Il y avait trois mois que durait l’investissement ; l’hiver approchait de sa fin, et Gélimer, agité de continuelles alarmes, s’attendait chaque jour à voir les Romains escalader les rocs qui lui servaient d’asile. Plusieurs de ses jeunes parents avaient le corps presque entièrement rongé par la pourriture.
Quelque douleur qu’il en ressentit, il supportait néanmoins ces maux avec une constance inébranlable, et sa résignation opiniâtre trompait toutes les prévisions, lorsque enfin il fut témoin du spectacle que je vais décrire.
Une femme maure avait fait un petit gâteau d’un reste d’orge à peine broyé, et l’avait placé, pour le cuire, sous la cendre du foyer, selon la coutume du pays. Devant le feu étaient assis deux enfants, dont l’un était le neveu de Gélimer, et l’autre le fils de la femme qui avait pétri le gâteau. Tous deux, poussés par l’aiguillon de la faim, dévoraient des yeux ce gâteau, tout prêts à s’en saisir sitôt qu’il leur paraîtrait cuit. Le jeune Vandale s’en empare le premier, et, égaré par la faim, il se met à le dévorer avidement, bien qu’il fût encore brûlant et couvert de cendre. Le Maure lui saute aux cheveux, et, le frappant à coups redoublés sur les joues, il lui arrache de force le gâteau du gosier. Gélimer, qui avait assisté dès le commencement à cette scène déplorable, sentit faiblir son courage et sa résolution.