Dès que Lucifer, sortant des ondes de l’Océan, eut répandu la brillante lumière de ses rayons, le général ordonne de lever le camp et fait avancer ses bataillons serrés. La trompette d’airain, donnant le signal, fait entendre ses sons redoutables et chasse le doux sommeil. Les soldats s’excitent au combat, leurs cris remplissent le camp, chacun exhorte son compagnon. Les valets enlèvent les tentes fixées au sol, ils font sortir des parcs élevés les coursiers rapides richement parés et prennent toutes leurs armes. Dès que l’armée commença à s’avancer en ordre et que dans la plaine apparurent les aigles victorieuses, le général, l’esprit inquiet, distribuant à chacun sa tâche, fait aux chefs ses recommandations et les instruit en ces termes de la situation :
« Soldats romains, dit-il, espoir assuré du pays, ornement, gloire et suprême appui de l’univers, vous en qui l’Empire a mis sa confiance, et qui êtes le soutien de mes travaux, bien que vous sachiez quelle confiance il faut avoir en nos ennemis, je veux cependant vous rappeler leurs pièges, leurs ruses, leurs tromperies, vous avertissant à la fois des dangers qui vous menacent et vous instruisant de la conduite que vous devez suivre.
Jamais leurs guerres n’ont été exemptes de ruses et de perfidies; l’armée des Maures a toujours combattu par surprises, elle attend l’ennemi, confiante dans ses ténébreuses entreprises. C’est la fourberie seule qui maintient la puissance des Massyliens, c’est elle qui donne à ces peuples lâches le courage de combattre, tandis que les rochers au sommet des montagnes ou les fleuves aux berges élevées leur offrent une retraite ; partout ou s’étend la forêt d’oliviers au fruit glauque, où se dressent les arbres élevés aux cimes verdoyantes, leurs armées établissent leurs campements invisibles. Voici les ruses dont se sert le Maure pour combattre : il effraie l’ennemi qu’il surprend par une attaque prompte et inattendue et tandis qu’il hésite, il le presse, sûr du nombre, de l’avantage des lieux et confiant dans ses chevaux dociles. Puis par ruse il envoie en avant quelques rares combattants chargés d’attirer l’ennemi dans la plaine et qui, fuyant à sa vue, l’entrainent hors des retranchements. Le Maure, emporté dans une course rapide, brandit sa lance armée de fer et ne cesse de faire mouvoir en cercles rapides son coursier docile. Mais lorsque l’ennemi s’approche, il fuit avec habileté afin de disperser par cette manœuvre adroite les ailes rangées en ordre, et tandis que le gros de l’armée le poursuit et se croit victorieux, il éparpille les bataillons dans la plaine.
C’est à l’aide de ces pièges, c’est en simulant une attaque que combat le Moazace, jusqu’au moment où il a su attirer au milieu des ennemis son adversaire, enfermé de toutes parts dans des vallées étroitement gardées. Alors ses stratagèmes se découvrent tout entiers et de toutes parts il appelle ses troupes dissimulées aux regards. Celui que la terreur a saisi fuit au premier choc. Le Maure, dont l’épouvante même de l’ennemi excite le courage, d’en haut l’accable de blessures cruelles.
Si au contraire le soldat résiste ferme à son poste, jamais il ne s’attaquera à qui ose combattre, mais, détournant le cou flexible de son coursier, il s’éloigne aussitôt ; c’est ainsi qu’il abandonne la lutte, ainsi succombe celui qui fuit, ainsi résistera le soldat courageux. La fortune accablera le lâche, elle protégera celui qui se montre prudent et audacieux tout ensemble. Car souvent elle se plait à favoriser les mortels.
Combien d’hommes à qui les dangers mêmes ont valu la victoire ! Pour vous, montrez les qualités qui conviennent à des chefs; à la fois prudents, énergiques, redoutables, déployez à l’envi toute votre vigueur dans les hasards de la guerre. Que ce soit là votre application. Rangez l’armée par escadrons et que chaque manipule en ordre de bataille s’avance autour de l’étendard. Que sur ce point se porte toute votre attention. Conservez cet ordre prudent. Ainsi vous triompherez de l’ennemi. Que les tribuns, chacun à leur tour, que parfois les commandants se portent en avant des troupes pour explorer les vallées suspectes et faciliter la route. Ainsi l’armée tout entière sera en sécurité et l’ennemi ne pourra surprendre un adversaire prévoyant et toujours sur ses gardes. Mais si l’armée maure se prépare à combattre en usant de ses stratagèmes habituels, qu’un éclaireur promptement vienne à cheval nous avertir, afin d’assurer aux légions une marche prompte et sûre. Observez ces conseils, espérez avec confiance le salut.
Le général avait à peine achevé que déjà l’armée immense accueille ces mots avec des cris d’allégresse. Les soldats le félicitent en témoignant leur approbation par des applaudissements et, pleins d’enthousiasme, ils accomplissent avec joie ses ordres.