Peut-on célébrer la prière du vendredi dans le Masjid al-Kabīr, dite Jāmi῾ al-Qarwiyīn, ào Fās ? Cela est-il conforme à l’opinion la plus répandue dans le Maḏhāb de Mālik ? On sait par les historiens qu’à l’origine, cette cité s’étendait sur les deux rives du fleuve qui la traverse, chaque quartier se suffisant à lui-même et ayant sa grande mosquée cathédrale. Mais la guerre civile, à cette époque, éclatait sans cesse entre les eux quartiers de la cité, et les deux grandes mosquées fonctionnaient simultanément.
Quelque temps après, un Amīr s’empara de la cité, dont il rasa les murailles, et en fit une seule cité. Il jeta un pont sur le fleuve, afin d’établir les communication s entre les deux rives et permettre aux habitants de chacune d’elles d’aider les autres. Mais les emplacements originaires existent encore, et l’un des quartiers s’appelle Fās al-Qarwiyīn et l’autre Fās al-Andalūs. La plus ancienne des deux mosquées, selon les historiens, est celles des Andalous.
Peut-on, s’appuyant sur ce témoignage historique, adopter les mêmes décisions que les jurisconsultes de cette époque et suivre le principe posé par Ibn Rouschd ? qui s’exprime ainsi : « Lorsqu’il existe entre les deux vil- lages des motifs de crainte ou une guerre civile, ce qui est rapproché devient (est considéré comme) éloigné, la réunion devient séparation et la question est réglée d’après les circonstances. La cause étant intimement liée à son effet, quand elle existe, la règle s’applique; quand elle disparaît, la règle disparait aussi. »
La vieille mosquée (celle des Andalous), avec la place qui la précède et ses parvis, est trop étroite pour contenir une infime partie des fidèles, a fortiori toute l’assemblée de ceux-ci. On ne peut même pas l’agrandir en y annexant les maisons, boutiques, midâ (locaux attenant à la mosquée et où se font les ablutions), saqâyâ (petits bâtiments renfermant des abreuvoirs et des fontaines) qui lui sont contiguës, car la plupart de ces locaux sont ou biens haboas, ou appartiennent à des pauvres, des orphelins et autres personnes semblables. On pourrait objecter qu’il appartient au schar’ (justice religieuse) de décider du sort de ces propriétés, quand on en a besoin pour observer un devoir religieux, qui ne peut être accompli qu’en un endroit spécialement déterminé. Mais ce pouvoir d’appréciation du schar”^ est ici exclu car, en présence de deux préjudices on choisit le moindre. Or, le moindre préjudice, dans Tespèce présente, est de faire la prière du vendredi dans deux mosquées distinctes, sans avoir besoin de recou- rir à des transformations ou à des désaffectations. Cette solution devrait triompher, surtout quand on adopte l’opinion des savants qui, comme Âl-Lakhmî, disent : « Lorsque les fidèles sont en trop grand nombre et que ceux qui prient dans les parvis se trouvent trop éloignés de rimâm, il vaut mieux célébrer alors la prière du vendredi dans deux endroits différents. » Mâlikdit aussi que si la mosquée n’est pas assez vaste pour contenir tous les fidèles, on priera dans deux mosquées. Yahyâ ibn *Oumar et Ibn *Abd Al-Hakam admettent la même faculté dans les grandes villes.
Peut-on s’appuyer sur l’autorité de ces jurisconsultes et faire la prière du vendredi même dans trois ou quatre mosquées, lorsque deux sont insuffisantes ?
Doit-on considérer, comme une excuse suffisante, l’impossibilité de trouver, dans le Bait-al-Mâl (trésor public), les sommes nécessaires pour indemniser les propriétaires expropriés et pour aménager les locaux annexés en vue de leur nouvelle destination ? Quant à recourir à d’autres que le Bail-al-Mâl, il faudrait d’abord établir, par un titre autheptique, la faiblesse de ses ressources, appuyer ce titre par un serment décisoire {Yamîn al-qadâ) et imposer tous ceux qui habitent la ville ou dans un périmètre de trois milles de rayon, sans en excepter aucun à cause de la protection dont il jouit ou à cause de sa puissance (de son rang).
Or, nul n’ignore combien il est difficile de satisfaire à toutes ces conditions, et l’expérience a déjà démontré qu’il est impossible de conduire les choses dans cette voie droite, comme le veut Allah.
Cet état de choses est-il une excuse suffisante, légitimant la célébration de la prière du vendredi dans les deux mosquées de cette grande capitale (Fâs)? Si cela ne peut être admis, comment excuser ces doctes Imâms, dont les mérites dépassent tout ce que pourraient décrire la langue et le qalam, quand ils ont admis la prière simultanée dans ces deux mosquées [Djâtm al-Qarvoiyyîn et DjàmV al-Andalous) pendant une période dépassant cinq ou six cents ans ? Salut.
Réponse. — Ce qui ressort des textes de la doctrine, c’est que la multiplicité des offices du vendredi dans une même ville est interdite, du moins toutes les fois qu’il y a assez de place (dans une même mosquée), que l’on a le choix et qu’il n’y a ni cas de force majeure ni excuses légitimes de tolérer cette multiplicité.
Parmi les docteurs malékites qui ont traité de cette question, on peut citer : Al-Lakhmî, Al-Mâzarî, Ibn Al-Djallâb, *Abd Al-Wahhâb, Ibn Baschîr et beaucoup d’autres.
*Abd Al-Wahhâb argumente ainsi : Le Prophète et les khalifes, après lui, ont toujours célébré l’office du vendredi dans une seule mosquée. S’il était possible d’y procéder dans plusieurs mosquées simultanément, ils l’auraient fait au moins une fois afin que l’on sût que cela est permis.
Sanad ibn Unâna dit: Trois opinions sont en présence :
1° Il est défendu de célébrer plusieurs offices dans une même ville, par imitation de ce que faisaient les Anciens ;
2° Cela est permis, lorsqu’il y a nécessité comme dans les grandes villes, telles que le Caire, Baghdâd. Cette opinion est professée par Ahmad ibn Hanbal, Mouhammad ibn Al-Hasan, Yahyâ ibn *Oumar, Mouhammad ibn *Abd AlHakam, Al-Lakhmî ;
3° (]ela n’est permis que dans les villes traversées et coupées en deux moitiés distinctes par un fleuve sur lequel aucun pont n’a été jeté, si bien qu’il en résulte comme deux villes séparées. Telles sont Wâsit, Baghdâd.
[voir l’opinion d’Abū Ġālib, v. 1240
Peut-il exister, dans une même cité, plusieurs mosquées où se fait la prière du vendredi ?
Trois opinions sont en présence :
1 : il ne doit y avoir qu’un seul Jāmi῾ pour la prière du vendredi (Mālik et Šāfi῾i)
2 : il peut y avoir autant e mosquées faisant la prière du vendredi que l’exigent les besoins d’une grande population (Ibn ῾Abd al-Ḥakam)
3 : Si la cité est traversée une seule ou plusieurs fois par un fleuve, on peut, pour éviter aux fidèles la peine de se transporter d’une rive à l’autre, établir plusieurs offices du vendredi dans des mosquées différentes.
Al-Laḵmī est partisan de la deuxième opinion, car si l’assemblée est trop nombreuse, les fidèles qui se trouvent trop loin de l’Imām, ne prient pas dans de bonnes conditions]
C’est l’opinion à laquelle se rallient Al-Abharî, Ibn Al-Qassâr et Abû Yùsuf.
Dans l’ouvrage intitulé al-Wadjîz (le Concis), d’Al-Ghazâlî, il est dit que deux prières du vendredi ne peuvent se succéder dans la même ville. Si le fait se produit^ est seule valable la prière dont le Takbîr a été récité en premier lieu. Selon d’autres, c’est celle dont le Salâm (salut), ou la Khoutba (prône a été dit le premier. Cependant, si, étant donné cet ordre, le Sultan a prié dans la seconde, c’est celle-ci qui sera déclarée valable.
Que si on objecte Texiguïté des dimensions de la mosquée, qui ne peut contenir tous les fidèles, ce qui permet, dans l’opinion la plus répandue, de célébrer l’office du vendredi dans différentes mosquées, il faut répondre : la règle, dans ce cas, est qu’il est nécessaire d’agrandir la mosquée en y annexant les propriétés contiguës, jusqu’à la rendre assez vaste pour contenir tous les fidèles. Les propriétaires, quels qu*ils soient, seront contraints de vendre leurs immeubles moyennant leur valeur estimative, de même que
l’on contraint le propriétaire de Teau à en vendre à ceux qui ontsoif ou craignent pour leur récolte, comme aussi on doit céder, de gré ou de force, son cheval ou sa jeune servante* au Sultan. Cependant, d’après Ibn *Attâb, le Souverain (l’Imâm) ne peut, sous aucun prétexte, contraindre un propriétaire à vendre sa maison pour l’annexer à la mosquée cathédrale, ni l’en expulser contre son gré.
Mais la première opinion est la meilleure et il appartient à la justice de décider en faveur de la collectivité contre les particuliers comme c’est le cas ici. (^est le même principe qui légitime le jet des navires.
Ibn Al-Hâdj rapporte une décision semblable, rendue par Ubai ibn Ka*b, du temps de *Oumar ibn Al-Khattâb.
Celui-ci ayant voulu agrandir la mosquée du Prophète (à Médine), en lui annexant la maison contiguë, qui appartenait à Al-*Abbâs (oncle du Prophète), ce dernier refusa. Ubai décida en faveur de ‘Oumar, et Al-*Abbâs livra sa maison sans rien accepter en échange.
Ces décisions s’appliquent également à l’expropriation pour élargir une route menant à la mosquée cathédrale. Si la maison expropriée était habous^ dit ‘Abd AlMâlik, le propriétaire fera remploi du prix qui lui est payé après estimation, en acquéfant un immeuble, qui prendra la place du premier comme bien habous.
D’après Moutarrif, lorsqu’une voie publique importante est côtoyée par un cours d’eau qui la dégrade jusqu’à y interrompre la circulation, le Sultan peut contraindre les propriétaires des terrains riverains de les céder, afin d’élargir la voie dans toute la mesure nécessaire. Néanmoins, tant que le Sullan n’en a rien décidé, le public n’a pas le droit de traverser lesdits terrains sans l’autorisation (les propriétaires.
La controverse subsiste sur le point de savoir si l’on peut exproprier pour l’agrandissement de mosquées non cathédrales, et si le remploi du prix est obligatoire lorsque la maison expropriée était habous.
D’après Ibn Sahl, Ibn Al-Mâdjischoûn a dit : « Un cimetière, devenu trop étroit pour servir encore à l’inhumation, peut être affecté à l’agrandissement d’une mosquée y attenante, lorsqu’elle devient insuffisante pour contenir tous les fidèles. »
Ce qu’Ibn Rouschd disait quant à la multiplicité des offices dans la même ville, ne peut plus s’appliquer à la ville de Fâs, vu que le motif de cette décision — la guerre civile — a disparu. On ne peut donc célébrer la prière du vendredi dans la mosquée appelée Djâm-i*al Qarwiyyîn, car, du témoignage des historiens, elle n’est pas la plus ancienne des deux. La même question fut envoyée, par le demandeur, «i notre ami, le jurisconsulte Aboù *Abd Allah Mouhammad ibn Yoùsouf As-Sanoùsi, à Tlemcen. Il répondit en ces termes :
« Depuis que les deux quartiers sont réunis de façon à ne former qu’une seule et même ville, il ne peut plus y être célébré plus d’un office le vendredi, du moins dans Topinion de ceux qui prohibent la multiplicité sans restriction. La réunion de tous les fidèles dans cette grande cérémonie a pour but la solidarité dans la prière et la bonne entente entre tous les Musulmans. Or, dans l’espèce présente, cette entente est d’autant plus désirable que la séparation existe déjà matériellement, à cause des habitations (réparties sur les deux rives du fleuve). Si l’on y ajoutait la séparation dans les cérémonies religieuses, comme l’office du vendredi, cela conduirait à la guerre civie et à la corruption des cœurs. Cependant, la nécessité, en cas d’exiguïté de la Mosquée, vient aider à adopter, dans la pratique, l’opinion qui admet la multiplicité (des offices), soit d’une façon absolue, soit seulement pour les villes, qui, comme Fâs, s’étendent sur les deux rives d’un fleuve. En tous cas, de tous les auteurs que nous avons consultés, ceux qui admettent la multiplicité, ils le font sans restriction quant au nombre des offices célébrés dans la même ville, lesquels peuvent être plus de deux. »
Après un long laps de temps, ce même questionneur se mit en devoir de me réfuter, en faisant accroire que la consultation que j’avais alors rendue émanait d’un contemporai mort depuis peu de temps; il poussa l’audace jusqu’à appeler sur Tauteur la miséricorde d’Allah, comme s’il s’agissait d’un mort! Puis il m’envoya ma consultation ci-dessus exposée avec celle qui la suit (celle de Sanoûsî), me priant de les examiner et de lui dire quelle était la plus conforme à la vérité. Il croyait que, vu la longueur du temps passé, j’avais oublié ce qui était alors ma réponse, et qu’il me mettrait en contradiction avec moi-même, au cas où je me rangerais de son côté. Je lui ai répondu en ces termes * : « Je n’ai pas adopté sans examen ni critique, comme il me le reproche, l’affirmation des historiens d’après lesquels la mosquée des Andalous est la plus ancienne des deux, pour lui reconnaître un droit de priorité sur la mosquée des Qarwiyyîn quant à la célébration de la prière du vendredi. J’ai fait des recherches et j’ai trouvé dans un historien qui s’est occupé spécialement de la ville de Fâs que, lorsque l’Imâm Idrîs fonda la ville de Fàs, il commença par la rive dite Fâs des Andalous, le jeudi premier Rabî*de l’année 192 de l’Hégire. Quand il en eut terminé le mur d’enceinte, il y construisit une mosquée cathédrale où devait avoir lieu la khoutba : c’est le Djâmi-al-Aschyâkh (mosquée des schaikhs). Quant à l’autre rive, dite Fâs des Qarwiyyîn, il n’y commença les travaux que le premier Rabî’ de Tannée suivante 1^193).
Ici aussi, quand il eut terminé le mur d’enceinte, il éleva une mosquée cathédrale où se faisait la khoutba (prône) : c’est le DjâmV asch-Schourfâ. Mais on ne commença à creuser les fondements des deux Mosquées, celle des Andalous et celle des Qarwiyyîn, où se fait aujourd’hui la prière du vendredi, qu’en Tannée 245. Puis, lorsqu’eut lieu Tavènement des Zénétes dans le Maghreb, en Tannée 307, la khoutba (prône) cessa d’avoir lieu dans le Djâmi* ascliSchourfâ, devenu trop étroit pour contenir tous les fidèles,
et fut transportée au Djâmi^al-Qarvviyyîn, qui était beaucoup plus vaste.
Selon d’autres, la khoutba ne fut transportée dans le Djâmî’ al-Qarwiyyîn qu’en Tannée 321, qui est aussi la date à laquelle la khoutba fut transférée du Djâmi*-al-Aschyâkli au Djâmî’-al-Andalous. Tout cela eut lieu par les soins de TEmir Hàmid ibn Hamdân Al-Hamdânî, gouverneur de
‘Oubaid Allah ï.
De tout ce qui précède, il résulte clairement que le Djâmi’-al-Aschyâkh est le plus ancien ot que, du jour où la khoutba fut transférée de cette mosquée dans le Djûmi’ al-Andalous, celui-ci doit avoir la priorité sur le Djâmi*-al- Qarwiyyîn, lequel a succédé, en ce qui concerne la prière du vendredi, au Djâmi* asch-Schourfâ. C’est une application du principe que le remplaçant est soumis aux mêmes règles que le remplacé.
Si, avant ce transfert des offices, on priait dans les deux mosquées, c’est que les deux villes étaient distinctes. Cela ne peut plus être admis, depuis qu’elles ne forment plus qu’une seule et mémo ville.
Notre contradicteur s’appuie sur ce que des khattbs (prédicateurs) de grand mérite ont prêché, le vendredi, à la mosquée de Qanviyyîn. Mais cela ne prouve pas le droit de priorité en faveur de cette mosquée, car ils se sont ralliés à une des opinions en cours, laquelle, d’ailleurs, n’est pas la plus répandue.
11 dit aussi que le Djâmi* al-Qarwiyyîn étant plus vaste, la prière qu’on y fait a plus de mérites, vu le grand nombre des fidèles qui y prient ensemble. — A ce compte là, ce n’est plus alors une question de principes juridiques ni de priorité, mais une question de dimensions ! Ainsi, la prière du vendredi se ferait dans n’importe quelle mosquée, pourvu qu’elle fut la plus vaste, ce qui est inadmissible.
Et puis, les grandes dimensions du contenant ne préjugent pas de l’abondance du contenu : dans une très vaste mosquée, il peut n’y avoir que quelques fidèles, tandis qu’il y aura grande foule dans une mosquée plus étroite.
Il prétend encore que la prière faite dans le Djâmi*-al-Qarwiyyîn en vaut soixante-quinze. — Nous répondons que toutes les mosquées, par cela même qu’elles sont des mosquées, se valent. Il n’y a d’exception qu’en faveur de celles pour lesquelles il existe un texte spécial, comme 1® la mosquée de Qabâ où deux rakas valent une ‘Oumra (visite des lieux saints) ; 2® la Mosquée de Jérusalem (al- Masjid al-Aqçâ), où chaque prière équivaut à mille faites ailleurs ; 3® la Mosquée de Médine, où la prière en vaut
mille ou plus; 4® la sainte Mosquée (la Ka*ba), où chaque prière équivaut à mille ou, selon d’autres, à cent mille prières. En dehors de ces quatre mosquées, toutes les autres sont sur un pied d’égalité.
(Suit une discussion juridique sans intérêt.)
« Je n’ai pas voulu signaler à chaque pas les impropriétés de langage de mon contradicteur, les mots qu’il employait sans utilité, ni toutes ses fautes d’orthographe, comme lorsqu’il écrit j^^, muraille, avec un sâd jj–»,ou Ji>-V, considérer, observer, avec un dâd f^^^i^V), connaissant son ignorance de toutes ces matières. Salut. »