CH. XLII.
DE LA VILLE APPELÉE EROUANTAGUERD.
Il m’est doux de parler de la gracieuse ville d’Erouantaguerd, que ce même Erouant bâtit [d’une manière] si belle et si élégante. Il remplit le centre de la grande vallée d’habitants et d’édifices magnifiques, brillant comme la prunelle de l’œil. A l’entour de l’endroit habité s’étend une ceinture de jardins fleuris et odoriférants, comme autour de la prunelle se décrit le cercle de l’œil. D’innombrables vignobles imitent le contour frangé et gracieux des paupières. Sa forme arquée, au nord, est vraiment comparable aux sourcils de gracieuses jeunes filles; au sud, la forme unie des prairies ressemble à la beauté des joues bien lisses. Le fleuve avec ses rives, comme une bouche entr’ouverte, représente les deux lèvres; et ce site si splendide semble regarder fixement le sommet où se dresse le séjour du monarque, séjour vraiment somptueux et royal!
Toutes ces constructions d’Erouant, Tigrane le Grand les donne plus tard à la famille des Gamsaragan comme alliée à la race des Arsacides par le sang et l’amitié, ainsi que nous le dirons en son lieu.
On raconte qu’Erouant, selon la magie, avait le mauvais œil; c’est pourquoi, chaque matin, les chambellans du palais avaient l’habitude de placer des pierres très dures en face d’Erouant, et qu’elles se fendaient [sous l’influence] de la malignité de son regard. Mais, ou ceci est faux ou fabuleux, ou bien cela veut dire qu’il avait la puissance diabolique de nuire, et l’influence du mauvais œil, à tous ceux auxquels il en voulait.
[…]
CH. XLVII.RÈGNE D’ARDASHÈS QUI COMBLE DE LARGESSES SES PARTISANS.
Erouant étant mort, Sempad ne cessait de rechercher ses trésors; ayant trouvé la couronne du roi Sanadroug, il la pose sur la tête d’Ardaschès, le proclame roi de toute l’Arménie, la vingt-neuvième année de Darius roi de Perse. Ardashès, ayant reconquis son royaume, fait des présents aux troupes des Mèdes et des Perses et les renvoie chez elles. Il confère au brave et illustre Arkam le second rang qu’il lui avait promis, la couronne de perles, deux pendants d’oreilles, le brodequin de pourpre à un pied seulement, plus le droit de se servir d’une cuiller et d’une fourchette d’or et de boire dans une coupe d’or. Ardashès accorda, sans en rien retrancher, les mêmes honneurs à son gouverneur Sempad, sauf les pendants d’oreille et le brodequin de pourpre. Enfin il lui donne en outre la dignité héréditaire de thakatir, de commandant de la cavalerie et de général de l’armée de l’Occident, avec le commandement de toutes les troupes arméniennes, l’inspection de tous les fonctionnaires de notre pays et la surintendance de toute la maison royale. Quant à Nersès, fils de Kisag, fils de la gouvernante d’Ardaschès, il lui donne, à lui et à sa race, le nom de Timakhsian, en mémoire des exploits de son père qui, ainsi que nous l’avons dit, avait eu la moitié de la figure emportée, en voulant défendre Ardashès.
On raconte aussi, qu’en ces jours-là, Ardaschès érigea une satrapie pour les fils de Dour, qui étaient 15 garçons, et il les appela Drouni du nom de leur père, non point à came de ses prouesses, mais seulement parce que leur père faisait des rapports à Sempad sur la maison du roi. Dour était attaché à la cour d’Erouant et fut mis à mort par ordre de ce prince, pour crime de trahison.
CH. XLVIII.MEURTRE D’EROUAZ. — CONSTRUCTION D’UNE AUTRE VILLE APPELÉE AUSSI PAKARAN. —ARDASHÈS TRIBUTAIRE DES ROMAINS.
Après cela, Ardaschès ordonne à Sempad d’aller à la forteresse de Pakaran, [située] près de la ville d’Erouant, sur le fleuve Akhourian, et de mettre à mort Erouaz, frère d’Erouant. Sempad, s’étant emparé de sa personne, lui fit attacher une meule au cou et jeter dans un tourbillon du fleuve; puis il mit à sa place, pour veiller à Pakaran, un officier d’Ardaschès, disciple d’un mage interprète des songes, appelé pour cette raison Mokbaschdè. Sempad s’empare ensuite des trésors d’Erouaz, de ses esclaves au nombre de cinq cents, ainsi que des objets les plus précieux des trésors des temples, qu’il apporte à Ardashès. Ardashès donne à Sempad les esclaves d’Erouaz; quant aux trésors, auxquels il ajoute encore, il les fait porter à Darius, roi des Perses comme marque de sa reconnaissance, comme à un père et à un bienfaiteur.
Sempad emmène alors les esclaves d’Erouaz pris à Pakaran, et les transporte sur le revers du Massis, en donnant à cet endroit le même nom, Pakaran. Il va ensuite en Perse pour offrir à Darius les présents, sans trop s’inquiéter des forces romaines. Au moment du départ de Sempad pour la Perse, les collecteurs de l’empereur arrivent en Arménie avec une armée nombreuse. Ardashès, à force de prières et en payant un double tribut, les apaise. Ces faits nous sont attestés par Olympius (Oughioub), prêtre d’Ani, auteur d’une Histoire des Temples, ainsi que beaucoup d’autres faits qui nous restent à raconter et qui sont confirmés par le témoignage des livres des Perses et par les chants historiques des Arméniens.
CH. 49. CONSTRUCTION DE LA VILLE D’ARDASHAD.
Les entreprises du dernier Ardashès se sont la plupart révélées par les chants historiques qui se récitent dans le Koghtèn : la construction de la ville, l’alliance avec les Alains, sa race et sa postérité, l’amour de Satinig pour les descendants des dragons, c’est-à-dire d’Astyage, comme dit la fable, qui occupent tout le pied du Massis; sa guerre contre eux, la ruine de leur puissance, leur meurtre et l’incendie de leurs domaines, la jalousie des fils d’Ardashès et la guerre suscitée par leurs femmes. Tous ces faits, comme nous l’avons dit, te sont tous racontés dans les chants historiques, mais nous les rappellerons en peu de mots et nous donnerons l’interprétation vraie de l’allégorie.
Ardaschès, ayant été au confluent de l’Araxe et du Medzamor, trouve l’endroit à son gré et y élève une ville qui, de son nom, est appelée Ardaschad. L’Araxe lui fournit les bois de plus; aussi la ville s’élève rapidement et sans beaucoup de peine. Ardaschès y construit un temple dans lequel il transporte de Pakaran la statue d’Artémis et toutes les idoles de son père; mais, la statue d’Apollon, il la dresse hors de la ville, sur la route. Il tire de la ville d’Erouant les Juifs captifs qui avaient été transportés d’Armavir et les colonise à Ardaschad. Tous les ornements de la ville d’Erouant, apportés d’Armavir, et ceux dont il avait lui-même décoré la ville, il les transporte à Ardaschad, ajoute encore à la magnificence de cette ville et en fit la cité royale.
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CH. 66.D’OÙ SONT TIRÉS TOUS CES FAITS.
Ces faits nous sont transmis par Bardesane (Partadzan) d’Édesse, qui fleurit comme historien au temps du dernier Antonin. Il avait été disciple de l’hérésie de Valentinien; puis il l’avait rejetée et combattue, et il n’était pas arrivé à la vérité. Séparé de ce dernier, il avait fondées une secte particulière; cependant il ne dénatura pas l’histoire. Il était persuasif et sa parole était brûlante; il osa même adresser une lettre à Antonin, disserta longuement contre la secte des Mardonites, contre le Destin et le culte des idoles pratiqué dans notre pays. Bardesane vint ci pour essayer de faire quelques prosélytes parias ce peuple grossier de païens. Comme il ne fut pas bien accueilli, il entra dans le fort d’Ani, lut l’Histoire des Temples, où se trouvaient aussi relatées les actions des rois, y ajouta ce qui se passait de son temps et traduisit le tout en idiome syriaque, ce qui, dans la suite, fut retraduit en langue grecque. Bardesane rapporte, d’après l’Histoire des Temples, que le dernier Tigrane (Dikran), roi d’Arménie, voulant honorer le tombeau de son frère Majan le grand-prêtre, dans le bourg des idoles situé au canton de Pakrévant, élève sur ce tombeau un autel, afin que tous les passants puissent participer aux sacrifices, et que les étrangers y soient reçus la nuit. Dans la suite, Vagharsch y institua une fête générale au commencement de l’année, à l’entrée du mois de navassart. C’est de cette histoire, qu’ayant tiré nos récits, nous l’avons reproduite pour toi, depuis le règne d’Ardavazt jusqu’aux annales de Chosroès.
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QUELLES SONT LES FABLES TOUCHANT LES BAHLAVIENS.
Ce Khorohpoud, étant secrétaire de Sapor (Schabouh), roi des Perses, tombe au pouvoir des Grecs lorsque Julien l’Apostat était à Ctésiphon (Dispon). Julien étant mort, Khorohpoud alla en Grèce avec Jovien, au nombre des officiers impériaux, et ayant embrassé notre religion, il fit nommé Eléazar. Instruit dans la langue grecque, il écrivit les actions de Sapor et de Julien. Il traduisit ensuite en un volume l’Histoire des temps primitifs, composée par un de ses compagnons de captivité, appelé Barsouma et que les Perses nomment Rasdsohoun. Nous reproduisons les données de cet ouvrage, en omettant le merveilleux de leurs fables. Car il serait déplacé de répéter ici les contes relatifs au songe du désir, à la colonne de feu qui sortait de Sassan et entourait le troupeau, à la clarté de la lune, à ces prédictions des interprètes des songes qui sont des astrologues, et ainsi de suite. Nous tairons le projet luxurieux d’Ardaschir suivi de meurtre, et cette passion insensée de la fille d’un mage pour un bouc, et tout le reste. Nous laisserons encore de côté la chèvre allaitant le nouveau-né à l’ombre des ailes d’un aigle, le présage du corbeau, la garde du lion merveilleux et le service du loup, l’acharnement de la lutte, et tout ce qui respire l’allégorie. Nous ne raconterons que ce qui est certain et tout ce qui est de l’histoire véritable.
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CH. 77.PAIX ENTRE LES PERSES ET LES ROMAINS. — ARDASCHIR, PENDANT LES ANNÉES D’ANARCHIE, COUVRE DE MONUMENTS L’ARMÉNIE.
Probus qui régnait sur les Grecs, avant conclu la paix avec Ardaschir, divisa notre pays, et en fixa les limites en faisant creuser des fossés. Ardaschir soumet la caste satrapale, rappelle les émigrés, réduit ceux qui s’étaient fortifiés, à l’exception d’un satrape nommé Oda, de la maison des Amadouai, gendre de celle des Selgouni et père adoptif de Khosrovitoukhd, fille de Chosroès. Oda se tient caché sur le rocher d’Ani, comme dans une tanière.
Ardaschir, organisant notre pays d’une manière admirable, le replace au premier rang. Les Arsacides, qui avaient perdu la couronne et leurs domaines de l’Ararat, sont rétablis dans leurs possessions, avec leurs revenus et leurs apanages, comme auparavant. Ardaschir donne de plus larges attributions aux fonctions des temples, et ordonne que le feu d’Ormizd brûle continuellement sur l’autel de Pakaran. Quant aux statues élevées par Valarsace (Vagharschag) en l’honneur de ses ancêtres, et à celles du Soleil et de la Lune érigées à Armavir, qui avaient été transportées d’abord à Pakaran et ensuite à Ardaschad, Ardaschir les abat; il contraint par un édit notre pays à lui payer le tribut, et impose partout [l’autorité de] son nom.
Les termes de pierre qui avaient été plantés sur le sol, par ordre d’Ardaschès, furent renouvelés par Ardaschir qui leur donna son nom et les appela termes ardaschiriens. Ardaschir administra, comme une de ses provinces propres, notre pays qui fut soumis à des gouverneurs perses pendant vingt-six ans. Après lui, son fils appelé Sapor (Schabouh), nom qui signifie « fils du roi », régna jusqu’à l’avènement de Tiridate, durant une année.
CH. 81.D’OÙ LA RACE DES MAMIGONIENS EST-ELLE ISSUE?
Ardaschir fils de Sassan étant mort, la couronne de Perse échut à son fils Sapor (Schabouh). Sous ce prince, arrive en Arménie l’auteur de la race des Mamigoniens venus des contrées du nord et de l’est d’un pays noble, illustre, le premier de toutes les contrées septentrionales, je veux dire, le pays des Djèn où se conserve cette tradition.
Dans l’année de la mort d’Ardaschir, un certain Arpog Djenpagour, — ce qui dans leur langue veut dire « l’honneur du royaume ». — avait deux frères de lait appelés Peghtokh et Mamkoun, qui étaient de grands satrapes. Comme Peghtokh parlait sans cesse mal de Mamkoun, le roi des Djèn, Arpog, donna ordre de tuer Mamkom. Celui-ci, ayant appris ce projet, ne se rendit pas à l’appel du roi, mais il s’enfuit avec tout ce qu’il possédait, auprès du roi des Perses, Ardaschir. Arpog envoie des députés pour le réclamer, mais Ardaschir refuse de le leur livrer, et le roi des Djèn s’apprête à lui déclarer la guerre. Ardaschir étant mort subitement, Sapor monte sur le trône.
Quoique Sapor ne livre pas Mamkoun entre les mains de son suzerain, il ne le laisse pas [résider] sur les terres des Arik, et il l’envoie avec tous les siens, comme étranger, auprès de ses commissaires en Arménie, et il députe vers le roi des Djèn, pour lui dire : « Ne trouve pas mauvais que je n’aie pu livrer entre tes mains Mamkoun, car mon père lui avait juré assistance par la lumière du soleil. Toutefois, afin de te délivrer de tes inquiétudes, je l’ai chassé de mes Etats et [relégué] à l’extrémité de la terre à l’occident, peine comparable pour lui à la mort. Qu’il n’y ait donc pas de guerre entre toi et moi. Comme de tous les habitants de la surface de la terre, la nation la plus pacifique est, dit-on, celle des Djèn, elle consent à faire la paix; ce qui prouve que cette nation aime surtout la paix et la tranquillité.
Ce pays est encore merveilleux par l’abondance de toutes sortes de fruits; il est riche en plantes magnifiques, il abonde en safran, en paons et en soie. On y trouve une foule d’antilopes, de monstres, et d’animaux appelés daims. La nourriture la puis commune se compose d’aliments très recherchés chez nous et réservés à un petit nombre de gens, comme le faisan et le cygne, et autres mets semblables. Les perles et les pierres précieuses sont, dit-on, en si grand nombre chez les grands qu’ils n’en savent pas le nombre; des vêtements qui seraient magnifiques chez nous et pot-lés par peu de gens, sont dans ce pays le costume ordinaire. Voila ce qui concerne le pays des Djèn.
Cependant Mamkoun, venu contre son gré dans notre pays, s’y trouve à l’arrivée de Tiridate. Au lieu de retourner [en Perse] avec l’armée des Perses, il s’en va, avec tous ses bagages, au-devant du roi, en lui offrant de grands présents. Tiridate l’accueille, mais il ne le prit pas avec lui dans son expédition contre les Perses, et il fixe à lui et à ses gens une résidence et des subsides, en le faisant changer de localité tous les ans.