Ce fut en ce temps-là, que Justinien se résolut de faire ligue avec les Éthiopiens ; les Humêr/Himyar contre les Perses. Il est à propos que je décrive en cet endroit le pays que ces peuples habitent, et que j’explique les avantages que l’Empereur espérait tirer de leur alliance.
La Palestine est bornée du côté de l’Orient par la mer rouge, qui s’étend depuis les Indes jusqu’aux frontières de l’Empire Romain. Sur un de les bords est bâtie une ville nommé Aila à l’endroit où la mer s’étrécissant fait un détroit dans lequel ceux qui naviguent ont à leur droite les montagnes de l’Égypte du côte du midi, et à leur gauche une vaste solitude du côté du septentrion. On ne perd point la terre de vue sur cette mer, jusqu’à ce qu’on soit arrivé à l’île locale distante de mille stades de la ville d’Aila. Cette île est habitée par des Hébreux qui avaient conservé leur liberté par le passé, et qui n’ont été assujettis, que depuis le règne de Justinien. Mais quand on est plus avant, on ne voit plus de terre à la main droite : bien que l’on prenne terre à la gauche toutes les nuits, à cause que les bancs de sable y rendent la navigation trop dangereuse dans l’obscurité. Il y a plusieurs ports qui n’ont point été faits par la main des hommes, mais par celles de la nature, et il est aisé d’y entrer toutes les fois que l’on le désire
Lorsque l’on a passé les frontières de la Palestine, l’on trouve la nation des Sarracènes, qui habitent depuis longtemps un pays planté de palmiers, et où il ne croît point d’autres arbres.
Abû Kharab, qui en était le maître, en a fait don à Justinien, de qui en récompense il a reçu le gouvernement des Sarrasins de la Palestine: où il s’est rendu si formidable, qu’il a toujours arrêté les courses des troupes étrangères.
Aujourd’hui l’Empereur n’est maître que de nom de ce pays qui est planté de palmiers, et il n’en jouit pas en effet : tout le milieu qui contient environ 10 journées de chemin étant entièrement inhabité à cause de la sécheresse, et il n’a rien de considérable que ce vain titre de donation, faite par Abû Kharab, et acceptée par Justinien. Voilà ce que j’avais à dire de cet endroit-là.
Immédiatement après habitent les Sarracènes appelés Ma‘ad sujets des Humêr/Himyar, qui demeurent tout proche le long du rivage. Ensuite de ceux-ci l’on dit qu’il y a encore diverses nations jusqu’aux Sarracènes surnommés Anthropophages. Après ceux-ci sont les Indiens ; mais que chacun discoure de tous ces peuples comme il le trouvera à propos.
Les Éthiopiens habitent vis-à-vis des Humêr/Himyar de l’autre côté de la mer. On les appelle Auxonites (Aqsum), du nom de la principale de leurs villes. Le trajet qui les sépare peut être traversé, quand le vent est bon, en 5 jourset 5 nuits ; car comme il n y a point d’écueils en cet endroit, on y peut aller la nuit. Quelques-uns appellent cette mer, la mer rouge. Tout ce qui est compris depuis cet endroit-là jusqu’au bord et jusqu’à la ville d’Aila, est appelé le golfe Arabique, a cause qu’autrefois on avait donné le nom d’Arabie à tout le pays qui s’étend jusqu’au territoire de la ville de Gaza, lequel relevait alors du Roi d’Arabie.
Le port des Humêr d’où l’on fait voile pour l’Ethiopie est appelé Bolicas, et celui où l’on prend terre en Éthiopie, est appelé le port des Adulites, et il est à 20 stades de la ville d’Adulis, qui est à 12 journées de celle des Auxonites.
Les Navires de cette mer, et de la mer des Indes sont d’une fabrique tout-à-fait différente de celle des autres. Ils ne sont point enduits de poix, ni d’aucune autre semblable matière. Les planches, au lieu d’être clouées, ne font attachées qu’avec des noeuds. La raison n’en est pas, comme plusieurs croient, qu’il y ait des pierres d’aimant qui attirent le fer : car les vaisseaux des Romains, où il y a beaucoup de fer, voguent comme les autres sur cette mer. Mais c’est que les Indiens, et les Éthiopiens n’ont point de fer, et que par les lois romaines il est défendu sous peine de la vie de leur en porter. Voilà ce que j’avais à dire de la mer rouge, et des rivages voisins.
Depuis la ville des Auxonites jusqu’aux frontières de l’Empire romain dans l’Égypte, il y a pour 30 jours de chemin à un homme de pied.