La vue d’un Européen n’était pas totalement étrangère aux habitants de Koujar, puisque la plupart d’entre eux avaient été sur les bords de la Gambie ; malgré cela, ils me regardaient avec un mélange de curiosité et de respect, et l’après-midi ils m’invitèrent à me rendre au bentang pour y voir un néobering, c’est-à-dire un combat à la lutte. C’est un amusement dont on jouit souvent dans tous les pays des Mandingues. Les spectateurs forment un grand cercle autour des lutteurs, qui sont toujours des hommes jeunes, agiles, robustes, et sans doute accoutumés dès l’enfance à cet exercice. Ils n’ont d’autres vêtements qu’une paire de caleçons courts, et avant de combattre ils oignent leur corps avec de l’huile ou du beurre végétal [Du sché-toulou]. Ceux que je vis s’approchèrent l’un de l’autre, s’évitèrent, étendirent un bras pendant longtemps ; enfin l’un d’eux s’élança et saisit son adversaire par le genou. Ils montrèrent tous les deux beaucoup d’intelligence et de jugement, mais la force triompha. Je crois que très peu d’Européens auraient été en état de se mesurer avec le vainqueur. Il est nécessaire de remarquer que les combattants étaient animés par la musique d’un tambour dont la cadence réglait assez bien leurs mouvements.
La lutte fut suivie de la danse. Les danseurs étaient en grand nombre. Ils avaient tous de petits grelots autour de leurs bras et de leurs jambes, et leurs pas étaient réglés par le son du tambour. Celui qui battait cet instrument se servait d’une baguette crochue qu’il tenait dans sa main droite, et de temps en temps il employait sa main gauche à amortir le son, afin de varier la musique. Dans ces assemblées, le tambour sert aussi à maintenir l’ordre parmi les spectateurs, et pour cela on lui fait imiter le son de certaines phrases mandingues. Par exemple, avant de commencer la lutte, on le frappe de manière que l’assemblée s’imagine entendre les mots ali bœ si, c’est-à-dire « asseyez-vous tous » ; et à l’instant tous les spectateurs s’assoient. Au moment où les combattants s’avancent l’un vers l’autre, le tambour dit amouta, amouta — « saisissez-vous, saisissez-vous ».
Dans le cours de la soirée, on m’offrit de me rafraîchir, et en conséquence on me servit d’une liqueur qui ressemblait tellement à la meilleure bière forte de mon pays que je m’informai de quelle manière on la composait. J’appris, non sans étonnement, qu’elle venait d’être faite avec de la drèche préparée avec du millet, tout comme on en prépare en Angleterre avec de l’orge. Au lieu de houblon, on se sert d’une racine qui a une amertume agréable, et dont j’ai oublié le nom. Le millet qu’on emploie pour faire cette drèche est le holcus spicatus [millet à épi] des botanistes.