I. (1) Cn. Fulvius Centumalus et P. Sulpicius Galba, nommés consuls, ayant pris, aux ides de mars, possession de leur charge, convoquèrent le sénat au Capitole, afin de le consulter sur les intérêts de la république, la conduite de la guerre, la répartition des provinces et des armées. (2) On prorogea le commandement de Q. Fulvius, d’Ap. Claudius, consuls de l’année précédente; on leur laissa les armées qu’ils avaient sous leurs ordres, et on leur enjoignit de ne point quitter le siège de Capoue, qu’ils ne l’eussent terminé. (3) C’était alors l’entreprise qui préoccupait le plus les Romains, moins à cause du plus légitime ressentiment qui fut jamais, (4) que parce que la réduction d’une ville si célèbre et si puissante, qui avait entraîné quelques peuples dans sa défection, devait faire pencher de nouveau les esprits vers le souvenir de leurs anciens maîtres. (5) Les préteurs de l’année précédente, M. Junius en Étrurie et P. Sempronius dans la Gaule, conservèrent leur commandement avec les deux légions qui leur avaient été assignées. (6) M. Marcellus reçut l’ordre de rester en Sicile, en qualité de proconsul, pour terminer la guerre à la tête de l’armée qui lui était confiée: (7) s’il avait besoin de renfort, il pouvait le tirer des légions que commandait P. Cornélius, propréteur en Sicile, (8) pourvu qu’il ne choisît aucun des soldats que le sénat ne voulait ni licencier, ni faire revenir en Italie avant la fin de la guerre. (9) C. Sulpicius, à qui la Sicile était échue, reçut les légions qui avaient obéi à P. Cornélius, et les augmenta de l’armée de Cn. Fulvius, qui, l’année précédente, avait été honteusement battue et mise en fuite dans l’Apulie. (10) Le sénat avait décrété que le service de ces lâches soldats, comme celui des fugitifs de Cannes, ne finirait qu’avec la 711 guerre: on y ajouta l’ignominieuse défense, pour les uns et les autres, d’hiverner dans les places fortes, ou de construire des quartiers à moins de dix milles de distance de quelque ville que ce fût. (11) On donna à L. Cornélius le gouvernement de la Sardaigne avec les deux légions qui avaient servi sous Q. Mucius; quant aux renforts, les consuls pouvaient, ordonner la levée de ceux qui seraient nécessaires. (12) Le commandement des côtes de la Sicile et de la Grèce fut conservé à T. Otacilius et M. Valérius, avec les légions et les flottes qu’ils avaient déjà. La Grèce était gardée avec cinquante vaisseaux et une légion; la Sicile avec cent vaisseaux et deux légions. (13) Cette année-là on mit sur pied vingt-trois légions romaines, pour faire la guerre sur terre et sur mer.
II. (1) Au commencement de l’année, lorsqu’il fut question des dépêches de L. Marcius, ses exploits parurent très brillants au sénat; mais le titre d’honneur qu’il avait pris en écrivant comme propréteur au sénat, titre qu’il ne tenait ni de la volonté du peuple, ni de l’autorité de cette assemblée, choquait un grand nombre de citoyens. (2) C’était un exemple pernicieux que l’élection des généraux par les armées, que la solennité des comices légitimes passant dans les camps et dans les provinces, loin des lois et des magistrats, et abandonnée au caprice des soldats. (3) Quelques-uns pensaient qu’il fallait soumettre la question au sénat; mais on jugea plus convenable d’ajourner cette délibération jusqu’après le départ des cavaliers qui avaient apporté les dépêches de Marcius. (4) On convint de répondre à la demande qu’il faisait de blé et d’habits pour l’année,
« que le sénat s’occuperait de ces deux choses; » mais on arrêta de ne point employer la formule:« Au propréteur L. Marcius, » afin qu’il ne regardât pas comme résolue une question dont on se réservait l’examen. (5) Quand les cavaliers furent partis, ce fut la première proposition que firent les consuls, et on resta unanimement d’avis d’engager les tribuns à demander au peuple, dans le plus court délai, quel général il voulait envoyer en Espagne commander l’armée qui avait servi sous les ordres de Cn. Scipion. (6) Cette affaire, traitée avec les tribuns, fut portée devant le peuple. (7) Mais un autre débat préoccupait les esprits. C. Sempronius Blaesus, qui avait mis Cn. Fulvius en accusation, à cause de la perte de l’armée dans l’Apulie, tenait contre lui dans les assemblées des discours où il répétait que « beaucoup de généraux avaient, par leur aveuglement et leur incapacité, précipité des armées vers leur ruine; (8) mais qu’aucun, à l’exception de Cn. Fulvius, n’avait corrompu ses légions par toutes sortes de vices avant de les livrer. Aussi pouvait-on dire avec vérité que, avant de voir l’ennemi, elles n’étaient déjà plus, et que ce n’était pas Hannibal, mais leur propre général qui les avait vaincues. (9) On ne se montrait pas, en allant aux suffrages, assez sévère dans le choix de ceux auxquels on confiait le commandement et des armées. (10) Quelle différence entre ce général et Ti. Sempronius! Celui-ci, mis à la tête d’une armée d’esclaves, avait bientôt obtenu, par la sévérité de la discipline et du commandement, qu’oubliant sous les armes leur état et leur origine, ils devinssent l’appui des alliés et la terreur des ennemis. Cannes, Bénévent et d’autres villes avaient 712 été par eux comme arrachées des serres d’Hannibal et rendues au peuple romain. (11) Cn. Fulvius avait eu sous ses ordres une armée de véritables Romains, des hommes d’une naissance distinguée, d’une éducation libérale; il les avait imbus des vices des esclaves; par sa faute ils étaient devenus hautains et turbulents au milieu des alliés, lâches et sans énergie devant les ennemis, et ils n’avaient pas pu soutenir le choc, le cri même des Carthaginois. (12) Certes, il n’était pas étonnant que les soldats n’eussent pu tenir sur le champ de bataille, lorsque le général avait été le premier à fuir; (13) il l’était bien davantage que plusieurs d’entre eux fussent morts les armes à la main, et que tous n’eussent pas partagé la terreur et la fuite de Cn. Fulvius. C. Flaminius, L. Paulus, L. Postumius, Cn. et P. Scipion avaient mieux aimé périr dans la mêlée que d’abandonner leurs troupes enveloppées de toutes parts. (14) Cn. Fulvius était revenu presque seul à Rome annoncer la perte de l’armée. Par une injustice révoltante, les légions de Cannes, coupables d’avoir fui du champ de bataille, avaient été déportées en Sicile, sans qu’elles pussent en sortir avant que l’ennemi eût quitté l’Italie; un décret récent avait infligé la même peine aux légions de Cn. Fulvius, (15) et la fuite de Cn. Fulvius dans un combat témérairement livré par lui, resterait impunie! et il passerait sa vieillesse dans les lieux de débauche et de prostitution où s’était dissipée sa jeunesse; (16) tandis que des soldats, dont le seul crime était d’avoir imité leur général, seraient relégués en une sorte d’exil, et condamnés à un service ignominieux! Tant il y avait à Rome de différence entre la liberté du riche et celle du pauvre, de l’homme en dignité et du simple citoyen! »
[…]
XXI. (1) Vers la fin de la même campagne, M. Marcellus étant revenu de la Sicile à Rome, le sénat, convoqué par le préteur C. Calpurnius, lui donna audience dans le temple de Bellone. (2) Là, il rendit compte de ses actes, se plaignit avec douceur, moins en son nom pourtant qu’en celui des soldats, de ce qu’après avoir terminé sa mission il n’avait pas eu la liberté de ramener l’armée, et sollicita le triomphe; mais il n’obtint pas cette faveur. (3) Il s’éleva à ce sujet de longs débats: d’un côté, l’on demandait s’il pouvait convenir de refuser le triomphe à un général qui le demandait en personne, lorsque, en son absence, on avait ordonné des prières publiques aux dieux immortels, pour les remercier des succès obtenus sous son commandement; (4) de l’autre, on objectait qu’ayant eu l’ordre de remettre l’armée à son successeur, ce qui n’avait lieu que quand la guerre durait encore dans une province, il ne pouvait triompher comme s’il l’eût achevée surtout en l’absence des soldats, témoins des triomphes justement ou injustement décernés. On prit un milieu entre ces deux partis, et l’ovation fut accordée. (5) Les tribuns, autorisés par le sénat, proposèrent au peuple une loi qui conservait, pour le jour de l’ovation, le commandement militaire à M. Marcellus. (6) La veille de cette cérémonie, il obtint sur le mont Albain les honneurs du grand triomphe; le lendemain, il entra 730 dans la ville, faisant porter devant lui un butin considérable. (7) Outre le tableau qui représentait la prise de Syracuse, on vit paraître des catapultes, des balistes, toutes sortes de machines de guerre et les objets de luxe qu’une longue paix et la magnificence royale avaient pu accumuler dans cette ville; (8) quantité de vases d’argent et d’airain artistement ciselés, de meubles somptueux, d’étoffes précieuses et de chefs-d’oeuvre de sculpture qui avaient décoré Syracuse, entre les premières villes de la Grèce. (9) On y voyait huit éléphants, preuve de la victoire remportée sur les Carthaginois. Un spectacle non moins curieux s’y faisait remarquer. C’étaient le syracusain Sosis et l’espagnol Moericus, précédant Marcellus avec des couronnes d’or sur la tête. (10) L’un avait, pendant la nuit, servi de guide aux Romains, pour entrer dans Syracuse; l’autre leur avait livré l’Ile et la garnison qui la défendait. (11) Chacun d’eux eut pour récompense le droit de cité et cinq cents arpents de terre. La part de Sosis lui fut assignée dans la partie du territoire de Syracuse qui avait appartenu à ses rois ou aux ennemis de Rome, avec une maison dans la ville, à son choix, parmi les propriétés de ceux qui avaient été punis selon les lois de la guerre. (12) Moericus et les Espagnols qui étaient passés avec lui du côté des Romains, obtinrent un domicile dans une des villes rebelles, et des terres dans les campagnes confisquées par le droit de conquête. (13) M. Cornélius fut chargé de cette répartition, qu’il devait faire de la manière qui lui paraîtrait la plus convenable. On décerna, dans le même territoire, quatre cents arpents à Belligenes, qui avait su engager Moericus à se déclarer pour les Romains. (14) Après que Marcellus eut quitté la Sicile, la flotte carthaginoise y débarqua huit mille hommes d’infanterie et trois mille cavaliers numides. Murgentia et Ergetium se soulevèrent en leur faveur. Cette révolte fut suivie de celle d’Hybla, de Macella et de quelques autres places peu importantes. (15) Alors les Numides, sous la conduite de Mutine, se répandant par toute la Sicile, portaient la dévastation sur les terres des alliés du peuple romain. (16) D’un autre côté, l’armée romaine, irritée de ce qu’on ne lui avait permis ni de quitter la province avec son général, ni d’hiverner dans les villes, servait avec tiédeur: il ne lui manquait qu’un chef pour passer du mécontentement à la révolte. Au milieu de ces difficultés, le préteur Marcus Cornelius ramena les esprits, en usant tour à tour de douceur et de sévérité; il fit rentrer dans le devoir toutes les villes révoltées, et, parmi elles, assigna Murgentia et son territoire aux Espagnols, conformément aux dispositions du sénatus-consulte.
[…]
XXVIII. (1) Laevinus exposa alors la situation de la Macédoine, de la Grèce, de l’Étolie, de l’Acarnanie, de la Locride et tout ce qu’il avait fait sur terre et sur mer dans ces contrées.
(2) « Au moment où Philippe allait porter la guerre dans l’Étolie, il l’avait repoussé dans la Macédoine et forcé de s’enfoncer dans le coeur de son royaume; on pouvait donc rappeler la légion destinée à le combattre; la flotte suffirait pour lui fermer l’entrée de l’Italie. »
Tel fut le compte qu’il rendit de sa conduite et des pays où il avait commandé. (3) On mit ensuite en délibération le partage des provinces entre les deux consuls. Le sénat décréta que l’un des deux resterait en Italie, pour y faire la guerre contre Hannibal, et que l’autre, à la tête de la flotte qu’avait commandée T. Otacilius, passerait en Sicile avec le préteur L. Cincius. (4) On leur donna les deux armées qui se trouvaient dans l’Étrurie et dans la Gaule, et qui étaient composées de quatre légions; les deux légions urbaines de l’armée précédente passèrent en Étrurie, et les deux qui avaient été sous les ordres du consul Sulpicius, furent envoyées dans la Gaule, (5) pour y servir sous un lieutenant dont le choix était abandonné au consul qui aurait le département de l’Italie. (6) On proro- 737 gea pour un an le commandement de C. Calpurnius, dont la préture venait d’expirer et qu’on envoyait en Étrurie, aussi bien que celui de Q. Fulvius, qu’on laissa dans la Campanie. (7) On arrêta de réduire l’armée romaine, en sorte que de deux légions on en fit une seule, composée de cinq mille fantassins et de trois cents cavaliers; et on licencia ceux qui avaient un grand nombre de campagnes. (8) Parmi les alliés, on ne conserva que sept mille hommes d’infanterie et trois cents chevaux; et en réformant le reste, on eut de même égard à l’ancienneté des services. (9) Cn. Fulvius, consul de l’année précédente, fut continué dans le gouvernement de l’Apulie, avec la même armée. Rien ne fut changé pour lui; on ne fit que proroger pour un an ses pouvoirs. P. Sulpicius, son collègue, eut ordre de réformer tout son corps d’armée, à l’exception des alliés qui avaient servi sur la flotte. (10) Le consul, qui allait prendre possession de la Sicile, devait aussi, à son arrivée dans l’île, licencier l’armée qu’avait commandée M. Cornélius. (11) On donna au préteur L. Cincius, pour contenir la Sicile, les soldats de Cannes, qui formaient à peu près deux légions. (12) Le préteur P. Manlius Vulson reçut le commandement de la Sardaigne avec les deux légions que L. Cornélius y avait eues sous ses ordres l’année précédente. (13) Les consuls durent lever dans Rome des légions de citoyens, mais avec défense d’enrôler aucun des soldats qui avaient servi dans les troupes de M. Claudius, de M. Valérius et de Q. Fulvius, de manière qu’il n’y eut pas cette année-là plus de vingt et une légions romaines sur pied.
XXIX. (1) Ces sénatus-consultes rendus, les consuls tirèrent au sort les provinces. À Marcellus échurent la Sicile et le commandement de la flotte; à Laevinus, l’Italie et la conduite de la guerre contre Hannibal. (2) Les Siciliens, qui attendaient dans le vestibule, n’eurent pas plus tôt aperçu les consuls et appris cet arrêt du sort, qu’ils en furent frappés comme d’une seconde prise de Syracuse. Leurs gémissements et leurs voix lamentables attirèrent sur eux tous les regards, et donnèrent lieu à plus d’un débat. (3) Vêtus d’habits de deuil, ils entouraient le sénat, en protestant
« que chacun d’eux abandonnerait non seulement sa patrie, mais la Sicile entière, si Marcellus y revenait avec le commandement. (4) Implacable avant d’avoir reçu d’eux aucun sujet de mécontentement, que ne ferait-il pas, irrité des accusations portées contre lui à Rome par les Siciliens? Il valait mieux pour la Sicile être engloutie par les feux de l’Etna, ou submergée par les flots, que de se voir livrée à un ennemi qui ne pouvait que la trouver coupable. »
(5) Ces plaintes des Siciliens, colportées d’abord dans les maisons des grands, et répétées avec l’intérêt que leur sort inspirait, ou avec la malignité de l’envie qu’on portait à Marcellus, parvinrent enfin jusque dans le sénat. (6) On proposa aux consuls de consulter les sénateurs sur l’échange des provinces. Marcellus répondit que « si les Siciliens avaient déjà été entendus dans le sénat; il serait, quant à lui, d’un avis fort différent; (7) mais, qu’à cette heure, pour ôter tout prétexte de dire que la crainte les empêchait de se plaindre d’un magistrat qui allait devenir l’arbitre de leur sort, 738 il était prêt, si la chose était indifférente à son collègue, à changer avec lui de département. (8) Il priait seulement le sénat de ne rien préjuger; car s’il eût été injuste de laisser le choix à son collègue, sans consulter le sort, ne serait-ce pas une injustice plus criante, et même un véritable affront, que de lui ravir la province qui lui était échue, pour la confier à Laevinus? »
(9) Les sénateurs ayant manifesté leur voeu, sans rien décréter, la séance fut levée. L’échange eut lieu entre les consuls, et l’arrêt du destin entraîna Marcellus vers Hannibal, (10) afin qu’ayant eu le premier la gloire de le vaincre à une époque désastreuse pour la république, il fût le dernier des généraux romains dont la mort illustrât le Carthaginois, dans un temps où Rome était partout triomphante.
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XL. (1) Pendant ce temps le consul Laevinus, qui avait employé à diverses expéditions une grande partie de l’année, arriva en Sicile, où l’attendaient les anciens et les nouveaux alliés. Son premier soin, celui qu’il jugea le plus important, fut d’arranger les affaires de Syracuse qu’une paix récente n’avait pas encore permis de consolider. (2) Ensuite il conduisit ses légions contre Agrigente, le dernier foyer de la guerre, et où les Carthaginois avaient une forte garnison; la fortune favorisa cette entreprise. (3) Les Carthaginois avaient Hannon pour général; mais toute leur confiance était en Mutine et en ses Numides. (4) Parcourant la Sicile entière, celui-ci pillait les alliés des Romains, sans que la force ou la ruse pût lui fermer l’entrée ni la sortie d’Agrigente. (5) Sa gloire, qui éclipsait déjà la renommée du général en chef, excita enfin. la jalousie de ce dernier, lequel, s’affligeant des succès même, à cause de l’homme auquel Carthage les devait, (6) finit par lui ôter le commandement, pour le donner à son fils, persuadé que le crédit de Mutine sur les Numides finirait avec son autorité. (7) L’événement fut loin de répondre à son attente; l’envie d’Hannon ne fit qu’ajouter à l’ancienne faveur de Mutine, lequel, indigné d’un tel outrage, envoya aussitôt des agents secrets à Laevinus pour traiter de la reddition d’Agrigente. (8) Dès qu’on eut fixé les conditions avec eux, et qu’on se fut concerté sur les mesures à prendre, les Numides s’emparèrent de la porte qui donnait sur la mer, et, après en avoir chassé ou tué les gardiens, ils introduisirent les Romains qu’on avait détachés dans ce dessein. (9) Déjà cette troupe, arrivée au centre de la ville, marchait vers le forum au milieu d’un grand tumulte, lorsque Hannon, qui ne voyait dans ce mouvement qu’une de ces révoltes ordinaires aux Numides, s’avance pour le réprimer: (10) mais apercevant de loin une multitude plus nombreuse que celle des Numides, et entendant le cri des Romains, qui ne lui était pas inconnu, il n’attend pas qu’on en vienne à la portée du trait, et prend la fuite. (11) Se faisant suivre par Épicyde, il sort par la porte opposée, et gagne avec une faible escorte le bord de la mer. Là trouvant bien à propos une petite barque, ils abandonnent aux Romains la Sicile, que les Carthaginois leur disputaient depuis tant d’années, et repassent en Afrique. (12) Ce qui restait de Carthaginois et de Siciliens, 748 sans même tenter de se défendre, se précipite en aveugles vers les portes pour s’échapper; mais ils les trouvent fermées et sont taillés en pièces. (13) Maître d’Agrigente, Laevinus fit battre de verges et frapper de la hache les principaux citoyens, vendit le reste des habitants avec le butin, et envoya à Rome tout le produit. (14) Le bruit de la prise d’Agrigente, répandu dans toute la Sicile, fit aussitôt pencher tous les esprits en faveur des Romains. En peu de temps vingt places furent livrées par trahison, six prises de force, quarante environ se rendirent volontairement.(15) Le consul, après avoir puni ou récompensé, selon qu’ils l’avaient mérité, les personnages les plus considérables de ces villes, obligea les Siciliens de mettre bas les armes, et de tourner tous leurs soins du côté de l’agriculture. (16) Il voulait que cette île pût non seulement suffire à la nourriture de ses habitants, mais devenir la ressource de Rome et de l’Italie, dans les temps de disette, comme elle l’avait été déjà en beaucoup de circonstances. Puis il emmena avec lui d’Agathyrna en Italie quatre mille hommes, (17) ramas confus de bannis, d’aventuriers perdus de dettes et pour la plupart couverts de crimes, dignes de mort, lesquels avaient vécu de rapine et de brigandage soit dans leur patrie et sous des lois régulières, soit, depuis, lorsqu’un destin semblable les réunit par diverses causes à Apia. (18) Laevinus crut qu’il y aurait de l’imprudence à laisser ces bandits en Sicile, où ils empêcheraient la paix de s’affermir, en fournissant matière aux nouveautés, outre qu’une troupe accoutumée au brigandage serait utile aux gens de Rhégium pour ravager les terres des Bruttiens. Ainsi la guerre de Sicile fut entièrement terminée cette armée.