était anciennement
composée de deux villes ayant chacune ses murs d’en-
ceinte et ses portes; la rivière qui les séparait rentrait
du côté de Bab el-Hadid par une ouverture pratiquée
dans le mur, à laquelle on avait adapté une porte à
bon et beau grillage de bois de cèdre, et sortait par
deux portes semblables à l’endroit nommé El-Roti-
melia; les murs et les portes des deux villes étaient
hauts et forts; par le Bab el-Hadid on prenait le che-
min du mont Fezez et des mines de Ghouam; par la
grande porte (Bab-Soliman), on prenait celui de la
ville de Maroc, du Messamid et autres pays; par le
Bab el-Mkobera (porte du Cimetière), on allait vers
l’ancienne chapelle située au sommet du mont Me-
ghaya. Cette dernière porte fut fermée à l’époque de
la famine, en 627, et n’a plus été ouverte depuis. En-
fin la dernière porte construite par Edriss dans l’A-
doua el-Andalous fut le Bab Hisn Sadoun, située au
nord des murs, sur le mont Sather.
4
50
Plus tard, à l’époque des Zenèta, la population s’é-
tant accrue , une partie des habitants dut aller se loger
dans les jardins situés au dehors de la vdle, et ce fut
alors que l’émir Adjycha ben el-Mouaz et son frère El-
Fetouh, qui gouvernait l’Adoua el-Andalous, renfer-
mèrent dans une même enceinte les deux Adoua et
leurs murs; ils firent construire chacun une porte à
laquelle ils donnèrent leur nom. LeBah Adjycha, situé
vis-à-vis le Bab Hisn Sadoun susmentioiuié, fut con-
servé tout le temps des Zenèta et des Lemtouna jus-
qu’à l’époque du gouvernement de l’émir des croyants
Aby Abd Allah el-Nasser l’Almohade, qui fit recons-
truire les murs détruits en 5/io par son grand-père
Abd el-Moumen. Aby Abd Allah fit bâtir par delà le
Bab Adjycha une grande porte qu’il appela également
Adjycha, dont on fit El-Djycha, en substituant l’article
el au aïn, nom qu’elle garda jusqu’à sa fin. Dé-
truite par le temps, en 684 (i 9,85 J. C), elle fut rele-
vée par ordre de l’émir des musulmans Abou\oussef
Yacoub ben Abd el-Hakk (que Dieu lui fasse miséri-
corde!), lequel était alors a Djezyra el-Hadra (île
verte, Algésiras) dans l’Andalousie. En même temps on
refit à neuf toute la partie des murs attenants à cette
porte, excepté le Kous el-Barâni (arc des étrangers),
que l’on trouva en bon état et auquel on ne toucha pas.
En 68i (1989 J. C), Abou Youssef (que Dieu lui
fasse miséricorde ! ) , après avoir fait réparer et recons-
truire les murs du sud de l’Adoua el-Andalous, fit
abattre toute la partie comprise depuis le Bab el-
. 51
Zeytoun jusqu’au Bab el-Fetouh. Ces travaux furent
exécutés sous la direction du docte kady Abou Oumya
el-Dylley.
Les maisons de Fès ont deux, trois, et jusqu’à
quatre étages , tous également bâtis en pierres dures
et en bon mortier; les charpentes sont en cèdre, le
meilleur bois de la terre; le cèdre ne se corrompt
point, les vers ne l’attaquent pas, et il se conserve
mille ans, à moins que l’eau ne l’atteigne.
Chaque Adoua a toujours eu sa mosquée princi-
pale, ses bazars et son Dar Sekâ (établissement de la
monnaie) particuliers ; à l’époque des Zenèta ces deux
parties eurent même un sultan chacune, El-Fetouh
et Adjycha, fds tous deux de notre père l’émir El-Mouaz
ben Zyry ben Athia; El-Fetouh commandait l’Adoua
el-Andalous et Adjycha l’A doua el-Kairaouyn; l’un et
l’autre avaient une armée, une cour, et adressaient
leurs prières au Dieu très-haut; mais l’un et l’autre
aussi voulaient le ^Douvoir suprême et gouverner le
pays entier. De là, haine mortelle entre eux et une
longue suite de combats sanglants qui furent livrés
sur les bords de la grande rivière, entre les deux
villes, à l’endroit connu sous le nom de Kahfel-Rekad.
Les habitants de l’Adoua el-Andalous étaient forts ,
valeureux et la plupart adonnés aux travaux de la
terre et des champs; ceux de l’Adoua el-Kairaouyn,
au contraire, généralement haut placés et instruits,
aimaient le luxe et le faste chez eux, dans leurs vê-
tements, à leur table, et ils ne se livraient guère qu’au
6.
52
négoce et aux arts. Les hommes de l’Adoua el-Kai-
raouyn étaient plus beaux que ceux de l’Adoua el-
Andalous; mais, en revanche, les femmes de l’Adoua
el-Andalous étaient les plus jolies.
On trouve à Fès les plus belles fleurs et les meil-
leurs fruits de tous les climats. L’Adoua el-Kairaouyn
surpasse cependant l’autre Adoua par l’eau délicieuse
de ses nombreux ruisseaux , de ses fontaines intaris-
sables et de ses puits profonds; elle produit les plus
délicieuses grenades aux grains jaunes du Maghreb,
et les meilleures qualités de ligues, de raisins, de
pêches, de coings, de citrons et de tous les autres
fruits d’automne. L’x’Vdoua el-Andalous, de son côté,
donne les plus beaux fruits d’été, abricots, pêches,
mûres, diverses qualités de pommes, abourny, thel-
khy, khelkhy, et celles dites de Tripoli, à peau fine
et dorée, qui sont douces, saines, parfumées, ni
grosses ni petites, et les meilleures du Maghreb.
Les arbres plantés à Merdj Kertha, situé au dehors
de la porte Béni Messafar, produisent deux fois par
an , et fournissent en toute saison à la ville une grande
quantité de fruits. Du côté de Bab el-Cherky, de l’A-
doua el-Kairaouyn, on moissonne quarante jours après
les semailles; l’auteur de ce livre atteste avoir vu se-
mer en cet endroit le 1 5 avril et récolter à la fin du
mois de mai, c’est-à-dire quarante cinq jours après,
d’excellentes moissons, et cela en 690 (1991 J. C),
année de vent d’est continuel , et durant laquelle il ne
tomba pas une goutte de pluie, si ce n’est le 1 2 avril.
53
Ce qui distingue encore Fès des autres villes du
Maghreb, c’est que les eaux de ses fontaines sont
fraîches en été et chaudes en hiver, tandis que celles
de la rivière et des ruisseaux , qui sont froides en hiver,
sont chaudes en été, de sorte qu’en toutes saisons on
a de l’eau froide et de l’eau chaude à volonté , pour
boire, faire les ablutions et prendre des bains.
On n’est pas d’accord sur l’étymologie du mot Fès.
On raconte que , lors des premiers travaux , l’imam ,
par humilité et pour mériter les récompenses de
Dieu, se mit lui-même à l’ouvrage avec les maçons et
les artisans, et que ceux-ci, voyant cela, lui offrirent
un fès^ (pioche) d’or et d’argent. Edriss l’accepta, et
s’en servit pour creuser les fondements; de là le mot
fès fut souvent prononcé ; les travailleurs disaient à
tout instant, donne le fès, creuse avec le fès, et
c’est ainsi que le nom de Fès est resté à la ville. L’au-
teur du livre intitulé El-Istibsârfi Adjeïb el-Aînçar^ rap-
porte qu’en creusant les premiers fondements du côté
du midi , on trouva un grand fès pesant soixante livres
et ayant quatre palmes de long sur une palme de
large, et que c’est là ce qui fit donner à la ville le
nom de Fès.
Selon un autre récit, on commençait déjà à cons-
truire, lorsque le secrétaire d’Edriss demanda quel
serait le nom de la nouvelle ville, rr Celui du premier
a homme qui se présentera à nous,n lui répondit
‘ jjoV? pi. ^^ Securis , bipeimis. (Kam. Dj.)
^ Considérations sur les merveilles des ffrnndes villes.
54
l’imam. Un individu passa et répondit à la question qui
lui en fut faite, ff Je me nomme Farès ; -n mais, comme il
blésait, il prononça Fès pour Farès, et Edriss dit: cr Que
«la ville soit appelée Fès. ^ On raconte encore qu’une
troupe de gens du Fers (Persans) qui accompagnaient
Edriss tandis qu’il traçait les murs d’enceinte furent
presque tous ensevelis par un éboulement, et qu’en
leur mémoire on donna an lieu de l’accident le nom
de Fers, dont plus tard on fit Fès. Enfin on rapporte
que lorsque les constructions furent achevées, l’imam
Edriss dit : cr II faut donner à cette ville le nom de
rr l’ancienne cité qui exista ici pendant dix-huit cents
cr ans et qui fut détruite avant que l’Islam ne resplen-
cf dît sur la terre, v Cette ville se nommait Sèf et en
renversant le mot on en fit Fès. Cette version der-
nière est la plus probable de toutes ; mais Dieu seul
connaît la vérité.
Lorsque la ville et les murs d’enceinte furent ache-
vés et que les portes furent mises en place, les tribus
s’y rendirent et s’établirent chacune séparément dans
un quartier ; les Kyssyta occupèrent la partie com-
prise entre Bab Ifrîkya et Bab el-Hadid de l’Adoua
el-Kairaouyn ; à côté d’eux se rangèrent les Hara-
byoun et les Agyssya. L’autre partie fut occupée par
les Senhadja, les Louata, les Mesmouda et les Chy-
han. Edriss leur ordonna de diviser les terres et de
les cultiver, ce qu’ds firent, en plantant en même
temps des arbres sur les bords de la rivière, dans
Fhahs Sais, depuis sa source jusqu à l’endroit où elle
. 55
se jette dans le fleuve Sebou. Un an après, ces arbres
donnèrent des fruits^, et c’est là un prodige dii à la
bénédiction et aux vertus d’Edriss et de ses an-
cêtres. (Que le Dieu très-haut les agrée!)
A Fès, la terre est excellente, l’eau très-douce,
le climat tempéré , aussi la population s’accrut-elle
promptement, et avec elle les biens et l’abondance,
et bientôt on vit de tous côtés accourir une foule
innombrable de gens qui venaient se rallier au des-
cendant de la famille de l’Elu, race généreuse et
pure. (Que Dieu la comble de bénédictions!)
Un grand nombre de gens de tous pays et cjuelques
fragments de tribus vinrent bientôt de l’Andalousie
chercher à Fès le repos et la sûreté; en même temps
une foule de juifs s’y réfugièrent, et il leur fut per-
mis de s’établir depuis Aghlen jusqu’à la porte de
Hisn Sadoun, moyennant un tribut annuel (djeziâ)
qu’Edriss fixa à 3o,ooo dinars. Les grands etleskaïds
choisirent leurs habitations dans l’Adoua el-Andalous,
et Edriss, après avoir laissé à la garde de gens de
confiance ses chevaux, ses chameaux, ses vaches et
ses troupeaux , fixa sa résidence dans fAdoua el-Kai-
raouyn avec sa famille, ses serviteurs et quelques né-
gociants, marchands ou artisans.
Fès demeura ainsi pendant tout le règne d’Edriss
et de ses successeurs jusqu’à l’époque des Zenèta; sous
la domination de ceux-ci, elle fut considérablement
agrandie; on construisit au dehors une infinité de
maisons qui rejoignirent bientôt les jardins de la ville.
56
Du Bab Ifrîkya jusqu’à l’Ain Aslîten s’élevèrent au
nord, au sud et à l’est des fondouks (caravansérails),
des bains, des moulins, des mosquées et des souks
(marchés, places). Tout cet espace fut rempli par les
tribus Zenèta, Louata, Maghdà,- Djyraoua, Ouaraba,
Houara, etc. qui s’établirent chacune dans un quar- ”
tier à part auquel elles donnèrent leurs noms. C’est
ainsi que prirent naissance le faubourg Louata, le
faubourg El-Rabt ou Aghlân, le faubourg Aben Aby
Yakouka ou Berzakh, le faubourg Béni Amar ou El-
Djer el-Ahmar, etc.
Huit mille familles de Cordoue, ayant été battues
et cliassées de l’Andalousie par l’imam Hakym ben
Hischàm ^ passèrent dans le Maghreb et vinrent à Fès;
elles s’établirent dans l’Adoua el-Andalous et com-
mencèrent à bâtir à droite et à gauche depuis Keddân ,
Mesmouda, Fouara, Harat el-Bryda et Kenif jusqu’à
Roumelia. C’est depuis lors que cette Adoua s’appela
Adoua el-Andalous. L’autre Adouaprit également son
nom de Kairaouyn, de trois mille familles de Kai-
rouan qui vinrent s’y fixer du temps d’Edriss.
Les Zenèta bâtirent dans l’Adoua el-Kairaouyn les
bains nommés hamam Kerlîoiifa, hamam el-Amir, ha-
niam Rechacka, hamam Rbatha, et dans l’Adoua el-
Andalous, ceux nommés hamam Djerouaoua, hamam
Keddân, hamam Cheikhyn et hamam Djezyra. Ils aug-
mentèrent également le nombre des fondouks (cara-
Hakym ben Hischâm. troisième khalife onimiade d’Espagne
^1 80 à 306 de l’hégyre).
. 57
vanséraiis) et des mosquées. lis retirèrent leskhatheb
(prédicateurs) de la mosquée El-Cheurfa, construite
par Edriss ben Edriss, mais ne touchèrent point au
monument par respect pour le fondateur, et nul après
eux n’osa y porter le moindre changement, jusqu’à ce
qu’enfin le temps eût fait tomber son toit et fait crou-
ler ses murs; alors seulement, en 708 (i3o8 J. G.),
elle fut reconstruite, exactement telle que l’avait
bâtie Edriss, parle docte mufty El-Hadj el-Moubarek
Abou Meryn Chouayb, fils du docte El-Hadj el-Mebe-
rour Aby Abd Allah ben Aby Medyn , qui s’efforça
ainsi de mériter le pardon et les récompenses du Dieu
très-haut.
C’est à l’époque des Almohades que Fès fut dans
toute la splendeur de la richesse , du luxe et de l’a-
bondance. Elle était la plus florissante des villes du
Maghreb. Sous le règne d’El-Mansour l’Almohade
et de ses successeurs, on comptait à Fès sept cent
quatre-vingt-cinq mosquées ou chapelles; quarante-
deux diar loudhou et quatre-vingts skayat, soit cent
vingt-deux lieux aux ablutions à eau de fontaine ou
de rivière; quatre-vingt-treize bains publics; quatre
cent soixante et douze moulins situés autour et à l’in-
térieur des murs d’enceinte et non compris ceux du
dehors. Sous le règne de Nasser, on comptait en
ville quatre-vingt-neuf mille deux cent trente-six
maisons; dix-neuf mille quarante et un mesrya^;
‘ Mesrya , petits logements à un étage , ou simple chambre indé-
pendante pour un homme seul.
58
quatre cent soixante-sept fondouks destinés aux
marchands, aux voyageurs et aux gens sans asile;
neuf mille quatre-vingt-deux boutiques; deux kays-
seria^ dont un dans l’Adoua el-Andalous, près de
l’Oued Mesmouda, et l’autre dans l’Adoua el-Kai-
raouyn; trois mille soixante-quatre fabriques; cent
dix-sept lavoirs publics; quatre-vingt-six tanneries;
cent seize teintureries; douze établissements où l’on
travaillait le cuivre ; cent trente-six fours pour le pain ,
et mille cent soixante et dix autres fours divers.
Les teinturiers s’établirent, à cause de la proxi-
mité de l’eau, des deux côtés de la langue de terre
qui partage l’Oued Kebyr depuis son entrée en ville
jusqu’à Roumelia. Les faiseurs de beignets et les
marchands de gazelle ou autres viandes cuites, bâ-
tirent également leurs petits fours en cet endroit,
et au-dessus d’eux, au premier étage, se fixèrent
tous les fabricants de haiks. Le Oued Kebyr est le
seul qui se présente aujourd’hui encore nettement à
la vue; tous les autres ruisseaux de la ville de Fès
sont couverts par les constructions. La plupart des
jardins ont aussi disparu, et il ne reste plus des an-
ciennes plantations que les oliviers de Ben Athya.
11 y avait à Fès quatre cents fabriques de papier;
mais elles furent toutes détruites à l’époque de la
famine , sous les gouvernements d’El-Adel et de ses
frères El-Mamoun et Rachid, de l’an 6 1 8 à l’an 638.
Ces princes, qui régnèrent pendant ces vingt années
^ Kaysseria, bazar généralement couvert, comme un passage.
. 59
(le malheur et de misère, furent remplacés par les
Meryn, qui relevèrent le pays et rétablirent la sûreté
des routes.
L’auteur de ce livre déclare avoir pris tout ce qui
précède d’un manuscrit du cheikh docte et noble
Abou el-Hassen Aly ben Omar el-Youssy, qui l’avait
pris lui-même d’un ouvrage écrit de la main du noble
El-Kouykiry, inspecteur de la ville sous le règne de
Nasser l’Almohade.
Ben Ghâleb raconte dans son histoire que l’imam
Edriss, ayant achevé de construire la ville, monta en
chaire un jour de vendredi, et qu’aussitôt après le
prône, levant les mains au ciel, il s’écria : rrO mon
ff Dieu ! vous savez que ce n’est point par vanité , ni
fcpar orgueil ou pour acquérir des grandeurs et de
cria renommée que je viens d’élever cette ville! Je
ffl’ai bâtie, Seigneur, afin que, tant que durera le
fc monde , vous y soyez adoré , que votre livre y soit
rrlu et qu’on y suive vos lois, votre religion et le
fr Sonna de notre seigneur Mohammed (que Dieu le
rr comble de bénédictions!). mon Dieu! protégez
cf ces habitants et ceux qui viendront après eux, dé-
rr fendez-les contre leurs ennemis, dispensez-leur les
cf choses nécessaires à la vie, et détournez d’eux le
fr glaive des malheurs et des discussions, car vous
ffêtes puissant sur toutes choses !t) Amen! dirent les
assistants.
En elfet, la nouvelle ville prospéra bientôt. Du
temps d’Edriss et pendant cin(|uante ans, l’abon-
60
dance fut si grande que les récoltes étaient sans va-
leur. Pour deux drahem on avait un saa de blé, et
pour un drahem un saa d’orge; les autres grains se
donnaient. Un mouton coûtait un drahem et demi;
une vache, quatre drahem ; vingt-cinq livres de miel,
un drahem; les légumes et les fruits ne coûtaient
rien.
Lorsque la ville fut achevée, l’imam vint s’y éta-
blir avec sa famille et en fit le siège de son gouver-
nement. 11 y demeura jusqu’en 197(812!. G.);à
cette époque, il en sortit pour aller faire une razia
sur les terres des Messamides, dont il conquit le pays
et les villes de Nefys et de Aghmât. Etant rentré à
Fès,ilen sortit de nouveau en 199 (8i/i J. G.) pour
combattre les Kabyles de Nefrata; il les vainquit, et
vint à Tlemcen , qu’il visita et qu’il fit réparer; il dota
d’une chaire la mosquée de cette ville, et, à ce sujet,
Abou Mérouan Abd el-Malek el-Ourak rapporte ce
qui suit : cr Je suis allé, dit-d, à Tlemcen, en 55o, et
crj’arvu, au sommet de la chaire de la mosquée, un
cr morceau de bois de l’ancienne chaire sur lequel
cr l’imam avait gravé ces mots : cr Construit par les
c: ordres de l’imam Edriss ben Edriss ben Abd Allah
ffben Hosseïn ben el-Hosseïn (que Dieu les agrée
a tous!), dans le mois demoharrem, an 199.17 Edriss
demeura trois ans à Tlemcen et dans ses environs,
et revint à Fès, d’où il ne sortit plus. 11 mourut à
l’âge de trente-trois ans, an siS (B’jS .1. G.). (Que
Dieu lui fasse miséricorde!) 11 fut enterré dans la
. 61
mosquée du côté de l’orient, disent les uns, du côté
de l’occident, selon les autres.
El-Bernoussy rapporte qu’Edriss ben Edriss mou-
rut étoulTé en mangeant des raisins, le 12 de djou-
mad el-tâny, an 2 1 3 ; qu’d était âgé de trente-huit
ans, et se trouvait à cette époque à Oualily, dans le
Zraoun, où il fut enseveli dans le cimetière d’Oualdy
à côté du tombeau de son père.
Edriss mourut après avoir gouverné le Maghreb
pendant vingt-six ans, et laissa douze enfants : Mo-
hammed, Abd Allah, Ayssa, Edriss, Ahmed, Giaf-
far, Yhya, El-Kassem, Omar, Aly, Daoued et Hamza.
Mohammed, l’aîné de tous, lui succéda.
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’IMAM MOHAMMED BEN EDRISS
BEN EDRISS L’HOSSEÏNIEN.
L’imam Mohammed ben Edriss ben Edriss ben
Abd Allah ben Hosseïn ben el-Hosseïn ben Aly ben
Abou Thaleb (que le Dieu très-haut les agrée tous!)
eut pour mère une femme légitime d’Edriss, ap-
partenant à une famille noble de la tribu de Nefiza.
Il était blond, bienfait; il avait une figure agréable
et les cheveux frisés. A peine fut-il au pouvoir que,
pour complaire aux désirs de Khanza, sa grand’-
mère, il divisa le Maghreb en préfectures ou pro-
vinces , dont il donna le coinmandement à ses frères
comme il suit :
A Kassem, les villes de Tanger, Sebta (Geuta),
Hadjer el-Nesr (Alhucema), Tétouan et leurs dépen-
62
dances, auxquelles il joignit le pays de Mesmouda;
A Omar, les \illes de Tedjeiisas, Targha, les pays
de Seiihadja et de Ghoumâra;
A Daoued, les pays de Houara, Tsoul, Mekenesa
et le Djebel Ghyatha;
A Yhya, les villes de Basra, Asîla, Laraïch et dé-
pendances jusqu’au pays de Ourgha;
A Ahmet, les villes de Meknès, de Tedla et le pays
de Fezez;
A Abd Allah, la ville de Aghmât, les pays de
Nefys, de Messamid et le Sous el-Aksa;
A Hamza, la ville de Tlemcen et dépendances.
L’imam Mohammed, s’établit à Fès où il fixa le
siège de son gouvernement, et garda auprès de lui,
sous la tutelle de son aïeule Khanza, ceux de ses frères
qui, à leurs grands regrets, n’avaient point eu de
commandements. Mohammed et ses frères s’occu-
pèrent chacun à fortifier et à organiser leurs gou-
vernements, à assurer la tranquillité des routes, et
firent tous leurs efforts pour rendre leurs actions
utiles et méritoires. Cependant Ayssa , qui comman-
dait à la vdle de Chella et au pays de Temsena, se
révolta contre l’imam, son frère, avec l’intention
manifeste de s’emparer du pouvoir. Mohammed écri-
vit immédiatement à Kassem, gouverneur de Tan-
ger, et lui ordonna d’aller soumettre le rebelle; mais
Kassem ne répondit pas même à la lettre de son
frère, qui s’adressa alors à Omar, qui était à Tedjen-
sas, dans le pays de Ghoumâra. Celui-ci se mit ans-
. 63
sitôt en campagne avec une forte armée composée
de Berbères de Ghoumâra, Ouaraba, Senhadja et
autres, et marcba contre son frère Ayssa. Etant ar-
rivé dans les environs de la ville de Ghella, il écri-
vit à Tiniam pour lui demander un renfort de dix
mille cavaliers Zenèta; puis, ayant rencontré Ayssa à
la tête de ses troupes, il livra bataille et remporta
nne victoire complète. Il chassa Ayssa de la ville et
le força même de sortir des états qu’il commandait.
Omar écrivit aussitôt à Mohammed pour l’informer
de ses succès, et l’imam , l’ayant beaucoup remercié,
lui confia le gouvernement du pays qu’il venait de
soumettre , et lui ordonna d’aller sur-le-champ châ-
tier El-Kassem, qui lui avait désobéi en refusant
d’aller combattre Ayssa. Omar exécuta ce nouvel
ordre et livra bataille à Kassem qui, à son approche,
était sorti de Tanger à sa rencontre. Le combat fut
sanglant; El-Kassem fut battu et forcé de se retran-
cher dans sa ville; mais bientôt, tout le pays étant
tombé au pouvoir de son frère, il dut songer à sa
sûreté et, prenant la fuite par le rivage, il arriva
près d’Asîla, où il construisit une chapelle sur le
bord d’une petite rivière nommée El-Mharhar, et
là, il renonça au monde et consacra à la prière le
reste de ses jours. (Que Dieu lui fasse miséricorde!)
Omar joignit les états de Kassem aux siens et à ceux
d’ Ayssa, et les gouverna tranquillement au nom de
son frère Mohammed jusqu’à sa mort. Son corps fut
transporté de Fedj el-Fers, du pays de Senhadja, à
U
Fès, où son frère Mohammed le fit ensevelir après
avoir lu lui-même les prières d’usage sur son cer-
cueil. Omar ben Edriss est l’aïeul des deux Mohammed
qui régnèrent en Andalousie vers l’an /loo de l’hé-
gyre; il laissa quatre enfants, Aly et Edriss, fils de
Zineba bent el-Kassem el-Djady , et Abd Allah et Mo-
hammed qu’il avait eus de Rebaba, fille d’un esclave.
L’imam Mohammed ne survécut que sept mois à
son frère Omar; il mourut à Fès dans le mois de raby
el-tâny, an 221 (887 J.C), et fut enseveli dans la
mosquée du côté de l’orient, auprès de son frère et
de son père.
Il avait régné huit ans et un mois. Durant sa der-
nière maladie, il choisit pour lieutenant son fils Aly,
qui lui succéda.
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR ALY BEN MOHAMMED, BEN EDRISS
EL-TÂNI L’HOSSEÏNIEN. QUE DIEU LES AGREE TOUS !
L’émir Aly ben Mohammed ben Edriss ben Edriss
eut pour mère Rakietta, femme légitime de l’imam
Mohammed et fille d’Ismaël ben Omar ben Mosshal»
el-Azdy. Il fut proclamé le jour même de la mort
de son père, qui déjà l’avait nommé son khalife. L’é-
mir Aly avait alors neuf ans et quatre mois, et à cet
âge il avait déjà l’esprit droit et distingué et toutes
les qualités de ses ancêtres et de sa noble famille. Il
suivit la voie de son père et de son aïeul, et comme
eux il fut juste, vertueux, rehgieux et prudent. 11
gouverna au nom de la vérité, organisa le pays, fit
65
réparer les villes et tint ses ennemis en respect. Le
peuple du Maghreb vécut dans la paix et le bonheur
sous son règne. Aly mourut au mois de radjeb de
l’année a3A (8/i8 J. C), et eut pour successeur
Yhya son frère.
IIISTOIIÎE DU RÈGNE DE L’ÉHIIR YIIYA lîEN MOHAMMED BEN EDRISS
BEN EDRISS L’IIOSSEÏNIEN.
L’émir Yhya ben Mohammed ben Edriss, etc. fut
proclamé souverain le jour de la mort de son frère
Aly, et marcha dans la voie de ses prédécesseurs.
Sous son règne la population de Fès s’accrut con-
sidérablement, et la ville fut bientôt insuffisante; une
foule d’étrangers venus de l’Andalousie, de l’Ifrîkya
et de toutes les parties du Maghreb, furent obligés
de s’établir dans les jardins du dehors. Yhya fit
construire de nouveaux bains et de nouveaux cara-
vansérails pour les marchands, et c’est à cette époque
que fut bâtie la célèbre mosquée El-Kairaouyn. (Que
Dieu l’ennoblisse de plus en plus!)
HISTOIRE DE LA MOSQUEE EL-KAIRAOUYN, SA DESCRIPTION, SES
ACCROISSEMENTS DEPUIS SA FONDATION JUSQU’À NOS JOURS,
AN 796.
L’auteur de ce livre (que Dieu lui pardonne!) a
dit : Sous les Edrissites, les cérémonies religieuses
du vendredi furent toujours célébrées dans la mos-
quée El-Gheurfa bâtie par Edriss dans l’Adoua el-
Kaij’aouyn et dans la mosquée des cheikhs de l’Adoua
5
60
el-Andalous, L’emplacement où est construite la
mosquée El-Kairaouyn était alors un terrain nu, con-
tenant du gypse et clair-semé de quelques arbres;
il appartenait à un homme d’Houara qui en avait
hérité de son père , lequel en était devenu proprié-
taire avant que la ville fût achevée. Or on se
rappelle que du temps d’Edriss un grand nombre
de familles de Kairouan vinrent s’établir à Fès; de
ce nombre était celle de Mohammed el-Fehery el-
Kairouany qui était arrivé d’ifrîkya avec sa femme,
sa sœur et sa fdle. Cette dernière, appelée Falhma
et surnommée Oumm el-Benm (la mère des deux fils),
était une femme vertueuse et sainte; à la mort de
ses parents elle hérita d’une grande fortune légiti-
mement acquise, dont on ne s’était jamais servi pour
le commerce, et qu’elle voulut consacrer à une œuvre
pieuse pour mériter la bénédiction de Dieu. Fathma
crut atteindre ce but en bâtissant une mosquée, et,
s’il plaît à Dieu très-haut, elle trouvera sa récom-
pense en l’autre monde, le jour où chaque âme-retrou-
vera devant elle le bien quelle aura fait !^ Elle acheta
du propriétaire, moyennant une forte somme d’ar-
gent, l’emplacement de la mosquée El-Kairaouyn
dont elle jeta les premiers fondements le samedi
i^”” du mois de ramadhan le grand, an 266 (869 J.
G.). Les murs furent bâtis en tabiah et en keddhân
que l’on extrayait au fur et à mesure d’une carrière
située sur le terrain même, qui fournissait aussi la
‘ Koran, chaj). m. verset 28.
ET ANNALES DE LA VÎLLE DE FÈS. 67
terre, les pierres et le sable dont on avait besoin.
Fathma fit creuser le puits qui existe aujourd’hui en-
core au milieu de la cour, et d’où l’on tira toute l’eau
nécessaire aux travailleurs, de sorte que cette mos-
quée sacrée fut entièrement bâtie avec les matériaux
de son propre sol, et que l’on eut ainsi la certitude
que rien de ce qui aurait pu n’être pas parfaitement
légitime et pur n’avait été employé. La sainte femme
jeûna tout le temps que durèrent les travaux, et,
lorsqu’ils furent achevés , elle adressa des actions de
grâces au Dieu très-haut qui l’avait secondée. La
mosquée bâtie par Fathma mesurait i5o empans
du nord au sud; elle avait quatre nefs, une petite
cour, un mîhrab^ qui occupait la place située aujour-
d’hui sous le grand lustre. Son minaret était peu
élevé et construit sur l’Aneza du côté du sud. Telle
est la version que rapporte Abou el-Kassem ben
Djenoun, dans ses Commentaires sur l’Histoire de
Fès.
On raconte aussi que Mohammed el-Fehery avait
deux filles, Fathma Oumm el-Benïn et Meriem :
Fathma bâtit la mosquée El-Kairaouyn, et Meriem
la mosquée El-Andalous avec les biens légitimes
dont elles avaient hérité de leur père et de leur
frère. Ces mosquées restèrent telles que les avaient
construites les deux sœurs pendant le règne des
Edrissites jusqu’à l’époque des Zenèta. Ceux-ci, de-
‘ Le Mîhrab est une niche pratiquée clans le mur de la mosquée
pour indiquer la direction de la Mecque.
5.
68
venus maîtres du Maghreb, renfermèrent dans une
seule enceinte les deux Adoua et les jardins qui
les entouraient, et ils reculèrent ainsi les premières
limites de la ville, dont aujourd’hui encore on peut
voir les vestiges. Puis, la population s’étant accrue,
la mosquée El-Gheurfa devint insuffisante pour les cé-
rémonies du vendredi, et les Zenèta les firent célébrer
à la mosquée El-Kairaouyn qui était la plus spacieuse
et qu’ils embellirent d’une chaire. Cela eut lieu en
l’an 3o6 (918 J. G.). Le premier prône fut prononcé
par le docte et distingué cheikh Abou Abd Allah ben
Aly el-Farsy.
Selon une autre version , le premier qui fit passer
les khatheb de la mosquée El-Gheurfa à la mosquée
El-Kairaouyn fut l’émir Hamed ben Mohammed el-
Hamdany, lieutenant d’Obeïd Allah el-Ghyhy au
Maghreb, an Sm (gSa J. G.). L’émir Hamed dé-
plaça également les khatheb de la mosquée des
cheikhs, et les attacha à la mosquée El-Andalous, où
le premier prone fut prononcé par Abou el-Hassan
ben Mohammed el-Kazdy.
Les choses restèrent en cet état et aucun change-
ment ne fut plus apporté ni à l’une ni à l’autre de
ces mosquées, jusqu’à l’époque où l’émir des croyants
Abd er-Rahman el-Nasser Ledyn Illah, roi de l’Anda-
lousie, s’étant emparé de l’ Adoua (El-Gharb) fit re-
reconnaître sa souveraineté à Fès, dont il confia le
gouvernement à un préfet choisi entre les Zenèta et
nommé Ahmed ben Abv Beker el-Zenètv. Gelui-ci,
. 69
homme de bien, vertueux, religieux et intègre, écri-
vit aussitôt à l’émir des croyants pour lui demande)’
l’autorisation de faire réparer, agrandir et embellir
la mosquée El-Kairaouyn. El-Nasser accuedlit fa-
vorablement son message, et lui envoya de fortes
sommes d’argent provenant du cinquième du butin
fait sur les chrétiens, en lui ordonnant de les con-
sacrer comme il le désirait à la mosquée El-Kai-
raouyn. Ahmed ben Aby Beker se mit de suite à
l’œuvre, et fit élargir la mosquée du côté de l’orient,
du côté de l’occident et du côté du nord. 11 détrui-
sit les restes de l’ancien minaret situé sur l’Aneza, et
fit élever celui qui existe aujourd’hui.
HISTOIRE DU MINARET DE LA MOSQUEE EL-KAIHAOU VN.
QUE DIEU L’ennoblisse!
L’imam Ahmed ben Aby Beker construisit le mi-
naret de la mosquée El-Kairaouyn en forme de toui-
carrée, ayant sur chaque côté a 7 empans^ de base
sur 1 08 empans, somme des quatre bases ou côtés,
de hauteur, dimension exacte de cet édifice construit,
d’ailleurs, dans les règles de l’architecture. Sur la
porte située à la façade du couchant sont gravés dans
le plâtre et incrustés d’azur les mots suivants : rr Au
renom de Dieu clément et miséricordieux! Louange
rrà Dieu l’unique, le tout-puissant! Ce minaret a été
cf élevé par Ahmed ben Aby Beker Saïd ben Otliman
PO V _ T
‘ ws**» pi- jH-»»’^ spithania, empan, palme.
70
crel-Zenèty. Que Dieu très-haut le conduise dans la
ff vraie voie, lui donne la sagesse et lui accorde ses
rr récompenses les plus belles! Sa construction fut
ff commencée le premier mardi du mois de radjeb,
ff l’unique de l’année 3kk (gôB J. G.), et fut entiè-
ff rement achevée dans le mois de raby el-tâny, an
ff 3/i5 (956 J. C.).T) On lit également sur un des
côtés de la porte, ffll n’y a de Dieu que Dieu, et
ff Mohammed est l’apôtre de Dieu;T? et sur le côté
opposé : ff Z)îs, ô mes serviteurs : vous qui avez agi
Kiniqueinenl envers vous-mêmes, ne désespérez ^oint de
ff la miséricorde divine; car Dieu pardonne tous les pe-
nchés! il est indulgent et miséricordieux^ . -n
Sur le sommet du minaret on plaça une pomme
en métal doré et incrustée de perles et de pierreries;
l’imam Ahmed ben Aby Beker fit surmonter cette
pomme de l’épée de l’imam Edriss ben Edriss, afin
d’attirer sur l’édifice la bénédiction du fondateur
de Fès. On raconte, à ce sujet, que le minaret était
à peine achevé lorsque les descendants de l’imam
Edriss, se disputant la propriété de cette épée, en
appelèrent, après de vives querelles, à l’imam Ahmed
ben Aby Beker. ff Soyez d’accord, leur dit celui-ci,
ff et Vendez-moi cette arme? — Et qu’en feras-tu, émir?
ff demandèrent-ils unanimement; — Je la placerai sur
ffle haut de ce minaret que je viens de construire,
ff afin qu’elle le couvre de sa bénédiction. — Si tel
ff est ton désir, émir, nous te vendons l’épée et nos
‘ Kornii , cliap. wxix. versel 5/4. •
. 71
ff querelles sont finies, n Et ainsi il fut fait. Ce mi-
naret avait été bâti en belles et bonnes pierres de
taille; mais, une fois achevé, personne n’y toucha
plus et les oiseaux, pigeons et étourneaux, entre
autres, y étabhrent leurs nids. Ce ne fut qu’en 688
(1289 ^- ^’) ^.^^ ^^ docte et vertueux Abou Abd
Allah ben Aby el-Sbar, qui cumulait les fonctions
de kady, de khatheb et d’imam de la mosquée El-Kai-
raouyn, eut la pensée de réparer cet édifice, et en
demanda l’autorisation à f émir des musulmans Abou
Yacoub, fils de l’émir des croyants Youssef ben Abd
el-Hakk (que Dieu leur fasse miséricorde et les
agrée!). Ce prince la lui accorda et lui offrit les fonds
nécessaires prélevés sur les tributs imposés aux chré-
tiens; mais Abou Abd Allah le remercia en lui di-
sant que les biens des mosquées (habous) suffi-
raient avec l’aide de Dieu, et il commença aussitôt
les réparations, en ayant soin de planter de grands
clous en fer de distance en distance pour soutenir le
plâtre et la chaux : 18 rbah 1/2 (A 60 livres) de clous
furent ainsi employés. Une fois ce travail fini, les
ouvriers se mirent à polir et repolir la surface jus-
qu’à ce qu’elle fût devenue unie comme celle d’un
miroir très-pur, et on parvint ainsi, en embellissant
le minaret, à le préserver des oiseaux qui lui avaient
causé maints dégâts. Abou Abd Allah bâtit en même
temps la chambre des muezzins qui est située auprès
de la porte. Après l’émir Ahmed ben Aby Beker,
nul ne toucha à la mosquée bénie jusqu’à l’époque
72 HISTOIRE DES SOUVERAINS DL MAGHREB
de Hacliem el-Mouïd, qui éleva à la dignité de
hadjeb El-Mansoiir ben x\by Amer. Celui-ci cons-
truisit un dôme à la place de l’ancien minaret sur
l’Aneza situé au milieu de la cour, et fit placer sur
ce dôme les signes et les talismans qui se trou-
vaient sur la coupole qui surmontait dans le temps
le premier mîhrab. Ces anciennes figures furent
ajustées sur des pointes de fer que l’on planta sur
le nouveau dôme. Un de ces talismans avait pour
vertu de préserver la mosquée de tous les nids de
rats; ces animaux ne pouvaient pénétrer dans le
saint lieu sans être aussitôt découverts et détruits.
Un autre, sous la forme d’un oiseau tenant en son
bec un scorpion dont on n’apercevait que les palpes,
garantissait la mosquée des scorpions, et s’il arrivai!
qu’un de ses insectes y pénétrât transporté sur le
haïk de quelque fidèle, il ne tombait point et sor-
tait en même temps que celui auquel il s’était accro-
ché. frUn vendredi, raconte le docte El-Hadj Ha-
fcroun, assistant à la prière, je vis un scorpion qui
frétait entré sur les vêtements d’un fidèle ou plus
ff probablement sur quelque objet qui avait été dé-
rrposé à terre, venir dans l’espace qui séparait le
crrang dont je faisais partie du rang de ceux qui
T priaient devant moi, et tout à coup demeurer là
r étourdi et privé de tout mouvement. Les assistants,
fr d’abord saisis de crainte, se rassurèrent, croyant
fT l’animal mort; mais il ne l’était point, et lors(|ue,
cfla prière finie, on voulut l’écraser, il se débattit
ET ANNALES DE LA VILLE DE I-‘ES. T.’.
tf longtemps. Ti Ce fait-là est certain. Un troisième
talisman, monté sur une pointe de cuivre jaune, a
la forme d’un globe et éloigne les serpents, aussi
n’en a-t-on jamais vu un seul dans la mosquée, où
ils ne pourraient pénétrer sans être aussitôt décou-
verts et tués.
Abd el-Malek ben el-Mansour ben Aby-Amer fit
construire le Bit el-Mostadhd (chambre ombragée) si-
tué près du Hafat (bord de la rivière) et la Skayah
(bassin, réservoir) qui reçoit les eaux de l’Oued Has-
sen qui coule hors de la vdle du coté de Bab el-Hadid.
Il fit également construire une chaire en bois de juju-
bier et d’ébène, sur laquelle fut gravée l’inscription
suivante :
rr Au nom de Dieu clément et miséricordieux! Que
rrDieu comble de ses bénédictions notre seigneur
rr Mohammed, sa famdle et ses compagnons et leur
ff accorde le salut! Cette chaire a été construite par
frles ordres du khalife, épée de l’Islam, El-Mansour
ff Abd Allah Hachem ben el-Mouïd Bdlah (que Dieu
ff prolonge ses jours!), sous la direction de son had-
ff jeb Abd el-Malek el-Medhafar ben Mohanmied el-
ffMansour ben Aby Amer (que le Très-Haut le pro-
fftège!). Djoumad eMâny, an SyS (986 J. C.)ti Jus-
qu’au temps des Lemtouna, les khatheb firent leurs
sermons dans cette chaire.
Les gouverneurs, les émirs et les rois eurent tou-
jours à cœur d’ajouter quelque chose à la mosquée
El-Kairaouyn, ou au moins de réparer ce que le
lli
temps endommageait, dans l’espérance que les ré-
compenses du Très-Haut leur seraient acquises.
A l’époque de la domination des Morabettioun
(Almoravides) dans le Maghreb, et sous le règne de
Témir des musulmans Aly ben loussef ben Tachfyn
el-Lemtouni, la population de Fès s’accrut considé-
rablement, et la mosquée El-Kairaouyn devint insuffi-
sante, au point que, les vendredis, les fidèles étaient
obligés de prier dans les rues et les marchés envi-
ronnants. Les cheikhs et les fekhys se réunirent chez
le kady de la ville Abou Abd Allah Moliammed ben
Daoued pour délibérer à ce sujet, etchercherle moyen
de remédier à cet inconvénient. Le kady, homme de
science, de justice et d’une intégrité parfaite, écrivit
à l’émir des croyants pour lui faire part de la réunion
de ce conseil , et lui demander l’ordre de faire agran-
dir la mosquée. L’émir accueillit favorablement cette
demande et ouvrit à Ben Daoued un crédit sur le bit
el-màl (trésor) pour subvenir aux dépenses; mais ce-
lui-ci le remercia et lui répondit : cr Dieu fera peut-être
ff que nous n’aurons pas besoin de toucher aux fonds
cf du trésor, et qu’d nous suffira de retirer les rentes
cr des habous qui sont entre les mains des oukils (per-
ce cepteursj.r Toutefois Aly ben \oussouf lui recom-
manda bien de n’employer que des sommes pures, et
appartenant exclusivement aux mosquées; il l’engagea
en même temps à ne rien épargner pour les répara-
tions et les embellissements de la mosquée El-Kai-
l’aouyn, et lui ordonna de recheicher avec soin tous
. 75
les habous et d’en réunir les produits en les retirant
des mains de ceux qui en jouissaient. Le kady se ren-
dit au lieu où il faisait la justice, et, ayant mandé tous
les oukils, il lui fut aisé de découvrir qu’d y avait
entre eux des hommes impies qui avaient dépensé les
biens qui leur étaient confiés, et d’autres qui se les
étaient appropriés; il fit rendre compte à chacun , non
seulement des propriétés habous, mais encore des re-
venus dont ils avaient joui, et se fit restituer le tout;
en même temps il nomma de nouveaux oukds d’une
probité garantie , et qui par leurs soins augmentèrent
les produits et les rentes de cette année-là.
Le .docte Mohammed ben Daoued parvint ainsi à
réunir une somme de plus de 18,000 dinars; il com-
mença par acheter les terrains attenant au sud et à
l’est de la mosquée, et il en paya la juste valeur pour
ne mécontenter personne. Cependant, comme d y avait
sur ces emplacements un assez grand nombre de mai-
sons appartenant à des juifs (que Dieu les maudisse!)
qui refusaient de les vendre, on fit une juste esti-
mation de ces propriétés, on leur en compta la va-
leur et on les chassa, conformément à une loi établie
par l’émir des musulmans Omar ben el-Khettâb (que
Dieu l’agrée !) qui s’était trouvé dans un cas semblable
lorsqu’il voulut agrandir la mosquée sacrée de la
Mecque.
Lorsque le terrain nécessaire fut acheté, le kady
fit abattre toutes les maisons qui y étaient situées, et
vendit les décombres pour une somme égale à celle
qu’il avait dépensée , de sorte que l’emplacement ne
lui coûta rien , tant est grande la bénédiction de Dieu !
n joignit ce nouveau terrain à celui de la mosquée, et
y fit bâtir la grande porte de l’occident, nommée an-
ciennement Bab el-Fehhaiijn (porte des potiers), et
appelée aujourd’hui Bab el-Chemahyn (porte des ven-
deurs de cire). Mohammed ben Daoued assistait aux
travaux et donnait lui-jnéme les mesures de hauteui-,
largeur et proiondeur de cette porte; il y plaça de ma-
gnifiques battants ajustés sur de beaux gonds, véri-
tables chefs-d’œuvre , et il fit graver ces mots sur le
fronton intérieur : rr Cette porte a- été commencée et
r achevée dans le mois de dou’l hidjâ, an 5^8 (i i33
cr J. G.) n En creusant à l’endroit où l’on voulait établi)-
le support des battants, c’est-à-dire à gauche en en-
trant, où se trouve aujourd’hui la Doukhana, on dé-
couvrit une fontaine fermée par une pierre carrée de
huit achebars’ de coté, et surmontée d’une voûte très-
ancienne dont on ne put reconnaître l’époque. Les
travailleurs pensèrent qu’il pouvait y avoir là quelque
trésor caché, et ils commencèrent à démolir; or ils
ne trouvèrent qu’un réservoir rempli d’eau douce dans
laquelle vivait une énorme tortue d’une surface égale
à celle du réservoir; quelques-uns essayèrent de tirer
dehors cet animal , mais cela leur fut impossible , et ils
coururent faire part de la découverte au kady Ben
Daoued et aux autres fekhys de la ville. Ceux-ci dé-
cidèrent dans leur sagesse de laisser la tortue tran-
‘ Achebar, empan, palme.
. 77
quillementà sa place, et de rebâtir le voûte telle qu’elle
était aupai-avant. fc Glorifions Dieu magnifique et puis-
er sant qui dispense comme il lui plaît les choses né-
ff cessaires à la vie de ses créatures ! Il n’y a de Dieu
fcque Dieu, vers lequel tout retourne, n Ce fait est
raconté comme il précède par Abou el-Kassem ben
Djenoun. fr Cependant, ajoute l’auteur du livre, j’ai
rrlu une note écrite de la main du docte et juste Aly
rr el-Hassan ben Mohammed ben Faroun Ellezdy qui
cffait remarquer que la voûte en question fut dé-
rr couverte près du Karsthoun , à droite en entrant, -n
Cette grande porte resta telle que l’avait cons-
truite le kady Abou Abd Allah ben Daoued, jusqu’à
l’incendie des bazars, dans la vingt- deuxième nuit
du mois de djoumad el-tâny, an Byi (i lyB J. C).
Le feu partit du Souk, près du Bab el-Selselat, et dé-
truisit tout ce qu’il rencontra jusqu’à cette porte, qui
fut elle-même consumée en grande partie ainsi que
le dôme qui lui était attenant. L’émir des croyants,
Abou Youssef ben Aly ben Abd el-Moumen, fit rele-
ver la porte et le dôme dans le mois de djoumad
el-tâny, an 600 (i9o3 J. C), et confia à Abou el-
Hassen ben Mohammed el-Layrak el-Athar la direc-
tion des travaux qui furent faits aux frais du bit
el-mâl (trésor) dont le kady Abou Yacoub ben Abd
el-Hakk était alors le gardien.
Le docte kady Abou Abd Allah ben Daoued fut
remplacé à sa mort par le vénérable Abd el-Hakk
ben Abd Allah ben el-Mahycha , qui acheva ce qui était
78 .
commencé, et fit réparer ce qui était endommagé. Ce
nouveau magistrat, ayant conçu le projet de cons-
truire le mihrab (niche) El-Kairaouyn sur l’emplace-
ment de TAïn Kerkouba, rassembla les principaux
maçons et les artisans les plus habiles, qui reconnu-
rent que la chose n’était pas possible à cause des mai-
sons du fekhy Aly ben Aby el-Hassen qui étaient
situées sur ce terrain. Il fut donc résolu que Ton
agrandirait la mosquée de trois nefs seulement, pour
construire le mîhrab et la chaire, et on ajouta, en
effet, une nef au-dessus du niveau du sol, au nord, et
deux nefs de l’est à l’ouest.
Tous ces travaux furent faits avec les matériaux
du propre sol, sans qu’il fût besoin d’avoir recours
aux carrières dont on extrayait les pierres pour les
constructions ordinaires. En creusant au mdieu de la
deuxième nef, on découvrit une cariière d’oii l’on put
tirer en même temps du sable, de la terre, et de
grosses pierres qui, passant directement de la main
des carriers dans celle des maçons, rendaient le tra-
vail plus commode, et assuraientpar leur pureté la so-
lidité et la durée de ces constructions. Le docte kady
décida également dans sa sagesse que toutes les
portes fussent doublées de cuivre jaune, que chacune
fût surmontée d’un dôme , qu’elles fussent agrandies ,
et qu’il fut fait quelques changements au minaret.
Lorsque le mîhrab fut achevé, on construisit sa
coupole, que l’on incrusta d’or, d’azur et autres di-
verses couleurs; la précision et 1 élégance de ce tra-
. 79
vail étaient telles que les curieux restaient émerveil-
lés, et que les fidèles ne pouvaient même s’empêcher
d’être distraits de leurs prières par l’éclat des pein-
tures; aussi, lorsque les Almohades entrèrent à Fès (le
jeudi dixième jour de raby el-tâny, an 5/io {ii^5
J. C.) les cheikhs et les fekhys de la ville craignirent
que les nouveaux venus, qui n’étaient arrivés au pou-
voir que par mensonge et hyprocrisie , ne leur repro-
chassent vivement ce luxe de décors et de peinture ,
et leur crainte redoubla quand ils surent que le len-
demain, vendredi, l’émir des croyants Abd el-Mou-
men ben Aly, accompagné de ses cheikhs, devait
entendre la prière dans la mosquée El-Kairaouyn.
Dans cet embarras, ils rassemblèrent à la hâte
les principaux maçons, et, pendant la nuit, ils leur
firent recouvrir tout le dôme avec du papier sur le-
quel ils passèrent une couche de plâtre et quelques
couches de chaux, de sorte que les Almohades ne
virent le lendemain qu’un dôme parfaitement blanc.
A la même époque fut construite la chaire dont on
se sert encore aujourd’hui. Cette chaire est faite en
bois d’ébène, de sandal incrusté d’ivoire, d’arneg, de
jujubier et autres bois précieux; on la doit aux soins
du cheikh distingué Abou Yhya el-Attady, imam,
rhéteur et poëte, qui vécut environ cent ans. Il en
était au tiers de ses travaux lorsqu’il fut remplacé
par le kady de la ville, le docte , le zélé, le savant, le
conseiller Abou Merouan Abd el-Malek ben Bydha el-
Khissy. Celui-ci acheva tout ce qui était commencé
80
conformément aux plans d’Abou Mohammed Abd el-
Hakk ben el-Mahycha, excepté qu’il ne doubla point
les portes en cuivre jaune, et qu’il ne porta aucun
changement au minaret. Tous les travaux dont on
vient de parler furent achevés dans le mois de Dieu
châaban le grand, an 538 (i iUS J. G.).
Le premier prédicateur qui fit le khotba dans la
nouvelle chaire d’El-Kairaouyn fut le cheikh, le fekhy
vertueux Abou Mohammed Mehdy ben Ayssa. Ce cé-
lèbre khatheb prêcha depuis tous les vendredis sans
jamais prononcer deux fois le même sermon; il fut
destitué, parles Almohades, qui bouleversèrent tout à
leur arrivée à Fès: autorités, khatheb, imam, furent
remplacés, sous prétexte que, ne connaissant point la
langue berbère, leur ministère devenait inutile.
Le Sehan (la cour) fut pavé sous le kady Abou Abd
Allah ben Daoued, architecte habile. Avant lui quel-
ques essais avaient été faits , mais ces travaux inachevés
ne lui convinrent point, et il confia l’entreprise au
connaisseur Abou Abd Allah Mohammed ben Ahmed
ben Mohammed el-Khoulany, qui l’engagea à faire
un sol uni et assez incliné pour que les eaux pus-
sent s’écouler jusqu’à la dernière goutte. El-Khou-
lany (que Dieu lui fasse miséricorde!) avait quatre
maisons, biens hallal dont il avait hérité; il les ven-
dit et employa le produit à faire fabriquer les briques
nécessaires et à payer le salaire des ouvriers. Ainsi,
de son propre argent, et sans le secours de personne,
il eut la gloire de paver cette cour, de même qu’H
. 81
avait pavé celle de Ben Messaoud, n’espérant d’au-
• tres récompenses que celles qu’il plaira à Dieu de lui
donner. Puisse Dieu très-haut le récompenser !
Cinquante-deux mille briques furent employées
au pavage de la cour de la mosquée El-Kairaouyn.
Voici le calcul : il y a 1 1 arcades, et sous chaque
arcade il y a 20 rangs de 200 briques chacun, soit,
4,000 briques; donc 1 1 fois 4,0 00 font 4 4,0 00, et
à cette somme il faut encore ajouter 8,000, nombre
des briques faisant le tour des arcades; on a donc
52,0 briques, total sur lequel il n’est permis d’é-
lever aucun doute. C’est à cette même époque, 626
(ii3i J. C), que ledit kady Ben Daoued fit cons-
truire la grande porte qui est située vis-à-vis le kars-
thoun. Quand le pavage de la cour fut achevé , le docte
kady fit faire une tente en coton , soigneusement dou-
blée, de la grandeur exacte du Sehan, qui s’étendait
et se pliait à volonté au moyen de poulies et de gros-
ses cordes. En été on se préservait ainsi de la cha-
leur, et pendant la canicule on laissait la tente tendue
nuit et jour. Le temps détruisit ce chef-d’œuvre, que
nul , depuis , n’a été capable de remplacer.
Le bassin et le jet d’eau qui sont au milieu de la
cour furent construits en 699 (1222 J. C), sous
Aby Amrân Moussa ben Hassen ben Aby Chemâa,
géomètre et architecte habile, qui dirigea lui-même
les travaux faits aux frais du fekhy ben Abou el-Has-
sen el-Sidjilmessy. (Que Dieu le récompense!) Abou
el-Hassen était religieux, humble, modeste, etdépen-
6
82
sait chaque jour en aumônes i o dinars de son bien
ou de ses revenus.
Moyennant un canal de plomh souterrain on amena
l’eau du grand réservoir jusque dans la cour au bassin
et au jet d’eau. Le bassin est de beau marbre blanc
d’une pureté irréprochable, et reçoit par plusieurs ro-
binets une quantité d’eau égale à celle qui peut sortir
en même temps par quarante orifices pratiqués sur
les bords, vingt à droite, vingt à gauche. L’ajustage
du jet d’eau est en cuivre rouge doré et monté sur un
tuyau également de cuivre, de cinq palmes de haut
au-dessus du sol. Ce tuyau est divisé dans sa longueur
en deux compartiments; dans l’un, l’eau monte à l’a-
justage au bout duquel elle jaillit par dix ouvertures
d’une pomme en métal, el elle retombe dans un
petit bassin d’où elle redescend par le deuxième
compartiment du tuyau, de sorte que le jet va sans
cesse, et que le grand bassin est toujours plein d’eau,
constamment renouvelée sans qu’il s’en répande une
seule goutte à terre. Cette eau est à la disposition du
public; en prend qui veut pour son usage, et celui qui
désire boire trouve des gobelets dorés suspendus à de
[)etites chaînes tout autour de la fontaine. Au-dessus
du bassin on construisit, en marbre blanc, une fe-
nêtre à grillage, merveille de l’époque, sous laquelle
on grava sur une pierre rouge l’inscription suivante :
rr Au nom de Dieu clément et miséricordieux ! Que le
fcDieu très-haut répande ses bénédictions sur notre
fc Seigneur Mohanmied, car des rochers coulent des
. 83
cr torrents, les pierres se fendent et font jaillir F eau ! Il y
rr en a qui s’affaissent par la crainte de Dieu ! et certes
ff Dieu nest pas inatlentif à vos actions ^ n
Ces ouvrages furent achevés dans le mois de djou-
niad el-tâny, an Byg. Au sortir du bassin et de la
fontaine à jet, l’eau passe dans les réservoirs de l’Aïn
Kerkouba, alimente les maisons et les abreuvoirs des
environs, et se répand dans les fabriques, où elle est
entièrement absorbée.
L’ancien Anezà, où l’on fait les prières en été, était
construit en planches de bois de cèdre , et surmonté
de cette inscription : cr Cet Anezà a été construit dans
le mois de châaban , an 626.1^ L’Anezà actuel , cons-
truit aux frais des habous, par le docte, le khathîb,
le kady Abou Abd Allah Abenou Aby el-Sbor à l’é-
poque de son kadydat, fut commencé le premier
dou’l kaada, an 687 (1288 J. C), et mis en place
en 689 (1290 J. C), le samedi 18 raby el-aouel,
correspondant au 10 mars de l’ère barbare.
Il y a dans la mosquée El-Kalraouyn 270 colon-
nes qui forment 16 nefs de 2 1 arcs chacune, tant en
longueur qu’en largeur. Dans chaque nef s’établis-
sent, les jours de prières, k rangs de 2 1 o fidèles, soit
H ko fidèles par nef, somme exacte à n’en pas douter,
puisque chaque arc contient 1 o hommes d’une co-
lonne à Tautre. Pour avoir le nombre d’hommes qui
peuvent assister à la prière, on a donc 16 fois 860,
‘ Koran, la Vache, cliap. 11, verset 69.
6.
84
soit 1 3,6/io , total auquel il faut ajouter 56o , nombre
des fidèles qui se placent au besoin devant les colon-
nes, plus 2,700 que contient la cour, plus, enfin,
6,000 autres qui prient, sans ordre, dans la gale-
rie, les vestibules et sur le seuil des portes, ce qui
fait en tout 29,700, nombre exact, ou à peu près,
des personnes qui peuvent, le vendredi, entendre
ensemble la prière de l’imam, comme cela s’est vu
aux époques llorissantes de Fès.
On compte kG’j.^oo tuiles sur les toits de la mos-
quée El-Kairaouyn, qui a quinze grandes portes d’en-
trée pour les hommes, et deux petites portes exclusi-
vement réservées aux femmes. Les plus anciennes de
ces portes sont celles de l’orient, de Toccident et du
midi; la porte du nord est nouvelle, mais la plus ré-
cemment faite de toutes est la grande porte de l’es-
calier, qui est située au midi, et qui a été construite
par le fekhy, le juste Abou el-Hassan Aly ben Abd
el-Kerym el-Djedoudy à l’épofjue de son comman-
dement à Fès. El-Djedoudy ])erça également une
nouvelle porte faisant face à la mosquée el-Anda-
lous, et y amena l’eau de l’Ain ben el-Sâady, aujour-
d’hui Ain el-Kliouazyn (source des potiers), qu’il
conduisit par le Uahbà el-Zeb\b (marché aux raisins)
oh il construisit un nouveau réservoir. Ces travaux
. furent achevés en 6 8 9 . Cependant l’émir des Croyants
Abou Yacoub ben Abou Youssef ben Abd el-Hakk,
irrité de ce qu’on avait ouvert cette dernière porte,
qui était d’ailleurs inutile, sans ses ordres et même
. 85
sans sa perniissioii, adressa de vifs reproches au
fekliy el-Djedoudy, son gouverneur, et lui ordonna
de la faire fei’mer immédiatement.
Le grand lustre fut construit sous le fekhy , le sage ,
le khathîb, le vertueux Abou Mohammed Abd Allah
ben Moussa. Celui dont on se servait à cette époque
était abîmé et en partie détruit par le temps ; Abou Mo-
hammed le fit fondre avec une quantité suffisante de
cuivre de la même qualité pour en faire un nouveau ,
et dépensa de son propre argent 717 dinars 2 drahem
1/2 , tant pour l’achat du métal que pour le salaire
des ouvriers. Ce lustre pèse 1,768 livres, et a 609
becs ou lampes qui ne contiennent pas moins en-
semble d\in quintal et sept jarres d huile.
Dans la vingt-septième nuit du ramadhan, où il
est d’usage d’allumer toutes les lampes de la mos-
quée, au nombre de 1,700, on consomme trois quin-
taux et demi d’huile. Le grand lustre fut régulière-
ment allumé les vingt-septièmes nuits de ramadhan
jusque sous le kadydat d’Abou \acoub ben Amran,
qui ordonna de l’allumer durant tout ce mois. Ce
kady mourut le jour d’Arafat \ an 617; c’est lui qui
fit ouvrir le Bab el-Ouarakyn (porte des lecteurs),
surmonté de cette magnifique coupole en plâtre dé-
coupée. L’année suivante (618) on alluma encore le
grand lustre pendant tout le lamadhan; mais c’est
‘ <*^^^ ^5^ jour d'Arafat . neuvième joui' du mois dou'l hidjà .
où les pèlerins de la Mecque se rendent nu mont Arafat.
86
alors que survinrent ces temps malheureux, où la
population de Fès fut décimée par les troubles, la
misère et la faim : la mosquée, appauvrie, ne put
plus se procurer de llmile, qui avait fini par dispa-
raître complètement du pays, et le grand lustre ne
fut plus allumé, ni pendant tout le ramadhan, ni
même pendant la vingt-septième nuit. On s'en con-
sola pourtant sur ces paroles du fekhy : crCe n'est
«point le feu que nous adorons, mais c'est Dieu. n
Les choses restèrent ainsi jusqu'en 687 : à cette
époque, le fekhy, le khathîb, Aby Abd Allah ben Aby
el-Sebor, kady de la ville, demanda l'autorisation
d'allumer de nouveau le giand lustre à Témir des
Musulmans, Abou \oussef xAbd el-Hakk (que Dieu
lui fasse miséricorde!), qui voulut bien la lui accor-
der, toutefois pour la vingt-septième nuit seulement
(lu ramadhan de chaque année. Cet usage s'est con-
servé depuis, et se prati([ue encore de nos joui's.
Les deux battants rouges de la porte El-kabla, qui
donne sur le passage de Bab el-Djysa, ap[)artenaienl
* dans le temps à Abou el-kassem el-Meldjoun, connu
sous le nom de Ben Berkya, qui les avait fait faire
à grands frais pour un pavillon construit sui* sa
maison, située au faubourg Louata. De ce pavdlon
Ben Berkya dominait fintérieur des maisons voisines,
et voyait les femmes entrer nues dans leurs bains; il
se plaisait surtout à [)Ionger ses regards dans le mes-
lah (vestiaire) de la fille El-Ban, qui demeurait à côté,
et cela si souvcul (|uh Fou liiiil jiar porter plamto à
. 87
l'émir des Croyants, Abou Youssef ben Abd el-Hakk,
en appuyant l'accusation du témoignage du lieutenant
Abd el-Malek. L'émir envoya aussitôt au kady de Fès ,
Abou Mobammed el-Tadly, l'ordre de faire raser ce
pavdlon, et cela fut fait le mercredi, 3o radjeb,
an 588. Les successeurs de Ben Berkya conservèrent
les deux battants de ce pavillon, et, ne pouvant mieux
les employer, ils en firent présent à la mosquée El-
Kairaouyn, où ils furent mis en place en 617, avec
une inscription portant le nom de Ben Berkya, celui
de l'ouvrier qui les avait construits, et la date à la-
quelle ils avaient été achevés, mois de radjeb an 578.
Le Mestoudâ (Sacrarium) fut commencé par le
fekhy vertueux Aby Mohammed Ychekour, qui fit
faire la chambre souterraine, dont les parois, en
pierre et en terre , soutiennent une voûte en marbre
qui est recouverte de sable et de plâtre. Le fekhy
Abou el-Kassem ben Hamyd, chargé de ces cons-
tructions , fit poser trois serrures à chacune des deux
portes du Mestoudâ, et plaça dans l'intérieur plu-
sieurs colTres-forts , mais cela n'empêcha pas que
sous le kadydat d'Abou Amrân, les capitaux de la
mosquée , les revenus des habous , les livres et autres
dépôts précieux, y furent volés sans qu'on ait pu
jamais découvrir le voleur.
Le mur de l'orient et ses dépendances , déjà très-
anciens et n'ayant pu être entreteinis, faute d'argent,
pendant le temps de famine et de troubles qui déso-
lèrent Fès, tombaient en ruine. En 68'i (1 288 J. C),
88
Âbou Abd AHali el-Madhoiidy écrivit à réniir des
Musulmans El-kaïni Bil Hakk Abou \acoiib ben Abd
el-Hakk, pour lui demander la permission de faire
toutes les réparations nécessaires. Ce prince généreux
(que Dieu l'agrée!) lui répondit favorablement, et
l'autorisa à prélever les fonds sur les revenus de la
djeziâ et de l'achoura, après toutefois ([ue les sommes
liabous auraient été employées. Abou Abd Allah el-
Madlioudy refit donc à neuf toute la partie est de la
mosquée , et y dépensa de fortes sommes.
Le mur du nord tombait également en ruines ; en
699, le fekhy Abou Ghâleb el-Maghyly demanda
l'autorisation de le réparer à l'émir des Musulmans
Aby \acoub (que Dieu l'agrée !). Ce prince la lui ac-
corda, et lui envoya en même temps un bracelet d'or
de la valeur de cinq cents dinars, cr Sers-toi de ce bra-
ffcelet, lui écrivit-il, pour refaire à neuf la partie
ccnord de la mosquée. C'est un bien hallal, pur.
ff L'émir mon père fit faire ce bijou avec l'argent
ffque Dieu lui avait dispensé sur le cinquième du
cf butin rempoité sur les Chrétiens en Andalousie, et
fcen fit présent à ma mère, dont j'ai hérité. Puis-je
fren faire un meilleur usage que de le consacrer à la
^mosquée bénie ?^i (Que le Dieu très-haut les ré-
compense tous trois!) Le mur du nord fut donc refait
à neuf avec le produit de ce bracelet, depuis le Bab
el-Hafat jusqu'à la petite chapelle des femmes.
La grande skayah (réservoir, bassin) fut cons-
truite sous le fekhv , l'imam vertueux, intègre et
89
modeste, le béni Abou Mohammed Ychekour (que
Dieu le protège!), et aux frais du cheikh Aby Amram
Moussa ben Abd Allah ben Sydàf. Ce cheikh, qui
était fort riche, avait quitté le Djebel Beny Bezgha,
son pays, et s'était fixé à Fès, où il s'était lié avec le
fekhy Abou Mohammed Ychekour. rr J'ai beaucoup
ffde biens, lui dit-d un jour, et je désirerais l'em-
r ployer à quelque œuvre utile à la mosquée sacrée;
ff mes richesses sont hallal et pures , j'en ai hérité de
ff mon père, auquel mon grand-père les avait laissées;
ff jamais elles n'ont servi à faire le commerce ; mes
cr aïeux les ont amassées du produit de leurs terres
fret de leurs troupeaux. ■>•) Mais le fekhy Abou Moham-
med Ychekour, ne s’en tenant pas à ces paroles, re-
fusa son offre et lui déclara d’abord qu’il ne permet-
trait pas qu’un seul drahem de ces biens fut employé
à la mosquée. Pourtant Aby Amram l’ayant supplié
encore de lui laisser au moins construire une skayah
et un dar loudhou (réservoir et lieux aux ablutions)
pour le service des fidèles, à côté de la mosquée, le
fekhy ne put le lui refuser, mais il exigea qu’il prêtât
serment, et lorsque, dans la mosquée, au mdieu du
mîhrab, une main sur le Livre, il eut juré que ses
biens étaient purs et hallal, qu’ds provenaient de
l’héritage de ses pères, et que jamais ils n’avaient
servi à faire le commerce, il lui dit : ff A présent,
ff Aby Amram, tu peux employer tes richesses à une
ff bonne œuvre; construis la skayah; Dieu très-haut
f^ te récompensera !r
90 HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHREIÎ
Aby Amram acheta donc le terrain du dar lou-
dlioii qui est situé vis-à-vis le Bab el-Hafat, et après
l’avoir soigneusement nivelé, il fit ses constructions,
qui furent achevées dans les premiers jours du mois
de safar, an 676 (1 120 J. C). De son côté, le fekhy
Abou Mohammed Ychekour écrivit à l’émir des Mu-
sulmans pour lui faire part de cette alfaii’e et pour
lui demander, en même temps, l’autorisation de
faire arriver l’eau à ce nouveau réservoir. L’émir lui
ayant répondu de prendre toute l’eau qu’il voudrait,
dût-elle passer à travers la ville, il rassembla les
hommes de l’art, les maçons et les principaux habi-
tants, et leur ordonna de désigner le lieu d’où l’on
pourrait tirer cette eau. Leur choix tomba sur Aïn
el-Debâghm (fontaine des tanneurs); mais il ne con-
vint pas au fekhy Abou Mohammed, qui objecta
que les eaux de cette fontaine étaient corrompues
par les tanneries dont elle recevait toutes les im-
mondices, et, sur son refus, on désigna la magni-
fique fontaine nommée Aïn Khoumâl, située au dehors
des tanneries , dans une fabrique de teinture. Aby
Amram acheta cette fabrique et la paya le double de
sa valeur à cause de ladite fontaine. La source est
située dans une chambre souterraine semblable à une
salle de bains, oii l’eau jaillit en deux endroits à tra-
vers un rocher. Cette eau, bien que difficile à digé-
rer, est pure et douce. Aby Amram l’amena , au moyen
d’un canal, dans un bassin situé à côlé de ladite
chambre; de là il élal)lit une conduite eii phiud) qui
91
passe à travers la montée du Souk el-Douklian , suit
le karsthoun au sud de la mosquée El-Clieurt”à, tra-
verse les bazars, le marché El-Hararijn (des soyers), la
place El-Kliezâzyn (marchands d’étoftes), et aboutit au
bassin en plomb situé devant la dernière boutique
des mouthekyn (notaires) qui est attenante à la mos-
quée El-Kairaouyn. De ce bassin l’eau passe dans
une citerne carrée doublée de plomb, d’où enhn elle
se répand en quantité suffisante à chaque endroit,
dans les skayah, à l’ancien jet d’eau, au Bab el-
Hafat, dans les chambres du dar loudhou et dans le
grand bassin de la fenêtre à grillage.
Le dar loudhou (lieux d’aisances), est pavé en
marbre et contient quinze cabinets qui reçoivent
l’eau chacun en même temps. Au milieu du bey-
dhat (chambre aux ablutions) est construite une
large pile au centre de laquelle s’élève un tuyau de
cuivre doré, d’où l’eau jaillit par plusieurs robinets.
Tout cela est d’un travail fini et d’une remarquable
élégance. Le beydhat est surmonté d’une magni-
fique coupole en plâtre , incrustée d’azur et d’autres
couleurs diverses; il fait face au Bab el-Hafat, A
coté de cette porte, qui est moins haute que large,
et par laquelle la foule entre et sort le plus, se
trouve un petit bassin en cuivre, d’où l’eau retombe
sur des dalles de marbre blanc, vert et rouge, pour
le service de ceux qui vont pieds nus; toutes les
autres portes d’entiée furent pavées en marbi’e jus-
qu’à la cour par le kliatlnb Aboii Abd Allah Moham-
92
med beii Aby Sbor; avant lui elles étaient pavées
en briques, comme la cour.
A côté du Bal el-Hafat est située l’ancienne skayah ,
construite par Abd el-Melek el-Moudliafar. Les fidè-
les y iont aussi leurs ablations, et quelques-uns y
viennent puiser l’eau qui leur est nécessaire. Au sortir
de cette skayah, les eaux forment un ruisseau oii les
ouvriers prennent l’eau dont ils ont besoin et où les
écoliers vont jouer et se baigner.
HISTOIRE DES KHATHEB ^ (pRÉDICATELRs) DE LA MOSQUEE EL-KAl-
RAOUYN, SOLS LE REGNE DES ALMOHADES ET SOUS CELl I DES ME-
RYN, DESCENDANTS D’ABD EL-HAKK. QUE DIEU PROLONGE LEURS
JOURS ET ÉTERNISE LEUR GOUVERNEMENT!
L’auteur du livre a dit: Le premier khatliîb (|ui
prêcha dans la chaire d’El-Kairaouyn, construite par
Abou Mohammed Abd el-Hakk ben Mahycha fut le
‘ Les fonctions diniam et de khathîb sont très-simples ; ces prêtres
président à la prière, la commencent à haute voix aux heures où les
musulmans se rendent à la mosquée . et veillent au maintien de Tordre.
Les plus anciens ou les plus habiles remplissent un rôle analogue à
celui de nos prédicateurs : ce sont les khatheb. Chaque vendredi, à
I heure de midi, ils montent en chaire et prononcent ce que l’on
appelle le khotbah, sermon, espèce de prône qui doit renfermer la
louange de Dieu . celle du prophète et une fornude ou acclamation
en faveur du sultan et pour la longue durée de son règne. Cet usage
date de l’époque des premiers khalifes d’orient , qui l’avaient institué ,
en leur nom , dans leurs états et dans ceux qui reconnaissaient leur
suzeraineté. Plus tard , et après l’extinction de la race des Abbassides,
chaque prince niahoniétan fil faire celte prière, véritable Domine
mlrnm , pour son propre compte et en son nom seul . ce qui s’observe
93
kady, le tckliy , vertueux et intègre Abou Moliammed
Mehdy ])eii Ayssa. Homme de bien et grand orateur,
il avait la parole facile, claire et persuasive. Chaque
vendredi il prononçait un nouveau sermon, cepen-
dant il ne conserva ses fonctions que pendant cinq
mois , et il fut remplacé , à l’arrivée des Almohades ,
par le docte et vertueux Abou el-Hassem ben Athya,
qui avait l’avantage de parler le berbère. Celui-ci
prêcha pour la première fois, le premier vendredi
du mois de djoumad el-aouel, an 54o, et demeura
khathîb de la mosquée jusqu’au jour de sa mort, le
samedi 8 du mois dou’l kaada, an 558. (Que Dieu
encore aujourd’hui non-seulement au Maroc, mais en Turquie, en
Perse et chez pkisieurs peuples de TAsie centrale.
Le khathîb , lorsqu’il prend la parole , tient en main un bâton , en
guise d’épée , insigne dune religion dont l’esprit dominant a été la
conquête et est encore aujourd’hui l’intolérance. Quelquefois il arrive
que le sermon se borne à la lecture d’une sentence impériale ou d’un
ordre relatif à quelcpie affaire de douane ou d’administration. Qu’il
s’agisse, par exemple, d’ime levée d’hommes ou d’impôts, et les
fidèles manqueront de voix pour le vivat de l’empereur. Mais il est
des circonstances, rares il est vrai , surtout dans les temps modernes,
où le khathîb soulève d’un mot un enthousiasme frénétique , c’est
lorsqu’il s’agit de faire appel à la guerre sainte contre les Chi’étiens.
A la lecture solennelle du chapiti’e vni* du Koran, intitulé le Butin,
succèdent , suivant les circonstances et les locahtés , des commentaires
qui peuvent émaner d’orcbes supérieurs , comme cela s’est pratiqué
en i84/i, ou bien, comme on l’a vu souvent en Algérie, n’être
dictés que par le fanatisme de simples marabouts.
* C’est sur ]e 63° verset de ce chapitre, vS’ils inclinent à la paix (les infidèles) ,
ntu t’y prêteras aussi et tu mettras ta confiance en Dieu, car il entend et sait tout i^y
que s’est appuyé Moulai Abd er-Rahman , en i8’i6, pour se disculper aux yeux
des bons musulmans d’avoir traité avec la France.
9A
lui fasse miséricorde ! ) Le fekhy Abou Mohammed
Ychekour el-Djeroury lui succéda. C’était un des
cheikhs du Maghreb en religion, en bienfaisance et
en générosité ; fort riche et possédant dans son pays
d’immenses troupeaux et de nombreuses bêtes de
somme dont il avait hérité de son père , il s’était adonné
aux belles-lettres et à l’étude des sciences. Toutefois il
ne parlait qu’un berbère si inintelligible qu’il ne lui
fut pas possible de faire le khotbah ; conservant les
fonctions d’imam, il confia celles de khathîb à Abou
Abd Allah Mohammed ben Hassen ben Zyad Allah
el-Mezly, qui les remplit jusqu’au jour de sa mort, le
mercredi 28 djoumad el-aouel,an 679. (Que Dieu lui
fasse miséricorde!) 11 fut remplacé par le fekhy Abou
el-Kassem Abd er-Rahman ben Houmyd, également
désigné par Mohammed \ chekour, lequel exerça pen-
dant quarante ans les fonctions d’imam de la mosquée
El-Kairaouyn, et n’oublia pas une seule fois de rem-
plir ses devoirs religieux , tant son cœur était dégagé
de toute autre pensée. Le khathîl) Abou el-Kassem
mourut le mardi ih ramadhan le grand, an 58i, et
eut pour successeur le fekhy Abou Amram Moussa
el-Maâlim (le maître) qui tenait une école sur le pont
d’Aby Raous. El-Maalim avait la parole si touchante
que tous ceux qui lui entendaient réciter le Koran
ne pouvaient retenir leurs larmes. En recevant l’ordre
qui lui conférait les fonctions de khathîl), il fut saisi
d’étonnement et de crainte ft mon Dieu ! s’écria-t-il,
ce en sanglotant, ne me couvrez pas de confusion au
. 95
rr milieu de vos serviteurs , ô Seigneur clément et mi-
re séricordieux ! 17 Le lendemain, jeudi, il s’en alla dans
les zaouïas et se mit à visiter les tombeaux des Justes
en pleurant et en priant; le soir il se retira dans une
chapelle où se trouvaient plusieurs personnes, et
passa toute la nuit en larmes à invoquer le Très-Haut
et à réciter le Koran. Les assistants, émus, pleuraient
de ses pleurs et étaient tristes de sa tristesse. Ils firent
avec lui la prière du matin. Lorsque le muezzin fit
entendre le premier chant du vendredi , El-Maâlim ,
revêtu de ses plus beaux habits, se rendit, précédé
des muezzins, à la mosquée sacrée; triste et silen-
cieux , il s’assit sur un banc de pierre ; puis , au second
appel du muezzin, il monta dans la chaire, autour
de laquelle le peuple se pressait; tant que les chants
durèrent, il ne cessa de verser des pleurs; alors il se
leva et lut la prière correctement et sans hésitation,
et, s’étant placé sur le mîhrab, il fit le khotbah avec
tant de sagesse et d’éloquence, que les assistants ne
purent retenir leurs larmes, et chacun, à la fin du
sermon, se précipita vers lui pour lui baiser les mains.
Moussa el-Maâlim continua, dès lors, à remplir les
fonctions de khathîb. Lorsque le kady Abou Abd Allah
Mohammed ben Mymoun el-Houary vint à Fès, son
premier mot, en entrant en ville, fut pour deman-
der aux habitants quel était le khathîb de la mosquée
El-Kairaouyn. crUn saint homme, -n lui répondit-on;
et après qu’on l’eut nommé, il approuva le choix.
Cependant, le vendredi suivant, étant allé à la prière,
96
il trouva à Moussa el-Maâlim une figure si déplaisante
qu’il ne put s’empêcher de dire qu’il était honteux
d’avoir conféré une pareille dignité à un tel homme.
ff Seigneur, lui répliqua quelqu’un , quand vous enten-
rrdrez son khotbah, vous trouverez sa figure belle, n
Et, en effet, à peine le khatliîb eut-il prononcé quel-
ques mots, que le kady ben Mymoun ne put retenii*
ses larmes et alla lui demander humblement pardon
des paroles qu’il avait dites. Le fekhy Abou Amram
Moussa el-Maàlim était d’une grande sensibilité, et
d’une modestie qui allait parfois jusqu’à la crainte.
A la mort d’Abou Mohammed \chekour (20 dou’l
kaada, an 598). il réunit les fonctions d’imam à celles
de khathîb, mais il ne les conserva que pendant trois
mois, étant mort lui-même le 20 safar, an 699.
(Que Dieu lui fasse miséricorde!)
Le fekhy Abou Abd Allah succéda à son père
Moussa el-Maâlim. La première fois qu’il monta en
chaire il avait à peine dix-huit ans; mais, aussi beau
que sage, il se distinguait déjà par sa bienfaisance,
son intégrité et son éloquence. Il n’eut aucune des
passions de la jeunesse, et dès sa plus tendre enfance
il se livra exclusivement à l’étude des sciences et de
la religion. C’est le seul exemple d’un homme jeune
et imberbe qui soit monté dans la chaire de la mos-
quée El-Kairaouyn ; ses rares qualités étaient connues
de tous; vertueux, religieux, modeste, sa conduite
fut toujours aussi belle que sa figure. Lorsque Moussa
el-Maâlim tomba malade, on vint le prier de dési-
. 97
gner son fils pour lui succéder au khotbah; mais ie
vertueux fekhy répondit: cr Dieu connaît le bien, et à
fc lui seul il appartient de choisir les serviteurs de sa
ce maison! 11 et quelques jours après il rendit l’âme.
Lorsque son corps fut transporté au cimetière et dé-
posé au bord de la tombe, tous les assistants san-
glotaient et disaient : crQui est ce qui pourra réciter
ft les prières sur ce cercueil? — C’est au fds, répondit
cf le kady, qu’il appartient de rendre les derniers de-
crvoirs au père! n Et le jeune Abou Mohammed, ayant
pris la parole, récita les prières d’usage et l’on se sé-
para. Le fds d’E’l-Maâlim avait ainsi rempli ses pre-
mières fonctions d’imam. Le vendredi suivant, il se re-
vêtit des vêtements que son père portait en chaire, et
ayant passé par-dessus un burnous blanc dont lui
avait fait cadeau Abou Mrouan , d lut le khotbah et
récita les prières avec une onction qui étonna les as-
sistants et les remplit d’admiration pour cet enfant si
sensible et si craintif encore. L’émir des Croyants, Abou
Abd Allah el-Nasser étant venu à Fès, désira voir le
fekhy Abou Mohammed pour lui offrir quelques ca-
deaux. Le jeune khathîb s’étant rendu au palais (situé
sur le Oued Fès) dans la matinée du mardi, engagea
avec l’émir une conversation dans laquelle il fit preuve
d’un esprit et d’une éloquence qui plurent fort à ce
prince. A l’heure du Douour, l’émir le pria de faire la
prière , et lui dit : ce Qui est ce qui récitera la prière dans
tfla mosquée aujourd’hui, puisque tu es avec nous?
cr — J’ai laissé un remplaçant qui vaut mieux que
7
98
ff moi, répondit le fekhy, c’est le maître qui m’a en-
ff seigné à lire le livre du Dieu que je chéris. Avant
ff de sortir je me suis souvenu du Prophète, et ne sa-
r chant pas quand je reviendrais, j’ai prié mon maître
ff de me remplacer à la chaire et à la prière, et mon
ff maître est mon seigneur; car le Prophète (que Dieu
ffle comble de ses bénédictions!) a dit : Celui qui
rfvous enseigne les versets du litre de Dieu très -haut
^est votre seigneur et maître. Je l’ai donc choisi et
ff tous m’en ont remercié, v Abou Abd Allah el-Nasser,
ayant congédié le jeune khathîb, le fil suivre d’un ser-
viteur chargé de sept vêtements et d’une bourse con-
tenant mille dinars, mais le fekhy, revenant aussitôt
sur ses pas pour le remercier, lui dit: rO émir des
ff Croyants ! j’accepte volontiers les sept vêtements que
ff lu ly’olïres; mais je te rends l’argent, dont je n’ai
ff nul besoin. Je suis copiste habile et mes copies me
ff donnent de quoi vivre. — N’importe, lui répondit
ff Témir. ^arde toujours cette somme; elle te servira à
ff te munir de choses utiles. — émir des Croyants !
ff garde-toi d’ouvrir pareille porte. Cette somme t’est
ff plus nécessaire qu’à moi. Tu as des serviteurs et des
ff soldats à payer, des bons Musulmans à secourir et
ffdes frontières à défendre, n Et il sortit sans vouloir
accepter un seul drahem. Abou Mohammed ben
Moussa el-Maâlim remplit les fonctions d’imam et de
khathîb jusqu’à sa mort, le dimanche 1 1 du mois de
radjeb Tunique, an 691. (Que Dieu lui fasse miséri-
cor(h’!) Pendant sa maladie il choisit pour le rempla-
99
cer son maître Abou Mohammed Kassem el-Koudha-
khy, qui lui avait enseigné la lecture du livre de Dieu
chéri. Devenu imam et khathîb, à la mort de son
élève, El-Koudhakhy, fut bientôt attaqué par des fekhys
et des cheïkhs, qui l’accusèrent d’avoir des rapports
avec les femmes par l’entremise de ses écohers. Le
fekhy Abou Mohammed ben el-Nehyry, ayant écrit
au prince des croyants pour lui faire part de ce qui
se passait , l’eçut cette réponse de l’émir : et Ce que
cr vous m’écrivez relativement à El-Koudhakhy est im-
fc possible, car j’ai moi-même entendu son prédé-
rrcesseur dire que son maître valait mieux que lui;
fc en conséquence , j’entends que rien ne soit changé, -n
Cependant , lorsque le fekhy Abou Mohammed Kas-
sem el-Koudhakhy eut connaissance de cette accu-
sation, il abandonna l’école et ne sortit plus de la
mosquée, où il vécut retiré dans son appartement
d’imam jusqu’au jeudi 22 ramadhan, an 626. (Que
Dieu lui fasse miséricorde!)
A la mort d’El-Koudhakhy, le khotbah passa au
fekhy Abou Abd Allah Mohammed ben Abd er-Rah-
mam el-Chekhaby, homme docte, bienfaisant, reli-
gieux, éloquent et versé dans la connaissance des
temps et des astres. C’est durant son imamat qu’ar-
riva du Ksar Ketâma le muezzin Abou el-Hadj Youssef
ben Mohammed ben Aly el-Skathy, astronome habile
et doué d’une si belle voix, que le kady Ben Am-
rân lui conféra, en 626, le khotbah dans la mos-
quée de la Kasbah, dont le khathîb était malade.
7-
100
El-Chekhaby mourut en 629 , et fut remplacé par le
fekhy vénérable, El- Hadj el-Khathîb, auquel suc-
céda, en 635, le cheïkh Abou Mohammed Abd el-
Khaffar, qui céda lui-même ses fonctions au bout
de six mois au cheïkh Abou el-Hassan Aly ben el-
Hadj, qui mourut en 653. Son successeur, le cheïkh,
l’imam, le savant, le guerrier saint, le conseiller, le
vertueux, l’intègre Abou Abd Allah Mohammed ben
el-Gheïkh el-Hadj ben el-Hadj Youssef el-Mezdaghy
(que Dieu le récompense!) confia le khotbah à son
fils, le fekhy Abou el-Kassem, et garda pour lui les
fonctions d’imam. Il avait déjà refusé trois fois l’ima-
mat, et, un jour, questionné sur la cause de ces re-
fus, il répondit : rr Le cheikh vertueux et versé dans le
ffHadits, Abou Der el-Hacheny, qui m’a enseigné à
ff lire le livre de la sagesse, me dit, le jour même de
tr la mort de l’imam Abou Mohammed ben Moussa el-
ff Mâalim, en me regardant d’un regard prolongé : rr
cr Mohammed! tu deviendras l’émir de la piière dans
cria mosquée El-Kairaouyn, mais alors la fin de tes
cr jours sera proche! 75 Cette pensée, qui me revient
ffsans cesse à l’esprit, a été la cause de mes premiers
a refus, r)
Le fekhy Abou Abd Allah Mohammed fut rem-
placé, à sa mort, parle cheïkh, l’imam Abou el-Has-
sen Aly ben Hamydy; et son fils Abou el-Kassem
céda le khotbah à Abou Abd’Allah Mohammed ben
Zyad el-Medeny; à leur mort, les cheïkhs et les
fekhys de la ville élurent pour imam le fekhy ver-
. 101
tueux et béni, le lecteur du livre dans la mosquée
El-Kairaouyn,Abbas Ahmed ben Aly Zrah, et ils con-
fièrent le khotbali au cheikh vertueux et bienfaisant,
Abou el-Kassem ben Mechouna; mais soixante et dix
jours après ces nominations , il arriva un ordre supé-
rieur de l’émir des Croyants , Abou Youssef , qui con-
férait le khotbah au fekhy versé dans le Hadits,
Abou el-Kassem el-Mezdekhy, et l’imamat au cheikh
vertueux et juste, Abou Abd Allah Mohammed ben
Aby el-Sebrany, qui le céda plus tard au juste et
versé dans le Hadits, Abou el-Abbas, fils du fekhy
Aby Abd Allah ben Rachid, le plus docte, le plus
saint imam de son époque. L’imam Abou el-Abbas
ben Rachid se retira au bout de trois ans environ, et
fut remplacé par le fekhy Abou el-Kassem el-Mez-
dakhy, qui remplit les fonctions d’imam et de khat-
liîb tant que son âge avancé le lui permit, et les céda
enfin à son fils, le fekhy vertueux et béni, Abou el-
Fadhl. (Que Dieu le conserve par sa toute-bonté;
car Dieu est miséricordieux et bienfaisant!)
La mosquée El-Andalous demeura telle qu’elle avait
été bâtie jusqu’à l’an 600. A cette époque, fémir
des Croyants Abou Abd Allah el-Nasser donna l’ordre
d y faire toutes les réparations nécessaires. En même
temps il fit ouvrir la grande porte du nord, qui
donne sur la cour, et fit construire au-dessous un
réservoir en marbre rouge, dans lequel l’eau fut
amenée du Bab el-Hadid. Le jet d’eau et le bassin de
102
la cour furent faits aux frais de Sid Abou Zakaria,
père de khalifes, qui versa entre les mains d’Abou
Chama el-Djyachy, directeur des travaux, la somme
nécessaire à ces constructions. Depuis lors, jusqu’en
695, on ne toucha plus à cette mosquée; à cette
époque, Abou Abd Allah ben Mechouna, imam et
cheikh, pria l’émir des Croyants, Abou Yakoub, fds
de l’émir des Musulmans, Abou Youssef ben Abd
el-Hakk (que Dieu les agrée!), de lui permettre de
réparer cet édifice. L’émir l’ayant autorisé, Ben Me-
chouna refit à neuf tout ce qui était détruit ou en-
dommagé, et dépensa à cela de fortes sommes ha-
bous. Le jet d’eau, le bassin, le réservoir et les lieux
aux ablutions reçurent leurs eaux de la source du
Bab el-Hadid jusqu’à l’époque de la famine de deux
ans, où, tous les canaux ayant été détruits, il fallut
puiser à la rivière Mesmouda l’eau nécessaire à la
mosquée. Plus tard, l’émir des Musulmans, Abou
Thâbet Amer ben Abd Allah , y amena de nouveau
l’eau delà fontaine du Bab el-Hadid, en faisant re-
construire les travaux faits dans le temps par El-Nas-
ser l’Almohade, et dont il ne restait plus que les
traces. Ces travaux, semblables aux premiers, furent
faits en 707 (1 807 .1. C.) aux frais du bit el-mal, el
sous la dij’ectioii de rarrliitecte Abou el-Abbas Ah-
med el-Djyâny.
. 103
(ONTINLATION DE LMIISTOIRE DES EDRISSITES HOSSEÏNIENS (qUE DIEU
LEUR FASSE ÎIISERICORDE ! )
L’émir Yhya succéda à son père Yhya ben Moham-
med ben Edriss ben Edriss, sous le règne duquella
mosquée El-Kairaouyn fut construite. Yhya ben Yhya
était un prince de mauvaises mœurs; il viola dans
le bain une jeune lille juive nommée Hanyna, la plus
belle femme de l’époque , qui avait résisté à ses olfres
et à ses prières. Bientôt Abd er-Rahman ben Aby
Sahel el-Djedmy se révolta contre le nouvel émir, et
forma, avec la femme de Yhya ben Mohammed, le
complot de l’assassiner; mais Khateka , fdle d’Aly
ben Omar et femme de l’émir, ayant découvert leur
projet, pressa son mari de passer dans l’Adoua el-
Andalous, afin de se soustraire à leurs tentatives; il
n’en eut pas le temps ; il mourut dans la même nuit,
de douleur et de remords de s’être attiré, par sa
propre faute , la honte et l’opprobre qui le couvraient.
Abd er-Rahman ben Aby Sahel prit alors le gouver-
nement de la ville ; mais Khateka écrivit aussitôt à son
père, Aly ben Omar ben Edriss, pour lui faire part
de ce qui venait de se passer et de l’usurpation de
Ben Aby Sahel. A la réception de ces nouvelles, Aly
ben Omar ben Edriss , qui gouvernait le pays de Sen-
hadja, rassembla à la hâte ses soldats et ses gens, et
marcha sur Fès. Il entra dans l’Adoua el-Kairaouyn,
renversa l’usurpateur et fit reconnaître par les deux
Adouas sa souveraineté, qu’il eut bientôt établie et
\0à
étendue sur tout le Maghreb. C’est ainsi que le pou-
voir passa des mains des descendants de Moham-
med ben Edriss dans celles des descendants d’Omar
ben Edriss, frère de Mohammed.
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’IMAM ALY BEN OMAR BEN EDRISS.
Alvben Omar ben Edriss ben el-Hosseïn ben el-
Hosseïn ben Aly ben Abou Thaleb (que Dieu les
agrée!) fut proclamé souverahi de Fès et de tout le
Maghreb après la mort de son cousin Yhya ben
Yhya. 11 conserva le pouvoir jusqu’à l’époque oh il
fut attaqué par Abd el-Rezak el-Fehery, l’étranger.
Celui-ci, étant passé de Ouechka^ en Andalousie,
son pays , dans le Maghreb , vint camper sur le mont
Ouablân, situé à une journée et demie de Fès. Ac-
cueilli par un grand nombre de Berbères des tribus
de Médiouna, de Ghyata et autres, qui l’élurent pour
chef, il construisit, sur le mont Sla, dans les terres
de Médiouna, un château qu’il appela Ouechka, du
nom de sa patrie, et qui existe encore aujourd’hui.
Ensuite, ayant fait une descente dans le pays de
Sfarya, il s’empara du village de Sfar, dont les ha-
bitants augmentèrent le nombre de ses soldats, et
alors, revenant sur ses pas, il marcha sur Fès. A
son approche , l’émir Aly ben Omar ben Edriss sor-
tit de la ville avec une forte armée et lui livra ba-
taille. Le combat fut sanglant, mais la victoire resta
‘ Huesca.
. 105
à Abd el-Rezak, et l’émir, voyant la plus grande
partie de son armée détruite, prit la fuite et se re-
tira dans le pays de Ouaraba. Abd el-Rezak entra à
Fès et s’établit dans l’Adoua el-Andalous, où les
khotbah furent faits en son nom. Toutefois il ne put
se faire reconnaître par les habitants de l’Adoua el-
Kairaouyn qui, ayant envoyé chercher Yhya ben el-
Kassem benEdriss, surnommé el-Mekadem (le chef),
le proclamèrent émir et le mirent à leur tête. Celui-ci,
ayant attaqué Abd el-Rezak, le délit et le chassa de
l’Adoua el-Andalous, où sa souveraineté fut aussitôt
reconnue et par les indigènes et par les étrangers
andalous qui l’habitaient. L’émir Yhya ben el-Kassem
confia le gouvernement de l’Adoua el-Andalous à
un préfet nommé Thalabah ben Mehârib ben Abd
Allah, de la tribu de Azdy, du pays de Rebath
et descendant de Mehhaleb ben Aby Sfrah. Thala-
bah fut remplacé à sa mort par son fils Abd Allah,
surnommé Abboud, également nommé par l’émir
Yhya, et auquel succéda son fils Mehârib ben Abboud
ben Thalabah.
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’EMIR YHYA BEN EL-KASSEM BEN EDRISS
EL-HOSSEÏN, SURNOMMÉ EL-MEKADEM (lE CHEf).
L’émir Yhya ben el-Kassem fut proclamé souve-
rain de Fès après la fuite de son cousin Aly ben
Omar, et après avoir chassé Abd el-Rezak de l’Adoua
el-Andalous, dont il confia le gouvernement à son
préfet Thalabah ben Mehârib. Ce prince se mit im-
106
médiatemeiit en expédition pour aller châiiei” les
gens du pays de Sfarya contre lesquels il eut à
soutenir de grands combats et de sanglants mas-
sacres. D’ailleurs, il gouverna heureusement jus-
qu’en 292, époque à laquelle il fut assassiné par
Rébi ben Soléïman.
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’ÉMIR YH\A BEN EDRISS BEN OMAR
BEN EDRISS.
Yhya ben Edriss ben Omar ben Edriss, l’Hosseï-
nien , succéda à son cousin germain Yhya ben el-
Kassem el-Mekadem; il fut proclamé émir par les
deux Adouas, et son nom fut placé dans tous les
khotbah du Maghreb. Il distribua les commande-
ments des provinces aux descendants d’Omar, et fut
le plus grand et le plus illustre des Edrissites après
Edriss ben Edriss. Aucun ne fut si instruit, si bien
élevé, si puissant, et n’eut une domination aussi
étendue. Docteur en loi et versé dans le Hadits, il
parlait l’arabe pur, et il fut juste et religieux. 11 gou-
verna tranquillement jusqu’en 3o5, où il fut atta-
qué par Messala ben Habous el-Mekenèsy, kaïd
d’Obeïd Allah el-Chyay^ qui régnait alors à Kay-
rouan. A l’approche de ce général, l’émir Yhya sor-
‘ Obeïd Allah el-Chyay ou Chyi , fondateur de la dynastie des Fa-
thiniites , en Afrique , appelée aussi des Obeïdites ou des Ismaéliens.
Obeïd Allah surgit de Sidjihnessa en 296 ou 298 de l’hégyre, se
faisant appeler El-Mehdy, le directeur, et se disant annoncé par
ces paroles de Mahomet: «Vers l’an 3oo le soleil se lèvera du côté
de l’occident. 1 (D’Herbelot.)
. 107
tit de la ville avec ses troupes; mais il fut battu et
forcé de rentrer à Fès, où il se renferma. Assiégé
par Messala, il fut bientôt obligé de capituler et
de se soumettre aux conditions du vainqueur, qui
exigea de fortes sommes, et une déclaration écrite
par laquelle l’émir se reconnaissait dépendant d’Abd
Allah el-Gliyay, souverain de l’Ifrîkya. Messala
retourna alors à Kayrouan, laissant la surveillance
du Maghreb à Moussa ben Aby el-Afya, maître de
Tsoul et du pays de Taza qui, à son arrivée, était
venu au-devant de lui avec des présents , l’avait bien
accueilli dans ses états et avait pris part à la guerre
qu’il venait de faire dans le Maghreb. Moussa ben
Aby el-Afya, enorgueilli par le succès, chercha bien-
tôt à faire prévaloir son autorité dans le Maghreb;
mais il ne put l’emporter sur Yhya ben Edriss, l’Hos-
seinien, qui avait pour lui noblesse, générosité,
religion, justice, et qui contrecarrait aisément tous
ses plans. Moussa était dévoré de colère et d’en-
vie; aussi, en 809, lorsque le kaïd Messala passa
pour la seconde fois dans le Maghreb , lui adressa-
t-il les plus vives instances pour qu’il s’emparât* de
la personne de l’émir de Fès, tant qu’enfin ce gé-
néral, excité et poussé à bout par ses supplica-
tions réitérées, condescendit à ses désirs et mar-
cha sur Fès. A son approche, l’émir Yhya sortit
avec l’élite de ses soldats pour le recevoir; mais
à peine arrivé, il fut arrêté et couvert de chaînes.
Messala entra à Fès précédé de son prisoimier,
108
monté sur un chameau; puis, à force de mauvais
traitements, il se fit livrer tous les biens et les tré-
sors cachés du malheureux Yhya, et, lorsqu’il
n’eut plus rien à attendre de ses révélations, il
lui ôta ses chaînes et l’exila dans la ville d’Asila,
nu et manquant de tout. L’émir Yhya passa quelque
temps chez son cousin, où la pitié de ses amis lui
prodiguait des secours. Bientôt, ne pouvant plus se
résigner à accepter ces aumônes, il partit pour pas-
ser en Ifrîkya; mais, arrêté en route par Moussa,
il fut jeté dans les prisons de la ville de Mekenès, où
il demeura très-longtemps avant de recouvrer sa
liberté.
Tel fut pourtant l’effet de la colère paternelle.
Un jour, Omar ben Edriss, son père, s’étant fâché,
avait appelé sur lui la douleur, la misère et la honte ;
et, en effet, le malheureux Yhya resta près de vingt
ans dans les prisons de Ben el-Afya. Lorsqu’il en
sortit, il ne trouva d’autre refuge que la ville de
Mehdïa, dont le peuple était en révolte, et il mou-
rut de faim au commencement de l’année 332
(9/13 J. G.), pendant qu’Abou Zyd Moukhalid ben
Keïdâd , le Zenèta, assiégeait cette ville.
Messala conserva le gouvernement de Fès et des
pays circonvoisins pendant environ trois ans, sous
le commandement de son préfet, Ryhan, qui fut
chassé par El-Hassen ben Mohammed ben el-Kassem
ben Edriss el-Hosseïn.
. 109
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’EMIR EL-HASSEN BEN MOHAMMED BEN EL-
KASSEM BEN EDRISS EL-HOSSEÏN, SURNOMME EL-HADJEM (lE CHI-
RURGIEN, LE BARBIER, LE PHLÉBOTOMISTe).
L’émir El-Hassen ben Mohammed ben el-Kassem
ben Edriss fut surnommé El-Hadjem parce que,
dans un grand combat qu’il soutint contre son oncle
Ahmed ben el-Kassem , il frappait les cavaliers en-
nemis justement au mehadjem (endroit du cou oii
s’appliquent les ventouses); ce que voyant, Ahmed
s’était écrié : a Décidément mon neveu est hadjem.17
Le surnom lui resta , et c’est ce qui lui fit un jour
répondre à quelqu’un ce vers : cr On m’appelle Had-
ccjem, mais je ne suis point hadjem, bien que je ne
cf manque jamais le mehadjem de mes ennemis. ii
L’an 3io (922 J. G.), l’émir el-Hassen entra
secrètement à Fès avec quelques hommes, et peu
de jours après il se fit proclamer souverain , à l’insu
du gouverneur Ryhan el-Mekenèsy, qui prit la fuite;
il fut reconnu par un grand nombre de tribus ber-
bères, et étendit sa domination sur les villes de
Louata, Sefra, Médiouna, les deux Mekenès, Basra
et sur la plus grande partie du Maghreb. En 3 1 1 ,
il se mit en expédition pour aller attaquer Moussa
ben Aby el-Afya, auquel il livra bataille à Fahs el-
Dhad, sur les bords de l’Oued el-Methahen ^ Ce fut
le plus grand combat qui eut lieu sous les Edrissites;
‘ Oued el-Methahen : rivière des mouHns , entre Fès et Taza.
110
2,3 soldats de Moussa restèrent sur le champ de
bataille, et de leur nombre était Sahel, fils de ce
général. L’émir El-Hassen ne perdit environ que
6oo hommes, mais, en retournant à Fès, il eut l’im-
prudence de devancer son escorte et de rentrer seul
en ville. En le voyant arriver ainsi, le kaïd Hamed
bou Hamdan el-Hemdany el-Ouaraby, qui était d’ori-
gine africaine , saisit l’occasion , et fit fermer les portes
de la ville à la face de l’armée qui arrivait. Ayant
attendu la nuit, il se rendit chez l’émir, le chargea
de chaînes et l’emmena prisonnier dans sa maison ;
puis il expédia un courrier à Moussa ben Aby ei-
Afya pour lui annoncer ce qu’il venait de faire et
l’engager à venir prendre le gouvernement de Fès.
Moussa arriva en toute hâte , entra dans l’ Adoua el-
Kairaouyn , et fut bientôt maître de l’ Adoua el-Anda-
lous. Une fois souverain de Fès, Moussa dit à Ha-
med ben Hamdan: cr Livre-moi El-Hassen afin que
crpar sa mort je compense la perte de mon fils, n
Mais Hamed frémit à cette demande, car il n’était
pas assez criminel pour faire verser le sang de la
famille par excellence. Il cacha encore plus soigneu-
sement son prisonnier, et, à la faveur de la nuit, il
alla le trouver, rompit ses fers et le fit échapper
par-dessus les murs de la ville. Le malheureux El-
Hassen, faute d’une corde, dût sauter de fort haut
et se cassa la jambe; cependant il parvint à se traî-
ner jusqu’à l’Adoua el-Andalous, où il mourut après
y être demeuré caché pendant trois jours.
. 111
En apprenant cette fuite, Moussa ben Aby el-Afya,
oubliant que c’était à Hamed ben Hamdan qu’il de-
vait le gouvernement de Fès, résolut de le faire
périr à la place de Hassen el-Hadjem; mais il n’en
eut pas le temps, Hamed ben Hamdan avait pris la
fuite pour la Mehdïa.
Le règne de l’émir El-Hassen dit El-Hadjem avait
duré environ deux années.
HISTOIRE DU RÈGNE DE MOUSSA BEN ABY EL-AFYA , EMIR DE FÈS
ET D’UNE GRANDE PARTIE DU MAGHREB.
L’émir Moussa ben Aby el-Afya ben Aby Bacel ben
Aby el-Dhabak ben Medjoul ben Amrys ben Fera-
dys ben Ouanifben Meknas ben Sethif el-Mekenèsy
émir des Mekenèsa , se rendit maître de Fès en 3 1 3 / –
(gS^ J. G.), et étendit successivement sa domination ^ ^
sur les vdles de Taza , Tsoul , El-Koutany, Tanger, El- ^
Basra et sur une grande partie des provinces du
Maghreb. A peine les habitants de Fès eurent re-
connu sa souveraineté , il s’éleva entre lui et Hamed
ben Hamdan une forte querelle au sujet de l’émir
Hassen; et, comme nous l’avons raconté, Hamed
ben Hamdan, déjà accablé de remords, n’ayant pu
consentir à livrer l’émir, ne dut son salut qu’à la
fuite. Bientôt Moussa, proclamé émir par tous les
cheïkhs et les Kabyles du Maghreb, se mit à la
tête de ses troupes pour chasser les Edrissites de
leur pays; et, à mesure qu’il les renvoyait impitoya-
blement de leurs demeures , il s’empara des villes de
112
Asîla, de Cliella et de quelques autres points que
ces malheureux princes avaient conservés. Vaincus,
subjugués, poursuivis, les descendants d’Edriss se
réfugièrent tous ensemble dans la citadelle d’Hadjer
el-Nser (Alhucema), place forte et inexpugnable.
(Mohammed ben Ibrahim ben Mohammed ben El-
Kassem dit , dans son histoire , qu’à cette époque
les Edrissites disparurent dans un nuage ‘). Moussa
ben Aby el-Afya vint aussitôt mettre le siège devant
Hadjer el-Nser avec Tintention manifeste d’anéantir
la race des Edrissites. Mais les cheikhs et les princi-
paux du Maghreb qui l’accompagnaient l’en empê-
chèrent : cr Comment, lui dirent-ils, vous voulez en-
cr lever à notre pays jusqu’au dernier rejeton de la
cr famille du Prophète! Vous voulez exterminer cette
(trace bénie! cela ne sera pas, et non -seulement
rrnous ne vous aiderons point, mais nous nousyop-
ff poserons par tous nos moyens, n Moussa, honteux de
ces justes reproches, leva le siège et retourna à Fès,
en laissant toutefois un de ses kaïds , Abou el-Fath de
Tsoul,avec 1,000 cavaliers pour bloquer et gouver-
ner les derniers descendants d’Edriss.
Ces événements s’accomplirent en 817. Moussa,
émir de Fès, gouverna tranquillement jusqu’en 820,
époque de la venue, dans le Maghreb, de Hamid
ben Sahel, kaïd d’Obeïd Allah el-Chyay, émir de
Mehdïa, qui arriva à la tête d’une grande armée
‘ Image : la forteresse de Hadjer el-Nser (rocher de l’aigle) est si-
tuée sur le sommet d’un mont souvent enveloppe de nuages.
li:î
avec Hamed beu Hanulaii el-Hemdany. Voici pour-
quoi :
A son retour de Hadjer el-Nser, Moussa était resté
quelque temps à Fès, et, pendant son séjour, il avait
fait périr Abd Allab ben Tlialabah ben Mbârib ben
Abboud, gouverneur de l’Adoua el-Andalous, et avait
nommé à sa place Mohammed ben Tlialabah, frère
d’Abd Allah, qui, destitué à son tour, avait été rem-
placé par Taoual ben Aby \ezyd; d’un .autre côté, il
avait confié l’Adoua el-Kairaouyn à Moudyii, son
propre fils. Alors il s’était mis en marche et s’était
porté sur Tlemcen, qui était encore au pouvoir d’un
descendant d’Edriss, nommé Hassen ben Abou el-
Aïch ben Edi’iss, lequel, ayant fait aussitôt sa sou-
mission, se retira, en 3 1 9 , à Melilia, une des îles de
la Moulouïa , abandonnant à Moussa Tlemcen et ses
dépendances. Un an après, au mois de châaban 820 ,
Moussa s’était emparé de la ville de Tekrour et de
tout le pays environnant; et alors, comme roi de
Fès, de Tlemcen et de Tekrour, il avait envoyé sa
soumission à l’émir de l’Andalousie , Abd er-Rahman
el-Nasser Ledyn Illah, au nom duquel il fit faire
les khotbahs dans tous ses états.
Ce fut, en apprenant cette dernière nouvelle,
qu’Obeïd Allah el-Ghyhy, régnant à Melidïa , se dé-
cida à envoyer dans le Maghreb son kaïd Hamid, à
la tête de dix mille cavaliers. Ce général, ayant ren-
contré Moussa à Fahs-Mysour, lui livra bataille. Le
combat fut sanglant, mais sans résultat. Alors Ha-
Ii4
mid, ayant attendu ia nuit, tomba sur le canij) en-
nemi et le défit entièrement. Moussa prit la fuite
et se retira avec le reste de ses soldats à Ain Asliak
dans le pays de Tsoul. Après ce succès, le kaid
Hamid marcha sur Fès , dont il s’empara sans coup
férir, et dont le gouverneur, Moudyn, fils de Moussa,
avait pris la fuite à son approche. Le kaïd Hamid
confia le gouvernement de ses conquêtes à Hamed
beii Hamdan el-Hemdany et retourna en Ifrîkya.
Quand les Edrissites, réfugiés à Hadjer el-Nser,
apprirent la défaite de Moussa, la fuite de Moudyn,
et que Fès était au pouvoir de Hamed ben Hamdan,
ils se soulevèrent contre le kaïd Abou el-Fati), le
chassèrent et dispersèrent ses soldats. Ceci eut lieu
l’an 39 1.
Cependant Hamed ben Hamdan ne conserva pas
longtemps le connnandement de Fès. Attaqué par
Alimed ben Aby Beker Abd er-Ralnnan ben Sahel,
kaïd de Moussa, il fut défait et resta aux mains du
vaiiupieur, qui envoya sa tète et son enfant à Moussa
bon Aby el-Afya, lequel les adressa en hommage à
l’émir des Musulmans, El-Nasser Ledyn lllab à Cor-
doue.
Alimed ben Aby-Beker gouverna la ville de Fès,
au nom de Moussa ben Aby el-Afya, jusqu’en l’an
828 (98/1 J. G.); à cette époque il fut attaqué, à
son tour, par Mysour el-Fetah, kaïd d’Aby el-Kas-
sem el-Gliyhy, qui, étant passé dans le Maghreb
pour tirer vengeance de la mort d’Obeïd Allah el-
. 115
Fehery, père d’Aby el-Kassem, vint mettre le siège
devant Fès. Ahmed se défendit aussi longtemps qu’il
put; mais, n’ayant pu lasser les assiégeants, il se dé-
cida à faire sa soumission, et sortit de la ville avec
de riches présents qu’il vint déposer aux pieds de
Mysour. Celui-ci accepta les présents, puis aussitôt
il le fit prendre , le chargea de chaînes et l’envoya à
la Mehdïa. A la vue de cette trahison, les gens de
Fès fermèrent de nouveau les portes de leur ville et
continuèrent à soutenir le siège, sous le comman-
dement de Hassen ben el-Kassem el-Louaty, qu’ils
élurent gouverneur. Pendant six mois encore tous
les efforts de Mysour furent vains. Voyant qu’il ne
faisait pas le moindre progrès, il se décida, à son
tour, à parlementer avec les assiégés, et leur ac-
corda la paix moyennant six mille dinars et quel-
ques provisions. De plus , il se fit donner par écrit
acte de leur soumission à l’émir des Musulmans,
Aby el-Kassem el-Ghyhy, leur enjoignit de frapper
la monnaie au nom de ce prince , et de faire dire le
khotbah pour lui dans toutes les chaires. Ces points
étant réglés, Mysour leva le siège et se porta contre
Moussa ben Aby el-Afya, l’atteignit, et lui livra un
sanglant combat dans lequel les descendants d’Edriss
se battirent avec un courage acharné. Moussa fut
vaincu et s’enfuit au Sahara, poursuivi par les vain-
queurs.
A cette époque, les Edrissites, quoique placés
sous le commandement de Aby el-Kassem, possé-
8.
116
daient déjà plus de biens que iren avait Ben Aby
el-Afya lui-même ; aussi Moussa , n osant plus se ha-
sarder, continua à errer dans le Sahara et dans
le pays qu il avait pu conserver sous sa domination,
c’est-à-dire depuis Aghersyf jusqu’à Tekrour, et
mourut enfin , en 3 Ai , dans les environs de la Mou-
louïa. Selon El-Bernoussy, Moussa ben Aby el-Afya
serait mort en 828, et aurait eu pour successeur son
fils Ibrahim, mort en 335, auquel aurait succédé
Abd Allah, son fils, mort en 3 60, auquel enfin
aurait succédé Mohammed, son fils, avec lequel s’é-
teignit, en 363, la dynastie des Béni el-Afya de
Mekenèsa. Quelques historiens rapportent encore que
ce dernier prince, Mohammed, eut pour successeui”
son fils El-Kassem ben Mohammed, l’ennemi des
Lemtouna , contre lesquels il aurait fait une guerre
achai*née, et qui aurait enfin succombé sous les coups
de Youssef ben Tachefyn, qui se serait emparé de
tous ses états el aurait ainsi anéanti la race des Béni
el-Afya. Suivant ce récit, la dynastie des Béni el-Afya
aurait régné cent quarante ans, de3o5 à4A5, c’est-
à-dire depuis le commencement du règne d’Abd er-
Rahman el-Nasser Ledyn lllah, jusqu’à la domina-
tion des Lemtouna.
Le kaid Mysour, après avoir accordé la paix au
peuple de Fès, en laissa le commandement à Hassen
ben el-Kassem, qui gouverna cette vdle pendant
dix-huit ans, de 323 à 3/ii, époque à laquelle il
céda volontairement la place à Ahmed ben Aby-Beker,
. 117
revenu de Melidïa. Aben el-Baii, dans son histoire
intitulée Djellau el-Dlidn , rapporte que , lorsque
Moussa, chassé par le kaïd Mysour, eut pris la fuite,
le gouvernement du Maghreb passa aux enfants de
Mohammed ben el-Kassem ben Edriss el-Hosseïn,
Kennoun et Ibrahim, frères utérins; l’aîné, Ken-
noun, prit le premier le gouvernement.
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’EMIR KENNOLN.
Le vrai nom de l’émir Kennoun était Kassem ben
Mohammed ben el-Kassem ben Edriss ben Edriss
l’Hossemien.
Il régna sur tout le Maghreb, à l’exception de la
ville de Fès, et tint sa cour à Hadjer el-Nser, où il
mourut en 887, laissant pour successeur son fils
Abou el-Aïch Ahmed ben Kennoun.
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’EMIR ABOU EL-AÏCH AHMED,
BEN EL-KASSEM KENNOUN.
Ce prince était très-savant, versé dans l’étude des
lois et des sciences abstraites. Il savait l’histoire des
souverains et l’histoire des peuples; û connaissait
les origines des tribus du Maghreb et des Berbères;
prudent, constant, éloquent, vertueux, généreux.
on le distingua des autres descendants d’Edriss en
joignant à son nom l’épithète El-Fadhl (le ver-
tueux).
Partisan des Mérouan, il avait choisi son entou-
rage parmi les descendants de ce prince, et, lors-
118
qu il succéda à son père , il secoua le joug des Obéïdes
pour se placer sous la souveraineté d’Abd x\llah
el-Nasser Ledyn lilah, khalife d’Espagne, au nom
duquel il fit faire le khotbah dans tous ses états.
El-Nasser lui ayant répondu qu’il n’acceptait sa
soumission que si les villes de Tanger et de Geuta
lui étaient livrées, Abou el Aïch repoussa cette condi-
tion, et El-Nasser envoya un corps d’armée contre lui
qui le battit et le força à consentir à la cession de-
mandée des places de Tanger et de Geuta. Ce prince,
ses frères et ses cousins Edrissites fixèrent alors leur
résidence à Basra et à Asîla, et demeurèrent vassaux
de l’émir de Cordoue, tandis que les généraux d’El-
Nasser, à la tète de nombreux soldats de l’Anda-
lousie, continuaient à faire la conquête de l’Adoua,
en faisant périr ceux qui lésistaient , en accueillant
avec bienveillance ceux qui se soumettaient, se ser-
vant des uns pour combattre les autres, et soute-
nant ceux qui envoyaient à Témir El-Nasser des con-
tributions d’hommes et d’argent; c’est ainsi que
1 émir de l’Andalousie parvint à s’emparer de la plus
grande partie du Maghreb, et maintint sous sa domi-
nation un grand nondjie des tribus Zenèta et au-
tres Berbères. Les kiiotbahs furent prononcés en
son nom dans toutes les chaires, depuis Tanger
jus(ju’à Teherct, à l’exception de celles de Sidjil-
messa, qui était gouvernée à cette époque par Menâ-
der le Bejbère.
Les habitants de Fès, suivanl l’exemple des au-
. 119
très, proclamèrent également la souveraineté de l’émir
El-Nasser, qui confia alors le gouvernement de toute
l’Adoua à Moliannned ben el-Klieyr ben Mobanmied
el-Yfrany el-Zenèty , qui fut le plus fort et le plus
puissant des rois Zenèta, respectant et louant sincè-
rement les émirs Ommyades, parce que Otlnnan ben
Oft’an s’étant attaché à son aïeul Harb ben Has ben
SouUat ben Ourlian el-\frany, lui avait fait em-
brasser l’islamisme, et lui avait donné le gouver-
nement des Zenèta. Aussi l’amitié et les bons rap-
ports ne cessèrent jamais entre ses successeurs et
les Ommyades.
Mohammed ben el-Kheyr devint donc émir de
Fès; il resta environ un an dans cette capitale, et il
en sortit pour passer en Andalousie faire la guerre
sainte contre les Chrétiens, laissant le gouvernement
de la ville à son cousin , Ahmed ben Aby-Beker ben
Ahmed ben Othman ben Saïd el-Zenèta , qui bâtit le
minaret de la mosquée El-Kairaouyn , en l’an SA/î.
En 3/17, l’émir El-Nasser donna le gouvernement
de Tanger et dépendances à Yaly ben Mohammed
el-Yfrany , qui vint alors s’établir dans ce pays avec
sa tribu des Yfran.
Lorsque Abou el-Aïch vit que El-Nasser avait con-
quis l’Adoua, il lui écrivit à Cordoue pour lui de-
mander l’autorisation de venir faire la guerre sainte ;
l’émir El-Nasser accéda à sa prière, et ordonna qu on
lui bâtit des forts à toutes ses étapes, depuis Algé-
risas jusqu’à la frontière, et qu’on lui fournît, à
120 HISTOIRE DES SOUVERAINS DL MAGHREB
chaque halte, la nourriture, la boisson et les lits né-
cessaires, plus mille dinars. Cet ordre fut exécuté sur
toute la route comprenant trente étapes, depuis
Algérisas jusqu’à la frontière.
En partant pour TAndalousie, Abou el-Aïch avait
nommé à sa place son frère, El-Hassen ben Ken-
noun; il mourut en combattant les Chrétiens, en
Tan ‘Sli’d (95A J. G.). Que Dieu lui fasse miséri-
corde !
mSTOlKI’: DL «KG>E DE L’KMIR HASSEX BEN KENNOUN.
Hassen ben Kennoun ben Mohammed ben el-Kas-
sem ben Edriss el-Hosseïn fut proclamé émir après
le départ de son frère, qui mourut à la guerre sainte.
Ben Kennoun est le dernier des rois Edrissites au
Maghreb, et il resta sous la suzeraineté des Mérouan
jusqu’à l’époque oùMadh el-Chyhy, maître de l’ifrîkya,
ayant appris c|ue Nasser avait conquis l’Adoua et
soumis à la dynastie des Ommyades les populations
berbères et zenèta qui l’habitaient, donna ses pleins
])ouvoirs à Metidy ben Isinaël et envoya son kaid Is-
uiaël Djouhai’ el-Roumy (le chrétien ‘) à la tète de vingt
mille cavahers, avec ordre de parcourir le Maghi’eb
et de le subjuguer. Djouhar partit de Kairouan en
‘ Djouhar le Chrëtieii, iioin d’un esclave Grec de nation, lequel,
ayant été affranchi par El-Mansour, khalife des Fathiniites en Afrique,
s’avança dans les charp-es militaires jusqu’à celle de général d’armée.
Ce fut lui qui conquit l’Egypte pour Mouaz Ledyn Illah, et qui (it hà-
tir la ville du Caire, en 358 . sous l’horoscope de la planète de Mars,
surnommée El-Kahcr par les astronomes ai-ahes. (P’Herbelot.)
. 121
SUj et marcha sur le Maghreb; à la nouvelle de son
approche, Yaly ben Mohammed el-\frany, émir des
Béni \ fran et lieutenant du khalife El-Nasser Ledyn
lllah dans l’Adoua, rassembla les Béni Yfran et les
Zenèta et s’avança à la tête d’une nombreuse armée
jusqu’aux environs de la ville de Teheret, qui furent
le théâtre d’une guerre sanglante entre les deux
partis. Enfin le kaïd Djouhar étant parvenu à cor-
rompre, moyennant de fortes sommes d’argent, les
chefs de la tribu de Ketama, ceux-ci se révoltèrent
contre Yaly ben Mohammed, le massacrèrent et en-
voyèrent sa tête et ses vêtements à Djouhar, qui les
récompensa par de riches présents, et envoya ces
sanglants trophées à son maître, Mâdh Mouaz ben
Ismaël, lequel les fit promener dans les rues de Kai-
rouan. Après la mort de leur prince, les Béni Yfran
furent chassés et dispersés, et Yaly fut le derniei*
émir de cette tribu, quoique quelques-uns des Béni
Yfran se fussent ralliés pour nommer Y ddou fils d’\ al^
ben Mohammed pour succéder à son père.
Après ce premier succès , Djouhar se porta sur Sid-
jilmessa où régnait en ce temps-là Abou Mohammed
ben el-Fath el-Kharydjy, plus connu sous le nom de
Ouaclîoul ben Mejmoun ben J\ledrar el-Safyry, qui
prétendait être khalife et se faisait appeler émir des
Croyants. Il s’était fait surnommer el-Chaker Billah
(le reconnaissant envers Dieu), et faisait battre mon-
naie sous ce nom, et cette monnaie, d’ailleurs fort
bien frappée, s’appelait chakerya. Malgré cela, Mo-
122
hainmed ben el-Fath était homme de bien , et gou-
vernait selon la justice et le Sonna, en suivant la
doctrine El-Maleky. Djouhar mit le siège devant Sid-
jilmessa, et après l’avoir de plus en plus resserrée,
il y entra les armes à la main, s’empara de Ghaker,
dispersa ses soldats, fit périr ses compagnons et ses
favoris de Safyria, et l’emmena à Fès captif et en-
chaîné; cela était en l’an 8/19 (960 J. G.). Djouhar fit
le siège de Fès, et après l’avoir bloquée de tous cô-
tés pendant treize jours, il y entra à l’assaut, mas-
sacra beaucoup de monde et fit prisonnier l’émir
Ahmed ben Aby Beker el-Zenety, qui avait reçu le
gouvernement de cette capitale de l’émir El-Nasser,
lorsque celui-ci avait été proclamé par le peuple de
Fès. Djouhar fit périr les principaux habitants, s’em-
para des trésors, détruisit les murailles et fit d’im-
menses ravages; son entrée à Fès eut lieu dans la
matinée du jeudi 50 de ramadhan de l’année 3/19;
aussitôt après, Djouliar parcourut le Maghreb, dis-
persant les chefs et les partisans des Mérouan (Om-
myades) , s’emparant des villes, et chassant devant lui
les Zenèla et autres Kabyles (pii fuyaient à son ap-
proche. G’est ainsi qu’il tint le gouvernement du Ma-
ghreb durant trente mois; il retourna alors aupi’ès
de son maître Màdh ben Ismaël el-Obéïdy, pour lui
rendre compte de ses exploits au Maghreb oij il avait
renversé la puissance des Mérouan en faveur des
Obéides, au nom descpiels les khotbah se pronon-
çaient dans tontes les chaires. Djouhai” arriva à la
123
Mehdïa^ traînant à sa suite Mohammed Abou Beker
el-Yfi’any, Témir de Fès et vingt-cinq desesclieïkhs,
et Mohammed ben el-Fath, émir de Sidjdmessa,
tous emprisonnés dans des cages de bois, hissés sur
le dos des chameaux, et coiffés de calottes de vieille
bure surmontées de cornes. Ces prisonniers furent
d’abord ainsi promenés et exposés sur tous les mar-
chés de Kairouan, et à leur arrivée à Mehdïa ils
furent jetés dans des cachots, où ils moururent.
L’émir El-Hassen ben Kennoun reconnut la suze-
raineté des Fathimites durant tout le séjour de
Djouhar au Maghreb; mais au départ de celui-ci, à
la fin de l’année SAg, il se plaça sous celle des Om-
myades, non point certes par affection, mais par la
crainte qu’ils lui inspiraient, et il leur resta soumis
jusqu’à l’arrivée de Belkyn ben Zyry ben Mounâd,
le Senhadja, qui passa de l’Ifrîkya au Maghreb pour
venger la mort de son père. Belkyn battit les Zenèta
et domina tout le Maghreb , où il renversa les Om-
myades, dont il fit périr les représentants, et il re-
plaça tout ce pays sous la suzeraineté de Mâdh ben
Ismaël, comme Djouhar l’avait fait avant lui. A l’ar-
rivée de Belkyn, l’émir Hassenben Kennoun, qui ré-
sidait à Basra, avait été le premier à attaquer les
Ommyades, et à secouer leur joug; aussi El-Hakem el-
‘ Mehdïa , siu’ la côte de Tunis , à deiLX journées de Kairouan .
bâtie en 3o3 par Obeid Allah, premier khalife des Fathimites, sur-
nommé El-Mehdy (le directeur dans la bonne voie) par ceux-ci , el
El-Chyhaï (l’hérétique, l’imposteur), par les Simnites. (D’Herbelot.)
12A
Moustaiisyr, furieux en apprenant cette défection , ex-
pédia aussitôt contre lui son kaïd Mohammed ben
êl-Kassem, à la tète d’une nombreuse armée. Ce gé-
néral partit d Algérisas et débarqua à Ceuta avec un
corps d’armée considérable, dans le mois de raby
el-aouel,an 862 (97^ J.C.); il se mit immédiatement
en marche pour aller attaquer Ben Kennoun et ses
Kabyles berbères. Les deux armées se rencontrèrent
dans les plaines de Tanger connues sous le nom de
Fahs beny Mesrah. Le combat fut sanglant ; Moham-
med ben el-Kassem fut tué avec un grand nombre
des siens, et le restant prit la fuite et se réfugia à
Ceuta. Ceux-ci se renfermèrent dans la ville et écri-
virent au khalife pour lui demander du secours. El-
Moustansyr leur envoya Ghàleb son premier kaïd, son
compagnon de guerre, le plus distingué de tous ses
généraux par son courage, son énergie, son intelli-
gence, son habileté et son intrépidité, auquel il donna
de fortes sommes et une armée nombreuse, avec
ordre d’aller attaquer les Alydes chez eux et de les
exterminer. En le congédiant il lui dit: crO Ghâleb!
ffva prudemment, et ne reviens ici que vainqueur
ff ou tué ; ne ménage point l’argent , répands-le lar-
cr gement pour attirer les liommcs à toi ! n Ghaleb sor-
tit de Cordoue à la fin du mois de chouel de l’an-
née 362.
A la nouvelle de son approche, Ben Kennoun fut
saisi d’épouvante, et il sortit de la ville de Basra
emportant avec lui son harem, ses trésors et ses
. 125
biens, et H se réfugia à Hadjer el-Nser, près Geiita,
où il renferma le tout. Ghâleb arriva par mer cVAl-
gérisas au château Mesmouda, où il trouva Ben
Kennoun à la tête d’une armée. Après quelques
combats, Ghâleb, faisant usage de son argent, en-
voya de fortes sommes aux chefs berbères qui sou-
tenaient l’émir, en leur faisant dire qu’ils avaient
l’aman et pouvaient venir à lui. En ellet, ceux-ci
abandonnèrent El-Hassen, qui resta bientôt seul
avec les gens de sa suite, et n’eut d’autre ressource
que de rentrer à Hadjer el-Nser, où il se fortifia.
Ghâleb le suivit de ])rès et assiégea la place en l’en-
tourant de tous côtés, de façon à intercepter toutes
communications. Telle était la situation, lorsque,
sur l’ordre de Hakeni el-Moustansyr, tous les Arabes
et les principaux guerriers de l’Andalousie vinrent
rejoindre Ghâleb, qui, en recevant ces renforts, au
commencement du mois de moharrem, an 363, re-
doubla les rigueurs du siège , au point que El-Hassen
Kennoun se vit bientôt réduit à demander merci; il
sollicita l’aman pour sa personne, pour sa famille,
pour ses biens et pour les gens de sa suite, avec
condition de se rendre et d’aller résider à Gordoue.
Sur l’acceptation de Ghâleb, El-Hassen ben Kennoun,
ouvrant la place aux assiégeants , se rendit avec sa
famille, ses biens et les gens de sa suite. Ghâ-
leb, prenant le commandement de la forteresse
d’Hadjer el-Nser, y fit transporter tous les Alydes
qui se trouvaient sur les terres ou dans les villes
126
de TAdoua, sans en excepter un seul. Ceia fait,
d se rendit à Fès, et, après avoir dirigé le gou-
vernement pendant quelque temps, il confia le com-
mandement de l’Adoua el-Kairaouyn à Mohammed
ben Aby ben Kchouch , et celui de l’Adoua el-Andalous
à Abd el-Kerym ben Thalabah ; ces deux gouverneurs
restèrent fidèles aux Ommyades jusqu’à la conquête
de Zyry ben Athya el-Zenèty el-Maghraouy. Ghâleb
revint donc en Andalousie, emmenant avec lui El-
Hassen ben Kennoun et tous les princes Edrissites,
après avoir subjugué le Maghreb entier et y avoir
établi ses gouverneurs; après avoir anéanti le culte
des Obéïdes et l’avoir remplacé partout par celui des
Ommyades,
Ghâleb sortit de Fès à la fin de rainadhan de l’année
363, et se rendit à Geuta, oii il s’embarqua pour
Algérisas. De là, il écrivit à El-Hakem el-Moustansyr
pour lui annoncer son arrivée et celle des Alydes
qu’il conduisait, A la réception de cette lettre, El-
Hakem ordonna à la population de la vdle de se
porter à la rencontre du vainqueur, et lui-même,
étant monté à cheval, se rendit au-devant de Ghâ-
leb avec une brillante escorte composée de tous les
personnages les plus distingués de sa cour. Le jour
de cette entrée solennelle fut une grande fête à Cor-
doue; c’était le i” de moharrem, de l’an 3 6 A. (97/1
J. G.). El-Hassenben Kennoun s’inclina devantle kha-
life , qui l’accueillit avec bienveillance et lui accorda
son pardon. El-Moustansyr lui fit donner tout ce qui
. 127
lui était nécessaire et une forte pension pour lui et les
gens de sa suite, qu’il admit même au nombre de ses
employés. Ils étaient en tout sept cents hommes, mais
ils en valaient bien sept mille des autres. Ils de-
meurèrent tous à Gordoue, ainsi que Ben Kennoun,
jusqu’en 365, époque où ils en furent chassés, et
voici pourquoi : Ben Kennoun possédait un morceau
d’ambre fort gros et d’un parfum exquis, qu’il avait
trouvé un jour en se promenant sur la plage, durant
son règne, et qu’il plaçait habituellement sous son
oreiller quand il dormait. Un jour El-Hakem eut
envie de ce morceau d’ambre , et le lui demanda en
lui offrant en échange tout ce qu’il voudrait; mais
Kennoun le lui refusa obstinément, et El-Hakem, per-
dant enfin patience , fit piller sa demeure et .lui en-
leva non-seulement le morceau d’ambre , mais tout
ce qu’il avait. Ce morceau d’ambre resta dans le tré-
sor des rois de Gordoue jusqu’à la conquête de Aly
ben Hamoud el-Hosseyny, qui, après avoir vaincu
les émirs de l’Andalousie , pénétra dans le palais des
Ommyades , oii il retrouva ce morceau d’ambre qui
venait de son cousin Ben Kennoun et qui , après être
ainsi passé de mains en mains , retourna aux Alydes ,
ses premiers propriétaires.
El-Hakem , non content de la disgrâce de Kennoun
et de tous les biens qu’il lui avait enlevés, lui or-
donna de sortir de Gordoue avec tous les Alydes et
de s’en aller dans le Levant. Ils partirent donc, et
s’embarquèrent à Alméria pour Tunis, en l’an 365,
128
et El-Hakem n’eut plus à penser à leur entretien.
De Tunis, Ben Kennoun et les siens passèrent en
Egypte et s’établirent près de Nysar ben Mad, qui les
accueillit parfaitement et leur promit généreusement
de les venger en les aidant à reprendre leur puissance.
Ils restèrent au Caire jusqu’au commencement de
l’an ^”j^, sous le règne de Hachem el-Mouïd. A cette
époque, El-Nysar les invita à retourner dans le Magh-
reb, et il écrivit à son lieutenant de l’Ifrîkya, Bel-
khyn ben Zyry ben Mounady, de leur fournir les
troupes nécessaires. El-Hassen ben Kennoun arriva
chez Belkhyn, qui lui donna une armée de trois mille
cavaliers, à la tète desquels il rentra au Maghreb,
où il reçut la soumission des tribus berbères accou-
rant au-devant de lui. A cette nouvelle , El-Mansour
ben Aby Amer, lieutenant de Hachem el-Mouïd, ex-
pédia son cousin, le visir Abou el-Hakem Omar ben
Abd Allah ben Aby Amer, avec une forte armée, et
en lui donnant ordre daller prendre le gouverne-
ment du Maghreb et d’en chasser Hassen ben Ken-
noun. Abou el-Hakem se mit aussitôt en marche, passa
la mer et débarqua à Ccuta, d’où il s’élança à la
poursuite de Hassen, qu’il battit et harcela assez
longtemps sans résultats, jusqu’à l’arrivée d’El-Man-
sour ben Aby Amer ben Abd Allah el-Malek , envoyé
de l’Andalousie avec uiie forte armée pour renfor-
cer celle du visir. C’est alors que Ben Kennoun, se
sentant perdu et ne trouvant aucun moyen de s’é-
chapper, demanda Taman avec condition d’aller à
. 129
Cordoue, comme la première fois. Le visir Aby-
Beker accéda à sa demande, et lui fournit tout son
nécessaire, en prévenant son cousin El-Mansour
de la prochaine arrivée à Cordoue de son ennemi
vaincu ; mais El-Mansour ne ratifia point du tout l’a-
man donné par son cousin , et il lui ordonna de faire
périr Ben Kennoun en route, ce qui fut exécuté. Le
visir fit décapiter Kennoun , dont le corps fut enterré
et la tète envoyée à El-Mansour, qui la reçut à Cor-
doue le premier jour de djoumad el-aouel, an S’jh
(985 J. C).
Le règne de Hassen ben Kennoun avait duré seize
ans la première fois, de l’an 8/17 à l’an 36/^ , et un
an et neuf mois la seconde fois. C’est ainsi que le
vent des Alydes s’éteignit au Maghreb et qu’ils furent
dispersés; il en resta un petit nombre à Cordoue,
faisant partie du divan du sultan pour les affaires du
Maghreb, jusqu’au règne d’Aly ben Hamoud, qui re-
leva leur position.
A la mort de Kennoun il y eut un coup de vent
terrible qui emporta son manteau, qu’on ne revit ja-
mais. Selon Ibn el-Fyadh, Hassen ben Kennoun était
méchant, cruel et sans merci. Lorsqu’il s’emparait
d’un ennemi, d’un voleur ou d’un bandit, il le fai-
sait précipiter du Iiaut des remparts de Hadjer el-
Nser dans des précipices dont l’œil ne voyait pas le
fond, et oii les condamnés n’arrivaient qu’en mor-
ceaux.
La dynastie des Edrissites hosseïniens s’éteignit
9
130 HISTOIRE DES SOUVERAINS DL MAGHREB
ainsi dans le Maghreb par la mort deBen Kennoun,
qui fut le dernier de leurs rois. Leur règne , depuis
le jour de la proclamation d’Edriss dans la ville
d’Oualily, jeudi 7 de raby el-aouel, an 179 (788
J. C.) jusqu’à la mort de Kennoun, dans le mois de
djoumad el-aouel, an 875 (986 J. G.) avait duré deux
cent deux ans et cinq mois. Leur domination s’éten-
dit depuis le Sous cl-Aksa jusqu’à la ville d’Oran,
et ils eurent ])our capitale Fès, et plus tardEl-Basra.
Ils furent alternativement en lutte avec deux grandes
dynasties, celle des Obéïdes en Egypte et en Afrique,
et celle des Ommyades en Andalousie, qui leur enle-
vèrent le klialifiit, le pouvoir et les richesses. Lors
de leur plus grande prospérité, ils s’étendirent jus-
qu’à Tlemcen ; mais l’adversité les réduisit aux villes
d’El-Basra, Asîla et Alluicema, et c’est ainsi qu’ils
finirent et que finit leur règne.
Dieu seul est éternel!
Dieu sans lequel il n’v a pas de Dieu !
Celui
DANS LE MAGHRER.
Après les Edrissites et les Beny Aby el-Afya el-
Mekenèsy , le Maghreb passa sous la domination des
Zenèta. Le premier d’entre eux qui le gouverna fut
Zyry ben Athya ben Abd Allah ben Mohammed cl-
UO
Zenèta el-Maghraoua el-Kliazeri, roi des Zenèta en
368. Placé sous la suzeraineté de Haclieni el-Mouïd
et de son hadjeb El-Mansour ben Aby Amer, Zyry
conquit tout le Maghreb, et vint, en 876, fixer sa
demeure et sa cour à Fès, où il s’était fait précéder
par ses kaïds Askélâdja et Aby Byach. Il s’occupa,
d’abord, à tranquilliser le Maghreb, et il devint bien-
tôt fort et puissant partout.
7 9-*! A 2)- ‘^^^^’ ^^^ entrefaites, en 877, Abou el-Behary ben
Zyry ben Menâd, le Senhadja, se souleva contre son
neveu Mansour ben Belkhyn , émir d’Afrique et prince
de la dynastie des Obéïdes, et se plaça sous la suze-
raineté des Mérouan. Il s’empara des villes de Tlem-
cen, Tunis, Oran, Ghelef, Chelchel, Médéa, des
monts Ouanchéris et d’une grande partie du Zab, en
faisant, en même temps , prier dans les khotbahs pour
. El-Mouïd et son hadjeb El-Mansour ben Aby Amer.
Celui-ci, en récompense de cette soumission, con-
firma El-Behary dans le commandement des villes
qu’il avait conquises, et lui envoya, entre autres pré-
sents, un vêtement d’honneur et quarante mille
dinars; mais, environ deux mois après avoir reçu ces
dons, El-Behary se replaça sous les Obéïdes.
El-Mansour, outré de cette mauvaise foi, écrivit
aussitôt à Zyry ben Athya pour lui donner l’ordre de
s’emparer des possessions d’Abou el-Behary, et de le
faire mourir. En effet, le roi zenèta sortit de Fès à
la lète d’une armée innombrable, composée, en ma-
jeure partie , de tribus zenèta , et marcha sur El-
. Ul
Beliary; mais, à son approche, celui-ci prit la fuite,
et alla se réfugier auprès de son neveu Mansour Len
Belkhyn. Zyry ben Atliya s’empara de tout le pays
abandonné par El-Beliary, et devint ainsi souverain
maître du Maghreb, depuis le Zab jusqu’au Sous el-
Aksa. Son premier soin fut de rendre compte de ses
succès à El-Mansour ben Aby Amer, et il accompagna
son message de riches présents, composés, entre
autres choses , de deux cents magnifiques chevaux de
race, cinquante chameaux Mehary\ mille boucliers
recouverts de peau de îajnt -, de nombreuses charges
d’arcs en bois de zan^, de chats musqués, de girafes,
de lamts et autres animaux du Sahara, de mille
charges de dattes et d’une quantité d’ét’ofl’es en laine
fine. El-Mansour reçut ces dons avec plaisir, et, en
reconnaissance , il lui renouvela l’acte qui lui confé-
rait la souveraineté du Maghreb. On était alors en
38i (991 J. C). Zyry ben Athya rentra à Fès, et
établit sa tribu sous les murs de l’occident de la
ville, où elle dressa ses tentes. Un an après, en 882 ,
ayant reçu une lettre d’El-Mansour qui l’invitait à
venir le voir à Cordoue, l’émir Zyry confia le gou-
vernement du Maghreb à son fils El-Mouaz , en lui
enjoignant d’aller demeurer à Tlemcen, et laissa le
commandement de Fès à deux de ses kaïds , Abd er-
Rahman ben Abd el-Kerym ben Thalabah pour l’A-
‘ Mehary. (V. Le Grand Déset^t, par M. le général Daumas.)
“^ Lamt, espèce de bubale. (V. Marinol, t. I, p. h’i.)
^ Zan, espèce de chêne bien connue en Afrique.
\lf2
doua el-Aiidalous, et Aly ben Mohammed beii Aby
Aly ben Kchouch, pour TAdoua el-Kairaouyn, aux-
quels il adjoignit pour remplir les fonctions de kady
le fekhy Abou Mohammed Kassem ben Amer el-
Ouzdy. Après avoir pris ces dispositions, il se mit en
voyage , portant avec lui , entre autres présents ma-
gnifiques, un oiseau savant qui parlait Tarabe et le
berbère, un animal produisant le musc, des bœufs
sauvages semblables à des chevaux, deux lions dans
leurs cages de fer, et des dattes d’une beauté extraor-
dinaire et dont quelques-unes étaient aussi grosses
qu’un melon. Il était suivi de six cents serviteurs ou
esclaves, dont trois cents à cheval et trois cents à pied.
El-Mansour lui ht une magnifique réception, et lui
donna pour demeure le palais du hadjeb Djafar. Il le
combla d’attentions, de générosités, et il lui accorda
le titre de visir, en le revêtant d’une robe d’honneur.
Enfin, après lui avoir remis l’acte qui lui conférait le
gouvernement du JMaghreb et de riches présents, il
le congédia.
Zyry ben Athya s’embarqua et passa à Tanger. A
peine fut-il descendu à terre, il s’écria en portant les
mains à sa tète : r Maintenant tu m’appartiens, ô ma
ff tète ! T puis , dédaignant les présents que lui avait faits
El-Mansour, il ne voulut pas du titre de visir, et il
apostropha ainsi le premier qui le lui donna. « Mai-
re heur à toi ! je suis émir, fils d’émir, par Allah , et non
cr point visir. Certes, les grandeurs d’Aby Amer sont
rrbien dignes d’admiration! mieux vaut entendre le
. 148
cf lion que de le voir! et s il y avait un seul homme de
ff cœur en Andalousie, les choses ne seraient pas ainsi, v
Cependant Témir Yddou ben Yaly el-Yfrany, profi-
tant de l’absence de Zyry, s’était emparé de la ville
de Fès et était entré les armes à la main dans l’Adoua
el-Andalous, au mois dou’l kaada an 882 (999 J. G.).
L’émir Yddou ben Yaly, qui commandait à toute la
tribu d’ifran, était l’égal de l’émir Zyry par la nais-
sance, les bonnes qualités et la fortune. Yfran et
Maohr, dont descendaient les Béni Yfran et les Béni
Maghraoua , étaient frères , tous deux fils de la même
mère et de Ysslyn ben Sâary ben Zakya ben Ouar-
chihh ben Djâna ben Znat. Yddou ben Yaly avait suc-
cédé dans le commandement des Béni Yfran à son
père Yaly ben Mohammed, qui avait été tué, en 8/17,
par Djouhar, lieutenant d’El-Ghyhy; il gouvernait
un vaste pays dans le Maghreb ; il avait plusieurs fois
livré de grands combats à Zyry ben Athya el-Magh-
raouy, auquel il disputait le pouvoir et le gouverne-
ment de Fès qu’il avait enlevé et perdu tour à tour, et
jusqu’alors rien n’avait pu mettre fin à cette rivalité
acharnée. A son retour de l’Andalousie , Zyry, ayant
(lonc appris que Yddou, profitant de son absence,
s’était rendu de nouveau maître de Fès, et avait
fait périr un grand nombre des Béni Maghraoua, se
mit en route et arriva à marche forcée dans les envi-
rons de Fès où l’attendaient les troupes de Yddou. Le
combat fut sanglant et la victoire , longtemps dispu-
tée, resta enfin aux Béni Magln-aoua. Zyry entra à
\U
Fès les armes à la main , et fit périr Yddou , dont il en-
voya la tête à El-Mansour ben Aby Amer, à Gordoue,
après l’avoir exposée pendant quelques jours en ville.
On était alors en 383.Zyry,pluS|fort et plus puissant
que jamais , soumit tout le Maghreb , inspira le res-
pect aux autres souverains , et continua à entretenir
les meilleures relations avec El-Mansour. Profitant de
sa tranquillité, il bâtit la ville d’Oudjda, et dès qu’il
eut achevé les murs d’enceinte et la kasbah, et que
les portes furent à leur place , il s’y transporta avec
sa famille, ses trésors et ses gens, y établit sa cour et
en fit la capitale de ses états. Ce fut dans le mois de
radjeb de l’an 38û (99Û J. C), que Zyry ben Athya
traça l’enceinte de la vdle d’Oudjda.
Cependant la bonne intelligence entre lui et l’émir
El-Mansour ne tarda pas à être troublée. On rapporta
à l’hadjeb de Cordoue que Zyry refusait d’exécuter
ses volontés et tenait de méchants propos sur son
compte. Dabord El-Mansour, n’écoutant point ces
accusations, conserva à Zyry le titre et la puissance
de visir; mais, en 386 (996 J. G.), il cessa de lui
envoyer les dons et son traitement de cliaque année
et il le destitua. Zyry, de son côté, ne dissimula
plus ses intentions de se soulever et de se maintenir
par la force, et il les signifia en faisant supprimer
dans le khotbah le nom d’El-Mansour et en y lais-
sant seulement celui de Hachem el-Mouïd. El-Man-
sour envoya immédiatement contre lui une forte
armée commandée par un de ses serviteurs, nommé
. U5
Ouadhyli el-Fatah. Celui-ci traversa îa mer et dé-
barqua à Tanger, où quelques tribus de Ghouraâra,
Senliadja et autres reçurent de l’argent et des vête-
ments d’honneur, et se joignirent à lui pour aller
combattre Zyry ben Athya et les Zenèta. De plus, El-
Mansour fit passer à Tanger tous les Berbères qui se
trouvaient en Andalousie, pour compléter l’armée
d’Ouadhyh qui, à leur arrivée, se mit aussitôt en
marche.
A la nouvelle de l’approche de l’ennemi, Zyry ben
Athya sortit de Fès à la tête de ses troupes zenèta,
et vint à la rencontre d’Ouadhyh el-Fatah jusque
sur les bords de l’Oued-Zâdat. Ce fut une guerre
acharnée qui dura trois mois; eidln Ouadhyh, ayant
perdu la plus grande partie de ses soldats et se
voyant vaincu, battit en retraite et rentra à Tanger,
d’où il écrivit aussitôt à El-Mansour pour lui faire
part de ses revers, et pour lui demander des secours
d’hommes, d’animaux et d’argent. A la réception de
cette lettre, El-Mansour sortit lui-même de Cor-
doue et vint à Djezira el-Khadhra\ où il fît embar-
quer pour Ceuta son propre fds Abd el-Malek el-
Moudhefar.
Zyry, fort effrayé en apprenant ces nouvelles , en-
treprit les plus grands préparatifs de défense; il fit
un appel à tous les Kabyles Zenèta, qui arrivèrent
bientôt en foule des pays du Zab, de Tlemcen, de
Melilia, de Sidjilmessa, et qu’il prépara au combat.
‘ L’île Verte , aujoiirrrhui Algésiras.
J4() HISTOIRE DES SOUVERAINS 1)1 MAGHREB
Abd el-Malek rejoignit Ouadhyli el-Fatah et sortit
avec lui de Tanger à la tète d’une armée innom-
brable; ils atteignirent Tennemi sur les bords de
l’Oued-Mîna, non loin de cette ville. On se battit de-
puis le lever du soleil jusqu’au soir, et jamais com-
bat n’avait été si sanglant. Voici ce qui décida la
victoire : un soldat nègre , nommé Sellam , dont Zyry
avait jadis tué le frère, crut l’occasion favorable pour
appliqn(M’ à l’émir la peine du talion; s’étant appro-
ché d(î lui, il lui porta trois coups de couteau au cou;
mais, ayant manqué la gorge, H ne le tua point, et,
prenant aussitôt la fuite, il passa dans le camp d’El-
Malek au(pipl il apprit le coup qu’il venait de faire.
Ce général, saisissant le momenl, rassend)la inuné-
(batement ses soldats et fondit sur les Zeiu’ta démo-
ralisés par l’assassinat de leur clief. Sa victoire fui
complète, et le camp de Zyry fut livré au massacre
et au pdlage.
Zyry, malgré ses graves blessures, prit la fuite,
al)andonnant à l’ennemi un butin énorme dargent,
inunilious, armes, chameaux et b»Mes de somme, el
parvint à gagner un emhoit appelé Madhjh el-Djebeli
dans les environs de Mekenès, où il lit halte. Il s’oc-
cupa aussitôt à rassendiler le reste de ses soldats avec
la ferme intention de revenir à leur tète venger sa dé-
faite; maisEl-Moudliefar, prévenu de ces préparatifs,
envoya immédiatement contre lui un détacbement de
cinq mille cavaliers sous le commandement d’Oua-
dhyli el-Fafab. h'([uel, ayant coud^iné sa marche de
. 1^7
manière à arriver de nuit à Madhyk el-Djebeh , tomba
sur le camp des Zenèta qui se livraient au repos en
toute confiance. On était alors vers le milieu du ra-
madhan, an 087 (997 J. C). Ouadhyh fit un grand
massacre et s’empara de deux mille cheurfa (nobles)
Maghraoua qui furent accueillis avec bienveillance
par El-Moudbefar et rangés aussitôt dans la cavalerie.
Zyry, ayant eu encore le bonbeur de s’échapper, prit
la route de Fès avec un petit nombre de ses compa-
gnons et de ses parents; mais, à son arrivée, il trouva
les portes closes, et il dut implorer ses sujets de lui
rendre au moins ses femmes et ses enfants. Les gens
de Fès les lui accordèrent et lui firent passer en
même temps quelques bêtes de somme et des pro-
visions. Alors, se sentant toujours poursuivi par El-
Moudhefar, il s’enfuit vers le Sahara et atteignit le pays
des Senhadja, où il s’arrêta. El-Moudhefar entra à Fès
le dernier samedi du mois de chouel 887, et y fut
accueilli avec joie par les habitants qu’il rassura, de
son côté, par des paroles pleines de bonté. Il écrivit
aussitôt à son père pour lui faire part de ses victoires ,
et sa lettre fut lue dans la chaire de la mosquée El-
Zahrâ à Cordoue et dans toutes les chaires des pro-
vinces de l’orient et de l’occident de l’Andalousie. A
cette occasion, et pour témoigner sa reconnaissance au
Très-Haut, El-Mansour rendit la liberté à quinze cents
Mameluks et à trois cents femmes esclaves ; il fit dis-
tribuer de fortes sommes d’argent aux gens de bien
et aux pauvres, et, en répondant à son fils, il l’invita
làS HISTOIRE DES SOLVERAINS DU MAGHREB
à se conduire avec indulgence et justice dans le Ma-
ghreb; sa lettre fut lue dans la mosquée El-kairaouyn
le vendredi, dernier jour du mois dou’l kaâda, 387.
Ouadhyh el-Fatah revint en Andalousie, etEl-Mou-
dhefar demeura à Fès, oii il gouverna jusqu’au mois
de safar 889 (998 J. C.) avec une justice sans pré-
cédents. A cette époque, il fut rappelé par son père
El-Mansour, qui confia le commandement de Fès et
de toutes ses possessions dans 1 Adoua à Ayssa ben
Saïd, lequel revint à son tour en Andalousie et fut
remplacé par Ouadhyli el-Fatah.
A son arrivée dans le pays des Senhadja, Zyry ben
Athya trouva les habitants en l’ébellion contre leur
roi Edriss ben Mansour ben Bclkhyn qui avait suc-
cédé à son père Mansour; mettant cette circonstance
à profit, d fit appel aux Zenèta, aux Maghraoua et
autres qui accoururent en nombre, et, à leur tête, ii
attaqua les habitants du pays de Senhadja, qu’il dis-
persa; il s’empara de la ville de Teheret et d’une
grande partie du Zab, et joignant à ses conquêtes les
terres de Tlemcen, Chelef et Msyla, il se forma un
nouvel état qu’d gouverna sous la suzeraineté d’El-
Mouïd jusqu’en 891 (1,000 J.C). Il mourutalors des
suites des blessures que lui avait faites le nègre pen-
dant qu’il assiégeait la capitale des Senhadja; son fils
el-Mouâz lui succéda, et fit la paix avec El-Moudhefar
ben Mansour qui lui restitua le gouvernement des an-
ciennes possessions de son père sur tout le Maghreb. Le
règne de Zyry ben Atliya avait duré environ vingt ans.
. U9
HISTOIBE DL REGNE D’EL-MOUÂZ BEN ZYRY BEN ATHYA EL-MAGHRAOUY,
ÉMIR DE FÈS ET DU MAGHREB.
Mouâz était fils de Ben Zyry ben Athya el-Zenèty
el-Maghraoïiy et de Tekâtour, fille de Meiiâd ben Te-
bâdelt el-Maghraouy. Proclamé souverain à la mort
de son père par les tribus zenèta , il eut bientôt atteint
la suprême puissance ; il fit la paix avec El-Mansour
ben Aby Amer, reconnut sa souveraineté, et ordonna
que son nom fut proclamé dans le khotbah de tous
ses états. A la mort d’El-Mansour, an 898, El-Moud-
liefar, en reconnaissance de cette soumission, rappela
Ouadhyh el-Fatah deFès, et en donna le commande-
ment à Mouâz , ainsi que celui de toutes ses possessions
dans le Magbreb, à la condition que ce prince lui
enverrait chaque année à Gordoue une certaine quan-
tité de chevaux, de boucliers, et une forte somme
d’argent. Mouâz dut, de plus, se soumettre à laisser
en otage à Gordoue son fils Manser, lecpiel, malgré
son ardent désir de revoir son pays, demeura en An-
dalousie jusqu’à la chute des Beny Amer, dont le
règne eut aussi sa fin ; car il n’y a d’éternel que Dieu ,
et lui seul est vraiment adorable !
L’émir El-Mouâz mourut dans le mois de djoumad
el-aouel, an /j22 (i,o3o J. G.), après un règne de
trente-trois ans, durant lequel le Maghreb jouit de
tous les bienfaits de la paix et de la sécurité. Hamâma
ben el-Mouâz ben Athya el-Zenèty el-Maghraouy, son
cousin germain, lui succéda dans le mois suivant de
i
150
djoumad el-tâiiy. Quelques historiens rapportent que
El-Mouâz fut remplacé par son fils et non par son
cousin; mais cela est inexact, et leur erreur provient
de ce qu’ils ont confondu les noms des pères avec ceux
des fils. El-Mouâz ben Athya n eut, d’ailleurs, (|u\ui
seul fils nommé El-Manser et non point Hamâma,
(|ui fut bien le cousin et le successeur de cet émir.
IIISTOIUE Dl liÈGNE DK L’KMIU IIAMÀMA BE\ EL-MOUÀZ
BE\ ATHYA EL-ZENÈTY EL-MAGHRAOUY.
L’émir Hamama ben el-Mouâz succéda à son cousin
El-Mouàz ben Zjry, et gouverna sagement les Zenèta
soumis à sa domination, il fut chassé de Fès par Te-
mym ben Zimour ben Aly ben Mohammed ben Ta- f
leh el-\frany, émir de Salé, qui vint l’attaquer à la
tête des Beny Yfran. L’émir Hamâma, étant sorti à sa
rencontre avec son armée composée des Beny Magh-
raoua, lut battu après avoir soutenu un sanglant
combat, et se vit forcé de prendre la fuite, laissant
la plus grande partie de ses soldats sur le chanq) de
bataille. Il se réfugia à Oiidjda, qui dépendait alors
de Tlemcen.
lllSÏOlltE Dl! UÈGNE DE L’EMIR TEMYM EI.-VKRA^V.
Abou el-Kamel Temym ben Zimour ben Aby, de la
tribu d’Yfran, était émir de tous les Beny Ifran, lors-
(|iril s’empara de Fès après la défaite et la fuite de
Hamâma. dans le mois de djoumad el-tâny, an 62/1
. 151
(io3*i .1. C). Ce prince persécuta les Juils; il en lit
péril’ plus de six mille, et enleva aux autres leurs
richesses et leurs fenniies. Fanatique et ignorant, il
avait déclaré la guerre sainte aux Berghouala contre
lesquels il taisait habituellement deux expéditions
par an, pour les massacrer et les piller. Cela dura
jusqu’à sa mort, en hliS (io56 J. G,). Quatorze ans
plus tard, en /i6’2, lorsque son fds Mohammed fut
tué dans la guerre des Lemtouna, on porta son corps
pour l’ensevelir à côté de son père, et quelle ne fut
pas la surprise des assistants en entendant célébrei’
les louanges de Dieu dans la tombe de Temym! On
l’ouvrit aussitôt , etl’on trouva le cadavre intact, comme
si l’on venait de l’enterrer à peine. Dans la nuit du
même jour, Temym apparut en songe à un de ses
parents. «Que signifient, lui demanda celui-ci, ces
rr hymnes à Dieu et cette profession de foi que nous
ff avons entendues dans ta tombe ? — Ce sont, lui ré-
fc pondit Temym, les cantiques des anges auxquels
cf Dieu a ordonné de chanter ses louanges auprès de
ff mon cercueil pour me mériter la grâce d’être con-
fc serve jusqu’au jour de la résurrection. — Qui es-tu
fcdonc, reprit le dormant, ou bien qu’as-tu fait pour
cr mériter une pareille récompense du Très-Haut, et
rr être comblé de tant de générosité? — J’ai fait chaque
ce année avec acharnement la guerre sahite aux Ber-
c< ghouata. r
L'émir Temym demeura sept ans à Fès; pendant
cette période, Hamània beii el-lVlouâz, après être resté
152
un ail à Oudjda, et s'être vu successivement aban-
donné par ses soldats et ses compagnons, s'en vint à
Tunis. Là, il fit un appel aux Kabyles maghraoua
qui arrivèrent en nombre suffisant pour former une
armée. Hamâma se mit à leur tête, et marcha sur Fès
dont il chassa Temym ben Zimour el-Yfrany, qui prit
la fuite et alla se réfugier à Ghella, Cet événement
eut lieu en /j3i; quelques-uns le font remonter à
l'an ^29. Pour la seconde fois Hamàma maîtrisa Fès
et une grande partie du Maghreb, qu'il continua à
gouverner jusqu'à sa mort, an liko (io/i8 J. C). Son
règne avait duré dix-huit ans, pendant lesquels il
était resté sept ans, ou cinq ans. selon quelques his-
toriens, dépossédé par Temym el-Afraiiy; son hls
Donnas lui succéda.
HISTOIRE DL REGNE DE L'EMIR DOLNAS BEN HAMAMA
BEN ATHYA EL-M AGHRAOLY.
L'émir Donnas succéda à son père Hamâma , dont
il conserva toutes les possessions. Son règne fut un
i'ègne de paix et de prospérité. Les faubourgs de
Fès s'agrandirent et se peuplèrent; de nombreux
commerçants vinrent de toutes parts se fixer dans la
capitale. Donnas fit ceindre les faubourgs de murs,
et construisit des mosquées , des bains et des fondouks ;
il releva ainsi la métropole du Maghreb. Depuis son
avènement jusquà sa mort, en chouel /loa (1060
J. C), il ne cessa de bâtir. 11 régna à peu près douze
. 153
ans, et partagea ses états entre ses deux fils; il légua
le gouvernement de l'Adoua el-Andalous à son fils
El-Fetouli , et celui de l'Adoua el-Kairaouyn à son
fils Adjycha,
HISTOIRE DU RÈGNE DES DEUX FRERES EL-FETOUH ET ADJYCHA.
A la mort de l'émir Donnas, leur père, El-Fetouh
et Adjyclia prirent possession de leurs gouvernements
respectifs ; mais Adjyclia , plus turbulent que son frère,
ne tarda pas à l'attaquer, et une guerre sans relâche
commença, dès lors, entre les deux frères.
El-Fetouh construisit une forteresse à l'endroit
nommé El-Keddân , et Adjycha en éleva une sem-
blable sur la hauteur nommée Sather, dans l'Adoua
el-Kairaouyn. La haine et les discussions des deux
frères portèrent bientôt leurs fruits : la cherté d'a-
bord, et puis la famine et le meurtre. Tout le Magh-
reb fut bouleversé, et les Lemtouna apparurent sur
quelques points. A Fès, on se battait sans relâche,
nuit et jour, et le massacre ne cessa qu'à la mort
d'Adjycha. Ce fut Fetouh ben Donnas qui construisit
la porte située au sud des murs d'enceinte, et que l'on
nomme aujourd'hui Bab el-Fetouh; Adjycha avait
fait également élever une porte du côté nord sur le
sommet de la hauteur Sather, en lui donnant son
Qom ; mais à sa mort son frère ordonna que ce nom
fût changé , et on supprima leghaïn, ce qui fit le nom
fie El-Djycha que cette porte a encore aujourd'hui.
154
La guerre des deux frères durait depuis tiois ans
consécutifs, lorsque El-Fetouh, ayant employé la
ruse, pénétra dans lAdoua el-Kairaouyn, surprit
son frère et le tua. Ensuite il gouverna tranquille-
ment la ville de Fès, jusqu'à l'époque oii les Lem-
touna vinrent l'assiéger. Alors, préférant son salut
à la défense de ses états, il abandonna, en Ixb']
(10G6 J. C.) le gouvernement, qui passa dans les
mains dEl-Manser ben el-Mouàz, son cousin. Le règne
d'El-Fetouh avait duré cinq ans et sept mois, période
de discussions, de guerre, de famine et de malheurs.
lllSrOIKE Dl RÈGNE DE L'EMIR MANSER BEN EL-MOUÀZ BEN ZYR\
BEN ATIIYA EL-MAGFIRAOI'Y.
Ce fut dans le mois de ramadlian le grand, en
687, que l'émir Manser piit les rênes du gouverne-
ment, lâchement abandonnées par Fetouh ben Don-
nas. Manser était résolu, audacieux, brave et vail-
lant; il résista aux Lemtouna et leur livra de grands
combats jusqu'en /iGo (1 0G7 J. C). A cette époque,
il disparut dans un engagement, et personne ne sut
ce qu'il avait plu à Dieu de faire de lui; cinq jours
après sa disparition, les Lemtouna entrèrent à Fès
sans coup férir, ayant à leur tète l'émir Youssef ben
Tachefyn el-Lemtouny; et cette première entrée s'o-
péra en paix et avec l'aman. L'émn' demeura quel-
ques jours eu ville, el partit bientôt pour le Djebel
Ghoumàra. ou laissant le counnaudement de Fès à
. J5o
un de ses lieutenants, avec une garnison de quatre
cents cavaliers lenitouna; mais sitôt après son départ
Temym ben Manser arriva à la tète d'une armée for-
midable de Zenèta, et se fit livrer la ville en pro-
mettant l'aman aux Lemtouna qui s'y trouvaient; ce-
pendant, à peine fut-il entré, qu'il commença à les
faire mourir dans le feu ou sur la croix, et il était
encore occupé à ces sanglantes exécutions quand l'é-
mir Youssef, arrivant en toute hâte, assiégea Fès à son
tour et la prit d'assaut après quelques combats achar-
nés. Ce fut là la seconde et grande entrée des Lem-
touna; cette fois ils firent périr tous les Maghraoua
etlesBeny Yfran, qui furent impitoyablement massa-
crés dans les mosquées et dans les rues au nombre
de plus de vingt mille.
Ce massacre des Zenèta Maghraouy et Yfrany eut
lieu dans le courant de l'an 462, et leur domination
dura donc environ cent ans, de 862 à ^62. Le
commencement de leur règne fut prospère et leur
puissance fut grande; ils entourèrent de murs les
faubourgs de Fès, ils embellirent les portes, agran-
dirent les mosquées El-Kairaouyn et El-Andalous ,
et, à leur exemple, les habitants bâtirent un grand
nombre de maisons. Cette prospérité dura environ
jusqu'à l'apparition des Almoravides dans le Maghreb ;
déjà même, à cette époque, la puissance des Magh-
raoua commençait à s'ébranler, et leurs possessions
s étaient amoindries, caria corruption les gagnait; les
princes dépouillaient leurs sujets , faisaient couler leni-
156
sang et violaient toutes les lois sacrées ; aussi le pays
cessa de payer les impôts, et resta plongé dans la ter-
reur. Les vivres devinrent fort rares, la cherté succéda
à l'abondance, la crainte à l'aman, l'injustice à la jus-
tice. La fin de leur règne fut entièrement obscurcie
par le nuage de l'iniquité, des guerres civiles, et
d'une famine sans exemple dans l'histoire des temps.
Fès''et ses dépendances furent réduites aux dernières
extrémités de la faim sous le règne d'El-Fetouh ben
Donnas et sous celui de son cousin El-Manser. La
farine, seul aliment qui restât à l'homme, se vendait
à un drahem l'once, non-seulement en ville, mais
aussi dans tous les pays circonvoisins. Toutes les
autres denrées avaient disparu. Les chefs Magh-
raoua et Beny Yfran envahissaient les maisons des
particuliers et pillaient leurs biens, sans que nul
osât se plaindre, car au moindre mot ils les fai-
saient massacrer par leurs gens ; ils envoyaient leurs
esclaves sur le montEl-Ardh, qui domine la vdle,
pour découvir les. maisons d'où il sortait de la fumée,
et, sur les indications qui leur étaient données, ils
les envahissaient et prenaient de force les aliments
que l'on y faisait cuire.
Tels furent les motifs pour lesquels le Très-Haut
enleva le pouvoir aux Zenèta et leur retira ses bien-
faits , car Dieu ne change point ce qu'il a accordé aux
hommes tant quils ne le changent pas eux-mêmes ' !
Dieu fit fondre sur eux les Almoravides, qui leur ra-
' Koran . chap xni. le Tonnerre, vers 12.
. 157
virent leurs états, dispersèrent leurs légions, les
massacrèrent et les chassèrent du Maghreb.
Sous la terreur des dernières années de leur
règne , la faim arriva à une telle extrémité , que les
habitants creusèrent de petites caves dans leurs mai-
sons, pour faire leur pain sans être entendus, ou
pour cacher ce qu'ils pouvaient avoir à manger, et
construisirent des espèces de galetas sans escalier,
dans lesquels, à l'heure des repas, le maître de la
maison montait avec sa famille au moyen d'une
échelle qui se retirait ensuite, afin de ne laisser accès
à aucun étranger durant le repas.
CHRONOLOGIE DES EVENEMENTS REMARQUABLES QUI ONT EU LIEU SOUS
LES ZENÈTA BEM MAGIIRAOUA ET BENI YFRAN , DE L'AN 38o À
L'AN Z162.
En 38 1 (991 J. C), le Maghreb, l'Andalousie et
rifrîkya furent désolés par la sécheresse; cependant
un immense torrent, comme il ne s'en était point vu
encore, vint tout à coup se jeter dans l'Oued Sidjil-
messa , au grand étonnement des habitants , qui n'a-
vaient pas eu une goutte de pluie pendant toute
l'année. Ces pays furent ravagés, à la même époque,
par une grande famine, qui dura trois ans, de 879 à
38 1 . — Dans la vingt-troisième nuit du mois de radjeb
de la même année, il apparut dans le ciel une étoile
qui avait à l'œil nu la forme d'un superbe minaret;
elle s'éleva du côté de l'orient et fit sa course vers le
nord-ouest en jetant de magnifiques étincelles. Le
160
En 399 (1008-9 J. C), Abd el-Malek, fils d'El-
Mansour beii Aby Amer, auquel il avait succédé,
mourut empoisonné, et fut remplacé par son frère
Abd er-Rahman, auquel El-Mouâz ben Zyry envoya
de magnifiques présents, entre autres cent cinquante
beaux chevaux. Abd er-Rahman ben el-Mansour, en
recevant ces cadeaux, envoya chercher Manser, fils de
Mouâz, qui était en otage à Cordone, et, après lui
avoir fait des présents ainsi qu'aux ambassadeurs de
son père, d le renvoya dans son pays en liberté. El-
Mouâz fut si content de revoir son fils , qu'il rassembla
tous ses chevaux et les expédia à l'émir de l'Anda-
lousie, à Cordoue; d y en avait neuf cents, et jamais le
Maghreb n'avait fait un aussi beau présent à l'Epagne.
En 896 (ioo5 J. C), apparition d'une immense
comète extrêmement scintillante. Cette comète est
une des douze Nïazek^ connues dans l'antiquité, e1
que les anciens savants ont longtemps observées; ces
astronomes prétendaient que ces comètes n'apparais-
saient que comme un signe de malheur ou de quel-
que chose d'extraordinaire dont Dieu allait frapper
le monde; mais Dieu connaît mieux ses secrets que
qui que ce soit.
jourdhui Calatanasor). tr C'était la première bataille cjiie perdait
ff Almanzor ; aussi il ne voulut point y survivre; il refusa de soigner
ffles blessures qu'il avait reçues dans le combat, et expira de déses-
ffpoir, pleurant ses triomphes inutiles et son nom déshonoré." (L. A.
Sedillot.)
^ Nïazek: VjW- pluriel de Vyo (Hasta brevis) . ffStellae caden-
trtes. î) (Freytag.)
. 161
En 4 (i 009 J. C), Témir Mouâz ben Zyry ben
Athya s'empara de la ville de Sidjilmessa.
En 4oi (1010 J. C), mort du fekhy le kady
Aboii Mohammed Abd Allah ben Mohammed. (Que
Dieu lui fasse miséricorde ! )
En /loy (1016 J. G.), apparition d'une étoile scin-
tillante dont le disque était énorme et très-brillant.
Fin du gouvernement des Ommyades en Anda-
lousie et commencement de la dynastie des Almo-
hades; le règne des Ommyades avait duré deux cent
soixante-huit ans et quarante-trois jours.
En lii 1 (1020 J. C), famine dans tout le Magh-
reb, depuis Tysert (ou Teheret) jusqu'à Sidjil-
messa ; la mortalité fut grande. — En cette même
année, la désunion et la révolte éclatèrent entre les
diverses vdles de l'Andalousie, qui commencèrent à
cette époque à être gouvernées par des rois différents.
En /il 5 (1 2 /i J. C.) , grand tremblement de terre ^v
en Andalousie qui bouleversa les montagnes.
En /il 6 (1 2 5 J. C.) , mort de l'émir El-Mouàz ben
Zyry ben Athya à Fès.
En ^17 (1026 J. C), mort de l'imam El-Fekhy
benAdjouz à Fès.
. En ^3o () o38 J. C.) , mort du fekhy Abou Amran
de Fès à Kairouan.
En 43 1 (loSg J. C), mort du kady Ismaël ben
Abbad à Séville.
En ktiS (io56 J. C), entrée de l'imam Abou
Beker ben Amer au Maghreb.
1C2 ^
En 65o (io58 J. C), Abou Mohammed Abd-
Allali ben Yassyn el-Djezouly, ie Mehdy des Lem-
touiia , fut tué par les idolâtres Berghouata et mourut J
martyr.
En /i52 (1060 J. C), El-Mehdy ben Toula s'em-
para des villes de Mekenèsa.
HISTOIRE DES MORABETIIYN (aLMORAVIDEs) DK LA TRIBU DES LEMTOUNA
DANS LE MAGHREB ET L'ANDALOCSIE. HISTOIRE DE LEURS ROIS ET
OE LEURS RÈGNES DEPUIS LET'R ORIGINE JUSQU'À LEUR DESTRUCTION.
Mohammed ben el-Hassen ben Ahmed ben Ya- '
coub el-Heindany, auteur du livre intitulé El-Ikelàl
fi el-Doulet el-Hamyna (Couronne de la Dynastie 1
Hamyarite), raconte que les Lemtouna tirent leur
origine des Senhadja, lesquels descendent des Ouled
Abd el-Ghems ben Ouathal ben Hamyar. crLe roi
fflfrîkych, fils d'Ouathal ben Hamyar, dit cet écri-
er vain , gouvernait les Hamyr quand il se mit en cam-
ff pagne jiour ell'ectuer quelques razzias dans les en-
ff virons du Maghreb sur les terres d'Afrique. Apr<^s
ff s'être beaucoup avancé dans le pays, il bâtit une
ff ville à laquelle il donna son nom d'Ifrîkya, et y éta-
rc blit les principaux des Senhadja pour instruire les
rr Berbères, percevoir leurs impôts et les gouverner, t)
Un autre historien, Abou Obeïd, rapporte, d'après
Ben el-Kalby , qu'lfrîkych passa dans le Maghreb à
la tète des Beibères de Syrie et d'Egypte, qu'il bâ-
tit la ville d'Ifrîkya, el qu'il établit ces Berbères dans
.
163
le Maghreb , avec lesquels il laissa les deux grandes
tribus de Senhadja et de Ketâma qui, aujourd'hui
encore, vivent au milieu des Berbères.
El-Zebyr ben Bekan a écrit, de son côté, que
le père des Senhadja fut Senhadj ben Hamyar ben
Sebâ ; et on trouve dans la poésie historique d'Abou
Farès ben Abd el-Aziz el-Melzouzi intitulée Nedhmri
el-SloukJi Akhhar el-Emhya ou el-KhoulaJd ou el-Mou-
louk (Chapelet de l'histoire des prophètes, des kha-
lifes et des rois ) , que les Morabethyn descendent
d'Hamyar et nullement de Moudhar, et qu'Hamyar
était fds de Sebâ et père de Senhadj. Suivant une autre _,,^.^__^^^
version, les Senhadja descendent des Houara, lesquels TbTVfFTrjTr
descendent de Hamyar, et sont ainsi nommés parce
que leur père étant passé dans le Maghreb et étant
arrivé dans le pays de Kairouan en Ifrîkya , s'écria :
Gâd tahouarna f el-bled, c'est-à-dire : rrNous avons
envahi un pays sans y penser; ii et le nom de Houara
resta à la tribu. Dieu sait la vérité!
Les Senhadja se divisent en soixante et dix tribus,
dont les principales sont : Lemtouna, Djedâla, Mes- (^fÊTljiH
soufa, Lamta, Mesrâta, Telkâta, Mdousa, Benou
Aoureth, Beny Mchely, Beny Dekhir, Beny Zyad,
Beny Moussa, Beny Lemâs, Beny Fechtal. Chacune
de ces grandes tribus comprend plusieurs branches
ou divisions qui se subdivisent à l'infini. Toutes ces
peuplades appartiennent au Sahara et occupent dans
le sud un espace de pays de sept mois de marche de
long sur quatre mois de marche fie large, qui s'étend
L
164
depuis Noiil Lamtlia (0. Noiin) jusqu'au sud d'Ifrîkya
et de Kairouaii, en Afrique, c'est-à-dire toute la con-
trée comprise entre les Berbères et le Soudan. Ces
peuplades ne cultivent point la terre et n'ont ni mois-
sons ni fruits. Leurs richesses consistent en bétail et
chameaux (dromadaires). Ils se nourrissent de viande
et de lait, et la plupart d'entre eux meurent sans avoir
mangé un seul morceau de pain dans leur vie. Quel-
quefois, cependant, les marchands qui traversent leur
pays leur laissent du pain et de la farine. Ils sont Son-
nites, etils font la guerre sainte aux nègres du Soudan.
Le premier qui régna au Désert fut Tloutan ben
7 S'y M Tyklàn le Senhadja le Lemtouna ; il gouvernait tout
le Sahara, et était suzerain de plus de vingt rois du
Soudan, qui lui payaient tous un tribut. Ses états
s'étendaient sur un espace de trois mois de marche
en long et en large, et ds étaient peuplés partout. Il
pouvait mettre sur pied cent mille cavaliers; il vivait
du temps de l'imam Abd er-Rahman , souverain de
l'Andalousie, et il mourut en 2 9 '3 (836 J. C), âgé
d'environ quatre-vingts ans. Son neveu El-Athyr ben
Bethyn ben Tloutan lui succéda , et gouverna les Sen-
d«j7 Ari) hadja jusqu'à sa mort, en 287, après soixante-cinq
ans d'existence. Il fut remplacé par son fds Temym
ben el-Athyr, qui conserva son commandement jus-
Û/d ArP^iu en 3o6 , et fut renversé par les cheïkhs des Sen-
/ hadja, qui se révoltèrent et le mirent à mort. A la
suite de cela, les cheïkhs ne voulurent plus se sou-
mettre à personne, et restèrent dans l'anarchie pen-
165
daiit cent vingt ans. Alors ils choisirent entre eux un
émir, Abou Mohammed ben Tyfat, connu sous le nom 9 / / / /T^
de Tarsyna el-Lemtouny, et ils le reconnurent pour ^ /
souverain. Ce prince était religieux, vertueux et bien- tX U
faisant; il fit le pèlerinage à la Meccpie et la guerre
sainte; il gouverna les Senhadja pendant trois ans, et
fut tué dans une razzia sur les tribus du Soudan , à
l'endroit nommé Bkdra. Ces tribus habitaient les en-
virons de la ville de Teklessyn; elles étaient arabes
et pratiquaient la religion juive. Teklessyn est habi-
tée par la tribu senhadja des Beny Ouarith, qui sont
gens de biens et suivent le Sonna qui leur fut apporté
par Okba ben Talali el-Feliery, à l'époque de sa ve-
nue dans le Maghreb; ils font la guerre sainte aux
habitants du Soudan qui ne professent pas l'klam.
HISTOIRE DU REGNE DE L'EiMIR YHYA BEN IBRAHIM EL-DJEDALY.
A la mort de l'émir Mohammed Tarsyna el-Lem-
touny, le gouvernement des Senhadja passa entre les
mains de l'émir Yhya ben Ibrahim el-Djedâly. Les
Djedâla et les Lemtouna sont frères, descendants du
même père ; ils habitent l'extrémité du pays de l'Is-
lam, et font la guerre aux infidèles du Soudan; à
l'ouest ds ont pour limite la mer de la Circonférence ^
L'émir Yhya ben Ibrahim resta à la tête des Sen-
hadja et de leurs guerres contre les ennemis de Dieu
jusqu'en 6-27 (io35 J. C). A cette époque, il se fit
' Océan Atlantique.
166
remplacer par son fils Ibrahim ben Yhya, et partit
pour l'Orient dans le dessein de faire le pèlerinage
de la Mecque et de visiter le tombeau du Prophète.
(Que le salut soit sur lui!) 11 arriva, en effet, à la
Mecque, remplit toutes les cérémonies du pèlerinage,
et se mit en route pour retourner dans son pays. S'é-
tant arrêté en chemin, dans la ville de Kairouan, il
y rencontra le saint Abou Amram Moussa ben Hadj
el-Fessy. Cet illustre docteur, natif de Fès, était venu
à Kairouan poui' suivre les cours d'Abou el-Hassan
el-Kaboussy, et s'était ensuite rendu à Bagdad pour
assister à la classe du kady AbouBeker ben el-Thaïeb,
auprès duquel il avait acquis beaucoup de science.
Bevenu à Kairouan, il non sortit plus, et mourut le
1 3 de ramadlian, an li'do. (Que Dieu lui fasse misé-
ricorde!) Yhya ben Ibrahim el-Djedâly, étant arrivé
à Kairouan, se présenta donc chez le fekhy Abou
Amram el-Fessy pour entendre ses leçons; le fekhy,
l'ayant remarqué et s intéressant à son sort, le prit
bientôt en affection et le questionna sur son nom, sa
famille et sa patrie. Yhya, lui ayant répondu, lui fit
connaître Tétendue et la population de son pays. Le
fekhy lui demanda encore à quelle secte appartenait
son p(Mqile. ff C'est un peuple vaincu par l'ignorance,
r' lui dit\hya, et qui n"a pas de Livre, r Effectivemenl
le fekhy, lui ayant fait alors passer un petit examen
sur les principes de la religion , s'aperçut bientôt qu'il
était complètement ignorant et qu'il ne savait pas un
mot du Koj'aii cl du Sonna: mais, en même tenq)s ,
. 167
il comprit, qu'il était animé du plus grand désir de
s'instruire, qu'il avait de bons sentiments, la foi et la
confiance, rr Qu'est-ce qui vous empêche donc de vous
ff instruire? lui dit-il en terminant. mon seigneur,
fflui répondit Yhya, tous les habitants de mon pays
ff sont ignorants , et ds n'ont personne pour leur lire
ffleKoran; mais ils ne désirent que le bien et font
ff leur possible pour y arriver. Ils voudraient bien
ff trouver quelques savants pour leur faire la lecture
ff du Livre et leur apprendre les sciences , pour les ins-
fftruire dans leur religion et les diriger dans la voie
ffdu Koran et du Sonna, en leur expliquant les lois
ffde Tislamisme et les préceptes du Prophète. (Que
ff Dieu lui accorde le salut!) Si vous voulez gagner
fcles récompenses du Très-Haut en enseignant aux
ff hommes la pratique du bien , envoyez donc avec moi ,
ff dans notre pays, un de vos élèves, pour lire le Ko-
frran et enseigner la religion à mes compatriotes,
ffcela leur sera très-utile ; ils écouteront et obéiront,
ff et vous aurez mérité ainsi la grande récompense du
ffDieu très-haut, car vous aurez été le principe de
ffleur direction dans la droite voie, t) Le fekhy Abou
Amram fit la proposition à chacun de ses élèves qu'il
croyait aptes à cette mission; mais nul ne voulut ac-
cepter, par crainte des fatigues et des dangers du Sa-
hara. Ayant perdu tout espoir autour de lui , il dit à
Yhya : rf II existe à Néfys, dans le pays de Messamda,
ff un fekhy habde, pieux et austère, qui m'a rencontré
'•Mci et a beaucoup appris avec moi. Je lui connais
168
rr toutes les qualités nécessaires; il se nomme li-
re Aggag ben Zellou el-Lamthy, et il est originaire du
ff Sous el-Aksa. En ce moment il adore Dieu, enseigne
ccles sciences et prêche le bien dans un ermitage de
(T l'endroit; il a de nombreux élèves; je lui écrirai
fr une lettre pour lui demander de vous adjoindre l'un
rr d'eux. Allez chez lui , vous y trouverez ce que vous
ff cherchez, n En effet, le fekhy Amram écrivit à Ou-
Aggag une lettre ainsi conçue : a A vous le salut et la
a miséricorde de Dieu! ensuite , si le porteur de cette
rr lettre, Yhya ben Ibrahim el-Djedâly vous arrive,
renvoyez avec lui, dans son pays, un de vos élèves,
rr à vous connu pour être religieux , bon , instruit et ha-
ff bile; il enseignera le Koran et les lois de l'islamisme
ffà ces gentils, et vous gagnerez tous deux la récom-
ff pense de Dieu ; car le Très-Haut ne manque jamais de
f( récompenser ceux qui font le bien ^; salut, -n Yhya ben
Ibrahim el-Djedàly partit avec cette lettre, et arriva
chez le fekhy Ou- Aggag, dans la ville de Néfys; il le
salua et la lui remit; on était alors au mois de radjeb,
an 63 o. Ou-Aggag ayant lu la lettre, rassembla ses
élèves pour leur en donner connaissance, et leur
demander de mettre à exécution l'ordre du cheikh
Abou Amram. Un d'entre eux. originaire de Djezoula,
et connu sous le nom d Abd Allah ben Yassyn el-Dje-
zouly, accepta la mission; c'était un disciple habile
et instruit, pieux et austère, possédant bien les lois
et les sciences. Il partit avec Yhva ben Ibrahim et ils
' Koran. rh. \n . JosRph. v. 56.
. 169
arrivèrent ensemble au pays de Djedâla, où ils furent
accueillis avec joie par les Kabyles et les Lemtouna.
HISTOIRE DK LA VEMK DU FEKHY ABD ALLAH BEN YASSYN LE DJEZOLLY
DANS LE PAYS DES SENHADJA, ET DE SON ELEVATION CHEZ LEURS
TRIBUS DES LEMTOUNA ET DES MORABETHYN.
Abd Allah ben Yassyn ben Mekouk ben Syr ben
Aly ben Yassyn el-Djezouly arriva avec A'hya ben
Ibrahim au pays des Senhadja et s'y établit. Quand
il eut vu les vices qui infestaient cette contrée, où
l'homme épousait cinq, six, dix femmes et même
davantage s'il le voulait, il adressa les plus vifs re-
proches aux habitants et leur défendit cette cou-
tume , en leur disant : cr Cela n'est point conforme au
cf Sonna; le Sonna de l'Islam ne permet à ï homme
(T d'épouser que quatre femmes libres et de prendre des es-
fc claves à son bon plaisir, n II entreprit alors de leur
enseigner la religion et les lois de l'Islamisme et le
Sonna; il leur ordonna de faire le bien et leur dé-
fendit le mal; mais ceux-ci, voyant la sévérité qu'il
apportait pour changer leurs habitudes et supprimer
leurs vices, s'éloignèrent bientôt de lui, et se prirent
à le détester comrtie un personnage fort ennuyeux;
enfin Abd Allah ben A'assyn, lassé d'avoir affaire à
des hommes qui ne priaient pas, qui ne pronon-
çaient pas même le nom de Dieu, et connaissaient
àpeine le témoignage S qui, subjuguéspar l'ignorance,
' La profession de foi : ffll n'y a de Dieu que Dieu et Mohammed
Test l'envoyé de Dieu."
170
s'éloignaient de lui pour suivre leurs passions, voulut
les abandonner et partir pour le Soudan , où le ma-
hométisme avait déjà commencé à briller; mais\'liya
ben Ibrahim s'y opposa en lui disant : ce Je ne te lais-
rr serai point aller, parce que je t'ai amené pour pro-
cf fiter de tes leçons et de ta science , pour apprendre
frma religion, et je n'ai que faire avec mon peuple
ffsous ce rapport-là; permets-moi donc, en vue des
cr récompenses de l'autre monde, de te faire une
fT proposition. — Qu'est-ce donc? dit le fekhy. — Ici,
rc sur notre côte, reprit ^hya, est une île sur laquelle
cf on peut arriver à pied lorsque la mer est basse,
ce et où nous nous rendons sur des barques quand
ffla marée est pleine. Sur cette île la nourriture est
cra/Zé?/ (pure); il y a des arbres sauvages, et diverses
ff espèces d'oiseaux, de quadrupèdes et de poissons;
ff allons-y, et nous y vivrons de choses permises et
rrnous y adorerons Dieu jusqu'à la mort. — Par-
ce tons, dit Abd Allah ben Yassyn, cela vaudra mieux;
ce entrons sur cette île au nom du Très-Haut, v Ils
s'y rendirent, en effet, accompagnés de sept per-
sonnes de Djedâla, avec lesquelles ils construisirent
un ermitage et se mirent à adorer Dieu. Au bout
de trois mois, lorsqu'on eut appris ce qu'ils faisaient
pour arriver au paradis et éviter l'enfer, on vint en
foule vers eux. Les nouveaux adeptes arrivaient
pleins de repentir, et Abd Allah ben Yassyn com-
mença aussitôt à leur enseigner le Koran, el à les
diriger vers le bien, en leur faisant espérer les ré-
. 171
compenses de Dieu ou en les menaçant des souf-
frances de sa punition. Au bout de quelques jours,
environ mille élèves d'entre les nobles des Senliadja
étaient rassemblés autour de lui. Il les nomma Mo-
rabethyn (liés) parce qu'ils ne quittaient plus son
libath ' (ermitage). Il leur enseigna le Koran, le
Sonna, les ablutions, la prière, l'aumône et les de-
voirs que Dieu impose. Quand il les vit pénétrés de
ces principes et en nombre suHîsant, il commença à
prêcher pour les exhorter à faire le bien, à désirer le
paradis et à redouter le feu éternel et la colère de
Dieu; et c'est ainsi qu'en les éloignant du mal et en
leur parlant des récompenses de Dieu à la fin du
monde , il arriva à proclamer la guerre sainte contre
ceux des Senhadja qui refusaient de les suivre dans
la vraie loi. cr Morabethyn , s'écria-t-il un jour, vous
tr êtes nombreux , vous êtes les grands de vos tribus
cf et les chefs de vos compagnons! Le Très-Haut vous
ff a corrigés et dirigés dans la droite voie ; vous devez
rrle remercier de sa bonté en exhortant les hommes
fr à faire le bien et à éviter le mal , et en combattant
fravec ardeur pour la foi de l'Islam. •)■) Ils répondi-
rent : ff cheikh béni, commandez-nous, vous nous
ff trouverez obéissants à vos ordres et soumis , lors
(ï même que vous nous ordonneriez de tuer nos pères.
ft — Eh bien ! leur dit Yassyn , partez donc avec la bé-
ff nédiction de Dieu. Allez dans vos tribus, enseignez
^V) 1'*^" ^^ retraite et de prière; rie là ^è^y> rnarabonl.
172
ff leur la loi de Dieu , et menacez-les de son châtiment,
ff Si elles se repentent, si elles rentrent dans la droite
rr voie et se rendent à la vérité en changeant de con-
cfduite, laissez-les suivre leur chemin; mais si elles
fc refusent, si elles persistent dans leur erreur et con-
ff tinuent à s’adonner à leurs excès, invoquez le secours
fr divin contre elles, et nous leur ferons la guerre jus-
ff qu’à ce que Dieu décide entre nous. Il est le meil-
cf leur des juges, n A ces mots, chacun partit pour sa
trihu et se mit à ])rêcher chez les siens pour les pré-
venir et leur ordonner de changer de conduite ; mais
personne ne voulut les écouter et ils revinrent. Abd
Allah ben \assyn sortit alors lui-même et se rendit
chez les cheïkhs et les principaux Kabyles ; il leur fit
lecture de la loi de Dieu et leur ordonna de se re-
pentir et de redouter le châtiment de Dieu. Après
être resté sept jours à les exhorter inutilement, et
fatigué de voir qu’ils ne l’écoutaient pas et persis-
taient de plus en plus dans la voie du mal, il dit à
ses amis : rrNous avons fait notre possible et nous
fc les avons exhortés en vain ; le moment est venu de
ff leur faire la guerre. Combattons-les avec la béné-
ff diction du Dieu très-haut, v Abd Allah ben Yassyn
se dirigea d’abord cliez les Djedâla à la tête de deux ,
mille Morabethyn et les dispersa devant lui; il en
tua un grand nombre et fit embrasser l’Islamisme aux
autres, qui devinrent bons et remplirent les devoirs
imposés par Dieu. Gela eut lieu dans le mois de sa-
far ^3/i (loZi’j! .1. C). Ensuite il se rendil chez les
À
. 173
Lemtouna et les combattit jusqu’à ce que, vaincus,
ils eussent fait leur soumission et se fussent repentis;
les Lemtouna le proclamèrent pour chef, et il y
consentit à condition qu’ils suivraient le Koran et le
Sonna. Passant alors chez les Massoufa, il les battit
et les soumit à son commandement comme les Dje-
dâla et les Lemtouna. Les Senhadja, en voyant cela,
s’empressèrent de manifester leur repentir et de faire
acte d’obéissance au fekhy, qu’ils proclamèrent éga-
lement chef. Tous ceux qui arrivaient chez lui repen-
tants recevaient préalablement cent coups de nerf
en signe de purification, et il leur enseignait le Ko-
ran et les lois musulmanes, en leur prescrivant la
prièi’e, l’aumône et la dîme. Bientôt il créa un bit-
el-mal, pour y réunir les produits de la dîme et de
l’aumône destinés à l’achat d’armes pour combattre
les ennemis. Abd Allah ben Yassyn conquit ainsi tout
le Sahara et en devint le maître. Après chaque com-
bat, il distribuait les dépouilles des vaincus aux Mo-
rabethyn, et, ayant rassemblé une grande valeur
des produits de l’aumône, de la dîme et du cin-
quième du butin , il l’envoya aux tolbas et aux kadys
des pays de Messamda. Bientôt la renommée des
Morabethyn se répandit dans le désert, dans le sud,
à Messamda, dans tout le Maghreb et jusque dans
le Soudan. On racontait partout qu’il y avait chez
les Djedâla un homme modeste et austère qui rame-
nait les humains à Dieu et les conduisait dans le droit
chemin, en rendant la justice selon les lois du Koran.
174
Yhyaben Ibrahim el-Djedâly mourut et Abd Allali
ben Yassyn voulut le remplacer par un autre. Les
Lemtouna étaient les plus obéissants à Dieu, les plus
religieux et les plus vertueux d’entre les Senhadja;
aussi Ben Yassyn les préférait et les distinguait en
les plaçant à la tête des autres tribus; et cela était
ainsi parce que Dieu avait décrété qu’ils apparaî-
traient et qu’ils régneraient sur le Maghreb et sur
l’Andalousie. Abd Allah ben Yassyn , ayant donc ras-
semblé les grands des Senhadja, leur donna pour
émirYhya ben Omar, le Lemtouny, qu’il revêtit du
commandement général. Mais, en fait, c’était lui-
même -qui était l’émir, puisque c’était lui qui dictait
les ordres, qui dirigeait, qui donnait et qui recevait;
en d’autres termes, l’émir Yliya n’était autre chose
que le chef de la guerre, le général des troupes, et
le fekhy Ben Yassyn était le chef de la religion, de la
loi, et le percepteur de l’aumône et de la dîme.
HISTOIRE DI RÈGNE DE L’EMIR YHYA BEN OMAR BEN TELAKAKYN,
LE SENUADJA, LE LEMTOINY.
Yhya ben Omar, le Lemtouny, le Morabeth,
qu’Abd Allah ben Yassyn éleva au pouvoir, était re-
ligieux, vertueux, austère et modeste, saint et ne
faisant nul cas des choses de ce monde, Abd Allah
lui ordonna de faire la guerre sainte, et Yhya était
l’homme le plus soumis à ses conseils et à ses défenses.
Voici un bel exemple de cette obéissance : un jour
175
Ben Yassin lui dit : rr Vhya , tu mérites d’être puni. —
rr Pourquoi donc, seigneur? — Je ne te le dirai que
K lorsque tu auras subi ta punition, r Et là-dessus le
fekhy mit l’émir à nu et lui donna vingt coups de
nerf, après quoi d ajouta : cr Je ne t’ai frappé ainsi
ff que parce que tu te bats et tu exposes ta vie dans
r: chaque engagement avec l’ennemi; c’est là ta faute ;
ff un émir ne doit point se battre , mais se conserver,
rrau contraire, pour encourager les combattants et
rieur donner du cœur. La vie d’un chef d’armée est
ff la vie de tous ses soldats, et sa mort est leur perte, r
L’émir Yhya ben Omar s’empara de tout le Sa-
hara et du plus grand nombre des villes du Soudan.
En /1/17, les fekhys et les saints de Sidjilmessa et de
Drâa se réunirent et écrivirent au fekhy Abd Allah
ben Yassyn, à l’émir Yhya et aux cheïkhs des Mora-
bethyn pour les prier de venir chez eux purifier leur
pays des vices qu’il renfermait, tels que la violence
et l’injustice qui caractérisaient leur émir Messaoud
ben Ouenoudyn ei-Maghraouy, les savants et les reli-
gieux, et, en général, tous les Musulmans, qui étaient
plongés dans l’avilissement et l’iniquité. Lorsque cette
lettre parvint à Ben Yassyn, il rassembla les chefs
des Morabetliyn , leur en donna connaissance et de-
manda leur conseil. Ils répondirent : ce fekhy! c’est
crlà ce qu’il nous faut, à nous comme à vous-même;
ce conduisez-nous donc avec la bénédiction de Dieu
cr très-haut, ii Alors il leur ordonna de faire leurs
préparatifs pour la guerre sainte, et bientôt après.
176
le 2 safar A /i 7, il se mit en campagne à la tête d’une
nombreuse armée et il s’avança jusqu’au Drâa, dont
il chassa le gouverneur nommé par l’émir de Sidjil-
messa, auquel il enleva mille cinq cents chameaux
dispersés dans les pâturages. L’émir Messaoud, en
apprenant cela, rassembla ses troupes et marcha
contre \ assyn. Les deux armées se rencontrèrent et se
livrèrent un sanglant combat. Dieu donna la victoire
aux Morabethyn ; Messaoud ben Ouenoudyn et la plus
grande partie de ses soldats restèrent sur le champ
de bataille, et le reste prit la fuite. Abd Allah ben
Yassyn s’empara des ricliesses, des animaux et des
dépouilles de l’eimemi; il en ajouta le cinquième au
cinquième des chameaux pris dans le Dràa, et le dis-
tribua aux fekhys et aux saints de Sidjilmessa. Il fit
don aux Morabethyn des quatre cinquièmes restant,
et il partit aussitôt pour Sidjilmessa, oij il entra et
tua tous les Maghraoua qui s’y trouvaient. Il demeura
dans cette vdle jusqu’à ce que la tranquillité s’y fût
rétablie. Il réglementa l’administration, et réprima les
abus; il fit briser les instruments de musique et brûler
les établissements oii l’on vendait du vin; il supprima
tous les droits et les impôts qui n’étaient point com-
mandés par le Koran et le Sonna; enfin il installa un
gouverneur Lemtouna et s’en retourna au Sahara.
L’émir Abou Zakerya Yhya ben Omar fut tué en
combattant dans le Soudan, au mois de moharrem
lihS (mars 10.^6 J. C).
. 177
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’EMIR ABOI BEKER BEN OMAR,
LE LEMTOL’NA, L’ALMORAVIDE.
A la mort de ^lip ben Omar el-Lemtouny, Abd
Allah ben Yassyn nomma à sa place son frère Abou
Beker ben Omar, le Lemtouna , et le chargea des af-
faires de la guerre. Celui-ci, ayant exhorté les Mora-
bethyn à attaquer les pays de Masmouda et du Sous,
se mit en campagne , à leur tête , au mois de raby el-
tâny likS. Il plaça l’avant- garde sous les ordres de
son cousin Youssef ben Tachefyn, le Lemtouna, et
s’avança jusqu’au Sous; il envahit le pays de Djezoula
et s’empara des villes de Massa ^ , de Tarudant et de
tout le Sous. Il y avait à Tai’udant une population
de Rouafidh ^ appelée BedjeUa, du nom du chef de
leur secte, Aly ben Abd Allah el-Bedjely, qui était
ari’ivé au Sous lorsque Obeïd Allah el-Chyhy gouver-
nait rifrîkya, et y avait répandu sa fausse doctrine,
transmise des uns aux autres après sa mort. Ces sec-
taires ne voyaient la vérité qu’en eux ; Abou Beker
et Abd Allah ben lassyn les combattirent jusqu’à ce
qu’ils leur eurent arraché leur ville d’assaut; ils en
tuèrent un grand nombre, et ceux qui restèrent se
rendirent à la loi du Sonna. Les biens des tués fu-
rent distribués aux Morabethyn; et c’est ainsi que
Dieu les secondait et élevait leur puissance! Ils s’em-
‘ Massa ou Messa, ville située à l’embouchure de l’Oued Sous,
peuplée de Berbères, de Maures et d’environ trois mille Juifs.
^ ^a»la Jl partie des Gbyhytes.
178
parèrent aussi des forteresses et autres lieux de refuge
du pays de Sous , dont ils soumirent toutes les tribus.
Abd Allah ben Yassyn délégua ses gouverneurs dans
les environs, avec mission de rendre la justice, de
prêcher le Sonna , de percevoir l’aumône et la dîme , et
d’abolir tous les impôts qui n’étaient point conformes
à la loi. Puis il se transporta chez les Masmoudà et
s’empara du Djebel Deren; il conquit également par
la force des armes les pays deRouda et deChefchaoua,
de Nefys et de tout le Djedmyoua. Les Kabyles de
Hahaet deRadjeradja vinrentverslui et firent acte de
soumission; ensuite il se rendit à Aghmât, ville alors
gouvernée par Lekout ben Youssef ben Aly el-Magh-
raouy, il en fit le siège et l’attaqua vigoureusement.
Lekout, s’apercevant bientôt de son impuissance
contre un pareil ennemi, lui livra la ville et prit la
fuite, pendant la nuit, avec tous les siens, du côté
de Tedla, où il se mit sous la protection des Béni
Yfran, qui en étaient les maîtres. Les Morabethyn en-
trèrent à Aghmât en hh^ (loBy J. G.). Abd Allah
ben \assyn y resta environ deux mois pour donner
du repos à sa troupe, et il se remit en campagne pour
envahir le Tedla; il s’en empara, en effet, et exter-
mina tous les Béni Yfran, ainsi que Lekout el-Magh-
raouy qu’d avait fait prisonnier. Ensuite il conquit
encore le Temsna , et là il apprit qu il y avait sur les ^M
terres situées au bord de la mer un grand nombre ^B
de tribus de Berghouata, qui étaient infidèles et
vouées au culte des idoles.
. 179
HISTOIRE DES INCURSIONS D’ABD ALLAH BEN YASSYN CONTRE LES
IDOLÂTRES BERGHOUATA; LEUR FAUSSE LOI, LEUR RELIGION
IGNOBLE ET INSENSEE.
Quand Abd Allah ben Yassyn arriva au pays de
Temsna, il apprit que, sur les bords de la mer, vi-
vaient des tribus Berghouata en nombre considé-
rable, et que ces tribus étaient idolâtres, infidèles,
perverties , et suivaient une détestable religion ; on lui
raconta que les Berghouata ne descendaient ni d’un
seul père , ni d’une seule mère , mais que c’était un
mélange de plusieurs tribus berbères, réunies dans
le temps sous les ordres de Salah ben Thryf, qui pré-
tendait être prophète et vint fixer sa résidence à
Temsna, sous le règne de Hischam ben Abd el-Ma-
lek ben Mérouan; il était originaire (que Dieu le
maudisse!) de Bernatha, forteresse de la province de
Chedouna (Sidonia), en Andalousie, et ses premiers
disciples furent appelés Bernathy , dont les Arabes
firent Berghouaty, d’oii leur nom de Berghouata. Sa-
lah ben Thryf, le prétendu prophète , était un scélé-
rat de race juive, descendant des Ouled Chemaoun
ben Yacoub (à lui le salut!) ; et avait surgi, en effet, à
Bernatha, en Andalousie. De là il était allé en Orient,
et s’était instruit chez Obeïd el-Moutazly el-Kadary,
auprès duquel il s’occupa de magie et acquit beau-
coup d’art; alors il revint au Maghreb et s’établit à
Temsna oii il trouva une population de Berbères igno-
rants, aux yeux desquels il fit briller l’Islamisme en
180
leur prêchant la continence et la piété. Puis il com-
mença à s’emparer de leur esprit et de leur affection
par sa magie, son éloquence et les tours de toute
espèce dont il les émerveillait, au point que ces Ber-
bères ne tardèrent pas à croire à ses vertus et à sa
sainteté , qu’ils en firent leur chef et suivirent ses
conseils dans toutes leurs affaires , se soumettant à
ses ordres et à ses défenses. Ce fut alors qu’il se pré-
tendit prophète , et prit le nom de Saleh el-Moume-
nyn (le vertueux parmi les Croyants), leur disant :
rrJe suis bien le Saleh el-Moumenyn^ dont Dieu a
reparlé dans son livre chéri, qud a fait descendre à
ff notre seigneur Mohammed (que Dieu le couvre de
cfsa miséricorde et du salut !)t) et en même temps
il établit une religion qu’ils adoptèrent. C’était en
l’an 12 5. Cette hérésie, instituée par Salah ben
Thryf, consistait à le reconnaître pour prophète, à
jeûner pendant le mois de radjeb, et à manger pen-
dant le ramadhan, à faire dix prières, dont cinq
pendant la nuit et cinq pendant le jour. Chaque mu-
sulman était tenu de faire un sacrifice le 2 1 de mo-
harrem; il leur prescrivait dans les ablutions de se
laver le nombril et les hanches, de prier en remuant
la tête seulement sans se prosterner le front contre
terre, excepté dans la dernière rikha, pendant la-
‘ Koran, chap. lxxvi : la Défense, vers. U. «Mais si vous vous
f joignez contre ie Prophète, sachez que Dieu est son protecteur, que
«Gabriel, que Saleh el-Moiunenyn (le vertueux parmi les Croyants) et
ffles anges lui prêteront aussi assistance, n
. 181
quelle ils devaient se prosterner cinq fois; de dire
en commençant à manger ou à boire besm Yakess,
(au nom de Yakess) , prétendant que cela voulait dire
besîïi Allah (au nom de Dieu); de payer la dîme de
tous les fruits ; il leur permettait d’épouser autant de
femmes qu’ils voulaient, à l’exception de leurs cou-
sines, avec lesquelles il leur défendait de se marier;
ils pouvaient répudier et reprendre leurs femmes
mille fois par jour si bon leur semblait, les femmes
n’étant jamais défendues; il leur ordonnait de tuer
le voleur partout où ils le trouveraient, prétendant
que le sabre seul pouvait le purifier de sa faute; il
leur permit de payer le prix du sang avec des bœufs,
il leur défendit la tête de toute espèce d’animaux et
les volailles comme des choses sales et répugnantes.
Quant aux coqs, attendu qu’ils indiquaient les heures
de prière, il était défendu de les tuer et d’en manger
sous peine de rendre la liberté à un esclave; il leur
prescrivait encore de lécher la salive de leur gouver-
neur en guise de bénédiction; et, en effet, lorsqu’il
crachait dans la paume de leurs mains, ils léchaient
religieusement ces crachats, ou ils les emportaient
soigneusement à leurs malades pour assurer la gué-
rison. Il leur fitunKoran pour lire leurs prières dans
leurs mosquées, prétendant que ce Koran lui avait
été inspiré et envoyé par Dieu très-haut. Celui qui
mettait en doute un seul de ces préceptes était infi-
dèle. Le Koran de Ben Thryf avait quatre-vingts cha-
piti’es, qui se nommaient pour la plupart des noms
182
des prophètes; il contenait les chapitres suivants :
Adam, Noé, Job, Moïse, Aaron, Asbath, les douze
tribus. Pharaon, les fils d’Israël, le coq, la perdrix,
la sauterelle, le chameau, Harout et Marout \ Eblis,
la résurrection, les merveilles du monde. Il préten-
dait que ce livre renfermait la science suprême; il
prescrivait encore de ne point se laver après le coït,
à moins que ce ne fût un coït criminel. Mais nous
avons déjà parlé plus complètement de cesBerghouata
et de leurs rois dans notre grand ouvrage intitulé :
Zohrat el-Boustanfi Akhhar cl-Zeman ou Deker el-Mou-
(Ijoudbi md ouakâfi el-Oudjoiid, rr Fleurs des jardins sur
a l’histoire des temps anciens, et récits des faits qui se
reproduisent dans ce monde.”
L’auteur de ce livre (que Dieu lui pardonne!)
continue son récit : Lorsque Abd Allah ben Yassyn
fut informé de l’état d’ignorance et des erreurs des
Berghouata , il vit qu’il fallait commencer par leur dé-
clarer la guerre, et il se mit en campagne avec son
armée de Morabethyn pour les attaquer. Les Berg-
houata avaient alors pour émir Abou Hafs Omar ben
Abd Allah ben Aby el-Ansâry ben Aby Obeïd ben
Moukhled ben Elyas ben Salah ben Thryf el-Berg-
houaty, le faux prophète. Il y eut entre les deux
partis une guerre terrible et sanglante. Beaucoup
de monde périt de part et d’autre; et c’est dans un
‘ frCe sont les démons qui enseignent aux hommes la magie et la
tf science qui étaient descendues d’en haut sur les deux anges de Babel,
Harout et Marout.” {Kornn, chap. ii. vers. 96.)
. 183
de ces combats que finit Abd Allah ben Yassyii el-
Djezouly, le chef et le directeur des Morabethyii.
Couvert de blessures sur le champ de bataille, il fut
transporté dans son camp ; respirant à peine, il fit ras-
sembler immédiatement les cheikhs et les chefs Al-
moravides et leur dit : rr Morabethyn ! vous êtes dans
ff le pays de vos ennemis, et je vais mourir aujourd’hui
ff sans doute ; prenez garde d’être lâches ou faibles et de
fT vous laisser décourager! Que la vérité vous lie l’un
ff à l’autre; soyez frères en l’amour de Dieu très-haut,
r et gardez-vous de la discorde et de l’envie dans le
r choix de vos chefs , car Dieu donne la puissance à qui
r bon lui semble \ et charge celui qui lui plaît d’entre
rrses esclaves d’être son lieutenant sur la terre! Je
fcvais me séparer de vous; choisissez donc celui qui
ff vous gouvernera , qui veillera sur vos intérêts , con-
ffduira vos armées, combattra vos ennemis, parta-
ff géra le butin entre vous et percevra vos aumônes et
ff vos dîmes, v Les Morabethyn décidèrent à l’unani-
mité de nommer Abou Beker ben Omar le Lemtouna ,
que ben Yassyn leur avait précédemment donné pour
chef avec l’assentiment des cheikhs Senhadja. Abd
Allah ben Yassyn mourut le soir même, jour du di-
manche 2/1 djoumad el-aouel /i5i (ioSq J. C).
On l’ensevelit dans un endroit nommé Kerijla, et on
bâtit une mosquée sur sa tombe. Abd Allah ben Yassyn
était très-austère, et pendant tout le temps qu’il resta
‘ Koran, chap. 11 : la Vache, vers. -ik^.
184
au Maghreb, il ne mangea point de viande et ne
but point de lait, car les troupeaux n’étaient pas purs
(^allel) à cause de la profonde ignorance du peuple.
Ben Yassyn ne vivait que de gibier; mais cela ne l’em-
pêchait point de voir un grand nombre de femmes;
chaque mois il en épousait plusieurs et s’en séparait
successivement; il n’entendait pas parler d’une jolie
fille sans la demander aussitôt en mariage. Il est vrai
qu’d ne donnait jamais plus de quatre ducats de dot.
Voici un signe de sa bénédiction. Les Morabethyn
qui le suivirent dans ses expéditions au Soudan se
trouvèrent un jour sans eau et sur le point de mou-
rir de soif. Abd Allah ben Yassyn , ayant fait ses ablu-
tions avec du sable, récita deux rihha et implora le
Très-Haut. Les Morabethyn , se confiant à sa prière ,
reprirent courage , et quand il l’eut terminée il leur
dit : ff Creusez l’endroit sur lequel j’ai prié. r> ils creu-
sèrent, et à un empan de ])rofondeur ils trouvèrent
une eau douce et fraîche dont ils se désaltérèrent ainsi
que leurs animaux , et remplirent leurs outres. Cette
bénédiction dont il était revêtu lui permit aussi, entre
autres choses, de jeûner depuis le premier jour de
sa venue dans le Maghreb jusqu’à sa mort. (Que Dieu
lui fasse miséricorde!) Et la principale de ses bonnes
œuvres fut d’introduire chez tout un peuple le Sonna
et la réunion (dans les mosquées), qu’il affermit en dé-
crétant que celui qui manquerait à la prière dans les
mosquées recevrait vingt coups de nerf, et que celui
qui en manquerait une partie en recevrait cinq coups.
. 185
CONTINUATION DU RKGNE DE L’EMIR ABOU I5EKER, LE SENHADJA ,
LE LE.MTOUNA.
L’émir Abou Beker ben Omar ben Thlekakyn beu
Ouayaktyn, le Lemtouna, le Mhamoudy, eut pour
mère Safya, femme libre de Djedâla. Nommé par Abd
Allah ben Yassyn et confirmé par les chefs des Mo-
rabethyn, Senhadja et autres Kabyles, son autorité
se trouvait être parfaitement établie; son premier
acte fut de faire ensevelir Abd Allah ben Yassyn;
aussitôt après, il réunit son armée et, mettant sa
confiance en Dieu pour ses combats et pour toutes
ses affaires, il se porta contre les Berghouata avec la
ferme résolution de les exterminer. Les Berghouata,
battus, prirent la fuite devant lui; mais les Morabe-
thyn, s’élançant à leur poursuite, firent prisonniers
tous ceux qu’ils ne massacrèrent pas , et leur déroute
fut complète. Quelques-uns à peine parvinrent à s’é-
chapper dans les bois ; les autres embrassèrent l’Isla-
misme, et, depuis lors jusqu’à ce jour, il n’est plus
resté de trace de leur fausse religion.
L’émir Abou Beker réunit les biens et les dépouilles
des vaincus à Aghmât\ et y demeura jusqu’au mois
de safar /i52. Alors il se remit en campagne avec
‘ Aghmât , grande ville jadis fortifiée et florissante , n’ayant pas
plus aujourd’hui de cinq mille cinq cents habitants, dont raille Juifs
environ , située à une journée sud du Maroc , au pied de l’Atlas , sur
le chemin du Tafilelt.
186
son armée et accompagné d’une foule innombrable
de Senhadja, de Djezouly et de Masmoudy, et il
conquit le pays de Fezaz, ses montagnes, les terres
des Zenèta et les villes du Mekenèsa. De là il se
porta contre la place forte de Louata, en fit le siège,
et y entra par la force des armes. Il y fit un mas-
sacre considérable de Beny Yfran, et détruisit la
ville, qui ne s’est plus relevée jusqu’à ce jour. Ces
événements eurent lieu à la fin du mois de raby
el-tâny A52. Après ses exploits de Louata, Abou
Beker retourna à Aghmât, oii il s’était précédemment
marié avec une femme nommée Zyneb bent Ishac
el-Houary, négociant originaire de Kairouan. Cette
femme était résolue, intelligente, douée d’un sens
droit et d’opinions justes, prudente et versée dans les
affaires, à tel point qu’on la surnommait la Magi-
cienne. L’émir était auprès d’elle à Aghmât depuis
trois mois, quand un envoyé du pays du Sud vint lui
annoncer que le Sahara était en révolution. Abou
Beker était un saint homme, d’une abstinence en-
tière, et qui ne supportait pas que l’on attaquât
des Musulmans et que l’on fit couler leur sang inu-
tilement; il résolut, en conséquence, d’aller lui-même
au Sahara pour rétablii’ l’ordre et faire la guerre
aux infidèles du Soudan. Au moment de partir, il
se sépara de sa femme en lui disant: crO Zyneb!
frtu es un être accompli de bonté et de beauté ex-
fftrêmes; mais je dois te quitter et m’en aller au Sa-
cf hara pour faire la guerre sainte et gagner le salut
. 187
rf du martyr et les grandes récompenses de Dieu. Tu
fces une faible femme, et il te serait impossible de
cf me suivre et de vivre dans ces déserts; c’est pour-
fc quoi je te répudie. Quand le terme fixé sera passé ,
ff marie-toi avec mon cousin Youssef ben Tachefyn ,
rrcar il est mon lieutenant dans le Maghreb, n
S’étant ainsi séparé de Zyneb, l’émir sortit d’Agh-
mât et traversa le pays de Tedla jusqu’à Sidjilmessa ,
où il entra et resta quelques jours pour organiser le
gouvernement. Au moment de quitter cette ville, il fit
venir son cousin Youssef ben Tachefyn et le nomma
émir du Maghreb ; il l’investit de pouvoirs absolus et
lui ordonna d’aller faire la guerre à ce qui restait
des Maghraoua, des Beny Yfran et des Kabyles,
Zenèta et Berbères. Les cheikhs des Morabethyn
reconnurent la souveraineté de Youssef parce qu’ils
savaient qu’il était religieux, vertueux, courageux,
résolu, entreprenant, austère, et qu’il avait l’esprit
juste. 11 rentra donc au Maghreb avec la moitié de
l’armée des Morabethyn, et l’émir Abou Beker ben
Omar partit avec l’autre moitié pour le Sahara ; cela
eut lieu dans le mois dou’l kâada, an A53 (1061
J. G.), \oussef ben Tachefyn épousa Zyneb, excel-
lente conseillère d’état, qui lui valut, par sa poli-
tique habile , la conquête de la plus grande partie du
Maghreb; elle mourut en h6li (1071 J. G.).
L’émir Abou Beker arriva au Sahara, apaisa les
révoltés et purifia le pays; ensuite il rassembla une
grande armée et se mit en campagne pour courir
1.88
sur les pays du Soudan, où il combattit jusqu’à l’en-
tière soumission de toute cette contrée, qui n’a pas
moins de trois mois de marche. De son côté, Youssef
ben Tachefyn conquit la plupart des villes du Ma-
ghreb, et y affermit de plus en plus sa puissance.
L’émir Abou Beker, ayant appris l’extension que pre-
nait le royaume de son cousin, et toutes les con-
quêtes que Dieu lui avait accordées, quitta le Sahara
et se mit en marche pour venir le remercier et le
remplacer; mais Youssef, devinant ses projets, de-
manda conseil à sa femme Zyneb , qui lui répondit :
cr Youssef, votre cousin , est un saint homme qui ne
frveut pas répandre le sang; dès que vous le ren-
cr contrerez , manquez aux égards qu’il était habitué
frà rencontrer chez vous, ne lui montrez ni politesse
rrni modestie, et recevez-le comhie votre égal. En
rrmème temps, offrez-lui quelques riches cadeaux,
fcdes étoffes, des vêtements, de la nourriture et des
ff objets utiles et curieux; offrez-lui en beaucoup, car,
ffdans le Sahara, tout ce qui vient d’ici est rare et
ff précieux, n En effet, à l’approche de l’émir Abou
Beker ben Omar vers les états d’Youssef, celui-ci
soi’tit au-devant de lui et, l’ayant rencontré en che-
min, il le salua de clieval, brusquement et sans
descendre de sa monture. L’émir, jetant les yeux
sur ses troupes, fut frappé de leur grand nombre :
ff Youssef, lui dit-il, que faites-vous donc de cette
ff armée? — Je m’en sers contre quiconque est mal
ff intentionné contre moi,^^ lui répondit-il.
. 1H9
Dès lors Abou Beker conçut des doutes sur ce
salut fait à cheval et sur cette réponse; mais aper-
cevant aussitôt mille chameaux chargés venir vers
lui : ff Qu’est-ce que cette caravane? i^ dit-il. Et son
cousin lui répondit: rrO prince, je suis venu vers
rrvous avec tout ce que j’ai de richesses, d’étoffes, de
ff vêtements et de provisions de bouche pour que vous
ffuen manquiez pas dans le Sahara. ii A ces mots,
l’émir comprit tout à fait, et lui dit : ccO Youssef,
redescendez de cheval pour entendre mes recom-
ff mandations, r Ils descendirent tous deux; on leur
mit des tapis à terre et ils s’y étendirent. L’émir re-
prit : cf Youssef, je vous ai donné le pouvoir, et
rrDieu m’en tiendra compte; craignez Dieu et pensez
frà lui dans votre conduite envers les Musulmans;
ffque vos bonnes œuvres me donnent la liberté en
ff l’autre monde et vous l’assurent à vous-même.
Cf Veillez avec soin sur les intérêts de a’^os sujets, car
rr vous aurez à en répondre devant Dieu. Que le Très-
crHaut vous rende meilleur; qu’il vous accorde son
craide et vous dirige dans la bonne voie et dans la
ff justice envers votre peuple, car c’est lui qui me
ff remplace ici pour vous et vos sujets, n Alors d re-
tourna au Sahara et y passa sa vie à faire la guerre
aux infidèles jusqu’à ce qu’enfin, blessé dans un
-combat par une flèche empoisonnée, il mourut martyr
(que Dieu lui fasse miséricorde!), dans le mois de
châaban le sacré, an ^80 (1087 J. C), après avoir
étendu sa domination sur le Sahara jusqu’au Djebel
190
Deheb (montagne d’or), dans le Soudan. Et c’est
ainsi que le pouvoir échut entièrement à Youssef
ben Tacliefvn.
HISTOIRE DC REGNE DE L’EMIR YOUSSEF BEN TACHEFYN, LE LEMTODNA,
SA VIE ET SES GUERRES.
L’émir des Musulmans Youssef ben Tachefyn ben
Ibrahim ben Tarkout ben Ouartakthyn ben Man-
sour ben Mesâla ben Oumya ben Outasela ben Tal-
myt el-Hamiry, le Senhadja, le Lemtouna, descen-
dait d’Abd Ghems ben Ouatil ben Hamyar; sa mère
était Lemtouna, cousine de son père et se nommait
Fathma bent Syr fils de Yhya ben Ouaggâg ben Ouar-
takthyn susnommé. Voici le portrait de Youssef :
teint brun, taille moyenne, maigre, peu de barbe,
voix douce, yeux noirs, nez aquilin, mèche de Mo-
hammed retombant sur le bout de l’oreille, sourcils
joints l’un à 1 autre, cheveux crépus. Il était coura-
geux, résolu, imposant, actif, veillant sans cesse aux
affaires de l’état, et aux intérêts de ses villes et de
ses sujets, entretenant avec soin ses forteresses, et
toujours occupé de la guerre sainte, aussi Dieu le
soutenait et lui donnait la victoire; généreux, bien-
faisant, il dédaignait les plaisirs du monde; austère,
juste et saint, il fut modeste jusque dans ses vête-
ments; quelque grande que fût la puissance que Dieu
lui donna, il ne se vêtit jamais qu’avec de la laine à
l’exclusion de toute autre étoffe; il se nourrissait
. 191
d’orge , de viande et de lait de chameau , et s’en tint
strictement à cette nourriture juscju’à sa mort. (Que
Dieu lui fasse miséricorde!) Le seigneur lui donna
un vaste royaume en ce monde, et permit que le
khotbah fût lu en son nom en Andalousie, et au
Maghreb sur mille neuf cents chaires. Son empire
s’étendit depuis la ville d’Afragha ^ , première ville
des Francs, la plus reculée à l’est de l’Andalousie,
jusqu’à l’extrémité des provinces de Schantarin et
d’Aschbouna^, sur l’océan, à l’occident de l’Anda-
lousie, sur une étendue de trente-trois jours de mar-
che en longueur, et environ autant en largeur. Dans
le Maghreb il possédait, depuis l’Adoua de Djezaïr,
Beny Mezghanna^ jusqu’à Tanger d’une part, et jus-
qu’à l’extrémité du Sous el-Aksa et des montagnes
d’or, dans le Soudan. Dans aucune de ses posses-
sions, sa vie durant, on ne paya d’autres impôts,
droits ou tributs, dans les villes ni dans les campa-
gnes, que ceux ordonnés par Dieu et prescrits dans le
Koran et le Sonna, c’est-à-dire l’aumône, la dîme, la
djezya (tribut) des sujets infidèles et le cinquième du
butin fait en guerre sainte ; il réunit ainsi plus d’ar-
gent que jamais souverain n’en avait amassé avant
lui. On dit qu’à sa mort il se trouvait dans le bit
el-mâl 1 3,000 mesures {rouhaK) de monnaies d’ar-
gent et 5,o/io roubah de monnaies d’or. Il confia
‘ 8l^^’ aujourd’hui Fraga, à 5o milles de Lérida.
^ Santarem et Lisbonne.
^ Les îles des fils de Mezghanna . aujourd’hui Alger.
19-2
la justice aux kadys et abrogea toutes les lois qui
n’étaient pas musulmanes. Chaque année il faisait
le tour de ses provinces pour inspecter les affaires
de ses sujets; il aimait les fekhys, les savants et les
saints, il s’en entourait, et leur demandait leurs con-
seils qu’il estimait beaucoup. Pendant toute sa vie,
il les combla d’honneurs et leur alloua des traite-
ments sur les fonds du bit el-mâl. Un excellent ca-
ractère, une grande modestie, et des mceurs très-
douces complétaient toutes ses vertus , et comme l’a
dit le fekhy, le secrétaire Abou Mohammed ben
Hamed, dans une poésie dédiée à ce prince et à ses
enfants : r c’était un roi possédant la plus haute
ff noblesse des Senhadja descendants d’Hamyr, et
f: quand on possède, comme eux, toutes les vertus,
rr on devient humble , modeste , et l’on se couvre le
ff visage ‘ . t»
Youssef ben Tachefyn naquit dans le Sahara, l’an
ûoo (1006 J. G.), et mourut l’an 5oo (1 106 J. G.),
à l’âge de cent ans. Son règne, au Maghreb, date du
jour où l’émir Abou Boker le nomma son lieutenant,
et finit à sa mort, c’est-à-dire qu’il dura quarante-
sept ans, de l’an /i53 à 5 00. Son surnom était Abou
Yacoub , et plus habituellement on le nommait Y Emir.
Lorsqu’il conquit l’Andalousie, et après la bataille
‘ Allusion à l’usage du Lttharn, voile, espèce de bandeau dont
les Leratouna, fraction des Senhadja el-Moulethemyn (les voilés), se
couvraient le visage, comme le font encore de nos joiu-s, sur la lisière
du Sahara , les Touareg, qui descendent également des Senhadja.
ET ANNALES DE 1, \ VILLE DE FÈS. 193
de Zalâca, où Dieu abaissa les rois des Chrétiens,
tous les émirs de l’Andalousie et les princes présents
à cette guerre le reconnurent pour souverain. Ces
rois étaient au nombre de treize, et ils le procla-
mèrent Amir el-Moumenyn. Youssef ben Tacliefyn est
le premier des, souverains du Maghreb qui prit ce
titre de Prince des Croyants par lequel, depuis lors,
il commença ses lettres, dont les premières furent
kies en chaire dans les villes de l’Adoua et de T An-
dalousie pour annoncer la nouvelle de la victoire
de Zalâca et tout ce que Dieu lui avait accordé de
butin et de conquêtes. A partii* de cette époque, il
lit battre une nouvelle monnaie, sur laquelle étaient
gravés ces mots, // ny a de Dieu (pie Dieu, el Moham-
med est l’envoyé de Dieu, et au-dessous : Youssef ben
Tachefyn, émir des Musulmans, et en exergue : Celui
qui veut une religion autre que ï Islam, Dieu ne le re-
cevra pas, et au dernier jour, il sera parmi les perdants^.
Sur le revers de la pièce était gravé, L’émir Abd
Allah el-Abessy, prince des Croyants, et en exergue, la
date et le lieu de la fabrication.
L’émir Youssef ben Tachefyn eut cinq fds : Aly,
qui lui succéda, Temym, Abou Beker, El-Mouâz et
Ibrahim, et deux fdles, Kouta et Ourkya. Lorsque
Abou Beker ben Omar lui donna le commandement
du Maghreb et le revêtit de pouvoirs absolus, en
453, il quitta la ville de Sidjilmessa, et arriva à
‘ Koran, chap. m : la famillo d’iniran. v. 79.
i3
\9i
l’Oued Moiilouïa; là il examina son armée et y compta
quarante mille Morabethyn, dont il confia une partie
à quatre généraux, dont voici les noms : Mohammed
ben Temym el-Djedély, Amran ben Soliman el-Mes-
soufy, Medreck el-Talkany et Syr ben Aby Beker
le Lemtouna; il donna à chacun d’eux le commande-
ment de cinq mille hommes de leurs tribus, et il les
fit marcher en avant pour aller combattre ce qui res-
tait dans le Maghreb de Maghraoua, Beny Yfran et
autres tribus berbères en état de révolte. Suivant
leurs traces, il envahit lui-même, l’une après l’autre,
toutes les villes et les tribus du Maglireb. Les uns
fuyaient à son approche, les autres se soumettaient
ou étaient vaincus après
il détacha différents corps d’armée pour assiéger et
bloquer simultanément tous les chefs-lieux de l’An-
dalousie. Enfin, en ^177 ( io8/i J. C), il s’empara de
la ville de Thlythla (Tolède). En voyant cela, les émirs
et les grands de l’Andalousie convinrent d’un com-
mun accord d’appeler à leur aide Youssef ben Tache-
fyn, et ils lui adressèrent un message pour l’appeler
chez eux, afin de combattre et chasser l’ennemi qui
assiégeait leurs villes. Plusieurs lettres écrites dans
le même sens, c’est-à-dire demandant secours pour
les Musulmans contre les Infidèles , étant parvenues
à Youssef, celui-ci envoya son fils El-Mouâz à la tête
d’une forte armée pour s’emparer de Septa (Geuta).
El-Mouâz fit le siège de cette place et y entra victo-
rieux dans le mois de raby el-tàny, an ^77. Youssef
l’eçut la nouvelle à Fès, et entreprit aussitôt de grands
préparatifs de guerre. Il rassembla les Kabyles du
Maghreb pour célébrer la victoire de Geuta, et il se
mit immédiatement en route pour se rendre dans la
ville conquise et passer de là en Andalousie. C’est
alors que Moutamed ben Abbed voyant, d’un côté,
qu’Alphonse s’était emparé de Tolède, de ses en-
virons, et qu’il avait redoublé les rigueurs de son
siège contre Saragosse, et apprenant, d’un autre
côté, que Youssef avait conquis Geuta, se mit en
mer et passa dans l’Adoua pour redoubler ses ins-
tances auprès d’Youssef ben Tachefyn. 11 le ren-
20â
contra sur la route de Tanger, à l’endroit nommé
Belyouta, à trois jours de marche de Geuta, et il lui
donna des nouvelles de l’Andalousie; il lui exposa
la terreur et la faiblesse des habitants, ses craintes
et le mal qu’Alphonse et ses armées faisaient aux
Musulmans, qui ne rencontraient partout que la
mort ou la captivité. Enfin, il le prévint du projet
de ce prince de s’emparer de Saragosse. Youssef lui
répondit : cr Retournez dans votre pays et préparez-
ffvous; j’arriverai bientôt avec l’aide de Dieu.T) L’é-
mir Ben-Abbed rentra donc en Andalousie, et Youssef
arriva à Geuta, où il mit en ordre le gouvernement
et les affaires. Il fit préparer ses navires et rassembla
ses soldats. De toutes parts il lui arrivait du monde.
Les Kabyles venaient en troupes du Sahara, du Sud,
du Zab et du Maghreb. Il commença alors à embar-
quer son armée , et il est impossible de dire le nombre
d’hommes qui passèrent ainsi en Andalousie. Quand
toute cette armée fut débarquée sur l’autre bord, à
El-Hadra (Algéziras), Youssef s’embarqua lui-même
avec un nombre considérable de kaids des Morabe-
thyn, de guerriers et de saints. Dès qu’il fut monté
à bord du navire, il leva les mains en priant le Très-
Haut et disant : rr Dieu, si vous savez que cette
cr traversée doit être utile aux Musulmans, facilitez-
crmoi le passage de la mer, et, dans le cas contraire,
ce faites que ce voyage soit difficile et pénible au point
ce de me forcer à retourner ici.r Dieu lui facilita le
passage, qui fut très-prompt. 11 eut lieu le jeudi, à
. 205
midi, i5 de raby el-aouel, an h-jcj (3o juin 1086
J. C). L’émir débarqua à Algéziras (Ei-Hadra) et
y fit sa prière du Douour. Il y trouva Moutamed
ben Abbed et tous les émirs et les grands de l’An-
dalousie qui l’attendaient.
A la nouvelle du passage en Andalousie de l’émir
des Musulmans \oussef ben Tacbefyn, Alphonse se
retira de Saragosse et se porta à sa rencontre pour
l’attaquer.
HISTOIRE DU PASSAGE EN ANDALOUSIE DE L’EMIR DES MUSULMANS
YOUSSEF BEN TACHEFYN POUR FAIRE LA GUERE SAINTE, ET
RÉCIT DE LA BATAILLE DE ZALACA.
L’auteur de ce livre (que Dieu lui fasse miséri- , ,% ç^ /
corde!) a écrit : Aussitôt que Youssef ben Tacbe-
fyn, arrivant sur les traces de son armée, fut débar- -^
que, la nouvelle en parvint à Alphonse, et ébranla
son courage et sa résolution. Il se retira de Sara-
gosse et adressa immédiatement des messages à Ben
Radmyr’ et à Berhânes^ (que Dieu les maudisse!).
En ce moment, Ben Radmyr assiégeait la ville de
Tartoûcha (Tortose), etBerhânes assiégeait Valence;
ils accoururent joindre leurs forces à celles d’Al-
phonse, qui demanda également des secours dans
les pays de Kachtela (Gastille), de Djalikia (Gahce)
et de Biouna (Bayonne), d’où il lui arriva bientôt
des armées innombrables de Chrétiens. Dès qu’Al-
‘ Ben Radmyr. fils de Ramire; don Sanche. roi d’Aragon.
‘ Berhânes, don Sanche, roi de Navarre.
•206
phonse eut réuni ces troupes infidèles et qu’il les
eut mises en ordre, il marcha en avant à la ren-
contre d’Youssef ben Tachefyn et des armées mu-
sulmanes. Youssef, de son côté, quitta en toute hâte
El-Hadra pour s’avancer contre les Infidèles; il
expédia à l’avant -garde son général Abou Soliman
Daoud ben Aycha, avec dix mdle cavaliers Mora-
bethyn, et i\ les fit suivre de près par El-Moutamed
ben Abbed, accompagné des émirs de l’Andalousie
à la tête de leurs troupes. Au nombre de ces émirs
figuraient Ben Smâdah, maître d’El-Merya (Al-
meria); Ben Habous, maître de Grenade; Ben Mous-
selma, maître des dernières frontières (aragonaises);
Ben Dânoum, Ben el-Afthas et Ben Ghazoun. Youssef
leur ordonna d’accompagner El-Moutamed ben Ab-
bed, afin que toutes les troupes de l’Andalousie ne
fissent qu’une seule et même armée, et que les Mora-
bethyn formassent la leur à eux seuls. Ceci réglé,
les marches s’effectuèrent dans un tel ordre, qu’aus-
sitôt que l’armée d’El-Moutamed quittait un campe-
ment, Youssef y arrivait avec ses colonnes. Ils s’a-
vancèrent tous ainsi jusqu’à Tartoùcha (Tortose),
oi”i ils restèrent pendant trois jours, et c’est là que
Youssef ben Tachefyn adressa une lettre à Alphonse,
pour lui offrir trois partis à prendre : payer tribut,
embrasser llslamisme, ou faire la guerre. A la ré-
ception de cette lettre, Alphonse se mit dans une
grande colère, et, plein d’orgueil, il répondit à
l’envoyé de Youssef : ce Dis à l’émir, ton maître, de
. 207
rrne pas se déranger, et que je viendrai le trouver
ff moi-même, v Youssef s’avança donc et Alphonse
aussi jusque dans les environs de la ville de Batha-
iiouch (Badajoz), où loussef fixa son camp, à l’en-
droit nommé Zalaca ; El-Moutamed et les autres émirs,
arrivés les premiers, avaient campé au delà d’une
colline qui les séparait d’Youssef, pour en imposer
davantage à Flnfidèle. Les armées ennemies n’étaient
séparées que par le fleuve de Badajoz , dont les uns
et les autres buvaient l’eau. Cette situation dura
trois jours, durant lesquels les émissaires allaient et
venaient entre les deux camps, jusqu’à ce que l’on
tïit tombé d’accord pour fixer la bataille au lundi
1 /i du mois de radjeb, an /lyg (1086). Sitôt après
cette convention, El-Moutamed envoya un courrier à
^ oussef pour l’engager à se tenir sur ses gardes et
prêt au combat, parce que les ennemis étaient rusés
et traîtres. Le jeudi soir, 10 de radjeb susdit, Ben
Abbed prépara ses colonnes et rangea son armée. Il
plaça des cavaliers sur un mont élevé pour épier
l’ennemi et ses mouvements, et lui-même ne sus-
pendit sa surveillance qu’à l’aurore du vendredi.
Mais, tandis qu’il achevait la prière du matin, pour
laquelle il était un peu en retard, les cavaliers qu’il
avait postés en vedette arrivèrent en toute hâte, et
lui apprirent que l’ennemi s’était mis en mouvement
et se portait contre les Musulmans avec une armée
nombreuse comme des nuées de sauterelles. A l’ins-
tant, Ben Abbed transmit la nouvelle à Youssef, qui
208
se trouvait déjà prêt au combat, et avait également
mis en ordre de bataille ses légions, durant cette nuit
où personne ne dormit, \oussef fit aussitôt avancer
son kaïd, El-^Ioudhafar Daoudben Aycha, à la tète
d’une forte troupe de Morabethyn et de volontaires.
Ce Daoud ben Aycha était sans égal pour la résolu-
tion, le courage et la persévérance. De son côté,
l’infidèle ennemi de Dieu, Alphonse, partagea son
armée en deux corps, et s’avança à la tête de l’un
d’eux, contre l’émir des Musulmans Youssef. Ayant
rencontré lavant-garde sous les ordres du kaïd Ben
Aycha. le combat s’engagea, il fut sanglant, et les
jVlorabethyn eurent à déployer la plus grande résigna-
tion, car le maudit les écrasa par le nombre de ses
soldats, et ils furent presque tous détruits, non tou-
tefois sans avoir porté tant de coups, que les fils des
lames de leurs sabres étaient devenus comme des
scies, et que leurs lances avaient volé en éclats. La
seconde partie de l’armée des maudits se porta
sous les ordres de Berhànes et de Ben Badmyr,
contre le camp de Ben Abbed qu’elle écrasa. Tous
les chefs andalous s’enfuirent vers Bathaliouch, et il
n’y eut que Ben Abbed qui, ferme avec ses soldats,
soutint la bataille avec acharnement, en prenant pa-
tience, cette grande patience, que les hommes géné-
reux ont à déployer contre la guerre des méchants.
Youssef ben Tachefyn , en apprenant la défaite des
chefs de l’Andalousie et la résistance héroïque op-
posée par El-Moutamed et par Daoud ben Aycha,
. 209
envoya sur-le-champ à leur secours son kaïd Syr
ben Abou Beker à la tête des Arabes Zenèta, Mes-
mouda, Ghoumâra et de tous les Berbères qui étaient
au camp. Ensuite, il s’élança lui-même avec les
troupes Lemtouna, les Morabethyn et les Senhadja
contre le camp d’Alphonse, et il ne s’arrêta que
lorsqu’il y eut pénétré. En ce moment-là Alphonse
était absent et occupé à combattre Daoud ben Aycha.
Youssef incendia le camp et massacra les fantassins
et les cavaliers qu’Alphonse avait laissés pour garde,
et dont quelques-uns à peine purent prendre la
fuite et arriver jusqu’à lui, poursuivis par l’émir des
Musulmans, qui marchait victorieux, enseignes dé-
ployées, tambour battant, et précédé par ses troupes
de Morabethyn qui abattaient les Infidèles avec
leurs sabres et s’abreuvaient de leur sang. Alphonse ,
surpris à cette vue, s’écria : cr Qu’est-ce donc cela?n
On lui répondit que son camp était brûlé et pillé,
que ses gardes avaient été massacrés, et ses femmes
faites prisonnières. 11 fit aussitôt volte-face pour at-
taquer l’émir des Musulmans qui, de son côté, se
précipita sur lui. La bataille s’engagea, et elle fut
telle, que jamais on n’en avait vu de pareille L’émir
des Musulmans, monté sur une jument, parcourait
les rangs des Croyants pour les exciter et leur don-
ner le courage et la patience nécessaires à la guerre
sainte; il disait : cfO Musulmans! soyez forts et pa-
cftients dans cette guerre sainte contre les infidèles
cf ennemis de Dieu; celui qui d’entre vous mourra
210
ffira au paradis. comme un mai’tyr, et celui qui ne
fc mourra pas gagnera de grandes récompenses et un
K riche butin, t Et certes, les Musulmans combattirent
ce jour-là comme combattent ceux qui aspirent au
martyre et qui ne craignent point la mort!
Cependant, El-Montamed ben Abbed , qui résistait
encore avec ses compagnons, commençait à déses-
pérer de la vie. Ignorant ce qui venait de se passer,
il fut surpris de voir les Chrétiens reculer et s’en-
fuir, et il se figura que c’était lui qui venait enfin
de les vaincre. cfEn avant donc contre les ennemis
de Dieu! Il s’écria-t-il, et aussitôt tous ses compa-
gnons reprirent courage. Bientôt aussi, le kaïd Syr
ben Abou Beker, arrivant sur les lieux avec les Ka-
byles du Maghreb, Zenèta, Mesmouda et Ghoumâra,
fondit sur les Chrétiens, dont la défaite fut complète.
En apprenant la victoire de l’émir des Croyants, les
corps de troupes musulmanes qui avaient pris la
fuite revinrent à Bathaliouch (Badajoz), et la nou-
velle, courant de camp en camp, ranima tous les
cœurs contre Alphonse, qui soutint le combat jus-
qu’au coucher du soleil. Quand il vit, le maudit,
que la nuit arrivait, que son armée était presque
totalement détruite, et qu’il ne pouvait rien espérer
contre la résistance et la résolution des Morabethyn,
il prit la fuite en déroute, avec cinq cents cavaliers
environ , qui se cachaient dans les chemins détournés ,
tandis que les Morabethyn les poursuivaient en les
tuant à coups de sabre, et les détruisant un à un,
. 211
comme les pigeons détruisent quelques grains par-
semés dans un vaste champ, jusqu’à ce que les té-
nèbres viennent les séparer de leur pâture. Les Mu-
sulmans passèrent toute cette nuit-là à cheval, tuant
ou faisant prisonniers leurs ennemis, ramassant du
butin , et rendant grâce au Très-Haut de la victoire
qu’il leur avait donnée. Ils firent la prière du matin
sur le champ de bataille. Cette défaite des ennemis
de Dieu fut la plus grande de toutes les victoires, car
elle coûta la vie aux rois, aux guerriers et aux pro-
tecteurs des infidèles; lin seul s’échappa, et ce fut
Alphonse le maudit, qui prit la fuite, couvert de
blessures et escorté de cinq cents cavaliers blessés
comme lui, et dont quatre cents environ restèrent
en route. En rentrant à Tolède, Alphonse n’avait
plus avec lui que cent cavaliers, composés de ses
domestiques et des gens de sa suite.
Cette bataille bénie eut lieu le vendredi 1 2 de
radjeb de l’année ^79. Environ trois mille Musul-
mans furent tués en combattant, et ce sont là autant
d’hommes pour lesquels Dieu a mis le comble aux
bienfaits qu’il leur avait déjà dispensés, en leur ac-
cordant la mort des martyrs! L’émir des Musulmans
ordonna que l’on coupât les têtes des Chrétiens
tués, ce que l’on fit; et, lorsqu’on les eut amassées
devant lui, il y en avait un tel nombre, qu’on eût
dit une montagne. L’émir envoya dix mille têtes à
Séville, et autant à Saragosse, à Murcie, à Cordoue
et à Valence; de plus, il en expédia quarante mille
•21(1
ffira au paradis, comme un martyr, et celui qui ne
ff mourra pas gagnera de grandes récompenses et un
ff riche butin, n Et certes, les Musulmans combattirent
ce jour-là comme combattent ceux qui aspirent au
martyre et qui ne craignent point la mort!
Cependant, El-Moutamed ben Abbed , qui résistait
encore avec ses compagnons, commençait à déses-
pérer de la vie. Ignorant ce qui venait de se passer,
il fut surpris de voir les Chrétiens reculer et s’en-
fuir, et il se figura que c’était lui qui venait enfin
de les vaincre. ffEn avant donc contre les ennemis
de Dieuir» s’écria-t-il, et aussitôt tous ses compa-
gnons reprirent courage. Bientôt aussi, le kaïd Syr
ben Abou Beker, arrivant sur les lieux avec les Ka-
byles du Maghreb, Zenèta, Mesmouda et Ghoumâra,
fondit sur les Chrétiens, dont la défaite fut complète.
En apprenant la victoire de l’émir des Croyants, les
corps de troupes musulmanes qui avaient pris la
fuite revinrent à Bathaliouch (Badajoz), et la nou-
velle, courant de camp en camp, ranima tous les
cœurs contre Alphonse, qui soutint le combat jus-
qu’au coucher du soleil. Quand il vit, le maudit,
que la nuit arrivait, que son armée était presque
totalement détruite, et qu’il ne pouvait rien espérer
contre la résistance et la résolution des Morabethyn,
il prit la fuite en déroute, avec cinq cents cavaliers
environ , qui se cachaient dans les chemins détournés,
tandis que les Morabethyn les poursuivaient en les
tuant à coups de sabre, et les détruisant un à un,
. 211
comme les pigeons détruisent quelques grains par-
semés dans un vaste champ, jusqu’à ce que les té-
nèbres viennent les séparer de leur pâture. Les Mu-
sulmans passèrent toute cette nuit-là à cheval , tuant
ou faisant prisonniers leurs ennemis, ramassant du
butin, et rendant grâce au Très-Haut de la victoire
qu’il leur avait donnée. Ils firent la prière du matin
sur le champ de bataille. Cette défaite des ennemis
de Dieu fut la plus grande de toutes les victoires, car
elle coûta la vie aux rois, aux guerriers et aux pro-
tecteurs des infidèles; lin seul s’échappa, et ce fut
Alphonse le maudit, qui prit la fuite, couvert de
blessures et escorté de cinq cents cavaliers blessés
comme lui, et dont quatre cents environ restèrent
en route. En rentrant à Tolède, Alphonse n’avait
plus avec lui que cent cavaliers, composés de ses
domestiques et des gens de sa suite.
Cette bataille bénie eut lieu le vendredi 1 2 de
radjeb de l’année ^179. Environ trois mille Musul-
mans furent tués en combattant, et ce sont là autant
d’hommes pour lesquels Dieu a mis le comble aux
bienfaits qu’il leur avait déjà dispensés, en leur ac-
cordant la mort des martyrs! L’émir des Musulmans
ordonna que l’on coupât les têtes des Chrétiens
tués, ce que l’on fit; et, lorsqu’on les eut amassées
devant lui, il y en avait un tel nombre, qu’on eût
dit une montagne. L’émir envoya dix mille têtes à
Séville, et autant à Saragosse, à Murcie, à Cordoue
et à Valence; de plus, il en expédia quarante mille
212
au Maghreb, où elles furent réparties dans les dif-
férentes villes, pour y être exposées aux regards des
hommes, invités par cette vue à rendre grâce à
Dieu pour cette grande victoire et pour ses bien-
faits. On dit que le nombre des Chrétiens qui fu-
rent tués à Zalaca s’élevait à quatre -vingt mille
cavaliers et deux cent mille fantassins; il ne s’é-
chappa qu Alphonse avec cent cavaliers. C’est ainsi
que Dieu abaissa les sociétaires^ en Andalousie, et
ils ne relevèrent plus leur tête durant soixante ans.
C’est aussi à partir de ce jour, où le Très-Haut fit
briller l’Islam et donna une preuve d’affection à son
peuple, que \oussef ben Tachefyn prit le litre
d’émir el-Moumenyn (prince des Croyants). L’émir
écrivit sa nouvelle victoire aux villes du Maghreb,
et à Temym ben el-Mouâz, maître de la Mehdïa. L’on
fit de grandes réjouissances partout, en Andalousie,
dans le Maghreb, en Afrique, et l’union de l’Isla-
misme se cimenta. Les hommes firent des aumônes
et donnèrent la liberté à des esclaves , en actions de
grâce envers Dieu très-haut, bienfaisant et généreux.
\oici quelques passages des lettres écrites par
l’émir ^ oussef ben Tachefyn aux villes de l’Adoua :
“Louanges à Dieu très-haut, qui garantit la victoire à ceux qui suivent la religion qu’il a choisie! qu’il couvre de sa miséricorde et du salut notre Seigneur Mohammed, le plus vertueux de ses Prophètes, la plus noble et la plus honorable de ses ff créatures. L’ennemi, roi des Chrétiens (que Dieu les maudisse!), que nous avions mis en demeure en cr rapprochant notre camp du sien de choisir une des trois choses, l’Islamisme, le tribut ou la guerre, a choisi la guerre, et a fixé avec nous le jour de l’attaque au lundi i5 de radjeb, en nous disant : Vendredi est jour de fète pour les Musulmans, samedi pour les Juifs, dont le nombre est grand cr parmi nos soldats, et dimanche pour nous, les Chrétiens. Nous nous mîmes ainsi d’accord; mais le maudit ne tint pas ses engagements, et fit le contraire de ce qu’il nous avait dit. Heureusement que sachant combien ce peuple est traître et manque rr à sa parole, nous fîmes de notre côté les préparatifs rfdu combat, et nous mîmes les espions sur pied
fcpour épier les mouvements. En effet, nous reffçûmes l’avis, au point du jour du vendredi 12 dfr radjeb, que le maudit s’avançait avec son armée
rr contre les Musulmans qu’d croyait surprendre. cr Mais les guerriers et les cavaliers des Croyants , au cr contraire, s’avancèrent courageusement vers l’ennemi, et commencèrent l’attaque les premiers; ils fondirent sur les Chrétiens avant que les Chrétiens fondissent sur eux , tombant sur eux comme le vautour tombe sur sa proie, comme le lion tombe sur sa victime. Nos drapeaux, heureux et victorieux, se déployaient partout, dans la mêlée, contre Alphonse le maudit; et quand le Chrétien eut senti la victoire de nos troupes et de nos enseignes, quand il se vit assailli par l’éclair de nos sabres, enveloppé par les nuées de nos lances et foulé aux pieds
de nos chevaux, il se groupa autour de son roi Alphonse, et se battit en désespéré dans une dernière attaque que les Morabethyn accueillirent avec courage et loyauté. Le vent de la guerre soufflait ave violence; il tombait une pluie continuelle de coups de sabres et de lances ; le sang coulait à torrents ; et la victoire bien-aimée descendit du ciel sur les amis de Dieu. Alphonse prit la fuite, blessé au geuou, accompagné seulement de cinq cents cava- liers, derniers débris d’une armée de quatre-vingl mille cavaliers et deux cent mille fantassins, que Dieu avait fait tomber sous le coup de la mort su- bite. Il se sauva (que Dieu le maudisse!) sur une montagne des environs, du sommet de laquelle il contempla avec douleur son camp livré ‘partout à l’incendie et au pillage. Homme sans résignation, il ne pouvait supporter cette vue; inq)uissant, désonnais, à réparer ses désastres, il se mit à proférer des imprécations et des blasphèmes, et il se sauva à travers les ténèbres de la nuit. »
L’émir des Musulmans, au contraire, couvert par
la grâce de Dieu, était debout au milieu de ses ca-
valiers victorieux, sous l’ombre de ses drapeaux flot-
tants et glorieux dans la guerre sainte, et entouré
de ses nombreux soldats. Il remercia le Très-Haut de
l’avoir ainsi favorisé selon ses désirs; il permit le pil-
lage du camp ennemi, et sa destruction après que
ses guerriers en eurent enlevé les trésors, et cela
sous les yeux même d’Alponse, qui regardait comme
un liomuie ivre, et en se mordant les doigts de dou-
leur et de colère.
Les chefs de l’Andalousie qui avaient pris la fuite
revinrent l’un après l’autre à Bathaliouch (Badajoz),
où se réunirent aussi tous les fuyards qui craignaient
la honte. Un seul avait résisté, et c’est Abou el-
Kassem el-Moutamed ben Abbed, le plus habile des
grands et des kaids de l’Andalousie. Il arriva vers
l’émir, faible, harassé, avec un bras cassé, et il le
félicita de cette grande victoire et de ces hauts faits.
Alphonse se sauva à la faveur des ténèbres, n’ayant
ni repos ni sommeil , et perdant quatre cents cavaliers
tués en route sur cinq cents qui s’étaient échappés
avec lui; il ne lui restait plus que cent hommes
lorsqu’il entra à Tolède. Grandes louanges soient
rendues à Dieu pour cela!
Cette grâce innnense et ce don magnifique du Très-
Haut furent accordés le vendredi i 2 de radjeb de l’an
^79, correspondant au 28 octobre, et, en preuve de
cela, Aben Lebâna a dit: ce C’est le vendredi qu’a eu
fflieu cette bataille, j’étais présent; qui pourra la dé-
rrcrireîn Et Aben Djemhour a dit aussi : rrNe savez-
rrvous pas que le jour où les Chrétiens vinrent en
ff masse était un vendredi, et que le vendredi est le
crjour des Arabes “N Les grands de l’Andalousie qui
assistèrent à la bataille de Zalaca n’ont laissé aucune
216
trace assez louable pour pouvoir être décrite, à l’ex-
ception de Ben Abbed, qui résista avec une fraction de
son armée et reçut six blessures en se battant avec
bravoure. C’est lui qui dit à un de ses enfants : r
ff Abou Hacliem ! les coups de lance m’ont brisé , mais
cr Dieu m’a donné la force de supporter mes blessures.
ff Au milieu de la poussière du combat, j’ai pensé à
ffvous, et ce souvenir m’a préservé de prendre la
cr fuite. r>
L’émir des Musulmans Youssef reçut, ce jour-là,
la nouvelle de la mort de son fils, Abou Beker, qu’il
avait laissé malade à Geuta; il en éprouva un vif
chagrin et revint en toute hâte à l’Adoua, où il ne
serait pas retourné de sitôt sans cet événement; il
entra dans sa capitale du Maroc et il y séjourna jus-
qu’en /i8o, au mois de raby el-tâny, où il se mit
en marche pour faire une tournée dans le Maghreb,
dans le but d’examiner les affaires de ses sujets, de
s’occuper des intérêts musulmans, et de contrôler la
conduite des kaïds et des kadys.
En 681 (1088 J. C), l’émir passa en Andalousie
pour la seconde fois pour y faire la guerre sainte;
voici pourquoi :
Alphonse (que Dieu le maudisse!), après s’être
un peu refait de sa déroute, de ses blessures et de
la perte de son armée, établit ses retranchements à
Lebyt ^ , château-fort voisin de la province de Ben
Abbed , où il laissa de nombreux cavaliers et arba-
‘ Lebyl ou Loubyt . aujouidluii Aledo.
. 217
létriers, auxquels il donna l’ordre d’assaillir le pays
de Ben Abbed de préférence à tout autre , parce que
c’était lui qui avait appelé l’émir Youssef en Anda-
lousie. En effet, hommes et chevaux envahirent les
terres deLebyt, etchaque jour les Chrétiens couraient
tuant ou faisant prisonniers tous ceux qu’ils rencon-
traient, ainsi que c’était leur profession. Cet état de
choses effrayait et chagrinait considérablement Ben
Abbed qui, n’en prévoyant pas la fin, se décida à
passer la mer et vint à l’Adoua pour s’entendre avec
l’émir des Musulmans; il rencontra Youssef à la Ma-
moura , près de l’Oued Sebou , et lui exposa ses plaintes
au sujet du fort Lebyt et le tort que cela faisait aux
Musulmans; enfin il lui demanda du secours et l’émir
promit de le lui porter lui-même. Ben Abbed s’en
revint alors en Andalousie, et Youssef le suivit de
près. L’émir des Musulmans s’embarqua à Kessar
el-Medjâz, et il débarqua à Algéziras où Ben Abbed
vint le recevoir avec mille bêtes de somme chargées
de munitions et de provisions de bouche. A Algé-
ziras, Youssef écrivit aux émirs de l’Andalousie pour
les convier à la guerre sainte, cr Notre rendez-vous,
cf leur disait-il, sera au fort Lebyt, où nous nous ren-
rr contrerons tous. -n Après cela, il se mit en marche;
il sortit d’ Algéziras au mois de raby el-aouel, an 48 1 ,
et se dirigea vers Lebyt; mais aucun des émirs à
qui il avait écrit ne vint le rejoindre, à l’exception
d’Abd el-Azyz, maître de Murcie, et de Ben Abbed,
maître de Séville. Ces deux émirs se joignirent à lui
218
SOUS les murs de Lebyt, et ensemble ils commen-
cèrent à battre et à bloquer cette place, pendant que
Youssef envoyait chaque jour des détachements faire
des incursions sur les terres des Chrétiens. Le siège
du château-fort Lebyt dura quatre mois, pendant
lesquels on se battait à chaque instant, la nuit comme
le jour. Enfin la saison d’hiver arriva, et, de plus,
l’émir Abd el-Azyz se prit de querelle avec Ben
Abbed. Celui-ci ayant porté plainte à l’émir des Mu-
sulmans, Youssef appela son kaïd ben Aby Beker
et lui ordonna de s’emparer de la personne d’Abd
el-Azyz et de l’arrêter. Aby Beker exécuta cet ordre
et vint remettre à Ben Abbed l’émir de Murcie en-
chaîné; mais l’armée dudit émir x4bd el-Azyz, se
voyant sans chef, se révolta, et, se dispersant dans
les campagnes avec ses kaïds, intercepta les convois
de provisions, et la disette ne tarda pas à s’étendre
sur le camp des Musulmans. Alphonse, apprenant
ces circonstances, se mit aussitôt en marche vers
Lebyt avec une armée innombrable; mais Youssef,
n’attendant point son approche, prit les devants par
Lourca et arriva à Almeria, oii il s’embarqua pour
l’Adoua, le cœur plein de courroux contre les émirs
andalous, qui n’étaient point venus le rejoindre au
fort Lebyt, comme il le leur avait écrit. Après le
départ de Youssef et son retour à l’Adoua, Alphonse
ayant continué sa marche arriva à Lebyt; il en tira
les CIn-étiens qui avaient échappé à la mort, et il les
conduisit à Tolède. Lorsque la forteresse fat éva-
219
cuée, Ben Abbed y entra. La garnison de Lebyt se
composait de douze mille Chrétiens, sans compter
les femmes et les enfants, quand Youssef vint l’as-
siéger; et ils moururent tous de faim ou de leurs
blessures, à l’exception d’une centaine qu’Alphonse
vint délivrer, comme il a été dit.
\oussef resta dans l’Adoua jusqu’en kSS (1090
J. G.), et pour la troisième fois, il passa en Anda-
lousie pour faire la guerre sainte ; il arriva jusqu’à
Tolède, oii il assiégea Alphonse; il endommagea les
murailles, il abattit les arbres et saccagea les envi-
rons; aucun des émirs de l’Andalousie ne lui vint
en aide, et cela le remplit d’indignation. Aussi,
après avoir battu Tolède, il s’en vint à Grenade, qui
était alors gouvernée par Abd Allah ben Balkyn ben
Bâdys ben Habous. Get émir avait fait la paix avec
Alphonse et l’avait aidé contre Youssef en lui four-
nissant de l’argent; de plus, il s’était renfermé et
fortifié chez lui, ce qui fit dire à un poëte : ff II bâtit
frsur lui-même sans honte, comme le ver à soie,
cf mais il ne sait pas ce qu’il adviendra de cette bâtisse
ff si la puissance de Dieu ne lui est point propice, r
Lorsque Youssef arriva à Grenade, Ben Balkyn lui
ferma ses portes à la figure, et il fit alors le siège
de cette ville; ce siège dura deux mois, au bout
desquels Balkyn , ayant obtenu l’aman , livra la place.
Lfne fois maître de Grenade et de ses environs,
Youssef envoya à Maroc Balkyn , ex-émir de Grenade,
et son frère Temym, ex-émir de Malaga, avec leurs
220
harems et leurs enfants, et il leur fit une pension
jusqu’à leur mort. Ben Abbed, à la nouvelle des
conquêtes de Youssef, fut saisi de crainte et se tint
à l’écart; bientôt les rapports et les accusations aigri-
rent contre lui l’humeur de l’émir des Musulmans,
qui retourna mécontent à l’Adoua, dans le mois de
ramadhan le grand, an /i 8 3. Youssef, arrivé à Maroc,
envoya son kaïd Syr ben Aby Beker el-Lemtouna en
Andalousie, dont il lui conférait le gouvernement
absolu, sans lui donner, cependant, aucun ordre rela-
tivement à Ben Abbed. Aby Beker se rendit d’abord
dans les environs de Séville , pensant que Ben Abbed ,
instruit de son passage , viendrait à sa rencontre en
route pour lui oflVir l’hospitalité. Au lieu de cela,
Ben Abbed, à la nouvelle de son approche, se ren-
ferma dans la place, et ne lui fit offrir ni hospitalité
ni quoi que ce fût. Syr ben Aby Beker se décida
alors à lui envoyer un message pour l’engager à se
soumettre et à lui livrer le pays ; mais El-Moutamed
ayant formellement rejeté ces propositions, Syr lui
déclara la guerre et l’assiégea. En même temps, il
détacha à Gyan^ son kaïd Bathy, qui assiégea cette
place et s’en empara pour les Morabethyn. Syr an-
nonça cette victoire à Youssef et donna ordre au kaïd
Bathy de continuer et d’aller attaquer Gordoue.
Cette ville était alors gouvernée par le fils de Mou-
tamed el-Mamoun ben Abbed. El-Bathy arriva sur
lui avec sa troupe de Morabethyn et s’empara de
vWsh Gyan ou Djyan, Jaen.
. 221
la place, où il entra victorieux, le mercredi 3 de
safar, an 48/i (1091 J. G.). Il conquit ensuite suc-
cessivement les places de Byasa, Oubeda, Bilât,
El-Madour, Segliyra et Skoura \ le tout dans ledit
mois de safar, à la fin duquel i\ ne restait plus à
Ben Abbed que Kermouna ‘^ et Séville. Le kaïd El-
Batby ben Ismaël se retrancha à Gordoue, et il en-
voya un kaïd Lemtouna à la tète de mille cavaliers
pour restaurer et fortifier Kalat-Rabah^, kasbah
des Musulmans. De son côté, Syr ben Aby Beker
marcha sur Kermouna et s’en empara, le samedi
matin 17 de raby el-aouel de ladite année liS^i.
Ben Abbed, se voyant de plus en plus compromis
et menacé , envoya demander du secours à Alphonse
(que Dieu le maudisse!) en lui promettant, s’il l’ai-
dait à chasser les Lemtouna, de lui donner Tarifa
et ses dépendances. Alphonse lui envoya aussitôt son
général El-Kermech ^ à la tête d’une armée de vingt
mille cavaliers et quarante mille fantassins. A la
nouvelle de l’approche des Chrétiens, Syr fit un
choix de dix mille cavaliers parmi ses meilleurs guer-
riers, et les envoya à la rencontre de l’ennemi sous
le commandement de Brahim ben Ishac el-Lemtouna.
Les deux armées engagèrent la bataille près de la
‘ Aujourd’hui Baeza , Ubeda , Albacète , Ei-Modovar, El-Sukheira
et Seguro.
^. Carmona.
‘ Galatrava.
* El-Kermech, Gomez.
222
forteresse d’El-Madour; elle fut sanglante; un grand
nombre de Morabethyn furent tués, mais Dieu leur
donna la victoire, et ils finirent par disperser le
petit nombre de Chrétiens qu’ils n’avaient pas mas-
sacrés. Cependant Syr ben Aby Beker poursuivit le
siège de Séville avec ses autres kaïds Lemtouna, et
il finit par enlever la place à Ben Abbed, après lui
avoir donné l’aman pour lui, sa famille et ses ser-
viteurs. Syr les expédia tous à l’émir des Musulmans,
qui les fit conduire à Aghmât, où ils moururent.
L’entrée de Syr ben Aby Beker à Séville, prise au
nom des Morabethyn, eut lieu le dimanche y 2 de
radjeb liSli. Dans le mois de chaâban de la même
année, les Morabethyn s’emparèrent de la ville
de Nebra. Au mois de chouel, le kaïd Youssef ben
Daoud ben Aycha conquit la ville et la province
de Murcie, et fit part de sa victoire à l’émir des
Musulmans. Cet \oussef, sans reproche aux yeux de
Dieu, fut vénéré par tout le monde. Dans cette
même année, le kaïd Mohammed ben Aycha se porta
contre Alméria avec un corps de Morabethyn, et, à
son approche, le gouverneur de cette ville, Mouâz
el-Doula ben Samadhy, prit la fuite par mer, en
Ifrîkya , avec sa famille et ses trésors. Mohammed
ben Aycha annonça cette nouvelle conquête à l’émir
des Musulmans, et c’est ainsi que Youssef conquit
cinq royaumes en Andalousie dans l’espace d’un an
et demi. Les cinq rois vaincus sont : Ben Abbed,
Ben Habous, Abou el-Ahouas, ben Abd el-Azyz et
ET ANNALES DE LA VïLLE DE FÈS. 223
Abd AHah beii Ab^ Beker, émir de Gyan, d’Ablat
et Assidja \
Eu A85 (1092 J. C), Voussef ben Tachefyn
donna ordre à son kaïd Ben Aycha de se porter à
Daniéta^. Ben Aycha s’y rendit aussitôt et s’en em-
para, ainsi que de Ghâtyba^. Ces deux villes appar-
tenaient à Ben Menkâd, qui s’enfuit en les aban-
donnant. Ben Aycha, continuant ses conquêtes,
s’empara alors de Chekoura, puis de Valence, qui
lui fut livrée par la fuite du gouverneur de cette
ville, El-Kadyr Aben Dylchoun, qui commandait un
grand nombre de Chrétiens. Ben Aycha écrivit alors
à l’émir des Musulmans pour lui faire part de ses
victoires.
En A86, les Morabethyn conquirent la ville de
Fraga à l’orient de l’Andalousie, et c’est ainsi que
l’émir Youssef ben Tachefyn, ne cessant d’envoyer ses
généraux et ses armées pour faire la guerre sainte
aux Chrétiens, renversa tous leurs chefs, et conquit
l’Andalousie entière. En Agô (iioa J. C), i\ con-
féra le gouvernement de ses conquêtes à son fils
Aly, qui établit le siège de sa royauté à Cordoue, oii
il fut proclamé par tous les chefs Lemtouma, par les
cheikhs et les docteurs, dans le mois dou’l hidjâ.
Aly était resté jusqu’alors à Ceuta, où il avait été
élevé. Vers la fin de l’année /tgS (i lo/t J. C), l’émir
‘ Niebla et Ecija.
‘ Dénia.
■ Aujourd’hui Xativa.
224
des Musulmans tomba malade, et sa maladie, qui le
prit à Maroc, alla toujours en empirant jusqu’à sa
mort, qui eut lieu le i^’ de moharrem de l’an 5oo
(que Dieu lui fasse miséricorde!). Il vécut environ
cent ans, et son règne dura, depuis son entrée à Fès
l’an ^62 , jusqu’au jour de sa mort, c’est-à-dire trente-
huit ans, ou même plus de quarante ans si l’on
compte à partir du jour où l’émir Abou Beker bén
Omar l’avait nommé son lieutenant au Maghreb.
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’EMIR ALY BEN TACHEFYN AU MAGHREB
ET EN ANDALOUSIE.
Aly ben Youssef ben Tachefyn ben Ibrahim ben
Tarkout ben Ouartakathyn ben Mansour ben Messala
ben Oumya ben Ouasela ben Talmyt le Senhadja,
le Lemtouna, surnommé Abou el-Hassan, était fds
d’une captive chrétienne nommée Kamrâ (lune), et
surnommée Fadh el-Hassen (perfection de beauté).
Il naquit à Ceuta, en l’an ^77 ; son teint était blanc,
ses joues colorées, sa taille haute, son visage ovale,
ses dents écartées, son nez aquilin, sans favoris,
yeux noirs, cheveux frisés. Il eut pour fds Tachefyn
qui lui succéda, Abou Beker et Syr; il eut pour se-
crétaire Abou Mohammed Achefath. Conformément
à la volonté de son père, il prit les rênes du gou-
vernement le jour même de la mort de Tachefyn à
Maroc, et il reçut le titre d’émir des Musulmans, le
3 de moharrem. an 5oo, à l’âge de vingt-trois ans.
. 225
H tint SOUS sa domination tout le Maghreb, depuis
la ville de Bedjaïa ‘ jusqu’au Sous el-Aksa inclusive-
ment, depuis Sidjilmessa jusqu’au Djebel el-Dlieb
(montagnes d’or) dans le Soudan; de plus, toute l’An-
dalousie orientale et occidentale, et les îles du Le-
vant, Myourka (Majorque), Mynourka (Minorque),
\abysa (Iviça). Le khotbah fut prononcé en son nom
dans deux mille trois cents chaires environ. Son em-
pire s’étendit même sur des pays que son père n’a-
vait jamais gouvernés; mais si toutes les affaires pros-
pérèrent en ses mains, il le dut beaucoup aussi à la
bonne organisation et au bon état des finances qui
lui avaient été léguées. Dès le début, il gouverna selon
la justice et il fortifia ses vdles; il ouvrit les portes
des prisons, il répandit de l’argent et il établit de
bonnes institutions dans les provinces; en un mot,
il suivit les traces de son père, et comme lui il pros-
péra. Il retira le commandement de Cordoue des
mains de l’émir Abou Abd Allah ben el-Hadj pour
le donner au kaïd Abou Abd Allah Mohammed ben
Aby Zelfa ; il conquit Tolède et remporta une grande
victoire sur les Chrétiens à la porte d’El-Kantara^.
On raconte qu’au moment de mourir Youssef le re-
rouvrit de son manteau, et que c’est ainsi présenté
par son frère Aby Thaher Temym , qui le conduisait
par la main, qu’d fut proclamé souverain par les
Morabethyn, auxquels Temym aurait dit : ce Allons!
‘ Bougie (Algérie).
* Nom d’une des portes de Cordoue.
220 HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHRRB
ff levez-vous et saluez l’émir des Musulmans! n Tous
ceux qui étaient présents, Lemtouna et Senhadja,
cheïkhs et docteurs des Kabyles s’inclinèrent devant
leur nouveau maître, et aussitôt que la proclamation
fut accomplie à Maroc, Aly expédia des courriers
dans tout le Maghreb et en Andalousie pour an-
noncer la mort de son père et son avènement. Bientôt
les félicitations et les députations lui arrivèrent de
tous les côtés; il n’y eut que la ville de Fès qui s’abs-
tint. Cette ville était gouvernée par le neveu d’Aly,
Yhya ben Aby Beker, nommé émir par son grand-
père; aussi, en apprenant la mort d’\oussef son
oncle, et l’avènement de son cousin, il fut tellement
contrarié qu’il refusa de reconnaître le nouveau sou-
verain, en se faisant appuyer par quelques fractions
des Lemtouna, dont les kaïds suivirent son exemple. A
cette nouvelle, l’émir des Musulmans Aby ben \ous-
sef partit de Maroc et marcha sur Fès, mais à peine
était-il arrivé dans les environs de cette ville, que
son neveu, saisi de crainte, et certain que toute ré-
sistance lui serait impossible, prit la fuite et lui
abandonna la place. La fuite de Yhya et l’entrée à
Fès de l’émir des Musulmans Aly eurent lieu le mer-
credi, huitième jour de raby el-tàny, an 5oo. On
raconte que Aly, en s’approchant de Fès, s’arrêta
dans la ville de Meghyla\ située aux envirgns de cette
‘ 11 existe encore des Meghyly, soit des descendants deMeghyia,
à Salé, mais la ville est inconnue et les vestiges de son emplacement
sont h cherctier.
. 227
capitale, et adressa une lettre à son neveu pour lui
reprocher sa conduite et l’engager à faire comme
tout le monde, en se soumettant; il joignit à cette
lettre une invitation formelle aux cheikhs de la ville
de reconnaître sa souveraineté. A la lecture de ce
message, Vhya fit un appel général à la résistance
des habitants, qui refusèrent de le défendre, et
c’est alors que, se sentant abandonné, il quitta la
ville et s’enfuit vers Mezdely , gouverneur de Tlem-
cen. Celui-ci, qui venait lui-même porter son adhé-
sion à l’émir des Musulmans, rencontra \hya en
route sur les bords de la Moulouïa, et après l’avoir
salué et s’être mis au courant de ce qui venait de
se passer, il lui dit : rr Viens avec moi, retourne vers
ff l’émir et je te réconcilierai avec lui.-n A leur ar-
rivée à Fès, Mezdely fit cacher \hya dans le quar-
tier de Oued Ghedrouh, et se présenta à l’émir qu’il
salua et proclama. Aly l’ayant accueilli avec joie, il
se hasarda de lui parler d’^ hya et lui avoua qu’il
l’avait ramené sous sa sauvegarde, cr Qu’il soit par-
ce donné, lui répondit l’émir, l’aman lui est accordé, n
Yhya se présenta alors, et Aly, ayant reçu sa soumis-
sion, lui offrit de choisir l’une des deux résidences
de l’île Majorque ou du Sahara, ^hya préféra se
rendre au Sahara, d’où il passa dans l’Hedjaz pour
faire son pèlerinage de la Mecque. A son retour, il
revint chez son cousin pour le supplier de le garder
à sa cour à Maroc, et cela lui fut accordé. Il y resta
longtemps; mais l’émir ayant fini par s’apercevoir
228
qu’il cherchait à le trahir et à le renverser, le fit ar-
rêter et l’exila à Algérisas, où il finit ses jours.
En 5oi (i 107 J. G.), l’émir Aly retira le gouver-
nement du Maghreb à son frère Temym hen \ oussef,
et le confia au kaïd Abou Abd Allah ben el-Hadj , qui
commanda Fès et tout le pays durant six mois, au
bout desquels il fut, à son tour, remercié et envoyé
à Valence, dans l’orient de l’Andalousie, d’où il passa
ensuite à Saragosse.
En 5o2 (1108 J. C), eut lieu l’affaire d’Ake-
lych ^ avec les Chrétiens. Temym ben Youssef était
alors général en chef de l’armée musulmane, et gou-
vernait Grenade. G’est de cette ville qu’il partit pour
aller courir sur les terres des Chrétiens. Etant arrivé
sous les murs de la forteresse d’Akelych, habitée par
une forte garnison de Chrétiens, il en fit le siège et
y pénétra. Les Chrétiens, s’étant retranchés dans la
kasbah, expédièrent un courrier à Alphonse, qui se
mit aussitôt en mouvement. Au moment de son dé-
part, sa femme l’arrêta en le suppliant d’envoyer son
fils à sa place à la rencontre de Temym. ce Observez,
fr lui dit-elle, qu’il est plus convenable d’opposer à Te-
ff mym, fils de l’émir des Musulmans, votre fils Chan-
tr dja-, fils de l’émir des Chrétiens ! -n Alphonse, se ren-
dant à cet avis, envoya donc Chandja à la tête d’une
grande armée de guerriers qui s’avança promptement
jusque sous les murs d’Akelych. A la nouvelle de
‘ Château d’Uclès.
* Chandja. l’infant don Sancho. iils d’Alphonse et de Zaïda.
. 229
l’approche des Chrétiens, Temym manifesta le désir
d’éviter le combat, en évacuant la place; mais Abd
Allah ben Mohammed ben Fâtyma et Mohammed ben
Aïcha, ainsi que quelques autres kaïds Lemtouna,
le dissuadèrent, et lui rendirent l’espoir et le cou-
rage , en lui aftirmant que l’ennemi n’avait pas plus
de trois mille cavaliers et qu’il était loin encore.
Temym crut à leurs pai-oles; et, le soir même, les
Chrétiens fondaient sur lui par nombreux milliers;
il voulut fuir, ne se sentant point capable de com-
battre, mais il était trop tard, et il ne pouvait déjà
plus avancer, ni reculer, lorsque les kaïds Lemtouna
se précipitèrent sur l’ennemi, auquel ils livrèrent un
combat désespéré et tel qu’on n’en avait jamais vu
de pareil. Dieu très-haut renversa l’ennemi et donna
la victoire aux Musulmans. Le fds d’Alphonse fut tué
ainsi que vingt-trois mille Chrétiens environ. Les
Musulmans entrèrent à Akelych par la force de leurs
sabres, et un grand nombre de Croyants périrent à
l’assaut (que Dieu leur fasse miséricorde!). En appre-
nant ce désastre, Alphonse ressentit un tel chagrin
qu’il tomba malade et mourut vingt jours après.
Temym envoya un courrier à son père Aly pour lui
annoncer cette victoire. Dans la même année, Mo-
hammed ben el-Hadj sortit de Valence et se rendit à
Saragosse, dont il s’empara, et expulsa Ben Houd.
Il fit part de sa conquête à l’émir des Musulmans, et
il ne sortit plus de Saragosse que pour aller en expé-
dition du côté de Barcelone, on il fut tué en l’an 5 08
230
(i 1 1 4 .T. G.). Durant tout son règne à Valence et à Sa-
ragosse, il n’avait cessé d’inquiéter les Chrétiens et de
leur prendre leurs terres. (Que Dieu lui fasse miséri-
corde!) Dans sa dernière expédition, û parcourait les
campagnes avec ses kaïds Lemtouna, et il enlevait
des troupeaux entiers qu’il envoyait chez lui par les
grandes routes, tandis qu’il prenait les sentiers les
plus courts pour rentrer dans les domaines des Mu-
sulmans. Un jour, ayant ainsi renvoyé la plus grande
partie de son monde avec le bétail butiné, il s’aven-
tura sur un chemin excessivement ardu et étroit, au
point de ne donner passage qu’à une personne après
l’autre. Arrivé à la moitié de sa course, l’émir Ben el-
Hadj se trouva pris au milieu de difficultés énormes,
et enveloppé par les Chiétiens qui l’attaquèrent vigou-
reusement. Ne pouvant reculer, il combattit jusqu’à
son dernier soupir. (Que Dieu lui tasse miséricorde!)
Tous ses compagnons périrent également, à l’excep-
tion du seul kaïd Ben Mohammed ben Ayciia, qui, à
torce de ruse et de détours, parvint à gagner les terres
des Musulmans. A la nouvelle de ce désastre, l’émir
des Musulmans fut consterné; il remplaça Ben el-Hadj
par le gouverneur deMurcie, AbouBekerben Brahim
ben Tafelout, qui reçut ainsi simultanément le com-
mandement de Valence, Tortose, Fraga et Saragosse.
Abou Beker sortit de Murcie avec son armée el
se rendit à Valence, où il rassembla toutes les troupes
de la province et celles de Saragosse. S’étant mis à
leur tête, il se porta dans les environs de Barcelone,
. 231
qu’il dévasta pendant vingt jours, abattant les ai-
bi’es, incendiant les clianips et renversant les villages.
C’est alors qu’arriva Ben Radmyr avec une nom-
breuse armée, composée de soldats de Bsyt \ de Bar-
celone et du pays d’Arbouna^. La batadle fut san-
glante, la plus grande partie des Chrétiens périrent
ainsi que sept cents Musulmans environ.
En 5o3 (1109 J. C), l’émir Aly ben Youssef
passa en Andalousie pour faire la guerre sainte; il
s’embarqua à Ceuta, le jeudi i5 de moharrem, em-
menant avec lui plus de cent mille cavaliers, et se
rendit directement à Cordoue, où û séjourna un
mois avant de rentrer en campagne; il commença
par s’emparer de la ville de Thalabout^, qu’d emporta
à l’assaut, ainsi que vingt-sept châteaux forts des
environs de Tolède; il conquit également Madjrêt
et Oued el-Hidjâra*, et, étant arrivé à Tolède, û
l’assiégea et dévasta les campagnes; durant un mois
il ne fit que détruire, puis il revint à Cordoue.
En 5o/i (1 1 10 J. C.) et dans le mois dou’l-kaâda,
l’émir Syr ben Aby Beker conquit les villes de San-
tarem, Badajoz, Oporto, Evora, Lisbonne, et toute
la partie occidentale de l’Andalousie; il annonça ses
victoires à l’émir des Musulmans. Ce général mourut
et fut enterré à Séville dans le courant de l’année
‘ Albacète.
^ Narbonne.
‘ Talaveira.
‘ Madrid el Cuiadalaxain.
232
5o7(iii3).Il eut pour successeur Mohanmied ben
Fatyma, qui gouverna Séville jusqu’à sa mort, en 5 1 o.
En 507, Témir Mouzdaly assiégea Tolède et s’en
empara; il prit d’assaut la forteresse d’Ardjyna^ dont
il massacra la garnison, et emmena en captivité les
femmes et les enfants. A cette nouvelle, le roi des
Chrétiens, Berhànes, marcha contre lui; mais Mouz-
daly, n’ayant point jugé à propos de l’attendre, se
mit en chemin pendant la nuit et arriva à Gordoue
avec un immense butin. Après avoir ravitaillé Rahêna
et les environs et y avoir mis des garnisons, l’émir
Mouzdaly, ayant appris que Zend Gharsvs, maître de
rOued el-Hidjâra, assiégeait Médina Sàlem, se porta
vers lui en toute hâte; mais Zend Gharsys, à son
approche, abandonna le siège et prit la fuite avec
une si grande précipitation qu’il abandonna tout,
tentes, armes et bagages, dont Mouzdaly s’empara.
Get émir mourut (que Dieu lui fasse miséricorde!)
en l’an 5io sur les terres des Chrétiens, auxquels il
faisait la guerre. L’émir dès Musulmans, ayant appris
sa mort, le remplaça, à Gordoue, par son fils Mo-
hammed ben Mouzdaly, qui ne gouverna que trois
mois, ayant comme son père trouvé la mort en com-
battant pour Dieu.
En 609 ( 1 1 1 5 J. G, ) , l’émir Aly ben Youssef con-
quit les îles orientales de l’Andalousie^.
En 5i 1 (1 1 17 J. G.), Abd Allah ben Mouzdaly.
‘ Arjona. ville située entre Cordoue et Jaen.
” Iles Baléares.
233
gouverneur de Valence et de Saragosse, se rendit à
Grenade, dont le fils de Radniyr (que Dieu le mau-
disse!) ravageait les environs. Abd Allah lui livra
combats sur combats, jusqu’à ce qu’il l’eût chassé du
pays, et rentra à Saragosse, où il mourut un an
après. Saragosse étant alors restée sans maître, Ben
Radmyr accourut pour l’assiéger, tandis que, de son
côté, Alphonse arrivait pour bloquer Lérida avec
une armée considérable de Chrétiens. A cette nou-
velle, l’émir des Musulmans écrivit aux émirs de
l’Andalousie pour leur donner ordre de se rassem-
bler auprès de son frère Temym, roi de toute l’An-
dalousie orientale, afin d’aller avec lui porter secours
à Saragosse et à Lérida. Abd Allah ben Mouzdaly
et Abou Yhya ben Tachefyn, roi de Gordoue, arri-
vèrent à la tête de leurs soldats, et Temym, sortant
de Valence, se joignit à eux avec les Lemtouna, et
se mit en marche pour Lérida. Après une sanglante
bataille, Alphonse, vaincu, prit la fuite en abandon-
nant Lérida , qu’il n’avait pu prendre , malgré tous
ses efforts et une perte de plus de dix mille hommes.
Temym revint vainqueur à Valence; mais Ben Rad-
myr, ayant appris la défaite d’Alphonse, demanda du
secours aux Francs pour prendre Saragosse, et les
Francs arrivèrent à lui comme une pluie de guêpes et
de sauterelles; ils commencèrent par cerner la ville,
et ils construisirent de petites tours en bois qu’ils
placèrent sur des roues, de façon à les rapprocher
de plus en plus de la place; ces tours portaient vingt
‘2U
machines de guerre, qui devaient tôt ou tard leur
assurer la prise de la place. Le blocus dura ainsi jus-
qu’à ce que la po])u]ation, réduite à la famine et
ayant péri en grande partie d’inanition , demanda et
obtint de Ben Radmyr une trêve, pour lui laisser le
temps de se procurer du secours; mais nul secours
n’étant venu, les habitants lui livrèrent la ville à
la fin du délai convenu, et ils s’en allèrent à Murcie
et à Valence; c’était en l’an 5i-i. Les Chrétiens en-
trèrent donc à Sara gosse et la gouvernèrent. Une
armée de douze mille cavaliers, que l’émir des Mu-
sulmans avait expédiée de l’Adoua , arriva trop tard :
le décret de Dieu s’était accompli.
En 5i3 (1119 J. C), Ben Radmyr s’empara d’une
partie de l’est de l’Andalousie; il emporta la forteresse
d’Ayoub\ qui était la plus forte de tout l’Orient, et
il se dirigea ensuite vers le nord. En apprenant ces
mouvements, l’émir des Musulmans Aly ben \oussef
passa en x\ndalousie pour faire la guerre sainte, et
inspecter les places et les forts; ce fut son deuxième
voyage en Espagne; il s’y rendit avec un très-grand
nombre de Morabethyn et de volontaires arabes,
Zenèta, Mesmouda et Berbères. Arrivé à Cordoue,
d campa sous ses murs avec son armée, et il reçut
la visite de tous les grands de l’Andalousie, auxquels
il demanda des renseignements précis et détaillés
sur la situation du j)avs: il destitua Ben Roclid de
‘ (lalalavud.
235
ses fonctions de kady à Cordoue , parce qu’il ne s’était
pas présenté, donnant pour excuse qu’il était occupé
à l’étude des livres de la science, et il le remplaça
par Abou el-Kassem ben Houmyd. L’émir des Mu-
sulmans se dirigea d’abord sur la vdle de Samberya^
dont il s’empara , et il partit de là pour ravager toute
la partie de l’ouest; il dévasta les campagnes, ren-
versa les villages et les édifices, tuant les Chrétiens,
les faisant prisonniers ou les forçant de se renfermer
dans leurs forteresses.
En 5i5 (1121 J. C), l’émir revint à l’Adoua,
laissant à son frère Temym le gouvernement de toute
l’Andalousie, que celui-ci conserva jusqu’à sa mort,
en 52 0. Son successeur, l’émir Tacliefyn ben Aly,
passa à cette époque en Andalousie avec cinq mille
cavaliers, et, s’étant mis à la tête de toutes les troupes
andalouses, il porta la guerre sainte dans la province
de Tolède, dont il prit les forteresses à l’assaut et
dévasta les environs. Puis il battit les Chrétiens qui
s’étaient réfugiés à Fahs Sebbat, et en fit un grand
massacre ; il conquit trente forteresses dans la partie
du couchant, et il fit part de ses victoires à son père.
En 528, il fit une expédition contre Cantara Mah-
moud, qu’il prit d’assaut; en 53o (ii35 J. C), il
dispersa les troupes chrétiennes à Fahs Attya et il
en fit périr une grande partie. En 53 1 ( 1 1 36 J. C.) ,
il emporta d’assaut la ville de Kerky’-^, dont il massa-
‘ Sanliberia.
” (laracâil.
236
cra toute la garnison. Enfin , en 532 ( 1 1 87 J. C. ) , il
quitta l’Andalousie et retourna en Afrique après avoir
subjugué Chkounia ^ , d’où il ramena six mille pri-
sonniers dans l’Adoua. Il vint à Maroc, où il fut reçu
en grande pompe, et se présenta à son père l’émir
des Musulmans qui l’accueillit avec bonheur et joie.
En 533, l’émir Aly ben Youssef proclama lui-même
la souveraineté de son fils Tachefyn , qui lui succéda
à sa mort, en l’an 537 (11^2 J- C.).
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’EMIR DES MUSULMANS TACHEFYN BEN ALY
BEN YOUSSEF BEN TACHEFYN EL-LEMTOUNY.
L’émir des Musulmans, Tachefyn ben Aly ben
Youssef ben Tachefyn el-Senhadja el-Lemtouny, sur-
nommé Abou-Amar, et, selon d’autres, Abou el-Mouâz,
était fils d’une captive chrétienne, nommée Dhoou
el-Sebah (lumière du matin, aurore). Conformément
au vœu manifesté par son père vivant, il lui succéda,
et sa proclamation eut lieu le 8 de radjeb an 537;
époque de grands troubles et de l’apparition des
Mouahedoun (Almohades) dont l’éclat, la force et la
puissance s’étendirent sur tout le pays de l’Adoua.
Lorsque Abd el-Moumen ben Aly sortit de Tynmal^
pour conquérir le Maghreb, Tachefyn quitta Maroc,
dont il laissa le commandement à son fils Ibrahim, et
‘ Ségovie.
■” Tinoiimal, Tinniâl. villo dans le Djebel-Deren (AHas). à vingt
lieues sud de Maroc.
. 237
se mit à sa poursuite; d’étapes en d’étapes, de combats
en combats, il arriva jusqu’à Tlemcen, où il se retran-
cha, et où Abd el-Moumen l’enveloppa. Les Almohades
étant campés dans un défdé entre la ville et la mon-
tagne , Tachefyn fit une sortie et alla camper avec son
armée senhadja dans la plaine près de l’Oued Saf-
saf. Bientôt ses soldats, impatients, voulurent com-
mencer l’attaque, mais Tachefyn leur dit de bien se
garder d’engager le combat sur la montagne, et qu’il
fallait attendre que l’ennemi descendit lui-même
dans la plaine. Refusant de suivre ces conseils, ils se
précipitèrent sur la montagne et ils furent culbutés
par les x\lmohades, qui les mirent complètement en
déroute. Tachefyn prit la fuite et arriva à Oran. Il
avait laissé le commandement de Tlemcen à son kha-
life Mohammed, connu sous le nom d’El-Cliyour.
Abd el-Moumen, de son côté, ayant chargé son kha-
life Yhya ben Youmar de continuer le siège de
Tlemcen, se dirigea vers Oran à la poursuite de
Tachefyn; celui-ci, se sentant cerné, fit une sortie de
nuit contre les Almohades, mais il se trouva en pré-
sence d’un si grand nombre d’ennemis, cavaliers et
fantassins, qu’il prit la fuite. Il se dirigea sur une
haute montagne dont le sommet penchait sur la mer,
et dans sa course, croyant aller toujours vers son
camp du côté d’Oran, il se précipita du haut de ce
sommet, et il expira. Cet événement eut lieu durant
une nuit sombre et pluvieuse, la vingt-septième du
mois de ramadhan, an 5 89. Son cadavre fut retrouvé
238
le lendemain sur le rivage par les Almohades, qui
coupèrent la tête et l’expédièrent à Tynmal , oii on la
pendit à un arbre. Telle fut la fin des Morabethyn.
L’émir Tachefyn n’eut pas une heure de repos et fit
constamment la guerre depuis le jour de son avène-
ment au pouvoir jusqu’à sa mort. (Que Dieu lui fasse
miséricorde!) Il régna deux ans et un mois et demi.
Et c’est Dieu qui avait voulu que les choses arrivas-
sent ainsi, car il n’y rien en dehors de sa volonté, et
lui seul est adorable !
DATES ET ÉVÉNEMENTS REMARQUABLES DE LA PERIODE DES LEMTOUNA ,
DE L’AN i62 À L’AN bko.
Les Lemtouna étaient un peuple des campagnes,
religieux et honnête ; ils surent conquérir un im-
mense empire en Andalousie et au Maghreb, dont
ils régularisèrent le gouvernement, et ils firent la
guerre sainte. Ben Djenoun rapporte que les Lem-
touna étaient religieux, charitables, justes, et que leur
culte était pur; qu’ils gouvernèrent l’Andalousie de-
puis le pays des Francs jusqu’à l’Océan, et le Maghreb
depuis la ville de Bedjaïa jusqu’au Djebel el-Dheb du
Soudan. Leur règne fut tranquille et ne fut troublé
par aucune révolte , ni dans les villes, ni dans les cam-
pagnes; on fit les khotbah en leur nom dans plus de
deux mille chaires. Leurs jours furent heureux , pros-
pères et tranquilles, et durant leur période l’abon-
dance et le bon marché furent tels , que pour un demi-
ducat on avait quatre charges de blé, et que les autres
. 239
grains ne se vendaient ni ne s’achetaient. Il n’y avait ni
tribut, ni impôt, ni contribution pour le gouverne-
ment, si ce n’est l’aumône et la dîme. La prospérité
s’augmenta toujours, le pays se peupla, et chacun
put s’occuper librement de ses propres affaires. Leur
règne fut exempt de mensonge, de fraude et de ré-
volte, et ils furent chéris par tout le monde jusqu’au
moment où El-Mehedy, l’Almohade, se leva contre
eux en 5 1 5 .
Les dates remarquables de leur époque furent
les suivantes :
/i62 (1069 J. C), conquête de Fès et prise du
gouvernement du Maghreb.
/i63 (1070 J. C), conquête des forteresses Ouatât
du pays de la Moulouïa.
/i64 (1071 J.G.), mort d’El-Moutamed ben Abbed
ben el-Khady Mohammed ben Ismaël Abbed, roi
de Séville, auquel succéda son fils Mohammed ben
Moutamed ben Abbed.
Û65 (1072 J. G.), Youssef ben Tachefyn conquit
Sedareta et Sofrou.
467 (107^ J. C), au mois dou’l-hidja, appari-
tion d’une comète au Maghreb. — Youssef ben Ta-
chefyn prit d’assaut la ville de Tahadart, près de la
Moulouïa, et tua son émir Kassem ben Aby el-Afya,
dont il détruisit l’armée jusqu’au dernier homme; il
s’empara aussi du gouvernement de Tanger; mort
de l’émir de cette ville, Sarkout el-Berghouaty.
671 (1078 J. C), éclipse totale de soleil, le
no
lundi à l’heure du Zouel (vers dix heures du matin),
vingt-huitième jour du mois; jamais on n’avait vu
une éclipse pareille. — Alphonse conquit la ville de
Couria, dont il chassa les Musulmans.
/lys (1079 J. G.), conquête d’Oudjda et des mon-
tagnes environnantes par Youssef. — Au mois de
raby el-tâny, un épouvantable tremblement de terre,
comme jamais on n’en avait ressenti au Maghreb, ren-
versa les tours, les minarets et les édifices, et une
infinité de personnes périrent sous les ruines; les se-
cousses se répétèrent nuit et jour depuis le premier
de raby el-aouel jusqu’au dernier jour de djoumad
el-tâny. — Au mois de dou 1-kaâda le peuple de Tolède
se souleva contre son émir, El-Kadyr ben Danoun,
dont il massacra les ministres et la plus grande partie
des gardes. El-Kadyr ne dut son salut qu’à la fuite,
et il emmena avec lui ses femmes jusqu’au fort Ka-
naka, où il se réfugia.
li-jli (1081 J. G.), prise de la ville de Tlemcen
par Youssef. — Mort du fekhy El-Haffyd (zélé) Abou
Thaleb Mekky, inspecteur des marchés et chef des
préteurs de Gordoue. — Naissance du kady Abou
Abd Allah Mohammed el-Asbagh, connu sous le
nom de Ben Menàsef , auteur du poëme de rArjouaza.
— En djoumad el-aouel, mort du Mokaddem Abou
Djafar ben Houd, émir de Saragosse; son fils Youssef
el-Moutamed lui succéda.
^97 (iio3 J. G.), mort du fekhy El-Haffyd Abou
Abd Allah Mohammed el-Thaleb, auteur de plusieurs
, ‘241
ouwdi^es.V auteur àuVivi-eintitiûéEl-Techaouif raconte
que Abou Djabel mourut en 5o3 , et qu’il fut enterré
dans le monastère situé au sortir de la porte \aslyten
de Fès. Abou Djabel fut un grand sage qui vit au
Caire Abou el-Fadhl Abd Allah ben Hassan el-Djou-
hâry. Il était boucher de profession; son teint était
noir, mais ses traits étaient réguliers et pleins de
sincérité; cœur pur, vertueux et craignant Dieu.
On raconte que le Kadhyr^ (à lui salut!) lui apparut
quarante ans après qu’il se lut entièrement voué à
Dieu, pour lui annoncer que le Très-Haut avait dési-
gné sa place parmi les Abdâl, qui sont les colonnes de
la Foi. Abou Djabel est célèbre par ses longs voyages.
5i/i (1120 J. C), El-Mehdy paraît au Maghreb
et rencontre Abd el-Moumen ben Aly, qu’il s’adjoint
sur la route du Levant.
5i9(ii25J. C), affaiblissement des Lemtouna,
dont la dispersion commence; défaits par El-Mehdy et
les Almohades venus du Djebel Deren, ils perdirent
leur puissance en Andalousie , et bientôt ils ne purent
se soutenir nulle part; les Almohades, s’agrandissant
de plus en plus, leur enlèvent toutes leurs possessions.
02 1 (1 127 J. G.), et le 19 raby el-aouel, mort du
kady le fekhy Abou el-Oualyd el-Badjy, à Sévdle,
où il n’exerçait déjà plus ses fonctions.
‘ El-Khadhyr, Khedr ou KJiidr, désigné dans le Koran (chap. xviii),
par l’Inconnu, est un personnage mystérieux que les Musulmans re-
gardent comme un prophète ayant acquis l’immortalité en buvant de
l’eau de la fontaine de la Vie qu’il avait découverte.
1(3
Wl
539 (t \kk J. C), le kady Ben Haiiiyd chasse les
Almoravides de Gordoue avec l’aide du peuple.
HISTOIRE DI REGNE DES ALMOIIADES, ET DE LEUR ELEVATIO^
COMMENCÉE PAR MOHAMMED BEN TOUMERT, APPELE LE MEHDY.
L’auteur du livre (que Dieu lui soit propice!) a dil
que El-Mehdy, qui fonda le règne de la dynastie
d’Abd el-Moumen au Maghreb el-Aksa, était, d’après
les historiens des deux empires, Mohammed ben Abd
Allah ben Abd er-Rhaman ben Houdben Khâlydben
Temân ben Adnàn ben Sofyan ben Sfouan ben Djebyr
ben Yhya, ben \thà beii RyAh ben Yassarben el-Ab-
bès ben Mohammed ben el-Hassan ben Aly ben Aby
Thaleb. (Que Dieu l’agrée!) Quelques historiens et
Ben Methrouh cl-Kaissy, entre autres, disent qu’il
s’était lui-même arrogé cette généalogie chérifienntf;
qu’il était de la tribu d’Hargha, fraction des Mas-
mouda , et connu sous le nom de Mohammed ben Tou-
mert el-Harghy; d’autres disent qu’il était de la tribu
des Djenfysa; Dieu seul sait la vérité de tout cela.
Dans les premiers temps de sa vie El-AIehdy était
un homme pauvre, étudiant la science et la doctrine,
et doué d’une grande intelligence.
Il s’en alla dans le Levant pour continuer ses
études. Là, il se mit à fréquenter les principaux doc-
teurs, qui l’instruisirent dans les hautes sciences, et,
entre autres, celles des traditions du Prophète de
Dieu (que le Seigneurie comble de ses bénédictions!),
243
et celles des notaires et des légistes. Parmi la réu-
nion des savants où Mehdy acquit toutes ses connais-
sances se trouvait le cheikh, Timam incomparable,
le célèbre Abou Hamyd el-Ghazâly (que Dieu lui
fasse miséricorde et l’agrée !) , auquel il s’attacha pen-
dant trois ans. El-Ghazâly, en voyant El-Mehdy pour
la première fois, devina son avenir, et, lorsqu’il fut
sorti , il dit à ses disciples : rr 11 n’y a pas de doute
fr que ce Berbère ne devienne souverain du Maghreb
‘rel-Aksa et qu’il n’y fonde un vaste et puissant em-
ff pire. 11 porte en lui tous les signes décrits dans les
^r traditions. 11 El-Mehdy, ayant eu connaissance de
cette prédiction , et quelques-uns de ses compagnons
lui ayant dit que le docteur l’avait même trouvée
dans son livre , se consacra entièrement aux leçons
d’El-Ghazâly, qu’il suivit jusqu’à ce qu’d n’eût plus
rien à apprendre. Et c’est alors qu’il partit pour
suivre la destinée que le Très-Haut avait dictée.
L’auteur du livre continue son récit. Mohammed
el-Melîdy, confiant dans le secours de Dieu, quitta
le Levant pour porter en Occident la loi du Seigneur
et le Sonna du Prophète (à lui le salut!). Il se mit
en route le premier de raby el-aouel , an 5 1 o , et
il parcourut les diverses villes de l’Afrique et du Ma-
ghreb, prêchant partout la vertu, l’abstinence et le
mépris des choses de ce monde. 11 arriva ainsi jus-
qu’aux Tchours de Tadjoura, aux environs de Tlem-
cen , où il s’arrêta. C’est là qu’il rencontra Abdel-Mou-
men ben Aly, qui suivit ses leçons et adopta ses
i6.
2àh
doctrines. Quand El-Mehdy pensa que son disciple était
suffisamment instruit, il lui fit part de son dessein de
s’emparer de l’Empire, et celui-ci l’ayant approuvé,
lui jura fidélité et s’engagea à lui être soumis en tout.
Ils partirent ensemble pour le Maghreb el-Aksa.
El-Mehdy était sans égal pour l’éloquence et les
connaissances des traditions et des sciences; son ins-
truction était profonde, et dans ses sermons au peu-
ple il affirmait qu’il était l’imam El-Mehdy l’annoncé,
et devant reparaître à la fin du monde. Il disait que
sa mission était de remplacer sur la terre le règne
de l’iniquité par celui de la justice, qu’il découvrirait
une à une les turpitudes des Morabethyn; qu’il les
détruirait comme des infidèles, et ne laisserait trace
de leur gouvernement. C’est ainsi qu’il allait de
souk en souk , prêchant la vertu et anathémati-
^ sant le vice; brisant les instruments de musique et
jetant le vin partout où il le rencontrait. Enfin,
arrivé à Fès, il descendit dans la mosquée de
Tryana, où il demeura jusqu’en 5 16, occupé à
l’étude de la science. Alors il se rendit à Maroc, sa-
chant bien que ce ne serait que dans cette capitale
qu’il pourrait se faire connaître. L’émir Aly ben Yous-
sef ben Tachefyn régnait à Maroc lorsque Mehdy y
arriva obscurément et alla s’établii’ dans une mos-
quée accompagné d’Abd el-Moumen, qui avait en-
trevu un brillant avenir en restant avec lui. Bientôt il
se mit à parcourir les marchés et les places de la ville
en prêchant la vertu et condamnant le vice, détrui-
. 245
sant les instruments de musique et les boissons dé-
tendues, et tout cela sans ordre ni permission de l’émir
des Musulmans, de ses kadys ou de ses ministres.
Aly ben \oussef, apprenant ce qui se passait, ordonna
que l’on lui amenât El-Mehdy, et, en le voyant si
misérablement vêtu, il lui fit des reproches et lui
dit : rr Qu’est-ce que l’on m’a donc appris sur ton
rr compte? 11 El-Mehdy lui répondit : rrCe que tu as
rappris, ô émir, c’est que je suis un pauvre fakyr qui
ff pense à l’autre monde et point du tout à celui-ci, où je
r n’ai que faire , si ce n’est de prêcher de faire le bien
rr et de fuir le mal ; et cela n’est-ce pas toi qui devrais le
fr faire? Toi qui, bien au contraire, es la cause du mal,
r lorsque ton devoir est de pratiquer les préceptes du
fr Sonna et que tu as le pouvoir de les faire pratiquer
rr aux autres ! Le crime et l’hérésie apparaissent partout
ff dans tes états , et cela est bien contraire aux ordres
ff de Dieu qui veut que l’on suive le Sonna, Fais ton de-
ff voir, car, si tu le négliges, c’est toi-même qui auras à
ff rendre compte à Dieu de toutes les fautes commises
ff dans ton empire, et Dieu en a puni beaucoup pour
ff de pareils méfaits, ceux dont il a dit : Ils ne se repen-
ti {aient point du mal qn’ils commettaient^ . n L’émir Aly,
en entendant cela, fut saisi de crainte et se mit à ré-
fléchir, le front penché vers la terre; il reconnut la
justesse de tout ce qui venait de lui être dit, et lors-
qu’il releva les yeux vers ses ministres, il leur or-
donna de convoquer tous les docteurs et les tholbas
‘ Koran, ch. ^ : F^a table, vpi’s. 89.
246
de la ville, ainsi que les cheikhs des Lemtouna et
des Morahethyii. Ceux-ci, ayant bientôt rempli la
salle du conseil, essuyèrent les plus vifs reproches et
comprirent que l’émir des Musulmans avait reçu les
ordres et les inspirations d’El-Mehdy. Aly leur dit
enfin : rr Je vous ai convoqués pour que vous vous
rr livriez à l’examen de cet homme, et si vous lui re-
ft connaissez la science, nous nous soumettrons à lui;
tfsi, au contraire, vous le convainquez d’imposture,
ffnous le punirons comme il le mérite. ■)•> Aussitôt les
conversations et les commentaires s’engagèrent et se
umltiplièrent de plus en plus. Ei-Mehdy savait d’a-
vance qu’on nierait sa science et ses vertus. L’émir,
s’apercevant bientôt que rien ne se faisait au milieu
de tant de bruit, dit à l’assemblée : cr Cessez donc
ce vos injures et vos calomnies, et choisissez quelques-
rruns de vos savants pour discuter avec lui, en se
ff guidant sur le Livre de Dieu, et l’on verra ce qui
ff en est. i-> Ils cherchèrent alors dans le conseil les
plus instruits des docteurs versés dans les Hadits et
la science; mais il ne s’en trouva aucun capable de
discuter avec El-Mehtiy, qui dit au premier qui se
présenta : rr fekliy , c’est toi qui es chargé de por-
rrter la parole au nom de tous les autres, eh bien!
ff dis-moi si les voies de la science sont limitées ou
rrnonî-n Le fekhy lui répondit : crOui, elles sont li-
ff mitées au Livre, au Sonna et à ses commentaires. t^
Mehdy lui répliqua : trJe t’ai demandé si les règles
fc de la science sont hmitées ou non; réponds à cela
KT ANNALES DE LA VILLE DE FES. Ul
fr seulement, car ii est de règle de répondre à la
fc question qui est posée, i^ Le fekhy ne comprit pas
ce qu’il voulait dire par là et se tut. fr Dis-moi alors,
fr reprit El-Melidy, quelles sont les sources du ])ien
ffou du mal? 11 Et, comme à la première question, le
fekhy ne sut que se taire, ce Allons, dit El-Mehdy,
ff si ni toi ni tes compagnons ne pouvez me répondre,
ff je vais donc vous instruire, -n Et comme ils conti-
nuèrent tous à garder le silence, il commença son
explication : rc Les sources du bien et du mal , dit-il ,
ffsont au nombre de quatre : la science, qui est la
a source du droit chemin; l’ignorance, le doute et
rc l’opinion, qui sont les sources du mal. 11 Alors d en-
treprit de leur énumérer les règles de la science en
termes techniques qu’ils n’entendaient pas; si bien
qu’ils ne purent pas répondre un mot à son sermon,
auquel ils n’avaient rien compris. Aussi, voyant que
cet homme possédait un si haut savoir, ils se senti-
rent humiliés, et, dévorés par l’envie et par la honte
de se voir ainsi surpassés, ds se tournèrent vers l’é-
mir et lui dirent : cr prince des Croyants ! cet homme
(test un hérétique furibond, fourbe et menteur, et
frsi vous le tolérez davantage, il corrompra toute la
repopulation. T) L’émir chassa donc de la ville El-
Mehdy, qui se rendit au cimetière et fixa sa demeure
au milieu des tombeaux. Quelques tholbas vinrent
pour s’histruire auprès de lui; puis d’autres, et bien-
tôt d se vit entouré d’une foule nombreuse, avide
de ses leçons et ses bénédictions. Alors il avoua sa
248
qualité et son Lut de détruire les Almoravides. H se
mit à prêcher à ses disciples que les Almoravides
devaient être traités comme des infidèles corporels,
et que, quiconque savait que Dieu était unique dans
son règne, était obligé de leur faire la guerre avant
même de la faire aux Chrétiens et aux Idolâtres. Plus
de quinze cents hommes se rangèrent à ses prescrip-
tions. L’émir des Musulmans, en apprenant ces dé-
tails, et s’étant assuré que El-Mehdy attaquait ouver-
tement le gouvernement des Almoravides qu’il traitait
d’infidèles dans ses propres états, et que son parti
s’augmentait toujours, lui envoya un messager pour
le chercher et lui dit : cr homme ! crains Dieu pour
“toi-même, rappelle-toi que je tai défendu de ras-
ff sembler du monde et que je t’ai chassé de la ville!
rr Je t’ai obéi, lui répondit El-Mehdy, puisque je suis
ff sorti de la vHle pour aller vivre au cimetière, où
rr j’ai dressé ma tente au milieu des tombeaux. J’ai
retravaillé ainsi pour mériter les récompenses de la
ffvie future, mais toi-même garde-toi des paroles
frdes pervers. Ti Cette réponse exaspéra fémir des
Musulmans, qui fut sur le point de le faire arrêter;
mais Dieu le protégea, car Dieu ne commande que
ce qui est écrit par son ordre. Invité à se retirer, El-
Mehdy prit le chemin de sa tente; mais à peine fut-
il parti, l’émir des Musulmans éprouva un si grand
regret de l’avoir laissé échapper, qu’il s’écria, en
s’adressant à ceux qui fentouraienl : a Quel est celui
ff d’entre vous qui me rapportera sa tête?^’ Un des
ET ANNALKS DE LA VILLE DE FES. 249
adeptes de Mehdy, ayant entendu ces paroles, courut
en tonte hâte pour prévenir son maître, qu’il rejoi-
gnit sur le seuil de sa tente et qu’il aborda en chan-
tant ce verset : Moïse ! les grands délibèrent pour te
faire mourir, quitte la ville, je te le conseille en ami^.
Il répéta cela trois fois de suite, et il se tut. Mehdy
comprit et partit à marche forcée, au point qu’il
arriva le jour même à Tynmàl. Gela eut lieu dans
le courant du mois de cliouel de l’an 5 1 4. El-Mehdy
s’arrêta en cette ville, où il fut bientôt rejoint par ses
dix compagnons ou disciples , dont voici les noms : Abd
el-Moumen ben Aly, Abou Mohammed el-Bechyr,
Abou Hafs, Abou Hafs ben Yhya ben Byty, Abou
Hafs Omar ben Aly ben Aznadjy, Soliman ben Kha-
louf, Ibrahim ben Ismaël el-Hezredjy, Abou Moham-
med Abd el-Ouahed el-Khadhry, Abou Amrân Moussa
benThoumaret Abou.Ybya ben Bouhyt. Ces dix per-
sonnages furent les premiers qui adoptèrent les doc-
trines de Mehdy, qu’ils proclamèrent le vendredi
i5 ramadhan, an 5i5, à la suite de la prière du
Douour. Le lendemain, El-Mehdy se rendit à la mos-
quée de Tynmâl avec ses dix compagnons armés de
leurs sabres, et, étant monté en chaire, il fit un ser-
mon à l’assistance , à laquelle il déclara qu’il était
l’imam El-Mehdy l’annoncé , ayant pour mission de
ramener la justice sur la terre, qu’il couvrirait de ses
actions éclatantes, et il termina en invitant le peuple
‘ Korau, chap. xxviii : L’histoire, vers. 19.
250 HISTOIRE DES SOUVERAINS DU MAGHRpR
à lui prêter serment de fidélité. En effet, tous les
habitants de Tyninâl proclamèrent le nouvel imam,
auquel se soumirent également les tribus circonvoi-
sines et les Kabyles des montagnes. Alors Mehdy
envoya ses compagnons prêcher dans le pays, et il
expédia dans toutes les directions des hommes dont
il connaissait les principes, avec mission de répandre
partout la renommée du vertueux imam, dont le but
n’était point d’acquérir les biens de ce monde. C’est
ainsi que les populations vinrent de tous côtés pour
le proclamer et le couvrir de bénédictions, et que sa
puissance s’accrut considérablement. Il prenait note
de toutes les tribus dont il recevait la soumission, et
les nommait El-Mouàhedoun (Almohades, uni-
taires). Il leur donnait le Thouâliîd (doctrine de l’u-
nité) écrit en langue berbère, et divisé en versets,
en sections et en chapitres pour en faciliter l’étude,
et il leur disait : ff Quiconque ne suivra pas ces maxi-
trmes ne sera point Almoliade, mais bien un infidèle
o-avec lequel on ne fera pas sa prière, et on ne man-
ff géra pas la chair des animaux tués par ses mains, n
Ce Touâhid se répandit chez tous les Mesmouda, c{ui
le chérirent bientôt à l’égal du Koran bien-aimé,
tant ils étaient ignorants dans leur religion et dans
les choses du monde. El-Mehdy sut si bien se les at-
tacher par sa douceur et par son éloquence , qu’ils
finirent par ne rien reconnaître en dehors de lui. Ils
invoquaient son nom en toute occasion et même en
commençant leuis repas; dans toutes les chaires on
. 251
priait au nom de Mehdy ïimam impeccable. Un nom-
bre considérable d’hommes ayant embrassé sa nou-
velie doctnne, El -Mehdy divisa le commandement
entre ses dix disciples, et forma un conseil de cin-
quante compagnons choisis, pour l’aider à soutenir
son imamat et veiller aux affaires des Musulmans.
L’aflluence des tribus vers lui continuant toujours,
le khotbah se fit en son nom, et bientôt il put
compter plus de vingt mille Almohades des tribus
Mesmouda et autres. Alors il commença à prêcher
la guerre sainte contre les Almoravides avec tant de
vigueur et de persuasion, que les Almohades jurèrent
de lui obéir en combattant jusqu’à la mort. Il choisit
entre les plus valeureux dix mille hommes, dont il
confia le commandement à Abou Mohammed el-Be-
chyr, auquel il remit un pavdlon blanc, et il expédia
cette armée contre la ville d’Aghmât.
En apprenant ces mouvements, l’émir des Musul-
mans Aly ben Youssef envoya à la poursuite des
Almohades un corps de ses troupes d’élite, sous le
commandement de Ahouel, général Lemtouna. Cette
armée fut battue et Ahouel Akeltmoum fut tué; les
Almohades poursuivirent les Lemtouna, sabres en
mains, jusque sous les murs de Maroc, où leurs débris
se réfugièrent. Ils assiégèrent cette place pendant
quelques jours, au bout desquels ils furent forcés de
se retirer dans les montagnes devant le nombre tou-
jours ci’oissant des Lemtouna. Ces faits eurent lieu
le 3 de châaban le sacré, an 5i6 (i las^ J. C), et
I
25-2
la renommée d’El-Mehdy s’étendit de plus en plus
dans le Maghreb et en Andalousie. Il divisa le butin
fait sur les Lemtouna entre ses soldats Almohades, en
leur récitant ces paroles du koran : Dieu vous avait
promis de vous rendre maîtres d’un riche butin, et il
s’est hâté de vous le donner ‘ .
HISTOIRE DES CAMPAGNES D’EL-MEHDY CONTRE LES LEMTOUINA.
L’auteur du livre (qu(^ Dieu lui soit propice!) a
dit : A la suite de la défaite de l’armée de l’émir Alv
ben Youssef, la puissance d’El-Mehdy grandit encore.
Après avoir monté la plus grande partie de ses soldats
sur des chevaux enlevés aux Almoravides et les avoir
exhortés à la guerre contre les impies, il se mit en
campagne avec toutes ses troupes almohades et il se
dirigea vers Maroc. Arrivé au mont Ydjelyz, non loin
de cette ville, il y établit son camp, et pendant trois
ans, de 5 1 6 à 5 1 9, il ne cessa de battre les environs
et de harceler journellement les Lemtouna. Ne vou-
lant pas prolonger davantage son séjour en cet en-
droit, il se rendit à l’Oued Nefys, dont il suivit les
bords en se faisant reconnaître par toutes les popu-
lations des plaines et des montagnes et, entre autres,
par les tribus de Djermyoua. Il soumit également la
tribu de Radjeradja, à laquelle il apprit à connaître
Dieu très-haut et les lois musulmanes. Il se rendit
Km an, chap. \i,\iii : J^a victoire, vers. “20.
. 253
ensuite chez les Mesniouda, et il battit tous ceux qui
lie voulurent pas de bon gré reconnaître ses ordres
et sa domination. Il conquit une grande étendue de
pays et la majeure partie des tribus Mesmouda. Il
revint alors à Tynmâl, où il resta deux mois pour
laisser reposer son armée. Quand il se remit en
campagne, il se trouvait être à la tète de trente mille
hommes, et il se porta sur Aghmât et les tribus de
Hazradja dont les habitants, s’étant réunis à un grand
nombre de Hachem, de Lemtouna et autres, mar-
chèrent contre lui. Les deux araiées se rencontrè-
rent et la bataille fut sangest la source
ffde l’Islam. Agissons donc comme les compagnons
ff du Prophète (que Dieu le comble de bénédictions!),
ffdont le premier soin fut d’élire Abou Beker (que
ffDieu l’agrée!) à cause de sa vertu et de sa science,
ff et aussi parce que c’était lui que le Prophète, étant
ff malade, avait désigné pour faire les prières. On le
26A
cf proclama, quoique, au nombre de ses compagnons,
rr le Prophète eût des proches parents, v Certains
écrivains ajoutent que lorsque le lion vint à lui, Abd
el-Moumen le caressa, lui passa les mains dans la
crinière et lui dit de s’en aller. Le lion comprit l’ordre
et se retira, et, s’il avait pu parler, il aurait sûrement
prononcé les louanges du Seigneur! Les assistants,
émerveilles, répandirent la nouvelle dans le monde
entier où elle fut écrite sur les feuilles de l’histoire
comme un vrai miracle et un signe évident. C’est à
ce sujet qu’Abou Aly a dit en vers: rr Le lionceau resta
ff caché et ignoré jusqu’à ce qu’il devint lion lui-
frmême, et il allait vers son maître comme il aurait
irété vers son père. L’oiseau chanta la proclamation
ff de sa puissance en présence de l’assemblée, et tous
ff ceux qui furent témoins dirent. Les signes sont appa-
ff rents, et c’est toi qui succéderas à l’imam; mais cela
ff datait déjà de longtemps !r)
La proclamation d’Abd el-Moumen ben Aly eut
lieu le jeudi i 6 ramadhan, an b-ik, par les dix com-
pagnons d’El-Mehdy, et deux ans plus tard, le ven-
dredi 2 de raby el-aouel 626, par tous les Kabyles,
qui lui prêtèrent serment dans la mosquée de Tynmâl ,
après la prière.
D’après d’autres récits, Abd el-Moumen fut pro-
clamé, d’abord par les dix compagnons, puis par les
cinquante cheikhs, et enfin par tous les Almohades,
sans en excepte)’ un seul, qui jurèrent son bonheur et
la perte des Almoravides, En filet, ses jours furent
, 265
heureux, ses armées dispersèrent les Lemtouna , aux-
quels il ravit Tempire du Maghreb ; il conquit l’Ifrî-
kya jusqu’à Barka, et l’Andalousie. Partout les khot-
bah furent faits en son nom.
Dès qu’il eut assuré son gouvernement, il se mit
en campagne contre ses ennemis ; sa première expé-
dition fut celle de Tedla; il sortit de Tynmâl le
jeudi 2/i de raby el-aouel, an Baô, à la tête de
trente mille Almohades, et il arriva à Tedla, qu’il
livra au pillage, et dont il fit tous les habitants pri-
sonniers. Puis û enleva successivement les pays de
Drâa, de Thyghar, de Fezez et d’Aghmât.
Au mois de safar 53/i(ii39J.C.), il entreprit une
longue campagne durant laquelle il ne cessa de battre
l’ennemi et de conquérir des villes, jusqu’en 5/n
(ii/i6J. C.);il commença par subjuguer tout le pays
de Taza et les montagnes de Ghyata. Ses combats avec
les Lemtouna ne discontinuèrent pas depuis le jour
de sa proclamation jusqu’à la mort de l’émir Aly ben
Youssef ben Tachefyn, et sous le règne de son fils
Tachefyn, son successeur. Après être resté deux ans
à Khernatha, en face de l’émir Tachefyn, combattant
le jour et se reposant la nuit, Abd el-Moumen porta
son camp vers le Djebel Ghoumâra; Tachefyn l’ayant
suivi, il s’arrêta sur les bords de l’Oued Thalyt,près de
UAïn el-Kadym (IsiSOUYce antique), où il demeura deux
mois, durant lesquels ses soldats, pour remédier aux
rigueurs de la saison d’hiver, durent brûler les char-
pentes et les bois des maisons, et puis leurs tentes
266
mêmes. Abd el-Moumeii se mit alors en route pour
Tlemcen , maisTachefyn , ayant marché sans s’arrêter,
le devança et se fortifia dans cette ville, de sorte
qu’il dut se contenter de camper dans la vallée et
de harceler l’ennemi, jusqu’au moment où il se dé-
cida à aller à Oran, en laissant une partie de sa
troupe pour continuer le siège de Tlemcen. Tachefyn ,
de son côté, ayant confié la défense de la place à
une garnison almoravide, se mit en marche pour
Oran, et c’est en route qu’il tomba du sommet d’une
montagne dans la mer et qu’il mourut. Abd el-Mou-
men occupa Oran et Tlemcen dans le mois de rama-
dhan, an 53 9. C’est ainsi que les faits sont racontés
par l’auteur du Mmn el-hnâma.
Ben Methrouh el-Keyssy a écrit qu’Abd el-Mou-
men, ayant été proclamé à Tynmâl, se dirigea avec
une armée Almohadc vers Maroc en Ghouel 5*26, et
qu’il en fit longtemps le siège ; de là il se rendit à Tedla ,
et après s’en être emparé , il vint à Salé , dont les habi-
tants se rendirent, et on il entra le samedi 2^ dou’l-
hidja, de ladite année 626. En 627 il conquit Tâza,
et en 628 il prit le titre d’émir des Musulmans;
en 529 il fit construire la ville de Rabat-Tâza (7a-
fersyft), et, depuis l’an 53o jusqu’en 689, il fit à
Tachefyn une guerre sanglante qui ne se conclut
qu’au siège de Tlemcen ; Tachefyn , voyant sa position
devenir de plus en plus mauvaise , s’en alla à Oran .
oi^i Abd el-Moumen, arrivant sur ses pas, le bloqua,
tandis qu’un corps d’armée almohade continuait h.’
. 267
siège de Tlemcen. Tachefyn, de plus en plus resserré
et menacé, tenta une sortie de nuit avec un petit
nombre des siens pour surprendre le camp d’Abd-
el-Moumen ; la nuit était irès-sombre et son cheval
le précipita du sommet d’une hauteur. Le lendemain
matin son cadavre fut trouvé sur le bord de la mer,
on lui coupa la tête et on la remit à Abd el-Mou-
men , qui l’expédia à Tynmâl , où elle fut pendue à un
arbre de Safsaf (peuplier). Abd el-Moumen rentra
victorieux à Oran dans le mois demoharrem, an bUo.
Le mois suivant, safar, il lit son entrée à Tlemcen
prise d’assaut par les Almohades; les Almoravides se
réfugièrent à Agadir, où ils se soutinrent jusqu’en bhk,
époque à laquelles les Almohades les en chassèrent
également.
El-Bernoussy rapporte qu’Abd el-Moumen conquit
Tlemcen en 629, et qu’aussitôt après il envoya une
armée de dix mille cavaliers Almohades en Andalousie,
où ils débarquèrent sur la plage d’El-Khadera^ Leur
première conquête en Espagne fut celle de la ville de
Gherich ^, oii ils entrèrent sans coup férir. Le kaïd de
cette place, Abou Kamar des Béni Ghânya, vint au-
devant d’eux avec sa garnison de trois cents Almora-
vides pour proclamer Abd el-Moumen et faire soumis-
sion. Aussi les Almohades nommèrent-ils les gens de
Chérich les premiers Croyants, et ils leur laissèrent à
jamais leurs biens et leurs propriétés, pour lesquels
‘ AJgéziras.
^ Xérès.
2(i8
iis n’eurent même plus à donner le quart des pro-
duits, comme cela se faisait dans toute l’Andalousie.
C’était à Ghérich que les souverains Almohades en-
voyaient chaque année ceux qui voulaient embrasser
l’islamisme, et lorsque ceux-ci s’en allaient, il en
arrivait d’autres. La conquête de Chérich eut lieu le
premier dou’l hidja, an ôSg.
Ben Ferhoun rapporte que les Almohades passè-
rent en Andalousie dans le mois dou’l hidja ôSg.
et qu’ils débarquèrent à Tarifa sous le commande-
ment du cheikh Abou Amran Moussa ben Saïd. Ils
furent accueillis par les habitants de Tarifa sans coup
férir, et ils se rendirent à Algéziras où la population
les appelait, et dont ils chassèrent en entrant, le
jour même de l’Aïd el-kebyr, les Almora vides, qui
s’enfuirent à Séville.
En 5/10, Abd el-Moumen prit Fès après un long
siège , à la fin duquel il imagina de barrer la rivière
qui traverse la ville; ce qu’il fit moyennant bois et
bâtisse. Lorsque l’eau ainsi arrêtée fut arrivée au ni-
veau de la barrière et commença à déborder dans la
plaine, d fit rompre la digue, et l’eau, se précipitant
en un seul torrent, renversa les remparts et emporta
plus de deux mille maisons; une multitude de per-
sonnes périrent noyées, et la ville fut presque entière-
ment submergée. Les Almoravides demandèrent alors
l’aman, mais, une fois maître de la place, Abd el-
Moumen dit qu’il ne pouvait pas y avoir d’aman
pour les Morabethyn, et il les fil tuer comme des
• . 26
310 HISTOIRE DES SOUVERAINS. DU MAGHRER
Lorsque El-Mansour reçut ce message, il en fut hu-
milié, et l’amour-propre de l’Islam se révolta en lui.
Il rassembla les Almohades, les Arabes, les Kabyles
Zenèta, Mesmouda et toutes les troupes pour leur
lire cette lettre, et, après les avoir harangués et excités
à la guerre sainte , il leur donna ordre de faire leurs
préparatifs de départ. Ayant ensuite appelé son fds Mo-
hammed, son lieutenant, il lui remit la lettre du mau-
dit en le chargeant d’y répondre. Mohammed prit la
lettre, la lut et écrivit au dos : cr Dieu très-haut a dit :
ff Retourne vers ceux qui t’envoient, nous irons les
rr attaquer avec une armée à laquelle ils ne sauraient
ff résister. jNous les chasserons de leur pays, avilis
cf et humdiés ^-n Puis il montra ces lignes à son père
qui fut enchanté d’une pareille preuve de sa haute
intelligence, et qui expédia aussitôt le courrier. En
même temps il ordonna de faire sortir les étendards
et la tente rouge, et de prendre toutes les disposi-
tions nécessaires afin (|ue les troupes et les Almo-
hades pussent immédiatement se mettre en cam-
pagne pour aller faire la guerre sainte. II écrivit en
Ifrîkya et dans toutes les provinces du Maghreb et
du Sud pour faire appel aux Croyants, et de toutes
parts de nombreux guerriers vinrent à lui. Il sortit
de Maroc le jeudi\8 de djoumad el-aouel, an 691,
et partit à marche forcée, sans halte et doublant les
étapes, ne s’arrètant pour personne. L’armée, com-
posée de troupes de tous l)ays, marchait sur ses traces
‘ Koran, chap. xxvii : la Fourmi, vers. .37.
. 311
pleine d’ardeur contre les Infidèles. Aussitôt arrivé à
Kessar el-Djouez, il commença l’embarquement des
troupes, et, sans interruption aucune, il les fit passer
successivement dans l’ordre suivant : les Arabes, les
Zenèta, les Mesmouda, les Glioumara , les volontaires
de toutes les parties du Magbreb, les Aghzâz, les ar-
balétriers, les Almohades elles nègres. C’est ainsi que
toute l’armée passa la mer et débarqua sui’ le rivage
d’Algéziras. L’émir suivit immédiatement, entouré
d’un magnifique état-major de cheikhs Almohades,
de guerriers, de docteurs et de saints du Maghreb.
Dieu très-haut l’accompagna ; il mit pied à terre en
très-peu de temps à Algéziras, où d arriva peu après
la prière du vendredi ’20 de radjeb de ladite année.
Il ne séjourna que vingt-quatre heures à Algéziras,
et il se mit aussitôt en marche pour ne pas laisser
refroidir un instant l’ardeur de ses troupes, immense
armée bien organisée et sérieusement résolue, et
aussi pour ne pas donner le temps à l’ennemi de se
retirer dans son pays avant qu’d eût reçu la nou-
velle de l’arrivée précipitée de l’émir des Musulmans
et de l’ardeur de sa course pour venir le combattre
sur le terrain qui lui convenait. Alphonse le maudit
resta donc avec son armée auprès de la ville d’Alarcos ,
et El-Mansour arriva vers lui assisté par la force et
la puissance de Dieu très-haut, sans s’être arrêté nulle
part ni avoir attendu personne, avançant à marche
forcée et sans faire cas de ceux qui restaient derrière;
il ne s’arrêta que lorsqu’il ne lui restait plus que
312
deux étapes pour arriver à la ville d’Alarcos. C’est là
qu’il campa le jeudi 3 du mois de chàaban. Dès le
lendemain, il rassembla les Musulmans pour prendre
conseil sur l’attaque à faire aux ennemis de Dieu , les
Infidèles, et il se conforma ainsi aux ordres du Tout-
Puissant et au Sonna de son Prophète, à l’exemple de
Mohammed et de ses compagnons, qui suivirent les
prescriptions du Très-Haut exprimées par ce verset :
Ceux qui décident leurs affaires communes en se consul-
tant et font des largesses des biens que nous leur avons dis-
pensés ^ ; et par cet autre : Consulte-les dans les affaires,
et lorsque tu entreprends quelque chose, mets ta confiance
en Dieu, car Dieu aime ceux qui ont mis leur confiance
en lui-.
L’émir prit donc successivement les avis des prin-
cipaux Almohades, des cheikhs arabes, des cheikhs Ze-
iièta et autres Kabyles, des Aghzâz et des volontaires.
Chacun donna ses bons conseils et fit connaître son
opinion. Alors il manda les kaïds andalous, et, quand
ils se furent présentés, il les fit asseoir près de lui, et
après leur avoir dit les mêmes paroles qu’il avait dites
aux autres, il ajouta : ff Andalous! ceux dont j’ai
cf pris les conseils avant vous sont d’excellents guer-
ff riers, mais ils ne connaissent pas la guerre des Cliré-
rc tiens comme vous qui êtes habitués à vous mesurer
ff avec eux; vous connaissez leurs coutumes, leur tac-
rc tique et leurs ruses, t Ils lui répondirent : ff émir
‘ Koran. chap. \i,ii : la Délibération, vers. 36.
* Koran, cliaj». m : la Famille d linani. \evs. i53.
313
cfdes Musulmans! nos opinions et nos connaissances
erse trouvent toutes réunies en un seul d’entre nous,
cr que nous avons choisi à cause de son savoir, de sa
ff religion , de son intelligence , de ses vertus et de sa
ff connaissance de la guerre et de la tactique militaire.
cr Sincère et dévoué pour les Musulmans, il sera notre
rc interprète , et ce qu’il dira exprimera exactement
cf nos pensées sur ce que vous désirez connaître. Que
fc Dieu vous soit propice! Cet homme est le kaïd Aby
Cf Abd Allah ben Sanâdyd. ii En effet, Ben Sanâdyd,
s’étant rapproché de l’émir, qui l’accueillit avec distinc-
tion, écouta attentivement ses questions au sujet de
la guerre des Chrétiens et des dispositions qu’il fallait
prendre contre de pareils ennemis, et il lui répondit :
ff émir des Croyants! les Chrétiens (que Dieu très-
rc haut les confonde!) sont des hommes pleins de ruses
ffdans la guerre, et il nous convient d’abord de les
ff attaquer partout où ils se présenteront, en ayant
ff toujours nos regards portés sur leurs fronts. Que
ffpar ton ordre élevé, un cheikh Almohade, connu
ff pour son courage, sa religion et sa fidélité, s’avance
ff avec toutesles troupes composées des corps andalous,
ff Arabes , Zenèta , Mesmouda et autres Kabyles du Ma-
ff ghreb ; donne-lui une enseigne victorieuse qui se dé-
ff ploie sur leurs têtes bénies contre les soldats ennemis
ff (que Dieu les accable ! ). Garde auprès de toi l’armée
ff Almohade (que le Très-Haut la fortifie!), les nègres
fret les Hachcm, et tiens-toi dans les environs du
ff chanq) de batadle , masqué et de façon à être prêt à
31/i
r porter secours aux Musulmans si besoin en était. Tu
rr demeureras là, si nous remportons la victoire avec
ff ton khalife et par la grâce et la bénédiction du Très-
crHaut. Dans le cas contraire, tu te précipiteras avec
rrtes Almoliades sur l’ennemi que tu mettras alors
(f facilement en déroute. Tel est mon avis; que Dieu
ff l’agrée et toi aussi! — Très-bien, lui répondit El-
ff Mansour , ton conseil est excellent. Que le Très-Haut
cft’en récompense !n Là-dessus chacun s’en retourna
dans sa tente. L’émir des Musulmans passa toute la
nuit (vendredi U châaban) en prière, invoquant avec
ferveur Dieu très-haut (qu’il soit glorifié!) , et lui de-
mandant d’accorder la victoire aux Musulmans contre
leurs ennemis, les Infidèles. Enhn, à l’heure du sa-
haur ^ le sommeil vainquit ses yeux et il dormit quel-
ques instants dans la mosquée. Il fit un beau rêve,
et, se réveillant tout joyeux, û envoya chercher les
cheikhs Almohades et les docteurs, qui accoururent à
lui. Il leur dit : cr Je vous ai envoyé quérir à cette heure
fr pour vous raconter le motif de ma joie, et ce que j’ai
ff vu en songe par la puissance de Dieu durant cette
ff heure bénie. Pendant que j’étais prosterné, le som-
ff meil ayant été plus fort que mes yeux, j’ai vu en rêve
ffune porte qui s’ouvrait dans le ciel pour donner
ff passage à un cavalier monté sur un cheval blanc
ff qui descendit à moi. Ce cavalier était d’une beauté
ff éblouissante, et il tenait dans sa main un étendard
‘ ^j^ tempus paiilo anlc aiiiorani. Kam. jsS.- prima lux aurora\
kaai.
. 315
f’vert qui, en se déployant, aurait couvert le globe
ff par sa grandeur. Après le salut, je lui demandai qui
crêtes vous donc (que Dieu vous bénisse!)”? Il me ré-
rr pondit : Je suis un ange du septième ciel, envoyé
rf pour t’annoncer la victoire de la part du Maître de
rr l’univers; la victoire pour toi et pour tous ceux qui
(T t’accompagnent, et qui sont prêts à sacrifier leurs
ff vies pour mériter les récompenses du Très-Haut.
ff Alors il se mit à chanter ces vers , que j’ai retenus
ff comme s’ils étaient gravés dans mon cœur : ^ Bonne
ff nouvelle, la victoire de Dieu vient vers toi afin que
ffl’on sache que Dieu prête son appui à celui qui
ff défend sa cause. Réjouis-toi, car la victoire et le se-
ff cours divin te sont acquis et sont proches, et qu’il
ff n’y a pas de doute à concevoir sur la victoire que
ff Dieu donne. Tu abattras les armées chrétiennes par
ff l’épée et le massacre , et tu délivreras le pays de ce
ff culte dont il n’apparaîtra plus de vestiges, n Et c’est
ff ainsi que je compte sûrement sur la victoire et la
ff conquête, s’il plaît à Dieu chéri et bien aimé, n
Le samedi 5 de châaban, l’émir des Musulmans,
se tenant dans sa tente rouge, signe de combat
contre les ennemis, manda son premier ministre, le
vénérable Abou Yhya ben Hafs. (Les Béni Hais étaient
une tribu pleine de science et de religion qui s’était
jointe aux Almohades dans le Levant, et n’avait bien-
tôt formé qu’un seul et même corps avec eux.) Abou
Yhya se présenta, et l’émir lui donna le commande-
ment généi’al des troupes andalouses, des Arabes, Ze-
.316
nèta, des Hentâta, des volontaires et des tribus du
Maghreb ; il lui remit sa propre enseigne, l’heureuse, et
nomma les chefs de corps qu’il plaçait sous ses ordres,
savoir: Ben Sanâdyd, commandant des troupes anda-
louses; Djermoun ben Byàh , commandant de tous les
Arabes; Lémerid el-Maghraouy^ commandant des Ma-
ghraoua; Limayou ben Aby Beker ben Hamâma ben
Mohammed, commandant des Kabyles de Mediouna;
Djebyr ben Youssef, commandant des kabyles d’Abd
el-Ouahed; Abd el-Azyz el-Toudjyny, commandant
des Kabyles Toudjyny, Askoury et Mesmouda; Mo-
hammed ben Mounkâfid, commandant des Ghou-
mara; le Hadj Aby Arz Yhelef el-Ouaraby, comman-
dant des volontaires. L’émir des Musulmans garda
auprès de lui toute l’armée almohade et les nègres, et
donna ordre de se mettre en route. Le cheikh Abou
Yhya s’avança le premier avec le corps des guerriers
andalous, conunandés par le kaïd Sanâdyd. La mar-
che fut combinée de façon que l’émir arrivât le soir
sur le même lieu de campement que Abou \ hya avait
quitté le matin , et cela jusqu’au moment oii son armée
musulmane arriva en présence des sociétaires (que
Dieu les extermine!). Ils étaient campés sur une hau-
teur très-élevée et couverte de rochers escarpés et ar-
dus, en face de la ville d’Alarcos. L’armée musulmane
s’arrêta dans la plaine le mercredi matin, 9 de châa-
ban le sacré, et Abou ^ hya donna aussitôt ordre de
faire les préparatifs de combat et munit chaque com-
mandant d’une enseigne pour rallier sa troupe. II
. 317
donna le drapeau vert aux volontaires. Il fit placer les
troupes andalouses à sa droite, les Zenèta, les Mes-
niouda et tous les Arabes à sa gauche; au front, les
volontaires , les Aghzâz et les arbalétriers , et lui-même
il occupa le centre avec les Kabyles Hentâta. C’est dans
cet admirable ordre de bataille c[ue les premiers mou-
vements s’opérèrent; chaque troupe, ayant formé les
rangs, était prête à combattre autour de son dra-
peau. Le commandant des Arabes, l’émir Djermoun
ben Byâh, parcourait les rangs des Musulmans pour
exciter leur courage au nom de la guerre sainte et
en leur récitant ces versets du Miséricordieux :
Croyants ! soyez patients , luttez de patience les uns
avec les autres; soyez fermes et craignez Dieu. Vous serez
heureux^.
Croyants! si vous assistez Dieu dans sa guerre contre
les méchants, il vous assistera aussi et il affermira vos pas ^.
Ils étaient dans cette position en face de l’armée
ennemie, qui se trouvait sur les hauteurs à proxi-
mité de la ville, lorsqu’un corps considérable de sept
à huit mille cavaliers infidèles (que Dieu les con-
fonde!), tous cuirassés de fer et armés de pied en
cap, se précipita sur les rangs musulmans. Le clieïkh
Abou Yhya ben Hafs s’écria alors : cr compagnons
cr musulmans , serrez vos rangs , et que nul ne quitte
tf sa place ; tournez vos pensées vers le Très-Haut et
cr espérez en lui ! Priez Dieu chéri avec ferveur dans
‘ Koran, chap. m : la Famille d’imrara, vers. 200.
^ Koran, chap. xlvii : Mohammed, vers. 8.
320
et ils retournèrent en déroute dans la plaine, où ils
furent mis en pièces par les volontaires, les Arabes,
les Hentâta et les arbalétriers, qui n’en laissèrent pas
échapper un seul. L’insolence d’Alphonse fut ébran-
lée par le désastre des hommes sur lesquels il faisait
si grand compte. Des cavaliers arabes partirent aussi-
tôt au galop pour venir annoncer à l’émir des Musul-
mans que déjà Dieu très-haut avait vaincu l’ennemi.
A cette nouvelle, les tambours battirent, les dra-
peaux se déployèrent, les professions de foi reten-
tirent, et chacun se précipita pour combattre l’ennemi
de Dieu. L’émir des Musulmans et son armée Almo-
hade accoururent pour atteindre l’Infidèle; la cava-
lerie partit au {jalop, et les fantassins forcèrent la
marche pour arriver à temps au massacre.
En ce moment, le présomptueux Alphonse, l’en-
nemi de Dieu , s’avançait contre les Musulmans avec
toute son armée. En entendant le tambour à sa
droite, ce bruit immense, et sentant la terre trem-
bler sous ses pieds, il crut à un bouleversement gé-
néral; il leva la tète pour regarder du côté d’oi^i ve-
nait le tumulte, et il aperçut les drapeaux almohades
qui s’avançaient et l’étendard blanc le victorieux,
sur lequel était écrit : // ny a de Dieu que Dieu.
Mohammed est le prophète de Dieu; et il n’y a de vain-
queur que Dieu! Suivi par les héros musulmans
qui s’excitaient et se précipitaient en criant leur
profession de foi, il demanda : cr Qu’est-ce donc? —
ff le maudit, lui répondit-on, c’est l’émir des Mu-
ET ANNALES DE LA VtLLE DE FES. 3-21
rrsulmans qui arrive pour l’exterminer aujourd’hui,
ff avec cette armée et ces généraux qui t’atteindront
ff jusque sur ton sommet. ii Dieu chéri frappa d’é-
pouvante le cœur des Infidèles, et, mis en déroute,
ils firent voir leurs dos; les cavaliers musulmans
les abattaient en les frappant par devant et par der-
rière, et sans s’arrêter ils leur passaient leurs lances
et leurs sabres à travers le corps, et ils les en reti-
raient ensanglantés. Ils les poursuivirent ainsi en
les massacrant jusqu’à la ville d’Alarcos, où l’on pen-
sait que le maudit, ennemi de Dieu, s’était réfugié;
mais Alphonse, l’infidèle, était entré par une porte
et sorti par une autre du côté opposé. Les Musul-
mans pénétrèrent dans la place, les armes à la main,
après avoir incendié les portes , et la mirent au pil-
lage, enlevant tout ce qui s’y trouvait, armes, ri-
chesses, bêtes de somme, chevaux, femmes et en-
fants. Le nombre des Infidèles qui périrent ce jour-là
ne peut se compter ni se dépasser, et personne n’a
pu le savoir, si ce n’est Dieu très-haut. Il fut fait
vingtr-quatre mdle prisonniers , des plus nobles Chré-
tiens, et l’émir des Musulmans leur rendit généreu-
sement la liberté, et cela pour se rendre célèbre;
mais ce moyen ne plut point aux Almohades et aux
autres Musulmans, qui tinrent ce fait pour la plus
grande erreur dans laquelle souverain ait pu jamais
tomber.
Cette bataille sacrée eut lieu le 9 de châaban, en
591. Entre cette victoire dJAlarcos et celle de Zalaca,
322
il s’était écoulé cent douze ans. La victoire d’Alarcos
est célèbre dans les fastes de l’Islam, et c’est la plus
grande cpie les x\lmohades remportèrent pour l’a-
mour de leur Dieu et de leur religion. El-Mansour
écrivit la nouvelle de sa victoire à tous les peuples
de l’Islam qui étaient sous sa domination en Anda-
lousie, dans l’Adoua et en Itrîkya; il préleva le cin-
quième d’usage sur le butin, et il distribua tout le
surplus aux combattants. Puis il commença à courir
sur les terres des Chrétiens avec ses troupes, détrui-
sant les villes, les villages et les châteaux, pillant,
massacrant et faisant des prisonniers jusqu’à ce qu il
eut atteint le Djebel Selim; seulement alors il revint
sur ses pas avec ses soldats chargés de butin, et
jusqu’à son arrivée à Séville il ne trouva plus de
Chrétiens capables de se mesurer avec lui. A son
arrivée dans cette ville, il entreprit les premiers
travaux de la grande mosquée et de son magnifique
minaret (la Giralda).
Dans les premiers jours de l’an 592(ii95J.C,),
l’émir des Musulmans entreprit sa troisième expé-
dition contre les Infidèles. Il conquit les forteresses
de Kalat Rabali, l’Oued el-Hidjarà, Madjrit\ Djebel
Souleïman, et la plus grande partie des environs
de Tolède. Arrivé sous les murs de cette grande ville,
occupée par Alphonse, d en fit le siège et la resserra;
il lui coupa les eaux, incendia ses jardins et saccagea
‘ Aujourd’hui Calatrava, Guadalajara, Madrid.
ET ANNALES DE L\ VILLE DE FES. 323
ses campagnes. Alors il se porta sur la ville de Thel-
nianka \ où il entra les armes à la main , et massacra
toute la garnison, sans en excepter un seul homme;
il fit les femmes prisonnières, s’empara de toutes les
richesses, incendia les bazars, et finit par raser la
ville entière. Enfin, après avoir enlevé les châteaux
d’El-Belât et Terdjâla ^, il rentra à Séville dans les
premiers trois jours du mois de safar, an SgS, et il
reprit les travaux de la grande mosquée et du mi-
naret; il fit construire un fefafyhh (pommes super-
posées) aussi beau que possible, et d’une grandeur
surprenante , c’est-à-dire que la moyenne des pom-
mes ne put pas entrer par la porte du muezzin,
et que pour l’y faire passer, il ne fallut rien moins
que démolir la partie inférieure en marbre de
cette porte. Le pivot en fer sur lequel ces pommes
étaient montées pesait à lui seul ko rouba (1,000
livres). L’artiste qui construisit ces pommes et les
éleva au haut du minaret fut Abou el-Lyth el-
Sekkaly ; il employa pour les dorer 100,000 dinars
d’or.
Avant de passer en Andalousie pour la campagne
d’Alarcos, El-Mansour avait donné les ordres né-
cessaires pour faire bâtir : 1″ la k^bah de Maroc, la
mosquée sacrée et son beau minaret attenant à la-
dite kasbah; 2″ la mosquée El-Koutoubyn ; 3° la
ville de Rabat el-Fath sur les terrains de Salé: /i” la
‘ Aujourd’hui Salamanque.
‘ Aujourd’hui Albalete et Truxillo.
32/i
mosquée d’Hassan et son minaret (tour d’Hassan ‘).
Lorsque la mosquée de Séville fut achevée et qu’il
y eut fait la prière, l’émir des Musulmans ordonna
de bâtir la forteresse d’El-Ferdj sur le bord du fleuve
de Séville, et revint dans i’Adoua. 11 arriva à Maroc
dans le mois de châaban h^k (1197 J. G.), et il
trouva que tous ses ordres avaient été exécutés;
toutes les constructions, kasbah, palais”, mosquées
et minarets étaient achevés, et pour tout cela on ne
s’était servi que du cinquième du butin fait sur les
Chrétiens. Il manifesta un grand mécontentement
contre les intendants et les ouvriers qui avaient di-
rigé ces travaux , parce qu’on lui rapporta , par ja-
lousie, qu’ils avaient détourné une partie des sommes
qu’ils avaient reçues, et que, de plus, ils n’avaient
fait que sept portes à la mosquée, même nombre que
celles de l’enfer. Mais lorsqu’d visita cette mosquée
il ne put s’empêcher d’être satisfait, et ayant alors
‘ La lour d’Hassan, à Rabat, la tour de Maroc et la Giralda de
Sëville . orri toutes trois la môme forme , le même escalier et les mêmes
. proportions. Selon toutes les traditions . elles ont été construites par le
/ môme architecte «• musulman, né à Séville, nommé Gucver,y> d’après
don Antonio Ponz. La tour dHassan est encore parfaitement con-
servée. La rampe seule est un peu dégradée , ainsi que l’angle de
l’est sud-est, qui a été emporté par la foudre alaTîn du siècle der-
nier. La tour d’Hassan, entièrement abandonnée aux ravages du
temps et des animaux qui y ont leurs nids ou leurs repaires , est
située à deux milles environ de la ville de Rabat, sur une hautem-,
au bord de la rivière. Elle se voit de fort loin , et sert en mer de
point de reconnaissance aux navires qui viennent à Rabat. Elle peut
avoir de 65 à 70 mètres de hauteur au-dessus du sol.
325
demandé aux entrepreneurs combien de portes ils
avaient laites, ceux-ci lui répondirent : w sept, et celle
frpar laquelle est entré l’émir des Musulmans est la
^f huitième. — Bien, dit-il, si c’est comme cela, il n’y
cra pas de mal, car ils ont su me répondre; n et il
fut très-content.
Quelque temps après son arrivée à Maroc, l’émir
des Musulmans désigna pour son successeur son fds
Aby Abd Allah, surnommé El-Nasser Ledyn Illah,
qu’il fit reconnaître par tous les Almohades et par
tous ses sujets de l’Andalousie, du Maghreb et de
rifrîkya, depuis Tripoli jusqu’au Bled Noun du Sous
el-Aksa, et depuis la mer jusqu’au Sahara dans le Sud.
Dans tout le pays compris dans ces limites, villes,
villages, plaines et montagnes, Berbères et Arabes
nomades, on reconnut le successeur désigné et on
lui paya les impôts, l’aumône et la dîme, et on fit
le klîotbah en son nom. Après cette proclamation,
et avoir assis son fils sur le trône des khalifes, en lui
remettant le gouvernement et la direction des af-
faires, El-Mansour se retira dans son palais, où la
maladie s’empara de lui. C’est alors qu’il dit : ce De
rr toutes les actions de ma vie et de mon règne, je
rrn’en regrette que trois, trois choses qu’il aurait
cr beaucoup mieux valu que je ne fisse point : la pre-
fcmière, c’est d’avoir introduit au Maghreb les Arabec
^nomades de VIfrîhja, parce que je me suis déjà
cr aperçu qu’ils sont la source de toutes les séditions;
ffla deuxième, cest d’avoir bâti la ville de Rabat el-
326
«Fath, pour laquelle j’ai épuisé inutilement le trésor
ff public, et la troisième, c’est d’avoir rendu la liberté
naux prisonniers d’Alarcos, car ils ne manqueront
ff pas de recommencer la guerre, n El-Mansour mou-
rut après la dernière prière du soir du vendredi 2 2
raby el-aouel, an Bgô, dans la kasbah de Maroc.
Mais la durée n’appartient qu’à Dieu qui est seul
adorable.
El-Mansour fut le plus grand roi des Almohades,
le meilleur et le plus magnanime en toutes choses.
Son gouvernement fut excellent; il augmenta le tré-
sor; sa puissance fut élevée; ses actions celles d’un
souverain célèbre; sa religion fut profonde et il fit
beaucoup de bien aux Musulmans. (Que Dieu lui
fasse miséricorde par sa grâce, sa générosité et sa
bonté, car il est clément et il aime à pardonner!)
KÈGNE DE L’ÉMIR DES MUSULMANS EL-NASSEB BEN EL-MA.NSULK
BEN YOUSSEF BEN ABD EL-MOUMEN BEN ALY.
L’émir des Croyants El-Nasser ben Yacoub ben
Youssef ben Abd el-Moumen ben Alv, le Zenèta, le
Koumy, l’Almohade, eut pour mère une femme lé-
gitime nommée Ammet Allah (servante de Dieu),
fille du sid Abou Ishac ben Abd el-Moumen ben
Aly. Il fut surnommé El-Nasser Ledyn lUab. Son ca-
chet portait pour devise : A Dieu j’ai conjié mon sort,
car il est mon espoir et le meilleur oukil ‘ (direrttuii”
. 327
loiidé de pouvoirs). Ses écrits commençaient tous
par Louanges à Dieu V unique! Blanc, haut de taille,
teint pâle, yeux doux et noirs, grande barbe et sour-
cils épais; il était persévérant en toutes choses, con-
seiller agréable et très-attentif à ses affaires et à son
gouvernement, qu’il dirigeait seul. Il eut pour mi-
nistres Ben el-Chahyd et Ben Methna , au-dessus des-
quels était son hadjeb, le kaïd Abou Saïd ben Djâmy
(que Dieu le maudisse!). El-Nasser ne fut point re-
connu souverain durant la vie de son père, mais il
fut proclamé partout le vendredi matin, quelques
heures après que El-Mansour eut rendu le dernier
soupir. Sa domination s’étendit sur tous les pays al-
mohades, et l’on prêcha et pria en son nom dans
toutes les chaires. Il demeura à Maroc jusqu’à la fin
de raby el-tâny, et il en sortit le j*^”” de djoumad el-
aouel pour venir à Fès, où il finit l’année 696 ; il se
rendit alors au Djebel Glioumara, où il combattit
Haloudàn el-Ghoumary qui s’était insurgé. A son
retour à Fès, il fit reconstruire la kasbah et les mu-
railles que son grand-père, Abd el-Moumen, avait
détruites lors de sa conquête, et il resta dans cette
capitale jusqu’en BgS. A cette époque \\ reçut la
nouvelle de l’Ifrîkya que le Mayorky s’était mis en
état de révolte et s’était déjà emparé de plusieurs
villes. Il sortit en hâte de Fès pour se rendre en
Ifrîkya, et il arriva à Djezair Béni Mezghanna \ d’où il
‘ Alger. Les Béni Mezghanna habitent aujourd’hui l’Aghâhk des
Béni Djâd, à quarante-cinq kilomètres sud-est d’Alger.
328
partit avec sa troupe et sa flotte pour aller attaquer
la ville de Mayorka \ qu’il conquit et enleva aux Al-
moravides, dans le mois de raby el-aouel, an 600.
La population de la ville vint en masse faire sa sou-
mission et saluer l’émir des Musulmans El-Nasser,
qui accueillit chacun avec bienveillance et accorda
gracieusement tout ce qui lui fut demandé. Il nomma
kady de Mayorka, l’imam versé dans le Hadits, Abd
Allah ben Houth Allah , et il revint alors dans l’Ifrî-
kya, dont il parcourut toutes les provinces, exami-
nant les affaires de ses sujets, et chassant devant
lui le Mayorky, qui s’enfuit au Sahara. Il reçut la
soumission de tous ceux chez lesquels il se présentait,
et de toutes les places, sans être obligé de combattre,
à l’exception de la Mehdïa , qui était gouvernée parEI-
lladj -, lieutenant de Yhya el-Mayorky, aussi coura-
geux ([u’instruit dans l’art militaire. El-Nasser campa
sous les murs de la place, et en fit le siège par terre
et par mer, en employant les balistes et autres ma-
chines de guerre. Les Almohades et autres troupes
ne cessaient de combattre jour et nuit, mais El-Hâdj
leur opposait une défense vigoureuse, et il se montra
bon et infatigable soldat. Le siège dura longtemps,
et les Almohades surnommèrent El-Hâdj Yhfdèle.
Enfin El-Nasser, redoublant de vigueur, érigea contre
la place une machine sans égale pour la grandeur et
‘ Majonjue.
^ El-Hadj (le pèlerin) Aly ben Ghâzy ben Mohammed ben Aly
ben Ghanîa.
329
qui lançait des projectiles du poids de cent vingt-
cinq livres, qui détruisaient la ville. Enfin une de
ces pierres ayant atteint au milieu les battants de la
grande porte, les brisa en deux, quoiqu’ils fussent
entièrement en fer. (Ces battants roulaient sur des
gonds en cristal vert, et étaient supportés par des
lions de cuivre jaune sculptés.) Lorsque El-Hâdj vit
cela, il comprit qu’il ne pouvait se soutenir davan-
tage et qu’il fallait se soumettre au bon vouloir de
l’émir des Croyants. En conséquence il le proclama
en lui faisant remise de la ville. El-Nasser lui ac-
corda l’aman et le pardonna généreusement; il lui
fit une bonne position, et, reconnaissant le courage
avec lequel il avait défendu la place qui lui avait été
confiée par son maître, il ordonna aux Musulmans
qui l’avaient surnommé El-Hddj el-Kàfer (le Hâdj
infidèle) , de ne plus l’appeler désormais que El-Hddj
el-Kdfy (le Hàdj serviable). Cette conquête de la
Mehdïa eut lieu en l’an 601.
En 602 ( 1 2o5 J. C), l’émir des Musulmans confia
le gouvernement général de l’Ifrîkya au cbeïkli Abou
Mohammed Abd er-Rhaman ben Aby Beker ben Aby
Hafs, et il retourna au Maghreb. A son arrivée à
l’Oued Chélif, Yhya el-Mayorky se présenta devant
lui avec une armée considérable d’Arabes, de Sen-
hadja et de Zenèta , et il le battit complètement
dans une grande bataille, le mercredi, dernier jour
de raby el-aouel, an 606 (1-207 ^- ^•)- Dans cette
même année, El-Nasser ordonna de construire la ville
330
d’Oudjda, et les premiers travaux commencèrent le
i^”” de radjeb. C’est aussi à cette même époque qu’il
fit bâtir les remparts d’El-Mezemma ^ et la forteresse
de Badès ^, dans le Rif. Au mois de chouel, l’émir
sortit de Fès pour Maroc, après avoir donné les
ordres nécessaires pour la construction de l’aqueduc
de l’Adoua el-Andalous, qui apporte en ville l’eau
de la source située au dehors du Bab el-Hadid. Il
avait également fait bâtir la porte du Nord, ornée
d’un escalier, sur le terrain situé devant la cour de
la mosquée El-Andalous (que la parole de Dieu l’en-
noblisse!); il employa pour ces travaux des sommes
considérables du bit el-mal. Dans la même année,
d fit construire la chapelle de l’Adoua el-Kairaouyn ,
et il ordonna aux Croyants de ne plus prier désor-
mais dans celle de l’Adoua el-Andalous. Les fidèles
se conformèrent à cette injonction pendant trois an-
nées consécutives , au bout desquelles ils firent comme
auparavant leurs prières dans l’Adoua el-Andalous.
El-Nasser entra à Maroc en 60 5, et l’année suivante ,
606 (1909 J. C), H reçut la nouvelle qu’Alphonse
(Dieu le maudisse!) envahissait les terres de l’Islam,
renversant vdles etvdlages, massacrant les hommes,
enlevant les femmes et pillant les trésors et les biens
des habitants. El-Nasser fit aussitôt un appel à ses
peuples et distribua de l’argent aux kaïds et aux sol-
‘ El-Mezemma, sur l’Oued Nokour, près d’AIhucema.
” Badès (Penon de Veiez), porl. point de débarquement dans le
llif , le plus proche de Fès.
. 331
dats. Il fit prêcher la guerre contre les Infidèles dans
toutes les parties du Maghreb, de l’ifrîkya et du Sud,
et un nombre considérable de Musulmans répondi-
rent à son appel; toutes les tribus du Maghreb, cava-
lerie et infanterie, vinrent à lui avec le plus grand
empressement. Quand toute l’armée fut réunie, l’émir
se mit à la tête de l’expédition , et sortit de Maroc le
1 9 de châaban le béni, an 607 (i 5 1 o J. C). Il arriva
à Kessar el-Djouez, et commença aussitôt l’embarque-
ment des troupes. Le passage des Kabyles, des sol-
dats, des chevaux et du matériel dura depuis le i*”” du
mois de chouel jusqu’à la fin du mois de dou’l kâada.
Lorsque tout fut passé, l’émir s’embarqua lui-même
et arriva le 26 dou’l kâada sur la plage de Tarifa, oi^i
il trouva tous les kaïds, les fekhys et les saints de
l’Andalousie qui étaient venus le saluer. Il resta trois
jours à Tarifa et se mit en marche pour Séville avec
une armée innombrable. Ses légions couvraient les
plaines et les hauteurs comme des nuées de saute-
relles, et à peine y avait-il assez d’espace et d’eau
pour elles. El-Nasser fut émerveillé en voyant la gran-
deur et la force de ses troupes, et d les divisa en cinq
corps : première division, les Arabes; deuxième divi-
sion, les Zenèta, Senhadja, Mesmouda et tous les
autres Kabyles du Maghreb; troisième division, les
volontaires, au nombre de cent soixante mille, entre
cavaliers et fantassins ; quatrième division , les An-
dalous; cinquième division, les Almohades. Il or-
donna à chacun de ces grands corps de marcher par
332
des routes ou des côtés différents, et il arriva à Sé-
viHe le 1 7 dou’l hidjâ de ladite année 607. A la nou-
velle de son débarquement en Andalousie, tous les
pays chrétiens furent frappés de stupeur, et la crainte
s’empara des cœurs de leurs rois, qui s’empressèrent
d’abandonner le voisinage des villes et des villages
musulmans pour aller se fortifier chez eux. La plu-
part de ces émirs lui écrivirent pour lui adresser des
compliments et réclamer son indulgence. Un d’eux,
le roi de Byouna ^ vint même en personne lui de-
mander la paix et le pardon. Lorsque ce maudit-là
apprit que l’émir des Musulmans était entré à Séville,
il en fut si consterné pour lui et pour son pays, qu’il
lui envoya un courrier pour lui demander l’autorisa-
tion de venir auprès de lui. El-Nasser la lui accorda,
et en même temps il envoya des ordres sur toute la
route que le maudit devait suivre, afin qu’à chaque
étape on lui donnât une libérale hospitalité pendant
trois jours, et qu’on lui retînt mille cavaliers de son
escorte en le congédiant le quatrième jour. Ce roi
sortit de son gouvernement à la tête d’une armée
pour venir chez l’émir des Musulmans, et dès qu’il
arriva sur les terres musulmanes, il fut reçu par les
kaïds qui venaient en grande pompe au-devant de
lui avec leurs troupes et une partie de la population.
A chaque halte, on lui donnait, pendant trois jours,
une généreuse et splendide hospitalité, et le qua-
trième jour, au moment de son départ, on lui re-
‘ Bayonne.
. 333
tint mille cavaliers de son armée. L’on lit cela par-
tout jusqu’à son arrivée à Garmouna, où il ne lui
restait plus que mille cavaliers pour toute escorte.
Après l’avoir fêté comme les autres pendant trois
jours, le gouverneur de cette ville lui retint les derniers
mille cavaliers , et alors il se récria en disant : cr Com-
ffment! vous m’enlevez même cette dernière escorte
rr qui m’accompagne chez l’émir des Croyants ? — Allez
fcdonc, lui répondit-on, pour arriver chez l’émir des
fr Croyants vous n’avez besoin d’autre protection que
rc celle de son épée et de sa parole qui ne vous fera pas
rr défaut, -il En effet, il quitta Carmouna (que Dieu le
maudisse!) accompagné seulement de ses femmes, de
ses serviteurs et des porteurs de ses cadeaux pour El-
Nasser. Au nombre de ces présents figuraient les lettres
que le Prophète (que Dieu le comble de bénédictions ! )
avait écrites à Harkal, roi des Chrétiens ^ Le maudit
apportait ces lettres pour obtenir sûrement son par-
don et prouver qu’il tenait son royaume de très-
grands et très-hauts ancêtres. Ces nobles écrits étaient
pour eux effectivement un bien riche* héritage ; ils
étaient soigneusement recouverts d’une étoffe de soie
verte et enfermés dans une boîte en or parfumée de
musc, et certes, tout cela était peu encore! L’émir
des Musulmans ordonna à ses troupes de former la
haie depuis la porte de Carmouna jusqu’cà celle de
Séville, et aussitôt, cavaliers et fantassins formèrent
les rangs sur la droite et sur la gauche; ils étaient
‘ Héraclius , roi des Grecs.
334
tous en grande tenue de vêtements, d’armes et de har-
nais, et ils se touchaient l’un l’autre sur toute la ligne
des rangs de Carmouna à Séville, soit sur un parcours
de quarante milles environ de longueur. L’émir de
Bayonne avança ainsi sous l’ombre des épées et des
lances musulmanes, et à son approche de Séville, El-
Nasser fit dresser sa tente rouge hors de la ville sur
la route de Carmouna, et il y fit placer trois sièges.
Alors il demanda quel était celui d’entre les kaïds qui
connaissait la langue barbare. On lui désigna Abou el-
Djyouch, et il le fit appeler : a Abou el-Djyouch, lui
rr dit-il, lorsque cet infidèle arrivera, il faudra bien
frque je le reçoive convenablement; mais, s’il vient à
crmoi et que je me lève pour aller au-devant de lui,
(ff agirai contrairement au Sonna , qui défend de se lever
^pour un infidèle en Dieu très-hmit. D’un autre côté, si
cf je ne me dérange pas et que chacun fasse comme
ce moi , ce sera manquer aux égards de politesse qui
fr lui sont dus , car il est grand roi d’entre les rois
ff chrétiens , il est mon hôte et il est venu me rendre
ff visite. Je fordonnne donc de te poster au milieu de
cria tente, et lorsque l’infidèle se présentera à une
reporte, j’entrerai, moi, par l’autre porte. Tu te lève-
tf ras aussitôt et tu me prendras la main pour me faire
ff asseoir à ta droite ; tu offriras également l’autre main
cr à l’infidèle et tu le feras asseoir à ta gauche , et tu
fcte placeras toi-même entre nous deux pour nous
rf servir d’interprète ^ n Le kaïd Abou el-Djyouch exé-
‘ Au Maroc, les sultans montent à cheval pour recevoir les am-
. 385
cuta litléralement le tout, et lorsque l’émir et le roi
de Bayonne furent assis, il dit à celui-ci, rr Voici le
fc prince des Musulmans, i^ et ils échangèrent leurs sa-
lutations. Alors ils parlèrent librement et ils causè-
rent très-longtemps ; puis ils montèrent tous deux à
cheval et ds se mirent en marche, le roi de Bayonne
se tenant un peu en arrière de l’émir; ils étaient es-
cortés de toute la cavalerie almohade, et ils furent
reçus en grande pompe par les troupes et les habi-
tants de Séville, et ce fut un grand jour de fête. El-
Nasser entra en ville précédant le roi de Bayonne.
qu’il installa dans l’intérieur de Sévdle grandement
et de manière à satisfaire tous ses désirs. Il lui accorda
la paix pour tout le temps de son règne et de celui de
ses descendants almohades, et û le congédia comblé
de bienfaits et après lui avoir accordé toutes ses de-
mandes.
Aussitôt après cette visite, El -Nasser se mit en
campagne pour aller attaquer les frontières de la
bassadeurs chi’étiens qui leur sont présentés à pied et à dislance. Jus-
qu’en ces dernières années, les ministres, les pachas, les kaïds et
tous les autres fonctionnaires marocains ne se levaient jamais devant
les agents européens, et lorsque quelqu’un de ceux-ci se formalisait
de ce manque d’égards , on s’excusait en prétextant l’ignorance des
usages chrétiens. Enfin un chargé d’affaires de France, qui avait
appris en pays arabes à ne point croire à ce genre d’ignorance des
Musulmans , força le ministre , pacha de Tanger, à venir en personne
lui faire des excuses au consulat général pour être resté assis en le
recevant, et depuis lors les fonctionnaires marocains emploient, à
l’occasion, le stratagème de l’émir El-Nasser; ils entrent dans le lieu
de réception en même temps que leurs visiteurs.
336
Gastille. Il ])artit le i” de safar, an 608 (i 2 1 1 J. C),
et il arriva jusque sous les murs de Salvatierra. C’était
une magnifique forteresse , située sur le sommet d’une
haute montagne qui se perdait dans les nues, et à la-
quelle on ne pouvait parvenir que par un seul chemin
étroit et difficile. Aussitôt arrivé , il commença le siège
de cette forteresse, contre laquelle il érigea quarante
catapultes sans aucun résultat. Son visir Abou Saïd
ben Djàmy, qui était de basse extraction et méprisé
par la noblesse almohade , s’était mis , dès son avè-
nement au pouA^oir de hadjeb, à persécuter les nobles
et les hauts fonctionnaires, si bien quil les éloigna
tous d’El-Nasser, et qu’il conserva seul toute la direc-
tion des affaires avec un certain homme connu sous
le nom de Ben Mounsa. L’émir n’entreprenait rien
sans leur demander conseil. En passant auprès de
cette forteresse pour se rendre en Gastille, il fut frappé
des difficultés qu’elle présentait; mais ses conseillers
lui répondirent : cr prince des Musulmans, n’allons
crpas outre avant de nous en être emparés, et ce sera
cr le début de nos victoires, s’il plaît à Dieu très-haut! 17
L’on raconte qu’El-Nasser demeura si longtemps sous
les murs de Salvatierra, que les hirondelles bâtirent
leurs nids sous sa tente, firent leurs œufs et leurs
petits, qui devinrent grands et s’envolèrent. Il y resta
en effet pendant huit mois, et lorsque fhiver arriva,
le froid était si rigoureux que les vivres devinrent de
plus en plus rares pour les hommes et pour les ani-
maux. Les soldats, dénués de tout, après avoir con-
. 337
sommé tout ce qu’ils avaient, perdirent courage, et
leui” découragement pervertit l’esprit qui les animait
pour la guerre sainte. Ils se fatiguèrent du repos et de
la misère. Lorsque l’ennemi de Dieu, Alphonse, se
fut bien assuré de cet état de choses, et qu’il apprit
que les forces musulmanes, ayant perdu leur pre-
mière ardeur, commençaient à se disperser, il prit
ses dispositions pour les atteindre, et il éleva la croix
invoquée dans toutes les contrées des Infidèles. Les
rois chrétiens arrivèrent à lui avec leurs troupes
pleines d’enthousiasme et avides de massacre et de
carnage; il fut également rejoint par les serviteurs
(pénitents) de sainte Marie, possédés de leur ferveui*
païenne. Quand toute l’armée fut réunie, Alphonse
se mit en marche et arriva sous les murs de la place
forte de Kalat Rabah (Calatrava), qui était comman-
dée par le kaïd juste et distingué le guerrier Abou
el-Hadjej ben Kâdys, et défendue par une garnison de
soixante et dix cavaliers musulmans. Alphonse en fit
le siège et la réduisit aux dernières extrémités. Ben
Kâdys souffrit beaucoup ; chaque jour il expédiait un
courrier à l’émir des Musulmans pour l’informer de
sa détresse et lui demander du secours; mais lorsque
ses lettres arrivaient au ministre, celui-ci les cachait
soigneusement, de crainte que l’émir, en les lisant,
n’eût envie d’abandonner le siège de la forteresse; et
tout cela n’était qu’une trahison envers l’émir et en-
vers tous les Musulmans ! C’est ainsi qu’il lui cachait la
situation du pays et de ses sujets, et les événements
328
partit avec sa troupe et sa flotte pour aller attaquer
la ville de Mayorka \ qu’il conquit et enleva aux Al-
moravides, dans le mois de raby el-aouel, an 600.
La population de la ville vint en masse faire sa sou-
mission et saluer l’émir des Musulmans El-Nasser,
qui accueillit chacun avec bienveillance et accorda
gracieusement tout ce qui lui fut demandé. Il nomma
kady de Mayorka, l’imam versé dans le Hadits, Abd
Allalî ben Houth Allah , et il revint alors dans l’Ifrî-
kya, dont il parcourut toutes les provinces, exami-
nant les affaires de ses sujets, et chassant devant
lui le Mayorky, qui s’enfuit au Sahara. 11 reçut la
soumission de tous ceux chez lesquels il se présentait,
et de toutes les places, sans être obligé de combattre,
à l’exception de la Mehdïa , qui était gouvernée par El-
Hâdj -, lieutenant de ^hya el-Mayorky, aussi coura-
geux qu’instruit dans l’art militaire. El-Nasser campa
sous les murs de la place, et en fit le siège par terre
et par mer, en employant les balistes et autres ma-
chines de guerre. Les iVlmohades et autres troupes
ne cessaient de combattre jour et nuit, mais El-Hàdj
leur opposait une défense vigoureuse, et il se montra
bon et infatigable soldat. Le siège dura longtemps,
et les Almohades surnommèrent El-Hâdj Xlnfidèle.
Enfin El-Nasser, redoublant de vigueur, érigea contre
la place une machine sans égale pour la grandeur et
‘ Majorque.
‘ El-Hadj (le pèlerin) Aly ben Ghâzy ben Mohammed ben Aly
ben Ghanîa.
. 329
qui lançait des projectiles du poids de cent vingt-
cinq livres, qui détruisaient la ville. Enfin une de
ces pierres ayant atteint au milieu les battants de la
grande porte, les brisa en deux, quoiqu’ils fussent
entièrement en fer. (Ces battants roulaient sur des
gonds en cristal vert, et étaient supportés par des
lions de cuivre jaune sculptés.) Lorsque El-Hâdj vit
cela, il comprit qu’il ne pouvait se soutenir davan-
tage et qu’il fallait se soumettre au bon vouloir de
l’émir des Croyants. En conséquence il le proclama
en lui faisant remise de la ville. El-Nasser lui ac-
corda l’aman et le pardonna généreusement; il lui
fit une bonne position, et, reconnaissant le courage
avec lequel il avait défendu la place qui lui avait été
confiée par son maître, il ordonna aux Musulmans
cjui l’avaient surnommé El-Hddj el-Kâfer (le Hâdj
infidèle) , de ne plus l’appeler désormais que El-Hddj
el-Kâfy (le Hàdj serviable). Cette conquête de ia
Mehdïa eut lieu en l’an 601.
En 602 (1 2o5 J. C), l’émir des Musulmans confia
le gouvernement général de l’Ifrikya au cheikh Abou
Mohammed Abd er-Rhaman ben Aby Beker ben Aby
Hafs, et il retourna au Maghreb. A son arrivée à
l’Oued Chélif , Yhya ei-Mayorky se présenta devant
lui avec une armée considérable d’Arabes, de Sen-
hadja et de Zenèta , et il le battit complètement
dans une grande bataille, le mercredi, dernier jour
de raby el-aouel, an 6o/i (1207 J. C). Dans cette
même année, El-Nasser ordonna de construire la ville
330
d’Oudjda, et les premiers travaux commencèrent le
i^”” de radjeb. C’est aussi à cette même époque qu’il
fit bâtir les remparts d’El-Mezemma^ et la forteresse
de Badès ^, dans le Rif. Au mois de cliouel, l’émir
sortit de Fès pour Maroc, après avoir donné les
ordres nécessaires pour la construction de l’aqueduc
de l’Adoua el-Andalous, qui apporte en ville l’eau
de la source située au dehors du Bab el-Hadid. Il
avait également fait bâtir la porte du Nord , ornée
d’un escalier, sur le terrain situé devant la cour de
la mosquée El-Andalous (que la parole de Dieu l’en-
noblisse!); il employa pour ces travaux des sommes
considérables du bit el-mal. Dans la même année,
il fit construire la chapelle de l’Adoua el-Kairaouyn,
et il ordonna aux Croyants de ne plus prier désor-
mais dans celle de l’Adoua el-Andalous. Les fidèles
se conformèrent à cette injonction pendant trois an-
nées consécutives , au bout desquelles ils firent comme
auparavant leurs prières dans l’Adoua el-Andalous.
El-Nasser entra à Maroc en 60 5, et l’année suivante,
(106 (1209 J. C), il reçut la nouvelle qu’Alphonse
(Dieu le maudisse!) envahissait les terres de flslam,
renversant villes et villages, massacrant les hommes,
enlevant les femmes et pillant les trésors et les biens
des habitants. El-Nasser fit aussitôt un appel à ses
peuples et distribua de l’argent aux kaïds et aux sol-
‘ El-Mezemma , sur l’Oued Nokour. près d’Alhucema.
“” Badès (Peiion de Veiez), port, point de débarquement dans le
llif. le j)lus proche de Fès.
. 331
dats. 11 fit prêcher la guerre contre les Infidèles dans
toutes les parties du Maghreb, de l’Krîkya et du Sud,
et un nombre considérable de Musulmans répondi-
rent à son appel; toutes les tribus du Maghreb, cava-
lerie et infanterie, vinrent à lui avec le plus grand
empressement. Quand toute l’armée fut réunie, l’émir
se mit à la tête de l’expédition, et sortit de Maroc le
19 de châaban le béni, an 607 (i5io J. C). 11 arriva
à Kessar el-Djouez, et commença aussitôt l’embarque-
ment des troupes. Le passage des Kabyles, des sol-
dats, des chevaux et du matériel dura depuis le i*””du
mois de chouel jusqu’à la fin du mois de dou’l kâada.
Lorsque tout fut passé, l’émir s’embarqua lui-même
et arriva le 26 dou’l kâada sur la plage de Tarifa, 011
il trouva tous les kaïds , les fekhys et les saints de
l’Andalousie qui étaient venus le saluer. Il resta trois
jours à Tarifa et se mit en marche pour Séville avec
une armée innombrable. Ses légions couvraient les
plaines et les hauteurs comme des nuées de saute-
relles, et à peine y avait-il assez d’espace et d’eau
pour elles. El-Nasser fut émerveillé en voyant la gran-
deur et la force de ses troupes, et û les divisa en cinq
corps : première division, les Arabes; deuxième divi-
sion, les Zenèta, Senhadja, Mesmouda et tous les
autres Kabyles du Maghreb; troisième division, les
volontaires, au nombre de cent soixante mille, entre
cavaliers et fantassins ; quatrième division , les An-
dalous; cinquième division, les Almohades, Il or-
donna à chacun de ces grands corps de marchei’ par
332
des routes ou des côtés différents, et d arriva à Sé-
ville ie 1 7 dou’l hidjâ de ladite année 607. A la nou-
velle de son débarquement en Andalousie, tous les
pays chrétiens furent frappés de stupeur, et la crainte
s’empara des cœurs de leurs rois, qui s’empressèrent
d’abandonner le voisinage des villes et des villages
musulmans pour aller se fortifier chez eux. La plu-
part de ces émirs lui écrivirent pour lui adresser des
compliments et réclamer son indulgence. Un d’eux,
le roi de Byouna ^ vint même en personne lui de-
mander la paix et le pardon. Lorsque ce maudit-là
apprit que l’émir des Musulmans était entré à Séville,
il en fut si consterné pour lui et pour son pays, qu’il
lui envoya un courrier pour lui demander l’autorisa-
tion de venir auprès de lui. El-Nasser la lui accorda,
et en même temps il envoya des ordres sur toute la
route que le maudit devait suivre, afin qu’à chaque
étape on lui donnât une libérale hospitalité pendant
trois jours, et qu’on lui retînt mille cavaliers de son
escorte en le congédiant le quatrième jour. Ce roi
sortit de son gouvernement à la tête d’une armée
pour venir chez l’émir des Musulmans, et dès qu’il
arriva sur les terres musulmanes, il fut reçu par les
kaïds qui venaient en grande pompe au-devant de
lui avec leurs troupes et une partie de la population.
A chaque halte, on lui donnait, pendant trois jours,
une généreuse et splendide hospitalité, et le qua-
trième jour, au moment de son départ, on lui re-
‘ Bayoïine.
. 333
tint mille cavaliers de son armée. L’on fit cela par-
tout jusqu’à son arrivée à Carmouna , où il ne lui
restait plus que mille cavaliers pour toute escorte.
Après l’avoir fêté comme les autres pendant trois
jours, le gouverneur de cette ville lui retint les derniers
mille cavaliers, et alors il se récria en disant : rr Com-
ff ment! vous m’enlevez même cette dernière escorte
(T qui m’accompagne chez l’émir des Croyants ? — Allez
fcdonc, lui répondit-on, pour arriver chez l’émir des
rr Croyants vous n’avez besoin d’autre protection que
ff celle de son épéc et de sa parole qui ne vous fera pas
r: défaut, n En effet, il quitta Carmouna (que Dieu le
maudisse!) accompagné seulement de ses femmes, de
ses serviteurs et des porteurs de ses cadeaux pour El-
Nasser. Au nombre de ces présents figuraient les lettres
que le Prophète (que Dieu le comble de bénédictions ! )
avait écrites à Harkal, roi des Chrétiens ^ Le maudit
apportait ces lettres pour obtenir sûrement son par-
don et prouver qu’il tenait son royaume de très-
grands et très-hauts ancêtres. Ces nobles écrits étaient
pour eux eflectivement un bien riche* héritage; ils
étaient soigneusement recouverts d’une étofTe de soie
verte et enfermés dans une boîte en or parfumée de
musc, et certes, tout cela était peu encore! L’émir
des Musulmans ordonna à ses troupes de former la
haie depuis la porte de Carmouna jusqu’à celle de
Séville, et aussitôt, cavaliers et fantassins formèrent
les rangs sur la droite et sur la gauche; ils étaient
‘ Héraclius, roi des Grecs.
3U
tous en grande tenue de vêtements, d’armes et de har-
nais, et ils se touchaient l’un l’autre sur toute la ligne
des rangs de Carmouna à Séville , soit sur un parcours
de quarante milles environ de longueur. L’émir de
Bayonne avança ainsi sous l’ombre des épées et des
lances musulmanes, et à son approche de Séville, El-
Nasser fit dresser sa tente rouge hors de la ville sur
la route de Carmouna, et il y fit placer trois sièges.
Alors il demanda quel était celui d’entre les kaïds qui
connaissait la langue barbare. On lui désigna Abou el-
Djyouch , et il le fit appeler : rr Abou el-Djyouch, lui
fc dit-il, lorsque cet infidèle arrivera, il faudra bien
ff que je le reçoive convenablement; mais, s’il vient à
ff moi et que je me lève pour aller au-devant de lui,
(^f agirai contrairement au Sonna , qui défend de se lever
^rpour un infidèle en Dieu très-haut. D’un autre côté, si
trje ne me dérange pas et que chacun fasse comme
crmoi, ce sera manquer aux égards de politesse qui
a lui sont dus, car il est grand roi d’entre les rois
ff chrétiens , il est mon hôte et il est venu me rendre
cr visite. Je t’ordonnne donc de te poster au milieu de
ffla tente, et lorsque l’infidèle se présentera à une
ff porte, j’entrerai, moi, par l’autre porte. Tu te lève-
ff ras aussitôt et tu me prendras la main pour me faire
ff asseoir à ta droite ; tu offriras également l’autre main
ff à l’infidèle et tu le feras asseoir à ta gauche , et tu
ffte placeras toi-même entre nous deux pour nous
ff servir d’interprète ^ n Le kaïd Abou el-Djyouch exé-
‘ Au Maroc . les sultans montent à cheval pour recevoir les am-
. 335
Cilla litléralciiient le tout, et lorsque l’émir et le roi
de Bayoïiiie (ïïrent assis, il dit à celui-ci, cr Voici le
a prince des Musulmans, t^ et ils échangèrent leurs sa-
lutations. Alors ils parlèrent librement et ils causè-
rent très-longtemps ; puis ils montèrent tous deux à
cheval et ils se mirent en marche, le roi de Bayonne
se tenant un peu en arrière de l’émir; ils étaient es-
cortés de toute la cavalerie almohade, et ils furent
reçus en grande pompe par les troupes et les habi-
tants de Séville, et ce fut un grand jour de fête. El-
Nasser entra en ville précédant le roi de Bayonne ,
qu’il installa dans l’intérieur de Séville grandement
et de manière à satisfaire tous ses désirs. Il lui accorda
la paix pour tout le temps de son règne et de celui de
ses descendants almohades, et il le congédia comblé
de bienfaits et après lui avoir accordé toutes ses de-
mandes.
Aussitôt après cette visite, El-Nasser se mit en
campagne pour aller attaquer les frontières de la
bassadeurs chrétiens qui leur sont présentés à pied et à dislance. Jus-
qu’en ces dernières années, les ministres, les pachas, les kaïds et
tous les autres fonctionnaires marocains ne se levaient jamais devant
les agents européens, et lorsque quelqu’un de ceux-ci se formalisait
de ce manque d’égards . on sexcusait en prétextant l’ignorance des
usages chrétiens. Enfin un chargé d’affaires de France, qui avait
appris en pays arabes à ne point croire à ce genre d’ignorance des
Musulmans . força le ministre , pacha de Tanger, à venir en personne
lui faire des excuses au consulat général pom’ être resté assis en le
recevant , et depuis lors les fonctionnaires marocains emploient , à
l’occasion, le stratagème de l’émir El-Nasser; ils entrent dans le lieu
de réception en même temps que leurs visiteurs.
336
Castille. Il partit le i^”” de safar, an 608 (1211 J. C),
et il arriva jusque sous les murs de Salvatierra. C’était
une magnifique forteresse , située sur le sommet d’une
haute montagne qui se perdait dans les nues, et à la-
quelle on ne pouvait parvenir que par un seul chemin
étroit et difficile. Aussitôt arrivé, il commença le siège
de cette forteresse, contre laquelle il érigea quarante
catapultes sans aucun résultat. Son visir Abou Saïd
ben Djâmy, qui était de basse extraction et méprisé
parla noblesse almohade, s’était mis, dès son avè-
nement au pouvoir de hadjeb, à persécuter les nobles
et les hauts fonctionnaires, si bien qu’il les éloigna
tous d’El-Nasser, et qu’il conserva seul toute la direc-
tion des affaires avec un certain homme connu sous
le nom de Ben Mounsa. L’émir n’entreprenait rien
sans leur demander conseil. En passant auprès de
cette forteresse pour se rendre en Castille, il fut frappé
des difficultés qu’elle présentait; mais ses conseillers
lui répondirent : a prince des Musulmans, n’allons
crpas outre avant de nous en être emparés, et ce sera
fr le début de nos victoires, s’d plaît à Dieu très-haut! -n
L’on raconte qu’El-Nasser demeura si longtemps sous
les murs de Salvatierra, que les hirondelles bâtirent
leurs nids sous sa tente, firent leurs œufs et leurs
petits, qui devinrent grands et s’envolèrent. Il y resta
en effet pendant huit mois, et lorsque l’hiver arriva,
le froid était si rigoureux que les vivres devinrent de
plus en plus rares pour les hommes et pour les ani-
maux. Les soldats, dénués de tout, après avoir con-
. 337
sommé tout ce qu’ils avaient, perdirent courage, et
ieui’ découragement pervertit l’esprit qui les animait
pour la guerre sainte. Ils se fatiguèrent du repos et de
la misère. Lorsque l’ennemi de Dieu, Alphonse, se
fut bien assuré de cet état de choses, et qu’il apprit
que les forces musulmanes, ayant perdu leur pre-
mière ardeur, commençaient à se disperser, il prit
ses dispositions pour les atteindre, et d éleva la croix
invoquée dans toutes les contrées des Infidèles. Les
rois chrétiens arrivèrent à lui avec leurs troupes
pleines d’enthousiasme et avides de massacre et de
carnage; il fut également rejoint par les serviteurs
(pénitents) de sainte Marie, possédés de leur ferveur
païenne. Quand toute l’armée fut réunie, Alphonse
se mit en marche et arriva sous les murs de la place
forte de Kalat Rabah (Calatrava), qui était comman-
dée par le kaïd juste et distingué le guerrier Abou
el-Hadjej ben Kâdys, et défendue par une garnison de
soixante et dix cavaliers musulmans. Alphonse en fit
le siège et la réduisit aux dernières extrémités. Ben
Kâdys souffrit beaucoup ; chaque jour d expédiait un
courrier à l’émir des Musulmans pour l’informer de
sa détresse et lui demander du secours; mais lorsque
ses lettres arrivaient au ministre, celui-ci les cachait
soigneusement, de crainte que l’émir, en les lisant,
n’eût envie d’abandonner le siège de la forteresse; et
tout cela n’était qu’une trahison envers l’émir et en-
vers tous les Musulmans ! C’est ainsi qu’il lui cachait la
situation du pays et de ses sujets, et les événements
338
qu’il était urgent de ne point lui laisser ignorer. Le
siège s’étant prolongé, Ben Kàdys épuisa toutes ses
ressources , toutes les munitions et les flèches qui se
trouvaient dans la place. Enfin, désespérant d’être
secouru, et craignant pour les Musulmans, pour les
femmes et pour les enfants, qu’Alphonse ne finît
par entrer à l’assaut, il lui livra la place à la condi-
tion que tous ceux qui s’y trouvaient seraient épar-
gnés et auraient leur liberté. Aussitôt après que les
Musulmans eurent évacué Kalat Rabah et que les
ennemis v eurent établi leur gouvernement, Ben Kâ-
dys se dirigea vers l’émir des Croyants, accompagné
de son beau-frère , qui était aussi courageux que lui,
et qu’il avait supplié de ne pas le suivre, ff Par Dieu!
ff retourne-t’en , lui disait-il, je suis un homme mort!
rrcar je ne puis survivre à cette fatale journée; mais
ffDieu recevra mon ame pour avoir sauvé la vie à
cf tous les Musulmans qui étaient dans la place, n Tout
fut inutile, son beau-frère s’obstina à le suivre en
l’épondant à ses instances : rSi tu meurs, quel cas
frpuis-je faire encore de ce monde? n En arrivant au
camp d’El-Nasser, ils furent accueillis par les kaids
andalous avec une grande distinction; mais lorsque
Ben Djâmy, le ministre, fut instruit de leur venue,
il se dirigea vers eux en toute hâte , et les fit arrêter et
lier par ses nègres; puis, entrant chez l’émir, il lui
dit, cr Voici Ben Kâdys qui vient à vous, r et il ajouta,
fc Un pareil misérable ne doit point entrer cliez Témir
ff des Musulmans; 11 et, progressivement, il monta tel-
I
. 339
iement l’esprit d’El-Nasser, que l’émir lui ordonna de
le faire périr, et aussitôt Ben Kâdys et son beau-frère
furent étranglés. Les kaïds andalous, outrés d’un pa-
reil meurtre, ne purent s’empêcher de manifester
leur mécontentement; mais le ministre Ben Djâmy,
s’étant rendu à l’extrémité du camp , les envoya cher-
cher, et, dès qu’ils parurent, il s’écria : ce Sortez de
cf l’armée des Almohades ; nous n’avons que faire de
r vous, car Dieu très-haut a dit : S’ils étaient allés avec
((VOUS, ils n auraient fait qu augmenter vos embarras; ils
((auraient mis le désordre au milieu de vous ^ Allez-
cfvous-en, et, après la conclusion de cette affaire, je
cr saurai bien vous faire rentrer dans l’ordre. »
Cependant, quand El-Nasser apprit qu’Alphonse
venait à lui, après avoir emporté Kalat Rabali, la plus
forte des places musulmanes, il en éprouva un tel
chagrin, qu’il ne put plus ni boire ni manger, et qu’il
tomba malade. Redoublant tous ses efforts contre
Salvatierra, il dépensa de grandes sommes, et il finit
par y entrer sans coup férir, à la fin du mois, de dou’l
hidj4 de l’an 608. Lorsque Alphonse apprit qu’El-
Nasser s’était emparé de Salvatierra , i\ se dirigea de
ce côté avec tous les rois chrétiens et leurs troupes.
A son approche, El-Nasser se porta au-devant de lui
avec l’armée musulmane. La rencontre eut lieu à l’en-
droit nommé Hisn el-Oukab^ La tente rouge, signe
de combat, était dressée sur le sommet de la moh-
‘ Koran, c. ix : l’Immunité ou le Repentir, vers. h’].
– Hisn el.-Ouknf) , le château de l’Aigle, Las navas de Tolosa.
UO
tagne : El-Nasser s’y rendit et s’assit sur son bouclier,
en tenant son cheval devant lui. Les nègres, armés
de pied en cap, entourèrent la tente, et devant eux
se placèrent les tambours, les drapeaux et les légions
commandées par le ministre Abou Saïd ben Djâmy.
Les Chrétiens, arrivant comme des nuées de saute-
relles, s’abattirent d’abord sur les volontaires, qui,
malgré leur nombre de cent soixante mille hommes,
ne purent résister au choc, et laissèrent entamer leurs
rangs, après un combat terrible, où les Musulmans
eurent à déployer la grande résignation. Tous les vo-
lontaires furent exterminés jusqu’au dernier, sous
les yeux mêmes des Almoliades, des Arabes et des
kaïds Andalous à la tète de leurs troupes, qui ne bou-
gèrent pas. Après en avoir fini avec les volontaires,
les Chrétiens se précipitèrent sur les Almohades et
les Arabes; et, pendant que le combat s’engageait
avec eux, les kaïds Andalous prirent la fuite avec tous
leurs soldats, poussés en cela par la vengeance et la
haine que leur avaient laissées au cœur le meurtre de
Ben Kâdys et les outrages de Ben Djâmy. Les AJmo-
hades, ayant vu la destruction des volontaires et la
fuite des Andalous, comprirent que le combat allait
devenir de plus en plus désastreux pour les derniers
restants, et, tandis que le nombre des Chrétiens aug-
mentait toujours, ils partirent en déroute en aban-
donnant El-Nasser. Les Chrétiens arrivèrent ainsi le
sabre au poing jusqu’aux nègres et aux hachems qui
entouraient l’émir comme un rempart de pierre qu’ils
. Ui
ne purent d’abord entamer; et c’est aîors qu’oppo-
sant aux flèclies des nègres les croupes cuirassées de
ieurs chevaux, ils finirent par ouvrir la brèche. El-
Nasser, toujours assis sur son bouclier au seuil de sa
tente, s’écria, ce La vérité est en Dieu, et le mensonge
crest en Satan, •)•) et il resta calme jusqu’au moment
même où les Chrétiens allaient l’atteindre , après avoir
exterminé les dix mille nègres et plus qui l’entou-
raient. Un Arabe, monté sur une jument, accourut
vers lui et lui dit : rr émir des Musulmans! jusqu’à
fc quand resteras-tu là ? Ne vois-tu pas que les dé-
fccrets et la volonté de Dieu s’accomplissent, et que
rrles Musulmans sont tous morts ‘?ii L’émir se leva
alors pour monter sur le magnifique cheval qu’il te-
nait devant lui; mais l’Arabe, ayant sauté à bas de sa
jument, lui dit: cr Monte là-dessus, car celle-ci ne se
fr laisse ni dépasser, ni atteindre, et Dieu chéri l’ai-
rr dera pour te sauver ; car désormais il ne reste plus
fc d’espoir que dans ton propre salut, r El-Nasser
échangea donc son cheval contre cette jument, et
partit sans escorte ; tandis que l’Arabe , à la tête d’une
troupe de nègres, se livra à la poursuite des Chré-
tiens, qui continuèrent à massacrer les Musulmans
jusqu’à la nuit. Ils périrent tous jusqu’au dernier;
tout au plus s’il en échappa un sur mille ! Les hé-
raults d’Alphonse criaient partout, au nom du mau-
dit, de ne point faire de prisonniers et de tout mas-
sacrer, avertissant que quiconque amènerait un pri-
sonnier périrait avec lui. Aussi il ne fut pas pris un
3^2
seul Musulman vivant dans cette désastreuse bataille,
qui eut lieu le lundi i/i de safar, an 609 (16 juillet
1212 J. G.). C’est ainsi que la puissance musulmane
fut détruite en Andalousie et ne se releva plus , tandis
que celle de leurs ennemis s’afFermit. Ceux-ci prirent
une grande partie du pays ; et leur ambition de s’en
emparer entièrement aurait été satisfaite, si Dieu
n’avait permis que l’émir des Musulmans, Abou Yousef
Yacoub ben Abd el-Hakk (que le Très-Haut lui fasse
miséricorde et l’agrée!) ne fût arrivé au pouvoir pour
secourir les teiies de l’Islam , relever les minarets el
saccager les pays infidèles.
En retournant d’Hisn el-Oukab, Alphonse (que
Dieu le maudisse!) prit d’assaut la ville d’Évora,
dont il fit mettre à mort tous les habitants, grands
el petits; puis il conquit chaque place l’une après
l’autre; et, au bout de peu de temps, il ne restait
plus aux Musulmans, de toute l’Andalousie, qu’un
très-petit nombre de points qu’ils ne perdirent pas,
parce que Dieu vint en aide au règne des Meryn (que
Dieu prolonge leur dynastie !). L’on dit que tous les
rois chrétiens (uii assistèient à la batadle d’El-Oukab
el qui entrèrent dans Evora moururent tous, sans
exception, dans cette même année. El-Nasser, après
sa défaite, vint à Séville, où il entra dans la dernière
décade du mois de dou’l hidjâ. Il était consterné , et ne
cessait de penser avec amertume à cette immense
armée qud avait rassemblée pour cette exj)édition.
et qui surpassait en cavalerie et en infanterie tout ce
. 343
que jamais émir avait réuni avant lui Il avait
cent soixante mille volontaires, infanterie et cavale-
rie; plus, trois cent mille soldats; plus, trente mille
nègres, qui lui servaient de garde et d’escorte; et dix
mille aghzâz et arbalétriers, sans compter les Alnio-
hades, les Zenèta, les ^Arabes et autres. Il lui semblait
être invincible avec une pareille armée; mais Dieu
chéri et adoré lui fit voir que c’est lui seul qui donne
la victoire, et que toute force et toute puissance n’est
qu’en lui, Très-Haut, qu’il soit glorifié !
A son retour à Maroc, après le désastre d’El-Ou-
kab, El-Nasser désigna pour lui succéder son fils, le
Sid Abou Yacoub Youssef, surnommé El-Moustansyr,
qui fut proclamé par tous les Almohades, et dont le
nom fut célébré dans tous les khotbah, dans la der-
nière décade du mois de dou’l hidjâ de fan 609. Puis
il se retira dans son palais, où il s’adonna entière-
ment aux plaisirs, s’enivrant nuit et jour jusqu’à sa
mort. Il fut empoisonné par ses ministres, qu’il avait
lui-même l’intention de faire périr, mais qui le de-
vancèrent, en lui faisant donner par une de ses
femmes une coupe de vin qui le tua subitement, le
mercredi 11 de châaban 610, dans son palais, à la
kasbah de Maroc. Son règne avait duré cinq mille
quatre cent cinquante et un jours, qui font quinze
ans, quatre mois et dix-huit jours, depuis le ven-
dredi 22 raby el-aouel 596, jour de sa proclama-
tion, après la mort de son père, jusqu’au samedi
10 de châaban, veille de son assassinat.
‘iU
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’EMIR DES MDSULMANS YOUSSEF EL-MOUS-
TANSYR BILLAH BEN NASSER BEN EL-MANSOIJR BEN YOUSSEF.
L’émir des Musulmans , Youssef beii Aby Abd Al-
lah el-Nasser ben \acoub el-Mansour ben Youssef
(le martyr) ben Abd el-Moumen ben Aly le Zenèta,
le Koumy, eut pour mère une femme blanche nom-
mée Fathima, fille du sid Abou Aly \oussef ben Abd
el-Moumen; qualifié du nom d’El-Moustansyr Billah
(celui qui attend tout son secours de Dieu), il fut
surnommé Abou \acoub. Fort jeune, il avait une
taille élancée, une jolie figure, le teint frais, le nez
fin, la chevelure épaisse. Il conserva les secrétaires
de son père, et il eut pour ministres ses propres
oncles, qui prirent les rênes du gouvernement avec
les cheikhs Almohades, parce que. lors de sa procla-
niation, il était pubère à peine, imberbe, ignorant
et inexpérimenté. Ce furent donc les cheikhs Almo-
hades et ses oncles qui lui conservèrent le khalifat,
durant lequel il ne fit ni expédition ni guerre, et il
n’eut aucune puissance. Ses gouverneurs et ses fonc-
tionnaires, en faisant ce qu’ils voulaient chez eux,
laissaient tomber la renommée des Almohades, dont
la décadence alla toujours en augmentant, malgré
la tranquillité et la paix dont ds jouirent sous son
règne.
Lorsqu’d fut plus âgé, il voulut gouverner lui-
même, et d écarta ses oncles et les cheikhs Almo-
hades qui lui avaient conservé le trône, pour les
i
. 3/j5
remplacer par des étrangers indignes de sa confiance.
11 envoya Abou Mohammed Abd Allah ben el-Man-
sour prendre le gouvernement de Valence et de Xa-
tiva, en Andalousie, et il confia à son cousin, Abou
Mohammed Abd Allah ben el-Mgnsour le comman-
dement de Murcie, Dénia et dépendances, en lui ad-
joignant le cheikh Abou Zyd ben Yrdjan, un des plus
nobles Almohades. Il expédia son cousin l’aîné, Abou
el-Olâ, en Ifrîkya, pour en chasser le Mayorky. Cet
Abou el-Olâ est celui qui bâtit la tour située à la porte
de la Mehdïa et cjui la fortifia; c’est lui aussi qui fit
construire la tour d’or, à Séville, pendant qu’il gou-
vernait cette ville, durant la vie de son père. Il de-
meura longtemps en Ifrîkya, d’où il ne vint que lors-
qu’il fut remplacé par le cheikh Abou Mohammed
Abd Allah ben Hafs.
En 61 4 (l’iiy J. G.), les Musulmans furent
battus au Kessar d’Aby Dânys, et ce fut là une de
leurs plus grandes défaites, approchant du désastre
d’El-Oukab. Les ennemis étant arrivés pour faire*
le siège de Kessar Aby Dânys, les troupes de Séville,
de Gordoue, de Jaen et celles des pays occidentaux
de l’Andalousie partirent en expédition, sur l’ordre
de l’émir El-Moustansyr, pour porter secours à cette
place; mais, avant même de s’être trouvés en pré-
sence de leurs adversaires, les Musulmans, se sou-
venant du désastre d’El-Oukab, se dispersèrent et
prirent la fuite. Les ennemis, semblables à des chiens
enragés, pleins de force et déjà accoutumés aux
3^6
victoires, se mirent à leur poursuite, le sabre en
main et ils les exterminèrent jusqu’au dernier; en-
suite Alphonse revint au Kessar Aby Dânys, l’as-
siégea, y entra à l’assaut et massacra tous les Mu-
sulmans qui s’y trouvaient.
En 620, l’émir des Musulmans, Youssef, mourut
à Maroc accidentellement; il fut frappé au cœur par
les cornes d’une vache, et il expira subitement; il
était grand amateur de taureaux et de chevaux , et il
se faisait envoyer des taureaux de l’Andalousie même
pour les lâcher dans son grand jardin de Maroc. Un
soir, étant sorti pour les voir, il était à cheval au
milieu d’eux, lorsqu’une vache furieuse, se faisant
jour à travers les autres, vint le frapper mortelle-
ment. Gela eut lieu le samedi 1 9 du mois de dou’l
hidjâ, an 620 (6 janvier 122/1 J. C). Il mourut
sans enfants et ne laissant qu’une concubine enceinte;
d ne sortit jamais de Maroc durant sa vie. Sa puis-
sance fut très-précaire, et sa jeunesse, autant que la
*courte durée de son règne, ne lui permit pas de
se développer. Il régna tiois mdle six cent vingt-cinq
jours, qui représentent dix ans quatre mois et dix
jours; il avait été proclamé le mercredi 1 1 du mois
de châaban le béni de l’an 610, jour de son avène-
ment, et son dernier jour fut le samedi 12 du mois
de dou’l hidjâ, an 620. C’est ainsi que l’ont attesté
les témoins de sa mort et ses proches.
. 347
IIJSTOIRE DU RÈGNE DE L’EMIR DES MUSULMANS ABOU MOHAMMED ABD
EL-OUAHED EL-MAKHELOU ( LE DÉTRONë). QUE DIEU LUI FASSE
MISÉRICORDE !
L’émir des Musulmans Abou Mohammed Abd el-
Ouahed, fils de l’émir des Musulmans Youssef ben
Abd el-Moumen ben Aly el-Koumy, l’Almohade, fut
proclamé par les cheikhs Almohades comme étant le
seul descendant de Mansour restant à la kasbah de
Maroc, dans la matinée du dimanche i3 de dou’l
hidjà de l’an 620; c’était alors un bon vieillard,
paisible et vertueux. Pendant deux mois l’on fit en
son nom les khotbah dans tout le pays soumis aux
Almohades, à l’exception de Murcie, qui était gou-
vernée par son neveu El-Sid Abou Mohammed, sur-
nommé El-Adel (le juste). Celui-ci avait alors pour
ministre le cheïkh Abou Zyd ben Yrdjan, connu sous
le nom d’El-Asfar (le jaune), et le plus astucieux des
Almohades. El-Mansour ne pouvait le voir, et quand
il s’approchait de lui, il le repoussait au nom de Dieu,
à cause de sa malignité, et en disant : rr Jaune!
fc tout ce qui passe par tes mains est occasion de trou-
er blés! n Lorsque la nouvelle de la proclamation de
l’émir Abou Mohammed Abd el-Ouahed arriva à
Murcie, Abou Zyd ben Yrdjan dit à Abou Moham-
med ben Abd Allah ben Mansour: a Gardez-vous bien
ffde reconnaître Abd el-Ouahed, parce que le kha-
Tlifat vous est du; vous en êtes le plus rapproché,
• car vous êtes le fils de Mansour, frère d’El-Nasser et
348 .
ff oncle d’El-Moustansyr; de plus, vous êtes capable,
ff censé, généreux et expérimenté; vous devez de-
rr mander aux Almohades de vous proclamer, et certes
fr ils ne vous refuseront pas ; hâtez-vous pendant qu’il
cr en est temps encore , avant que le nouveau gou-
re vernement se consolide. -n En entendant tout cela,
Abou Mohammed se rendit en toute hâte dans la salle
du conseil, et il envoya quérir à Murcie et dans les
environs tous les cheikhs et les docteurs Almohades
qui s’y trouvaient et qui, à sa demande, s’empres-
sèrent de le proclamer. Alors il envoya un message
à son frère Abou el-Olà, gouverneur de Séville, pour
l’inviter à le reconnaître, ce que celui-ci fit, en en-
traînant avec lui le peuple de Séville et tous les
Almohades qui s’y trouvaient. Abou Mohammed (El-
Adel), pensant alors à ceux qui avaient déjà proclamé
Abd el-Ouahed, écrivit aux cheïhks Almohades qui
étaient à Maroc, pour les inviter à le reconnaître et
à forcer Abd el-Ouahed d’abdiquer, leur promettant
de fortes sommes, de hauts emplois et de belles po-
sitions. Ceux-ci se laissèrent séduire, et, s’étant in-
troduits auprès de l’émir Abd el-Ouahed, ils le me-
nacèrent de le tuer s’il n’abdiquait pas lui-même et
ne reconnaissait la souveraineté d’El-Adel. Le vieil
émir consentit à tout, et ils le quittèrent en laissant
dans le palais des hommes chargés d’entretenir l’é-
pouvante dont ils l’avaient frappé. Cela eut lieu le
samedi 1 1 du mois de châaban le sacré , an 6 2 1 . Le
lendemain dimanche, ils revinrent au palais amenant
. 349
avec eux le kady, les docteurs et les cheikhs, devant
lesquels Abd el-Ouahed prononça son abdication et
proclama El-Adel. Treize jours après, ils retour-
nèrent chez lui et ils le pendirent. Dès qu’il fut mort,
ds pdlèrent son palais, son trésor et envahirent son
harem. Ce fut le premier des descendants d’Abd el-
Moumen cpi fut détrôné et tué; cela n’était jamais
arrivé, et les cheikhs Almohades devinrent ainsi pour
la dynastie d’Abd el-Moumen ce que les Turcs avaient
été pour celle des Béni el-Abbès (des khalifes Ab-
basides); ils furent la cause de leur décadence et
de leur propre chute. Par les meurtres de leurs rois
et de leurs princes, ils ouvrirent la première porte
à la guerre civile et aux séditions de leurs peuples
contre eux-mêmes. Abd el-Ouahed le détrôné mourut
dans la nuit du mercredi 5 de ramadhan le grand,
an 621; son règne avait duré en tout deux cent
quarante-cinq jours, soit huit mois et cinq jours; le
premier jour fut un dimanche, et le dernier, celui
de son abdication, fut un samedi.
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’EMIR DES MCSULMANS ABOU MOHAMMED
EL-ADEL (le JLSTe). QUE DIEU LUI FASSE MISERICORDE !
Abd Allah ben Yacoub el-Mansour ben Youssef
ben Abd el-Moumen ben Aly el-Koumy, surnommé
El-Adel fi Hakem Allah (le juste dans la justice de
Dieu) et Abou Mohammed, était fils d’une captive
chrétienne prise à Santarem, nommée Syr el-Hassen
(beauté parfaite). Il était blanc, sa taille était haute,
350
son teint jaune, ses yeux châtains, son nez droit, sa
barbe rare. Sage et prudent, il était très-attaché à
sa religion. Sa première proclamation eut lieu à
Murcie, vers le milieu de safar de l’an 621. Il fut re-
connu par tous les Almohades , excepté ceux de l’I-
frîkya, et ce ne fut qu’après l’abdication d’Abd el-
Ouahed que l’on fit le kliotbah en son nom, dans
toutes les chaires de l’Andalousie et du Maghreb, à
partir de dimanche 22 de châaban le béni, 621.
Ceux qui refusèrent de le reconnaître furent le sid
Abou Zid, fils du sid Abou Abd Allah ben Youssef
ben Abd el-Moumen, roi de Valence, de Xativa et
de Dénia, et les gouverneurs de l’Ifrîkya et les Haf-
sides, qui étaient très-puissants, et qui furent cause
que son gouvernement ne se consolida point. Le sid
Abou Mohammed ben el-Sid Abou Abd Allah ben
Youssef, apprenant que son frère le sid Abou Zid
refusait de reconnaître la souveraineté d’El-Adel,
suivit son exemple à Baëza qu’il gouvernait, et, prê-
chant pour lui-même, i\ fut proclamé par la popu-
lation de cette ville ainsi que par celles de Cordoue,
de Jaen, de Quesada et des forteresses de l’intérieur.
11 prit le nom de Baëzy, à cause de sa proclamation
à Baëza, et c’est ainsi que les troubles et les révoltes
envahirent les descendants d’Abd el-Moumen, qui
ne virent plus que des malheurs. El-Adel expédia
son frère Abou el-Olâ avec une forte armée pour
faire le siège de Baëza, où le Baëzy, se sentant de
plus en plus resserré, finit par demander une paix
. ;^51
qui lui fut généreusemenl accordée, el il proclama
El-Â(lel ; mais à peine Abou el-Olâ fut-il parti, qu’il se
révolta de nouveau et demanda des secours à Al-
phonse en lui offrant de lui livrer en retour les
places de Baëza et de Quesada. Il fut le premier de
tous qui livra ainsi du pays aux Chrétiens : Alphonse
lui envoya une armée de vingt mille cavaliers. Ayant
réuni ce renfort à ses cavaliers et à ses légions, il
sortit de Gordouc et marcha sur Séville. A son ap-
proche, le sid Abou el-Olâ vint à sa rencontre avec
une armée; le combat fut sanglant, et le frère d’El-
Adel , le sid Abou el-Olâ, fut complètement défait.
LeBaëzy et les Chrétiens qui étaient avec lui pillèrent
le camp et emportèrent tout ce qui s’y trouvait
d’armes, d’animaux et de butin. El-Adel, en voyant
la déroute d’Abou el-Olà et de son armée, craignit
que le Baëzy victorieux ne lui enlevât le khalifat, et,
après avoir confié la direction des affaires de l’An-
dalousie à son frère le sid Abou el-Olâ, il passa dans
le Maghreb, et vint à Maroc, où il se renferma dans
le palais des émirs. Abou el-Olâ gouverna l’Anda-
lousie au nom de son frère El-Adel , jusqu’en chouel
de l’an 62/1 (1227 J. C), et il se révolta lui-même
pour prendre les rênes du gouvernement sous le
nom d’El-Mamoun. Il fut proclamé par le peuple de
Séville et par tous les Musulmans de l’Andalousie,
et aussitôt après il écrivit aux Almohades du Ma-
ghreb pour leur faire part de l’adhésion générale des
Andalous et de tous les Almohades qui se trouvaient
352
en Espagne, et qui en le proclamant avaient pro-
noncé la déchéance d’El-Adel. En conséquence, il
les invitait à se conformer à ces changements, et il
leur promettait des présents et des emplois. Les Al-
mohades, hésitant d’abord, tinrent conseil et déci-
dèrent bientôt à l’unanimité de détrôner El-Adel. Ils
se rendirent dans son palais et le sommèrent d’abdi-
quer. Sur son refus, ils plongèrent sa tète dans le
bassin d’un jet d’eau en lui disant : crNous ne te dé-
ff livrerons que lorsque tu auras abdiqué et proclamé
«ton frère El-Mamoun. n II leur répondit : rr Faites ce
fcque vous voudrez, mais je mourrai émir des Mu-
rr sulmans. t> Alors ils lui passèrent son turban autour
du cou et ils l’étranglèrent, laissant sa tète plongée
dans le bassin jusqu’à son dernier soupir. Cela eut
lieu le 2 1 de cliouel, an 626. Ils expédièrent leur
soumission écrite à El-Mamoun; mais bientôt ils
changèrent encore d’avis, et, ne reconnaissant plus
la souveraineté d’El-Mamoun , ils proclamèrent \ hya
ben el-Nasser. Le règne d’El-Adel, depuis le jour
de son avènement à Murcie jusqu’au jour de sa
mort, avait duré trois ans, sept mois et neuf jours.
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’EMIR DES MUSULMANS VUYA BEN NASSER,
ET DE SES GUERRES AVEC SON ONCLE EL-MAMOUN.
L’émir des Musulmans Yhya ben Aby Abd Allah
el-Nasser ben el-Mansoui- ben Youssef ben Abd el-
Moumen ben Aly, nommé Abou Zakerya, et selon
ET ANTSALES DE LA VILLE DE FES. 35:^
d’autres Abou Soliman, était surnommé El-Mouthas-
sem Biilali (le protégé par Dieu). 11 était fort jeune et
avait une belle taille et une jolie figure, le teint rouge,
la barbe claire, les sourcils se rattachant ensemble et
les cheveux blonds. Les cheïkhs Almohades se réuni-
rent pour le proclamer aussitôt après qu’ils eurent tué
El-Adel et reconnu El-JVIamoun. Ce revirement fut
causé par la frayeur qui s’empara d’eux aussitôt qu’ils
eurent envoyé leur acte de soumission à El-Mamoun,
à la pensée que cet émir, dont l’énergie et la sévérité
leur étaient connues, leur réclamerait le talion pour
les meurtres qu’ils avaient commis de ses proches,
soit de son oncle Abd el-Ouahed el-Maklieloù et puis
de son frère El-Adel. Ils se retournèrent donc vers
Yhya, dont l’extrême jeunesse ne leur inspirait au-
cune crainte. Ce prince n’avait que seize ans lorsqu’il
fut proclamé à la kasbah de Maroc, dans la mosquée
d’El-Mansour, après la prière du soir, le mercredi
28 de chouel, an 6 2 4. Les Arabes Khelouth et les
Kabyles d’Haskoura refusèrent leur soumission en
disant : crNous avons déjà reconnu El-Mamoun, et
ffnous ne violerons jamais nos serments. ii Yhya en-
voya contre eux une armée d’Almohades et d’irrégu-
liers; mais elle fut battue, et les Khelouth et les
Haskoury, fidèles à El-Mamoun, poursuivirent les
Almohades jusqu’à Maroc en les massacrant. Les
troupes furent ainsi toujours vaincues durant le règne
d’Yhya. Aussitôt après sa proclamation à Maroc, il
envoya chercher le cheikh Abou Zyd ben Yrdjan et
35’i
son fils Abd Allah, et il les fit mettre à mort. Leurs
têtes furent pendues au Bab el-Kohoul et leurs ca-
davres furent traînés dans la ville. Un mois après
l’avènement d’\ hya , tout le pays était en révolution ;
partout la révolte, la disette et les routes infestées
de brigands; partout des troubles, des malheurs et
les vices qui en étaient la conséquence. Les cheikhs
Almohades recommencèrent leurs disputes pour les
descendants d’Abd el-Moumen, tantôt proclamés,
tantôt renversés, nommés khalifes et aussitôt mis à
mort. Aussi, l’émir Yhya pressentant bien que les
Almohades, dont la plupart s’étaient de nouveau re-
tournés vers El-Mamoun , ne tarderaient pas à le faire
périr à son tour, sortit de Maroc et s’enfuit à Tyn-
mâl, dans le mois de djoumad el-tâny, an 626; ce fut
le signal de l’anarchie pour les habitants de Maroc,
qui finirent par nommer un gouverneur au nom
d’El-Mamoun ([u’ils proclamèrent, en lui faisant sa-
voir la fuite d’\hya dans les montagnes, et en l’ap-
pelant à eux. Mais quatre mois après, \hya, arrivant
avec de nouvelles forces, entra à Maroc et fit mourir
le gouverneur d El-Mamoun; il ne resta que sept
jours dans cette capitale, et il se porta en toute hâte
au Djebel Djelvz, où il se fixa dans l’espoir d’y sur-
prendre ou d’y rencontrer El-Mamoun arrivant pour
lui livrer bataille.
L’émir Yhya ne cessa de lutter contre El-Mamoun
et son fils Rachyd, jusqu’à sa mort. Il fut assassiné
dans la vallée d’Abd Allah, aux environs de Rabat
355
Thaza \ par les Arabes, le lundi 22 ramadhan 633
(1 935 J. C). Sa tête fut apportée à Rachyd, à Maroc.
Son règne avait duré trois mille cent quatre-vingt-
dix-sept jours, depuis le mercredi de sa proclama-
tion jusqu’au dimanche, puisqu’il fut tué le lundi,
soit neuf ans et neuf jours, durant lesquels il fut
constamment en guerre avec El-Mamoun et son fils
El-Rachyd.
HISTOIRE nr KHALIFAT DE L’EMIR DES MUSL’LMANS ABY EL-OLA ^
BEN EL-MANSOUR L’ALMOHADE.
L’émir des Musulmans, Edriss el-Mamoun ben
Yacoub el-Mansour ben \ oussef ben Abd el-Mou-
men ben Aly, était nommé Abou el-Olà et surnommé
El-Mamoun. Sa mère était blanche, nommée Safya
(Sophie), fdle de l’émir Abou Abd Allah ben Merd-
nych. Blanc, yeux noirs, taille moyenne, jolie figure,
éloquent, savant, versé dans la connaissance du
Hadits du Prophète de Dieu (que le Seigneur le
comble de bénédictions!), plein de foi, ayant beau-
coup lu, et doué d’une excellente prononciation,
imam dans la science de la langue arabe, dans la
politique et l’histoire, il fut l’auteur de plusieurs
écrits admirables; très-instruit sur les commentaires,
il ne cessa durant tout son khalifat d’étudier les
‘ Aghersyft.
^ sl3^1 Oi,^ . Aby el-Olà . nommé Ahu l’Oln et Ahy Aly ou Aha
Aly par Condé. et Abuli par Mariana. ‘
23.
356
livres El-Moutha^ El-Bokhary et le Sonna d’Abou
Daoued. Docteur dans les sciences religieuses et pro-
fanes, il était énergique, rigide, despote, prompt à
entreprendre les grandes choses, sanguinaire et e\-
péditif dans sa justice. Il naquit à Malaga, en 58 1.
A peine fut-il khalife, que tout le pays fut en feu;
partout guerre, troubles, cherté, disette et insécurité
des routes. Les ennemis relevés avaient envahi la
plus grande partie des pays musulmans de l’Anda-
lousie, tandis que les Hafsides s’emparaient de l’Ifrî-
kva et que les Beny Meryn, faisant invasion dans le
Maghreb, enlevaient les campagnes dont ils don-
naient le gouvernement à leurs parents et à leurs
proches, de telle sorte que personne ne savait plus
à qui il convenait de s’attacher. Cette situation ne
saurait mieux se résumer que par ces vers de l’épo-
que : crEt les chevreuils se présentèrent en si grand
cr nombre au-devant des chiens de chasse, que ceux-
cfci ne savaient plus lesquels ils devaient prendre. ^i
La première proclamation d’El-Mamoun eut lieu
à Séville, le jeudi 2 de cliouel, an 62/1, et il fut re-
connu par toutes les provinces de l’Andalousie ainsi
que par celles de Tanger et de Geuta dans l’Adoua.
Aussitôt après il envoya son message aux Almohades
de Maroc, pour les inviter à reconnaître sa souve-
raineté et à renverser son frère El-Adel. Ses ordres
furent immédiatement exécutés ; El-Adel fut assas-
‘ ItfSft V , Traité de droit de Malek ben Ans.
. 357
siné, et les cheikhs lui envoyèrent l’acte de leur sou- .
mission et firent le khothah en son nom dans la mos-
quée d’El-Mansour ; mais, changeant bientôt d opi-
nion, comme nous l’avons dit, à cause de la crainte
qu’El-Mamoun leur inspirait, ils proclamèrent le soir
même son neveu Yhya. Abou el-Olâ reçut l’acte de sa
proclamation par les Almohades du Maroc à Séville,
et le fit publier dans toute l’Andalousie ; ensuite , il se
mit en campagne pour venir à Maroc, capitale des
rois de sa dynastie, et il arriva à Algéziras pour
s’embarquer. Ce ne fut que là qu’il apprit le revire-
ment des Almoliades contre lui en faveur de son
neveu Yhya, et il partit aussitôt, plein de colère, en
récitant les paroles d’Hassan , lorsque l’émir des Mu-
sulmans, Othman ben Ofân, fut tué : Entendez-vous
les cris qui patient de leurs demeures; allons, hommes,
accourez pour venger Othman! Il expédia un courrier
au roi de Castille pour lui demander du secours
contre les Almohades, et le pria de lui envoyer une
armée chrétienne pour passer avec lui dans l’Adoua,
contre Yhya et les Almohades. Le roi de Castille lui
répondit :
ff Je te donnerai l’armée que tu me demandes, à
ffla condition que tu me livreras dix places fortes,
ffles plus proches de mes frontières, et que je choi-
ffsirai moi-même; de plus, si Dieu te vient en aide
rret que tu entres à Maroc, tu feras bâtir une église
ff chrétienne en cette ville, où les soldats qui t’auront
ff accompagné pourront pratiquer leur culte, et où
358
fc les cloches sonneront à l’heure de leurs prières. Si
r quelque chrétien veut se faire musulman, tu ne
(T l’accepteras pas et tu le livreras à ses frères, qui le
ff jugeront d’après leurs lois, mais si quelque mu-
rrsulman veut embrasser le christianisme, personne
rr n’aura à s’y opposer Kv
Toutes ces conditions ayant été acceptées, le roi
de Castille lui envoya une superbe armée de douze
mille cavaliers chrétiens pour servir sous ses ordres
et passer dans l’Adoua. Ce fut la première fois que
des troupes chrétiennes passèrent et agirent dans le
Maghreb. Cette armée arriva près d’El-Mamoun dans
le mois de ramadhan 626, et il se rendit aussitôt
dans l’Adoua.
Mais à peine se fut-il éloigné , que l’Andalousie se
souleva, et la plus grande partie des provinces pro-
clamèrent la souveraineté de Ben Houd, émir de
l’Espagne orientale ‘-.
El-Mamoum s’embarqua à Algéziras et débarqua
à Ceuta dans le mois de dou’l kâada. Après avoir
■ Il n’y a plus, au Maroc, qu’une seule église ou chapelle chré-
tienne . à Tanger, résidence des représentants des puissances . où un
capucin espagnol dit la messe le dimanche ; mais cette chapelle , en-
clavée dans l’hôtel consulaii”e d’Espagne, ne doit avoir aucun signe
exlériem’, et il est expressément interdit de faire sonner les cloches
( 1860). (Voir la brochure de l’abbé Godard. Le Maroc ^ notes d’uu
voyageur, p. 16 et suiv.)
” Abou Abd Allah Mohammed ben Youssef ben Houd, descen-
dant des émirs de l’Espagne orientale , proclamé émù- des Musul-
mans h Escuriante. le 1″ de ramadhan fiiaS {h août 19-28).
. 359
passé quelques jours dans cette place forte, il se mit
en marche pour Maroc, aux environs de laquelle il
j’encontra ^hya avec l’armée Almohade, le samedi
•j5 de raby el-aouel, an 627, à l’heure de la prière
de l’Asser. Yhya fut battu et prit la fuite dans les
montagnes; la plus grande partie de ses soldats
furent tués, et El-Mamoun entra à Maroc, où il fut
l’econnu par tous les Almohades; il monta lui-même
en chaire dans la mosquée d’El-Mansour, et, après
avoir fait le khotbah au peuple, il maudit El-Mehdy
et ses actes : rr hommes ! s’écria-t-il, ne dites
rrplus qu’El-Mehdy est massoum (impeccable), mais
ff appelez-le le grand medmoun (séducteur miséra-
rrble), car il n’y a point de Mehdy, si ce n’est Jésus,
rr fds de Marie (que le salut soit sur lui!). Je vous
fcdis, moi, que toute l’histoire de votre Mehdy n’est
fr qu’une imposture! n En terminant, il ajouta : crO
crmes compagnons Almohades! ne pensez pas que
ff je vous aie dit tout cela pour conserver le gouver-
frnement que vous m’avez confié. Ceux qui me suc-
er céderont vous répéteront les mêmes choses, s’il
r plaît à Dieu, n Alors il quitta la chaire, et il expédia
immédiatement des proclamations dans tous les pays
soumis à son commandement pour inviter les peu-
ples à se détourner de la voie d’El -Mehdy et de
toutes les nouveautés religieuses qu’il avait créées
pour les Almohades. Il ordonnait de s’en tenir aux
traces des anciens souverains, de ne plus prononcer
le nom d’El-Mehdv dans les khotbah et de l’effacer
360
des dinars d’or et des pièces de cuivre qu’il avait
l’ait frapper. Il fit arrondir toutes les monnaies d’El-
Melidy, décrétant que quiconque continuerait à se
\^ servir de pièces carrées serait coupable d’hérésie.
x\près cela, il se retira dans son palais, et personne
ne le vit plus pendant trois jours; le quatrième, il se
montra et il envoya chercher les cheikhs Almohades.
Aussitôt qu’ils furent réunis, il leur dit: crO com-
frpagnons Almohades! vous avez suscité des émeutes
fret des troubles, et vous êtes allés bien avant dans
ffla perversité; vous avez trompé la confiance qu’on
ff avait mise en vous, trahi le gouvernement, tué
ff mes frères et mes oncles, sans songer aux bienfaits
cr dont ils vous comblaient, v Tirant alors la lettre
de soumission qu’ils lui avaient envoyée à Séville,
il la leur fit voir en preuve de leur trahison, et ils
battirent leurs mains en signe de leur confusion et
de leur honte. El-MamouTi, s’adressant ensuite au
kady El-Mekyouy, qui était devant lui et qu’il avait
amené de Séville, il lui dit: rrQue t’en semble, ô
cr docteur, et que faut-il faire de ces traîtres? -n Le
kady lui répondit : cr émir des Musulmans , Dieu
ff très-haut a dit dans son livre manifeste : Quiconque l
(tviolei^ale serment, le violera à son détriment, et celui qui
K reste fidèle au pacte. Dieu lui accordera la récompense
r^ magnifique! ^ n L’émir reprit : cr Oui, c’est bien là la
ff vérité de Dieu, et c’est par sa justice que je dois les
cf juger, car ceux qui ne jugeront pas d’après le livre
‘ Koniii , c. xLviii : la Victoire, vers. lo.
. 361
rr que Dieu a fait descendre d’en haut seront les vrais cou-
^^pables ‘, -n 11 condamna à mort tous les clieïklis et les
nobles Almohades, et ils furent tous exterminés jus-
qu’au dernier, sans excepter même leurs pères et
leurs enfants. Cependant on lui amena un jeune fils
de sa sœur, qui avait à peine treize ans et qui savait
déjà le Koran par cœur. En se voyant si près de la
mort, cet enfant lui dit : rc émir des Croyants! fais-
rrmoi grâce au nom de trois choses. — Lesquelles?
fclui répondit l’émir. L’enfant reprit : Ma jeunesse,
rrma parenté et ma connaissance du livre du Dieu
ff chéri ! v L’émir, regardant alors le kady El-Mekyouy
comme pour le consulter, lui dit : rOue penses-tu
ffdes supplications de cette créature et des paroles
cr qu’il vient de prononcer ici. v Le kady lui répondit:
rrO émir des Musulmans! Car si tu en laissais, ils
^ séduiraient tes serviteurs et n enfanteraient que des impies
rr et des incrédules ‘-. r> Et lémir fit mettre à mort son
jeune neveu. Alors il ordonna d’exposer les têtes sur
les murs de la vdle, et il y en eut suffisamment pour
garnir toute l’enceinte. Compte fait, il se trouva quatre
mille six cents têtes. On était au milieu de l’été, et la
ville fut infectée au point que l’odeur de la putréfac-
tion rendit les habitants malades. Sur les plaintes qui
lui furent portées, l’émir répondit : cr Tout cela n’est
rr qu’une excuse de ceux qui portent le deuil de ces
rr têtes, dont la pourriture doit, au contraire, leur
‘ Koran, c. v : la Tabie, vers. /19.
^ Koran, c. lxxi : Noé. vei’s. ûS.
36-2
refaire beaucoup de bien. L’odeur des cadavres de
ffceux qu’on aime est suave comme le parfum; les
ff cadavres des ennemis seuls sentent mauvais. 11 Et
il improvisa ces vers : ff Peuple de troubles et le plus
cr pervers du monde, qui ne jurait que par le nom
cr frappé sur les monnaies carrées! sa destruction
ff servira à bien d’autres que moi, qui les ai taillés
ff en pièces et pendus aux arbres; ils n’auraient pas
ff servi d’exemple si on n’avait vu leurs débris sur les
ff dattiers et les murs. C’est .ainsi que le talion a été
ff pratiqué par la justice que chacun approuve. Certes
ffsi, par la volonté de Dieu, tous les hommes eus-
ff sent été comme eux, il n’y aurait que des peuples
ffdu feu (d’enfer).-^ El-Mamoun s’empara également
du kady de Maroc, Abou Mohannned Abd el-Hakk,
et le remit enchaîné à Hallel ben Hamydan ben
Mokaddem el-Khathy, qui le tint en prison jusqu’à
ce qu’il eût payé six mille dinars.
El-Mamoun resta cinq mois à Maroc, et il en
sortit durant le ramadhan de 627, pour aller atta-
quer dans la montagne Yhya et ses Almohades. Il l’at-
teignit au pays de Loukaghâ et il le mit en déroute.
11 massacra la plupart des soldats de la montagne
et il envoya quatorze mille têtes à Maroc. En 6*28
(1280 J. C), El-Mamoun donna l’ordre dans tout
son royaume de pratiquer les choses connues et de
punir les abus. C’est durant cette année que l’An-
dalousie entière secoua le joug des Almohades pour
se soumettre à Ben Houd.
. 363
En 629, El-Mamoun fut méconnu par son frère
le sid Abou Moussa Amran ben el-Mansour, qui se
fit prociamer et nommer El-Mouïd dans la ville de
Geuta. A cette nouvelle, l’émir sortit contre lui et
vint l’assiéger pendant quelque temps, mais sans
succès. Son absence s’étant prolongée, Yhya, qui
avait repris de nouvelles forces, descendit de la
montagne et s’empara de Maroc, où son premier
soin fut de faire démolir l’église bâtie pour les Chré-
tiens. Il massacra un grand nombre de juifs et de
Béni Ferkhan, dont il pilla tous les biens, et en-
trant dans le palais, il y ramassa tout ce qu’il put
pour l’emporter dans sa montagne. En apprenant
cela, El-Mamoun abandonna Geuta, pour venir en
toute hâte à Maroc , et il se mit en chemin dans le mois
de dou’l hidjâ. A peine se fut-il retiré, que Abou
Moussa passa en Andalousie pour faire sa soumission
à Ben Houd et lui donner Geuta. Ben Houd l’investit
du gouvernement d’Alméria, en le traitant comme
un second lui-même, et c’est là qu’Abou Moussa mou-
rut. El-Mamoun était en route lorsqu’il apprit que
Ben Houd était maîtie de Geuta. Il en conçut une
telle peine, qu’il tomba malade et mourut de chagrin
à Oued el-Abyd \ au retour du siège de Geuta, le
samedi dernier jour du mois doul’ hidjâ, an 629
(16 ou 17 octobre 1282). Son règne avait duré
mille huit cent cinquante-huit jours, soit cinq ans,
‘ Oued el-Abyd. branche supérieure de lOumni el-Rebya.
36A
trois mois et un jour. Le premier jour fut un jeudi
et le dernier un samedi. Il ne cessa d’être en lutte
avec ^hya, et durant tout son règne les Almoliades
furent divisés en deux parties, et leur gouvernement
en deux gouvernements. C’est ainsi que leur dynas-
tie s’en allait, que leur gloire s’évanouissait déplus
en plus, et que le fer ne cessa de les frapper que
lorsqu’ils furent tous exterminés; et certes, si son
époque n avait été aussi bouleversée par les troubles
qui remplissaient l’Andalousie et le Maghreb, El-
Mamoun aurait été aussi grand que son père El-
Mansour, dont il avait toutes les qualités.
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’EAriR DES Ml’SULMANS ABOU SIOHAMMED ABD
EL-OIAUED EL-RAf.HYD^ QUE DIEU LUI FASSE MISERICORDE !
Abou Mohammed Abd el-Ouahed ben Edriss el-
Mamoun bed Yacoub el-Mansour ben \oussef, le
martyr, ben Abd el-Moumen el-Mouyd ben Al y le
Koumy, l’Almohade, prénommé Abou Mohammed,
surnommé El-Rachyd, eut pour mère une captive
chrétienne , appelée Habèb, femme distinguée et douée
d’une grande intelligence. Il fut proclamé à l’Oued
el-Abyd, le lendemain de la mort de son père, soit
le dimanche premier du mois de moharrem 63 o
(lâSa J. C), à l’âge de quatorze ans, par Kanoun
ben Djermoun el-Soufyany, Ghouayb Akaryth el-
‘ Nommé dans les livres d’histoire espagnols AlRascid, et appelé
Anasio par Mariana . qui en fait à tort le successeur immédiat d’El-
Nasser.
. 365
Askoury et Francyl, général chrétien; voici com-
ment : Habèb, ayant tenu secrète la mort de son
mari El-Manioun, manda auprès d’elle ces trois gé-
néraux , qui étaient les colonnes de l’armée d’El-Ma-
moun et commandaient chacun dix mille de leurs
frères, et en leur apprenant la perte qu’elle venait
de faire, elle les pria de nommer son fds pour succes-
seur de l’émir et de se charger de sa proclamation. En
même temps elle leur remit de très-fortes sommes
et leur promit de leur donner la ville de Maroc s’ils
réussissaient à en chasser l’ennemi. Ceux-ci se ren-
dirent à ses désirs, et prirent les affaires en main en
proclamant El-Rachyd et en le faisant proclamer par
les leurs et puis par tout le monde, soit de gré, soit
de force et à l’aide de la crainte qu’inspirait leur
sabre. Quand la proclamation fut achevée, le nouvel
émir se mit en route pour Maroc, en se faisant pré-
céder du cadavre de son père porté dans un cercued.
Cependant les habitants de Maroc, ayant appris les
conditions que Habèb la chrétienne avait ofl’ertes aux
généraux au sujet de leur ville, sortirent en rangs
de bataille sous la conduite de Yhya pour attaquer
Rachyd. Mais, à la première rencontre, Yhya fut
complètement battu, et Rachyd arrivait déjà aux
portes de Maroc, lorsqu’elles lui furent fermées en
face par les habitants, qui ne les lui ouvrirent que
lorsqu’il leur eut donné l’aman, et qu’d eut payé
au général chrétien et à ses compagnons le prix de
Maroc. Ils reçurent, dit-on, 5 00,000 dinars. El-
366
Rachyd rentra à Maroc et il y demeura jusqu’en 633.
A cette époque , ayant appelé les cheikhs des Khe-
louth, il en fit décapiter vingt-cinq dans son palais
même; c’est pourquoi les Khelouth, s’étant soulevés,
s’emparèrent de Maroc. Rachyd prit la fuite avec
son armée pour aller se retrancher à Sidjilmessa, et
les Khelouth, ayant alors proclamé Yhya, l’aidèrent
à revenir dans cette capitale, où il demeura à son
tour jusqu’au moment où Rachyd l’en chassa. Celui-ci,
ayant refait ses forces en argent et en hommes , sortit
de Sidjilmessa et vint à Fès, où il demeura quelque
temps à se concilier l’esprit de la population, en
distribuant de riches présents et de fortes sommes
d’argent aux docteurs et aux saints. C’est alors qu’il
se porta sur Maroc et qu’il défit de nouveau Yhya
à la tête de son armée d’Arabes et d’Almohades dont
il détruisit le plus grand nombre. Yhya, vaincu, s’en-
fuit en toute hâte vers Rabat Taza, et ce fut en route
qu’il fut trahi et assassiné par les Arabes Makhaly,
qui envoyèrent sa tête à Rachyd, à Maroc. Celui-ci,
maître de nouveau de cette capitale, y demeura
jusqu’à sa mort (que Dieu lui fasse miséricorde!).
Il se noya dans un bassin le jeudi 9 de djoumad
el-tany, an 6 ko [Ix décembre 12/12). Son règne
avait duré trois mille sept cents jours, soit dix ans,
cinq mois et neuf jours. 11 fut proclamé à Séville
dans le ramadhan de 635, et à Ceuta le mois sui-
vant, chouel. A cette époque l’Adoua et l’Andalou-
sie furent désolées par une grande disette et par une
. 367
peste épouvantable, qui laissa la plus grande partie
du pays sans habitants. Le prix du blé s’éleva jusqu’à
80 dinars le kafyz.
HISTOIRE DU RÈGNE DE L’EMIR DES MUSULMANS ABOD EL-HASSEN
EL-SAÏD. QUE DIEU LUI FASSE MISERICORDE !
Aly ben Edriss el-Mamoun ben Yacoub el-Man-
sour ben Youssef ben Abd el-Moumen ben Aly el-
Koumy, TAlmohade, eut pour mère une esclave nu-
bienne. Il fut prénommé Abou el-Hassen, surnommé
Saïd, et qualifié de El-Moutamyd Billah (le soutenu
par la faveur de Dieu). Il était très-brun, de sang
mêlé , haut de taille , très-droit , il avait une cheve-
lure abondante, de jobs yeux, une forte barbe, une
belle prestance; énergique, redoutable, grand ba-
tailleur, courageux, il l’emportait par ses qualités
sur tous ses frères. Il fut proclamé au palais de Ma-
roc, le lendemain de la mort de son frère, le ven-
dredi 10 de djoumad el-tâny 6/10, et il mourut
(que Dieu lui fasse miséricorde!) le mardi, dernier
jour de safar 666, pendant qu’il assiégeait Yagh-
mourâsen ^ ben Zyan Abd el-Ouahedy, qui s’était
retranché dans le château de Tamezdyt aux envi-
rons de TIemcen. Son khalifat compte ainsi deux
mille vingt-huit jours, à partir du jour de son avè-
nement jusqu’à celui de sa mort, soit cinq ans, huit
mois et vingt et un jours.
‘ Appelé dans l’Histoire d’Espagne Jagmorasin, et probablement
le Gomaranca de Mariana.
368 HISTOIRE DES SOUVERAINé DU MAGHREB
C’est à Tépoque de sa proclamation à Maroc que
les Béni Meryn commencèrent à briller de leur éclat
au Maghreb, dont ils gouvernaient déjà toutes les
campagnes. Saïd envoya contre eux diverses armées,
mais elles furent toutes défaites.
En 6/i3, l’émir Saïd, ayant appris que l’émir
Yhya ben Abd el-Hakk s’était emparé de Mekenès,
tandis que Yaghmouràsen ben Zyan s’était approprié
Tlemcen et ses environs, et que Mohammed el-
Moustansyr, gouverneur dlfrîkya, avait osé prendre,
contre tout usage, le titre d’émir des Musulmans
(le tout au détriment de l’empire que lui avait légué
son frère, et au mépris de son gouvernement), ré-
solut de faire une grande expédition contre eux, et
il sortit lui-même de Maroc à la tète d’une armée
innombrable d’Almohades , d’Arabes et de Chré-
tiens.
Dès qu’il eut atteint l’Oued Beht ^ l’émir Yhya
ben Abd el-Hakk abandonna Mekenès, et se rendit à
la forteresse de Taza et de là dans le Rif, où les Ka-
byles de Béni Meryn se joignirent à lui. L’émir des
Musulmans, El-Saïd, entra à Mekenès, dont la po-
pulation sortit au-devant de lui pour implorer
l’aman. Ils étaient précédés par le cheikh, le saint
Abou Aly Mansour ben Harzouz, qui vint se livrer à
l’émir accompagné des enfants des écoles, portant
leurs planchettes sur leur tète et leurs Korans à la
‘ Oued Beht . dans la province des Béni Hassen , entre Mekenès
et Salé.
. 369
main ^ L’émir Said leur accorda le pardon et se
rendit à Fès où il campa sous les murs, du côté du
Midi. Il demeura là quelques jours et reçut l’acte de
soumission de l’émir Yliya, ce qui le combla de joie;
il accueillit parfaitement les messagers, leur fit de
riches présents, et leur donna sa réponse, par la-
quelle il investissait Yhya du gouvernement du Rif
et de toutes les places fortes qui s’y trouvaient.
L’émir Said leva son camp le ik de moharrem
6/i5 ; mais dans la nuit il y eut une éclipse totale de
lune, et le lendemain matin, au moment où il mon-
tait à cheval pour se mettre en route, son parasol
royal se brisa et les morceaux furent emportés par
le vent. Frappé de ces mauvais présages, il s’arrêta
‘ C’est encore ainsi, planchettes en tête et Koran en main, que
les tholbas et les écoliers parcoiu-ent processionnelleraent, au Maroc,
les villes et les campagnes pour implorer la clémence du ciel du-
rant une calamité ; ils chantent tous ensemble des couplets compo-
sés pour la circonstance, comme celui-ci, par exemple, que nous
avons entendu en temps de sécheresse :
Ta pluie, ta pluie, ô Allah! De Teau, s’il plaît à Dieu!
Les épis ont soif, arrose-les , ô notre Seigneur !
notre naaître , nous implorons ta grâce. Qui nous fera miséricorde , si
ce n’est toi ?
Nous sommes debout à ta porte, ô clément des cléments !
3/r
370
et ne se mit en marche que le t6; il se porta sur
Tlemcen, mais à son approche Yaghmourâsen prit
la fuite, emportant ses trésors, ses femmes et ses
enfants, et il vint se retrancher clans le château de
Temzezdekt, où il se fortifia. Saïd, maître de Tlem-
cen, ainsi abandonné, poursuivit son ennemi jus-
qu’audit château, où il l’assiégea durant trois jours.
Le quatrième jour il monte à cheval vers midi, au
moment où les soldats avaient l’habitude de se re-
poser, et il s’en alla avec son ministre, à l’insu de
tous, pour examiner les fortifications du château et
chercher les moyens à prendre pour le battre et s’en
emparer; mais étant arrivé vers le milieu de la mon-
tagne, dans un eçdroit très-dillicile, il fut aperçu par
un cavalier des Béni Abd el-Ouahedy, connu sous
le nom de Youssef el-Cheytân (le diable) , qui faisait la
ronde, et qui fondit sur lui à rinq)roviste avec 1tagh-
mourâsen etlacoub ben Djouberel-Abd el-Ouahedy.
L’émir fut tué par El-Cheytân, et son ministre par
Vacoub ben Djouber. Les témoins de cet événement
vinrent en courant l’annoncer au camp , et les troupes,
frappées de stupeur, prirent la fuite, laghmourâsen,
se précipitant aussitôt avec les Béni Abd el-Ouahedy,
qui gardaient le château, livra le camp au pillage
et enleva tout ce qui s’y trouvait d’argent, d’armes,
chevaux, esclaves, tentes, tambours, enseignes et
drapeaux. Ensuite il ordonna de laver le corps de
Rachyd et de l’ensevelir avec les serviteurs de Dieu
au dehors de la porte de Tlemcen.
. 371
HISTOIRE DL REGNE DE L’EMIR DES MUSULMANS ABOU HAFS OMAR
EL-MOURTHADHY. QUE DIEU LUI FASSE MISERICORDE !
L’émir des Musulmans Omar ben el-Syd Abou
Brahim Ishac, fils de l’émir des Musulmans Youssef
ben Abd el-Moumen ben Aly el-Koumy l’Almohade ,
prénommé Abou Hafs, surnommé El-Mourthadhy
(l’agréé) , eut pour mère une femme légitime , fdle
de l’oncle de son frère. Il fut proclamé après la mort
de son frère Saïd par tous les cheikhs Almohades
de Maroc, le mercredi i*”” de raby el-aouel 6/i6,
d’après le livre de Ben Rachyk , intitulé Myzân el-
Amel (poids de l’administration). Mais cela ne peut
pas être exact, parce que Saïd étant mort le mardi,
dernier jour de safar, il n’était point possible que la
nouvelle en parvînt à Maroc dans une seule nuit. Il
est probable que Ei-Mourthadhy ne fut proclamé
que dix jours au moins après la mort de son frère,
mais que l’acte de proclamation fut écrit dans la
mosquée d’El-Mansour, sous la date du 2 de raby
el-aouel. Le Mourthadhy gouvernait la kasbah de
Rabat el-Fath au nom de son frère, depuis que
celui-ci était parti pour Tlemcen, et ce fut là qu’il
reçut sa proclamation qu’il publia aussitôt et qui fut
agréée par tous les Almohades, les docteurs et les
cheikhs qui l’entouraient. Il se rendit aussitôt à Ma-
roc, et, après avoir fait renouveler sa proclamation,
il prit les rênes de son gouvernement, qui s’étendait
sur tout le pays compris entre la ville de Salé et le
ai.
372
Sous. H resta dans sa capitale jusqu’en 653, et il en
sortit pour aller attaquer Fès et les Beny Meryn, à
la tête d’une innnense armée de quatre-vingt mille
cavaliers Almohades, Aglizàz, arbalétriers, andalous
et Chrétiens. Arrivé au Djebel des Béni Behloul, au
sud de la ville de Fès, il campa; mais déjà la crainte
des Beny Meryn s’était tellement emparée du cœur
de ses soldats, qu’ils n’en dormaient plus la nuit.
Un soir il arriva qu’un cheval, s’étant échappé, se
prit à galoper en tous sens au milieu des tentes;
on se mit à sa poursuite, mais les soldats, aperce-
vant ce mouvement, crurent qu’il s’agissait d’une
attaque des Beny Meryn , et , l’épouvante gagnant
de l’un à l’autre, toute l’armée monta à cheval. Les
différents corps ne se reconnaissant plus entre eux
s’effrayèrent réciproquement, et prirent la fuite dans
une déroute aussi complète que si elle eût été cau-
sée par l’ennemi. En apprenant cela, l’émir Yhya
sortit de Fès et vint piller le camp. Il s’empara de
tout ce qui s’y trouvait, richesses, armes et bagages.
Le Mourthadhy, vaincu, s’en revint à Maroc avec un
très-petit nombre de Chrétiens et cheikhs qui lui
étaient restés fidèles, et il demeura dans cette capi-
tale jusqu’au samedi aa moharrem, an 665 (1266
J. C), à l’arrivée d’Abou Debbous, auquel il n’é-
chappa que par la fuite. Il fut pris et tué dans le
mois suivant, le 22 safar. Ceci est attesté par un
grand nombre de personnes qui en furent témoins.
Son règne avait duré six mille six cent quatre-vingt
373
seize jours, soit dix-huit ans, dix mois et vingt-deux
jours. Le Mourthadhy se fit remarquer par son abs-
tinence et ses goûts pour la vie monastique, et il fut
appelé le troisième Omar. 11 était passionné pour la
musique religieuse, dont il ne se serait détaché ni
jour ni nuit. Son époque fut tranquille et prospère,
et l’abondance fut si grande sous son règne, que
les habitants du Maghreb n’en virent plus jamais de
semblable.
HISTOIRE DU RÈGNE D’EDRISS, SURNOMMÉ ABOV DEBBOUS ^, DERNIER
SOUVERAIN DES DESCENDANTS D’ABD EL-MOUMEN.
Abou el-Olâ Edriss ben el-Sid Abou Abd Allah
ben Sid Aly Hafs, fils de l’émir des Musulmans Abou
Mohammed Abd el-Moumen ben Alv, reçut le titre
d’émir des Musulmans et celui d’El-Ouathik Billah
(le confiant en Dieu). Sa mère était une captive
chrétienne nommée Chemcha (soleil). Il était blanc,
coloré et couvert de rousseurs , haut de taille ; il avait
les yeux bleus et la barbe longue; il était adroit,
courageux, expérimenté et fort habile; il entra à
Maroc par surprise contre Omar el-Mourthadhy, qui
s’enfuit. Maître du gouvernement, il fut proclamé
dans la mosquée d’El-Mansour par tous les Almo-
hades, les cheikhs, les visirs, les kadys, les docteurs
et les principaux Arabes et Mesmouda, le dimanche
‘ Abou Debbous (Ihomme à la masse d’arme), appelé Bxdebusio
par Mariana.
‘àllx
‘j3 de moharrem, an 665, le lendemain de son
entrée en ville.
Voici comment les événements eurent lieu : Abou
Debbous, informé qu’El-Mourthadhy voulait le faire
périr pour plusieurs motifs, s’échappa de Maroc et
se rendit à Fès chez Témir des Musulmans, Abou
Youssef Yakoub ben Abd el-Hakk , pour lui faire sa
soumission. Celui-ci, l’ayant parfaitement accueilli
et comblé de générosités, il lui demanda son appui
et ses secours pour faire la guerre à El-Mourthadhy,
et pour s’emparer de Maroc; en effet, l’émir Abou
Youssef consentit à lui donner une armée de trois
mille cavaliers Beny Meryn, et, en la lui confiant, il
lui remit le tambour, les drapeaux et vingt mille
dinars pour pourvoir aux dépenses de l’expédition;
de plus, il donna ordre aux Arabes Hacliem de l’ac-
compagner, et, de son côté, Abou Debbous s’engagea
t\ lui livrer la moitié de toutes ses conquêtes. Abou
Debbous partit donc avec son armée, enseignes dé-
ployées, et au son du tambour; d arriva à Salé,
d’où d écrivit aux cheikhs Almohades, arabes et Mes-
mouda soumis à El-Mourthadhy, pour les inviter à
le proclamer en leur faisant mille promesses. S’étant
remis en route, il fut rejoint dans le chemin par une
députa tion d’Arabes de Haskoura qui le proclamèrent
et l’accompagnèrent jusque dans leurs terres. Là il
écrivit à quelques ministres d’El-Mourthadhy pour
leur demander des nouvelles de Maroc, et ceux-ci
lui répondirent de se mettre en route de suite et de
. 375
se hâter, lui assurant qu’il n’avait rien à craindre,
que toutes les troupes étaient éparses dans le pays,
et que le moment était fort propice pour un coup
de main.
Abou Debbous partit la nuit même du jour où
il reçut ces nouvelles, et arriva le lendemain à Ma-
roc, oii il entra par la porte El-Sahla, au moment
où personne ne s’y attendait; c’était le samedi, dans
la matinée du ’22 de moharrem 665. Il parvint ainsi
jusqu’à la porte de la kasbah, qui fut aussitôt fer-
mée et que les nègres essayèrent de défendi’e ; mais
lorsque El-Mourthadhy comprit que la kasbah même
allait être prise, il s’échappa du palais en fuyant par
la porte El-Fâtiha. Abou Debbous rentra au palais,
et, ayant été proclamé, il s’assura le gouvernement.
El-Mourtliadhy s’enfuit à Azimour, où se trouvait son
beau-père, Ben Athouch, quil y avait nommé gou-
verneur à l’époque de son mariage et qu’il avait
comblé de bienfaits et d’argent. Il arrivait donc vers
lui avec confiance et assurance; mais Ben Athouch le
fit arrêter et enchaîner, puis il écrivit à Abou Deb-
bous une lettre contenant ces mots : ccO émir des
ff Musulmans! apprends que j’ai arrêté le fuyard et
(^ que je l’ai chargé de chaînes, n Abou Debbous lui
envoya dire de lui expédier de vsuite le prisonnier, et
il le fit tuer en chemin.
Abou Debbous entreprit alors dorganiser son
gouvernement de Maroc et des environs. Cependant
l’émir Abou Youssef, ayant appris ses succès, lui
376
écrivit pour ie complimenter et 1 inviter à exécuter
les conditions qu’ils avaient faites ensemble, c*est-à-
dire de lui céder la moitié de ses conquêtes: mais,
à la réception de ce message, Abou Debbous, aussi
arrogant que gonflé d’orgued, oublia tous les bien-
faits dont l’émir des Musulmans l’avait comblé, et i\
répondit au courrier: – \ a-t en dire au serviteur du
t: Miséricordieux, \acoub ben Abd el-Hakk, de rester
c: tranqudle et de jouir en paix des pays qui sont
ff placés sous sa domination, s il ne veut pas que je
fr vienne le trouver avec des légions qu’il ne soup-
er çonne pas. -^ Lorsque Youssef reçut ce courrier, qui
lui rapporta les paroles d’Abou Debbous et lui remit
de sa part une lettre telle que celles qu’un émir
adresse à ses kaïds ou un commandant à ses servi-
teurs, il fut. convaincu de la mauvaise foi et de la
fourberie que Debbous avait apportées dans toutes
ses actions, et il se mit en devoir daller l’attaquer.
11 commença par envover des troupes dans toutes
les directions pour saccager ses terres et pour battre
ses partisans jusqu’en 667 (1-268 J. C); alors il
se mit lui-même à la tète de toute l’armée des Beny
Meryn, et vint se présenter à Abou Debbous, dans
la province de Doukela. Ils se livrèrent une sanglante
bataille, et Abou Debbous, combattant lui-même au
mdieu de la mêlée, fut tué; ses troupes furent mises
en déroute et son camp fut entièrement pillé. Sa tête
fut rapportée à l’émir des Musulmans. Abou ^ oussef,
<|ui lexpédia à Fès, où, par son ordre, elle fut pro-
. 377
menée sur les places et les marchés, et puis pendue
à la porte de cette capitale.
La mort d'Abou Debbous et la fin de son règne
eurent lieu le vendredi, dernier jour de dou'l hidjâ,
de l'an G67. Il avait régné mille quarante -deux
jours, soit deux ans onze mois et sept jours. Sa mort
marqua la fin de la dynastie des Almohades, des-
cendants d'Abd el-Moumen. Mais d n'y a de règne
durable et de vie éternelle qu'en Dieu, seul invin-
cible, maître de toutes choses avant et après; seul
Seigneur, seul adorable! C'est à lui qu'appartient la
terre et tout ce qu'elle contient, et il est le meilleur
des maîtres! — Le règne des Almohades, depuis la
proclamation d'El-Mehdy (en 5i5) jusqu'à la mort
d'Abou Debbous (en 667), dura cent cinquante-deux
ans, et leur dynastie compte quatorze souverains.
CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS REMARQUABLES QUI ONT EU LIEU
SOUS LES ALMOHADES, DEPUIS LE COMMENCEMENT JUSQU'À LA FIN
DE LEUR RÈGNE.
La première chose mémorable fut l'avènement de
Mehdy en 5 1 5 ( 1 1 2 1 J. C), sa proclamation et l'ap-
parition des Almohades qui ne cessèrent de briller
et de fortifier leur gouvernement.
En 62/1 (ii3o J. C), El-Mehdy mourut, et les
Almohades proclamèrent la souveraineté d'Abd eî-
Moumen ben Aly.
En 5-28 (ii3/i J. C), Abd el-Moumen s'empara
378
du Dràa de Tedla, de la ville de Salé et des pays
de Taza^ et il prit le titre d'émir des Musulmans.
En 629 (1 135 J. C), il ordonna de bâtir la ville
de Rabat-Taza, qui fut construite et fortifiée d'une
enceinte de murailles.
En 537 (iiûa J. C), les Almohades conquirent
Xérès, et le khotbah y fut fait en leur nom. Ben
Razyn et Ben Hamdyn, kady de Cordoue, se soule-
vèrent contre les Almoravides, qu'ds expulsèrent.
En 689 (ii/i/i J. C), l'armée Almohade passa
en Andalousie et s'empara de Tarifa et d'Algérisas,
d'où les Almoravides prirent la fuite.
En 56o (1 i/i5 J. C), Aly ben Ayssa ben Mymoun
le Lemtouny renversa les idoles des Saints; les Al-
mohades conquirent Malaga, et les ennemis vinrent
à Alméria avec quatre-vingts vaisseaux , sur lesquels
ils s'en retournèrent après avoir incendié les jardins
environnants. D'un autre côté, Abd el-Moumen s'em-
para des vdles de Fès, Tlemcen, Oran et de tous
leurs environs. Il fut proclamé par les habitants de
Séville, qui expulsèrent les Almoravides de chez eux.
Enfin, il fit construire les murs d'encehite, les forti-
fications et la mosquée de Tagrart, près Tlemcen.
En 5^1 (11^6 J. C), Abd el-Moumen se rendit
maître de Maroc, d'Aghmât, de tout le pays de
Doukela, et enleva Tanger aux Almoravides qui
l'occupaient et qui périrent tous. Ce fut la fin du
règne des Almoravides dans tout le Maghreb et en
x^ndalousie.
. 379
En 5^i3 (i 1^8 J. C), l'émir des Musulmans con-
quit Sidjilmessa, Ceuta, et il fit son expédition
contre les Berghouata, Les Almohades s'emparèrent
de Cordoue, Garmouna et Jaën. k la fin de cette même
année, les habitants de Ceuta se soulevèrent contre
les Almohades, tuèrent et jetèrent au feu leur gou-
verneur.
En bfiti (i 1/19 J. G.), les Ghrétiens s'empa^-èrent
de Mehdïa en Ifrîkya, et, en Andalousie, ils prirent
les places de Lisbonne, Alméria, Tortose, Merida,
Braga, Santarem et Santa Maria. Toiis ces pays fu-
rent conquis sous le conmiandement de Ben Rezyn
(que Dieu le maudisse!). Durant cette même année,
Yhya ben Ghânya livra aux Ghrétiens les villes d'Ou-
béda, de Baëza et tous les châteaux qui en dépen-
daient.
En 5/»5 (1 1 5o J. G.), les Almohades s'emparèrent \
de Mekenès, qu'ils emportèrent d'assaut après l'avoir
assiégée pendant sept ans. Ils massacrèrent la plupart
des habitants, dont ils pillèrent les trésors et enva-
hirent les harems; c'est à cette époque qu'ils bâtirent
la ville de ce nom, qui existe encore aujourd'hui,
et qu'ils abandonnèrent l'ancienne. En cette même
année , Abd el-Moumen donna ordre d'amener f eau
de f Aïn Ghaboula, à Salé.-
En 5/i6 (ii5i J. G.), Abd el-Moumen conquit
les monts Ouancherich (Ouanseris), Meliâna, Al-
méria, Djezaïr des Béni Mezghanna et Bougie.
En 5/17 (11 5*2 J. G.), il s'empara des villes de
380
Bône , Kosthyla (Touzer) , Constantine , de la province
de Bôiie, de tout le Djerid et du Zab africain. En
cette même année, les Almohades enlevèrent aux
Chrétiens Alméria, Oubéda et Baëza, dont les Musul-
mans prirent le gouvernement.
En 5/19 (11 5^ J. C), ils s'emparèrent de Niebla
en Andalousie, à l'assaut, et ils massacrèrent toute
la ganiison , dont ils enlevèrent les harems et les tré-
sors. Ce fut une très-grosse affaire.
En 55o (ii55 J. C), ils s'emparèrent de Gre-
nade, dont les habitants se révoltèrent ensuite, et
les en chassèrent. Ils n'y rentrèrent qu'en 5 5 2 , après
un très-long siège.
En 553 (1 158 J. C), Abd el-Moumen se rendit
maître de Tunis, Sousa, Gabès, El-Kayrouan, Sfax.
Tripoli du Midi et de la Mchdïa, qu'il enleva aux
Chrétiens.
En 556 (1161 J. C), il donna ordre de bâtir la
forteresse de Gibraltar, et l'ordre fut exécuté.
En 558 (iiC3 J. C), mort d'Abd el-Moumen et
avènement de son fils \ oussef.
En 559 (1 i63-i 16A J. C), révolte de Ben Derâ
dans la province de Ghoumara.
En 56o (1 i6/i J. C), expédition du Djelab, dans
laquelle périrent un grand nombre de Chrétiens.
En 56/i (1 168 J. C), mort du cheikh le fekhy,
le saint Abou Omar Othmân ben Abd Allah el-Se-
ladjy el-Assouly, auteur d'El-Bourhanya (preuves évi-
dentes) et imam du Maghreb dans la science de la
. 381
religion. En cette même année il y eut une grande
inondation à Séville.
En 566 (i 170 J. G.), l'émir Youssef donna ordre
de construire le pont du Tensyft, et il fut construit.
En 567 (1171 J. C), il fit jeter le pont de ba-
teaux du fleuve de Séville, et il fit bâtir la kasbah
de cette capitale et les murs inclinés qui l'entourent.
Cette même année mourut Mohammed ben Sad
ben Merdnych, maître de l'Orient de l'Andalousie,
et les Almohades s'emparèrent de Valence, de Xa-
tiva, de Dénia et de tout son gouvernement.
En 568 (1172 J. C), le 12 chouel, il y eut un
grand tremblement de terre général, qui détruisit
la plus grande partie des villes de Syrie, du Magh-
reb , du Mossoul , de Djzyra et de l'Irak ; mais ce fut
surtout en Syrie que les secousses furent terribles; il
périt en cette occasion une multitude de personnes,
au point que les habitants eurent peur des Francs
à la vue des ruines et du grand nombre de morts.
C'est en cette année-là qu'Abou Berdha (l'hom-me à
la selle), le Chrétien, fut battu et tué, ainsi que
tous ses soldats, parles Almohades.
En 569 (1 178 J. C), à la fin de châaban, mourut
le cheïkh, le docteur, le saint, Abou el-Hassen Aly
ben Ismaël ben Mohammed ben Abd Allah ben Har-
zahîm ben Zyan ben Youssef ben Choumrân ben
Haffs ben el-Hassan ben Mohammed ben Abd Allah
ben Omar ben Othmanben Ofân (que Dieu l'agrée!),
et il fut enterré au sortir du Bah El-Fetouh de la
382
ville de Fès. C'était un illustre docteur, méprisant
les choses de ce monde, et entièrement voué à la
vie monastique. Voici ce qui fut raconté à son sujet
par son serviteur, nommé Abou Karn : a Un jour le
cf cheikh Abou el-Hassen ben Harzahîm , après avoir
ff appelé sur moi le pardon et la grâce de Dieu, me
rrdit : J'ai vu en songe le maître de la gloire, qui
Cf m'a dit : Aly, demande ce que tu désires. — J'ai
fc répondu : Seigneur, je te demande le pardon
ffde mes fautes, une bonne santé et le salut en re-
ffligion, dans ce monde et dans l'autre. — Dieu
Cf m'a répondu : Tes vœux sont exaucés; et c'est pour
ffcela que, n'ayant plus à m'inquiéter de ces bien-
ff faits pour moi-même, j'ai prié pour te les mériter
cr aussi. 1^ Au commencement du mois de châaban, il
dit à un de ses serviteurs : ce Je ne jeûnerai point avec
cries fidèles au prochain raniadhan.ii Cependant il
continua à se bien porter jusqu à la fin du mois, mais
ses paroles furent prophétiques; il tomba malade et
mourut le 3o de châaban, veille du ramadhan. Ce
jour-là, il se leva comme d'habitude, se parfuma, et
après il dit à son domestique : cr Ce sont là tes der-
fc niers services auprès de moi. ■)•> Il rentra dans sa
chambre, pria deux fois, et il se coucha sur son
tapis. Lorsque l’heure de la prière du Douour fut
venue, son serviteur entra pour le réveiller, et il le
trouva mort.
En 670 (117Û J. C), mort du fehky, le cheïkh.
le vertueux, Abou Chaïb Yacoub ben Said El-Sen-
383
liadjy, connu sous le nom d’El-Sarya (la colonne),
parce que, lorsqu’il priait, il se tenait debout et im-
mobile pendant un temps infinie Quelques-uns di-
sent qu’il fut du nombre des Abdâl2(?).
En 571 (1 175 J. C), la peste fit les plus grands
ravages à Maroc.
En 579 (1176 J. G.), mort du fekhy, le kady,
Abou \acoub el-Hadjàdj. C’est à cette époque que
l’émir Youssef disgracia son frère Hassen, qui lui
adressa quelques vers qui lui valurent son pardon
et le gouvernement de Gordoue. En chouel de la-
dite année, s’éteignit l’étoile polaire de l’époque,
l’admiration de son siècle , Abou Vaza ^ el-Nour ben
Mymoun ben Abd Allah el-Azmyry, de la tribu des
Béni Sabyh d’Askoûra. 11 mourut âgé de cent trente
ans; après être resté pendant vingt ans solitaire et
entièrement dévoué à Dieu, dans la montagne qui
est au-dessus de Tynmâl , il vint sur le rivage , où il
vécut seul pendant dix-huit ans, ne mangeant que
de l’herbe et des racines. Il était noir cuivré, grand
et maigre, vêtu d’une tunique en feuilles de palmier,
d’un burnous tout rapiécé et coilTé d’une chéchia
en joncs.
En 678 (1177 J. G.), le docteur célèbre Abou
‘ Au point, disent les Marocains aujourd’hui, que les oiseaux des
champs venaient se reposer sur sa tête.
‘ Aujoiu”d’hui Moulai Bouaza , cétail un marabout fort vénéré au
Maroc.
384
Mohammed Abd Allah ben el-Melky, cheïkh des
tholbas de son époque , mourut dans le mois dou’l
hidjâ, et l’émh’ des Musulmans, Aoussef, assista lui-
même à ses funérailles.
En 678 (1189 J. C.) mourut le cheikh vertueux,
Abou Moussa Ayssa ben Amrân, kady de Maroc, qui
fut remplacé par Abou el-Abbès ben Moundhyr, de
Cordoue. Le kady Abou Amrân fut un des hommes
remarquables de Tépoque par ses belles qualités et
sa charité; il écrivait parfaitement, comme l’atteste
cette lettre qu’il adressait à son fils, qu’il avait en-
voyé tout jeune, à peine pubère, à Fès : a A mon
frfils. (Que Dieu lui soit en aide, le conserve et le
rr complète par la science et la vertu ! ) Je vous écris
frpour vous exprimer la peine que je ressens de
rr votre éloignement, que Dieu très-haut a décrété
ce dans le courant des choses. mon fils! quand je
cr vous verrai au milieu de ceux qui savent le Koran
trpar cœur et qui cultivent les belles -lettres et les
a sciences, je vous ferai des présents qui dépasseront
cr votre attente. Sachez que les imams réunis ont re-
rr connu que le repos no vient pas après le repos, et
ff que la science ne s’acquiert pas dans l’oisiveté. Etu-
crdiez donc les lettres pour devenir savant; exercez
fc votre mémoire pour la conserver, et lisez beaucoup
crpour élever votre esprit; évitez la fréquentation
ff des hommes vils ou nuls; suivez les principes que
ff Topinion publique approuve, et évitez ceux qu’elle
rr blâme. Votre meilleur indice sera toujours le terme
. 385
rr moyen; l’homme est là où son esprit le place. Tra-
rr vaillez donc à des œuvres salutaires. Adieu ! r
En cette même année, les Musulmans conquirent
les villes de Ghantafyla et d’Akelych, où ils massa-
crèrent tous les Chrétiens, dont ils enlevèrent les
femmes et les trésors.
Mort du cheikh Abou Khazr Yakhlaf ben Khazr
el-Ouaraby, illustre savant et vertueux personnage
de la ville de Fès.
En 58o (iiSti J. G.), mort de l’émir des Mu-
sulmans Youssef, et avènement de son fils El-Man-
sour. C’est dans cette même année, le vendredi 6
de châaban, qu’El-Mayorky entra à Bougie à l’heure
de la prière, pendant que tous les fidèles étaient à
la mosquée. Jusque-là les portes des villes ne se
fermaient pas le vendredi. El-Mayorky, ayant attendu
le moment où tous les fidèles étaient à la prière,
entra dans la ville et fit aussitôt cerner la grande
mosquée par des cavaliers et des fantassins; il ac-
cueillit ceux qui le proclamèrent et massacra les
autres ; il demeura sept mois maître de Bougie avant
d’en être chassé. C’est à partir de cette époque que
les Musulmans ont pris f usage de fermer les portes
des villes chaque vendredi à fheure de la prière.
En 58/i (i 188 J. C), mort du cheikh, le phénix
de son époque , Abou Medyan Chouayb ben el-Has-
sen el-Ansâry, originaire de Sathmâna, dépendance
du gouvernement de Séville. Il mourut’ à Tlemcen
et fut enterré au Djebel el-Abbed; il n’avait d’au-
380
Ires occupations que la prière, à l’exemple d’Abou
el-Hassen ben Harzbem; il suivit les préceptes du
Sonna qu’Aby Ayssa el-Termydhy avait écrits pour
Ben Ghâleb, et il apprit le Tsouf de Ben Abd Allah el-
Doukkak. Ses derniers mots, au moment d’expireir,
furent: crDieu très-haut est durable et éternel! t»
Quelques auteurs donnent l’an 676 pour date de
sa mort.
En 585 (1 189 J. C), El-Mansour fit arriver l’eau
dans la ville de Maroc.
En 586 (1 190 J. C), les Chrétiens enlevèrent
les villes de Ghelba , Badja et Bayra dans l’occident
de l’Andalousie. 1
En 58y (1191 -ï- C.), les Musulmans s’empa-
rèrent du château d’Aby Dânys.
En 591 (1 195 J. G.), les Chrétiens furent défaits
à la batadle d’Alarcos et y périrent par nombreux
milliers.
En 593 (1 197 J. C), la ville de Babat el-Fath
fut construite et entourée de murs munis de portes.
C’est en cette même année que furent construits : à
Babat el-Fath la mosquée et la tour d’Hassan’, qui
n’ont point été achevées; la mosquée et le minaret
de Séville; la mosquée El-Katebyn de Maroc, ainsi
que la kasbah et la mosquée de cette ville.
Mort du cheikh , le savant docteur Abou Abd
Allah Mohammed ben Brahim, né à la Mehdïa .
auteur du livre El-Hédaya (les présents). 11 arriva
‘ Voyez page 3 ai.
ET ANNALES DE L\ VILLE DE FES. a
39ô
de Geuta pi’oclamèrent El-Rachyd. Famine et peste
dans le Maglireb, tellement désastreuses, que les
hommes se mangeaient entre eux, et que l’on ense-
velissait cent cadavres dans une même fosse.
En C)ho [i-ifi’i J. G.), mort d’El-Rachyd et avè-
nement de son frère El-Saïd.
En 6/j2 (12^/1 J. G.), prise de Valence par les
Ghrétiens.
En 6^3 (1 2^5 J. G.), prise de Mekenès par l’émir
Abou Yhya.
En 6lih (1 266 J. G.), prise de Jaën par les Ghré-
tiens.
En 6U6 (1268 J. G.), mort d’Abou el-Hassen el-
Said. Prise de SévUle par les ennemis. Abou Yhya
s’empare de Fès et de Rabat-Tâza. G’est cette année-
là qu’eut lieu le grand incendie des bazars de Fès,
dans lequel fut détruit tout le faubourg, depuis le
Bab el-Selsela (porte de la chaîne), jusqu’aux bains
de la Halle aux Blés. Avènement d’El-Mourthadhy à
Maroc.
En G53 (1255 J. G.), défaite d’El-Mourthadhy
chez les Béni Behloul, aux environs de Fès.
En665(i267J.G.),El-Mourthadhy,tuéàMaroc,
est remplacé par Abou Debbous.
En 667 (1268 J. G.), Abou Debbous fut tué et
son armée détruite. L’émir des Musulmans, maître
de Maroc et de ses dépendances, ht son entrée dans
la capitale, le dimanche 9 du mois de moharrem de
1 année 668 (8 septembre 1269 i. G.).
396
HISTOIRE DU RÈGNE FORTUNÉ DES MERYN , DESCENDANTS D’ABD EL-
HAKK. QUE DIEU PROLONGE ET CONSERVE LEUR DYNASTIE, QU’IL
ÉLÈVE LEURS ORDRES ET LEUR PUISSANCE ! NOTICE SUR LEUR DES-
CENDANCE PURE ET SUR LEUR ÉLÉVATION PAR LA VERITE ET LA
justice; LEURS ROIS, LEURS CONQUETES, LEURS GUERRES, LEUR
BON GOUVERNEMENT, LEURS MONUMENTS ET LEURS OEUVRES.
L’auteur du livre (que Dieu lui soit propice!) a
dit : La famille des Meryn est la première et la plus
noble par descendance de la tribu des Zenèta , parmi
lesquels ils se distinguèrent toujours par la gran-
deur de leur caractère et de leurs vertus. De mœurs
très- douces, valeureux guerriers et profondément
religieux, ils ne manquèrent jamais à leur parole.
Très-nombreux et puissants, ils défendaient leurs
voisins et ils donnaient refuge et secours aux mal-
heureux. Le feu de leur hospitalité ne s’éteignit ja-
mais, et ils étaient incapables dune lâcheté ou d’une
traliison; modestes, charitables, ils venaient en aide
aux docteurs et aux saints. Ne s’écartant jamais du
Sonna ancien et des exemples transmis de père en
fds; célèbres dans l’histoire, ils le sont encore au-
jourd’hui. Que Dieu conserve leur dynastie et leur
donne la victoire; que par la grâce et la puissance
de Dieu leur sabre et leur drapeau soient toujours
la terreur de leurs ennemis !
ORIGINE ET DESCENDANCE VERITABLES DES BENY MERYN.
L’auteur du livre continue : J’ai copié les notes
. 397
suivantes de celles que le fekhy Abou Aly el-Miliany
avait écrites de sa propre main, savoir : Les Beny
Meryn sont une fraction des Zenèta, fils de Ben Our-
tadjân ben Makhoukh ben Ouadjdîdj ben Fâten ben
Yedder ben Yadjfet ben Abd Allah ben Ouartyb ben
el-Magguer ben Ibrahim ben Seghyk ben Ouassyn
ben Yslîten ben Mazry ben Zakya ben Ouarsydj ben
Zenàt ben Djâna ben Yhya ben Temsyt ben Dharys
(qui est Djalout, premier roi des Berbères) ben Ouar-
djyh ben Madghys el-Abtar ben Bez ben Kys ben
Ghylân ben Moudhyr ben Nizâr ben Mâd ben Adnân.
C’est à partir de Zenât ben Djâna que s’est formée la
tribu des Zenèta, qui sont Arabes purs. La cause du
changement de leur langue arabe en langue berbère
est ainsi rapportée par les écrivains les plus savants
sur l’histoire des races et des origines : Moudhyr
ben Nizâr eut deux fils, Elyas et Ghylân, de leur
mère nommée Bebâb bent Hedjâ ben Omar ben
Mâd ben Adnân. Ghylân eut également deux fils,
Kys et Douhmân. Douhmân n’eut qu’une faible pos-
térité, qui forma les Béni Amâm , fraction de la tribu
de Kys. Celui-ci engendra quatre fils et une fille :
Saïd, Omar et Hafsa, qui eurent pour mère Mouzna,
fille de Assad ben Bebia ben Nizâr; le quatrième,
Bez et sa sœur Toumadher, naquirent de Berîgha,
fille de Medjdel ben Medjdoul ben Omar ben Mou-
dhyr, le Berbère, le Medjdouly. A cette époque, ces
Berbères Medjdouly, qui habitaient la Syrie, fré-
quentaient les Arabes dans les villages et sur les
398 HISTOIRE DES SOUVERAINS DU M VGHREB
marchés, et souvent même ils s’associaient avec eux
pour les pâturages, les eaux, l’espace et le jardi-
nage. Or Beliâ, fille de Douhman ben Ghylân, était
la femme la plus accomplie de son temps en beauté
et en qualités, et de toutes les tribus arabes se pré-
sentaient des prétendants nombreux; mais les fils de
son oncle Kys, ses cousins Saïd, Omar, Hafsa et
Bez, déclarèrent qu’elle ne sortirait pas de la famille
et qu’elle n’épouserait que l’un d’eux. Enfin, invitée
à faire un choix parmi les quatre, elle donna la pré-
férence à Bez, qui était le plus jeune et le meilleur de
tous, et il l’épousa en dépit de ses frères, qui con-
çurent le dessein de le tuer. Sa mère, Berîgha, qui
était une femme de tête, tremblant pour son fils,
fit prévenir Behâ de ce qui se passait, et convint
avec elle de s’échapper dans le pays de ses frères,
les Berbères, oia elle emmènerait également son fils
Bez. Puis elle envoya chercher ses parents, qui ar-
rivèrent secrètement, et elle partit avec eux, emme-
nant son fils Bez et sa belle-fille Behâ. Arrivés chez
les Berbères , elle établit Bez dans sa famille , où il
épousa en toute sécurité sa cousine Behâ, devint
puissant et capable de résister à ses ennemis. Behâ
lui donna deux fils, Alouân et Madghys. Alouân mou-
rut jeune et sans enfants, mais Madghys, surnommé
El-Abtar, fut le père des Berbères el-Boutery, dont
tous les Zenèta font descendre leur origine.
Bez mourut chez les Berbères et y laissa son fils,
Madghys. (h)nl les enfants et les descendants furent
ET ANNALES DE LA VïLLR DE FES. 399
iniionil)raMes; ceux-ci, parlant la langue du pays,
tlont il^ avaient pris les mœurs et les coutumes, pas-
saient leur vie à courir dans les champs, montés sur
leurs chevaux et leurs dromadaires, habitudes et
instincts qu’ils conservèrent toujours.
Toumadher, fille de Kys, ne cessa de pleurer son
trère Bez, en chantant les nombreuses poésies qu’il
avait faites sur son pays, sur sa tente et sa terre na-
tale. En entendant ces vers, nul ne pouvait retenir
ses larmes en pensant à Bez ben Kys, qui avait été
enlevé à sa famille et qui était mort sans que per-
sonne ne l’eût plus revu. C’est encore elle qui chan-
tait: ffBez n’a rien laissé dans notre pays, si ce n’est
fcsa maison, qu’il a fuie pour aller chercher la tran-
ffquillité; il a appris la langue des barbares; mais
rr s’il n’avait point demeuré dans l’Hedjaz, il n’en eût
ff point su d’autre, ii
Abd el-Azyz el-Melzouzy, auteur du poëme Nadhm
el-Selouk fi akhbar men nazel el-Maghreb men el-
Moulouk (collier des fils de l’histoire des actions des
rois de Maghreb), a dit : crLes Zenèta étaient voisins
rf des Berbères, et ils en ont pris le langage; mais ils
rr n’ont rien changé de plus à leurs coutumes arabes,
ffqui sont restées et restent encore les mêmes. La
fr langue arabe seule a été oubliée; ils ne la parlent
ff ni ne la comprennent plus; ils sont tels maintenant
ff encore, et tels étaient les premiers Beny Meryn. t»
400
AVÈNEMENT DES BENY MERYN AU MAGHREB ET LEUR ELEVATION
EXTRAORDINAIRE AO POUVOIR. •
Quand Dieu très-haut voulut faire resplendir le
règne heureux et béni des Beny Meryn, fils d’Abd
el-Hakk, leur dynastie victorieuse s’affermit par sa
toute-puissance et les décrets de sa justice s’accom-
plirent. Les Almohades restèrent forts et grands jus-
qu’au désastre de l’Oukab, qui fut le signal de leur
décadence. El-iNasser, vaincu, rentra à Maroc; mais
son gouvernement ne cessa d’aller de mal en pis
jusqu’à sa mort, en l’an 610, où il fut détrôné et
remplacé par son fds El-Moustansyr, jeune enfant
non pubère encore, incapable de diriger les affaires,
et qui, adonné aux plaisirs et à la débauche, laissa
les rênes du gouvernement à ses oncles et à ses pa-
rents, à ses ministres et à ses cheïkhs. Ceux-ci enga-
gèrent entre eux luttes sur luttes, se disputant le
commandement, se nommant et se destituant les uns
les autres, au point d’étonner le monde. Tout se
trouva bientôt bouleversé, l’anarchie devint géné-
rale, les forces s’affaiblirent, les vices envahirent le
pays, la religion même se perdit, et il n’y eut plus,
dans tout l’Empire, que la guerre civile que Dieu
fit éclater chez eux pour les anéantir et élever le
gouvernement et la dynastie des Beny Meryn.
Les Beny Meryn étaient un peuple d’élite et voué
à la vraie foi. Il est certain qu’ils vivaient sur les
terres situées au midi du Zab africain jusqu’à Sid-
. ‘lOI
jilmessa. Nomades, ils s’étaient répandus chez les
Berbères et dans les lieux déserts; ils ne connais-
saient ni argent ni monnaie et n’étaient point régis
par un émir. Fiers et dédaigneux, ils ne suppor-
taient ni attaque ni alliance; ils ne connaissaient ni
l’agriculture ni le commerce, et leurs seules occu-
pations étaient la chasse, le cheval et les razias. Tous
leurs biens consistaient en chevaux, en chameaux et
en nègres; ils se nourrissaient de viande, de fruits,
de laitage et de miel. Une partie d’entre eux entrait
chaque été au Maghreb pour faire paître et abreuver
leurs bestiaux. En automne, ils se réunissaient tous
à Agersîf, et de là ils se mettaient en route pour
retourner chez eux. Telle était leur coutume depuis
les temps anciens. En l’an 6 1 3 , ils vinrent donc
comme d’habitude; mais ils trouvèrent tout boule-
versé au Maghreb, dont les forces étaient affaiblies ou
dispersées. Us apprirent que toute l’armée avait péri
à la bataille de 1 Oukab, et ils trouvèrent partout des
lieux déserts ou fréquentés seulement par les lions
et les chacals. Alors ils s’établirent tout à fait sur les
terres ainsi abandonnées, et ils envoyèrent aussitôt
])révenir leurs frères de la situation, rr Venez, leur
ff dirent-ils ; il y a ici, en abondance, de l’herbe et
et des grains excellents; les pâturages sont vastes et
ffbien nourris par les eaux des ruisseaux, les arbres
ff sont superbes et les fruits sont exquis; partout des
fr sources et des rivières. Arrivez sans crainte; per-
ff sonne ne s’opposera à vous ni ne vous chassera, ii
a6
iO’l HISÏOIHE DES SOUVERAINS DU MAGHREB
A la réception de ces nouvelles, les Beny Meryn se
mirent immédiatement en mouvement et prirent la
route du Maghreb, après s’être confiés à Dieu très-
aimable et chéri. Ils vinrent d’étapes en étapes,
montés sur leurs chevaux ou sur leurs chameaux,
jusqu’à l’Oued Telâgh, qui fut la porte par laquelle
ils entrèrent au Maghreb, avec leurs animaux, leurs
bagages et leurs tentes; ils arrivèrent en nombre
si considérable que leur troupe était conq)arable à
la pluie ou aux étoiles de la nuit, ou bien encore à
des légions de fourmis ou de sauterelles, et cela par
la toute-puissance de Dieu, dont nul ne connaît l’é-
lendue, car Dieu ne laisse voir que les choses dont
les destinées sonl décrétées,
Abou Farès a dit dans son |)oëme en vers: ce C’est
ir en l’an 6 1 o que les Beny Meryn vinrent au Maghreb
frde leurs pays barbares, après avoir traversé le dé-
ff sert et les plaines de sable sur le dos de leurs cha-
cf meaux et de leurs chevaux, comme avaient fait les
ff Lemtouna avant eux. ri Ils trouvèrent les rois Almo-
liades déjà détachés de leurs aft’aires et de leurs de-
voirs, adonnés au vin, à la luxure et à la mollesse;
aussi entrèrent-ds sans peine et commencèrent-ils
aussitôt à enlever les kessours. C’est (|ue la volonté
de Dieu les avait appelés pour régner sur le Maghreb,
et, comme des nuées de sauterelles, ils eurent bientôt
envahi le pays, oi^i ils se répandirent partout. Actifs
et francs guerriers, ils ne cessèrent de s’étendre et
de s’aflfermir de plus en plus, s’emparant du pays
I
ET ANWLES DE LA VILLE DE FES. AOS
morceau par morceau, jusqu à ce qu’enfin ils défirent
l’armée almohade l’an El-Mechâala, qui est l’an 6t 3.
L’auteur du livre (que Dieu lui soit propice!)
poursuit son récit. Je tiens d’un historien, en qui j’ai
grande confiance, que, lorsque les Beny Meryn en-
trèrent au Maghreb , ils se répandirent sur le pays et
s’y alTermirent, en faisant grâce à ceux qui se sou-
mettaient à eux et en massacrant impitoyablement
ceux qui les repoussaient. Les populations fuyaient
devant eux à droite et à gauche, et s’en allaient sur
les montagnes les plus difficiles, où elles se forti-
fiaient. En apprenant cette invasion , l’émir Youssef
el-Moustansyr conçut de l’inquiétude, et, dans l’in-
décision sur ce qu’d y avait à faire à leur égard, il
rassembla en conseil les magistrats, les ministres et
les cheïkhs Almohades pour prendre leur avis. Ces
consedlers lui dirent : rcO émir des Musulmans! ne
refaites pas attention à eux et soyez sans crainte; ils
-•fsont fort simples et peu nombreux. Pour mettre
fffin à leurs progrès, il suffira d’envoyer contre eux
Tun cheikh Almohade, qui fera périr les hommes
fret s’emparera de leurs femmes et de leurs biens,
ff après les avoir poursuivis et dispersés, n En effet,
l’émir expédia aussitôt une armée de vingt mille
Alhomades sous les ordres du cheikh Abou Aly ben
Ouandyn avec ordre d’aller attaquer les Beny Meryn
et de les massacrer tous, pères et enfants, jusqu’au
dernier d’entre eux. L’expédition partit de Maroc,
et à la nouvelle de son approche, les Beny Meryn
96.
404
firent, eux aussi, tous leurs préparatifs pour recevoir
et battre l’ennemi; ils rassemblèrent leurs troupes,
et tous les chefs, s’ étant réunis en conseil, tombèrent
d’accord pour mettre à l’abri, dans la forteresse de
Tazout, leurs harems et leurs biens. Après avoir pris
cette précaution , ila s’avancèrent résolument contre
l’armée almohade. La rencontre eut lieu dans les
environs de l’Oued Nekour, du pays de Badès (dans
le Rif), et ce fut là une sanglante et mémorable ba-
taille. Les Beny Meryn, assistés par le Très- Haut,
remportèrent la victoire , et ils massacrèrent la plus
grande partie des Almohades, dont les débris s’en-
fuirent en déroute et frappés d’épouvante; ils pil-
lèrent le camp, et tout ce qu ils enlevèrent d’argent,
d’armes, de bagages, de chevaux et de mulets servit
à les fortifier davantage ; ils rendirent grâce à Dieu
pour le secours magnifique qu’ils en recevaient, et la
nouvelle de ce grand événement se répandit dans
le Maghreb entier. Les débris des Almohades ren-
trèrent à Habat-Taza et à Fès terrifiés, pieds nus,
anéantis, nayant pour tout vêtement que des feuilles
de Mechâala(?). Couverts de sang et de poussière,
désespérés et avilis, ils versaient des larmes, et leurs
cœurs étaient brisés. L’année prit le nom de Me-
châala, et c’est à partir de là que les Beny Meryn
grandirent de plus en plus, tandis que les Almo-
hades s’affaiblirent tout à fait ; leurs terres devinrent
désertes; ils ne sortirent plus, et leur décadence fut
complète. Dieu alluma le feu de la guerre civde, et
A05
leurs cliefs moururent assassinés. Les cheïkhs fai-
saient et défaisaient les sultans; ils les nommaient
et les tuaient ensuite pour en nommer d’autres, pil-
lant chaque fois leur trésor et se divisant leurs femmes
et le butin. C’est ainsi qu’ils proclamèrent Abd el-
Ouahed et qu’ils le mirent à mort pour nonnner
El-Adel, qu’ils étranglèrent à son tour; puis ils
envoyèrent acte de leur soumission à El-Mamoun,
et aussitôt ils le déclarèrent déchu pour élire son
frère Yhya; ils ne savaient plus ce qu’ils faisaient,
et c’est leur désordre qui fut leur ruine et l’anéan-
tissement de leur pouvoir et de leurs forces, dont les
Beny Meryn héritèrent.
HISTOIBE DE L’EMIR BENI ABOU MOHAMMED ABD EL-HAKK.
L’émir Abou Mohammed était fds de l’émir Abou
Khâled Mayou ben Abou Beker ben Hamâma ben
Mohammed, le Zenèta, le Meryn. Son père, Abou
Khâled Mayou , avait fait la campagne d’Alarcos au-
près de l’émir des Musulmans El-Mansour, qui, le
jour de la bataille, lui avait confié le commandement
de tous les Zenèta, avec lescjuels il se couvrit de
gloire. Il mourut (que Dieu lui fasse miséricorde!),
en l’an ôgs , dans son pays, au sud du Zab africain,
à son retour de ladite campagne d’Alarcos , et à la
suite des blessures qu’il en raj)porta , et qui lui va-
lurent la mort du martyr. Son fils, Abou Mohammed
Abd el-Hakk, lui succéda et prit la direction des af-
ii06
faires. H était déjà célèbre parmi les Beiiy Meryn ,
par ses vertus, sa religion, sa piété et sa sainteté;
humble et charitable, il prit la justice et le bon
droit pour base de son gouvernement ; généreux et
bienfaisant, il était le refuge des orphelins et la pro-
vidence des pauvres. Sa bénédiction était immense
et sa main bienheureuse; son bonnet et ses culottes
opéraient des miracles, et tout le monde chez les
Zenèta y avait recours; on les portait aux femmes
enceintes dont l’accouchement était difficile, et Dieu,
venant aussitôt en aide à ces créatures, facilitait la
délivrance. L eau qui restait de ses ablutions étail
remise aux lualades qui s en frottaient et guérissaient
aussitôt. Il était fort austère; il jeûnait en hiver
comme durant les plus fortes chaleurs, et jamais on
ne le vit manger dans le jour, à l’exception des fêtes.
Priant et louant Dieu sans cesse, il récitait son cha-
pelet et invo(|uait Dieu partout, et quellesque fussent
ses occupations. 11 ne mangeait que les ciioses per-
mises et provenant de ses propi’iétés mêmes, telles
que la viande de ses chameaux ou de ses brebis,
leur lait et le produit de sa propre chasse. Dans la
tribu des Meryn il était renonniié comme savant et
connue émir; il veillait avec le plus grand soin aux
affaires de ses compatriotes, qui ne faisaient absolu-
ment rien sans le consulter. 11 n’eut ([ue quelques |
enfants. Une nuit, après avoir fait ses ablutions et
ses longues prières à Dieu, il lit durant son sommeil
un songe bienheureux «pii lui aiuioiiçait le gouver-
. /i07
iiement de roi et trimam pour lui et pour ses des-
cendants. II vit un jet de feu sortir de son membre
viril, s’élever dans les airs et rayonner sur les quatre
points cardinaux , puis concentrer ses rayons et cou-
vrir de sa flamme tout le Maghreb. II raconta ce
rêve à quelques saints, qui lui dirent : cr Réjouissez-
ff vous et soyez sans crainte ; cette vision est un signe
cf de bonheur pour vous et vos descendants , qui serez
ff nobles et grands; vous serez roi puissant et illustre
fc et vos .enfants rempliront le Maghreb de leui’ cé-
frlébrité. Quatre d’entre eux régneront jusqu’à leur
crmort, et transmettront leur trône en héritage à
cr leurs fds et à leurs descendants. 11 Tout cela arriva
comme ils le dirent, et l’émir put le voir avant de
mourir. Il gouverna les Beny Meryn, et à sa mort
ses quatre fils héritèrent de son gouvernement.
Dans le mois de dou’l hidja de l’an 6 1 3, l’émir Abou
Mohammed Abd el-Hakk se porta avec l’armée des
Beny Mervn à Rabat-Taza, aux environs de laquelle
il établit son camp, au milieu des oliviers. Le gou-
verneur de cette ville sortit pour l’attaquer avec une
nombreuse armée d’Almoliades, d’Arabes et de frac-
tions des Tsoul, des Mekenèsa et autres. L’émir Abou
Mohammed le battit et mit toute son armée en dé-
route; resté maître d’un riche butin, armes, bagages
et chevaux, il distribua tout à ses soldats, sans rien
garder pour lui; et il dit à ses entants : rr Faites bien
fr attention de ne ])as toucher à ce butin, la victoire
fret la renommée doivent vous sulfiro.v En djoumad
40H
el-tâiiy 61 4, les Meryn eurent une rencontre avec
les Arabes Rîaii et autres. Les Rîali formaient la
tribu arabe la plus forte et la plus guerrière du Ma-
ghreb ; nulle n’avait un aussi grand nombre de ca-
valiers et de fantassins , et ne possédait ses immenses
ressources. Quand ils se mirent en campagne contre
les Beny Meryn, ceux-ci se rallièrent tous autour
d’Abou Mohammed et lui dirent : cr Vous êtes notre
ffémir et notre capitaine; que pensez-vous de ces
ff Arabes qui viennent pour nous attaquer? » L’émir
leur répondit : cr mes compagnons Meryn, si vous
frètes disposés, résolus et unis, prêts à vous aider
ff les uns les autres et à vous soutenir réciproquement
ff contre l’ennemi, si vous êtes frères, liés entre vous
frpar l’amour du Très-Haut, je nai aucune crainte
crde vous conduii’e et d’engager le combat avec les
rr peuples du Maglireb entier ; mais si vous êtes
«désunis, si vos avis sont en désaccord les uns avec
rrles autres, vos ennemis, soyez-en sûrs, vous vain-
ffcront et vous disperseront! Ils s’écrièrent alors :
ff Nous sommes prêts, soumis et obéissants; ne nous
ffahandonnoz pas et nous ne vous abandonnerons
ff point; nous mourrons tous sous vos yeux, s’il le
fffaut. Allons, levez-vous et conduisez-nous avec la
ff bénédiction de Dieu ! r
Les deux armées se rencontrèrent aux environs
de l’Oued Sebou, à quelques milles de Taferthast.
La bataille fut sanglante , et l’émir Abou Moliammed
Abd el-Hakk fut tué ainsi ([ue son lils Edriss. A la
. /i09
vue du cadavre de leur émir, les Meryii, fous de dou-
leur et de rage, devinrent comme autant de iions
furieux et avides de sang. Levant la main di-oite , ils
jurèrent de ne point enterrer les corps de leurs chefs
avant de les avoir vengés ; ils s’élancèrent contre les
Rîali comme des lions affamés qui sautent sur une
troupe de renards, et ils fondirent sur eux comme
les aigles fondent sur les perdrix. La bataille fut de
plus en plus meurtrière. Les Rîah eurent à déployer la
grande résignation ; ils furent presque tous massa-
crés, et ceux qui échappèrent au carnage s’enfuirent
en déroute. Les Meryn pillèrent leur camp et enle-
vèrent tout ce qui s’y trouvait en argent, bagages,
habillements, chevaux, chameaux et autres bètes de
somme. Ils élurent Othman, fds de l’émir Abou Mo-
hanmied, pour succéder à son père et se mettre à
leur tète.
L’auteur du livre (que Dieu lui soit propice!) a
(ht : Le kady Abou Abd Allah ben el-Oualdoun et
son frère le fekhy Abou el-Hadjadj \ oussef , qui fai-
saient partie de la députation des nobles , des doc-
teurs et des saints de la ville de Fès, qui vint rendre
hommage à l’émir Abou Youssef ben Abd el-Hakk,
à Rabat el-Fath , oili il était arrivé de Maroc dans le
ramadhan 683, avec l’intention de passer en Anda-
lousie pour faire la guerre sainte, m’ont raconté eux-
mêmes que, lors de leur réception, l’émir des
Musulmans leui’ parla beaucoup de son père Abou
Mohammed Abd el-Hakk , et qu’il leur dit en propres
MO
termes : crPar Dieu, je vous l’assure, la parole de
ff l’émir Abd el-Hakk était siire. S’il disait, il faisait,
fret un mot de lui suffisait pour ne laisser aucun
rr doute. Jamais il ne jurait par Dieu, yi justement,
fr ni en vain ; il ne buvait point de boissons enivrantes ,
fret ne se livrait jamais à la débauche; ses vêtements
ffbénils avaient des vertus miraculeuses; il suffisait
crde les porter chez une femme en couche pour as-
rr surer une délivrance heureuse. H jeûnait et restai!
fc debout la plus grande partie de la nuit; s’il enten-
(fdait parler d’un saint ou d’un ermite, il accourait
ff auprès de lui pour demander sa bénédiction; il
cf vénérait beaucoup les saints et leur était soumis. 11
ff fut le poison de ses eiuiemis (piil anéantit; quant à
ffuous, nous n’avons hérité que de sa bénédiction.
ff et de la bénédiction des saints qui le bénirent, n
nÈGNE DK L’ÉMIR ADOL SAÏl) OTIIMAN BEX ABD KL-IIAKK.
L’auteur du livre (que Dieu lui soit propice!) a
dit : Lorque les Beny Meryn eurent fini de combattre
les Rîah et furent de retour de leur poursuite, ils se
groupèrent autour de l’émir Abou Saïd (3tliman ben
Abd el-Hakk, et, après lui avoir fait les compliments
de condoléance pour la perte de son père et de son
frère, ils le proclamèrent unanimement. L’émir Abou
Saïd s’occupa avant tout de laver le corps de son
père et de Tensevcîlir, et son cœur se brisa de dou-
leur. Quand il eut rempli ces pieux devoirs, il tourna
ET AiNNALES DE LA VILLE DE FES. fiW
ses pensées vers son peuple et ses frères, et ayant
ordoiHié de réunir le butin, il le distribua sans par-
tialité aucune à tous les membres de la tribu des
Beny Meryn; puis il se remit aussitôt en marche
contre les Rîali, en jurant qu’il ne les épargnerait
pas avant d’avoir tué cent de leurs cheïkhs pour ven-
ger la mort de son père. En effet, il les massacra en
grand nombre , et lorsque les Rîali virent qu’ils étaient
perdus, il s’empressèrent de faire leur soumission à
l’émir, qui l’accepta, à condition qu’ils lui payeraient
un fort tribut chaque année. Cet événement amoin-
drit encore le royaume des Almohades, dont la fai-
blesse devint manifeste, et qui perdirent tout pou-
voir dans les campagnes. Leurs émirs n’étaient plus
écoutés que dans les villes , et la guerre civile se ré-
pandit de plus en plus dans les tribus. Les routes et
les champs devinrent dangereux, et la plus grande
partie des hommes, révoltés contre l’autorité, se dis-
putaient et disaient à leurs chefs : ce Nous ne vous
ff devons pi us ni respect ni obéissance, -n Les nobles et
les rustres devinrent égaux; le fort mangeait le faible,
et chacun faisait selon sa tcte. Ils s’abaissèrent ainsi
jusqu’aux crimes les plus abominables, au mépris du
gouvernement et de leurs émirs, qui ne pouvaient
plus les maîtriser. Les Kabyles du Fezaz, de Djenata,
les Arabes et les Berbères coupaient les chemins et
pillaient sans relâche les villages et les hameaux.
L’émir Abou Saïd, ayant observé ce qui se passait,
et ayant vu que les rois Almohades avaient perdu
A12
leur force et leur puissance, et qu’abandonnés de
leurs sujets, ils étaient réduits à ne plus sortir de
leurs palais où ils vivaient dans l’ivresse , et soumis
à tous les effets de la débauche et des dérèglements,
comprit que le moment était propice pour leur faire
la guerre et les renverser. En conséquence, il ras-
sembla les cheïkhs Meryn et les exhorta à se sou-
lever au nom de la religion et des intérêts des Mu-
sulmans. Il les trouva tous prêts, et il avança avec ses
légions conquérantes et victorieuses dans le Magh-
reb, envahissant toutes les tribus dans les montagnes
comme dans les plaines et les vallées. Il donnait
l’aman à ceux qui le reconnaissaient et lui ])romet-
taient obéissance, il leur imposait un tribut et les
laissait tranquilles; mais ceux qui lui résistaient,
n’obtenaient ni trêve m’ repos jusqu’à leur entière
destruction.
Les premières tribus qui se soumirent à lui fu-
rent celles de Houàra et de Radjeradja; puis suc-
cessivement celles de Tsoul, Mekenèsa, Bathouya,
Fechtâla, Sedrata, Behloula et Mediouna; il fixa le
tribut de chacune d’elles et leur envoya des garni-
sons. Il accorda la paix aux liabitaiits de Fès, de
Mekenès, de Rabat-Taza et d’Al-Kassar Abd el-
Kerym (Al-Cassar), moyennant un tribut annuel,
s’engageant de son côté à veiller à la sécurité du pays
et à les défendre contre les attaques des Kabyles.
En 620, l’émir Abou Saïd fit une expédition dans
le pays de Fezaz, et il harcela les tribus Djenata qui
ET ANNALES DE LA VfLLE DE FES. 413
i’habitaieiU , jusqu’à les avoir réduites à soumission
et avoir corrigé leurs habitudes de pillage et de
crimes.
En 621, il fit une razia dans le Fahs Azghâr ‘,
dont il battit et dépouilla les tribus.
L’émir Abou Saïd était grand guerrier, plein d’ar-
deur et de courage, doué d’un esprit solide; son
commandement était ferme ; il était généreux pour
ses amis, mais vindicatif et terrible pour ses ennemis;
secourable pour ses voisins, modeste, religieux et
vertueux aux yeux de tous, respectant les docteurs
et vénérant les saints, suivant en tout la voie tracée
par son père, dont il ne s’écarta jamais jusqu’à sa
mort. (Que Dieu lui fasse miséricorde!) Il fut assas-
siné en 638 (i9,4o J. C.) par un renégat qu’il avait
élevé tout jeune, et qui le frappa d’un coup de poi-
gnard à la gorge; il mourut instantanément. La durée
de son règne sur les Beny Meryn et les campagnes
du Maghreb, depuis son élection à la mort de son
père , fut de vingt-trois ans et sept mois.
RÈGNE DE L’ÉMIR ABOU 3IAHR0UF MOHAMMED BEN ABD EL-HAKK.
Aussitôt après la mort de l’émir Othman, les
cheikhs Meryn réunirent leurs voix en faveur de son
frère Mohammed, qu’ds proclamèrent en lui jurant
obéissance et fidélité durant la paix comme à la
‘ Aujourd’hui Gherarda , entre le Sebou et Mekenès.
/il/i
guerre, et ils lui confièrent le soin de leurs affaires.
L’émir Mohammed suivit les traces de- son frère et
conquit de nouvelles terres sur les montagnes et dans j
les plaines du Maghreb. Grand guerrier, courageux
et redoutable, Dieu l’assista dans ses conquêtes. Il
était plein d’instruction ; son gouvernement fut sage ,
et il fut toujours entouré de la vénération de ses su-
jets obéissants; il n’eut pas de plus chère occupation
que la guerre, dont il connaissait l’art et les ruses.
C’est ce qu’un poëte a dit ainsi: rf Mohammed, ha-
ffbile dans ses affaires, ne passa pas un jour sans
rr combattre; associé de la guerre et des batailles, qui j
ff dira le nombre de guerriers qui se mesurèrent avec
«les siens? Combien de légions se lieurtèrent contre
ffses légions, et combien il détruisit d’armées? Ses |
frjour et ses nuits ne furent qu’une longue bataille;
crmais il fut toujours victorieux et assisté par Dieu, n
A toutes ses qualités guerrières, l’émir Abou Mah- .
rouf joignait une grande bénédiction; sa main était
des plus heureuses. Doué d’un bon caractère, il était
sage, instruit, réfléchi, sincère et persévérant; il
n’entreprenait rien sans l’achever; s’il donnait, il j
donnait suffisamment, et il n’abusait jamais de sa
force. Il ne cessa de faire la guerre aux Almohades ■
et de les avdir de plus en plus jusqu’en 6^9 , oià son ^
gouvernement prit un tel développement que Saïd
l’Almohade s’en émut et envoya contre lui une armée
de vingt mille cavaliers Almohades, Arabes, Haskoury
et Chrétiens. A la nouvelle de l’approche de cette
. /il5
expédition, TcMiiir Abou Mahrouf fil, sos préparatifs, et
les deux années se rencontrèrent à l’endroit nommé
El-Sakhrat AbyByar, aux environs de Fès. La bataille
fut sanglante et sans pareille; elle dura depuis l’au-
rore jusqu’au coucher du soleil, et, le soir, l’émir
Abou Mahrouf fut tué sur le champ de bataille par
un chef chrétien. Son cheval s’étant abattu sous lui,
le chrétien n’en tint pas compte et lui ])orta le coup
niortel. (Que Dieu lui fasse miséricorde!) Les Beny
Meryn, battus, disparurent tous pendant la nuit,
emportant avec eux leurs bagages, leurs familles et
leurs trésors. Au point du jour, ils arrivèrent au Djebel
Ghyâtha, où ils se retranchèrent pendant quelque
temps. La mort de l’émir Abou Mahrouf eut lieu le
jeudi 9 de djoumad el-tâny, an 6Û2 (is^û J. G.).
Son frère, l’émir Yhya ben Abd el-Hakk, lui succéda.
RÈGNE DE L’ÉMIR TRES-ILLUSTRE ABOU YIIYA REN ABD EL-IIAKK.
L’émir Abou Beker ben Abd el-Hakk ben Mayou
ben Abou Beker ben Hamâma fut prénommé Abou
Yhya. Sa mère était une femme libre, descendante
d’Abd el-Ouahed. 11 avait le teint blanc et rose, une
belle taille, la peau fine, une jolie figure et la che-
velure épaisse; il se servait indistinctement des deux
mains, et frappait deux coups de lance en même
temps. Cavalier accompli, il fut le plus grand guer-
rier de son époque; énergique, ardent et résolu, nul
n’était si terrible au combat et nul n’avait son adresse;
li\6
H combattait dans les rangs mêmes de ses soldats, et
les medleurs guerriers craignaient de se mesurer
avec lui. Ces qualités ne l’empêchaient pas d’être
bienfaisant et généreux comme le nuage qui donne
l’abondance, et jamais émir ne répandit tant de bien
autour de lui. Fidèle à sa parole, il tenait toujours
ses promesses; en un mot, û l’emportait sur tous les
rois de la terre par son courage, sa générosité et sa
sincérité. 11 fut le premier des émirs Ben) Meryn qui
organisa son armée et son camp , et qui fit battre le
tambour et déployer ses drapeaux. Maître des villes
et des campagnes, d assura le gouvernement, et,
avec l’assistance de Dieu, il fut l’iieureuse égide des
Beny Meryn.
Après sa proclamation , il commença par rassem-
bler les cheïkhs Beny Meryn, et il leur divisa le
commandement des provinces du Maghreb, en don-
nant à chacun une certaine étendue de terres que
personne ne pouvait plus revendiquer. 11 donna pour
instructions, à chacun de ses nouveaux kaïds, de
munir leurs hommes de chevaux et de préparer des
troupes pour la guerre ; ensuite il se rendit lui-même
au Djebel Zraoun, où il campa avec ses proches et
ses compagnons. De là, il harcelait continuellement,
jour et nuit, la ville de Mekenès, dont û finit par
s’emparer en l’an 6/i3, sous le gouvernement de
Said l’Almohade; il entra en paix dans la place, qui
lui fut livrée volontairement par le cheïkh Abou el-
Hassen ben Abou el-Afva. L’émir Almohade Saïd, en
. Itll
apprenant la prise de Mckenès, se mit en campagne
et sortit de Maroc avec une armée considérable de
légions Almoliades, de Mesmouda, Arabes et Chré-
tiens; il arriva sur les bords de l’Oued Beth, où il
campa, menaçant pour l’armée d’Abou Yhya. Celui-ci
sortit une nuit de Mekenès seul et incognito pour
venir s’assurer par lui-même de la position des troupes
Almoliades; il pénétra secrètement dans le camp en-
nemi, et, ayant examiné le nombre et les forces de
ses ennemis, il comprit qu’il ne pouvait pas se me-
surer avec eux, et il battit prudemment en retraite
en abandonnant le pays et la ville. Ayant rallié tous
les Beny Meryn , il s’en alla avec eux dans le Rif , où
il se fortifia dans le château de Tazouta. L’émir Saïd,
à son arrivée sous les murs de Mekenès, fut reçu
par les habitants, qui vinrent au-devant de lui avec
leurs femmes et leurs enfants pour implorer son aman
qu’il leur accorda. Alors d se rendit à Fès et campa
sous ses murs du côté du Midi. Les cheïkhs de la
ville sortirent en corps pour le complimenter et le
prier d’entrer dans leurs murs. L’émir les accueillit
avec faveur, mais il refusa de s’arrêter, et il s’en alla
camper sous les murs de Rabat-Taza. Là il reçut l’acte
de soumission de l’émir Abou Yhya, qu’il agréa, et
en réponse il lui écrivit qu’il lui accordait l’aman,
ainsi qu’à tous les Beny Meryn, à condition qu’il lui
enverrait un corps de cinq cents de leurs meilleurs
cavaliers pour servir auprès de lui. Abou Yhya lui
répondit alors: ffO émir des Musulmans! retourne
AlcS
ff dans ta capitale et confie-moi quelques renforts, si
rr tu veux que je te débarrasse de Yaghmourasen et
ff que je te rende maître de Tlemcen et de ses dépen-
ff (lances. •»•> L’émir Saïd fut sur le point de consentir
à ces offres; mais il consulta ses ministres, qui lui
dirent: ff émir des Musulmans! garde-toi bien d’une
ff pareille imprudence. Souviens-toi que les Zenèta
ffsont frères des Zenèta, et que celui-ci, au lieu de
ff faire ce qu’il te dit, pourrait bien, au contraire,
ff s’unir contre toi avec ceux qu’il te propose de com-
ff battre. -n En conséquence, l’émir lui donna l’ordre
de rester où il était et de s’en tenir à lui envoyer
le contingent demandé. Yhya, lui ayant expédié un
corps de cinq cents de ses meilleurs cavaliers, l’émir
Saïd s’en alla à Tlemcen et mourut sous les murs de
la forteresse de Temzezdekt, où il assiégeait Yagh-
mourasen ben Zyan. La nouvelle de cet événement
fut apportée à l’émir Yhya par le corps des Beny
Meryn qui étaient au service de Saïd, et qui lui don-
nèrent les détails de la mort de lémir, de la défaite
de son armée et du pillage de son camp. Yhya se
mit aussitôt en marche et se porta en toute hâte sur
Mekenès, où il entra et dont il prit le gouvernement.
Après être resté là durant quelques jours, il s’en alla
à Rabat-Taza, dont il s’empara, ainsi que de toutes
les forteresses de la Moulouïa, et cela durant le mois
de safar 6/i6. Dans les derniers jours de râby el-tâny
de cette même année , il se rendit maître de Fès et fit
son entrée dans cette capitale, accueilli de bon gré
. /il9
par les habitants , qui avaient envoyé leurs cheïkhs
au-devant de lui avec l’acte de leur proclamation , qui
lui fut remis à la chapelle située au dehors du Bab
el-Gheryah. Le premier qui le proclama fut le vertueux
et saint Abou Mohammed el-Fechtâly, et il fut suivi
par les docteurs et les cheïkhs. Le cheikh Abou Mo-
hammed el-Abbès sortit de la kasbah avec ses femmes
et ses enfants, et l’émir Abou Yhya, lui ayant accordé
l’aman, le fit accompagner par une escorte de cin-
quante cavaliers jusqu’à l’Oued Oum el-Rebya.
L’entrée d’Abou Yhya à Fès eut lieu vers dix heures
du matin, le jeudi 26 de raby el-tâny, an 6/i6, deux
mois après la mort de Saïd. C’est ainsi que le gou-
vernement du Maghreb passa dans ses mains. Aussitôt
qu’il fut maître de l’empire et de l’armée , les troubles
s’apaisèrent, la sécurité des routes et l’abondance
revinrent, le commerce reprit son mouvement. Les
Kabyles reçurent ordre de rester sur leurs terres,
de repeupler les villages et les hameaux abandonnés,
et de se livrer à l’agriculture. Les denrées se don-
nèrent à bon marché, et l’émir organisa toutes les
affaires de ses sujets; il confia à son frère Yacoub le
commandement de Taza et de toutes les forteresses
de la Moulouïa, et il demeura lui-même à Fès pen-
dant une année entière , occupé à recevoir les dépu-
tations qui venaient vers lui de tous côtés.
Au mois de raby el-aouel 6/17(12/19.1.0.), l’émir
Yhya sortit de Fès pour se rendre à la mine d’El-
Aouam, dans le Fezaz, et laissa le commandement de
•>7.
/i20
ia ville à raffranclii El-Saoud ben Kliarbâch El-Ha-
chemy. Dès qu’il se fut éloigné, les cheikhs de la
ville se réunirent chez le kady Abou Abd er-Rahman
el-Moughyly, et ils décidèrent de renverser Témir
Abou Yhya, de tuer El-Saoud, son lieutenant, et
d’envoyer leur soumission à Mourthadhy, en gouver-
nant eux-mêmes la place jusqu’à son arrivée. Etant
tous tombés d’accord, ils envoyèrent chercher Che-
dyd, le général des Chrétiens, pour lui faire part du
complot. Le kaïd Ghedyd commandait à Fès, pour
les Almohades, une garnison de deux cents cavaliers
chrétiens, lorsque les Beny Meryn s’emparèrent de
cette capitale; aussi il était resté très-fidèle aux Al-
mohades qui l’avaient ainsi élevé; dès qu’il parut,
les conjurés lui dirent : rr Faites périr le nègre El-
ffSaoud, et prenez le commandement de la ville;
cr vous adresserez ensuite notre proclamation au Mour-
ff thadhy, et vous lui demanderez de nous envoyer un
(T gouverneur, r Le chrétien, ayant partagé leur avis,
promit de les défaire du nègre.
En conséquence, le 92 de chouel 6/17, au matin,
les cheïkhs se rendirent à la kasbah pour souhaiter
le bonjour à l’affranchi El-Saoud; ils le saluèrent et
s’assirent auprès de lui. Puis, Saoud ayant entrepris
de leur adresser des reproches, ils lui ripostèrent
avec colère, et, s’étant levés, ils appelèrent à eux le
kaïd chrétien qui était posté avec ses soldats non
loin du pavillon où Saoud venait de leur donner au-
dience. El-Saoud et quatre de ses gardes furent tués ,
421
et leurs têtes, placées au bout de piques, furent pro-
menées dans les rues et sur les marchés de la ville.
Les cheikhs envahirent le palais et pillèrent tout
ce qui s’y trouvait, vêtements, argent et femmes,
qu’ils se partagèrent; puis ils fermèrent les portes
de la ville et envoyèrent leur proclamation au Mour-
thadhy, A cette nouvelle, l’émir Abou Yhya revint en
toute hâte; mais il trouva les portes closes et les
cheikhs prêts à faire résistance. Il les assiégea pen-
dant sept mois, sans succès, et ayant appris alors
que Yaghmourasen ben Zyan était sorti de Tlemcen
pour s’emparer de Rabat-Taza, il laissa sous les
murs de Fès une partie des Beny Meryn pour con-
tinuer le siège et inquiéter nuit et jour les assiégés
par des combats incessants , et il se mit en marche
contre Yaghmourasen. Il le rencontra à l’Oued Isly,
aux environs d’Oudjda, et à l’issue d’une forte ba-
taille, Yaghmourasen vaincu s’enfuit en abandon-
nant ses trésors et son camp , dont l’émir s’empara.
Les principaux Beny Abd el-Ouahedy furent tués
dans cette affaire. L’émir revint alors sur Fès, où il
arriva dans le courant de djoumad el-tâny, an 6 AS
(1260 J. C). Il redoubla les rigueurs du siège et la
violence des attaques, et les habitants, désespérés,
frappèrent dans leurs mains, se sentant perdus,
puisqu’aucun chef Almohade ne venait les soutenir.
Ils comprirent enfin leur erreur, et, ne pouvant pro-
longer plus longtemps leur résistance, ils envoyèrent
un message à l’émir Abou Vhya pour implorer son
422 HISTOIRE DES SOUVERAIÎNS DU MAGHREB
pardon et l’aman. L’émir leur fit grâce, à condition
qu’on lui rendrait jusqu’à la dernière pièce de l’ar-
gent qui avait été pillé, c’est-à-dire 100,000 dinars
en or. Ceci étant convenu, ils ouvrirent les portes à
l’émir, qui fit son entrée solennelle et triomphante
en ville, le 28 de djoumad el-tâny de ladite année.
Au bout de quelque temps, dans les premiers jours
de radjeb, voyant qu’on ne s’empressait pas de lui
compter l’argent, et qu en maintes circonstances on
avait même manqué au respect qui lui était dii, il fit
arrêter les cheikhs, les chefs et les nobles, et les mit
aux fers en leur demandant la restitution de l’argent
et de tous les effets qui avaient été pillés dans le pa-
lais. Un de ces cheikhs, nommé Ben el-Khebâ, lui
dit : rr Ceux qui ont fait tout le mal étaient seulement
ffsix, pourquoi devons-nous tous être punis égale-
ce ment? En faisant ce que je vais te dire, tu ne seras
tr que juste. — Et qu’est-ce donc que tu vas me dire?
crlui répondit l’émir. — Le voici : fais d’abord tran-
T chei’ la tête aux six qui ont causé les troubles , et
cr alors ce sera à nous qu’il appartiendra de te rendre
cr l’argent que l’on t’a pris. — En vérité, reprit l’émir,
(ftes paroles sont justes; n et aussitôt il condamna à
mort les six principaux cheikhs, savoir : le kady Abou
Vbd er-Rahman le Mougliyly et son fils, El-Mou-
cherref ben Dacher et son frère, Ben Aby Thâta el
son fils. Il confisqua leurs biens et leurs trésors, el
ils furent exécutés au sortir du Bab el-Gheryah, le
dimanche -.^8 de radjeb susdit, fi/i8. Alors il se fit
. ‘in
l’embourser par Ions les autres cheïklis, que ce coup
abattit au point que nul d entre eux n’a plus osé re-
lever la tête jusqu’à ce jour.
En 6/i9 (i 1 5 1 J. G.), l’émir Abou Yhya s’empara
de la ville de Salé , et il en confia le gouvernement
à son neveu lacoub ben Abd el-Hakk. En (353, il
défit El-Mourthadhy au Djebel Behloul, aux environs
de Fès ; il enleva tout ce qui se trouvait dans son
camp, trésors, bagages, tentes, pavdlons, chevaux
et chameaux, et les Beny Meryn s’enrichirent consi-
dérablement de ses dépouilles.
En 655 (laSy J. C), l’émir Abou Yhya conquit
Sidjilmessa et le Drâa. Yaghmourasen désirant en-
lever ces possessions au Mourthadhy, s’en était rap-
proché avec une grande armée de Beny Abd el-Oua-
hed et d’Arabes, et en apprenant cela, l’émir Abou
Yhya, qui se trouvait à Fès, rassembla aussitôt ses
soldats Beny Meryn, et marcha sur Sidjilmessa où il
trouva \aghmourasen déjà campé sous les murs du
Bab Tahsena. Il y eut entre eux une grande bataille,
à l’issue de laquelle Yaghmourasen battu prit la fuite
pour Tlemcen, en renonçant à ses projets contre Sid-
jdmessa et le Drâa. L’émir Abou Ihya s’empara
alors de tout ce pays, et il y demeura le temps néces-
saire pour y organiser son gouvernement; ensuite il
en confia le commandement à Abou Yhya el-Ketrany,
auquel il donna ses instructions, et il revint à Fès.
C’est ainsi qu’il agrandit son empire et le nombre
(le ses troupes , qu’il assura la tranquillité du pays
^•2I^
et dispersa les pervers, qu’ii vit s’accroître la popu-
lation et disparaître les fauteurs de troubles.
Au mois de radjeb 656 (i258 J. G.), il tomba
malade à Fès et mourut quelques jours après, de
sa mort naturelle; il fot enterré en dedans du Bab
el-Djezyryn, une des portes de l’Adoua el-Andalous,
auprès du tombeau du cheikh vertueux Abou Mo-
hammed el-Fechtâly, pour être couvert de sa béné-
diction, ainsi qu’il l’avait bien recommandé durant
sa vie. (Que Dieu lui fasse miséricorde!) Son règne,
depuis le jour de sa proclamation après la mort de
Said, au commencement de l’an 6Ù6, jusqu’à sa
mort en radjeb 656, avait duré dix ans et un mois.
A la mort de lémir, le gouverneur de Sidjilmessa
El-Ketrany se révolta et se rendit indépendant; il
fut proclamé par la population, et resta émir pen-
dant deux ans; il fut tué en 658. Alors le gouver-
nement de cette ville fut pris par Aly ben Omar,
lieutenant dEi-Mourthadhy, au nom duquel il la
commanda pendant trois ans et demi, jusqu’à sa
mort en 66’j. Les Arabes el-Melâbat s’en empa-
rèrent à cette époque au nom de Yaghmourasen ben
Zyan qu’ils proclamèrent, et qui leur envoya un
gouverneur des Beny Abd el-Ouahed. Le gouverne-
ment de Sidjilmessa resta à Yaghmourasen jusqu’au
moment oii l’émir des Musulmans Abou \oussef Ya-
coub ben Abd el-Hakk y pénétra, le dernier jour du
mois de safar. an 6^3 (i 9,7/1 .1. C].
. 425
Bâ Yûsuf Ya‘qûb b. ‘Abd al-Haqq b. Mayû
Sa mère, femme légitime, se nommait Oum el-Iman (mère de la foi), et elle était fille d’Aly el-Betliary, le Zeiièta. Lorsqu’elle était encore jeune
fille, elle vit en songe la lune se lever de son sein et monter au ciel, d’où elle répandit sa lumière sur toute la terre. Elle raconta aussitôt ce rêve à son père, qui s’empressa de se rendre chez le cheïkli, le saint Abou Othman el-Ouaragly, auquel il le communiqua. Celui-ci lui répondit : cf Si tu dis vrai , le cr rêve de cette jeune fille signifie qu’elle enfantera
Tun grand roi, saint et juste, qui couvrira ses sujets ffde bienfaits et de prospérités pi et cela fut ainsi. En la donnant en mariage à l’émir Abou Mohammed Abd el-Hakk, Aly el-Bethary lui dit : crMa fille te ff porte avec elle la bénédiction de Dieu, car elle est fc bienheureuse , et elle fera ton bonheur en te don-
fcnant un fils qui sera un grand roi, qui couvrira ta
ff nation de gloire jusque dans les derniers siècles, n
\acoub vint au monde en 607, et selon d’autres en
609; il fut prénommé Abou Youssef, et surnommé
El-Mansour Billah. 11 était blanc, haut de taille et
fort, il avait une belle figure, les épaules larges, la
barbe longue et blanche comme la neige; affable,
bienveillant, généreux, puissant, clément et pieux,
jamais ses enseignes ne furent battues, jamais il ne
combattit un ennemi sans l’abattre, ni une armée
sans la défaire; jamais il n’attaqua une place sans
s’en emparer. Jeûnant toujours, il ne cessait de prier
le jour et la nuit, et ses mains quittaient rarement
le chapelet; il faisait du bien aux saints, les vénérait
et fréquentait leurs zaouïas; il leur rendait compte
de la plupart de ses affaires, qu’d dirigeait selon
leurs conseils, pour le bien des Musulmans. Il ai-
mait à soulager les pauvres et les nécessiteux. En
prenant les rênes du gouvernement, il consolida les
affaires, et aussitôt après il fit construire des hôpi-
taux pour les malades et pour les fous; il pourvut à
tous les frais nécessaires à leur entretien, et il donna
ordre aux médecins de leur faire deux visites par
jour, une le matin, une le soir; le tout aux frais du
bit el-mal. 11 en fit autant pour les lépreux, pour
les aveugles et pour les fakyrs, auxquels il alloua des
secours tirés de la Djezya des juifs. (Que Dieu les
maudisse!) Il bâtit des écoles et y établit des tholbas
pour y lire le Koran et d’autres pour étudier les
sciences; i\ leur fit des traitements mensuels. Tout
cela pour mériter les récompenses du Très-Haut, qui
lui inspirait toutes ces bonnes œuvres.
Ses kadys à Fès furent le fekhy Abou el-Hassen
ben Ahmed , connu sous le nom de Ben el-Azâz ; le
fekhy Abou Abd Allah ben Amrân, le fekhy Abou
Djaftar el-Mezdaghy et le fekhy Abou Oumaya el-
Delaghy. Ceux de Maroc furent le docte, le conseiller
Abou Abd Allah Chérif et le fekhv Abou Farès el-
. /i27
Amrâny. Il eut pour ministres le clieïkh Abou Zekeria
Yhya beii Hazym el-Alaouy, le cheikh Abou Aly Yhya
ben Aby Madjaii el-Haskoury et le cheikh Abou Sa-
lem Fath Allah el-Sederaty ; pour hadjeb, le kaïd
Athyk, et, pour secrétaires, les fekhys Abou Abd
Allah el-Kenâny et son frère Abou Thaïeb Sâd el-
Kenâny, et le fekhy Abou Abd Allah Aby Medyan
el-Othmàny. (Que Dieu lui fasse miséricorde!)
L’émir Yakoub fut proclamé khalife huit jours après
la mort de son frère Abou Yhya, le 27 de radjeb
656, à l’âge de quarante-six ans; il assura son gou-
vernement et soumit tout le pays, depuis le Sous
el-Aksa jusquà Oudjda, et il mit fin au règne des
Almohades, dont il effaça les dernières traces; il
conquit également Sidjilmessa, le Drâa et la ville de
Tanger; il fut proclamé par les habitants de Ceuta,
qui lui payèrent un tribut annuel; il passa en iVnda-
lousie pour faire la guerre sainte , et il y gouverna
plus de cinquante forteresses entre villes et châ-
teaux, au nombre desquelles il comptait Malaga,
Ronda, Algéziras, Tarifa, El-Mounkâb, Merbâla et
Ochouna\ ainsi que tous les forts, les vdlages et les
tours compris entre ces places. On fit le khotbah en
son nom dans toutes le chaires du Maghreb, et il fut
le premier des rois Beny Meryn qui combattit pour
rislamisme, qui renversa les croix et subjugua les
pays chrétiens , dont il abattit les rois et pilla les pa-
‘ Aujourirhui Alinunecar, Meibala et Ossuna.
428
lais. Dieu très-haut se servit de lui pour relever la
religion et faire briller le flambeau de l’Islam. Avant
lui, les Chrétiens avaient étendu leurs bras et pris
la plupart des pays de l’Andalousie , où les Musul-
mans n’avaient plus remporté de victoires depuis le
désastre de l’Oukab, en 609 ; ils ne se relevèrent que
lorsque ses drapeaux victorieux et son armée pas-
sèrent en Andalousie, en l’an 6y/i (1 278 J. G.). C’est
ainsi qu’il gouverna les deux Adouas et régna dou-
blement; il fit des expéditions célèbres, des actions
mémorables; ses faits et ses vertus le glorifièrent.
Pieux, religieux et juste, il combla les Musulmans
de bienfaits, il renversa les ennemis de Dieu, et telle
fut la voie qu’il suivit jusqu à sa mort.
Voici quelle était la vie liabituelle de l’émir Yacoub
ben Abd el-Hakk : il passait un tiers de la nuit à lire
le Koran et récitait ses prières et son chapelet jusqu’au
lever du soleil; ensuite il étudiait les livres de morale
et d’histoire, entre autres le Fetouhel-Cham (conquêtes
de Syrie), et il écrivait lui-même de très-belles pages;
cela l’occupait jusqu’à dix heures; il faisait alors sa
prière et se remettait au travail ; il expédiait de sa
propre main ses lettres et ses ordres ; ensuite il don-
nait audience et présidait le conseil des cheikhs Beny
Meryn, qui l’entouraient comme les perles étoilées
entourent la lune. A midi, il se rendait à la chapelle,
et il y restait jusqu’à trois heures; de là. il passait
dans la salle de justice , o«’i il jugeait le bien et le mal
jusqu’à l’heure de la prière du soii-, après la(|uelle
. 429
il congédiait ses iiiinislres et ses serviteurs, et il se
retirait dans son intérieur, où il s’endormait pour
rêver à la guerre sainte contre les Chrétiens.
Après avoir consolidé son gouvernement, l’émir
Yacoub ben Abd el-Hakk sortit de Fès et se rendit
à Rabat-Taza (Tafersyft), où il prit des informations
sur Yahgmourasen ben Zyan; il entra dans cette place
le i’^’ du mois de châaban 658, et y demeura jus-
qu’au Il de chouel, jour où il apprit que les Chré-
tiens s’étaient emparés de Salé par surprise l’avant-
veille, le 9 de chouel, et qu’ils y massacraient les
habitants, dont ils enlevaient les femmes et pillaient
les biens. Il partit aussitôt en toute hâte et arriva
tout d’une traite sous les murs de Salé ; il sortit de
Rabat-Taza à l’heure même (l’Asser) où les nouvelles
lui parvinrent, avec une cinquantaine de cavaliers,
et le lendemain, à la même heure, il faisait sa prière
sous les murs de Salé, où il était ainsi arrivé en
vingt-quatre heures; il tomba sur les Chrétiens qui
rôdaient aux environs, et, en rien de temps, il se
vit entouré d’une armée musulmane, formée des
contingents de toutes les tribus du Maghreb; il as-
siégea les Chrétiens et les resserra sans cesser de les
battre jour et nuit, jusqu’à ce qu’il se fût emparé de
la ville, d’où ils furent ainsi chassés, après y être
restés pendant quatorze jours. C’est alors que l’émir
fit bâtir les murailles et les fortifications qui donnent
sur la rivière et qui n’existaient pas à cette époque,
OLi les Chrétiens entrèrent justement par ce côté ou-
^30
vert. Les premiers travaux furent ceux du dar el-
sanâa ^ (arsenal) , donnant sur la mer. Yacoub assis-
tait lui-même aux travaux qu’il dirigeait et auxquels
il prenait part de ses propres mains pour mériter
les récompenses magnifiques de Dieu en s’humiliant
ainsi et en dotant les fidèles d’ouvrages protecteurs.
En cette même année , l’émir Yacoub s’empara de
la province de Temsena et de la ville d’Anfâ ^. C’est
là qu il reçut les présents d’El-Mourthadhy, émir de
Maroc, lui demandant la paix qu’il lui accorda, en
convenant que la frontière de leurs états respectifs
serait marquée par l’Oued Oum el-Rebya.
L’auteur du livre (que Dieu lui soit en aide!) re-
prend son récit : Durant l’année de l’avènement de
l’émir des Musulmans Vbou \oussef, le Très-Haut
répandit sa bénédiction sur le peuple du Maghreb
et le combla de bienfaits. Les habitants jouirent d’une
prospérité et d’une abondance inconnues jusqu’alors.
A Fès et dans les autres villes, la farine se vendit à
un drahem le roubah, le blé à six drahem et l’orge
à trois drahem le sahfa; les fèves et tous les autres
légumes étaient sans prix , et nul n’en voulait. Pour
un drahem, on avait trois livres de miel ou quarante
onces d’huiîe; les raisins, un drahem et demi le rou-
bah; les dattes, huit livres pour un drahem; un sac
‘ «^^U^aDl )1^ . dar el-sanàa, maison du travail, de Tart. de
l’industrie . d’oii arsenal.
‘ Anfâ. Anafé. aujourd’hui Dar el-Bevda . Casablanca.
. 431
d’amandes, un drahem; les aloses fraîches, un kyrath
(an flous) la pièce; le sel, un drahem la charge; la
viande de bœuf, cent onces pour un drahem; la
viande de chèvre, soixante et dix onces pour un
drahem; un mouton entier pour cinq drahem. Et
tout cela à cause de la bénédiction de l’émir, de son
habile gouvernement, de son admirable conduite et
de ses bonnes intentions.
En 65g (1260 J. C), les rapports de l’émir des
Musulmans et d’El-Mourthadhy, émir de Maroc, s’ai-
grirent, et bientôt eut lieu l’affaire de l’Oum el-Rid-
jelem\ dans laquelle Abou Youssef battit complète-
ment l’armée d’El-Mourthadhy, composée d’Arabes,
d’Almohades et de Chrétiens, dont les principaux
restèrent sur le champ de bataille, et les survivants
prirent la fuite en abandonnant tout à l’ennemi. El-
Mourthadhy avait déployé toutes ses forces dans cette
expédition, où il avait réuni les principaux Almo-
hades et leurs cheikhs avec les Arabes Hachem,
Khelouth, Soufyan, el-Aftah, Beny Djâber, Beny
Hassan; les kaïds chrétiens et andalous et les Agh-
zâz. A peine avait-il laissé quelques soldats à Maroc.
Toute cette armée fut battue et abandonna armes et
bagages, dont l’émir des Musulmans s’enrichit.
En 660 (12G1 J. G.), Abou Youssef se porta sur
‘ Oum el-Ridjekïn (la mère aux deux pieds), nom donne en cette
circonstance à Y Oued Oum el-Rebya, parce que le combat s’étant en-
gagé dans le lit même de la rivière , les traces des pieds des soldats
restèrent sur des îlots que l’eau avait laissés à découvert.
432
Maroc et vint camper sur le mont Djelyz, d’où il
menaça la ville en déployant ses belles troupes avec
grand apparat sous ses étendards flottants. El-Mour-
tliadhy se retrancha dans la ville, dont il ferma les
portes lui-même. C’est à ce sujet que le poëte Abd.
el-Azyz a dit : «En l’an 660 , le sultan Meryn est allé
ce à Maroc; victorieux, il s’arrêta au Djebel Djelyz, où
ffil fit briller sa magnifique armée. El-Mourthadhy,
rc tremblant, s’enferma dans son propre palais, et les
ff Arabes environnants vinrent battre et démolir les
rr remparts de sa ville, -n El-Mourthadhy envoya le sid
Abou el-Olâ Edriss, surnommé Abou Debbous, pour
livrer bataille. Le combat fut sanglant, et, dans la
mêlée, lémir Abd Allah, fils de l’émir des Musul-
mans Abou Youssef, fut tué. Cette perte fut cause
que l’émir Abou Youssef abandonna ses projets sur
Maroc et revint à Fès, où il entra à la fin de radjeb,
en 661.
Dans la soirée du 12 de châaban de cette année
parut une comète, qui se montra chaque nuit jusqu’à
l’aurore , pendant environ deux mois.
En cette même année, le célèbre chevalier Amar
ben Driss passa la mer à la tête d’un corps d’armée
de plus de trois mille cavaliers Meryn et volontaires
pour aller faire la guerre samte. L’émir des Musul-
mans lui confia sa bannière victorieuse et munit ses
troupes d’armes, de chevaux et d’argent en leur don-
nant sa bénédiction. Ce fut la première armée des
Beny Mervn qui passa en Andalousie.
. A33
En 669 (1 ‘j63 J. C), mort d’Aboii el-Olà Edriss
beii Aby Koureich , gouverneur de l’émir des Musul-
mans au Maghreb.
En 663, le fekhy El-Azfy, gouverneur de Geuta,
envoya ses navires pour détruire les murs et les forts
d’Asîla, de crainte que ses ennemis ne s’emparassent
de cette ville et ne s’y fortifiassent. En cette même
année , l’émir des Musulmans se rendit aux environs
de Maroc pour les saccager; mais, à son arrivée, il
fut proclamé par tous les Arabes qui habitaient les
champs et le voisinage de cette capitale. Alors il
rentra à Fès et s’y fixa. C’est à cette époque qu’El-
Mourthadhy s’indisposa contre Abou Debbous, kaïd
de l’armée, qu’il accabla de reproches en l’accusant
d’entretenir des correspondances avec les Beny Meryn .
En même temps, il voulut le faire arrêter; mais Abou
Debbous prit la fuite et vint à Fès auprès de l’émir
des Musulmans, qui l’accueillit avec bonté, en lui
disant: rrO Edriss! quel est le motif de ta venue ?n
Il répondit : cf J’ai fui devant la mort pour venir te
cr demander aide et protection contre mes ennemis ;
cr donne-moi des soldats Beny Meryn, leurs ensei-
cr gnes, leurs tambours et de l’argent pour suffire aux
ff dépenses et je te rendrai maître de Maroc, que
cr nous partagerons par moitié, n L’émir lui accorda
tout ce qu’il demandait aux conditions proposées, et
ils engagèrent tous deux solennellement leur parole.
L’émir donna à Abou Debbous cinq mdle Zenèta; il
lui confia les tambours et les enseignes, il le munit de
28
tiU HISTOIRE DES SOllVERAINS DU MAGHREB
chevaux , d’armes et de tout l’argent nécessaire pour
ies dépenses de la route; il lui remit aussi des or-
dres écrits pour les tribus arabes et d’Askoura pour
quelles aient à lui fournir leurs contingents, et il le
congédia après lui avoir fait ses adieux. Arrivé à
Askoura, Abou Debbous s’arrêta et écrivit à ses pro-
ches, à Maroc, pour les prévenir de son arrivée et
leur demander les renseignements de la situation.
Ceux-ci lui répondirent: c Viens vite, les habitants
ff sont occupés et les troupes sont éparses dans le pays ;
ff saisis le moment, tu n’en trouveras plus d’aussi op-
ffportun.Ti Abou Debbous se mit aussitôt en chemin
et hâta la marche de ses troupes jusqu’à son entrée
dans la capitale, qui eut lieu au moment où nul ne
s’y attendait, vers dix heures du matin, dans le mois
de moharrem 665, parla porte El-Saliha; W s’éta-
blit dans le palais d’El-Mourthadhy, qui prit la fuite
«’t fut tué au sortir de la ville.
Peu de temps après, l’émir des Musulmans envoya
un courrier à Abou Debbous, pour lui demander
l’exécution de ses engagements; mais celui-ci ré-
pondit à l’envoyé : a Va dire à ton maître qu’il n’y
cra entre nous d’autre engagement que le sabre,
rr qu’il se dépêche de m’envover sa soumission et de
fcme faire proclamer dans ses états, sinon je vien-
cr drai le battre avec des légions dont il ne se doute
fcpas.^^ En recevant cette réponse, l’émir comprit
qu’il avait eu affaire à un traître et un rebelle, et,
étant aussitôt sorti de Fès , il vint mettre le siège de-
. 435
vant Maroc, dont il commença par saccager tous les
environs. 4])ou Debbous, se voyant ainsi rigoureuse-
ment bloqué, tandis que ses champs étaient dévastés,
ses édifices détruits et son peuple réduit à la famine,
écrivit à Yaghmourasen ben Zyan, pour lui offrir son
alliance et lui demander des secours contre Abou
\oussef. Yaghmourasen, ayant accueilli ses proposi-
tions, se mit de suite à courir sur les terres de l’émir
des Musulmans qui, à cette nouvelle, abandonna le
siège et s’en alla en toute hâte vers Tlemcen pour
venir l’attaquer lui-même, car il savait que de tout
temps les Yaghmourasen avaient été des ennemis
acharnés, et que celui-ci était des plus distingués
chevaliers Zenèta.
r
Etant rentré à Fès, il y demeura quelques jours
pour donner le temps à ses troupes de se reposer, et
il en sortit le i5 de moharrem 666 (1267 J. C),
en grande pompe, avec sa famille, ses tentes, ses
trésors, une armée innombrable et une magnifique
cavalerie, k la nouvelle de son approche, Yaghmou-
rasen sortit de Tlemcen pour le rencontrer, et la ba-
taille s’engagea sur les bords de l’Oued Telagh. Les
armes se choquèrent aux armes, les hommes aux
hommes, les chevaux aux chevaux; des deux côtés
les tentes et les familles se rangèrent et formèrent
une ligne, et les deux armées fondirent l’une sur
l’autre; le combat fut sanglant, jamais on n’entendit
un pareil bruit; les chevaux, percés de flèches, piaf-
faient de colère, et la* rage emportait les cavaliers.
28.
436
La bataille dura depuis le matin jusqu’à midi. Un
grand nombre de Meryn eurent à déployer la grande
patience, la résignation que l’on doit au Miséricor-
dieux. Mais Dieu leur donna la victoire, et les Abd
el-Ouahed furent détruits ou faits prisonniers sur les
bords de cette rivière. Yagbmourasen, vaincu, prit
honteusement la fuite , et son fils Omar, l’aîné de ses
enfants et son khalife, fut tué. L’émir des Musul-
mans se mit à la poursuite des fuyards qui tombaient
frappés par derrière à coups de lances ou de sabres,
laghmourasen rentra à Tlemcen, vaincu, dépouillé,
seul, abandonné, et les Meryn s’emparèrent de son
camp et de tout ce qu’il possédait. La bataille de
Telagh eut lieu le lundi lo de djoumad el-tâny 666.
L’émir des Musulmans rentra de cette expédition
victorieux, content et plein d’ardeur contre Abou
Debbous.Il demeura à Fès jusqu’au mois de châaban ,
et il se remit en campagne pour aller attaquer le
traître. Les troupes arrivèrent tout d’une traite sur
les bords de l’Oum el-Rebyâ, oii elles campèrent.
L’émir envoya de là des détachements dans tous les
sens sur les terres d’Abou Debbous, pour détruire
les maisons et faucher les champs, et, le i*^”” de mo-
harrem 667 (1268 J. G.), il transporta son camp à
1 Oued el-Abyd, où il resta quelques jours; puis il
saccagea les terres des Senhadja, et, revenant sur ses
pas, il se tint aux alentours de Maroc jusqu’à la fin
du mois de dou’l kâada.
Cependant, les cheïklis arabes et Mesmouda, s’é-
. /j37
tant réunis , se rendirent chez Abou Debbous auquel
ils dirent : cr Qu’attends-tu donc pour attaquer les
ffBeny Meryn et marcher à leur rencontre, quand
fctu vois notre pays bouleverse, nos biens pillés et
crnos harems violés? Allons, lève-toi pour leur faire
c: la guerre , et ne crains pas d’aller les trouver, car
crils sont en petit nombre, et la plupart de leurs
ff guerriers sont restés à Rabat-Taza pour garder cette
ff place contre les Abd el-Ouahed qu’ils redoutent, i^
Abou Debbous se rendit à leurs exhortations et se
mit à leur tête; il sortit de Maroc avec une armée
considérable d’Almohades, d’Arabes, de Chrétiens et
de Mesmouda. A la nouvelle de son approche, l’émir
des Musulmans Abou Youssef se retira vers le Ma-
ghreb , usant ainsi de ruse pour éloigner Abou Deb-
bous de sa capitale. Celui-ci, en effet, en apprenant
la retraite de l’émir, crut qu’elle était motivée par la
crainte qu’il lui inspirait, et il se mit à sa poursuite.
Les mouvements furent tels, qu’à peine l’émir avait-il
quitté un lieu de campement, Abou Debbous y arri-
vait avec son armée , et c’est ainsi que celui-ci suivit
les traces de son enne.mi jusque dans la vallée de
l’Oued Aghfou; là, Abou Aoussef, faisant brusque-
ment volte-face , marcha résolument contre lui ; les
deux armées se rencontrèrent, et les Beny Meryn fon-
dirent dans la mêlée comme, des vautours; ils dé-
ployèrent la grande patience, et le combat devint de
plus en plus sanglant. Abou Debbous, certain d’une
défaite , voulut se sauver à Maroc pour s’y renfermer
438
et s’y fortifier; mais dans sa fuite il fut atteint par un
détachement de héros montés sur les meilleurs cour-
siers, qui lui coupèrent la retraite et l’attaquèrent
vigoureusement. Il fut tué d’un coup de lance en se
défendant, et son corps roula sous les pieds de son
cheval. Sa tête fut coupée à l’instant et on l’apporta
à l’émir des Musulmans , qui la déposa à ses côtés et
rendit grâces et louanges à Dieu en se prosternant.
11 expédia à Fès la tète d’Abou Debbous pour la
donner en exemple au public , et il s’enrichit des dé –
pouilles de tout le camp ennemi. Gela eut lieu le di-
manche 2 de moharrem 668. L’émir des Musulmans
se rendit alors à Maroc, où il fit son entrée le dimanche
suivant, 9 de moharrem, et il s’établit dans cette ca-
pitale. C’est ainsi qu’il réunit le gouvernement de
tout le Maghreb. Le pays se tranquillisa, les aftaires
des Musulmans s’améliorèrent; les routes dévinrent
sûres; la paix, l’ordre et l’abondance régnèrent pai-
tout, et l’on ne vit plus ni vols, ni assassinats, ni
vices, ni débauche.
En entrant à Maroc, il donna l’aman aux habitants
et aux tribus environnantes , qu’il combla de bienfaits
et gouverna avec justice.
Il envoya son fils, l’émir Abou Maiek Abd el-Oua-
hed, dans le Sous et les régions méridionales, pour
soumettre les rebelles et les bandits , et conquérir ce
pays. Quand cela fut fait , Abou Malek revint à Maroc
auprès de son père, qui éprouva une grande joie de
son retour.
. ‘4.39
L’énui’ (les Musulmans demeura à Maroc jusqu’au
mois de ramadhan 669 (1270 J. C), pour tranquil-
liser et organiser le pays. Le 1″ de ce mois il se mit
en marche pour aller attaquer les Arabes dans le
pays de l’Oued Drâa, où ils s’étaient déclarés indé-
pendants; maîtres des forteresses et des châteaux,
ils dévastaient les terres circonvoisines, dont ils mas-
sacj’aient les habitants et pillaient les richesses. L’émir
les atteignit vers le milieu dudit mois de ramadhan
et les tailla en pièces, en leur enlevant leurs biens
et leurs femmes; il conquit ainsi tout l’Oued Drâa
et ses forteresses ; une fraction des Arabes s’étant re-
tranchée dans un lieu très-difficile, il les assiégea
durant quelques jours; puis ces rebelles ayant ob-
tenu l’aman de son fds Abou Malek, il leur accorda
leur pardon en ratifiant l’aman donné, et il ne resta
plus un seul bandit dans tout le Drâa.
L’émir revint alors à Maroc, où il rentra vers le
milieu de chouel de ladite année ; il y resta les der-
niers jours du mois, et il se mit en marche pour
Rabat el-Fath, près de Salé, où il fit son entrée à la
fin de dou’l kâada 669. Il y passa i’aïd el-kebyr, et
ce jour-là même il proclama son fils Abou Malek
pour lui succéder, en présence de tous les Beny
Meryn. L’émir Abou Malek était un prince accompli
en vertus, en courage et en générosité; il était doué
d’un caractère affable et noble ; il recherchait la so-
ciété des hommes distingués; il fréquentait les sa-
vants, les lettrés et les poëtes dont il acquérait les
iAO
connaissances ; il avait fait un choix de docteurs pour
former sa société et faire la conversation. Au nombre
de ceux-ci étaient le kady Abou el-Hedjâdj ben
Hakem, et le kady, le secrétaire Abou ei-Hassan el-
Moughyly, le fekhy respectable Abou el-Hakem
Malek ben Markhal, le fekhy Abou Amran el-Te-
mymy, le fekhy Abou Farès Abd el-Azyz, et le poëte
Melzouzy. Grand amateur de la poésie et de la dé-
clamation, il était lui-même improvisateur. L’émir
des Musulmans , en proclamant son fds Abou Malek
pour lui succéder, indisposa une partie des fds d’Abd
el-Hakk, qui s’enfuirent le soir môme et gagnèrent
dans la nuit le Djebel Aberkou, où ils se retranchèrent.
C’était Mohammed ben Edriss ben Abd el-Hakk et
Moussa ben Rahliou ben Abd el-Hakk, avec tous
leurs fils et quelques-unes de leurs femmes. L’émir
des Musulmans se mit aussitôt en mesure de les
poursuivre; il fit partir devant lui son fils Abou
\acoub avec cinq mille cavaliers pour les envelop-
per sur ladite montagne ; le lendemain celui-ci fut
rejoint par son frère Abou Malek, conduisant cinq
mille autres cavaliers, et le troisième jour l’émir des
Musulmans arriva lui-même avec tous ses soldats
Mei’yn. Au bout de deux jours de siège, les rebelles
firent leur soumission, en implorant l’aman, que
Témir leur accorda, à condition qu’ils s’en iraient
tous à Tlemcen; ils s’y rendirent en effet, et de là
ils passèrent en Andalousie.
En cette même année, Vacoub ben Djebyr el-Abd
. 4A1
el-Oualiedy, qui gouvernait Sidjilniessa au nom de
Yaghmourasen, mourut d’une tumeur aux parties gé-
nitales.
L’émir Abou Youssef entreprit une nouvelle expé-
dition pour aller attaquer, à Tlemcen, Yaghmourasen
ben Zyan ; il envoya son fils Abou Malek dans les pro-
vinces pour rassembler les contingents des tribus ara-
bes et Mesmouda , et il sortit de Fès le i *”‘ de safar de
ladite année 669 avec toute l’armée des Beny Meryn
(que Dieu les fortifie!); il arriva sur les bords de
l’Oued Moulouïa, où il campa quelques jours pour
attendre l’émir Abou Malek, qui se joignit à lui avec
une nombreuse armée d’Arabes, de Hachem, d’An-
dalous, d’étrangers et de Chrétiens, tous bien orga-
nisés et disciplinés. L’émir resta encore trois jours,
après l’arrivée de son fils, campé au même endroit
pour passer en revue toute cette armée, et il se mit
en marche contre Tlemcen. C’est au milieu de ces
forces imposantes qu’il reçut un envoyé de Ben el-
Ahmar, roi de Grenade, qui lui demandait de venir
en Andalousie pour faire la guerre de religion et
secourir les Musulmans, dont Alphonse (que Dieu
le maudisse!) ruinait et saccageait les possessions.
L’émir des Musulmans Abou Youssef (que Dieu lui
fasse miséricorde!) se rendit aussitôt sous la tente
du conseil, où il réunit les cheïkhs Meryn et arabes,
et, après les avoir mis au courant de la situation
des Musulmans en Andalousie, il leur demanda leurs
avis; ceux-ci lui conseillèrent de faire la paix avec
Ixli’2
Yaghmourasen et de passer eu Andalousie dès que
le pays serait tranquille. En effet, l’émir envoya les
cheikhs de toutes les tribus Zenèta et arabes en dé-
putation auprès de Yaghmourasen pour lui demandei’
la paix. En les congédiant , il leur dit : rr La paix est
ff la meilleure des choses , et il est très-désirable que
porta cette réponse à l’émir des Musulmans, qui
s’écria : ff Seigneur Dieu! accorde- moi la victoire
ff contre eux, ô toi le meilleur des victorieux! v Après
être resté trois mois et dix-sept jours à Tanger, l’émir
des Musulmans revint à Fès où il entra à la fin de
clioueî, an 678. Alors il expédia un second mes-
sage à\aglimourasen pour entamer de nouvelles né-
gociations et lui démontrer son erreur : ffO Yagh-
ff mourasenilui écrivit-il, jusqu’à quand persisteras-tu
ffdans cette voie et quand te désisteras-tu de cette
ff amertume en faveur de sentiments medleurs? Sache
ffque tous nos différends sont vidés; aie donc du
ffbon sens et agrée la paix qui est la plus belle
ff chose que Dieu ait faite pour ses serviteurs. Je dé-
ffsire que tu sois fort et puissant, capable de prêter
ffton appui à la guerre sainte, et que cette guerre
fret les conquêtes sur les Infidèles deviennent ta
/i83
or seule ambition. Nous devons être absolument en
cf bonnes relations ensemble. Si tu refuses d’aller à
ff la guerre sainte et que tu ne veuilles point entrer
ce toi-même dans cette voie, laisse au moins agir les
fc Croyants pour leur soutien et leur propre défense,
fcet ne t’oppose plus au passage des Toudjyny, qui
crsont les alliés des Beny Meryn. n Pendant que l’en-
voyé de l’émir parlait , Yaghmourasen sauta à diverses
reprises sur son siège , et quand il entendit prononcer
le nom des Toudjyny, d s’écria, hors de lui-même :
crPar Dieu! je ne veux plus entendre un mot de ces
ff gens-là. Alphonse lui-même viendrait chez eux
ce que je ne l’empêcherais point et le laisserais faire, ■n
Quand l’émir victorieux eut perdu tout espoir d’al-
liance aveclaghmourasen, d sortit de Fès pour aller
l’attaquer, et cela dans le courant de dou’l hidjâ,
an 679 (1280 J. G^). Arrivé au défdé d’Abd Allah,
il fut rejoint par son fds, l’émir Abou \acoub, et il
se rendit à Rabat-Taza, d’où il partit au bout de
quelques jours pour l’Oued Moulouïa; il n’avait pas
même cinq cents cavaliers avec lui, mais là il fut re-
joint par les contingents des Meryn et des Kabyles, qui
arrivèrent nombreux comme la pluie, et son armée
couvrit bientôt les hauteurs et les plaines. Il s’avança
alors jusqu’à Tama (Mama ou Nama), où d perdit
son fds Ibrahim, et il poursuivit son chemin jusqu’à
rOued Tafna. Là, Yaghmourasen se présenta à lui
avec ses trésors, sa famille et ses bagages, entouré
de paisibles tribus arabes conduisant leurs cha-
3i.
484
meaux et leurs bestiaux. A cette vue, l’émir des Mu-
sulmans commanda de suspendre l’attaque; mais les
Beny Meryn voulaient se battre, et une partie d’entre
eux se mit en campagne pour chasser et, en même
temps, pour découvrir l’armée de Yaghmourasen.
Emportés par la chasse , ils arrivèrent sans s’en dou-
ter au camp ennemi, d’où les Abd el-Ouahed et
autres Arabes s’élancèrent sur eux comme un essaim
de sauterelles. Les cavaliers Meryn, battus et pour-
suivis, atteignirent avec peine les bords du fleuve;
mais, à leur vue, l’émir, qui finissait en ce moment
sa prière du Douour, monta à cheval et bondit comme
un lion avec tous ses soldats. La cavalerie se divisa ,
sur son ordre, en deux parties; l’une se précipita sur
le camp, et l’autre sur la troupe d’Arabes qui s’était
présentée à lui. L’émir et son fds Abou Yacoub res-
tèrent en arrière avec environ mille cavaliers des
plus vaillants Beny Meryn. Le combat s’engagea et
s’échauffa; Satan apparut, et la bataille devint de
plus en plus sanglante jusqu’à l’Asser. Alors l’émir
des Musulmans se montra avec ses mille cavaliers
Beny Meryn, tandis que son fils Abou lacoub se
présentait aussi d’un autre côté; tous deux, avec
leurs tambours et leurs enseignes, ils s’élancèrent
dans la mêlée et combattirent courageusement. Yagh-
mourasen , comprenant que toute résistance était de-
venue impossible pour lui, s’en alla, abandonnant
son camp, ses trésors, sa famille et sa suite; il prit
la fuite en courant vers le désert, sans tenir compte,
. /485
selon sa coutume, des biens et des femmes qu’il
laissait derrière lui. Ses troupes furent massacrées
et ses enseignes abattues pendant qu’il rentrait en
cachette dans sa capitale. Tout son camp fut livré au
pillage, et les Musulmans passèrent la nuit entière
à faire du butin et à saccager les environs, pendant
que le tambour de l’émir battait la victoire sans
discontinuer. Tous les biens des Arabes furent pris,
et les Meryn s’enrichirent de butin, de chameaux et
de bestiaux.
Abou Zyan ben Abd el-Kaouy accourut en toute
hâte chez l’émir Abou Youssef qu’il proclama et qu’il
aida avec ses tribus Toudjyny à ravager les posses-
sions d’Yaghmourasen. Lorsque tout fut incendié et
détruit, Abou Youssef donna ordre aux Toudjyny de
retourner chez eux, et il leur alloua une forte partie
du butin. 11 resta lui-même devant Tlemcen jusqu’à
ce qu’ils fussent à l’abri dans leur pays, et il se mit
en chemin pour revenir au Maghreb. Il entra à Fès
dans le ramadhan 680; il y resta jusqu’à la fm de
chouel, et il en sortit le i*”” de dou’l kâada pour
Maroc, où il arriva dans les premiers jours de mo-
harrem 681 (1289, J. C). C’est à cette époque qu’il
épousa la femme de Messaoud ben Kennoun ; il ex-
pédia ensuite son fds Abou Yacoub dans le Sous, et
il demeura à Maroc. 11 reçut là un message d’Al-
phonse, qui lui adressait des louanges et lui écrivait :
ff roi victorieux! les Chrétiens soulevés contre moi
ff veulent me renverser pour élever mon fils Don
486 HISTOIRE DES SOUVERAINS Dl MAGHREB
cf Sancho à ma place, sous prétexte que je suis vieux,
cfsans bon sens et sans forces. Puissé-je leur tomber
cr dessus avec toi! •■! L’émir lui répondit aussitôt : r Je
crsuis prêt et j’accours. -^ Il partit, en eflet, de Maroc
en raby el-aouel , et il marcha en toute hâte , sans halte
ni repos, jusqu’au Kessar el-Medjaz d’oii il passa à
Algéziras dans le mois de raby el-tâny. Il trouva les
Chrétiens dans un état complet d’épuisement et de
désorganisation. Les princes et les chefs espagnols se
présentèrent à lui et le saluèrent. Il se mit alors en
marche, et arriva à Sakhrat el-Abâd. C’est là qu’Al-
phonse vint à Jui. humble et faible, et que l’émir,
l’accueillant généreusement, releva son courage. Al-
phonse se plaignit de la misère où il était tombé, et
ajouta : c Je n’ai d’autres secours à attendre que ceux
frque tu m’accorderas, et d’autres victoires à espé-
frrer que celles que tu remporteras. Il ne me reste
cr d’autres biens que ma coui’onne, c’est celle de mon
ff père et de mes aïeux , prends-la en gage et donne-
(T moi l’argent nécessaire pour me relever, tî L’émir
lui remit 100,000 dinars, et ils commencèrent en-
semble à faire des razias sur les terres des Chré-
tiens jusque sous les murs de Cordoue, où ils éta-
blirent leur camp et battirent pendant quelque
temps le iils d’Alplionse, qui s’y était renfermé.
L’émir envoya des troupes vers Jaën pour détruire
les moissons; il se rendit lui-même dans les envi-
rons de Tolède, et s’avança jusqu’à Madrid, en sac-
cageant tout sur son passage: les mains des Mu-
. /iS7
sulmans s’emplirent de dépouilles et de butin. L’émir
retourna à Algéziras, en châaban, et il y demeura
jusqu’à la fin du mois de dou’l hidjâ, il en partit le
!’=’■ de moharrem 082 (1288 J. G.) pour Malaga,
qu’il assiégea, et i\ conquit un grand nombre de
places fortes des environs , entre autres les châteaux
de Kertouma, de Dakhouân et de Souliyl. Durant
cette niême année le fils d’Alphonse fit alliance avec
Ben el-Ahmar, pour contre-balancer celle de son
père avec l’émir des Musulmans Abou Youssef. (Que
Dieu lui fasse miséricorde!) Toute l’Andalousie fut
en feu. Ben el-Ahmar, voyant que la perte de ses
états était imminente, envoya des ambassadeurs à
l’émir Yacoub, dans l’Adoua, pour le supplier de
venir mettre de l’ordre en Andalousie. Abou Yacoub
passa , en effet, le détroit dans le mois de safar 682 ,
et, après ces longues et terribles discussions, Dieu
très-haut fit faire la paix aux Musulmans, et sa bé-
nédiction releva les enseignes de la rebgion et unit
la parole de l’Islam. Les razias contre les adorateurs
des images recommencèrent, et l’émir des Musul-
mans retourna une fois encore sur les terres infidèles
pour faire du butin et des prisonniers. Il partit d’Al-
géziras pour Cordoue, et c’est l’expédition d’El-Byrâ.
EXPÉDITION DE L’EMIR DES MUSULMANS CONTRE EL-BYRA.
L’émir partit d’ Algéziras le 1″ de raby el-tâny de
l’an 682, et s’avança jusqu’à Cordoue, dont il rasa
/488
les environs et pilla les châteaux; puis il se porta
sur El-Byrà après avoir laissé son camp et le butin
à Baëza sous la garde de cinq mille cavaliers des
plus vaillants, et en cela il fit preuve de beaucoup
de jugement et de prudence. Il se rendit en toute
hâte à El-Byrâ, courant deux jours dans un pays
désert avant d’atteindre les lieux habités; les cava-
liers qui étaient avec lui ne cessèrent de galoper, et
il n’y eut de halte qu’aux environs de Tolède, à une
journée de El-Byrâ. Le butin et les richesses que
les Musulmans acquirent dans cette expédition, et
le nombre de milliers de Chrétiens qu’ils firent périr
sont incalculables. L’émir, changeant de direction, se
porta sur Oubéda, renversant, pillant et incendiant
tout ce qui se trouvait sur son passage; arrivé sous
les murs de la place, il commença aussitôt l’attaque;
mais un instant après , un barbare , posté sur les rem-
parts, lui décocha une flèche qui atteignit son cheval ;
l’émir fut protégé par la grâce de Dieu; néanmoins
cet accident le décida à se retirer, et il revint au
camp de Baëza, où il demeura trois jours pour laisser
reposer ses troupes. Alors, malgré tous ses avantages ,
il s’en retourna à Algéziras avec les trésors et les
dépouilles dont il s’était rendu maître, et il entra
dans cette vdle en radjeb 682. Il fit la distribution
du butin aux Musulmans, et passa dans l’Adoua le
i^”” de châaban. 11 séjourna trois jours à Tanger, et
il se rendit à Fès, où il arriva dans la dernière dé-
cade de châaban; il y fit son jeune du rainadhan et y
ET ANNALKS DE LA VILLE DE FES. A8«.)
célébra la fête. Puis il partit pour Maroc et il s’ar-
rêta deux mois à Rabat el-Fath. Il arriva à Maroc
en moharrem 683 (128/1 J. C), et il expédia son
fds l’émir Abou Yacoub dans le Sous pour faire des
razias sur les tribus arabes; celles-ci, fuyant de-
vant lui, s’en allèrent au Sahara, où il les poursuivit
jusqu’à la Sakyât el-Hamra, et le plus grand nombre
des fuyards moururent de faim. Sur ces entrefaites,
l’émir des Musulmans Abou Youssef tomba très-
dangereusement malade à Maroc, et il envoya l’ordre
à son fils Abou Yacoub de rentrer de suite pour le
voir avant de mourir. Celui-ci se mit précipitamment
en marche pour la capitale, et tout le monde se
réjouit quand il arriva auprès de son père. L’émir
des Musulmans retrouva le repos et put bientôt se
lever; il reprit toute sa santé et il partit de Maroc
pour aller de nouveau faire la guerre sainte en An-
dalousie, vers la fin de djoumad el-tâny, an 683. Il
enti’a à Rabat el-Fath vers le milieu de châaban, il
y passa le ramadhan, et c’est là qu’il reçut les cheïkhs
et les docteurs du Maghreb, qui vinrent le féliciter
pour le rétablissement de sa santé. — Il y eut cette
année-là une grande disette jusqu’à la fin du rama-
dhan. — Dans les derniers jours de chouel, l’émir
quitta Rabat el-Fath et se rendit au Kessar el-
Medjâz, d’où il fit un appel aux Kabyles du Maghreb
pour la guerre sainte. Toute la fin de l’an 683 fut
employée aux préparatifs et au passage des troupes
en Andalousie.
490 HISTOIRE DES SOUVERAINS DL MAGHREB
QLATRIÈME PASSAGE DE L’EMIR DES MUSULMANS EN ANDALOUSIE.
L’auteur du livre (que Dieu lui pardonne!) a dit :
L’émir des Musulmans Abou loussef passa pour la
quatrième fois en Andalousie pour faire la guerre
sainte, le jeudi 5 de safar, an 684 (1285 J. G.). Il
débarqua à Tarifa, et se rendit à Algéziras, où il de-
meura quelque temps. Il se mit alors en course sur
les terres chrétiennes qu’il rasa jusqu’à l’Oued Lekk ‘,
où il trouva les moissons en pleine maturité et une
prodigieuse abondance. Il arriva à Xérès avec l’in-
tention de rayonner de là sur tous les pays infidèles
pour rétablir les Musulmans jusque dans leurs ex-
trêmes limites, en s’arrêtant à chaque point aussi
longtemps que Dieu très-haut le voudrait. Tel était
son plan. Il arriva à Xérès le 20 de safar 684, et
dès ce jour-là, chaque matin, après avoir fait sa
prière, il montait à cheval avec ses guerriers devant
la porte de la ville, et il lançait ses troupes dans
toutes les directions pour détruire les moissons,
couper les arbres, saccager les habitations sans re-
lâche jusqu’à l’heure de la prière de l’Asser, où il
ralliait tout son monde. (Que Dieu lui fasse miséri-
corde!) Il rentrait alors sous sa tente et les troupes
allaient se reposer dans leur camp. Il ne cessait
d’exhorter les Musulmans et de les pousser en avant,
‘ Guadalete.
-4
53^
tenir plus longtemps ni repousser l’émir, et il lui en-
voya sa soumission, en lui demandant la paix et Ta-
man, qui lui furent accordés; il descendit alors de ses
montagnes et proclama l’émir, qui l’envoya à Tlem-
cen avec tous les siens et avec ses biens.
En ramadlian 685, l’émir des Musulmans Abou
lacoub soitit de Fès et se rendit à Maroc, où il entra
en chouel; il y resta jusqu’au jeudi 1 3 de dou’l kàada.
El-Hadj Tailla ben Aly el-Batliaouy s’étant déclaré
indépendant dans le Sous, Abou \acoub manda
aussitôt son neveu, l’émir iVbou Aly Mansour. neveu
d’Abou Mohammed Abd el-Ouahed, et il lui donna
le gouvernement du Sous, avec de l’argent et des
troupes pour combattre Talha. Mansour arriva au
Sous et attaqua les Beny Hassen qu’d battit et dé-
truisit en grand nombre, dans le mois dou’l hidjà. 11
se porta ensuite contre Talha, qu’il cerna, et qui fut
tué dans un combat, le lundi i3 de djoumad el-
tàny 686 (1387 J. C). L’émir Abou Aly Mansour
envoya sa tête à son oncle, l’émir des Musulmans,
qui ordonna (que Dieu lui fasse miséricorde!) de
l’exposer dans tout le pays, et de l’expédier ensuite à
Rabat-Taza , à la porte de laquelle elle resta pendue
dans une cage de cuivre tant que dura son règne.
Dans le mois de ramadhan, l’émir des Musulmans
sortit en expédition contre les Arabes de la partie
est du Dràa, qui infestaient les chemins de Sidjil-
messa. Il partit de Maroc avec douze mille Beny
Meryn et lit route par le Djebel Askoura jusqu’au
. 535
Bled Di’àa; il continua d’avancer par l’Est jusque sur
la frontière du Sahara , où il atteignit les rebelles. Ln
matin, de bonne heure, il les attaqua et en lit un
grand carnage ; il s’empara de leurs biens et envoya
leurs têtes à Fès, à Sidjilmessa et à Maroc, où il ren-
tra lui-même à la fin de chouel. Il y célébra l’aïd
el-kebyr et y finit l’année.
En 687 (1288 .1. C), l’émn- sortit de Maroc vers
le milieu de raby el-tâny, et se rendit à Fès, où il
reçut une députation de Ben el-Ahmar, lui amenant
la fille de Témir Moussa Ben Rahou, qu’il épousa
à Maroc. En cette même année, au mois de safar,
l’émir des Musulmans donna à Ben ei-Ahmar la ville
de Guadix et les forteresses Randja, Byana, El-Dyr,
El-Antyr, Ghaoun et Ghouaryb. Le samedi 2/1 de
chouel, le fils de l’émir des Musulmans, Abou Amer,
se révolta et s’en alla chez Mohammed ben Athou,
chef des Berbères Djeneta, avec lequel il entra à
Maroc et s’y empara du pouvoir, le 1″ de dou’l kâada.
Dès que cette nouvelle parvint à l’émir Abou Yacoub,
il se mit en marche contre Maroc et vint camper
sous ses murs. L’émir Abou Amer, étant sorti pour
lui livrer bataille, fut complètement battu; mais,
vaincu, il put encore rentrer en ville et en refermer
les portes à la face de son père ; il se réfugia dans le
palais, et, dès que la nuit fut venue, il tua Ben Aby
el-Berkât, gouverneur du palais, il s’empara du
trésor et sortit de la place à minuit en fuyant vers
l’Est. Le lendemain, 9 de dou’l hidjà, l’émir des Mu-
536
sulinans rentra à Maroc et pardonna aux habitants.
L’émir Ahou Amer erra dans les tribus de l’Est avec
Ben Athou, pendant six mois, et finit par entrer
le 2 2 de radjeb à Tlemcen, d’où il revint vers son
père, qui lui fit grâce.
L’année suivante, 689, i’émir des Musulmans
écrivit à Othman fils de Yaghmourasen, émir de
Tlemcen, pour lui demander l’extradition de Ben
Athou, le rebelle; mais Othman la lui refusa et lui
répondit : ce Par Allah! je ne te le livrerai jamais;
cf certes, je ne violerai pas ainsi mon propre asile.
ffFais ce que tu voudras contre moi; mais je ne
fr l’abandonnerai point jusqu’à ma mort. ^ Puis, s’é-
chautïant de plus en plus, il accabla d’injures l’en-
voyé de l’émir et le mit aux fers. En apprenant cela.
Abou Yacoub entra dans un grand courroux et fit
aussitôt les préparatifs de guerre. 11 se mit en cam-
pagne le 27 de raby el-tàny, et ce fut sa première
expédition contre Tlemcen et les Abd el-Ouahed. Il
commença à pdler et à dévaster les environs, détrui-
sant les champs et les habitations. Le i*”” de rama-
dhan, l’émir Othman n’ayant encore tenté aucune
sortie, il se décida à l’assiéger. Pendant seize jours
il cerna la place et la battit en employant les balistes,
puis il revint au Maghreb, et d rentra à Rabat-Taza
le 3 de dou’l kàada.
L’année suivante, 690 (1290 J. C), l’alliance
entre l’émir des Musulmans et Sancho fut rompue,
et Abou Yacoub écrivit à son cheikh Abou el-Hassen
537
Aly ben Youssef Len Yrdjan, pour iui ordonner de
marcher sur Xérès et de ravager les pays Chrétiens
au levant et au couchant. A la réception de cet ordre,
Ben Yrdjan se mit en route avec tous ses guerriers.
11 arriva sous Xérès dans le mois de raby el-tâny,
et il commença aussitôt la dévastation. En même
temps, l’émir des Musulmans sortait de Fès pour
aller en Andalousie et convoquait les fidèles du Ma-
ghreb à la guerre sainte. Il arriva dans le mois de
djoumad el-aouel au Kessar el-Medjaz, où il com-
mença aussitôt l’embarquement des guerriers Beny
Meryn et arabes.
Alphonse [Sancho] (que Dieu le maudisse!) en-
voya des bâtiments en croisière pour empêcher le
passage du détroit à l’émir, qui n’en fut nullement
contrarié , et qui se borna à ordonner à sa flotte de
courir sur les navires chrétiens. Mais, en châaban, les
Musulmans se révoltèrent en mer contre leurs com-
mandants, qu’ils tuèrent, et ils mirent ainsi fm à leur
campagne. L’émir des Musulmans ayant attendu au
Kessar el-Medjaz que de nouveaux navires fussent ar-
més pour sa traversée, passa le détroit et descendit
à Tarifa dans la dernière décade de ramadhan 690.
Entrant aussitôt en campagne, il assiégea pendant
trois mois la forteresse de Bahyra , expédiant chaque
jour des détachements pour ravager les alentours de
Xérès et du fleuve. Lorsque tout le pays fut abîmé,
l’émir, voyant l’approche de l’hiver, s’en revint à Al-
géziras, d’où il passa dans l’Adoua le i”de mohar-
538
rem 691. Bientôt il rompit aussi ses relations avec
Ben el-Ahraar qui, ayant fait alliance avec Alphonse,
était convenu avec lui d’attaquer et de prendre Ta-
rifa pour empêcher un nouveau retour de Témir Abou
Yacoiib en Andalousie. Ben el-Ahmar s’étant engagé
à fournir l’entretien de l’armée durant tout le siège .
Alphonse arriva sous Tarifa le 1″ de djoumad el-
tàny O91, et la cerna par terre et par mer. la bat-
tant sans cesse avec ses batistes et autres machines de
guerre. Ben el-Ahmar lui fournit tout le nécessaire
jusqu’au moment où les habitants de la ville lui en
ouvrirent les portes, et il y entra le 3 o de chouel 69 1 .
Il était bien convenu de livrer la place à Ben el-
Ahmar après la prise, mais, une fois qu’il y fut, il y
resta et il ne voulut même pas accepter en échange
les forteresses de Chekych, Tabyra, Nekla, Aklych,
Couchtela et El-Mesdjyn que Ben el-Ahmar lui of-
frait.
Au mois de chàaban, Omar ben \ hya ben el-Ouzyr
el-Ouatâsy surprit pendant la nuit la forteresse de
Tazouta, dans le Rif, et s’en empara. L’émir Abou
Aly ben Mansour ben Abd el-Ouahed, qui comman-
dait la place, s’enfuit au milieu des ténèbres par-
dessus les murs et courut jusqu à Rabat-Taza. Omar
massacra la garnison et s’empara de tout ce qui se
trouvait dans cette forteresse, argent, armes, ba-
gages et dépôt des tributs chrétiens. L’émir des Mu-
sulmans, en apprenant ces nouvelles, expédia immé-
diatement son ministre Abou Al\ ben Saoud . avec une
ET ANNALES DR LA VILLE DE FES. 530
forte armée, pour aller assiéger Tazoula, de concert
avec l’émir Ahou Aly Mansour; mais celui-ci, étant
tombé malade de chagrin, mourut peu de temps
après et fut enterré dans la mosquée de Taza. Au
mois de chouel 691, l’émir Abou Yacoub sortit de
Fès et se rendit lui-même à Tazouta avec Amer ben
Vhya ben el-Ouzyr, qui lui promit de décider son
frère Omar à évacuer la place et lui en assura la
prise. L’émir lui ayant donné l’autorisation de se
rendre près d’Omar, il entra à Tazouta, et, à la suite
d’une longue conversation, sondit frère Omar, en-
levant le trésor et tout ce qu’il put, prit la fuite la
nuit à l’insu de tout le monde, et s’en alla à Tlem-
cen, en abandonnant le commandement de la place à
son frère Amer. Celui-ci, ayant appris que l’émir des
Musulmans voulait lui faire payer de la vie la fuite
d’Omar, se renferma lui-même dans la forteresse et
refusa de se rendre. Il resta dans cette situation jus-
qu’à l’arrivée d’Abou Saïd Farradj ben Ismaël, en-
voyé de l’Andalousie par Ben el-Ahmar, roi de Ma-
laga, avec des présents pour l’émir Abou Yacoub,
dont il sollicitait l’alliance. Abou Saïd arriva avec sa
(lotte dans le port de Ghasana, et Amer ben Yhya
lui dépêcha aussitôt un message pour le prier d’im-
plorer pour lui la clémence de l’émir des Musul-
mans. Abou Saïd lui accorda son intervention, et
l’émir des Musulmans parut être disposé au pardon ;
mais Amer, craignant pour sa personne, se borna à
envoyer au pori quehjues-uns de ses serviteurs, qui
540
montèrent à bord des navires d’Abou Saïd pour s’en
aller en Andalousie; quant à lui, ayant attendu le
milieu de la nuit, il sortit de la forteresse comme
pour aller s’embarquer et il prit la fuite vers Tlem-
cen. Des cavaliers partirent à sa poursuite, mais la
rapidité de son cheval le sauva, et ils n’atteignirent
que son fils Abou el-Khayl, qui fut tué et crucifié à
Fès. Abou Saïd fit mettre à terre ceux qui s’étaient
réfugiés à bord et ils eurent la tète tranchée. Tous
ceux qui se trouvaient dans la forteresse, soldats et
autres, furent également mis à mort et leurs femmes
et enfants furent transportés à Rabat-Taza, où ils res-
tèrent captifs.
Dans cette même année, l’émir des Musulmans
reçut à Tazouta même une députation de Chrétiens
génois qui lui offrirent des présents magnifiques, au
nombre desquels figurait un arbre en or sur lequel
étaient des oiseaux qui chantaient au moyen d’un
mécanisme, absolument comme celui qui avait été
inventé par El-Moutouakil l’Abasside.
En cette même année, les fils de l’émir Abou
Yliya ben Abd el-Hakk se révoltèrent et s’enfuirent
à Tlemcen, où ils restèrent jusqu’à ce que l’émir
des Musulmans leur envoya dire de revenir. Dès
qu’ils furent en route pour rentrer à Fès, l’émir
Abou Amer, prévenu de leur approche par des es-
pions, sortit du Rif pour les arrêter en chemin et il
les atteignit à Sabra, près de la Moulouïa, où il les
tua, persuadé qu’il devançait ainsi Taccomplissemenl
541
des désirs de son père ; mais l’émir des Musulmans
Abou Yacoub, en apprenant ce crime, l’exila, et il
ne cessa d’errer dans le Rif et sur les terres de
Ghoumara jusqu’à sa mort, dans le mois de dou’l
hidjâ 698. Son corps fut transporté à Fès et enterré
à la zaouïa qui est à l’entrée du Bab el-Fetouh.
L’émir Abou Amer laissa trois enfants. Amer, Soli-
man et Daoued, qui ne sortirent pas de prison tant
que vécut Abou Yacoub, leur grand-père; mais, à sa
mort, Amer et Soliman montèrent successivement
sur le trône, et nous écrirons leurs règnes à la suite,
s’il plaît à Dieu,
En dou’l kâada 691, Ben el-Ahmar livra la for-
teresse d’El-Byt à Sancbo, fds d’Alphonse. En cette
même année , l’émir des Musulmans décréta la célé-
bration solennelle du Miloud^ dans tous ses états,
et fixa la fête au mois de raby el-aouel le béni. (Que
Dieu lui fasse misécorde pour cette innovation qu’on
lui doit!)
C’est à la fin du mois de safar de cette année que
le fekhy, le prédicateur Abou Yhya ben Aby Sebor
vint s’établir à Fès. Au commencement de 692
(1292 J. C.) et jusqu’en djoumad el-tâny, l’émir
reçut successivement un envoyé de Ould el-Renk -,
roi de Portugal, un autre du roi de Bayonne et des
ambassadeurs des émirs de Tlemcen et de Tunis.
Le vendredi k de djoumad el-tâny, il entra dans la
‘ Nativité du Prophète.
■’ Fils de Henri.
54-2
forteresse de Tazouta, et, vers le milieu de radjeb,
les envoyés de Ben el-Ahniar, le raiss Aboii Saïd et
Abou Solthan el-Dany prirent congé à Fès et re-
tournèrent en Andalousie. Le lundi 2/1, Témir Abou
Amer s’en alla au Kessar el-Medjaz pour inspecter
les affaires de l’Andalousie, et le sultan Abou Abd
Allah ben el-Ahmar se mit en voyage pour venir
auprès de l’émir des Musulmans, Abou Yacoub,
sexcuser de sa conduite au sujet de Tarifa, et lui
demander le gouvernement de l’Andalousie; il dé-
barqua sur la plage de Blyounech , près de Ceuta ,
et vint à Tanger, apportant avec lui de magnifiques
cadeaux, au nombre desquels était le Livre chéri
(Koran), qui avait appartenu aux rois Ommyades, et
dont il avait hérité dans le palais de Cordoue. Ce
koran avait été écrit par la propre main, dit-on, de
Témir des Croyants Othman ben Offan (que Dieu
Tagrée!). Abou Abd Allah arriva à Tanger le samedi
22 de dou’l kâada, et il v rencontra les émirs Abou
Abd er-Rahman \acoub et Abou Amer. L’émir des
Musulmans sortit de Fès pour aller au-devant de
lui après la prière de l’Asser, le 19 de dou’l kâada;
il était accompagné de tous ses iils, mais l’un d’eux,
i émir Abou Mohammed Abd el-Moumen, mourut
en chemin, dans la ville d’Asgar, le dimanche 3o de
dou’l kâada. Son corps fut porté à Fès et enterré
dans la cour du Sud de la mosquée de la vdle nou-
velle. Arrivé à Tanger, l’émir des Musulmans reçut
Ben el-Alimar, 1 écouta avec bienveillance, le combla
. 5A3
de générosités et lui accorda toutes ses demandes
sans tenir compte de ce qui s’était passé; il lui lit
de magnifiques cadeaux d’une valeur équivalente à
celle des présents qui lui avaient été offerts , et il le
congédia pour l’Andalousie le samedi 20 de dou’l
hidjâ 692.
Dans cette même année, l’émir des Musulmans,
Abou \acoub, donna à Ben el-Alimar la direction
d’Algéziras, de Ronda et de toutes les places qui en
dépendaient, telles que \amna, El-Douna, Renych,
Sakliyra, Amagh, El-Gliâr, jNehyth, Tardela, Me-
chaour, Ouathyt. El-Medar, Adyar, El-Ghythyl ,
El-Tliebach, Ben Tonboul, Ei-Dlyl, Achtebouna,
Medjlous, Ghemyna, El-Nedjour et Nougarech.
L’année suivante, 698, l’armée de l’émir des Mu-
sulmans passa en Andalousie , sous les ordres de son
ministre Aly Omar ben el-Saoud, pour assiéger Ta-
rifa, qui fut ainsi cernée pendant quelque temps.
Dans cette même année, il y eut une famine et
une peste désastreuses dans le Maghreb, où îa mor-
talité fut si grande qu’on plaçait deux, trois et quatre
cadavres sur la même planche de lavage. Le blé
était au prix de dix drahems l’almoud, et six onces
de farine coûtaient un drahem.. L’émir des Musul-
mans convertit les mesures et rétablit le moud du
Prophète (que Dieu le comble de bénédictions!), et
cela fut fait par l’entremise du fekhy, le saint Abou
Farès el-Melzouzy el-Mekenèsy.
En 69/i, la situatiou s’améliora, el le prix des
W^
denrées diminua partout. Le blé descendit à vingt
drahems le sahfa, et l’orge à trois drahems.
Au commencement de l’an 696 (1295 J. C),
l’émir Abou \acoub se mit en campagne pour aller
faire des razias sur les terres de Tlemcen; il arriva
à la forteresse de Taouryt, située sur la frontière des
deux états et dont il n’avait que la moitié, l’autre
partie appartenant à Othman ben Yahgmourasen.
L émir des Musulmans chassa le gouverneur d’\ agli-
mourasen et se mit en devoir de reconstruire les
fortifications de cette place ; il commença les travaux
le i^*” de ramadhan, et toutes les murailles furent
achevées et munies de leurs portes doublées de fer
le 5 du même mois. (Que Dieu lui fasse miséri-
corde!) Chaque matin, après sa prière, il venait lui-
même assister aux travaux. Alors il laissa à Taouryt
une garnison de Beny Askars sous le commandement
de son frère l’émir Abou Yhya fds de l’émir Abou
\oussef, et il partit ])our Rabat-Taza; il célébra la
tète de la rupture du jeûne sur les bords de la
Moulouïa.
En 696, l’émir des Musulmans rasa les terres de
Tlemcen. En sortant de Fès il se rendit à Nedrôma,
qu’il assiégea et battit pendant quelque temps; il
vint alors à Oudjda, qu’il réédifia; il refit les forti-
fications et bâtit dans leur enceinte une kasbah, un
palais, un bain et une mosquée; il y laissa une gar-
nison de Beny Askars sous les ordres de son frère,
l’émir Abou Yhva. auquel il donna ordre de har-
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celer la ville et les environs de Tlemcen. Après être
rentré à Fès, il se remit en campagne au com-
mencement de l’an 697, et vint lui-même assiéger
Tlemcen; il renvoya une partie de ses serviteurs,
et entre autres le poëte Abou Farès Abd el-Azyz,
Abou Abd Allah el-Kenany et le fekhy Abou Yhya
ben Aby Sebor. En cette même année, l’émir Aly,
connu sous le nom de Ben Zarbabata, trompé par
une lettre de son père l’émir des Musulmans, qui
avait été contrefaite par Abou el-Abbès el-Melyany, fit
périr les cheïkbs de Maroc, Abd el-Kerym ben Ayssa
et Aly ben Mohammed el-Hentaty. Mort de l’émii-
Abou Zyan.
En 698, l’émir des Musulmans descendit sous les
murs de Tlemcen pour la dernière fois, car il y mou-
rut. (Que Dieu lui fasse miséricorde!)
SIÈGE DE TLEMCEN.
L’auteur du livre (que Dieu lui soit propice!) a
dit : La cause première de la guerre contre Tlemcen
et les Beny Abd el-Ouahed fut la fuite de Ben Athou
chez Othman ben Yaghmourasen, et le refus de son
extradition qu’opposa ce prince à la demande que
l’émir des Musulmans lui avait adressée. Dès ce mo-
ment, les hostilités furent incessantes; mais ce ne
fut que lors de sa seconde campagne contre cette
ville, en radjeb 697, que l’émir Othman sortit de la
ville pour livier bataille : il fut battu et forcé de se
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retrancher dans la place, dont d ferma les portes et
soutint le siège. L’émir des Musulmans, après avoir
cerné la vdle pendant quelque temps, se retira et
revint à Fès, laissant à Oudjda son frère, Fémir
Abou Yhya, avec une troupe de Beny Askars, aux-
quels il donna ordre de ravager les terres de Tlem-
cen et de Nedrôma. L’émir Abou Yhya ne cessa, en
effet, d’inquiéter tout ce pays, et il resserra telle-
ment les habitants de Nedrôma que leurs cheikhs
vinrent capituler. L’émir Abou Yhya leur accorda
l’aman pour eux et pour les habitants de la ville,
dont il prit possession; il expédia aussitôt les mêmes
cheïkhs avec ces nouvelles à son frère, auprès duquel
ils arrivèrent le mardi 8 de radjeb 698. Ces cheïhks
supplièrent alors l’émir des Musulmans de venir les
protéger contre leurs ennemis. L’émir, s’étant rendu
à leur appel , partit pour Tlemcen et arriva sous ses
murs, le mardi a de châaban, au point du jour;
il s’empara successivement de Nedrôma, Honeïn et
Oran , de Ternat, Mezgharân, Moustaghânem,Tenès,
Cherchel, Berhkas, Beteha, Mazouna, Ouencherych,
Mdiana , El-Kasbah , El-Medea, Taferguint et de toutes
les terres et villes des Beny Abd el-Ouahed, des
Toudjyny et des Maghraoua. Le roi d’Alger reconnut
sa. suzeraineté, un envoyé de l’émir de Tunis vint
chez lui avec des présents, et les habitants de Bougie
et de Constantine se rangèrent sous son gouverne-
ment. Cependant le siège de Tlemcen se poursuivait
avec rigueur, et les troupes renouvelaient chaque
ET ANNALKS DE LA VILLE DE FES. ;Vi7
jour leurs attaques. Quand vint l’hivei’, l’émir