Les Français donnent le nom de Galam au royaume de Kajaaga, mais ce dernier nom est le seul qu’emploient les habitants du pays. Le Kajaaga est borné au sud-est et au sud par le pays de Bambouk ; à l’ouest, par celui de Bondou et de Fouta-Torra ; et au nord par le fleuve du Sénégal.
Je crois que dans le royaume de Kajaaga l’air est plus pur et le climat plus sain que dans les contrées qui se rapprochent de la côte. Ce pays n’offre, dans toute son étendue, qu’un mélange agréable de collines et de vallées, et les eaux du Sénégal qui descendent des montagnes rocheuses du centre de l’Afrique, et dont le cours est très tortueux, ajoutent à la beauté du paysage, car ses bords sont extrêmement pittoresques.
Les habitants du Kajaaga s’appellent les Serawoullis, et les Français les nomment les Seracolets. La couleur de leur peau est d’un noir de jais, et on ne peut pas, à cet égard, les distinguer des Yolofs.
Le gouvernement des Serawoullis est monarchique, et à en juger par ce que j’ai éprouvé l’autorité du roi est assez redoutable. Cependant, le peuple ne se plaint pas de sa tyrannie. Pendant que j’étais dans le pays, tout le monde semblait jaloux de soutenir ce prince, qui était sur le point de faire la guerre au souverain du Kasson.
Les Serawoullis s’adonnent ordinairement au commerce. Ils en faisaient autrefois un très grand avec les Français, à qui ils vendaient de la poudre d’or et des esclaves. Aujourd’hui, ils fournissent quelques esclaves aux factoreries anglaises établies sur les bords de la Gambie. Ils sont renommés pour la facilité et la loyauté avec lesquelles ils traitent les affaires, mais ils se donnent beaucoup de peine pour acquérir des richesses. Ils font un profit considérable sur le sel et sur les toiles de coton qu’ils vont vendre dans des contrées éloignées.
Quand un marchand serawoulli revient d’une de ces expéditions, tous ses voisins se rassemblent aussitôt pour le féliciter sur son retour. Alors le voyageur montre qu’elle est sa fortune et sa libéralité, en faisant quelques présents à ses amis. Mais, s’il n’a pas réussi dans ses entreprises, sa maison est bientôt désertée, et tout le monde le regarde comme un homme de peu de capacité, qui a pu faire un long voyage, et qui, suivant l’expression du pays, n’a rapporté que les cheveux de sa tête.
La langue des Serawoullis abonde en inflexions gutturales, et n’a pas autant d’harmonie que celle des Foulahs. Elle mérite cependant d’être apprise par les personnes qui voyagent dans cette partie du continent d’Afrique, parce qu’en général elle est entendue dans les royaumes de Kasson, de Kaarta, de Ludamar, et dans la partie septentrionale du royaume de Bambara. Les Serawoullis sont les principaux commerçants de ces divers Etats. Voici leurs noms de nombres :
un bani
deux fillo
trois sicco
quatre narrato
cinq karrago
six toumo
sept nero
huit sego
neuf kabbo
dix tamo
vingt tamo-di-fillo
Le 24 décembre, nous arrivâmes à Joag, qui est la première ville qu’on rencontre dans le royaume de Kajaaga lorsqu’on sort de celui de Bondou. Je logeai dans la maison de celui qui avait la principale autorité dans la ville. Là, ce magistrat ne porte point le titre d’alkaïd, comme chez les Mandingues et les Foulahs. On lui donne le titre de douty. Celui chez qui je logeai était un musulman rigide, mais distingué par son hospitalité.
La ville de Joag contient, je crois, environ deux mille habitants. Elle est entourée d’une haute muraille, dans laquelle on a pratiqué grand nombre de meurtrières, afin de pouvoir, en cas d’attaque, se défendre par là à coup de mousquet. Chaque particulier a aussi sa demeure environnée d’une muraille, ce qui fait de tous ces enclos autant de citadelles. Pour des gens qui ne font point usage d’artillerie, ces murs sont des fortifications redoutables.
A l’occident de la ville coule une petite rivière, sur les bords de laquelle on cultive beaucoup d’oignons et de tabac.
Le soir même de notre arrivée à Joag, le buschréen Madibou, qui était venu avec moi de Pisania, se rendit à Dramanet, ville peu éloignée de Joag, et dans laquelle demeuraient son père et sa mère. Le Nègre forgeron qui avait aussi voyagé avec moi l’accompagna dans cette visite.
Dès qu’il commença à faire nuit, on m’invita à aller voir les jeux des habitants, parce que la coutume du pays est que, quand il arrive quelque étranger, on célèbre sa venue par des divertissements. Je vis une foule de peuple faisant un grand cercle autour de quelques danseurs. Il y avait de grands feux allumés, et quatre tambours qui battaient avec beaucoup d’ensemble et de justesse. Cependant la danse consistait plus en gestes lascifs qu’en pas difficiles et en attitudes gracieuses. Les femmes faisaient à l’envi les mouvements les plus voluptueux dont elles fussent capables.