Le roi, dont le nom était Daisy Kourabarri, n’avait dans ses vêtements rien qui le distinguât de ses sujets. Un banc de terre d’environ deux pieds de haut et couvert d’une peau de léopard lui servait de trône et était la seule marque de la dignité royale. Quand je me fus assis à terre en face du monarque, je lui fis part des diverses circonstances qui m’avaient engagé à passer dans ses Etats, et des raisons qui me faisaient recourir à sa protection. Il parut très satisfait de ce que je lui disais, mais il répondit qu’il ne pouvait pas en ce moment m’être d’un très grand secours ; que depuis quelque temps toute sorte de communication entre les royaumes de Kaarta et de Bambara était interrompue ; que Mansong, roi de Bambara, était déjà entré dans le Fouladou à la tête de son armée, pour attaquer le Kaarta ; qu’il n’y avait guère d’espoir que je pusse me rendre dans le Bambara par la route ordinaire parce que, sortant d’un pays ennemi, je serais certainement pillé ou pris pour un espion ; que si ses Etats avaient été en paix j’aurais pu demeurer auprès de lui jusqu’à ce qu’il se fût présenté une occasion favorable de poursuivre mon voyage, mais que dans l’état actuel des choses il ne souhaitait pas que je restasse dans le Kaarta, de peur qu’il ne m’arrivât quelque accident et que mes compatriotes ne pussent dire qu’il avait fait périr un homme blanc. Il ajouta qu’il me conseillait de retourner dans le royaume de Kasson et d’y demeurer jusqu’à la fin de la guerre, ce qui probablement aurait lieu dans trois ou quatre mois ; que si, dans ce temps-là, il était encore en vie il serait charmé de me voir, et que s’il était mort ses fils prendraient soin de me faire conduire.
Ce sage conseil était certainement dicté par la bienveillance, et peut-être eus-je tort de ne pas le suivre. Mais je réfléchis que la saison des grandes chaleurs approchait, et je craignais de rester pendant les pluies dans l’intérieur de l’Afrique. Ces considérations et l’espèce d’indignation que j’éprouvais à la seule idée de n’avoir pas fait de plus grandes découvertes me déterminèrent à aller plus loin.
Le roi ne pouvant pas me donner un guide pour me conduire dans le Bambara, je le priai de me faire au moins accompagner aussi près des frontières de ses Etats qu’il était possible sans exposer ceux qu’il chargerait de cette commission.
Quand ce prince me vit déterminé à continuer mon voyage, il me dit qu’il restait encore une route à suivre, mais qu’elle n’était pas exempte de danger ; qu’il fallait me rendre du Kaarta dans le royaume de Ludamar, habité par les Maures, et que de là je pourrais, en faisant un détour, pénétrer dans le Bambara ; que si je voulais prendre ce chemin il me donnerait des gens pour me conduire jusqu’à Jarra, ville frontière du Ludamar.
Le monarque s’informa ensuite de quelle manière j’avais été traité depuis que j’avais quitté les bords de la Gambie, et il me demanda en plaisantant combien d’esclaves je comptais ramener à mon retour. Il allait continuer, quand un Nègre, montant un très beau cheval maure, couvert de sueur et d’écume, entra dans la cour et annonça qu’il avait des choses importantes à communiquer au monarque. Le roi mit aussitôt ses sandales, ce qui était un signal pour que les étrangers sortissent. En conséquence je me retirai, mais je laissai mon domestique dans les environs, pour qu’il tâchât d’apprendre quelque chose des nouvelles portées par le messager.
Au bout d’une heure, mon domestique vint me rejoindre et m’apprit que l’armée du Bambara avait quitté le Fouladou et s’avançait vers le Kaarta. Le cavalier que j’avais vu entrer et qui avait apporté cette nouvelle était une des vedettes du roi. Ces vedettes ont chacune leur poste assigné sur quelque hauteur, d’où elles peuvent voir au loin dans la campagne et observer les mouvements de l’ennemi.
Le soir, le roi m’envoya un beau mouton. Ce présent vint d’autant plus à propos que ni moi ni mes compagnons nous n’avions point mangé de toute la journée. Tandis que nous nous occupions à préparer notre souper, l’heure des prières du soir fut annoncée, non par la voix d’un prêtre, comme c’est ordinairement l’usage, mais par le bruit du tambour et par le son de grandes dents d’éléphant, percées comme des cornes de bœuf sauvage. Le son de cet instrument est mélodieux, et suivant moi il approche plus de la voix humaine qu’aucun autre son artificiel. Comme la plus grande partie de l’armée du roi Daisy était alors à Kemmou, les mosquées étaient très fréquentées, et j’observai que près de la moitié des gens de guerre du Kaarta suivait la loi de Mahomet.