Cy commence le voyage de Bertrandon de la Broquière que il fist en la terre d’oultre mer, l’an 1432.
POUR induyre et attraire les cueurs des nobles hommes qui désirent veoir du monde, par commandement et ordonnance de treshault, tres-puissant et mon redoubtc seigneur, Phelippc, par la grâce de Dieu, duc de Bourgoigne, de Brabant, de Lembourg et de Lothier, conte de Flandres, d’Artois et de Bourgoigne, palatin de Haynauld, de Hollande, de Zeelande et de Namur, marquis du Sainct Empire, seigneur de Salins et de Malines, Je, Bertrandon de la Broquiere, natif de la duchié de Guicnne, seigneur du Viel-Chastel, conscillier et premier escuycr trenchant de mondict tresredoubté seigneur, ainsi que je puis avoir souvenance et que rudement l’avoye mis en ung petit livret par manière de mémoire, ay faict mectre en escript ce pou de voyaige que j’ay faict; affin que si aucun roy ou prince crestien vouloit entreprendre la conqueste de Iherusalem et y mener grosse armée par terre, ou aulcun noble homme y voulsist aller ou revenir, qu’il peust sçavoir les villes cités, régions, contrées, rivyeres, montaignes, passaiges es pays et les seigneurs qui les dominent, depuis Iherusalem jusques à la duchié de Bourgoigne : et pour ce que le chemin de ce en Iherusalem est si notoire que plusieurs le sçavent, je m’en repasse legierement de le descripre jusques au pays de Surie par lequel j’ay esté tout au long, depuis Gazere, qui est l’entrée d’Egypte, jusques à une journée prés de Halep, qui est la dernière ville quant on veult en Perse devers le North.
Pour accomplir doncques mondict voiaige affin de faire le sainct pellerinaige de Iherusalem, je me partis de la court de mon tresredoubté seigneur, lors estant dans sa ville de Gand, le mois de febvrier l’an mil quatre cens trente et deux; et puis que j’eus passé la Picardie, Champaigne et Bourgoigne, j’entray au paj’s de Savoye où je passay le Rosne, et par
le mont du Chat, je arrivay à Chambery. Et quant j’eus passé grant pays de montaignes, je vins au pié de la plus grande et de la plus haulte de toutes que on nomme le mont Senys qui est moult périlleux à passer en temps de grans neiges pour deux raysons, ce dient ceulx du pays. L’une, pour ce que lors, il fault avoir bonnes guydes qu’ilz appellent marrons, pour trouver le chemin qui est couvert, affin qu’on ne se perde; l’autre raison, pour ce que faire voix estonne la montaigne et faict cheoir en bas la neige en grande impétuosité, ce dient lesdictz marrons.
Et pour ce, nous deffendircnt ilz le haut parler et faire voix. Ceste montaigne départies pays de France et de Itallie.
Item, je vins de là au pays de Pyemont tres bel et plaisant, lequel de trois pars est enclos de haultes montaignes. Puis, je arrivay à Thurin. Et au plus prez, je passay une grande rivyere que on nomme le Po.
En apprez, je vins a Ast, qui est à Monseigneur le duc d’Orléans, et, de là en Alexandrie où, selon qu’on dist, il y a plus grande partie des usuriers.
Item, de là, je vins à Plaisance, qui est au duc de Millan. Là estoit l’empereur Sigemond qui avoit recheu sa seconde coronne à Millan, et s’en vouloit aller à Romme pour avoir la tierche.
Item, de là, je vins à Boloigne la grasse qui est au Pape; et de là passay par un pays de montaignes et entray en la seigneurie des Flourentins. Puis, je arrivay à Flourence, une moult bonne ville qui de soy mesme se gouverne par les communes de la ville qui, de trois mois en trois mois, eslisent aucuns hommes de mestier qu’ils appellent Prieurs, et leur est faict assez d’honneur tant qu’ilz demeurent audict office. Et puis, chacun retourne à son mestier, comme l’on le dict.
Item, de là passai par la seigneurie desdictz Flourentins ; je allay jusques à ung chastel que l’on nomme Mont Poulchan ‘ qui est assis sur une petite montaigne et encloz de trois pars d’un grant lach qui tient assez de pays.
Item, de là je m’en vins à Espolite’ et à Mont-flascon : en apprez, à une ville nommée Viterbe où gist le corpz de saincte Roze, et de là je vins en la cité de Romme.
Romme est une ville telle que chascun sact. On trouve par vrayes escriptures que les Romains ont dominé tout le monde par l’espace de 700 ans. Aussi le demonstrent bien les édifices qui y sont tant encores es grans palaiz, arcz triumphans, columncs, pilliers de marbre, comme es statues d’hommes et chevaux qui, selon qu’il me sambloit, est une merveilleuse chose à veoir et à penser comment elles avoient été faictes ne dreciées et plusieurs aultrcs choses qui seroient trop longues à escripre; et aussi plusieurs les ont veues comme moy.
A Romme a de moult belles reliques en plusieurs églises, tant de choses à quoy Nostre Seigneur a touchié, que de corpz sainctz d’appostrcs, de martirs, de confés et de vierges, soit en la ville ou au plus prés. Et, en aucunes desdictes esglises, a plain pardon depeyne et coulpe que les sainctz papes y ont donné à l’honneur desdictz corpz sainctz qui y reposent.
Et là vey je le pape Eugène IV, natif de Venise, qui avoit esté créé pape l’an dessus dict 1432 et estoit accompaignié de plusieurs cardinaulx. Et en celle saison luy avoit faict guerre le prince de Salerne qui fut neveu du pape Martin qui estoit de ceux de la Coulomne de Romme.
Item, pour faire et accomplir mondict pellerinaige, me partis de Romme le 25 jour de mars, puis m’en vins à une ville qui est au conte d’Avers qui estoit parent au cardinal des Oursins. Et apprez j’entray en la terre du conte d’Urbin, et m’en vins Urbin la cité, et de là en la seigneurie des Malatestes.
Item, je vins à une ville qu’on appelle Remignc qui sciest sur la marine, et de là, à une autre nommée Ravenne qui est aux Venissiens, et puis jusques à la rivyere du Po qui est une moult grosse rivyere laquelle je passay par trois fois sur bateaulx ; et, de là, vins à une ville dcsdictz Venissiens qui a nom Cioge ‘ et est assise sur la mer, et eust jadiz bon havre. Et dict on que les Venissiens le rompirent du temps que les Jennevois tindrent le siège devant Venise. Et de là m’en allay par mer jusques audict Venise où il y a 35 milles.
Venise est une moult bonne ville, tres ancienne, belle et marchande, toute environnée de la mer qui passe par ladicte ville en plusieurs lieux dont les aucuns sont ysles; et ne peut on aller de l’un à l’autre que par bateaulx. En ceste ville a plusieurs corpz sainctz, comme saincte Heleyne qui feist tant de biens en Iherusalem et fut mère de Constantin l’Empereur, et plusieurs autres corpz sainctz que je y ai veu, comme aucuns Innoscens tous entiers qui sont en une ysle que on nomme Reault; et là faict l’on les verres de Venise, laquelle se gouverne moult saigcment, car nul ne peust y estre du conseille ny avoir quelque office s’il n’est gentilhomme et natit de la ville. Il y a ung duc ; et quant il meurt, ilz en eslisent un d’entre eulx, celluy qui leur samble estrc le plus saige et qui a plus à cueur le bien commun. Il y a tousiours en sa compaignie six notables hommes des plus anciens du conseille.
De Venise, je chevaulchay jusques à Padoue qui est ausdictz Venissiens et est tres belle ville et grande. Et de là, m’en retournay en ladicte ville de Venise; et puis, pour achever mondict pellerinaigc, je me partis de Venise le viij*^ jour de may et montay sur une gallée avec plusieurs pellerins, et sur une autre gallée montèrent les autres. Ainsi noz deux gallées en compagnie, alasmes à une ville qui est ausdictz Venissiens et s’appelle’, et de là, à une autre nommée Polie qui, à mon samblant, a esté jadis une moult belle ville et bonne, où il y a beau havre. Et de là, nous en alasmes à une ville qu’on nomme Jarre. Ces trois villes cy sont en Esclavonye. En Jarre est le corpz de sainct Simeon auquel Nostre Seigneur Jhesus Crist fut présenté au temple. Elle est close de trois pars de la mer et a ung moult beau havre qui se ferme d’une forte chaysne de fer. Et de là nous alasmes tousiours par entre les ysles jusques à une ville d’Esclavonye qu’on nomme Sebenich et est ausdictz Venissiens. Et tant exploictasmes par entre les ysles que nous venismes jusques à l’ysle de Corfo où il y a une asssez bonne ville qui a nom Corfo où est ung tresbeau havre et deux beaulx chasteaux, tout aux Venissiens. Et de là venismes jusques au pays de la Mourée à une ville des Venissiens qu’on nomme Moudon qui est bonne et belle, ayant un moult beau havre. Et de là venismes en l’ysle de Candie qui est tresbonne ysle et moult fertile de biens. Et illec il y a un gouverneur de par la seignourie des Venissiens que l’on nomme duc. Mais sa duchié ne luy dure que trois ans. Les gens de ceste ville sont bonnes gens de mer, et a en ceste ville ung petit havre fermé.
Item, de là, nous alasmes à Rodes l’une desdictes galées et l’autre s’en ala en Cypre. Je dcscendy en Rodes seuUement pour veoir la ville : et n’eus pas d’espace d’aller veoir le chastel pour ce que nostre gallée se partit tantost.
Item, de Rodes, nous alasmes en Cipre en une ville destruicte qu’on nomme Baffe (Paphos) où il y a un havre non pas bel ny parfont pour gros navires.
Item, de là, nous venismes en la saincte terre de promission, et arrivasmes en un port qu’on nomme Jaffe est une montaignete où jadiz fut une ville des Crestiens, par samblant moult forte ; et est toute destruicte sans y avoir habitation nulle, senon caves où les pèlerins se boutent pour les chaleurs du soleil. Là commencent les pardons de la Saincte Terre. Et entre la mer et la ville a deux fontayncs d’eau doulce dont l’une est couverte de la mer quant il y faict fort temps du vent de ponant.
En Jaffe, viennent les truchemens et autres officiers du Souldan pour sçavoir le nombre des pèlerins et les conduire et pour recevoir le tribut dudict Souldan, c’est assavoir ce qu’il prent des pèlerins. Et a illec meschant havre et de peu de fondz, pourquoy il y faict périlleux attendre une fortune pour doubte de ferir en terre.
Item, partismes de Jaffe et alasmes à Rames qui est une bonne ville marchande, sans murailles et assise en beau pays et plantureux de biens’. Et de là, nous alasmes en ung villaige où Monseigneur sainct Georges fut martirié. Puis nous retournasmes en ladicte ville de Rames, et de là, alasmes à la saincte cité de Iherusalem où Nostre Seigneur JhcsuCrist souffrit mort et passion pour nous, et y venismes en deux journées dudict Rames. Et quant nous fusmcs venus en ladicte cité de Iherusalem et eusmes faict les pellerinaiges accoustumez à faire aux pèlerins, nous nous en alasmes à la montaigne où Nostre Seigneur jeusna la quarantaine, et de là au fleuve Jourdain où il fut baptisié; et, en retournant, nous feismes les pellerinaiges accoustumez, c’est assavoir d’une esglise de Sainct Jehan qui est auprez dudict fleuve, en apprez, de Saincte Marie Magdeleyne et de Saincte Marte, là où Nostre Seigneur ressucita le Lazare’, puis retournasmes en Iherusalem d’où nous partismes de rechief pour aller en Bethléem où Nostre Seigneur nasquit.
Bethléem est une ville où ne demeurent que Sarrazins et aucuns Crestiens de la saincture excepté en l’csglise où Nostre Seigneur nasquit où demeurent aulcuns Cordeliers qui font l’office divin, et sont en grande subjection desdictz Sarrazins,
Item , nous alasmes où sainct Jehan Baptiste nasquit. Et illec a une roche qui s’ouvrist quant le roy Herode faisoit persécuter les Innoscens. Lors saincte Helizabeth y mist sainct Jehan : et adonc se cloyst ladicte roche, mais sainct Jehan y demeura deux jours entiers, comme l’on dict.
Item, de là, nous alasmes à la maison de Zacharie, et puis à Saincte Croix ‘, là où creust l’arbre de la croix. Et de là, retournasmes en Iherusalem comme dessus.
Iherusalem a esté une bonne et grande ville et meilleure par samblant qu’elle n’est de présent. Elle est assise en fort pa5’s de montaignes. et est en la subjection du Souldan, qui est grant pitié et confusion à tous les Crestiens. Car il n’y a que un peu de Crestiens francz, c’est assavoir Cordeliers. Et n’en demeurent que deux dedans ledict sépulcre où Nostre Seigneur reccust mort et passion. Lesdictz Cordeliers sont en grant subjection des Sarrazins. Car je l’ay veu par l’espace de deux mois et pour ce, le puis je dire. Et dedans l’esglise dudict Sainct Sépulcre a aussi bien d’autres manières de Crestiens comme Abecins qui sont de la terre du prestre Jehan, Jaccobites, Hermcnins et Crestiens de la saincture. Et de tous ceulx cy les Francz sont plus subjectz que nulz des autres. Tous ces pellerinaiges cy dessus faictz et accomplis, nous nous appoinctasmes dix pèlerins, c’est assavoir Messire Andrieu de Toulonjon -, Messire Michiel de Ligne’, Guillaume deLigne son frère, Messire Sanse de La Laing-, Pierre de Vauldrey”, Joffro}^ de Thoisy’, Humbcrt Buffart^ Jehan de la Roe ^ Symmonet… ‘ et moy pour faire le pellerinais;e de Saincte Katherine au mont Sinav, ainsi qu’il est accoustumé et traictasmes avec Nanchardin ‘ lors grant truchement de Iherusalem.
Et pour advertir comment il se fault appoincter, on traicte avec ledict truchement tant pour le droict du Souldan que pour le sien à payer chascun par teste. Et ce faict, il envoyé devers le truchement de Gazere auquel il mande qu’il appoincte les Arabes du désert qui ont puissance de conduyre les pelerins à Saincie Katherine, car lesdictz Arabes ne sont pas tousjours bien obeyssans audict Souldan. Il faut prendre leurs camelz et en paye l’on dix ducas pour le louaige de chascun. Et quand ledict Nanchard fut asseuré desdictz Arabes, il nous feist venir devant la chappelle qui est à l’entrée de l’esglise du Sainct Sépulcre, à la main senestre ; et là, demanda à chascun de nous son propre nom et son surnom et son eaige et les feist tous mettre en escript, ensemble les philozommies et aucuns seignes de blesseures ou autrement s’il estoit au visaige, et la haulteur et la faclîon de nous tous : et de toutes ces choses, il envoyé le double au grand truchement du Caire. Tout cecy se faict pour la seureté des pèlerins que lesdictz Arabes n’en retiegnent nulz, ou, comme je pense, affin que l’on ne feist aucun change pour doubte de perdre le tribut.
Et quant toutes noz choses furent prestes et que nous fusmes fourniz de vin qu’il faut prendre en Iherusalem, ledict Nanchardin nous bailha un truchement nommé Sadalia’, et des asnes et muletz pour nous porter ensemble noz vivres, excepté le bescuvt que nous prinsmes à Gazerrc. Ce faict, nous partismes de Ihcrusalcm et alasmes assez prez d’illec en ung villaige nommé ‘ et fut jadiz meilleur qu’il n’est à présent. Ht y demeurent des Crestiens de la saincture qui y labourent les vignes. Et de là, nous alasmes à. une ville nommée Sainct Abraham et est au val d’Ebron”‘ où Nostre Seigneur forma premièrement Adam nostre premier père’. Et là mesmes sont enterrez ensamble Abraham, Izaac et Jacob et leurs femmes aussi, tout dedans une musquée de Sarrazins. Nous fusmesjusques à la porte, car nous y eussions voluntiers entré et lors nous dirent noz truchemens qu’ilz ne nous ozeroyent mettre dedans que de nuyt, pour les périls, car nul Crestien n’ose entrer dedans lesdictes musquées sur peyne de mort ou de renoyer la foy catholicque, et pour ceste cause, nous n’y entrasmes point.
Et de là, nous alasmes par une grant vallée amprez la montaigne où sainct Jehan Baptiste feist pénitence, comme on dict, et alasmes logier en ung pays désert en une maison quilz appellent Kan’. C’est une habitacion faicte par charité pour logier les passans en l’ombre, en celles marches. Et de là venismes à Gazere ‘ qui est une bonne ville sans fermeure nulle et en beau pays tout autour, assise prez de la mer à l’entrée du désert. Et veut on dire que ceste ville fut jadiz à Sanson le Fort. Là veismes son palais et celluy qu’il abatty dont on y veoit encore les pilliers. Je ne sçay si ce sont ceulx là.
En cette ville de Gazere sont traictiez souvent les pèlerins durement et mal et nous eust esté faict tort si ne fust le seigneur qui nous feist bonne chiere disant qu’il nous vouUoit faire toute raison. Nous alasmes luy faire la révérence, et depuis fusmes vers luy par trois fois : la première fut pour ce que nous portions nos espées, et les autresfoyz, pour certaines questions que nous eusmes avec certains moucres qui sont Sarrazins, qui tiennent asnes pour louer, et ne voulloient point que nous en achatissions, ains nous voulloient contraindre à les louer. Et ne couste ungasnc que deux ducas d’achet ; mais ilz nous voulloient contraindre à les louer chinq ducas pour aller à Sainctc Katherine. Et fut ûiict le procez devant ledict seigneur, en la présence duquel je demanday qu’ils m’aprinsent comment on devoit chevaulchier ung asne et ung camel ensamble. Nous voullions acheter des asnes, pour ce que camelz sont bestcs qui font grant pcync à ceulx qui ne les ont point accoutumez à chcvauchier, car ilz ont trop grant branle. Ces choses oyes, le seigneur qui estoit Chercais’ et de l’eage de soixante ans, nous feist toute raison, et ne nous contraindy pas à en prendre que à nostre bonne voulenté. Mais quant nous deusmes partir pour faire nostre voyaige, toute notre bonne despense et provision faicte de ce qui nous estoit nécessaire, le jour devant, de nous dix, les iiii demourerent malades en ladicte ville de Gazere et de là retournèrent en Iherusalem. Et moy, je partis en compaignie des autres six, et nous en alasmes logier en ung villaige nommé ‘ qui est droit à l’entrée du désert. Et n’y en a plus jusques à Saincte Katherine, comme on dist. Et de ce villaige se retourna Messire Sanse de La Laing.
Puis, en la compaignie dcsdicts Messire Andrieu de Toulonjon, Pierre de Vauldrey, Joffroy et Jehan de la Roc, je m’en allay avecques eulx deux journées dedans le désert. Et là me print une chaulde malladie si forte qu’il me faillit de mourir. Et ne vey chose en chevaulchant par celluy désert qui face à raconter, fors que par le matin, à l’aube du jour et soleil levant, je fus le premier qui veys courir une beste à quatre piedz qui pouvoit avoir une grosse poignée au plus de hault et pouvoit bien estre de trois piedz de long.
Incontinent que les Arabes qui nous conduysoient la veirent, ilz s’en fuyrent et fuist ceste beste bientost. Et se mist à ung petit houppelet de brousces et failloit tousjours que la teste ou la queue fust dehors.
Et descendirent lesdictz Messire Andrieu et Pierre de Vauldrey à tout leurs espées; et tantost qu’ilz aprochierent, celle beste commancha à crier comme ung chat quant ung chien lui veut courre sus. Et adonc, ledict Pierre de Vauldrey la frapa de la pointe de son espée sur le dos et ne peust luy faire nul dommaige, car elle estoit couverte de grosses escailles comme un esturgion. Adonc, la beste vint devers ledict Messire Andrieu et il luv frappa de son espée par le col dont il luy couppa le quart ou le tiers : et tourna les quatre piedz dessus et là fut tuée. Et avoit assez longue queue en la fachon de ces gros verdereaulx, et avoit les piedz comme les mains d’un petit enfant et la teste comme un grant lièvre.
Et disoient nos Arabes et nostre truchement que c’estoit une tres perilleuse beste.
Les quatre cy dessus nommez doUans et desplaisans de madicte malladie me laissèrent en la compaignic de l’un de noz Arabes pour me ramener audict Gazere, si faire le pouvoit ; lequel Arabe me feist tres bonne compaignie que ilz n’ont point accoustumé de faire aux Crestiens et me ramena logier une nuyt en ung de leurs logis qui estoient ensamblez en fachon d’une rue. Et y en pouvoit bien avoir 80 ou plus. Et pour advertir comment ilz sont micts, ce sont deux perches fourchues aux deux boutz, plantées en terre, et sur ces deux fourches y a une perche qui va de l’une à l’autre, et sur celle perche est jectéc une couverture de grosse layne ou de gros poil. Et là reposay environ six heures; et voyans ma forte malladie, vinrent quatre ou cinq de la congnoissance de cclluy qui me conduysoit et mefeisrent descendre de mon asneet me feisrcnt couchicr sur ung matras que je portoys et me me decynerent à leur guyse, et me pestrirent et me pincherent tant de leurs mains que, de force de travail, je m’endormys. Et ne m’osterent riens, ne me feisrent nul desplaisir qu’ilz eussent peu faire s’ilz eussent voulu, car j’avois deux camclz chargiez de vin et de viandes et si avoys bien 200 ducas.
Et de là me partys le lendemain devant le jour pour aler à Gazere. Et illec je trouvay que les autres cinq cy dessus dictz s’estoient partis dudict Gazere et le truchement avec eulx pour aler en Iherusalem. Et ne trouvay que un Juif Cecilian à qui je sçeusse parler lequel me feist venir ung Samaritain moult ancien qui me osta hors de la grant challeur où je estoys; et le segond jour que je me sentys mieulz, je me partys en la compaignie d’ung More qui me mena le chemin de la marine et passay au plus près d’Esclavonne qui est sur la mer puis alay à ung beau chastel nommé.
Tout le pays qui est entre Gazere et Rames est moult bel et plaisant et fertille. Ht d’illec, je m’en retournay audict Rames, puis m’en party pour aller en Iherusalem; et trouvay en mon chemin l’admiral de Iherusalem qui venoit d’un pellerinaige; et avoit en sa compaignie envyron 50 chevaulz et bien 100 camelz sur lesquclz n’y avoit presque que femmes et petis enfans qui venoient dudict pellerinaige. Je fus colle nuyt en leur compaignie et vins lendemain en Iherusalem. Et là demeuray pour cause de ma maladie jusques au 19° jour d’aoust en l’esglise du Mont de Syon, où demeurent les frères Cordeliers. Et illec retrouvay mes cinq compaignons cy dessus nommez. Et moy estant au lict de ma maladie, que je commençay à revenir à santé, me souvins que j’avois oy dire à aucuns que ce seroyt chose impossible à ung Crestien de revenir par terre jusques au réaulme de France. Et à mon entendement, lequel je ne dis point qu’il soit sçeur, il me samble que à ung homme assez bien complectionné pour endurer peyne et de moyenne force, mais qu’il ait argent et santé, que toutes choses luy sont possibles de faire; et prie Dieu que ce ne me soit tourné à oultrecuydance. Adonc me deliberay à l’aide de Nostre Seigneur et de sa glorieuse Mère, qui oncques ne faillit à nul qui de bon cueur la requeist, de faire ledict chemin par terre depuis Iherusalem jusques au reaulme de France ou de y demeurer; et, de ma volunté, ne parlav a créature nulle jusques à Baruth que je le dis à Messire Andrieu de Toulonjon auquel paravant je feis promettre qu’il ne me descouvriroit point d’une chose que je avois en volunté de faire. Et, adonc, je parlay à Nanchardin, lors grant truchement par le Souldan en Iherusalem, et me debvoit baillir ung truchement pour faire le voyaige et pelerinaige de Nazaret et du mont Tabor. Et quant il pleust à Nostre Seigneur que je fus prest pour faire mondict pellerinaige, ledict truchement me faillit de convenant.
Et me dist qu’il ne trouveroit nulz qui osast faire ledict pellerinaige pour la guerre que estoit entre les gens d’aucunes villes qui sont sur le chemin et qu’il n’avoit pas longtemps qu’ilz avoient murtry un Venissien et son truchement. Et aussi le gardien de Mont Syon ne voult consentir que je feisse ledict pellerinaige, ains me destourna. Et apprez toutes ces besoignes, nous nous appoinctames ledict Messire Sansc de Lalaing, Humbert et moy affin devenir à Rames ; et nous convoyèrent ledict gardien de Hierusalem et ung frère cordelier du couvent de Beaulne nommé frère Symon et ung truchement jusques Jaffe, et de là s’en retournèrent devers Michel de Ligne qui estoit demouré malade audict Mont de Syon et Guillaume son frère et ung leur serviteur demoura avec luy pour l’accompaigner. Et avant mondict partement, je allay le jour de la my aoust au sépulcre Nostre Dame avec ledict frère Simon oyr le servyce des Cordeliers et de ceulx qui se disent Chrétiens qu’ilz y font, desquelz il y en a de bien estranges, selon nostre manière. Et là me recommanday à elle de bon cueur. Puis que nous fusmes à Jaffe, nous montasmes à une barque de Mores qui nous menèrent le chemin de Baruth de terre jusques à Acre et passasmes devant aucunes places’ que jadis ont esté aux Chrestiens. Et quant nous fusmes en Acre pour faire nostre dict pelerinaige de Nazaret que nous avions entreprins, nous y trouvasmes aucuns merchans venissiens qui encores nous destournerent.
Ladicte ville d’Acre a esté jadis une moult grande ville et bonne par semblant. Mais, pour le présent, n’y a environ que 300 maisons qui sont à ung bout de la ville assez longuet de la marine. Il y a un beau havre et parfont qui est bien fermé’. Puis, nous passasmes devant Sur qui est une ville fermée et a ung beau havre et de là passasmes devant Saiette qui est pareillement sur la marine et y a ung assez beau havre. Et de là nous alasmes à Baruth qui est ung autre port de mer et semble avoir esté meilleur qu’elle n’est à présent. Il y a ung chastel fort destruict lequel une des parties est sur le havre qui est bel et perfont et bien sceur pour les vaisseaulx’.
Moy estant audict Baruth, je parlay à ung marchant Genevois nommé Jacques Pervesin auquel je demanday pour faire mon chemin, lequel me conseilla que je alasse à Damas et que là je trouverois plusieurs merchans genevois, venissiens, catelans, florentins et autres qui me ayderoient à conseiller et me adressa à ung marchant genevois nommé Hothe Bon.
Adonc je priay ledict Messire Sanse que nous alissions vers la ville de Damas sans luy dire pourquoy faire, dont il tut content. Et nous partismes ensemble en la compaignie d’un moucre. Moucres sont gens qui louent asnes et mulletz et conduysent les pèlerins par le pays de Surye. Et chevaulchasmes au partir de Barut tout traversant par ses haultcs montaignes jusques à une grande playne qui peust bien avoir de large une lieue ou plus que on appelle le val de Noe et dict on que Noe y fist son arche.
Et y a deux rivyeres qui passent au long de ceste grande vallée, laquelle est belle, plaisante et fertile et si est bien longue. Et y habitent plusieurs Arabes.
Il y a grant foison de villaiges et de vignes au pié des montaignes qui sont bien haultes d’ung costé et d’autre et ainsi nous arrivasmes à Damas où il y a deux journées de Baruth. Et pour advertir ceulx qui vouldroient passer par là, je y eus de nuyt aussi grant froit, si me samble, que le eus oncques comme ledict Messire Sanse scet. La cause si est pour la granl rouzée qui y choit de nuyct et ainsi comme par toute Surie et de tant que la chaleur y est plus grande de jour, la rouzée est plus grande et la nuyct plus froide.
Et quant nous fusmes venus à Damas, nous y trouvasmes plusieurs marchans françois, venissiens, genevois, florentins et catelans, entre lesquels y avoit ung françois nommé Jacques Cueur qui, depuis, a heu grant auctorité en France et a esté argentier du Roy, lequel nous dist que la galléc de Narbonne qui estoit allée en Alexandrie devoit revenir à Baruth, et pensoyt que ledict Messire Andrieu et ses trois compaignons viendroyent sur ladicte gallée. Et estoyent lesdictz marchans françois allez pour achepter aucunes marchandises et danrrées comme espices et autres choses pour mettre sur ladicte grosse gallée qui estoit en Alexandrie et devoit venir à Baruth comme dict est.
Et a une coustume en Surye que nul Crestien qui soit cogneu n’oze aller à cheval parmi les rues es villes. Pour ceste cause, nostre moucre nous feist descendre ledict Messire Sansc et mov à l’entrée de Damas, nous vindrent incontinent regarder 10 ou 12 Sarazins ; et pour ce que je portoye ung grant chappeau de feutre qui n’est point la coustume de par delà, il y en eust ung qui a tout ung court baston le fery pardessus et me le fist voler hors de la teste. Je hauchay le poing pour Ic fcrir, mais mondict moucre se mist entre deux et me poussa avant, car incontinent en furent là xxx ou quarante. Et crov que si je l’eusse féru, nous eussions esté bien raverdis. Je dis cecy pour advcrtir qu’il n’est point besoin d’avoir débat à eulx, car ilz me samblent mcschans gens et de petite raison et sy ne se tault point faire trop mcschant entre eulx, ne povrc, ne monstrcr aussy qu’on aye paour ainsi que je les ay expérimentez. Comme il me samble aussv ne fouit il point monstrcr qu’on soit riche, car ilz sont convoiteuses gens et les appaise on pour peu de chose et le peuvent bien aperchevoir les pellerins quant ilz viennent en Jaffe et qu’il fault louer les asnes pour alcr en Iherusalem et aultres pellerinages accoustumcz et pour ce, je m’en tais.
Et auprez de ceste ville de Damas, me fu monstrée la place où saint Pol trouva Nostre Seigneur et où il cheut de son cheval et perdy la veue, comme l’en dist, et le fist retourner en la ville soy baptysier en ung lieu où maintenant a une musquée ; et veys la place où Sainct Jeorge monta à cheval quant il ala combattre le dragon. Et illec a une pierre de deux piez en quarrure où il monta à cheval. Aucuns dient que les Sarazins l’ont plusieurs fois voulu oster,mais ilz n’ont peu en nulle manière que ce soit.
Damas est ung plain pays de trois pars. L’autre qui est devers ponant est une grande montaigne où est la maison de Cayn au dessus de la ville dont les forbours sont édifiez contremont ladicte montaigne.
C’est une grande ville et spacieuse où il y a de tresbeaulx jardins et les plusgrans que je veys oncques et les milleurs fruitz et grant foison d’eaues, car il y a peu de maisons en la ville qui n’ait sa fontaine, comme on dit. Il y passe une rivyerc par plusieurs lieux et sv v a une belle muraille d’autant qu’elle contient, car lesdictz forbourgs contiennent beaucoup plus. Elle a esté arse et destruicte comme ou dist par le Tamburlant environ l’an 1400, car encores y voit on les enseignes comme il appert par ung quartier de la ville qui n’est point encores reffait devers une porte qu’on appelle la porte Saint Pol’. Il y a en ceste ville de Damas une maison où pluseurs marchans mettent leurs marchandises pour estre seurement, et appelle on le Kan Berkoc laquelle ledict Tamburlant fist garder, quant il fist bruler le demourant, pour honneur de celluy Berkoc, lequel aussy longuement qu’il vesqui, en son temps et puis qu’il eult auctorité, les Persiens ne les Tartres ne peurent oncques vaincre ne riens gaigner en Surye. Car, incontinent qu’il savoit qu’ilz se preparoient pour y venir, il aloit tousjours au devant jusques à une rivyere qui est oultre Halep, laquelle sépare la Surye de la Perse, et croy, par advis de pays, que c’est celle grosse rivyere qui vient cheoir à Misses en Turquemanie, qu’on appelle Jehon.
Ce Berkoc fu vaillant homme, car encores en estre nommée audit pays. Et croy qu’il fu du royaulme de France, car il y a entaillié en une pierre de ladite maison les fleurs de lis et samble qu’elles y soient depuis que ladite maison fu faicte premièrement’. De où qu’il fust, il est homme de grande recommendacion et samble bien à ceulx du pays que s’il eust vescu quant ledit Tamburlant y fu, qu’il ne fust point venu jusques là. Il y a aussi ung moult beau chastcau grant et fort, en plaine terre, encloz de beaux fossez grans et parfondz qui sont curez.
Leans a ung cappitaine de par le Souldan lequel ne laisse point entrer dedans le seigneur de ladite ville plus fort que luy, jaçoit ce qu’il soit le plus grand seigneur de Surye et d’Egypte aprez le Souldan, et pour ce que, aultresfois, se sont rebellez contre ledit Souldan, comme on dit, il fait ainsy garder ledit chasteau.
Damas est la milleure ville que le Souldan ait, excepté le Caire, et m’a l’en dit que en cestc ville se treuvent bien 100 000 hommes. Elle est aussy moultriche et bien marchande et où les Chrestiens sont fort haïs, selon qu’il me sambloit; car il y a gens commis à fermer les portes de tous les marchans, tantost que le soleil est couchié, et reviennent ouvrir landemain quant bon leur samble.
Item, nous partismes ledit Messire Sanse et moy de Damas et retournasmes par le mesme chemin à Barut. Et pendant le temps que nous attendions la galée de Narbonne qui devoit là venir, les Mores faisoient une feste ainsy que aultresfois ilz avoient accoustumé comme on dit, et commencèrent à l’entrée de la nuit et estoient grant foison de gens ensemble qui chantoycnt et huyoient. Et ceulx du chasteau tiroyent des canons et ceulx de la ville tiroyent une manière de feu bien hault et bien loing, plus gros que le plus gros lallot que je veisse oncques alumé. Ilz dient qu’ilz s’en aident aucunes fois en la mer, encontre les ennemis à brûler les voilles d’un vaisseau. Il me samble que on en bruleroit bien ung logis ou une ville couverte d’estrain. Et quant à une bataille à cheval, ilz espoventeroient fort les chevaulx. C’est une chose bien aisiée et de petite despense à qui le scet faire.
Je feis requérir par le varlet de mon hoste cellui qui le faisoit qu’il me le voulsist apprendre. Il dist qu’il n’ozeroit, car s’il estoit seu, il en seroit en grant dangier. Je lui feis présenter ung ducat pour l’amour duquel il m’en apprit tout autant qu’il en savoit et me bailla des maoulles de bois et aultres choses que je apportay par dechà. Et comme j’ay dit par avant, il me samble qu’il n’est riens que ung More ne fist pour gaignier argent au bout de trois ou quatre jours, ladicte galère arriva à Barut où estoit ledit Messire Andrieu, Joflfroy de Thoisy et Jehan de la Roe lesquelz nous trouvèrent là. Et celle mesme nuit, je descouvris et dis audit Messire Andrieu ma voulenté du chemin que je vouloye faire, lequel m’en eust voulentiers destourbé s’il ne le m’eust promis paravant et me mist au devant presque tous les dangiers qui me sont survenus en chemin, excepté que je ne fus pas contraint de laisser la foy de Ihesucrist, de quoy il faisoit grand doubte ; et samblablement m’en fist parler par les aultres et ce fait, ilz se partirent lendemain et je demeuray. Je veys en cestc ville de Barut une musquée et disoit on que saincte Barbe y avoit fait premièrement une église et les Sarazins y ont fait depuis ceste musquée. Et quant ilz ont voki monter dessus pour crier ainsy qu’ilz ont acoustumé, ilz se sont trouvez tant batus qu’il n’est ores nul qui y ose aler.
Item, V eut ung aultre miracle d’un imaige de Nostre Seigneur qui estoit en la maison d’un Juif qui pour lors estoit où est maintenant l’église des Cordcliers en ladite ville; et fu révélé’ par les Juifz qui lapidèrent ledit imaige ainsy qu’ilz avoient volu faire Nostre Seigneur. Et quant ilz le veircnt saignier, ilz en furent tous esbahis. Et dist on que ilz lealerent dire à ungevesque qui là estoit pour lors et donnèrent adont la maison où maintenant sont les Cordeliers’. Je demouray là. Adont m.’ conseillay à ung marchant venissien où j’estoie logiè qui s’apelloit Paulc Barberigo comment je pourroie faire le pcllerinage de Nazareth et du mont de Thabor lequel me fist avoir ung moucre pour moy conduire; lequel me fist habillier ainsy que les Sarazins sont habilliez, car le Souldan a donné congié et licence aux Francs d’aler habilliez en guise de Sarazins pour leur seureté et me party en la compaignie dudit moucre.
Je me party de Baruth lendemain que ladite galée fut partye,avec ledit moucre, lequel respondy à mon hoste Barberigo de me mener sauvement jusques à Damas et luy en rapporter certiffication. Et au partir de Baruth, environ une lieue prez pour tirer la voye de Saiette, je trouvay un tresbeau petit bois de haultz sappins que on garde bien chierement et ne seufire on point de les abattre; pour quoy faire je ne scay.
Puis m’en alay entre la montaigne et la marine et passay à ung pont de pierre une rivyere assez parfonde et me dist mon moucrc qu’elle n’est pas bonne à boire aux gens et que c’est celle qui vient de la vallée de Noe et me logeay la nuità un kan qui est empres ledit pont, et lendemain vins à Saiette et sont aulcunes foys les montaignes sy prés de la mer qu’il faut aler dessus la grefve et en aultres lieux est le chemin spacieux d’une demie lieue ou d’un quart et là sont aulcunes maisons et le pays bon et fertile.
Saiette est une ville sur la mer qui est fermée du costé de la terre et les fossez curez mais ilz ne sont gayres parfonds. Item, de là me party et passay entre nuit et jour devant Sur que les Mores appellent Sour qui est une petite ville sur la mer comme dit est ; et me sambla la place assez belle en tant que je la peus veoir, car je ne m’y arestay point. Et assez près comme d’un quart de lieue ou environ devers midi a une belle fontaine” et de bonne eaue qui va par dessus arches cheoir dedans la ville et ne sont gayres fortes villes Sur ne Saiette, car elles ont esté autresfovs destruictes comme il nie samble pour veoir les murailles qui ne valent gayres pour le présent, selon celles de pardechà. Item, je veis de bons villages par samblant au long de la montaigne qui va en archonnant comme ung croissant jusques à la mer, car en la plaine selon la marine n’en a nulz. Et ultre ceste ville de Sur environ une lieue, je passav selon la marine qui est du costé de la mer comme une faloise et est le chemin bien estroit. Et au plus hault a une forte et assez haulte tour et grosse pour garder ledit passage’ et ne pevent passer nulz chevaulx par terre de Sur jusques à Acre, ce n’est par ce destroict. Depuis ladite tour jusques à Acre sont toutes montaignes basses, et y a aulcunes maisons et sont lesdites montaignes plus peuplées d’Arabes que d’aultres gens. Et de là, je me vins à Acre où je trouvay ung grand seigneur du pays qu’on appelloit Faucardin et estoit là venu et estoit là voisin et s’estoit logié aux champs en ses pavillons qu’il portoit avec luy.
Acre est en ung moult beau pays et assez grande plaine de bien ni ou nn lieues à la ronde. Et aprez toute ceste plaine sy est enclose tout autour de haultcs montaignes des trois pars et de l’aultre est la nier. Je trouvay en ceste ville ung marchant de Venise qui s’appelloit Aubert Franc lequel mefist assez de plaisir et me aida à conduire et à drecier mon pelerinaige à Nazareth et au mont de Thabor.
Item, je me party d’Acre et pour aler en Nazareth et passay par une grant plaine, puis vins à la fontaine où Nostre Seigneur fist de l’eauc vinace, auxnoches de Archeteclin ; et est prez d’un villaige là où on dist que sainct Pierre nasqui.
Item, de là m’en alay à Nazareth qui est un gros villaige entre deux montaignes et est la place où l’angele Gabriel fist l’annunciation à la Vierge Marye qui est une pitié à veoir, car l’église qui y souloit estre est toute ruée jus et n’y a que la place qui est une petite chose là où Nostre Dame estoit quant l’angele luy apparut ‘.
Item, de là me party pour aler au mont de Thabor où fu faite la Transfiguracion de Nostre Seigneur et plusieurs aultres miracles comme il se treuve par la Saincte Escripture. Et me failli prendre à Nazareth cncores deux hommes pour les Arabes qui sont en celle contrée tres grant foyson et venismes de nuyt jusques au pié du mont, et illec a ung villaige où me convint encores avoir deux hommes. Ainsy furent six dont les deux mesmes estoient arabes, et montasmes ladite montaigne qui est moult haulte et dangereuse à monter, car il n’y a nul chemin. Je la montay sur ung mulet et mis bien deux heures à la monter. Nous ne trouvasmes nulz Arabes en hault où ilz se tiennent par coustumc pour l’amour de leurs bestes qui y treuvent largement herbes, car il y a belle place. Je fus par toutes les places où les églises souloyent estre autour de ladite place qui est prés toute ronde et peult avoir environ deux traitz d’arc de long et ung de large au plus, et samble avoir esté fermé de belles murailles, car on y voit encores les fondemens et sv V avoit assez bcaulx fossez’. Et du bout de la place où il y a eu anchiennement une église en laquelle il y a plain pardon de paine et de coulpe, on voit la cité de Thabarye au pied de ladite montaigne, devers soleil levant’. Et passe ledit fleuve de Jourdain entre ledit mont de Thabor et une aultre montaigne qui est aultre la cité de Thabarye’. Et de l’aultre bout, devers soleil couchant, on voit une grande plaine et ung pays plaisant de jardins de palmiers portans les dates et aultres places comme en fachon de vignes sur quoy le coton croist. Et sambleroit à qui ne sçauroit que c’est envers soleil levant qu’il eust negié sur celles places pour ce que les feuillez sont verdes comme feuilles de vigne, et le coton est au dessus. Et quant j’eus tout veu. je descendis en bas au pié de la montaigne devers soleil couchant et là, me menèrent mes guides en une maison pour ung pou reposer et pour disner, car j’avoie apporté du vin et des pouchins cuitz. Et pour ce qu’il sanibla au seigneur de la maison que j’estoie homme de bien pour ce que je portoye vin, il me volu festoyer et me fist bonne chiere et me apporta une escullée de lait et une aultre de miel. Et fu là où je veis premièrement mettre à point le cotton aux hommes et aux femmes. Et là me fu donné uns grant rain de nouvelles dates tenans à l’arbre et furent les premières que je veis oncques. Et au partir de celle maison, cculx qui m’avoient convovc de Nazareth audit mont de Thabor me vouldrent ranchonner et faire ung nouveau marchié. Et véritablement, si j’eusse eu alors une espée, je me fusse debattu à eulx, de quoy j’eusse fait folye et feroyent ceulx qui le feroyent. En conclusion, il me failly baillier 12 dragmes de leur monnoye qui valent demy ducat. Et incontinent qu’ilz m’eurent ainsy laissié seul avec mondit moucre, nous encontrasmes deux Arabes, chacun sur ung beau cheval qui chevauchoyent en armes à leur manière. Et portent robes à grans manches d’un pié et demi de large et plus longues beaucop que leurs bras, et avoient chascun une longue perche de couldre ou de bois semblable et aussy menues que nos lances sont vers de fer et estoient ferrées lesdictes perches à deux boutz de petis fers l’un tranchant et l’aultre sur le ront de plusieurs quarrez et cours, d’un arpent de long. Et portoit aussy chascun ung tresbel escu rond et avoit une pance de la fachon d’une telle de terre et une grosse pointe de fer ronde au milieu. Et entre la pointe et l’escu estoit frangié de longues franges de soie houchue. Et leurs tocques estoient premièrement ung chappeau agu en rond de laine velue cramoisy et leurs tocques non point grosses dessus comme les aultres Mores les portent, mais elles leur pendoient de deux costez des oreilles bien bas de la largeur de la toille’.
Et en eut mondict moucre tresgrant paour et me dist que s’ilz eussent sceu que j’eusse esté chrestien que nous estions en dangier d’estre tuez ou au moins d’estre destroussez. Puis, nous alasmes logier aux jardins d’une ville nommée Samarie’ et là me laissa tout seul mondit moucre tout le jour, jusques ad ce qu’il fu heure de soupper et fu les Quatre temps en septembre.
Puis, au jour faillant, nous entrasmes en la ville qui est sur le bout d’une montaigne où nous de mourasmes jusques environ la mynuyt. Lors, nous montasmes à cheval et descendismes une montaigne non pas trop haulte jusquts sur la mer de Thabarye où on dist que saint Pierre souloit preschier et y a aulcuns pardons. Mondit moucre me v mena de nuyt pour eschiever aulcun tribut qu’on y paye. Et pour ce ne pculz je point veoir quel est le pays autour de ladite mer. Et de là nous alasmes au puy de Jacob auquel il fu jette de ses frères et a illec une belle musquée en laquelle je entray avec mondit moucre, faignant que j’estoie Sarazin. Et de là vins à un pont de pierre qu’on appelle le pont Jacob ‘ et aune maison au dessoubz assez près qu’on dit que ce fu la maison dudit Jacob, et sur cedit pont, passe on le fleuve Jourdain qui part d’un grant lac qui est au dessoubz au pié d’une haulte montaigne vers north west sur laquelle a ung bel chastel qui est audit Faucardin, auquel Faucardin toute celle marche de pays jusques en Hierusalem est fort obeyssant, comme on me dist.
Et de là, je prins le chemin de Damas. Et est le pays assez plain et spacieux entre deux montaignes où peult bien avoir deux lieues ou plus de l’une à l’aultre, et en celluy chemin bien une lieue de long ou environ et de largeur autant que je povois bonnement choisir, y a plus de gros cailloux que je ne veis oncques. Et sont sy espes par le chemin que nul n’y peult chevauchier se n’est par ledit chemin qui n’est. point encores bien large. Et qui le voit ung bien pou de loing, il samble qu’on y mettroit bien cent mil hommes en bataille et sont ces drois cailloux comme cailloux de rivyere, gros comme queues de vin ou ung pou moindres et de beaucop plus moindres. Et au partir de cestuy pays on trouve un kan, tres beaux ruisseaux et fontaines. Et plus approche on de Damas, de tant est le chemin plus plaisant. Environ quatre ou chincq miles de Damas est le plus beau kan que je veis oncques’, et assez prez passe une petite rivyere toute de fontaines ; et là trouvay ung More tout noir qui venoit du Caire sur ung camel courant et n’avoit mis que 8 jours à venir du Caire jusques là où il y a 16 journées, comme on dist ; lequel camel luy eschappa et mondit moucre et moy luy aidasmes à le prendre. Il avoit une selle à leur guise qui estoit bien estrange et sont assis dessus à jambes croisiées et se font lyer les testes et le corps quant ilz vont tost, pour l’air et la grant raideur de quoy les camelz courrans vont. Et sceus par mondii moucre que ledit More venoit pour faire prendre de par le Souldan tous les Catelans et Jennevois qui estoient à Damas et par toute la Surye pour ce que une galée et deux galiotes du prince de Tarente avoient prins une griperie de Mores devant Tripoly en Surye*. Etarrivay devant soleil couchant en ladite ville de Damas et pour ce que j’estoie hahillié comme eulx, je entray à cheval dedans la ville avec eulx. Et fut sept journées que je mis à venir jusques à Damas où je trouvay de bien mauvais chemin, comme dit est cy dessus.