La « Libye » entre véritablement dans l’Histoire avec la deuxième guerre punico-romaine. Cette fois ce sont des auteurs greco-latins, à commencer par Polybe (IIè s. av. n-è) et les sources de Tite-Live (Ier s. av. n-è) qui nous informent, souvent indirectement, sur l’Afrique du Nord à l’époque de la République triomphante.
A : Les royaumes Numides et Maurusiens
Il semble que la Punicisation, avec une influence hellénistique non négligeable, a pénétré au cœur des massifs orientaux, aussi loin que dans certaines cités comme Qirta, dont le nom est lui-même sémitique.
Désormais, les libyques nomades côtiers du sud et les « numides » (le mot apparait à cette époque) de « l’arrière-khôra » carthaginoise sont appelés par Strabon les Libyphéniciens.
Cependant, la conséquence politique de cette expansion culturelle a été la perte par Carthage des plaines de l’actuelle Tunisie Intérieure, remplacée ici par la puissance politique de la dynastie des Fils de Gaïa, en particulier le fameux Massinissa.
Ils sont à la tête de la fédération des Massul-, qui parrait cousine de celle des Masaessul- dont la capitale de repli est l’antique colonie phénicienne de Siga en Oranie Occidentale et dont le roi porte un nom dont Virgile fera un ancêtre mythique : Sufak-/Sofak.
Les deux royaumes, développent en dépit d’un penchant local naturel à l’insoumission, un culte royal d’inspiration oriental dont témoignent les monuments et tumuli funéraires. Les deux Proto-Etats et les fédérations qu’ils recouvrent sont appelées Numides, terminologie qui semble moins correspondre à la fédération des « Maurusiens » qui domine alors les Oppida de Volubilis, de Banasa, de Sala ou la cité de Tiga ou Tingi (Tanger), qui n’est encore au IVème siècle que l’insignifiant site de Pontium.
B : Maurasiens
Qui sont les Maurusiens ? La forme aberrante « Mauras- » pourrait nous permettre de déduire la racine M-Awras, qui renvoie à trois qualificatifs des Africains Occidentaux : ils sont « bronzés », (comme les Ethiopiens) la racine -Râs signifiant Brun (c’est l’interprétation que retiennent les sources classiques). De là on peut spéculer que l’identité Maurusienne est issue du mélange racial entre Libyques-Lixites et Ethiopiens. Mais ils sont aussi des « troglodytes » et M-Wrws signifie « Ceux des Grottes ».
Il n’est pas impossible que la racine renvoie à Awras, qui signifie “Cheval” (pensons aux deux promontoires du « Cheval » « Hippo » de Hippo Regia (‘Anaba) et Hippo Zarit- (Bizerte). La valeur de la cavalerie numide et maure est un motif récurrent qui pourrait expliquer un totemisme ethnique (cheval, lapin…) (comme les arabes nomades, desquels Strabon observe qu’ils sont identiques).
Cette même racine renvoie aussi à Awras, qui semble le pays d’origine des dynastes numides puisque c’est au pied du massif que Massinissa fera édifier son Midracen.
Il est cependant probable que ces royaumes numido-maurusiens datent au plus tôt de l’expansion Barcide en Ibérie au milieu du IIIème siècle. Les sources sont en tout cas muettes pour les périodes antérieures.
Les numides orientaux pratiquent le Tifinagh, souvent dans des inscriptions bilingues (avec le phénicien). Ils participent, en alliés, ou comme mercenaires à l’expansion militaire Barcide dans le bassin de l’Ebre, puis au raid italien de Hani-Ba‘l (Hannibal).
C : Numides et Maures au IIè s. av. n-è
Bokkhar règne alors sur les Maurus- à l’exception de Tanger qui soutient Syphax, roi des Massaesul-, s’allie avec Massinissa contre les Carthaginois lorsque les Massul- s’aperçoivent de la victoire prochaine de Rome.
Il obtient donc d’étendre sa suzeraineté à Siga (Oranie) et dans le pays de Iol (Algérois) après la défaite de Sufak-.
Massinissa, de son côté, annexe le pays de Qirta (Constantinois) et consolide son empire sur la Tunisie intérieure en assistant les romains à Zama (Siliana), qui devient l’une de ses capitales.
Le siècle qui suit est très méconnu, les romains organisent l’Espagne en deux provinces, puis, après la troisième guerre punique, la Khôra Phénicienne devient la province d’Afrique.
On connaît pour la Maurusie un roi Bokkhus ou Bogud qui mène un raid contre les Ethiopiens Occidentaux (Sous ?) et en rapporte une canne à sucre locale, d’une largeur exceptionnelle. Le pays du Souss sera au Moyen-Âge un centre de production sucrière à dimension mondiale.
On ne connaît précisément que la succession des Massul-, tandis que les Massaesul- sont retrogradés à une simple fédération tribale oranaise.
D : L’expansion Gétule
On apprend surtout des sources postérieures l’irruption d’un nouveau groupe libyque, les Gétules-Autololes. A en croire Virgile, ils sont le peuple libyque originel, du moins le prétendent-ils, mais ils sont aussi des « nomades », des « sauvages » de l’arrière-pays et leur terrible réputation les précède.
Les deux termes semblent dériver d’une racine commune W-Tul(ul), du golfe de Gabès à l’Atlantique, du Haut-Atlas dont on commence à connaître le nom indigène : le Dyris, jusqu’aux Aurès, ils tendent à remplacer les numides des marges du monde sédentaire maurusien, numide et libyphénicien.
A côté de ces derniers, les Pharusiens et les Nigrètes, dans le massif atlassique également, semble contribuer avec les Gétules à « libyser » les montagnes et à repousser les « ethiopiens » dans les oasis du Sahara.
Les Nigrètes sont-ils les descendants d’Ethiopiens « berbérisés » ? Ils portent le nom du fleuve Nigris, appelation englobant tous les fleuves sahariens. On sait en tout cas qu’aussi loin qu’à 30 journées de Lixos, ils avaient des relations avec les Maurusiens et les Gétules, qui informent aussi bien Strabon que Pomponius Mela (Ier s.).
E : Numides, Maures et Gétules et la Guerre Civile Romaine
C’est par la révolte de Jugurtha qu’est à nouveau projetée la lumière des sources, à la fin du IIème siècle.
Sûr de sa toute puissance, le roi répudie son alliance romaine. Immédiatement, les grands clans Gétules occidentaux s’allient aux armées de Marius et Sylla et obtiennent ainsi, sous le patronage de Rome, des terres entre le Constantinois et la Province d’Afrique.
Jugurtha est finalement vaincu, des colons italiens pénètrent en Tunisie Occidentale, les rois Massul- qui montent sur le trône sont désormais nommés directement par le Sénat, et l’hégémonie romaine oriente les destinée même du royaume Maurusien, Etat vassal.
Le général Sertorius, aventurier romain marianiste, maître de l’Espagne contre Sylla, fait un moment la pluie et le beau temps en Maurétanie n’hésitant pas à écraser un certain Askalis fils d’Ifta, soutenu par les pirates, et à s’emparer de Tanger.
Pompée est envoyé en Occident pour l’écraser, il s’allie au passage avec Bokkhus de Maurétanie Occidentale, tandis que son frère, Bogud, commande au Maghreb central dans le camps Césarien.
A nouveau à contre-courant de la Maurétanie intérieure, Tanger, sous l’influence du clan Métagonite (M-Ta-guni-t : ceux du plateau ?) adopte le parti Césarien et prêtent hommage à Bogud. Les citadins métagonites obtiennent finalement l’honneur d’être inscrit sur l’album civique sous le patronyme Julius, ils sont les premiers « maures » à devenir romain, leur cité s’appellera désormais Traducta Iulia.
F : La Maurétanie Julio-Claudienne
A la fin des guerres civiles, il ne reste plus personne dans la famille Boccharienne à pouvoir légitimement recevoir l’hommage des chefferies maures, d’autant que ceux qu’on commence à appeler les « Tingitans » ont conservé avec Marc Antoine la vieille alliance avec les Populares, contre les républicains.
Lorsqu’Octavien écrase son rival, il nomme roi Iuba II, fils de Iuba, rejeton de la dynastie Gaïenne des Massul-, exclus de Numidie Orientale (devenue Provincia Africa Nova). Immédiatement, celui-ci rebaptise Iol Caesarea (Cherchell) et obtient le droit romain pour ses sujets Mauro-phéniciens de Zilia, et un peu plus tard pour la capitale de la tribu des Uerb-/Uerbik-, Banasa (-Valentia), et enfin celle des Mazik-, Babba (Iulia-Campestris).
Il décède quelques années avant Strabon. Il est connu comme l’auteur d’un ouvrage encyclopédique perdu, mais proclamé par Pline « plus grand savant parmi les rois ».
Marié par l’autorité romaine avec l’héritière Lagide d’Egypte, Cléopâtre Séléné fille de Marc-Antoine, il engendre le fameux Ptolémée de Maurétanie, qui règnera depuis Césarée, négligeant la Tingitane.
G : Le Cas Canarien
A l’époque de la romanisation, les contacts avec les Îles Canaries vont se distendre.
Ils sont évidents pour la période précédente, puisque la population « Guanche » est blanche, libophone et a utilisé le libyque occidental (en même temps que les sud-marocains). L’archipel est attesté chez les géographes et aussi par Plutarque qui affirme des contacts fréquents entre les commerçants Gadériens et les deux îles de Fuerteventura et Lanzarote à l’époque de Sertorius (-80).
Un alphabet latino-canarien est effectivement attesté dans les deux îles, fait unique, qui tranche avec le continent. Cependant, à l’époque arabe, si les îles restent connues, l’influence arabo-islamique sera a priori complètement nulle et l’archipel devra même être « redécouvert » au témoignage des informateurs d’Al-Idrissi au Xème ou XIème siècle, sans conséquences particulières.