En 670, ‘Uqba b. Nâfi‘ du clan aristocratique des Fihr, préfet de Cyrénaïque pour la famille ‘Açide d’Egypte, mène une troupe arabe et un corps auxiliaire de bérbères cyréniens.
A : Fondation de Qayrwan et alliance avec Quçayla al-Awrabi
Il fonde alors le camps fortifié de Qayrwan, à mi-chemin de la Numidie, de la Byzacène et de la Zeugitane afin de sécuriser ses possessions en Tripolitaines. Il entame alors d’intenses tractations diplomatiques avec les tribus « mauro-berbères ».
En 675, Mu‘awiya appointe, comme gouverneur d’Afrique, une de ses créatures, un certain Ibn al-Muhajir, qui parvient à convaincre Quçayla b. Bahram, issu du clan royal des Awraba, (peut être une déformation de Cutsina, nom royal attesté chez Corippe au VIème siècle) d’adhérer au mouvement arabe.
Cette association conduit rapidement les groupes berbères, derrière leur roi, vassal immédiat du roi de Damas, au premier plan de la stratégie arabe en Ifriqiya.
B : L’épopée mythique de ‘Uqba à Tahert, Tanger et au Sous
En 682, le gouvernement omeyyade décide de confier à ‘Uqba la restauration de l’autorité arabe en Ifriqiya.
Le “Commandeur” est aurait alors mené ses troupes au Zab (ex-Zaba), en Sétifienne, il prend la cité d’Arba, capitale du royaume local, après Auzia, peuplée de maure « au Burnûs », agriculteurs et villageois.
Puis, de manière moins certaine, il se serait dirigé vers l’Oranie et emparé de Tahert, contre une coalition de « romains et de barbares », sans doute le royaume d’Altava et Pomaria. Le mythe veut qu’il aurait alors pris la route du “pays de Tanger”, la Tingitane et y aurait rencontré le fameux « Julien », gouverneur mauro-romain de Septem-Fratrem (Sebta) pour le compte des Wisigoths. Celui-ci lui aurait appris qu’il n’y a plus de romains devant lui, mais seulement les « barbares » méridionaux du « Sûs al-Adnâ », « c’est un peuple sans religion ; ils mangent des charognes, ils boivent le sang de leurs bestiaux, et ils sont comme des brutes, car ils ne croient pas en Dieu, et ils ne le connaissent même pas ».
Nous retrouvons ici une bipartition entre mauro-romains et barbares, et cette tradition attribue à ‘Uqba une bataille aux alentours de Tarudant, capitale du royaume du Sous.
C : Quçayla, roi de Qayrouan
Ce n’est qu’à son retour que les historiographes placent le début de la révolte de Quçayla al-Awrabi, sur instigation romaine, en 682-3. On apprend parallèlement que sa défection fut la conséquence du peu d’égard que le Commandeur Fihri payait au roi des berbères, en dépit des précautions prises précédemment par le persan Abu al-Muhajir.
Durant 6 années, Quçayla et les africo-romains vont tenir en échec la machine de guerre omeyyade, alors empêtrée dans la guerre civile contre les Hashémites et les Zubayrides. ‘Uqba mort, « Quçayla se trouva à la tête d’une immense multitude, et se dirigea vers Qayrwan, où quelques musulmans qui n’avaient pu emporter leurs biens et leurs familles restaient encore. Ils offrirent de rendre la ville pourvu qu’on leur fît grâce, et Quçayla, y ayant consenti, fit son entrée dans Qayrwan, et se rendit maître de la province d’Afrique. »
En 689, ‘Abd al-Malik ayant repris le contrôle du Croissant Fertile, envoya un nouveau commandeur pour l’Occident, un ami de ‘Uqba, Zuhayr b. Qays, il lui fallut pas moins de 3 années pour reprendre la Tunisie Intérieure et abattre le roi des “Awraba”. Cependant, peu après, l’armée byzantine débarquait en Cyrénaïque, et l’armée arabe, vaincue, dû se replier en Egypte.
D : Hassan b. Nu’man et la Kahina à la conquête de l’Afrique
En 692, Hassan b. Nu‘mân, aristocrate du peuple arabo-jordanien des Ghassân, prend la tête d’une coalition tribale décidée à s’approprier un nouveau territoire. Ils récupèrent unes à unes les forteresses de la route libyenne, puis repoussent les rebelles maures à Hippone et l’armée romaine à Beja, entre Carthage et Constantine.
Il est alors confronté à la concurrence d’une nouvelle fédération berbère, menée par La Devineresse (al-Kâhina) et dirigée par ses deux fils.
« Les Arabes veulent s’emparer des villes, de l’or et de l’argent, et nous ne désirons posséder que des champs pour la culture et le pâturage. Je pense donc qu’il n’y a qu’un seul plan à suivre : c’est de dévaster le pays afin de les décourager. […] Elle envoya alors ses partisans de tous côtés pour détruire les villes, démolir les châteaux, couper les arbres et enlever les biens des habitants […] tout le pays, depuis Tripoli jusqu’à Tanger, n’était qu’un seul bocage et une succession continuelle de villages ; mais tout fut-détruit par cette femme. »
On comprend donc que les maures des Aurès et leurs alliés issus du royaume de Quçayla-Cutsina des Awarba tentent la conquête et la pillage systématique de l’Afrique et de la Numidie Romaine, afin de ne rien rester à d’éventuels pillards orientaux. Et c’est pourtant cette stratégie qui conduit à l’échec du royaume berbère, puisque finalement, ce sont les citoyens « romains » de Gafsa, Gabes, Gastiliya et Nafzawa, sur le limes africain, qui font appel à Hassan b. Nu‘mân afin qu’il leur concède une « protection » (dhimma) en échange d’une « participation » (jiziya).
Ainsi, les arabes ghassanides deviennent les garants de l’ordre sédentaire romain. Peu après, conscients de l’éffritement de leur légitimité, les généraux maures, fils de la Prêtresse, se soumettent à Hassan, et lui apportent des milliers de soldats locaux. Ensemble, arabes et berbères s’emparent finalement de Carthage en 698.
E : Mûça b. Nuçayr soumet les “berbères” du Maghreb
Peu après, le gouvernement Marwanide d’Egypte, en la personne du célèbre ‘Abd al-‘Azîz, décida la nomination d’un Yemenite indépendant et acquis à leur cause, Mûsa b. Nuçayr. En 705, il se rapprocha d’Al-Walîd, et rattacha le pays de Carthage à Damas, sans passer par le “Miçr de Fustat”.
Nuwayri reprend : « Musa fit ensuite une expédition vers Tanger, pour attaquer les Berbers qui s’y trouvaient encore. Ils prirent la fuite à son approche, et Mûsa les poursuivit, en les massacrant, jusqu’à ce qu’il parvînt au As-Sûs al-Adna. Les Berbers n’osaient plus alors lui résister, et ils se soumirent pour éviter la mort.
Mûsa fit périr le prince qui les commandait, et il leur donna un nouveau chef, Tariq Ibn Zîad reçut de lui le commandement de Tanger et des environs ; il eut sous ses ordres 19 000 cavaliers berbers et un petit nombre d’Arabes que Mûsa lui avait laissés pour leur apprendre le Qur’an et les devoirs de l’Islam. »
Il semble que lorsqu’on attribue à ‘Uqba l’expédition à Tanger, on transfert cette dernière « conquête » de Mûsâ à ‘Uqba, en effet, le premier historien de la conquête du Maghreb, Ibn ‘Abd al-Hakam considère que Mûsa et Tariq furent les premiers à conquérir la Tingitane, s’y confrontant à une fédération de Butr (« Tuniques », sud-tunisiens et oranais) et de Barânis (« Burnouss », montagnards).
Ce Tariq b. Ziyâd, Mawlâ (« affranchi » ou « client ») n’est pas forcément berbère, sinon peut être cyrénien et c’est lui qui entre en relations, en tant que gouverneur de Tanger et de la Tingitane, avec Julien, préposé de Sebta.